Mercredi 12 novembre 2025

Audition de M. Vincent Guérend, directeur de l'Union européenne au ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Le compte rendu sera publié ultérieurement.

Jeudi 13 novembre 2025

Déplacement d'une délégation de la commission à Londres les 27 et 28 octobre 2025 - Communication

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, j'ai souhaité vous rendre compte du déplacement à Londres que Ronan Le Gleut, Didier Marie, Catherine Morin-Desailly, Jacques Fernique et moi-même avons effectué les 27 et 28 octobre dernier.

Le premier jour, nous avons rencontré les représentants de deux think tanks : l'ancien ambassadeur britannique Ian Bond, pour le Centre for European Reform, et notre compatriote Sébastien Maillard, pour l'Institut Jacques Delors et l'organisation Chatham House.

Le second, nous avons été reçus par l'ambassadrice de France au Royaume-Uni pour un briefing avec ses services, avant de nous rendre à la Chambre des Lords pour une réunion commune avec sa commission des affaires européennes, présidée par Lord Ricketts, par ailleurs envoyé spécial du gouvernement britannique pour le prêt de la tapisserie de Bayeux. C'est une spécificité de la Chambre des Lords que d'avoir conservé une commission des affaires européennes en dépit du Brexit ; je puis témoigner que les Britanniques sont toujours présents à la Cosac...

Nous étions convenus d'évoquer les suites du Sommet du 19 mai 2025 entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, ainsi que le rapprochement bilatéral à l'oeuvre entre nos deux États. Je rappelle que le Sommet du 19 mai a débouché sur l'adoption de trois documents : une déclaration commune, un partenariat en matière de sécurité et de défense et une convention d'entente sur un programme renouvelé de coopération.

Nous avons ensuite consacré l'après-midi aux enjeux liés à la sécurité intérieure, avec des représentants des chefs de la police et de la National Crime Agency, ainsi qu'à la lutte contre l'immigration illégale, sujet politiquement très sensible au Royaume-Uni sur fond de montée dans les sondages du nouveau parti fondé par Nigel Farage.

Nous nous sommes enfin rendus à la gare Saint-Pancras pour observer les modalités de déploiement du nouveau système d'entrée-sortie de l'espace Schengen.

Le premier point qui ressort de nos échanges, ce sont les critiques croissantes sur les effets du Brexit, sans pour autant qu'il paraisse envisageable pour le gouvernement britannique de revenir en arrière, ce qui reviendrait à remettre en cause le vote populaire.

Le Labour, après avoir critiqué la manière dont les Tories ont mis en oeuvre le Brexit, se fait plus dur, estimant que c'est le Brexit lui-même qui est un fardeau pour l'économie britannique. D'où la volonté de Keir Starmer de réinitialiser la relation avec l'Union européenne. Toutefois, dès lors qu'il n'est pas question de remettre en cause le Brexit, les marges de manoeuvre sont parfois limitées.

Comme je l'ai indiqué à nos homologues, nous n'avons pas choisi le Brexit, ni le fait que le Royaume-Uni soit devenu un État tiers. Dans ce cadre, le gouvernement britannique, initialement sceptique sur la Communauté politique européenne, lui trouve un intérêt, ce format lui permettant de se réinsérer dans la famille européenne et d'y déployer sa stratégie d'influence.

Parallèlement, on observe des critiques croissantes des conservateurs sur le Conseil de l'Europe et la Convention européenne des droits de l'homme. Les Tories font face à une très forte poussée dans les sondages du nouveau parti créé par Nigel Farage, Reform UK. En cas d'élections législatives aujourd'hui, celui-ci frôlerait la majorité absolue à la Chambre des communes. Il convient d'avoir ce contexte à l'esprit pour mieux mesurer les attentes des Britanniques à l'égard du reset des relations avec l'Union européenne.

Nous devons considérer aussi que nous, Français, avions le mauvais rôle lors du Brexit et restons perçus comme les plus exigeants vis-à-vis des Britanniques. Bien sûr, le dossier de la pêche est emblématique. Nos homologues britanniques ont ainsi relevé que la concession faite en la matière au Sommet du 19 mai était politiquement coûteuse. Je persiste à faire preuve d'une grande vigilance à l'égard des mesures techniques et des règles relatives aux aires marines protégées qui pourraient être introduites par le gouvernement britannique ; elles pourraient avoir pour effet de réduire significativement la portée des concessions faites.

Nous apparaissons comme les plus durs également sur les questions de défense européenne, alors même que nous avons un partenariat bilatéral établi dans ce domaine et que notre coopération en matière de dissuasion nucléaire a été renforcée lors de la visite d'État du Président de la République au Royaume-Uni en juillet dernier.

Tous nos interlocuteurs ont souligné l'excellence de la relation bilatérale entre nos deux pays, membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et seules puissances dotées de l'arme nucléaire sur le continent européen. Cette relation étroite est renforcée par deux déclarations adoptées le 10 juillet dernier : celle de Lancaster House 2.0, sur la modernisation de la coopération de défense et de sécurité ; et celle de Northwood, sur la coopération en matière de dissuasion nucléaire, qui évoque la dimension européenne des intérêts vitaux de nos deux pays.

Je cite ce dernier document : « Comme nous l'avons explicitement déclaré depuis 1995, nous ne voyons pas de situations dans lesquelles les intérêts vitaux de la France ou du Royaume-Uni pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l'autre ne le soient également. La France et le Royaume-Uni conviennent qu'il n'existe aucune menace extrême pour l'Europe qui ne susciterait pas une réponse de nos deux nations ». Plusieurs de nos interlocuteurs ont insisté sur l'importance de cette déclaration. Toutefois, certains ont relevé la dépendance des Britanniques à l'égard des États-Unis en matière de dissuasion nucléaire.

Cette coopération étroite se retrouve également dans le soutien à l'Ukraine, le Président de la République et le Premier ministre britannique coprésidant les réunions de la Coalition des volontaires. Nous ne sommes néanmoins pas tout à fait dans la même situation : outre leur réserve historiquement plus grande vis-à-vis de la Fédération de Russie, les Britanniques sont beaucoup moins exposés que l'Union européenne aux enjeux relatifs à l'utilisation des avoirs russes gelés.

Mais les vraies difficultés portent sur les négociations relatives à l'accès du Royaume-Uni au programme Safe (Security action for Europe). Lord Stirrup, ancien chef d'état-major des armées, s'est montré offensif à ce sujet, à l'unisson des positions du gouvernement britannique : il a vanté la participation du Royaume-Uni comme une nécessité pour l'autonomie stratégique de l'Union européenne, compte tenu de l'importance de la base industrielle et technologique de défense britannique.

Comme nous l'avons constaté hier avec Vincent Guérend, les deux points durs sont la notion de préférence européenne et la contribution financière à acquitter pour accéder au programme, à laquelle les Britanniques espéraient peu ou prou échapper. Les discussions ont été franches. Nous avons fait valoir que le Royaume-Uni ne pouvait pas échapper à sa condition d'État tiers et que la préférence européenne était pour nous un enjeu majeur. Il faut néanmoins avoir conscience que notre position de fermeté n'est pas forcément partagée aussi clairement par l'ensemble des États membres.

Le deuxième grand thème qui a constitué un fil rouge de notre déplacement est l'immigration - même s'il a été moins développé par les Lords. La sensibilité sur ce sujet est extrême, le gouvernement britannique publiant quotidiennement le nombre de bateaux et de migrants arrivés illégalement dans le pays.

Nos débats ont été très intéressants. Un interlocuteur nous a fait observer que la pression liée aux bateaux de migrants arrivant illégalement sur les côtes anglaises est maximale, mais n'explique qu'une part minoritaire des flux de demandes d'asile déposées au Royaume-Uni. Ceux-ci proviendraient majoritairement de personnes prolongeant leur durée de séjour au-delà de la validité de leur visa. On nous a également indiqué que la pression mise sur les autorités françaises pour empêcher les départs depuis nos côtes était à mettre en regard du parcours d'accueil des migrants au Royaume-Uni, qui se veut exemplaire.

Sur le fond, nous avons fait valoir auprès de nos homologues la nécessité de réduire l'attractivité du pays auprès des migrants. Des mesures ont été prises : contrôles aléatoires assortis de très lourdes peines et réduction du nombre de visas de travail et de visas étudiants. Le vrai enjeu réside toutefois dans les contrôles de l'inspection du travail, très peu étoffée. Par ailleurs, la carte d'identité n'était jusqu'à présent pas nécessaire, les Britanniques y étant historiquement rétifs, ce qui complique les contrôles. L'introduction d'une carte d'identité numérique, prônée par le gouvernement Starmer, nous paraît indispensable, mais se heurte à une vive opposition, plus marquée encore en Irlande du Nord.

Nous avons pu échanger également avec des représentants de la police et de la National Crime Agency. Nous avons ainsi mesuré la différence d'approche entre nos deux systèmes : l'organisation de la police britannique est beaucoup plus décentralisée qu'en France ; par ailleurs, au Royaume-Uni, la lutte contre la criminalité repose massivement sur le renseignement, les procédures étant nettement moins placées sous le contrôle du juge. Ce modèle est clairement différent du nôtre.

Nous avons néanmoins pu partager certaines préoccupations communes s'agissant de la chaîne conduisant les migrants vers le Royaume-Uni. Nous avons également identifié des mesures qui mériteraient d'être creusées, dont l'enregistrement de modèles de bateaux spécifiquement consacrés à ce trafic.

Parmi les autres sujets abordés au cours du déplacement figure la perspective d'un espace commun sanitaire et phytosanitaire, prévue par la convention d'entente du 19 mai dernier et perçue par les autorités britanniques comme une contrepartie politique indispensable à la concession faite sur la pêche. Les attentes sont très fortes du côté britannique. Nous avons fait observer à nos homologues que l'Union européenne se devait de protéger le marché unique. La Baronne Ludford a toutefois estimé qu'on assistait de fait à une forme de cherry picking.

Nous avons également été interpellés sur les conséquences de la mise en place du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pour l'acier produit au Royaume-Uni. La demande étant évidemment de pouvoir en être exonéré, ce qui accrédite l'idée que les Britanniques aimeraient avoir tous les avantages de l'appartenance à l'Union européenne sans en payer le prix...

Deux sujets méritent une attention particulière, l'Union européenne n'y apparaissant pas en position de force.

Le premier est la mobilité des jeunes et l'accès aux universités britanniques via le programme Erasmus+. Ce que nous percevons comme une chance et une évidence est accueilli froidement, dans la mesure où les étudiants européens ont été remplacés par d'autres, venant notamment de Chine et d'Inde, qui paient des droits d'entrée au prix fort. Le Royaume-Uni, qui rencontre des problèmes de financement de ses universités, apparaît ainsi en position de force par rapport aux demandes européennes. On nous a toutefois signalé, à bien moindre échelle, qu'une volonté existe de relancer les voyages scolaires.

Le second sujet d'attention concerne le numérique. Autant le Royaume-Uni n'a pas divergé de l'Union européenne sur le plan réglementaire dans bien des domaines, autant il se rapproche des positions américaines plus que des positions européennes dans celui du numérique et de l'intelligence artificielle. Cela nous a été très clairement dit à la Chambre des Lords et doit être pour nous un point de vigilance.

Enfin, nous avons pris connaissance des modalités du système d'entrée-sortie de l'espace Schengen en gare de Saint-Pancras, l'un des trois endroits de ce type en Angleterre. Le nouveau dispositif automatisé permet de contrôler électroniquement les entrées, les sorties, les refus d'entrée et les durées de séjour des ressortissants de pays non membres de l'Union européenne voyageant dans l'espace Schengen pour un séjour de moins de trois mois. Nous avons constaté que les dispositifs étaient bien en place. Il ne faut cependant pas se le cacher : c'est un changement de culture qui nécessitera des adaptations, des soupapes étant prévues pendant une période transitoire, jusqu'au 10 avril 2026, en cas d'engorgement trop important.

En effet, si le voyageur n'a jamais fait l'objet d'un enregistrement dans le système d'entrée-sortie, il devra fournir l'ensemble de ses données à caractère personnel lors du passage devant les agents chargés du contrôle aux frontières, qui relèveront ses empreintes digitales et photographieront son visage avant d'enregistrer le lieu, l'heure et la date du franchissement de la frontière ; ces informations seront conservées dans un dossier numérique individuel qu'il faut créer. Cette étape rallongera fatalement le parcours, même si plusieurs bornes ont été installées pour permettre aux voyageurs de se pré-enregistrer. En tout état de cause, ce sera assurément pour les Britanniques une nouvelle manifestation très visible des effets du Brexit.

J'ajoute que ce déploiement du système d'entrée-sortie Schengen est l'un des enjeux à prendre en compte dans l'hypothèse, que j'appelle de mes voeux, d'un arrêt des trains à grande vitesse à Calais et Ashford, à l'occasion de l'ouverture à la concurrence de la ligne opérée par Eurostar.

Au total, nous avons trouvé nos interlocuteurs peu loquaces sur certains sujets, dont le gel des avoirs russes et le programme Safe. S'agissant du Brexit, nous avons parfois eu l'impression qu'il ne s'était rien passé, et que c'était à nous de faire avec... Au sein du Parlement, la division entre soutiens et opposants au Brexit reste sensible. Mais, en dépit des difficultés économiques, la société britannique semble avoir absorbé la sortie de l'Union européenne ; c'est une preuve de sa résilience.

Si vous en êtes d'accord, nous pourrions publier un rapport d'information précisant les observations que je viens de présenter.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Ce déplacement, sans doute trop court, a été l'occasion d'échanges fort utiles - naturels entre nos deux pays. Le Brexit a-t-il vraiment été absorbé ? Mon sentiment est que les traces de ce débat, qui a déchiré familles et amis, sont encore présentes. Les destins de nos deux pays sont liés, notamment en matière de défense, et je me réjouis que ce déplacement ait permis de renouer des échanges, le groupe d'amitié France-Royaume Uni n'ayant pas été très actif dans la période récente.

J'ai été surpris par la différence des systèmes entre nos deux pays en matière de lutte contre la criminalité : en France, les procédures sont très judiciarisées, tandis que, en Angleterre, elles laissent plus de marge de manoeuvre à la police - ainsi, les policiers anglais n'ont pas besoin de mandat pour réaliser des écoutes téléphoniques.

Mme Marta de Cidrac. - La « relation spéciale » entre le Royaume-Uni et les États-Unis a-t-elle été abordée ?

M. Jean-François Rapin, président. - Pas directement à la Chambre des Lords, mais nous pouvons dire que la relation entre le Royaume-Uni et les États-Unis est marquée par deux phases : tout d'abord, le retour au pouvoir de Donald Trump et son moindre investissement en faveur de l'Otan a été une source d'inquiétudes pour le Royaume-Uni ; désormais, les deux pays semblent entrer dans une phase de confiance. Cette situation peut ainsi participer au renforcement des liens entre le Royaume-Uni et l'Europe.

Par ailleurs, le représentant du think tank CER nous a clairement dit que le Royaume-Uni n'était pas « sorti du déni » dans sa relation avec les États-Unis.

La commission autorise la publication du rapport d'information qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de M. Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Le compte rendu sera publié ultérieurement.