Débat sur l'avenir de la presse (Suite)
Mme la présidente. - Nous reprenons le débat sur l'avenir de la presse.
M. Yvon Collin. - Dès sa naissance, la presse est apparue comme un formidable outil démocratique -ce qui lui a valu d'être souvent malmenée... En France, la Monarchie, l'Empire et même la République balbutiante ont imposé le cautionnement et la censure. Comme le disait Napoléon, « la presse est un arsenal réservé à ceux qui ont la confiance du Gouvernement ». Tout était dit. En 1881, la IIIe République a mis fin au débat : désormais, la presse serait libre, pluraliste et indépendante.
Mme Nathalie Goulet. - Normalement !
M. Yvon Collin. - Elle doit aujourd'hui faire face à de nouveaux défis. La crise qu'elle connaît aujourd'hui n'épargne personne : la presse quotidienne est rejointe dans la tourmente par les magazines et la presse scientifique et culturelle. Même la presse gratuite, qui a triplé sa diffusion en cinq ans, pourrait avoir atteint les limites de son développement. Tous les chiffres convergent, le support écrit, mine d'informations et reflet d'une culture, est gravement menacé. Entre 1994 et 2004, la presse quotidienne nationale (PQN) a vu sa diffusion chuter de 7,2 %, la presse quotidienne régionale (PQR), de 14 %. Le chiffre d'affaires de la presse écrite payante devrait baisser en 2010 ou 2011. Au regard des chiffres mondiaux de diffusion, la presse hexagonale est dans une situation critique. Cinquième puissance économique mondiale, la France hisse péniblement un de ses quotidiens au 76e rang mondial ; le temps est hélas révolu où le Petit Parisien se vantait en 1916 d'être au premier rang mondial avec ses trois millions d'exemplaires. Plus aucun de nos quotidiens ne dépasse le million tandis que cinq titres anglais l'atteignent ou le dépassent.
Beaucoup de journaux se battent pour leur survie, la PQN et la PQR font face à des difficultés toujours plus nombreuses, conjoncturelles mais aussi structurelles. La contraction des ventes et des recettes publicitaires, l'augmentation des coûts du papier, la concurrence des gratuits et l'apparition d'internet perturbent leur équilibre financier. Sur le plan structurel, les blocages sont connus, le manque d'investissement, une industrie de l'impression surdimensionnée, l'inadaptation de l'offre éditoriale, le vieillissement du lectorat, l'insuffisance du nombre des points de vente ; le monde de la presse est ainsi constamment sur la défensive. Dans la situation actuelle de crise économique, il est urgent d'aider le secteur. Si les pouvoirs publics ont naturellement un rôle à jouer, et le jouent, la presse est un monde d'entreprises logiquement attaché à son indépendance. Les solutions viendront aussi de sa capacité à se remettre elle-même en cause pour mieux rebondir.
Les états généraux de la presse écrite ont montré que celle-ci voulait aller de l'avant. Certaines des recommandations du Livre vert peuvent contribuer à améliorer la situation. Le 23 janvier dernier, le Président de la République a pris des engagements ; le groupe du RDSE veillera à ce qu'ils soient tenus, notant cependant que la loi de finances pour 2009 n'a pas pris la mesure du problème dès lors que les aides à la presse ont été simplement reconduites...
Les états généraux ont mené une réflexion globale, de la production à la diffusion aux lecteurs. Le Gouvernement a annoncé le report d'un an de l'augmentation des tarifs postaux ; cette sage décision répond à l'attente de la profession. Cette aide permanente au transport postal ne cantonne-t-elle pas cependant la presse, notamment la PQN, dans un système de distribution qui a perdu de sa pertinence ? Le portage mériterait d'être encouragé. Avec 70 millions d'euros, le Gouvernement n'opère qu'un rattrapage ; des aides significatives au portage devraient être pérennisées. La vente au numéro a fait l'objet de larges débats lors des états généraux, ce qui a sans doute suscité l'initiative gouvernementale en matière de rémunération du niveau 3. Il faut simplifier l'installation des points de vente, parce que les journaux sont davantage qu'un produit commercial ; informatifs et pédagogiques, ils doivent être facilement accessibles sur tout le territoire -à l'instar des services publics.
S'agissant du processus industriel, l'effort doit d'abord porter sur les coûts de fabrication qui restent trop élevés ; pour les réduire de 30 à 40 %, éditeurs et syndicats sont invités à négocier un nouveau contrat social dans les imprimeries. L'adaptation des savoir-faire et la mutualisation de l'impression devront être discutées.
En réponse à la baisse des recettes publicitaires des journaux, le Gouvernement prévoit de réorienter une partie de sa communication institutionnelle vers la presse écrite. Cet effort mérite d'être salué même si les tendances lourdes demeurent, comme le captage de la publicité par la télévision ou le poids important de la publicité hors média.
Parce qu'il n'y a pas de journaux sans journalistes, les droits et les devoirs de la profession méritent d'être précisés. L'annexion d'un code de déontologie à la convention collective des journalistes permettra de restaurer le lien de confiance entre les lecteurs et les journaux.
M. Jean-Pierre Plancade. - Très bien !
M. Yvon Collin. - Dans un secteur où la concurrence s'exacerbe, les journaux devront en outre repenser les conventions collectives ; la formation des journalistes doit être améliorée sans pour autant être uniformisée : la diversité des parcours est un gage de richesse des contenus. Le lectorat est particulièrement âgé en France ; les initiatives en direction des jeunes sont tout à fait nécessaires, car la jeunesse délaisse volontiers la culture de l'écrit au profit du numérique. Or il a été démontré que la compréhension et l'assimilation d'une information est meilleure à partir d'un support papier. Reste qu'internet est partie intégrante de la vie des jeunes générations : tenter de revenir en arrière serait vain. Si tout le monde s'accorde pour définir un statut de l'éditeur en ligne, ce statut doit définir des droits mais aussi des obligations.
Tels sont les enjeux du débat sur l'avenir de la presse. Parce que celle-ci doit conserver sa liberté, son pluralisme et son indépendance, les pouvoirs publics ne peuvent être les acteurs principaux de la refondation de son modèle économique. Ils doivent cependant en prendre leur part, sauf à prendre le risque de voir disparaître de nombreux titres, ce qui mettrait précisément en péril le pluralisme. La démocratie ne peut pas se passer de la diversité des opinions. Le groupe du RDSE soutiendra les initiatives publiques tant que celles-ci s'inscriront dans une démarche de soutien politiquement désintéressée et économiquement prometteuse. (Applaudissements sur les bancs du groupe du RDSE et au centre)
M. David Assouline. - M'exprimant au nom du groupe socialiste, je le ferai avec moins de retenue que tout à l'heure...
Les internautes, dont je suis, peuvent assister actuellement, sur le site internet de l'excellente émission de Radio France Internationale -antenne de service public dont je salue les personnels qui vivent un plan social douloureux- L'Atelier des médias, aux dernières heures d'un quotidien, le Rocky Mountain News de Denver, aux États-Unis ; j'ai appris aussi ce matin la disparition de l'éditorial papier du Seattle Post-Intelligencer, un quotidien vieux de 150 ans... A l'heure de la révolution numérique, il est de bon ton de condamner les éditeurs qui continuent à publier des journaux ou des magazines papier.
Le raccordement accéléré des ménages à internet depuis le début des années 2000 a modifié l'accès à l'information, surtout chez les jeunes de moins de 25 ans pour qui le web est une source inépuisable et gratuite de contenus écrits ou audiovisuels sans cesse renouvelés. Dans mon rapport d'octobre 2008, consacré à l'impact des nouveaux médias sur la jeunesse, j'ai souligné qu'internet était le média préféré pour 61 % des 15 à 25 ans, les jeunes Britanniques, par exemple, consacrent plus de temps à naviguer sur la toile qu'à regarder la télévision. J'ai rappelé que la génération digitale passait globalement 800 heures par an à l'école, 80 heures à discuter avec sa famille et 1 500 heures devant un écran. La désaffection parallèle des jeunes générations pour la presse écrite ne serait pas inquiétante si ce public connaissait mieux les contenus mis en ligne. Or, les jeunes de 15 à 25 ans naviguent en majorité de lien en lien au gré de leur inspiration, au lieu d'effectuer une recherche précise ou d'utiliser des sites connus. C'est pourquoi j'ai mis en garde dans mon rapport contre le risque de manipulation ou de désinformation via internet.
Dans ce contexte, l'avenir des journaux quotidiens, et même de la grand-messe du 20 heures télévisé, semble bouché. Le Monde, Libération et La Tribune ont subi de graves difficultés économiques entraînant de douloureuses réductions d'effectifs, alors que L'Humanité ou France-Soir semblent en perpétuelle convalescence. Cette macabre impression a récemment été confirmée par la brutale descente aux enfers du Los Angeles Times et du Chicago Tribune, alors que le New York Times hypothéquait son siège en plein coeur de Manhattan pour compenser la chute des recettes publicitaires.
Parallèlement, des éditeurs majeurs de la presse européenne -l'allemand Bertelsmann et l'italien Mondadori- pensent que 2009 sera une annus horribilis pour ce secteur, les recettes publicitaires chutant de plus de 10 %. Bertelsmann a déjà interrompu la publication de trois magazines en Europe.
Que des groupes de médias soient significativement victimes de la crise n'est pas surprenant, mais journaux et magazines imprimés avaient déjà été fragilisés par la révolution numérique. Or, les investissements publicitaires réalisés sur internet progresseront sans doute cette année, d'autant plus au détriment des autres supports que le marché global se contractera. En 2008, internet captait 15 % des dépenses publicitaires, contre 9,6 % deux ans plus tôt. Ces recettes ont représenté 516 millions d'euros l'an dernier, soit une hausse annuelle de 12,6 %, contre 316 millions pour les quotidiens nationaux, qui ont ainsi perdu 4,4 %. Cette évolution structurelle est significative de l'intérêt grandissant des annonceurs pour des supports permettant de cibler les publics.
On pourrait déduire de ces considérations que notre débat d'aujourd'hui s'apparente à la chronique d'une mort annoncée -celle de la presse écrite. Pourtant, si nos journaux sur papier doivent relever des défis nombreux et complexes, ils pourraient encore vivre de longues années de bonheur avec leurs lecteurs.
Quels sont nos raisons d'espérer ? A quelles conditions pourrait-on envisager sans inquiétude l'avenir de la presse écrite ?
Tout d'abord, la presse quotidienne a, contre toute attente, gagné des lecteurs en 2008 : les quotidiens régionaux étaient lus par 17,8 millions de personnes, soit 2,6 % de plus ; les quotidiens nationaux ont enregistré 8,8 millions de lecteurs, soit une hausse de 0,9 % ; les gratuits ont progressé de 4 % pour atteindre 4,4 millions de lecteurs.
Ensuite, selon l'institut MRCC, les lecteurs de la presse écrite la choisissent parce que journaux et magazines sont des supports indispensables à la démocratie et les plus riches en informations de toute sorte.
Ces mêmes lecteurs jugent toutefois que la presse écrite est trop chère, que les journalistes sont moins indépendants et objectifs que ceux d'autres supports. Nos concitoyens souhaitent donc une presse riche, proche et agréable, moins chère et crédible. Les Français sont attachés à une presse de qualité, généraliste et accessible.
Or, les principaux groupes de médias ont opté pour des orientations susceptibles de décevoir leurs attentes.
L'AFP est concernée au premier chef. Évoluera-t-elle vers un statut analogue à celui de La Poste ?
Recherchant la rentabilité, les patrons de presse n'hésitent pas à licencier des journalistes. Parallèlement, ils développent des stratégies multimédia en multipliant les éditions spécialisées animées par des rédactions bis reproduisant des dépêches d'agences. Cette perte de substance a conduit le sociologue Jean-Marie Charon à proposer que les journalistes « assis » soient moins bien rémunérés que les journalistes « debout ». L'auteur de cette provocation veut interpeller ainsi les éditeurs sur l'importance de fournir une information originale de première main « obtenue dans un rapport direct avec les acteurs de l'actualité ».
La mutation accélérée du métier de journaliste préoccupe la profession. Ainsi, Bernard Poulet a conclu dans un essai paru récemment que le journalisme disparaîtrait dans sa forme actuelle, car le travail d'enquête n'est pas assez rentable pour être adapté aux nouveaux modes d'information. Contradictoire avec les attentes de la société, cette tendance pourrait approfondir le fossé entre les lecteurs et des journaux d'information générale au contenu appauvri.
L'abîme s'agrandira autant que la concentration s'accroîtra. En effet, nos concitoyens veulent une information libre, traitée par des rédactions indépendantes. Or, selon une enquête récente réalisée pour La Croix, 63 % des Français pensent que les médias subissent des pressions politiques économiques. Nos concitoyens sont lucides, la grande majorité des titres de presse et des chaînes de télévision de radio appartenant à des conglomérats dont le revenu dépend principalement de commandes publiques.
En regrettant une concentration insuffisante des éditeurs, le Président de la République ne rassure pas les lecteurs sur l'indépendance éditoriale des titres. Au contraire, en multipliant les interventions directes et les critiques à l'emporte-pièce envers les journalistes, le Chef de l'État montre une tentation mal réprimée de contrôler l'information, alors que les Français veulent que la presse contribue au débat démocratique. La récente loi bouleversant le paysage audiovisuel, pour mettre sous tutelle le service public de la radio et la télévision, ne rassure pas quant aux projets de M. Sarkozy pour la presse d'information.
Dans ce contexte, les états généraux ont permis un débat, mais ils ont aussi manifesté un manque de maturité de notre société, le recours à l'État étant appelé de leurs voeux par les contre-pouvoirs ! En France, l'aide à la presse dépend traditionnellement du ministère quasi régalien créé par Malraux il y a cinquante ans, mais le fondateur de la Ve République n'imaginait certainement pas que l'hôte de l'Élysée jouerait les rédacteurs en chef !
Les états généraux ont surtout souffert d'avoir été organisés à l'initiative du Président de la République et d'avoir été pilotés par ses collaborateurs. Difficile de faire croire à l'indépendance de la presse, lorsque Bolloré, Dassault et Lagardère détiennent les leviers économiques du secteur, les journalistes ayant été quasiment exclus des états généraux. Enfin, le temps imparti pour un tel enjeu de société fut bien court.
Les résultats des états généraux suscitent donc une légitime suspicion, même si l'idée de créer un statut d'éditeurs de presse en ligne va dans le bon sens. Le catalogue de mesures catégorielles dont ils ont accouché n'est pas digne du défi à relever : rétablir la confiance entre la presse écrite et les citoyens. Certaines propositions du Livre vert sont inquiétantes à cet égard, comme celle de doubler les investissements publicitaires de l'État dans la presse. Comment les Français percevront-ils l'insertion massive de campagnes de communication gouvernementale dans leur quotidien préféré ?
Plus fondamentalement, la concentration des médias n'a pas été débattue. Connaissant la position du Chef de l'État, on n'en est pas surpris. C'est pourtant une anomalie dans les démocraties occidentales, que la concentration de nombreux titres de la presse écrite et d'importantes chaînes de radio ou de télévision aux mains de puissants groupes dont les patrons sont généralement proches du Président de la République et dont la plupart ont besoin des commandes publiques. Il est donc temps d'interdire la détention de médias d'information aux groupes dont le chiffre d'affaires est substantiellement assuré par l'État.
J'en viens au rôle des rédactions. Notre assemblée s'est honorée en adoptant un amendement, présenté par notre groupe au projet de loi relatif à la communication audiovisuelle, pour obliger les chaînes de la télévision publique à se doter de rédactions propres dirigées par un journaliste. Hélas, les députés de l'UMP à la commission mixte paritaire ont vidé cette disposition de son contenu. Que craignent-ils ? Les foudres élyséennes ?
En tout état de cause, l'élaboration de la charte rédactionnelle ne suffira pas à garantir l'intégrité des rédactions, car elle est conditionnée par la reconnaissance juridique de ces dernières. On attend donc beaucoup de la Conférence nationale des métiers du journalisme, puisqu'on ne peut guère envisager une rédaction sans journalistes, même à l'âge numérique. Elle devra formuler des propositions pour le futur code de déontologie annexé à la convention collective et chercher comment reconnaître les pigistes, souvent déconsidérés malgré leur apport indispensable à la presse régionale.
Mme la présidente. - Il faut conclure.
L'évolution du régime des droits d'auteur des journalistes ne doit pas conduire à l'aligner sur celui du copyright : un amendement de Mme Blandin à la loi relative aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information de 2006 a permis d'éviter que les photographes soient victimes d'une telle dérive.
Mme la présidente. - Veuillez conclure.
M. David Assouline. - Je conclurai en rappelant les propositions que j'ai formulées dans un rapport rédigé pour la commission des affaires culturelles : il est impossible de revaloriser la presse sans prendre à bras le corps le problème de l'éducation aux médias. (M. Jacques Legendre, président de la commission, approuve) Malgré d'heureuses initiatives, la diminution continue du nombre de postes dans l'éducation nationale rend vains nos efforts. La commission unanime souhaite que le Gouvernement et le Parlement mettent en place rapidement une telle formation. (Applaudissements à gauche)
Mme Nathalie Goulet. - En trois minutes, je ne puis vous présenter qu'un témoignage. Il faut aider la presse, j'en conviens. Mais en cette période de crise, peut-on continuer à verser plus de 175 millions d'euros d'aides directes à la presse sans en exiger la moindre contrepartie ? Je ne suis pas liberticide, mais la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres. Or cela fait bien longtemps que la presse a dépassé les bornes.
Notre droit de la presse est inadapté, tant sur le fond que sur la forme, aux médias du XXIe siècle ; les victimes de diffamation doivent attendre des années pour voir leur préjudice réparé dans des proportions ridicules...
L'aide publique à la presse doit s'accompagner d'un code de bonne conduite. Pourquoi avoir exigé la conclusion d'un contrat d'objectifs et de moyens avec l'AFP et non avec la presse écrite ?
Je passe rapidement sur internet et les blogs anonymes ; l'adresse IP ne doit pas servir à protéger les infamies balancées sur internet ni être le gage de l'impunité ! J'applaudis des deux mains à la récente décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation : certains y voient une mesure limitant la liberté de télécharger, mais c'est aussi une voie ouverte aux victimes de diffamation. (M. Jacques Legendre, président de la commission, approuve ainsi que M. Jean-Pierre Plancade) Je ne partage pas les idées de Mme Morano, mais j'approuve sa démarche contre Dailymotion : jusqu'où doit-on accepter de se faire critiquer jusqu'à l'humiliation ?
De Salengro à Pierre Bérégovoy, beaucoup d'hommes politiques n'ont pas supporté de voir leur honneur « livré aux chiens », pour reprendre les mots de François Mitterrand. Prenons l'exemple d'une plainte contre X qui n'avait pas été consignée, autrement dit qui n'avait pas d'existence juridique ; un grand journal du soir lui a consacré une page entière ! (L'oratrice brandit une page comportant un article et au milieu de laquelle figure, en énormes caractères, « Les mystères des sénateurs Goulet ») L'affaire a abouti à un non-lieu. Il faut en finir avec ces instructions médiatiques et ce mélange des genres capable d'anéantir un être humain et sa famille ! Je pense à M. Baudis, à l'affaire d'Outreau, à cet homme dénoncé par son ancienne compagne comme l'auteur des lettres anonymes envoyées au Président de la République, qui fut soumis à une campagne de presse délirante.
Nous devons obtenir que les déclarations du syndicat des journalistes, qui promettait de remettre la déontologie au coeur du métier, soient suivies d'effet. La Charte des devoirs professionnels des journalistes date de 1918 et fut modifiée en 1938 ; elle énonce que la calomnie et l'accusation sans preuves sont les plus grandes fautes du métier : les états généraux n'ont rien inventé de mieux ! Il faut être plus vigilant dans l'attribution des cartes professionnelles.
Je vous le dis d'expérience, mes chers collègues : ce genre de mésaventure n'arrive pas qu'aux autres ! (Applaudissements au centre et à droite)
Mme la présidente. - Merci d'avoir respecté votre temps de parole.
M. Michel Teston. - L'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme reconnaissent le droit à l'information, composante essentielle des libertés d'opinion et d'expression. Dans une démocratie, l'exercice de ce droit suppose que l'État assure le pluralisme de l'information sur tout le territoire et dans tous les médias.
Malgré la progression des moyens électroniques de communication, la presse écrite reste un support d'information essentiel, particulièrement dans les zones rurales où les habitants ne bénéficient pas tous, loin s'en faut, du haut ou du très haut débit.
Le rôle primordial du transport et de la distribution de la presse est d'ailleurs reconnu en France puisqu'il s'agit d'une des quatre missions de service public confiées à La Poste, garantie en principe par la loi du 21 mai 2005.
Qu'en est-il dans les faits ? Le transport et la distribution de la presse coûte 1,2 milliard d'euros par an et connaît un déficit structurel qui s'est élevé à 414 millions d'euros en 2007, compte tenu d'une contribution de l'État de 242 millions d'euros. Alors que le marché du courrier doit être totalement ouvert à la concurrence à compter du 1er janvier 2011, il faut permettre à La Poste de continuer à accomplir convenablement cette mission de service public.
Un protocole d'accord État-Presse-Poste a été signé le 23 juillet 2008 pour la période 2009-2015. Selon ses signataires, il devrait permettre de couvrir au terme de la période les coûts complets du transport de la presse, les éditeurs acceptant des hausses tarifaires comprises entre 1,5 et 4 % par an, La Poste s'engageant à réduire ses coûts nets de 200 millions d'euros et l'État réduisant progressivement sa contribution annuelle de 242 à 180 millions d'euros.
Que faut-il en penser ? L'optimisme affiché laisse dubitatif. Je constate d'abord que l'État va réduire sa contribution. Ensuite, comment ne pas s'interroger sur les conséquences de la hausse des tarifs postaux, à l'heure où les entreprises de presse sont en difficulté ? Faut-il se satisfaire de l'affirmation selon laquelle les tarifs de presse de La Poste demeureront parmi les plus abordables d'Europe ?
Enfin, que penser de l'engagement pris par La Poste de considérer cette question comme définitivement réglée dès lors que le protocole sera intégralement appliqué et, le cas échéant, de combler par ses propres moyens les déficits résiduels ? Nous risquons de voir La Poste, confrontée à la concurrence, réduire le champ de sa mission. L'État doit donc s'engager à augmenter, si besoin est, sa contribution au transport de la presse afin de garantir l'exercice de ce droit fondamental qu'est le droit des citoyens à l'information. (Applaudissements à gauche et au centre)
M. Pierre Fauchon. - J'aborderai le problème de la déontologie de la presse, évoqué en termes émouvants par Mme Goulet il y a un instant.
Est-il compatible avec l'idée même de démocratie et d'équilibre des pouvoirs que le pouvoir de la presse, dont nul n'ignore qu'il est considérable, se développe au gré de ceux qui le détiennent sans aucune espèce de contre-pouvoir ?
Les procédures pénales pour diffamation et le droit de réponse ne sont que des palliatifs rarement efficaces, étant donné les subtilités de procédure dont les juges sont friands et l'habileté des rédacteurs en chef dans l'application du droit de réponse.
L'opinion est ainsi la proie désarmée d'un journalisme qui oublie trop souvent les obligations que lui imposent la liberté d'informer et les aides financières publiques, et pèche tantôt par commission, tantôt par omission. Les journalistes s'écartent de leur devoir d'informer, profitant de la liberté de commenter qui n'est pas un devoir mais un privilège. Que dire d'internet, où l'on publie des informations durables sans aucune garantie et souvent à l'abri de pseudonymes, variante moderne et redoutable des lettres anonymes !
Mme Nathalie Goulet. - Très bien !
M. Pierre Fauchon. - Je mets toutefois en garde contre le risque qu'un contrôle extérieur sur la presse porte atteinte à sa liberté d'expression, aussi sacrée que la liberté d'opinion et qui en est indissociable.
On ne saurait se contenter de créer un observatoire des problèmes de déontologie : il n'est plus temps d'observer, il faut agir et remédier ! Il ne suffit plus d'édicter des chartes mais il faut faire en sorte que le respect des règles déontologiques ne soit pas laissé à la discrétion de ceux-là même qu'elles sont supposées régir, ou d'autorités professionnelles généralement contraintes de s'en tenir à une prudence embarrassée...
Je suggère la mise en place d'un système d'autodiscipline, c'est-à-dire d'une instance auprès de laquelle tout citoyen ou groupe de citoyens pourrait trouver audience. Aux juridictions doivent être réservées les offenses les plus graves. Je songe plutôt à un organisme paritaire de médiation, sur le modèle des procédures de médiation qui se développement actuellement et paraissent très prometteuses. Cela permettrait d'apporter à ces problèmes des solutions plus délicates et mieux adaptées, depuis la confrontation des parties -qui constituerait déjà un remarquable progrès- jusqu'aux recommandations et aux avertissements dont la seule publication suffirait le plus souvent à garantir ce qu'il faut d'efficacité sans compromettre ce qu'il faut de liberté.
La liberté de la presse est sacrée, mais elle doit être exercée avec civisme et sens des responsabilités. C'est le seul moyen de remédier à la crise de confiance évoquée par M. Assouline, qui est une des causes des difficultés actuelles du secteur. Ce n'est pas celle dont les journalistes s'inquiètent en général ! (Applaudissements au centre, sur divers bancs à droite et sur quelques bancs à gauche)
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. - Oui, la presse traverse une crise grave. Aux causes internationales, que sont l'émergence des gratuits, la montée en puissance d'internet et la crise, qui a des répercussions sur le marché publicitaire, s'ajoutent des causes propres à la France : des coûts d'impression de 30 à 40% plus élevés que dans le reste de l'Europe, un système de distribution inadapté et un métier de distributeur mal mis en valeur.
Le Gouvernement s'est mobilisé et le Président de la République a convoqué les états généraux avant d'annoncer un plan ambitieux de 600 millions sur trois ans, les 150 millions inscrits au collectif s'ajoutant aux 277 millions prévus par la loi de finances pour 2009.
La première des mesures d'urgence est un moratoire des accords presse-poste de juillet 2008. Certes, ils avaient le grand avantage de confirmer la mission de service public de la poste et de confirmer l'engagement financier de l'État pour sept ans -240 millions allant à la résorption du déficit résiduel de La Poste. Ils présentaient en outre des tarifs différenciés. Cependant la crise rendait urgent de différer leur mise en application et de prévoir une compensation intégrale du manque à gagner : 24,9 millions d'euros ont été inscrits dans le projet de loi de finances rectificative du 4 mars 2009.
Deuxième mesure d'urgence, les dépenses publiques de communication sont massivement redéployées, la part de la presse passant de 18 à 36 millions.
Enfin, certains quotidiens n'ont que de faibles ressources publicitaires ; nous envisageons de doubler l'aide pour la porter à 14 millions.
Le plan comporte aussi des mesures structurantes. Il faut en effet avancer sur le sujet des coûts d'impression. Le Président de la République a souhaité une mutualisation des imprimeries. Nous allons encourager la décentralisation et les regroupements. Nous souhaitons également la négociation d'un nouveau contrat social avec le syndicat du livre. Elle est déjà engagée pour la presse quotidienne nationale. S'agissant de la presse quotidienne régionale, sa diversité impose de procéder préalablement à un audit, mais il faudra ouvrir le chantier.
Comment moderniser le réseau des distributeurs et encourager la vente au numéro ? La rémunération des marchands de journaux n'est que de 15 à 18 % en France contre 21 à 26 % au Royaume-Uni. Nous souffrons également d'un déficit de points de vente : un pour 2 000 habitants en France contre un pour 1 000 au Royaume-Uni et un pour 700 en Allemagne -et cela représente une énorme différence !
Le premier objectif prioritaire est donc de réorganiser le réseau. L'accord entre les messageries de presse est acquis sur le plafonnement dans les points de vente. Attendu pour septembre, un accord sur la gestion de l'assortiment laissera plus de liberté aux vendeurs. Enfin, un groupe de travail est consacré au réseau.
Afin de revaloriser la rémunération des diffuseurs, ils bénéficieront dans une phase transitoire d'une exonération de charges pour 16 000 distributeurs grâce à un fonds de 16,8 millions d'euros.
L'augmentation du nombre de points de vente représente un enjeu essentiel. Arnaud de Puyfontaine est chargé de porter ces objectifs. Des expérimentations hors des contrats d'exclusivité sont en cours. Pourquoi ne trouve-t-on parfois que les quotidiens régionaux ? La réflexion sur l'implantation des nouveaux points de vente doit se situer dans le prolongement de la loi Bichet. Nous attendons enfin pour fin avril les conclusions de la réflexion sur la composition et les missions du Conseil supérieur des messageries de presse.
Avec un taux de portage de 14 %, la presse quotidienne nationale conserve d'importantes marges de progression. Le plan du 23 janvier comporte des exonérations totales de charges sociales patronales et fait passer l'aide directe de 8 à 70 millions. Le nouveau dispositif a donné lieu à concertation, il est prêt ; en revanche, la réflexion se poursuit sur la mutualisation du portage qui ne fait pas l'objet d'un accord généralisé.
Les aides, qui représentent une partie du financement de la presse, ont beaucoup contribué à son évolution. Leurs modalités doivent cependant être revues afin de favoriser l'innovation et l'investissement. Leurs critères donneront ainsi lieu à une expertise des projets. Nous essayons de favoriser l'investissement : le fonds d'aide aux services en ligne verra ainsi les dotations passer de 0,5 à 20 millions.
S'agissant des fonds propres, l'accès au mécénat est élargi et l'on peut ouvrir le droit des associations à apporter du numéraire. Dans un premier temps, le dispositif fiscal sera aménagé de manière à élargir le droit des associations de participer au financement des entreprises de presse -le rescrit est visible sur le site de l'administration fiscale ; dans un second temps, on adaptera le mécénat sous le contrôle de la Caisse des dépôts, selon des modalités à déterminer d'ici la loi de finances.
Quant aux investisseurs suisses, le Président de la République s'est dit ouvert à une remise en question des plafonds de participation en capital au profit de pays francophones, mais au cas par cas dans le cadre d'accords internationaux conclus par le ministère des affaires étrangères.
J'en viens à l'exigence, exprimée par de nombreux orateurs, d'une déontologie renforcée. De fait, nous avons tous en mémoire des articles dont les conséquences ont été terribles pour les personnes visées. L'histoire nous enseigne que la profession a toujours assumé cette tâche avec l'élaboration de deux chartes en 1918, puis en 1971. Les travaux menés lors des états généraux sous l'égide de Bruno Frappat et François Dufour ont conclu à la nécessité d'annexer un code de déontologie à la convention collective des journalistes, ce qui lui confèrera une valeur plus contraignante que la charte précédente ; code dont l'élaboration sera confiée à un comité des sages en cours de constitution et à propos duquel les organisations professionnelles sont déjà saisies.
Sur la question des droits d'auteur des journalistes, les états généraux, s'inspirant de travaux qui les ont précédés, ont recommandé d'inscrire dans la loi le principe de cession automatique des droits lors de la première exploitation pour définir ensuite, au-delà d'une période de référence et d'un périmètre de cession déterminés, le montant de la rémunération complémentaire perçue par le journaliste. Une commission ad hoc, composée à parité de représentants des éditeurs et des journalistes et présidée par un magistrat de la Cour de cassation, est chargée de mettre au point ce dispositif que nous pourrions retenir au plus tôt dans le projet de loi « création et internet ».
De même, le statut d'éditeur en ligne, dont les états généraux ont proposé des éléments de définition tels que la mise à disposition d'un contenu original, devra être gravé dans la loi pour que ces éditeurs puissent bénéficier des mêmes avantages fiscaux que les autres. Leur régime de responsabilité devra être également adapté, atténué, comme en témoigne l'affaire de M. de Filippis.
La formation professionnelle doit être effectivement encouragée quand moins de 20 % des journalistes sortent des écoles reconnues par l'État. Pour autant, elle ressort de la responsabilité de la profession. Celle-ci a pour projet une formation obligatoire d'une à deux semaines sur le droit de la presse, le Gouvernement s'en réjouit.
Concernant le renouvellement du lectorat, le Gouvernement s'attache à le favoriser en offrant un abonnement aux jeunes de 18 ans, suivi d'un abonnement à tarif préférentiel durant un ou deux ans. Ce dispositif, fondé sur le volontariat des jeunes et des éditeurs de presse, suppose une action volontariste de l'éducation nationale. De plus, nous lançons une réflexion plus globale sur le lectorat avec la création au sein du ministère d'un programme de recherche et développement rassemblant des acteurs privés et publics tels que l'ANR ou encore le CNRS.
En matière de publicité sur l'alcool, nous devons trouver un équilibre entre protection de la santé du consommateur et liberté d'expression des journalistes. L'amendement distinguant information et promotion, qui a été rejeté à l'Assemblée nationale, constitue une piste à explorer que nous travaillons avec Mme Bachelot.
Enfin, l'AFP est l'une des trois grandes agences mondiales, avec 30 % du chiffre d'affaires mondial ; la seule francophone face à deux agences anglophones. Présente dans 165 pays, où elle propose des services d'information en six langues, elle fait la fierté de la France. Pour prendre le tournant du numérique, elle doit néanmoins se moderniser. Résultat du nouveau contrat d'objectifs et de moyens conclu avec l'État, elle n'est plus en déficit et pas moins de 30 millions, dont 20 de l'État et 10 en autofinancement, seront consacrés dans les prochaines années à sa modernisation. Pour que l'agence dispose des moyens nécessaires à cette évolution, son statut unique d'entreprise commerciale sans capital et sans actionnaires devra être modifié. Aussi ai-je demandé au président de l'AFP de faire des propositions visant à ouvrir le capital de l'agence à des acteurs publics et parapublics. Notre objectif n'est donc pas de privatiser, mais de donner à l'agence les moyens de l'indépendance qui a fait son succès ! (Applaudissements à droite et au centre)