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Table des matières
Modification de l'ordre du jour
Droit au respect de la dignité en détention (Procédure accélérée)
M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice
ARTICLES ADDITIONNELS après l'article unique
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
Ordre du jour du mardi 9 mars 2021
SÉANCE
du lundi 8 mars 2021
67e séance de la session ordinaire 2020-2021
présidence de M. Pierre Laurent, vice-président
Secrétaires : Mme Esther Benbassa, M. Daniel Gremillet.
La séance est ouverte à 16 heures.
Le procès-verbal de la précédente séance est adopté.
Accord en CMP
M. le président. - J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
Modification de l'ordre du jour
M. le président. - Par lettre en date du jeudi 4 mars 2021, M. François Patriat, président du groupe RDPI, a demandé de réduire à quarante-cinq minutes la durée de la discussion générale sur la proposition de loi rénovant la gouvernance du service public d'eau potable et d'assainissement en Guadeloupe et sur la proposition de loi créant la fonction de directrice ou de directeur d'école, examinées au sein de l'espace réservé à son groupe du mercredi 10 mars 2021.
Il en est ainsi décidé.
Droit au respect de la dignité en détention (Procédure accélérée)
M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion, en procédure accélérée, de la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, présentée par M. François-Noël Buffet.
Discussion générale
M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi . - Cette proposition de loi, cosignée par des membres de la commission des lois appartenant à différents groupes, répond à une carence de notre droit. Trois juridictions - Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), Cour de cassation et Conseil constitutionnel - ont constaté qu'il n'assurait pas de manière effective un recours pour mettre fin aux conditions indignes de détention en prison.
En janvier 2020, la CEDH a condamné la France à indemniser trente-deux personnes pour traitements inhumains et dégradants en application de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a pour la première fois jugé que les requérants ne disposaient pas d'une voie de recours, en violation de l'article 13 de la Convention.
En juillet 2020, la Cour de cassation en a tiré les conséquences en estimant que le juge judiciaire avait l'obligation de garantir un recours préventif et effectif au regard de l'article 66 de la Constitution.
Cet arrêt de principe a ouvert aux détenus une nouvelle voie de recours sans que le législateur intervienne. À la suite d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) le 2 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a demandé qu'il soit mis fin à cette situation et a abrogé le second alinéa de l'article 144-1 du code de procédure pénale à partir du 1er mars 2020.
Le Sénat a interrogé le Gouvernement à plusieurs reprises. Jean-Pierre Sueur en particulier s'est beaucoup investi sur ce point. Lors de l'examen du projet de loi sur le Parquet européen, le Gouvernement a tenté d'introduire une disposition par amendement mais les règles de recevabilité de l'article 45 de la Constitution l'en ont empêché. Il n'y a pas eu d'autre vecteur législatif depuis.
En ma qualité de président de la commission des lois, j'ai pris l'initiative de ce texte, sur lequel le Gouvernement a accepté d'engager la procédure accélérée. Mais rendons à César ce qui est à César : ce texte est issu des réflexions de la Chancellerie. Il répond aux demandes de la CEDH et du Conseil constitutionnel.
Aux termes de l'article premier, toute personne détenue pourra avoir le choix de saisir le juge administratif en référé ou le juge judiciaire. Les critères de recevabilité prévoient que les allégations figurant dans la requête devront être circonstanciées, personnelles et actuelles.
Le juge aura un délai de trois à dix jours ouvrables pour répondre à cette demande et fera connaître à l'administration pénitentiaire les conditions qu'il considère comme indignes, en lui demandant d'agir entre dix jours et un mois, par exemple pour le transfèrement du prévenu.
Si l'administration pénitentiaire n'a pas résolu le problème dans le délai imparti, le juge judiciaire pourra ordonner le transfèrement, la remise en liberté ou un aménagement de peine. Toutefois il pourra refuser de prendre une telle décision si, au préalable, le détenu a refusé un transfèrement, sauf s'il est condamné et que cela porterait une atteinte excessive à sa vie privée et familiale. Le détenu pourra faire appel. L'appel du ministère public sera suspensif s'il est déposé dans les 24 heures. L'affaire devra alors être examinée dans un délai maximum de quinze jours.
Un décret en Conseil d'État précisera les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention (JLD) et du juge d'application des peines (JAP), ainsi que les modalités de l'organisation des vérifications qui pourront être réalisées et l'articulation entre le juge judiciaire et le juge administratif.
Il ne faut pas laisser perdurer une carence administrative trop longue, car le délai du 1er mars est passé. Le rapporteur Christophe-André Frassa a procédé à des auditions et des consultations écrites, et la commission a pu améliorer l'effectivité de cette voie de recours.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi marquera une étape importante pour la garantie des droits fondamentaux. Elle ouvre aux détenus une nouvelle voie de recours pour faire constater le caractère indigne de leurs conditions de détention.
Cela mettra notre législation en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre 2020. Le Sénat est attentif depuis longtemps à la condition carcérale. Je pourrais remonter jusqu'à Victor Hugo qui a, tout au long de sa carrière, dénoncé l'inhumanité des prisons du XIXe siècle. Je vous renvoie à l'excellent ouvrage de notre collègue Jean-Pierre Sueur, Victor Hugo au Sénat.
En 2000, Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel ont publié un rapport intitulé Prisons : une humiliation pour la République, aidant à la prise de conscience.
Depuis 2011, des progrès ont été réalisés. Le programme « 15 000 » doit créer 7 000 places d'ici 2022, 8 000 d'ici 2027.
Pourtant, des problèmes demeurent, notamment dans les maisons d'arrêt. Certes, le taux d'occupation des établissements pénitentiaires est de 105 % contre 115 % début 2020 et le nombre de matelas au sol, de 740, a baissé de 60 % en un an. Mais attention ! Ces chiffres s'expliquent par la crise sanitaire, avec la libération anticipée de nombreux détenus et le ralentissement du travail des juridictions. Depuis quelques mois, l'augmentation du nombre de détenus accompagne la reprise des activités judiciaires.
La situation est particulièrement préoccupante outre-mer. En 2019, une délégation de la commission des lois a constaté les problèmes de surpopulation dans l'établissement pénitentiaire de Guyane.
L'emprisonnement prive les détenus de leur liberté mais il ne doit pas les dépouiller de leur dignité. C'est une question de droit fondamental et de lutte contre la récidive.
Cette proposition de loi ouvre une nouvelle voie de recours : le juge des libertés et de la détention, pour le prévenu, ou le juge d'application des peines, pour le condamné, recueille les observations de l'administration pénitentiaire, fait procéder aux vérifications et, enfin, fait connaître à cette administration les actions à mener. À elle de déterminer les moyens à mettre en oeuvre. Le juge judiciaire ne peut lui donner d'injonction.
En cas de manquement, le juge judiciaire peut ordonner un transfèrement, une remise en liberté ou un aménagement de peine, sauf si le détenu a déjà refusé un transfèrement - exception faite, pour un condamné, d'un transfèrement portant une atteinte excessive à sa vie privée et familiale. Le détenu pourra contester la décision du juge déclarant sa requête irrecevable.
La proposition de loi ne consacre pas un droit absolu à une remise en liberté mais concilie droit à des conditions dignes de détention et droit à la sûreté et l'ordre public.
La commission des lois a précisé les conditions d'appel. Cet appel est examiné par le président de la chambre de l'instruction ou de l'application des peines. Le juge d'instruction doit être informé et consulté par le juge des libertés et de la détention avant toute décision.
La proposition de loi du président Buffet est cosignée par des membres des groupes Les Républicains, de l'UC, du RDPI, du RDSE, des INDEP et du GEST, ce qui montre qu'elle bénéficie d'un large soutien.
Le groupe SER a regretté que nous n'ayons pas pris le temps d'élaborer un texte de consensus. Je comprends cette demande, qui aurait cependant ralenti nos travaux, alors que l'échéance du 1er mars est déjà passée.
Il existe un accord sur les grands principes mais des divergences sur les modalités pratiques. Ainsi, nos collègues socialistes souhaitaient un assouplissement des critères de recevabilité des requêtes, ce qui à nos yeux risquait de submerger les magistrats.
Ensuite, le transfèrement nous semble préférable à la remise en liberté qui doit rester le dernier recours. Or nos collègues veulent le rendre plus difficile en multipliant les conditions à satisfaire.
Je remercie le président Buffet d'avoir pris l'initiative de cette proposition de loi et le Gouvernement d'avoir accepté la procédure accélérée. J'invite chacun à adopter ce texte.
Puisse-t-il marquer une étape importante pour le redressement durable de notre service public pénitentiaire. Peut-être cette nouvelle voie de recours deviendra-t-elle un jour inutile... (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Une certitude a accompagné toute ma vie d'avocat et me conduit, garde des Sceaux, à agir : la privation de liberté ne peut pas être une privation de dignité ! Nier les droits fondamentaux d'une personne revient à contester son humanité même. Plus la prison déshumanise, plus elle encourage la récidive.
La peine doit avoir un sens. J'ai souhaité que l'on poursuive activement l'accompagnement des dispositions de la loi du 24 mars 2019 qui a refondé l'échelle des peines de courte durée, celles-ci étant de nature à favoriser la désocialisation. J'ai donc souhaité restreindre l'emprisonnement et accroître les alternatives à l'incarcération.
La crise sanitaire a fait baisser de façon inédite la population carcérale, mais depuis la reprise de l'activité judiciaire, il y a 5 000 détenus de plus depuis le premier déconfinement ; et 849 détenus sont contraints de dormir sur des matelas au sol.
Nous devons mettre un terme à cette situation et instaurer une politique cohérente et volontariste. Offrons de meilleures conditions de vie aux détenus... et de travail aux surveillants.
J'ai réuni les chefs de cours et de juridictions pour qu'ils adaptent rapidement leur politique pénale. Les aménagements de peine ont augmenté de 3 % à 11 % en moins d'un an. C'est un signe très positif dont nous ne pouvons que nous réjouir. Mais nous devons redoubler d'effort : la loi de programmation de la justice de 2019 porte une révolution juridique mais aussi culturelle. Elle implique que toute la chaîne pénale adapte ses pratiques.
Depuis l'entrée en vigueur du bloc peine qui interdit les peines de prison de moins d'un mois, 227 peines de facto illégales ont malgré tout été prononcées.
En amont, des alternatives à la détention doivent être développées dès le stade de l'opportunité des poursuites. La réponse pénale doit prendre en compte la délinquance du quotidien, de basse intensité, qui pourrit la vie de nos concitoyens et doit être traitée avec célérité et sévérité pour rompre le cercle vicieux.
La prison neutralise, mais elle désocialise aussi et elle est parfois criminogène. Pour la délinquance dite de basse intensité, il faut des réponses rapides et constructives. C'est le sens de la politique que je mène en faveur de la justice de proximité.
Il faut des conditions de détention plus dignes avec 15 000 places de plus, selon l'engagement du Président de la République ; 7 000 sont déjà engagées. Les 8 000 autres seront livrées d'ici 2027. J'annoncerai prochainement les sites retenus.
Nous devons tirer toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre 2020, qui fait suite à l'arrêt de la CEDH de janvier 2020 et à deux arrêts de la Cour de cassation du 8 juillet 2020.
Afin de mettre notre droit en conformité avec la Constitution, j'ai mobilisé mes services. Les dispositions ont été soumises au Conseil d'État le 1er décembre, qui les a validées. Je les ai également transmises aux commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale, qui ont fourni un travail considérable. J'avais voulu les intégrer au projet de loi sur le Parquet européen, mais cela a été rejeté au titre de l'article 45 de la Constitution.
Le Conseil constitutionnel a été une nouvelle fois saisi par une QPC, actuellement pendante, sur les détenus condamnés - nous devrons peut-être adapter notre réponse sur ce sujet.
Cette proposition de loi enrichit notre dispositif. Je remercie chaleureusement le président Buffet et le rapporteur Frassa, sans oublier Jean-Pierre Sueur.
Ce texte crée le principe d'un recours effectif dans un nouvel article 803-8 du code de procédure pénale et rappelle son existence au deuxième alinéa de l'article 144-1 de ce code ainsi qu'à l'article 707.
Le juge des libertés et de la détention statuera si la personne est en détention provisoire ; ce sera le juge d'application des peines si le détenu exécute une peine. Le juge saisi fera vérifier les allégations circonstanciées du détenu. S'il estime la requête justifiée, il fixera le délai dans lequel l'administration pénitentiaire pourra mettre fin aux conditions indignes. Si elles perdurent, il pourra ordonner un transfèrement, une libération ou un aménagement de peine selon les cas.
Ce nouveau dispositif répond aux exigences constitutionnelles tout en permettant au service public pénitentiaire de continuer à fonctionner.
La situation de nos prisons nous oblige collectivement à porter cette exigence d'humanité et d'efficacité, pour maintenir la justice au coeur de notre pacte républicain. (Applaudissements sur les travées du RDPI ; Mme Brigitte Lherbier applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Vous avez raison, monsieur le garde des Sceaux : la privation de liberté ne doit en aucun cas remettre en cause la dignité des êtres humains.
Le Conseil constitutionnel, dont les décisions s'imposent à tous, a exigé qu'une mesure soit prise. Depuis le 2 octobre dernier, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas déposé de projet de loi ? Votre amendement sur le sujet était sans rapport avec le texte sur lequel vous avez tenté de le greffer.
Le Sénat a pris le relais et j'en remercie M. Buffet. Mais nous n'aurions pas dû nous contenter d'un copier-coller du dispositif gouvernemental... (Mme Muriel Jourda proteste.) Je parle avec modération, madame Jourda. Nous aurions dû écrire notre propre texte, c'est le rôle du Parlement !
Je regrette profondément la façon dont les auditions se sont déroulées. Comment justifier que nous n'ayons pas entendu la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ? L'expertise de cette autorité est pourtant ancienne.
Mme Simonnot nous a envoyé une lettre (l'orateur brandit un document) dans laquelle elle considère ce texte comme insuffisant. Il aurait selon elle plutôt pour objectif de limiter les conséquences des jurisprudences en faisant obstacle au recours qu'elles créent, voire en restreignant les prérogatives du juge au profit de celles de l'administration.
En matière de délais, il n'est pas prévu de raccourcissement : nous le proposerons par voie d'amendement. Il faut aussi simplifier les modalités de saisine du juge.
Par ailleurs, la rédaction actuelle du texte est contraire à l'arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre dernier sur les conditions personnelles de détention.
En cas de transfèrement, l'examen des conditions familiales n'est pas suffisant, comme le signale Mme Simonnot dans sa lettre : prendre en compte les liens familiaux, c'est bien, mais quid des liens sociaux, de la préparation de la sortie, de l'activité rémunérée, de la continuité des soins et des droits de la défense ? Le transfèrement peut être dissuasif : un détenu peut hésiter à dénoncer ses conditions pour ne pas être trop éloigné...
Surtout, compte tenu de la surpopulation actuelle, le détenu une fois déplacé, une autre personne risque d'être placée dans les mêmes conditions... La loi doit l'interdire expressément. Il faut lutter contre la surpopulation carcérale.
À la suite de l'ordonnance du 25 mars 2020, plus de 13 000 détenus ont été libérés. Nous sommes redescendus en dessous des 100 % d'occupation. Cela a-t-il créé problème ? Au contraire !
On dénombre actuellement 60 783 places opérationnelles dans les 188 prisons de France avec un taux de surpeuplement de 105 % en moyenne et 122,7 % dans les maisons d'arrêt.
C'est un combat ancien. Il faut une loi sur la détention, comme le proposait notre ancien collègue Jean-René Lecerf qui plaidait pour l'encellulement individuel.
Dominique Raimbourg est lui aussi engagé dans ce combat...
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. - ... comme Christiane Taubira. Souvenons-nous aussi de Robert Badinter : « La première cause de la récidive, ce sont les conditions de détention ! » (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. Alain Marc . - Cette proposition de loi tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel faisant suite à l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme et à celui de la chambre civile de la Cour de Cassation.
Elle reprend le dispositif d'un amendement du Gouvernement déposé en décembre dernier, mais déclaré irrecevable sur le fondement de l'article 45 de la Constitution.
Pour respecter le délai fixé par le Conseil constitutionnel, notre collègue François-Noël Buffet a pris cette excellente initiative.
Ce texte insère dans le code de procédure pénale un article 803-8 qui prévoit les conditions de saisine du juge judiciaire par toute personne jugeant indignes ses conditions de détention ; il apporte une coordination avec l'article 144-1 du même code et complète l'article 707 aux termes duquel « toute personne condamnée incarcérée en exécution d'une peine privative de liberté bénéficie, chaque fois que cela est possible, d'un retour progressif à la liberté en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d'occupation de l'établissement pénitentiaire, dans le cadre d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d'une libération sous contrainte, afin d'éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire. » Il y ajoute la mention suivante : « Le droit de cette personne d'être incarcérée dans des conditions respectant sa dignité est garanti par les dispositions de l'article 803-8. »
La commission a approuvé ce dispositif équilibré en l'améliorant encore avec plusieurs précisions. Particulièrement attentif aux droits fondamentaux des personnes, notre groupe votera ce texte à l'unanimité, mais il ne suffira pas à résoudre le problème des conditions de détention par la construction de places de prison et la rénovation. Les 7 000 places jusqu'en 2022 et 8 000 supplémentaires à l'horizon 2027 relèvent d'un manque d'ambition que j'ai déjà relevé en tant que rapporteur du budget de l'administration pénitentiaire.
Il faudrait accélérer ; vous pouvez compter, monsieur le ministre, sur le soutien du Sénat pour mener ce combat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Esther Benbassa . - Voilà des années que le GEST dénonce le sort inhumain et dégradant des détenus dans nos prisons dans notre pays qui se revendique patrie des droits de l'homme - et de la femme, il faut le rappeler en ce 8 mars.
Au 1er janvier 2021, plus de 20 000 personnes sont détenues dans un établissement où le taux d'occupation dépasse 120 %. Trente établissements pénitentiaires sont considérés comme exposant leurs détenus à des traitements humiliants.
Nous ne pouvons pas faire mine de découvrir la situation. En 2018, alors que je l'interpellais sur les violences survenues dans la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, la garde des Sceaux m'avait opposé un déni sur ce sujet peu traité par les médias.
J'ai dénoncé à nouveau dans une tribune de juillet 2019 les violences physiques et morales auxquelles sont exposés nos détenus.
Toutes ces actions sont restées lettre morte jusqu'aux décisions de la CEDH le 30 janvier 2020 et du Conseil constitutionnel le 2 octobre 2020, auxquelles nous devons ce texte mis précipitamment à l'ordre du jour, puisque le Conseil constitutionnel fixait l'échéance au 1er mars 2021.
Nous ne pouvons que soutenir cette proposition de loi : derrière, il y a des vies humaines. Le 2 février, un homme est décédé à Meaux ; il avait été hospitalisé à la suite d'une altercation avec un surveillant. Le même jour, à Poitiers-Vivonne, un incident similaire causait 42 jours d'interruption temporaire de travail à une détenue.
Monsieur le ministre, votre prédécesseure déclarait vouloir assurer, d'ici à la fin du quinquennat, des conditions de détention plus dignes et conformes à nos engagements européens. Nous attendons, après cette première étape, une amélioration urgente des conditions de vie en prison et des relations entre détenus et surveillants, ainsi que davantage d'écoute du personnel médical et encadrant. Il faudra en particulier se pencher sur les problèmes psychiatriques trop négligés.
Ce n'est pas en construisant des prisons que nous épuiserons le sujet de la réforme des lieux de privation de liberté, un chantier ample et complexe. (Applaudissements sur les travées du GEST)
M. Thani Mohamed Soilihi . - La France fait partie des États européens dont les prisons sont le plus encombrées. Le taux d'occupation moyen est supérieur à 115 %, ce qui a de graves conséquences sur les droits et la dignité des détenus alors que le principe de l'encellulement individuel figure dans notre droit depuis 1875.
Entre 2015 et 2017, 32 requêtes ont été formulées auprès de la CEDH par des détenus de métropole et d'outre-mer. Le 30 janvier 2020, celle-ci a condamné la France à résorber l'inflation carcérale et à instituer un recours préventif et effectif. Le 8 juillet, la Cour de Cassation posait le principe que des conditions indignes de détention faisaient obstacle à la poursuite de la détention. Le 2 octobre, le Conseil constitutionnel, saisi d'une QPC, a demandé l'abrogation au 1er mars 2021 de l'alinéa 2 de l'article 144-1 du code de procédure pénale qui prévoyait la remise en liberté d'une personne en détention provisoire si les conditions de son placement en détention n'étaient plus remplies.
Cette proposition de loi tire les conséquences de ces décisions avec un dispositif équilibré, protecteur des droits des détenus comme de la sécurité des Français. Transpartisane, elle s'inspire d'une proposition du garde des Sceaux validée par le Conseil d'État le 1er décembre, et adoptée par l'Assemblée nationale sous la forme d'un amendement au projet de loi sur le Parquet européen et la justice spécialisée. Malheureusement, il est tombé sous le coup de l'article 45.
Inutile de gloser sur le retard pris ; notre responsabilité est collective. Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, la peine doit rester la privation de liberté, et non la privation de dignité.
Le Président de la République s'est engagé sur 15 000 nouvelles places de prison d'ici à 2027. Le surpeuplement est particulièrement marqué en outre-mer. Le Gouvernement a commencé à y remédier avec notamment 182 places en plus à Mayotte et 1 156 places supplémentaires en outre-mer d'ici à 2026.
Les alternatives à la prison doivent être développées chaque fois que cela est possible, pour poursuivre le désengorgement de notre système carcéral.
Le groupe RDPI votera ce texte dont il est cosignataire.
Mme Maryse Carrère . - Dès 2013, les conditions de détention d'un détenu ont valu à la France une condamnation par la CEDH. Celle-ci énumérait l'absence de porte aux toilettes, une chasse d'eau qui n'évacuait pas, une prise électrique pendant près du lavabo, un local de douche insalubre, une absence d'aération et une infestation de cafards.
En cette journée internationale de la femme, j'ai une pensée particulière pour les femmes incarcérées dans notre pays. Il ne s'agit pas de remettre en cause le principe de l'incarcération, mais la prison ne doit pas avoir pour fonction d'humilier. Chacun a vocation à en sortir.
La décision de 2013 n'a pas provoqué d'amélioration, et la France a à nouveau été condamnée par la CEDH en 2015, puis en 2020.
Trois objectifs nous étaient assignés : supprimer le surpeuplement, améliorer les conditions de détention et instaurer un recours effectif.
Le groupe RDSE souscrit à cette proposition de loi bienvenue. Mais un droit de recours effectif ne remplace pas des canalisations bouchées pas plus qu'il n'assure la désinsectisation. Transférer des détenus comme dans un jeu de chaises musicales ne réduit pas la surpopulation : la question, c'est celle des moyens matériels.
La procédure présentée, pour être effective, devra être rapide. Nous resterons vigilants sur les conditions de détention.
Mme Éliane Assassi . - Cette proposition de loi arrive tard, mais elle arrive, après une condamnation historique de la France par la CEDH, qui a conduit à l'indemnisation de 32 personnes en France métropolitaine. La Cour a considéré que la France violait l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme aux termes duquel « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. », en n'offrant pas aux détenus des voies de recours satisfaisantes.
Cette décision forte a conduit à l'arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet 2020, imposant au juge judiciaire de donner aux détenus une voie de recours préventif et effectif. Le Conseil constitutionnel a jugé en octobre qu'il incombait au législateur de garantir aux personnes en détention la possibilité de saisir le juge s'ils estimaient leurs conditions de détention contraires à la dignité.
Nous n'avons rien à redire au dispositif de la proposition de loi. Même si je peux partager certaines réserves de Jean-Pierre Sueur, nous voterons ce texte qui prévoit des mesures générales pour mettre fin à cette situation. Mais comme l'a noté en 2018 un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, le décalage entre les normes et les réalités de l'incarcération n'a que trop duré. Le principe de l'encellulement individuel n'est pas respecté, pas plus que les normes mêmes de l'administration pénitentiaire. Et que dire des conditions d'incarcération des femmes en ce 8 mars ?
La construction de nouvelles prisons n'est pas une réponse satisfaisante au problème. C'est pourtant ce que propose le ministre, tout en mettant fin aux réductions automatiques de peine. Comme le signalait la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, beaucoup de détenus voudraient être soignés, être formés, trouver un travail, mais on ne leur en donne pas les moyens. (Le ministre approuve.)
La seule manière de lutter contre la surpopulation est de concevoir un grand plan de décroissance carcérale - soit l'inverse de la politique des derniers gouvernements : extension de la comparution immédiate, peines plus sévères, hausse du recours à la détention provisoire et j'en passe. (Mme Esther Benbassa applaudit.)
M. Yves Détraigne . - Cette proposition de loi vise à faire cesser une situation inacceptable pour le pays des droits de l'homme, avec deux objectifs : garantir à tous les détenus des conditions de détention incompatibles avec le principe de dignité de la personne humaine, et assurer une voie de recours effective lorsqu'ils estiment cette dignité bafouée.
Nous le disons sur tous les bancs, la situation n'est pas tenable. Depuis le début des années 2000, le nombre de détenus augmente chaque année davantage que le nombre de places en prison. Alors qu'en Allemagne et au Royaume-Uni, le taux d'occupation carcérale est d'environ 96 % du nombre de places opérationnelles, il est de 116 % en France. Dans les maisons d'arrêt, la situation est critique.
Dès 2000, nos anciens collègues Guy-Pierre Cabanel et Jean-Jacques Hyest évoquaient déjà des « prisons de la République aux oubliettes de la société » qui sont « une honte et une humiliation pour la République ».
Un rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté soulignait en 2019 que la densité moyenne en maison d'arrêt est de 138 personnes pour 100 places opérationnelles. Parmi ces établissements, 44 ont un taux d'occupation de 150 %. Dans certaines maisons d'arrêts, comme à Ducos en Martinique, il dépasse même 200 % !
La France a déjà été condamnée en 2013 par la CEDH pour la situation de la maison d'arrêt Charles III de Nancy.
Tout propriétaire privé doit garantir une surface habitable de 9 mètres carrés à son locataire, mais l'État fait cohabiter plusieurs détenus dans 8 mètres carrés, avec des matelas au sol. C'est indigne. À l'heure où la crise sanitaire impose des mesures de distanciation sociale strictes, l'opinion publique découvre cette situation, alors que le principe de l'encellulement individuel est inscrit dans la loi.
C'est donc logiquement que la CEDH nous a rappelés à l'ordre en janvier dernier, au titre de l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme qui proscrit tout traitement inhumain ou dégradant. Nous échappons pour le moment à la procédure humiliante de l'arrêt pilote, qui impose à l'État concerné des mesures d'amélioration, mais cela ne durera pas éternellement.
La situation exige des mesures générales et structurelles, estime la cour de Strasbourg, pour supprimer le surpeuplement et améliorer les conditions matérielles de détention.
À cela s'ajoute la question du droit de recours effectif. Lorsque l'on a le sentiment que son droit au respect de la dignité est bafoué, il n'est rien de plus dramatique que le sentiment d'être abandonné par la Nation.
Le 2 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a sanctionné le silence de la loi sur le sujet. Il a aussi censuré notre incompétence, jugeant les recours disponibles trop souvent inefficaces et inopérants.
À nous de modifier la loi, au Gouvernement de prévenir toute atteinte à la dignité, au juge judiciaire de mettre en oeuvre toutes les mesures de nature à faire cesser ces atteintes.
Saluons l'initiative du président Buffet, face à l'inaction du Gouvernement, et le travail du rapporteur Frassa.
Le groupe UC soutiendra cette proposition de loi sans réserve.
M. François Bonhomme . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Cette proposition de loi fait suite à la condamnation de la France par la CEDH, qui dénonçait notamment l'impossibilité pour le détenu d'utiliser des toilettes privées, la présence de nuisibles, l'accès insuffisant à l'air naturel dans sa cellule. La CEDH pointait également le non-respect de l'article 13 de la Convention européenne, sur le droit à un recours effectif. Au total, la France a été condamnée dix-sept fois par la Cour pour des motifs tenant aux conditions de détention.
Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 2 octobre dernier, nous oblige à voter une nouvelle loi pour y remédier. Je salue l'initiative du président de notre commission, plus réactif que le Gouvernement - lequel n'envisagerait d'agir que dans le cadre du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire, c'est-à-dire pas avant le mois de juin.
Monsieur le ministre, l'amélioration ne doit pas nous écarter de l'objectif de construction de nouvelles prisons car, comme vous l'avez dit, elles font partie de la réponse pénale.
Le Président de la République avait expressément promis 15 000 nouvelles places durant le quinquennat. Votre prédécesseure a dû, depuis, sortir les rames pour nous expliquer que ce total s'entendait comme celui des places lancées, et sur deux mandats... Il est vrai que le bilan du précédent président n'était pas fameux, avec 2 000 places effectivement construites.
Merci au président de la commission d'avoir insisté auprès du Gouvernement pour que ce texte soit rapidement inscrit à l'ordre du jour. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
Mme Brigitte Lherbier . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Certes, les individus placés en détention ont commis des actes répréhensibles pour lesquels ils doivent être sanctionnés, mais fermer les yeux sur les conditions dégradantes de leur enfermement n'honore pas notre pays. L'incarcération perd alors tout son sens.
Je ne jette pas la pierre au personnel de l'administration pénitentiaire, qui fait de son mieux. Ses conditions de travail difficiles - insuffisance de moyens, infrastructures vieillissantes, manque de place - ont déjà été abordées par notre commission et la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure. Tous les groupes politiques sont favorables à ce texte.
Je profiterai de cette tribune pour vous alerter sur une situation grave. Les femmes représentent 3,6 % de la population carcérale, soit 2 500 femmes pour 2 000 places opérationnelles, mais avec d'importantes disparités. À Toulouse, Perpignan, Nîmes et Limoges, le taux d'occupation est supérieur à 140 % ; il est de 170 % à Bordeaux. La séparation des quartiers des hommes, nécessaire pour la sécurité, rend plus difficile la participation aux activités, voire l'accès aux soins.
Avec seulement treize établissements pour femmes condamnées à plus de deux ans de prison, les visites familiales sont rendues plus difficiles, tout comme les chances de réhabilitation.
Et que dire des soixante enfants qui naissent chaque année en prison, des quatre-vingt-quinze enfants accueillis en cellules mère-enfant ? J'ai pu me rendre compte de cette situation en visitant la maison d'arrêt de Sequedin, près de Lille. Même bien tenus, les établissements ne peuvent accueillir des bébés qui n'ont pas demandé à naître et grandir en prison.
Pourquoi ne pas créer des établissements spécialisés ? Des prisons adaptées aux femmes, plus petites et nombreuses : cela libérerait en outre de la place pour les hommes.
M. le président. - Veuillez conclure.
Mme Brigitte Lherbier. - Le groupe Les Républicains est favorable à cette proposition de loi qui nous permet d'espérer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Oui, madame Lherbier, les femmes détenues et leurs enfants méritent toute notre attention. La Chancellerie veille à ce que ces enfants sortent de la prison et rencontrent d'autres enfants. Je suis ouvert à toutes les propositions d'amélioration à ce sujet.
Monsieur le sénateur Bonhomme, qui ne serait pas choqué par des conditions indignes - parfois pire que cela : dégradantes et inhumaines - de détention ?
J'ai besoin des élus locaux dans les territoires pour l'implantation des prisons ; une prison est toujours bienvenue... dans la commune d'à côté ! Nous en sommes à 7 000 places lancées. Les sites pour les 8 000 places supplémentaires seront prochainement annoncés.
Il ne s'agit pas d'incarcérer plus mais mieux. La prison est utile pour punir, pour protéger la société d'individus dangereux, mais doit aussi favoriser la réinsertion. Nous en débattrons prochainement avec le projet de loi à venir.
Monsieur Sueur, Mme Simonnot, dont le travail est infiniment respectable, n'a jamais répondu à mon courrier du 11 novembre 2020. Nous n'avons pas reçu de proposition de modification de sa part.
Mon administration pratique déjà le transfèrement des détenus ; quand je suis alerté par un directeur interrégional d'une surpopulation carcérale, avec des matelas par terre, je demande le transfèrement, comme récemment de la région toulousaine vers Marseille. Il s'agit simplement de désemplir les prisons les plus remplies au profit de celles qui le sont un peu moins.
Non, nous n'avons pas libéré 13 000 personnes ; nous en avons libéré 6 000, et 6 000 autres ne sont pas entrées. Il y a actuellement 8 000 détenus de moins qu'en janvier 2020.
Mais la situation reste préoccupante, d'autant que les incarcérations reprennent avec les activités délinquantielles - il y avait peu de cambriolages durant le confinement !
Les 6 000 détenus libérés ne sont pas des criminels : il leur restait un ou deux mois de détention à effectuer, et ils n'étaient pas coupables de crimes de sang, viols ou faits de terrorisme.
Monsieur Sueur, la proposition de loi n'est pas contraire à l'arrêt de la Cour de cassation. Outre que le législateur peut s'affranchir de la jurisprudence, le Conseil d'État a estimé que le projet d'amendement du Gouvernement de décembre dernier s'inspirait de la solution retenue par l'arrêt du 8 juillet 2020 « en y apportant des précisions utiles ». Je ne partage donc pas votre analyse sur ce point.
La discussion générale est close.
Discussion des articles
ARTICLE UNIQUE
M. le président. - Amendement n°2, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
figurant dans la requête sont circonstanciées, personnelles et actuelles
par les mots :
énoncées constituent des indices de conditions de détention indignes
M. Jean-Pierre Sueur. - La mention d'une requête semble exiger un mémoire ou l'intervention d'un avocat ; il serait préférable que la demande puisse résulter d'une simple audition ou d'un débat. Un formalisme excessif peut constituer un frein.
La Cour de cassation estime que lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions personnelles de détention est « suffisamment crédible, précise et actuelle de sorte qu'elle constitue un commencement de preuve de leur caractère indigne », il appartient à la chambre de l'instruction de faire procéder à des vérifications complémentaires.
Elle censure l'arrêt qui exigeait de l'intéressé qu'il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention. Pour la Cour de cassation, le détenu n'a donc pas à rentrer dans les détails de sa situation particulière. D'où notre amendement n°2.
Dans ce même arrêt, elle considère que la description de conditions générales indignes - présence de cafards et punaises, absence de chaises, saleté repoussante des douches, exiguïté de la cour - suffit.
Cet amendement et le suivant sont strictement conformes à cet arrêt, et donnent toute latitude aux personnes concernées de saisir le juge judiciaire afin de faire valoir leurs droits.
Quelque 800 détenus dorment sur des matelas à même le sol, avez-vous dit. S'il s'agit de remplacer le détenu transféré par un autre, sur le même matelas, la proposition de loi n'aura servi à rien...
M. le président. - Amendement n°1, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 7, première phrase
Après le mot :
actuelles
insérer les mots :
ou si les allégations énoncées constituent des indices de conditions de détention indignes
M. Jean-Pierre Sueur. - Amendement de repli.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Vous proposez qu'une requête soit recevable sur la base de simples indices.
L'arrêt de la Cour de cassation ne constitue pas une injonction faite au législateur.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je suis d'accord.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Le législateur l'a lu, et légifère en toute indépendance.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il a le droit d'en tenir compte !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Il en tient compte, de même que des décisions de la CEDH et du Conseil constitutionnel. Je suis attaché à l'équilibre de la proposition de loi.
Le JLD et le JAP ne doivent pas être submergés par des demandes abusives d'avocats recherchant la libération de leurs clients. Il est important que les demandes soient un tant soit peu étayées.
Avis défavorable à vos amendements nos1 et 2.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - On demande que les allégations soient circonstanciées, personnelles, actuelles. C'est bien le minimum ! Les JAP et les JLD ont beaucoup de travail. Ces amendements ne sont pas réalistes, et leur adoption emboliserait le travail de ces magistrats. J'y suis totalement défavorable.
Comment penser que l'administration pénitentiaire pourrait installer un autre détenu sur le même matelas, dans des conditions qui auraient été jugées indignes ? Nous faisons tout pour améliorer la situation, dans la mesure du possible. Évidemment, on ne peut jurer de rien... Mais imagine-t-on vraiment que l'administration pénitentiaire ne prendra pas en compte la décision du juge ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Certes, nous ne sommes pas obligés de suivre la Cour de cassation, mais nous pouvons prendre ce qu'elle dit en considération, pour faciliter la requête des intéressés.
Le rapporteur craint qu'il n'y ait beaucoup de recours, que les avocats n'utilisent le malheur des gens pour emboliser le système... Ce genre d'argutie ne tient pas, face à l'indignité de certaines situations !
L'amendement n°2 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°1.
M. le président. - Amendement n°3, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
entre trois jours ouvrables et dix jours
par les mots :
inférieur à dix jours
M. Jean-Pierre Sueur. - Comme nous avons un grand respect pour l'administration pénitentiaire - je reçois chaque année leurs représentants syndicaux et visite les établissements de mon département -, nous considérons qu'il n'est pas réaliste de lui demander de statuer dans les trois jours. Nous proposons un délai de bon sens, de dix jours.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - La proposition de loi prévoit que l'administration pénitentiaire fait parvenir ses observations au juge dans un délai compris entre trois et dix jours. Cela ne me paraît pas déraisonnable. Il lui faut le temps de rassembler les éléments et de préparer la réponse.
Votre amendement supprime le délai-plancher : le magistrat pourrait donc exiger une réponse sous quelques heures, ce qui placerait l'administration pénitentiaire dans une situation intenable ! (M. le ministre le confirme.) Ne confondons pas vitesse et précipitation. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable, pour les mêmes raisons : ce serait intenable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Les juges sont capables de lire la loi... Si l'administration pénitentiaire a dix jours pour statuer, les juges n'en concluront pas qu'ils peuvent exiger d'elle une réponse sous quelques heures.
L'amendement n°3 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°5, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 7, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Le détenu peut, à cet égard, agir seul à sa propre initiative et être auditionné seul sans que la présence d'un avocat soit nécessaire.
M. Jean-Pierre Sueur. - La présence d'un avocat n'est pas nécessaire. On me dit que c'est implicite - je préfère l'expliciter.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - C'est vraiment amender pour le plaisir d'amender ! À aucun moment il n'est indiqué que le ministère d'avocat est exigé.
M. Jean-Pierre Sueur. - Cela va mieux en le disant.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Je reconnais en vous un Talleyrand des temps modernes... (Sourires)
Un tel amendement peut en outre poser un problème d'interprétation a contrario. (M. le ministre le confirme.) Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Pourquoi faire simple quand on peut faire très compliqué ? Après avoir compliqué la façon de déposer la requête, vous voudriez préciser que le requérant peut agir seul alors que le ministère d'avocat n'est pas prévu. Je suis obstinément défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - La mention d'une requête semble exiger un mémoire ou l'intervention d'un avocat. (M. le ministre le conteste.) Plus ce sera simple, mieux ce sera.
J'apprécie la dialectique de M. Frassa qui invoque un risque d'a contrario et je lui indique que le « plaisir » que j'ai à déposer des amendements est assez limité... (Sourires sur les travées du groupe SER)
L'amendement n°5 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°4, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 7, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Tous les documents, pièces et informations obtenus a? l'occasion de ce contrôle doivent être versés au dossier, adressés aux parties et débattus contradictoirement.
M. Jean-Pierre Sueur. - C'est un amendement de bon sens ! Le contradictoire est un principe fondamental du droit. Il convient de renforcer l'information et la présence des parties dans la procédure afin d'assurer le respect des droits de la défense.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Cet amendement est contradictoire avec le précédent. (M. le ministre sourit.) Celui-ci alourdit la procédure. Nous ne sommes pas au stade de l'information judiciaire, la décision doit être rapide. Le texte prévoit déjà que les parties seront entendues, ce qui garantit le contradictoire. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Votre amendement est audacieux ! Tout, dans le texte, garantit le contradictoire : on recueille l'avis de l'administration pénitentiaire, le détenu pourra s'expliquer. Avis défavorable à cet amendement dont je ne comprends pas l'objet.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je remercie M. le garde des Sceaux pour ses déclarations : au moins les débats parlementaires serviront-ils à éclairer la loi.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Votre amendement serait devenu inutile après mon intervention ? Je suis flatté !
L'amendement n°4 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°6, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 8, première phrase
Remplacer les mots :
compris entre dix jours et un mois
par les mots :
inférieur à dix jours
M. Jean-Pierre Sueur. - La condition indigne de détention est une réalité humaine insoutenable. Il n'est pas exorbitant de demander une réduction des délais entre le moment où le juge reçoit la requête et celui où il rend sa décision. Il faut s'assurer que toute action de l'administration n'ait pas d'impact sur la requête.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Nous touchons au point d'achoppement. Pour nous, le délai est forcément compris entre dix jours et un mois, car l'étude de différentes solutions, y compris le transfèrement, prend nécessairement du temps.
De votre côté, vous voulez rendre quasi impossible le transfèrement. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable, évidemment. Cette posture n'est pas réaliste, monsieur Sueur. Parfois, il faut quinze jours pour faire des travaux de canalisation ou de climatisation, par exemple.
M. Jean-Pierre Sueur. - Bien plus que quinze jours, hélas !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Il est dans l'intérêt du détenu lui-même qu'un délai soit prévu.
M. Jean-Pierre Sueur. - Voyez comment se passent les travaux en prison ! Je peux vous parler de celle de Saran, construite sur un terrain inondable, où les problèmes de canalisation sont légion. Les travaux supposent des appels d'offres : un mois ne suffira pas, à l'évidence. (M. le ministre proteste.) C'est une argumentation « pour le plaisir » ! (M. le ministre le conteste.)
L'amendement n°6 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°7, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 8, deuxième phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Le juge peut enjoindre à l'administration pénitentiaire de prendre des mesures déterminées afin de mettre fin aux conditions indignes de détention.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous avons eu ce débat en commission. (M. le rapporteur le confirme.) On me rétorquera que le juge judiciaire ne peut rien enjoindre à l'administration.
Nonobstant cela, l'objectif d'intérêt général qu'est la sauvegarde de la dignité humaine justifie que l'on déroge au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.
Notre droit prévoit déjà que le juge judiciaire adresse des injonctions à l'administration en cas de voie de fait.
Par ailleurs, la proposition de loi comprend déjà une injonction à l'administration de faire connaître, dans un délai déterminé, les mesures qu'elle entend prendre pour mettre fin aux conditions de détention qu'elle estime indignes.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Nous en avons largement débattu en commission. Bis repetita placent...
La décision du Conseil constitutionnel du 23 janvier 1987 rappelle que le pouvoir d'injonction relève en principe de la seule compétence du juge administratif. Dans ce texte, nous misons sur la complémentarité entre juge administratif et juge judiciaire. Seul le premier peut adresser des injonctions à l'administration. L'avis reste défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le Conseil d'État a été très clair dans le point n°12 de son avis : défavorable.
L'amendement n°7 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°8, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 8, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
M. Jean-Pierre Sueur. - Cet amendement supprime la possibilité laissée à l'administration de transférer le détenu avant toute décision du juge judiciaire. Il ne s'agit pas d'exclure ce transfèrement : il peut être une solution, mais dans des conditions que nous entendons préciser.
Avec le dispositif actuel, il suffit à l'administration de proposer un transfert pour empêcher la libération que pourrait décider le juge. Cela risque de dissuader le détenu d'effectuer un recours. La possibilité de se retrouver éloigné à 500 kilomètres peut être dissuasive, comme l'estime Mme Simonnot ou l'Observatoire international des prisons.
Une fois le requérant transféré, un autre prendra sa place - en attendant les travaux de canalisation chers à M. le ministre !
M. le président. - Amendement n°18 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
Après l'alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L'administration pénitentiaire s'assure que le transfèrement du détenu et son éloignement géographique ne causent pas une atteinte excessive au maintien de ses relations familiales.
Mme Esther Benbassa. - Défendu.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - En supprimant cet amendement, vous supprimez la possibilité de transférer le détenu.
M. Jean-Pierre Sueur. - Non !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Si !
M. Jean-Pierre Sueur. - Cela reste possible, mais après décision du juge.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Le transfèrement permet de remédier à un problème de surpopulation carcéral. Il serait dommage de se priver de la possibilité de mieux répartir les détenus en fonction des places disponibles. Avis défavorable.
Madame Benbassa, le maintien des liens familiaux est une préoccupation constante de l'administration pénitentiaire. La proposition de loi précise que le condamné peut refuser un transfèrement au motif d'une atteinte excessive à sa vie familiale.
Votre amendement est satisfait pour les condamnés et inadapté pour les prévenus - lesquels doivent être incarcérés à proximité du cabinet du juge d'instruction. Avis défavorable aux deux amendements.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le transfèrement est un axe majeur de la réforme, dont l'objectif principal est d'améliorer les conditions des détenus. Je suis totalement défavorable à cet amendement qui viderait la réforme de son sens.
M. Jean-Pierre Sueur. - Nous ne sommes pas contre le transfèrement, je l'ai dit, mais contre un transfèrement décidé par l'administration pénitentiaire, avant la décision du juge. C'est pourtant clair !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Limpide...
M. Jean-Pierre Sueur. - Je n'accepte pas ce procès d'intention. Nous défendons une position pertinente et raisonnable.
M. le rapporteur soutient que transférer réduit le surpeuplement ? Même redistribué, le malheur reste le malheur... Le transfèrement ne change rien au taux de surpopulation global ! (M. Roger Karoutchi s'impatiente.) C'est une aporie.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Mesurez-vous la portée de votre amendement ? Vous préférez la libération au transfèrement pour un individu très dangereux ?
L'amendement n°8 n'est pas adopté.
L'amendement n°18 rectifié est retiré.
M. le président. - Amendement n°9, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 8
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il peut assortir l'injonction de mesures d'une astreinte par jour de retard à l'exécution de ces mesures.
M. Jean-Pierre Sueur. - Une libération ne peut être décidée que par le juge, or le juge ne libérera pas un individu très dangereux ! Le transfèrement reste possible.
Vous le savez, le groupe SER a déposé une proposition de loi au titre identique, à cela près que nous ajoutons l'adverbe « effectivement ». L'astreinte est une des mesures visant à rendre le dispositif effectif. Sans doute me répondrez-vous que c'est trop compliqué...
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Avis défavorable, par cohérence, s'agissant d'une injonction à l'administration.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable.
L'amendement n°9 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°10, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
I. - Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
II. - Après l'alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ...° Soit il ordonne le transfèrement de la personne dans un autre établissement pénitentiaire avec un examen préalable approfondi de la sauvegarde de la vie privée et familiale, du respect de ses droits à la réinsertion, à la santé et à la défense.
M. Jean-Pierre Sueur. - Dans son arrêt du 30 janvier 2020, la CEDH estime que les transfèrements sont illusoires comme réponse à la surpopulation et à la vétusté des prisons.
La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté et l'Observatoire international des prisons considèrent qu'avant toute décision de transfèrement, il faut en apprécier les conséquences sur la vie familiale, la vie sociale, le droit à la réinsertion, le droit à la santé ou les droits de la défense. (Marques d'impatience)
M. le président. - Il faut conclure, à moins que vous n'entamiez la défense de l'amendement suivant ?
M. Jean-Pierre Sueur. - Vous l'avez deviné : c'est un amendement de repli. En d'autres temps, la loi du chronomètre ne régnait pas dans cet hémicycle : Robert Badinter doublait allègrement son temps de parole sans que personne y trouvât à redire !
M. Roger Karoutchi. - Ce temps-là est fini.
M. Jean-Pierre Sueur. - Bref, avant tout transfèrement, il faut prendre en compte les conditions matérielles que j'ai énumérées. C'est le bon sens.
M. le président. - Amendement n°11, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
I. - Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
II. - Après l'alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ...° Soit il ordonne le transfèrement de la personne dans un autre établissement pénitentiaire après un examen approfondi de la situation sociale et familiale.
M. Jean-Pierre Sueur. - Défendu.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Votre amendement vise à rendre le transfèrement plus difficile en le soumettant à différentes conditions. Le texte de la commission prend déjà en compte la préservation des liens familiaux ou le respect des droits de la défense.
Et il serait surprenant qu'un détenu qui souffre de conditions indignes trouve de plus mauvaises conditions sanitaires dans un nouvel établissement...
La notion d' « examen approfondi de la situation sociale et familiale » est très vague. Les règles doivent être claires pour être faciles d'application. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Tout a été dit et bien dit. Avis défavorable aux deux amendements.
L'amendement n°10 n'est pas adopté, non plus que l'amendement n°11.
M. le président. - Amendement n°12, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 13
Supprimer cet alinéa.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je crains que le droit pour les détenus de saisir le juge judiciaire ne se traduise par un mouvement perpétuel des détenus d'une prison à l'autre. (M. le ministre le conteste en soupirant.) Ils seront toujours 800 à dormir par terre, les conditions lamentables perdureront, mais on dira que la loi est respectée...
Il faut se décider enfin à réduire le nombre de détenus par des aménagements de peine et des alternatives à la détention ! Les transfèrements ne règlent en rien le problème.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Nous ne reviendrons pas sur une disposition de bon sens : si un détenu refuse son transfèrement, il doit en assumer les conséquences. Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Ne mélangeons pas tout. Je m'efforce de mettre en place des peines alternatives, telles que les travaux d'intérêt général. Les aménagements de peines sont passés de 3 à 11 % grâce au bloc peine.
Personne n'a le monopole du coeur, monsieur Sueur. Mais comment admettre que les personnes détenues puissent instrumentaliser ce recours pour obtenir une libération immédiate en refusant systématiquement le transfèrement ? Je ne comprends pas que vous ne le compreniez pas. Défavorable.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je sais que vous avez du coeur, monsieur le garde des Sceaux, au sens du XXIe siècle comme à celui du XVIIe siècle - comme Rodrigue ! (M. Roger Karoutchi apprécie.)
Trop facile, estimez-vous.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - En tout cas, possible !
M. Jean-Pierre Sueur. - Mais enfin, le détenu qui ferait un tel calcul serait d'une naïveté totale : la libération dépend du juge, vous le savez bien.
L'amendement n°12 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°13, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 14, dernière phrase
Compléter cet alinéa par les mots :
uniquement en cas de force majeure
M. Jean-Pierre Sueur. - La visioconférence, lorsque l'on est détenu dans des conditions indignes, n'est pas la solution la plus simple : réduisons cette technique aux cas de force majeure.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Autant l'exclure d'office alors, car elle ne s'appliquera jamais ! Vous vouliez accélérer les procédures mais présentez à présent un amendement qui rend la visioconférence impossible... Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - La visioconférence est autorisée devant le JLD et le JAP. Nous restons en cohérence avec le droit positif. J'ai décidément du mal à vous suivre, ce soir... Avis défavorable.
L'amendement n°13 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°14, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Alinéa 15, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
M. Jean-Pierre Sueur. - Monsieur le ministre, la vie est ainsi, avec des jours avec et des jours sans... Il faut néanmoins rester patient !
Il ne faudrait pas qu'un détenu soit victime de la carence des juridictions.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - La commission a précisé clairement qu'en cas d'appel suspensif du ministère public, le délai est de quinze jours : le supprimer n'est pas dans l'intérêt du détenu ! Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Je suis très patient ce soir.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je vous en félicite !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - C'est dans ma nature mais de surcroît, j'ai beaucoup d'empathie pour vous. (Rires) Hélas, votre proposition est très dangereuse. Avis totalement défavorable. (Mme Esther Benbassa feint la surprise.)
L'amendement n°14 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°19, présenté par M. Frassa, au nom de la commission.
Alinéa 22
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
4° Le premier alinéa de l'article 804 est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° du tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Rédactionnel. L'amendement prend globalement en compte l'application outre-mer, car d'autres textes en navette modifient cet alinéa.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis favorable.
L'amendement n°19 est adopté.
L'article unique, modifié, est adopté, le groupe socialiste s'abstenant.
ARTICLES ADDITIONNELS après l'article unique
M. le président. - Amendement n°15, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois après l'adoption de la présente loi, le Gouvernement présente un rapport sur les mesures qu'il compte prendre afin de lutter contre la surpopulation carcérale.
M. Jean-Pierre Sueur. - Pour avoir présidé la commission des lois, je sais bien que celle-ci n'aime pas les demandes de rapports : mais la proposition de loi, même améliorée, ne peut répondre à elle seule au problème structurel dénoncé par la CEDH, laquelle exige « des mesures générales pour supprimer la surpopulation et améliorer les conditions de détention ».
L'inflation carcérale est le fruit des politiques pénales des différents gouvernements - je ne fais aucun sectarisme à ce propos, citant Jean-René Lecerf, Dominique Raimbourg comme Christiane Taubira, très tenace sur les nouvelles formes de peine.
J'espère votre réussite, monsieur le garde des Sceaux, dans le développement des alternatives à la prison.
Le rapport de Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe en 2013 sur les moyens de lutter contre la surpopulation carcérale serait une bonne lecture pour tous.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Vous connaissez la position de la commission sur les rapports. En outre Alain Marc, rapporteur pour avis de la mission budgétaire, suit la progression de la surpopulation carcérale avec soin chaque année.
Si j'en crois vos récentes déclarations, monsieur le ministre, le Gouvernement serait tenté de réformer les règles relatives aux crédits de réduction de peine. Cela ne risque-t-il pas d'augmenter le temps passé en prison ? Pourriez-vous nous éclairer sur votre stratégie pour gérer la surpopulation carcérale ?
M. Roger Karoutchi. - Oui mais pas ce soir. (Sourires)
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Avis défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avis défavorable également. Il y a la loi bloc peine, les alternatives aux poursuites, la plateforme « 360 TIG », le projet de loi sur lequel je travaille beaucoup... Je ne vois pas ce qu'un rapport supplémentaire apporterait, alors que vous êtes très vigilants et connaissez les chiffres. Si vous souhaitez plus de détails encore, ma porte est ouverte.
M. Jean-Pierre Sueur. - Je suis déjà venu !
Je m'associe à la question posée par M. Frassa. Je comprendrai que vous ne répondiez pas sur-le-champ. Mais vos déclarations sur les aménagements de peines ont donné lieu à une compréhension divergente : il serait bon de clarifier les choses.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Bien sûr !
L'amendement n°15 n'est pas adopté.
M. le président. - Amendement n°16, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Après l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois après l'adoption de la présente proposition de loi, le Gouvernement présente un rapport sur les mesures qu'il compte prendre afin de développer les aménagements de peine.
M. Jean-Pierre Sueur. - Il s'agit de demander un rapport au Gouvernement sur le développement des aménagements de peine dans le but de lutter contre la surpopulation carcérale. Cela nous permettrait d'y voir plus clair.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. - Le projet de loi sur la confiance dans l'institution judiciaire devrait faire évoluer la liberté sous contrainte, et nous aurons alors le plaisir d'entendre le ministre à ce sujet. Défavorable.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Le Sénat enrichira le texte via des amendements que je soutiendrai certainement.
Défavorable à un rapport sur le tout, défavorable à un rapport sur la partie. Je préfère peaufiner mon projet de loi.
L'amendement n°16 n'est pas adopté.
INTITULÉ DE LA PROPOSITION DE LOI
M. le président. - Amendement n°17, présenté par M. Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi tendant à assurer l'effectivité du droit au respect de la dignité en détention
M. Jean-Pierre Sueur. - Il faut toujours garder espoir. Cet amendement a été écrit avec l'espoir que nos amendements, au moins quelques-uns, seraient adoptés. Mais puisque, hélas, il n'en est rien, je le retire.
L'amendement n°17 est retiré.
Intervention sur l'ensemble
M. Jean-Pierre Sueur . - Nous avons plaidé pour six améliorations au moins de ce texte, citant nos sources - Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Observatoire international des prisons, arrêts de la CEDH, décisions claires de la Cour de cassation, auditions d'avocats et de magistrats.
Il est apparu que la rédaction devait être précisée afin que le recours soit effectif.
Une de nos propositions a été retenue en commission : le détenu pourra demander à être auditionné. Mais le compte n'y est pas. Par conséquent, sans nous opposer à ce texte, nous ne le voterons pas. Nous nous abstiendrons, car il vaut tout de même mieux qu'il existe.
La proposition de loi est adoptée.
Prochaine séance, demain, mardi 9 mars 2021, à 9 h 30.
La séance est levée à 18 h 55.
Pour la Directrice des Comptes rendus du Sénat,
Rosalie Delpech
Chef de publication
Annexes
Ordre du jour du mardi 9 mars 2021
Séance publique
À 9 h 30
Présidence : Mme Pascale Gruny, vice-président du Sénat
Secrétaires : Mme Martine Filleul - Mme Françoise Férat
. 34 questions orales
À 14 h 30 et le soir
Présidence : Mme Laurence Rossignol Mme Nathalie Delattre
. Explications de vote puis vote sur la proposition de loi relative au monde combattant, présentée par Mme Jocelyne Guidez et plusieurs de ses collègues (texte de la commission, n°421, 2019-2020) (demande du groupe UC)
. Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, portant diverses mesures de justice sociale (texte de la commission, n°401, 2020-2021) (demande de la commission des affaires sociales)