Projet de loi de finances rectificative pour 2020
M. le président. - L'ordre du jour appelle l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2020.
Nominations à une éventuelle CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l'éventuelle commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n'a pas reçu d'opposition dans le délai d'une heure prévu par notre Règlement.
Je rappelle que tous les orateurs, y compris le Gouvernement, s'exprimeront depuis leur place, sans monter à la tribune.
Discussion générale
M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics . - Avec ce projet de loi de finances rectificative 2020, vous poursuivez l'examen des textes d'urgence, dans des conditions originales et dramatiques.
Le Président de la République s'est engagé à déployer tous les moyens nécessaires à la sauvegarde de l'économie et des revenus des ménages. La crise de 2008 a prouvé que c'était la meilleure façon de préparer le rebond.
Au total, le Gouvernement débourse 45 milliards d'euros d'aides aux entreprises et aux salariés. Ce projet de loi de finances rectificative constitue le second pilier de l'action du Gouvernement dans cette crise, après celui dont vous avez débattu hier. Cela étant, dès la semaine dernière, nous avons pris des mesures réglementaires de report des échéances fiscales et sociales, pendant trois mois, pour les entreprises qui en auront besoin.
Ainsi, l'intégralité des charges sociales sera reportée pour les entreprises qui le souhaitent, y compris celles qui avaient réglé leur échéance le 15 mars - la plupart des PME. Le report de l'échéance du 20 mars est intervenu, pour les indépendants, sans qu'ils aient de démarche à faire. Pour les entreprises plus importantes, même système que pour les PME, mais au 15 avril. Quelque 3 milliards d'euros de charges et d'impôts ont déjà été reportés.
Par ailleurs, les entreprises qui ont payé leur acompte d'impôt sur les sociétés pourront être remboursées. Je salue les agents de la direction générale des finances publiques et des Urssaf qui sont à pied d'oeuvre dans des conditions difficiles.
Ces mesures de report comptent pour 35 des 45 milliards d'euros débloqués, dont 13 milliards d'euros au titre des impôts directs et 22 milliards d'euros au titre des cotisations sociales.
Quelque 380 000 entreprises ont déjà demandé, depuis le 17 mars, l'allégement ou l'annulation de leurs versements ; 92 % d'entre elles ont eu gain de cause.
L'article 4 de la loi de finances rectificative porte sur la garantie de l'État pour les prêts, du 1er mars au 31 décembre.
Les banques doivent jouer leur rôle de financement de l'économie. Tous les prêts consentis aux PME seront ainsi garantis. Cela facilitera le financement de la trésorerie des entreprises mais aussi des associations employeurs. Un partage de risques sera assuré avec les banques - cette garantie leur sera facturée.
Ce texte prévoit également le financement de dispositifs d'urgence. Ainsi, l'État prend en charge 100 % du chômage partiel. C'est un changement de philosophie par rapport à ce qui avait été fait en 2008 lors de la crise qui était financière plus qu'économique. Nous nous inspirons de la méthode allemande de 2008. Cela représente 8 milliards d'euros par mois en tout pour l'État et l'Unedic, pour des revenus pris en compte jusqu'à 4,5 Smic. Beaucoup d'entreprises ont déjà commencé à recourir au chômage partiel : la mesure est rétroactive, elles obtiendront un remboursement.
Les personnes au Smic toucheront 100 % de leur salaire. L'État est celui qui emprunte le moins cher, les marchés lui font confiance.
Les petits entrepreneurs, les artisans et les commerçants pourront bénéficier, pour leurs pertes de chiffre d'affaires, du fonds de solidarité de 1 milliard d'euros par mois, dont 250 millions d'euros venus des régions, que nous remercions. Ainsi, chacun pourra percevoir jusqu'à 1 500 euros par mois versés automatiquement par la DGFiP, et nous sommes en train de mettre en place le second étage avec les régions. Un soutien contre les faillites sera apporté aux entreprises réalisant moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement pour instaurer un comité de suivi qui comprendra des parlementaires, des représentants des régions et des entreprises. L'évaluation de la garantie d'État et du fonds de solidarité se fera en toute transparence.
Une ligne budgétaire a été créée pour la santé : achat de matériel, indemnités journalières et paiement des heures supplémentaires, ce qui est une reconnaissance indispensable de l'action de tous les professionnels de santé. Je les salue, ainsi que tous les agents de l'État qui travaillent pour faire face à la crise que nous traversons.
La Banque centrale européenne (BCE) a décidé un soutien budgétaire à hauteur de 1 % du PIB, puisque notre prévision est de 1 % de croissance négative, conforme à celle de la Commission européenne. Mais cela pourrait n'être qu'une première marche.
Entre la loi de finances initiale pour 2020 et le présent PLFR, il y a 15 milliards d'euros de différence, soit 10 milliards d'euros de pertes d'impôts et 5 milliards de dépenses supplémentaires. Le déficit public atteindra 3,9 % du PIB et non 3,2 % comme initialement prévu.
Nous ne savons pas combien de temps durera la crise ; nous faisons tout ce qu'il faut pour reporter les charges sociales et fiscales. Certes, les prêteurs continuent à nous faire confiance sur les marchés, mais nous devrons tout de même assurer des rentrées de financements.
Grâce au prélèvement à la source, l'impôt sur le revenu peut être ajusté en temps réel : un salarié en chômage partiel ou un indépendant peut ainsi modifier son taux.
La TVA n'est pas prélevée quand il n'y a plus d'achats, puisque c'est le client final qui la paie. En revanche, si une entreprise récupère la TVA parce qu'elle vend des produits, cette TVA doit bien être versée à l'État afin de lui permettre de financer ses mesures et de se tourner vers les marchés financiers. (Applaudissements sur les travées du groupe LaRem ; M. Claude Malhuret applaudit également.)
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances . - La situation que traversent la France et le monde est inédite. À situation inédite, plan inédit car des activités économiques sont arrêtées brutalement ou se poursuivent dans des conditions dégradées, et la crise est également financière.
Elle laissera une blessure profonde. La croissance devrait être négative de 1 % alors que la loi de finances initiale pour 2020 prévoyait 1,3 %. La croissance est donc affectée de 230 points de base.
Nous cherchons, par un plan inédit, puissant, exceptionnel, à maintenir le lien entre les salariés et leur entreprise, pour un redémarrage rapide, comme en Allemagne en 2008. Nous assurons la trésorerie des entreprises - quelle que soit leur taille, l'État se portera garant de tous leurs prêts, à hauteur de 300 milliards d'euros, du 16 mars jusqu'au 31 décembre, jusqu'à 90 % de leur montant, afin de financer jusqu'à 25 % du chiffre d'affaires annuel.
Un fonds de soutien aux TPE, PME, indépendants - et aux micro-entrepreneurs sous certaines conditions - sera aussi mis en place. Nombre d'entre eux sont à l'arrêt du fait des mesures prises pour protéger la santé des Français. Nous n'avons pas le droit de les abandonner.
Les entreprises dont le chiffre d'affaires est touché à 70 % par rapport à mars 2019 seront éligibles, tout comme les professions libérales les plus modestes, ou les secteurs de l'évènementiel et du tourisme, qui se sont brutalement arrêtés.
Un soutien d'urgence de 1 500 euros par mois sera débloqué par l'administration fiscale et il sera possible de demander un soutien complémentaire, au cas par cas, avec une instruction allégée.
Par ailleurs, pour les petites entreprises, le paiement des factures de gaz, d'électricité et les loyers pourra être suspendu. Face à l'absence de chiffre d'affaires, il faut limiter les charges. Je remercie les bailleurs des centres commerciaux qui ont reporté les loyers de 38 000 commerces en mars. Les propriétaires privés n'en ont pas toujours la capacité, les difficultés financières peuvent les toucher également ; mais ceux qui le peuvent doivent faire preuve de solidarité, afin que la solidarité nationale joue à plein régime.
Le déficit public, en 2020, atteindra 3,9 %, au lieu de 3,2 % du PIB. La dette dépassera les 100 % du PIB. Je remercie la Commission européenne d'avoir levé les contraintes du Pacte de stabilité et de croissance pour l'année 2020. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM ; M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances . - Alors que la France est confrontée à une crise majeure, nos premières pensées vont aux malades et aux soignants comme à tous les agents des services publics et salariés qui assurent les fonctions vitales du pays. Je remercie les sénateurs présents... et salue les autres, car ils auraient bien voulu être présents.
Ce PLFR a été déposé il y a deux jours. Ce ne sera sans doute pas le dernier dans cette crise.
Le Gouvernement tablait sur une croissance de 1,3 % en 2020. Cette hypothèse, déjà compromise par le recul observé en fin d'année 2019, est caduque. Le coronavirus provoque un choc d'offre d'ampleur inédite, mais aussi de demande, avec des reports de consommation et d'investissements. À ce stade, il est difficile d'en apprécier les effets sur la croissance.
En prévoyant un recul de 1 % de la croissance en 2020, le Gouvernement a fait une estimation en fourchette haute, à mon avis. Il a reporté l'effort de réduction du déficit structurel en fin de quinquennat, rendant l'économie française plus vulnérable aux chocs. Ce que je craignais hélas se réalise. La France est le seul pays de la zone euro, avec l'Italie, dont la part de la dette dans la richesse nationale s'est accrue entre 2014 et 2019. Nous avions le même endettement que l'Allemagne en 2008 ; l'écart est désormais de 40 points. Les pays endettés ont, dans ces circonstances, davantage de marges de manoeuvre.
La faiblesse de la croissance se traduira par une perte de recettes et une hausse des dépenses sociales. Le poids sera de 1,4 point de PIB.
Les mesures de soutien aux entreprises, à ce stade, consistent surtout en reports de charges et garanties bancaires hors bilan. Hors financement du chômage partiel, il y a encore peu de décaissements. L'impact se limite ainsi de 11,5 milliards d'euros sur le Budget 2020, mais nous serons sans doute contraints à revoir la prévision. Le déficit public passera, à ce stade, de 2,2 à 3,8 % du PIB.
Faute de communication du Gouvernement sur ce point, j'ai dû évaluer moi-même l'endettement de la France, qui atteint selon mes calculs 102,5 % du PIB, mais des changements sont à prévoir, le calibrage des mesures de soutien défensives devrait être revu à la hausse.
Je ne remets pas en cause les mesures proposées. Elles dégraderaient le déficit de l'État de 14 milliards d'euros. Personne ne peut prédire les conséquences de la crise sanitaire sur les impôts. En 2008, on était à plus de 50 milliards d'euros de contraction.
Les mesures du Gouvernement ont pour but de soutenir les entreprises. C'est un plan de sauvetage et non de relance. Il y a notamment un dispositif exceptionnel de soutien au chômage partiel comme l'Allemagne l'avait fait en 2008.
Un fonds spécifique sera créé pour les petites entreprises les plus touchées - hôtellerie, restauration, mais pas seulement, et il n'y a pas lieu de sectoriser. On peut s'interroger sur les seuils, 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires, 70 % de perte de chiffre d'affaires sur une période de référence discutable. Les demandes vont sûrement affluer. Il faudra en discuter.
Les garanties bancaires aux entreprises, pour l'État, s'établiront à 300 milliards d'euros. Les conséquences de ce dispositif sur les finances publiques sont incertaines.
Après la sauvegarde de l'économie, il faudra un plan de redémarrage comme celui mis en oeuvre en 2009. Un mécanisme de suivi de ces dispositifs s'impose : je proposerai un amendement en ce sens. Plutôt que des réunions, organisons plutôt, dans les circonstances actuelles, une information régulière du Parlement par des tableaux mensuels.
De nombreux salariés travaillent dur, dans la distribution et dans l'industrie, alors que nombre d'autres compatriotes vont bénéficier d'une indemnisation chômage généreuse. Il faut les encourager. Le Gouvernement évoque une prime de 1 000 euros, mais les conditions en sont strictes, notamment l'existence d'un accord d'intéressement. Je propose plutôt une défiscalisation totale des heures supplémentaires.
Sous ces réserves, je proposerai au Sénat d'adopter, dans l'urgence, ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; MM. Vincent Capo-Canellas, Michel Laugier et Hervé Marseille applaudissent également.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances . - Les circonstances qui nous réunissent sont dramatiques. La crise du Covid-19 fait des milliers de malades et de morts.
De nouveaux moyens financiers devraient être débloqués pour notre système de santé et nos hôpitaux, déjà fragiles avant la crise. Des mesures de protection ont dû être prises pour freiner la propagation du virus, mais elles auront des conséquences économiques considérables. Pour soutenir le système de santé et les entreprises, il a fallu agir, au prix d'une dégradation de la croissance. Les prévisions du Gouvernement, de 1,3 % en 2020, sont passées à - 1 %, soit une dégradation de 2,3 points qui s'aggravera si l'atonie se prolonge, ou si la crise économique se double d'une crise financière.
Le Haut Conseil des finances publiques insiste sur le très haut niveau d'incertitude. Le Gouvernement fonde ses hypothèses sur un confinement d'un mois, et sur la reprise de la demande étrangère, mais rien n'est acquis.
On peut se féliciter de l'aide de 750 milliards d'euros annoncée par la BCE, mais les pays européens n'en demeurent pas moins fragiles, notamment les plus endettés. En France, le déficit public devrait atteindre 3,9 % du PIB en raison de la perte de recettes et de dépenses. Les mesures prises pourraient, en outre, se montrer insuffisantes, tant certains secteurs souffrent. Le fonds de solidarité pour les très petites entreprises et les indépendants est bienvenu, mais semble sous-dimensionné. Que l'on n'oublie pas d'inscrire, parmi les bénéficiaires, l'économie sociale et solidaire, les associations loi 1901, ou encore les propriétaires privés ouvrant leurs lieux au public.
La situation devrait conduire à réviser les allègements de fiscalité dont bénéficiaient les plus hauts revenus. Si les flux de revenus sont affectés, les stocks sont plus solides, même si les marchés financiers sont en baisse. Chacun doit participer à l'effort surtout si l'on songe aux allègements accordés auparavant.
Au-delà de la France, les pays européens devront adopter des mesures fortes : tous nous devrons nous montrer solidaires les uns des autres. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. Dany Wattebled . - Depuis plusieurs semaines, la crise sanitaire s'est doublée d'une crise économique et financière. Les hypothèses de la loi de finances initiale n'ont plus lieu d'être. On a figé les déplacements pour ralentir la progression du virus. Résultat, l'économie elle aussi tourne au ralenti.
Nous imaginions une croissance de 1,3 % : toutes nos prévisions sont à revoir et la récession est devenue certaine. Le déficit public atteindra 3,9 %du PIB.
Mais face à l'urgence, le doute n'est pas permis. L'État doit agir, quoi qu'il en coûte, et agir rapidement. Notre groupe votera ce texte.
Après la crise, notre regard en matière de stratégie économique aura changé. Une réflexion sera nécessaire sur la relocalisation de productions stratégiques ; nous aurons pris conscience de notre dépendance à l'international ; nous aurons mesuré la valeur de la solidarité européenne - car c'est ensemble que nous surmonterons cette épreuve.
M. Vincent Capo-Canellas . - Alors que nous vivons une crise sanitaire grave, nos pensées vont d'abord à ceux qui luttent contre la maladie. Au nom du groupe UC, je leur adresse mes remerciements chaleureux ainsi qu'aux forces de l'ordre, aux agents des services publics et aux salariés des secteurs d'approvisionnements.
Ce PLFR ne sera pas le dernier. Les mesures proposées face à l'urgence de la situation sont justifiées. L'État doit déployer sans hésiter l'artillerie lourde. Aucune entreprise, aucun particulier, ne doit être laissé au bord du chemin. L'État, lui-même, ne peut se permettre d'être fragilisé.
Le report des charges fiscales et sociales, le dispositif de chômage partiel, le fonds de soutien aux TPE et indépendants et les garanties bancaires accordées aux entreprises détériorent lourdement mais inévitablement les perspectives financières de l'État.
Le séisme est d'une magnitude bien plus élevée que lors de la crise des gilets jaunes. Dès lors, les prévisions de l'État nous semblent quelque peu optimistes lorsqu'il évoque dans l'exposé des motifs un impact de 6 milliards d'euros. D'autres dépenses, après les mesures immédiates, suivront. Le ratio de notre déficit public sur le PIB pourrait dépasser durablement 4 % voire 5 %.
Un plan de relance devra suivre ce plan de sauvetage. À cet égard, il est heureux que la Commission européenne ait levé la contrainte des 3 %.
À l'avenir, il faudra tirer les leçons de cette crise en finançant davantage le régalien, au premier rang duquel la santé, revoir nos interdépendances et, parce qu'en cas de crise subite nous n'avons pas de marge de manoeuvre, réformer le fonctionnement de l'appareil d'État. Il ne faut pas dépenser toujours plus, mais mieux.
Le groupe UC se félicite de la radicalité de ces mesures et il votera ce texte. Il souhaite que nous puissions trouver une solution sur la prime aux salariés et sur le suivi parlementaire de la mise en oeuvre de ces dispositifs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains ; Mme Agnès Constant applaudit également.)
M. Jean-Marc Gabouty . - Un petit virus s'est transformé en pandémie, mettant à genoux l'économie mondiale : cela témoigne de la faiblesse de nos organisations.
Je salue la réactivité du Gouvernement - chômage partiel financé par l'État, report de charges pour l'économie - face à cette crise.
Le déficit public va évidemment s'accroître en 2020. Les chiffres dont nous disposons, l'hypothèse du rebond au second semestre, me semblent même assez optimistes. Peu importe : il s'agit de soutenir nos entreprises. C'est que la crise économique risque de se propager à la même vitesse que le coronavirus !
L'efficacité des mesures proposées, qui vont dans la bonne direction, dépendra des conditions de leur mise en oeuvre, secteur par secteur.
Le report de charges ne suffira pas : il faut une suspension pendant la durée du confinement, puis un amortissement dans la durée, comme le fait pour les entreprises en difficulté la Commission des chefs de services financiers (CCSF) - qu'il faudra songer à renforcer.
Le dispositif exceptionnel de garanties bancaires à hauteur de 300 milliards d'euros est un outil efficace à condition qu'il soit contrôlé par un opérateur public comme la BPI. Je lui fais plus confiance qu'aux établissements bancaires, qui doivent se contenter d'un rôle de guichet et de trésorerie - ne leur laissons pas trop la main ! La BPI doit aussi pouvoir intervenir en capital. Il convient que ces prêts revêtent un caractère structurant. Une durée de trois à cinq ans me paraît adaptée. Ce fut le cas dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix pour les prêts participatifs servant à financer des fonds de roulement.
Un simple report de quelques mois des échéances de prêts ne suffit pas, même si c'est un bol d'air. Il faut plutôt une période blanche du remboursement du capital et un allongement de la durée de prêt.
Enfin, il faut veiller à faire respecter les bonnes conditions de la concurrence entre les commerces de proximité, contraints de fermer, et les grandes surfaces et les plateformes qui peuvent encore vendre de l'habillement, des livres ou des jeux. On risque sinon une disparition rapide de nombreux commerces individuels et une aggravation de la désertification de nos centres-villes. Monsieur le ministre, agissez vite.
Je souhaite un vote conforme de ce texte. Ce serait le meilleur encouragement à nos entreprises et leurs salariés.
M. Julien Bargeton . - Je souhaite redire notre total soutien aux malades et aux soignants, aux agents de police et aux pompiers, aux agents des ministères ou du Sénat.
Comme rapporteur spécial, j'ai une pensée particulière pour les professionnels de la culture qui subissent de plein fouet les conséquences de la crise.
Ce PLFR est un bouclier fiscal et budgétaire face au choc économique qui s'annonce, en lien avec les décisions de la BCE. Il ne s'agit plus de ferrailler sur des ratios, les crédits, mais de protéger nos compatriotes et de sauver nos entreprises.
Ce budget rectificatif est une première réponse, massive, à la crise : plan de soutien aux entreprises, fonds de solidarité, prêts bancaires garantis, financement du chômage partiel le plus élevé de l'Union européenne, jusqu'à 4,5 smic. En toute logique, cela va affecter le niveau du déficit et de la dette.
Le Président de la République l'a rappelé, il faut agir coûte que coûte. Les circonstances exceptionnelles justifient que l'on rompe avec la trajectoire budgétaire habituelle ; le Haut Conseil des finances publiques le reconnaît. Il ne faut pas agiter le boulier quand la Nation a besoin d'un bouclier. (On apprécie sur de nombreuses travées.)
Il faut regarder ces dépenses comme des investissements pour la mutation de notre économie. À l'issue de la crise, il nous faudra profondément revoir nos modalités d'action, de soins, de solidarité, de recherche, notre autonomie alimentaire, notre souveraineté industrielle, refonder les politiques publiques. Un seul exemple : la transition numérique avec le télétravail, la télémédecine, les cours en ligne, l'usage de la visioconférence, y compris au sein de cet hémicycle. Il faut développer le scrutin électronique dans le pays. Soutenir nos entreprises de toutes tailles est indispensable.
Rien ne sera plus comme avant après cette guerre. Nous devons en sortir transformés. Les règles budgétaires seront à revoir, en distinguant davantage dépenses de fonctionnement et d'investissement. Les vieilles habitudes n'ont plus cours, il faut investir pour préparer les futures crises, adapter les règles du jeu, redonner espoir à nos enfants, refaire Nation.
Je conclurai en paraphrasant Guillaume Apollinaire, emporté par la grippe espagnole : il est grand temps de rallumer les étoiles. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM)
M. Pascal Savoldelli . - Notre point de départ, c'est l'état d'urgence sanitaire. Ce premier plan - il y en aura d'autres - porte sur les conséquences économiques et financières de la crise. Le premier objectif est de sécuriser les populations.
Il y a évidemment des chocs de l'offre mais, si l'Union européenne est tant pointée du doigt, rappelons la crise de 2008. À l'époque, on a perdu 55 milliards d'euros de recettes, avec des plans d'austérité à la clé. Comment, après cela, s'étonner de l'état de la société ? Ensuite, il y a eu le surendettement du secteur privé. Il faut dire la vérité aux Français : nous avons un passé et un passif.
Des filières de production ont été abandonnées et des produits de première nécessité manquent aujourd'hui aux Français.
Le confinement, indispensable, pose un problème de consommation et, partant, un choc de la demande. Il y a aussi un problème de sécurisation. Les plus faibles sont les plus touchés par la crise économique et sanitaire, et ont le plus besoin de protection.
Les conséquences sur le pouvoir d'achat sont inéluctables, avec la récession qui s'annonce. Il faut limiter les dégâts. Bravo pour les 300 milliards d'euros de garantie de l'État, c'est ce qu'il fallait faire. Le Parlement sera à vos côtés afin que les banques répondent et soutiennent les TPE : cela fait partie du rôle des élus.
Nous sommes aussi d'accord sur la compensation du chômage partiel, mais il faut aller plus loin.
Pourriez-vous vivre avec un Smic ? Indemnisons au-delà de ce seuil les salariés concernés qui ne toucheront plus aucune prime.
Parlons aussi des nationalisations, débattons, au Parlement, des entreprises à nationaliser !
Nous prendrons notre décision en fonction du sort fait à nos amendements, une vingtaine seulement.
Nous voulons aussi un PLFSS rectificatif. Le secteur assurantiel privé doit être contraint d'intervenir au titre du risque « catastrophe ». L'État se bat mais le privé doit être à ses côtés. On doit s'interroger sur le mécanisme de stabilité européen. Quel est le rôle de la BCE ? Depuis 2005, elle a injecté 2 000 milliards d'euros dans l'Europe. Comparons-les aux 750 milliards d'euros actuels.
Enfin, il va falloir accélérer sur la refonte des modes de production.
Notre groupe est au plus près des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE ; Mme Sophie Taillé-Polian applaudit également.)
M. Antoine Lefèvre . - (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains) Face à cette crise sans précédent, nous devons adopter ce collectif budgétaire. Le groupe Les Républicains votera bien évidemment ce texte. Nous regrettons que le Gouvernement n'ait pas fait les efforts nécessaires pour dégager des marges supplémentaires ces trois dernières années, contrairement à d'autres pays. Mais globalement, les réponses qu'il apporte aujourd'hui sont à la hauteur. Il faut répondre vite et fort. Confirmez-vous que ce plan d'urgence sera suivi avant l'été d'un plan de relance ?
Les prévisions du Gouvernement, 3,9 % de déficit public au lieu des 2,2 % prévus en loi de finances initiale, paraissent optimistes. Elles reposent sur une hypothèse de sortie de crise dans un avenir proche et ne tiennent pas compte des nécessaires mesures de relance. Le double choc d'offre et de demande constitue un effet ciseau redoutable, dont l'impact sur le PIB est estimé à moins 2,3 points. En 2008, le PIB avait chuté de 2,6 points.
Ce ralentissement de l'économie entraînera une baisse des recettes fiscales de 10,7 milliards d'euros par rapport aux prévisions, dont 2,2 milliards d'euros de TVA. Notre groupe avait alerté le Gouvernement sur le risque de faire reposer l'essentiel des recettes des départements sur la TVA, très sensible à la conjoncture... Hélas nous y voilà.
Le plan ne tient pas compte de la relance et, déjà, la dette va dépasser les 100 % du PIB. Les mesures d'urgence représentent 45 milliards d'euros, dont 35 milliards d'euros sont des avancées de trésorerie. Demeurent donc 10 milliards d'euros de dépenses non remboursables, dont 5,5 milliards pour financer le chômage partiel, 2 milliards pour le fonds de solidarité envers les TPE et les indépendants, et 2 milliards pour les dépenses de santé.
Je regrette le refus de l'Assemblée nationale de défiscaliser les heures supplémentaires, notamment pour les soignants, les forces de l'ordre et les magasiniers. Notre rapporteur général proposera d'y revenir. Les efforts de tous les matelots qui tentent de maintenir à flot le paquebot France doivent être remerciés et encouragés.
Aux mesures d'urgence s'ajouteront les dépenses du plan de relance, d'autant que des reports de charges pourraient se transformer en annulations, a dit Bruno Le Maire.
La baisse des recettes fiscales risque d'être aggravée si l'élasticité est supérieure à un, comme c'est souvent le cas en temps de crise. Les hypothèses du Gouvernement se basent sur un mois de confinement et une reprise rapide de la demande ; le HCFP les juge fragiles...
La France vient de lever 5 milliards d'euros d'obligations de moyen et long terme, nous battons des records.
La garantie des prêts de 300 milliards d'euros gérée par BPI France doit rassurer les banques. La banque prêteuse ne portera que 10 % des risques en cas de difficulté de l'entreprise. Les prêts consentis devront toutefois répondre à des conditions pour limiter le risque financier pour l'État. Il ne s'agit pas d'actionner la garantie pour des entreprises qui étaient déjà en procédure !
Il faudra ajouter à cela la dépense sociale des départements et les aides économiques versées par les régions. Ce panel de mesures propose une première réponse à la crise. Le groupe Les Républicains le votera sans hésitation, car il y va de la sauvegarde de notre économie. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Thierry Carcenac . - (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR) Cette discussion est des plus importantes. Le groupe socialiste et républicain votera ce PLFR dans un esprit de responsabilité. Madame la ministre, en contrepartie de cette union nationale, je vous demande un nouveau PLFR et une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Par expérience, nous ne pensons pas que la crise prendra fin dans un mois.
Le Haut Conseil des finances publiques est très explicite. L'impact de la crise sur l'économie et les finances publiques sera inédit.
Je salue les efforts de chacun : le moment venu, il ne faudra pas les oublier.
Ce plan s'appuie sur 45 milliards d'euros injectés dans l'économie. L'aide aux plus petites entreprises est intéressante mais l'abandon du paiement des charges serait plus approprié.
Nous ne trouvons pas trace dans ce texte des annonces sur les hôpitaux, c'est dommage. Pareillement, le ministre de la Culture a annoncé des aides, comment seront-elles financées ? Attention aux effets d'annonce non suivis d'effets.
Le texte crée une mission budgétaire ad hoc sur ce plan. Pourquoi pas ? Cela permet d'unifier les canaux de décision, de toute façon aux mains de Matignon et de l'Élysée, ce qui est normal.
La politique du chômage partiel et celle des aides aux entreprises auraient pu être incluses dans des missions budgétaires existantes, respectivement Travail et emploi et Économie.
Surprenant : rien ne bouge sur la mission Santé. Rien non plus sur la mission Engagements financiers de l'État. Même si la signature de la France sur les marchés est certaine, comme l'ont montré les émissions de jeudi, notre pays a besoin de 246 milliards d'euros, et les taux sont plutôt à la hausse... Il faudra ajouter le paiement d'intérêts aux 45 milliards d'euros annoncés.
Le renoncement de la privatisation d'ADP est une très bonne chose. Mais sa valeur a-t-elle été sous-estimée, ou ce PLFR est-il sous-budgété ? Je crois plutôt à la deuxième hypothèse.
Le Parlement doit être associé à ce plan : les propositions du rapporteur général sur des tableaux de suivi sont intéressantes. Les décisions de la BCE s'agissant de la contrainte de 3 % sont bienvenues.
L'impôt sur le revenu a été créé par la loi Caillaux de 1914. Il a fallu être en guerre pour que le Parlement se mette d'accord, après sept ans de débat. Le Président de la République l'a dit : nous sommes en guerre.
Après les baisses d'impôts liées à la suppression de l'ISF et la mise en place du prélèvement unique (PFU), je demande la réinjection des sommes ainsi économisées dans l'économie au nom de la solidarité nationale.
M. Franck Menonville . - La France connaît sa plus grave crise sanitaire depuis un siècle. La contrer est notre priorité absolue. Mais au-delà de cette menace dont l'ombre grandit de jour en jour, la situation économique s'annonce tout aussi sombre : annulations de commandes en cascade, difficultés d'approvisionnement et de financement, manque d'effectifs dans certains secteurs... Nous devons proposer des mesures d'aide réactives et rapides.
Le Gouvernement propose le renforcement du dispositif du chômage partiel, mais aussi un fonds de soutien aux entreprises, une garantie des prêts bancaires et des mesures fiscales.
Nous prenons conscience du filet de sécurité que l'État peut apporter dans une telle tourmente, imprévisible. La garantie de BPI France témoigne de la solidarité de la Nation, qui accompagne ses forces vives dans la crise.
Nous devons prendre conscience de notre trop grande dépendance aux autres économies dans des secteurs stratégiques, tels que la production de médicaments. Il faudra en tirer les conséquences, le moment venu, pour obtenir davantage de souveraineté industrielle et agricole.
Toutes ces mesures auront un coût considérable pour les finances publiques, puisqu'elles augmentent les dépenses, alors que les recettes diminuent. Le déficit se creusera pour dépasser les 4 % du PIB.
Le groupe Les Indépendants votera ce collectif, bien évidemment, pour répondre à l'urgence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants)
M. Philippe Dominati . - S'il n'est pas question de remettre en cause les mesures proposées, que nous allons voter dans l'urgence, nous devons exercer notre faculté de jugement et notre devoir de sincérité. Les Français attendent de leurs élus une constance dans leurs convictions.
Depuis 2012, nous n'avons cessé de demander au Gouvernement d'aller plus loin, plus vite et plus fort dans le redressement des comptes publics, sans quoi le Gouvernement n'aurait pas de marge de manoeuvre budgétaire en cas de retournement conjoncturel. Nous avons fait des propositions dans les limites de la LOLF et de la Constitution. Nous n'avons jamais été entendus...
La France aurait des finances publiques saines, selon le ministre ; nous ne faisons pas le même constat... La France est l'un des plus mauvais élèves de l'Europe et la championne de l'OCDE des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques.
Certes, l'imposition des ménages et des entreprises a diminué un peu, mais au prix d'une augmentation de la dette et non des économies. Celles envisagées dans la réforme des retraites ont été abandonnées alors que les précédentes réformes Balladur, Raffarin, puis Fillon nous permettent d'économiser 40 milliards d'euros par an ! Où en serions-nous si ces gouvernements de droite ne les avaient pas faites ?
La suppression de 50 000 postes de fonctionnaires par an, promise par Emmanuel Macron, a également été oubliée, ou repoussée à la fin du quinquennat. Il n'y a eu finalement que 47 suppressions en 2020 sur quelque 1,6 million de postes dans la fonction publique.
Nous n'avons cessé de dire qu'Emmanuel Macron faisait la même erreur que François Hollande, en repoussant sans cesse les efforts d'économies à plus tard, en fin de quinquennat... Le Gouvernement avait pourtant une fenêtre de tir idéal au début du quinquennat...
M. Pierre Laurent. - Sur l'hôpital, par exemple ?
M. Philippe Dominati. - La dette, au contraire, n'a cessé d'augmenter, plaçant la France au 23e rang européen. S'agissant du chômage, elle se trouve au 24e rang. Seules, l'Espagne, l'Italie et la Grèce font pire...
Nous n'avons eu de cesse de dénoncer l'écart entre les promesses et la réalité. La moitié des pays européens sont en excédent budgétaire. La France en est loin. Notre déficit budgétaire avoisine les 100 milliards d'euros tandis que l'Allemagne dégage un excédent budgétaire de 13 milliards d'euros ! Est-ce ce que vous appelez des finances publiques saines ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Non !
M. Philippe Dominati. - La France a peu de marges de manoeuvre face à cette crise ; nous vous avions alerté.
La crise pourrait être plus sévère que prévu à cause de la perte de pouvoir d'achat. Ce quinquennat s'achèvera dans la douleur. Nous en sommes peinés car les Français en seront les premières victimes.
Comme lors de la crise des gilets jaunes, notre seul tort, au Sénat, est d'avoir eu raison trop tôt.
Le Premier ministre nous a dit hier, ici-même, non sans émotion et gravité, que l'économie allait connaître un arrêt brutal.
La politique économique du Gouvernement n'a pas changé depuis 2012 par manque d'effort et par des promesses non tenues. Ces deux quinquennats se ressemblent, mais comment pourrait-il en être autrement ? (« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
La discussion générale est close.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. - Je demande une suspension de séance pour examiner en commission les 29 amendements déposés sur ce texte...
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général. - Jusqu'à 17 h 10...
M. le président. - Soit.
La séance est suspendue à 16 h 15.
La séance reprend à 17 h 20.