Gestion des déchets dans les outre-mer

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la gestion des déchets dans les outre-mer, à la demande de la délégation sénatoriale aux outre-mer.

Mme Gisèle Jourda, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - Pour résumer le principal enseignement des travaux que j'ai menés avec Viviane Malet, je dirais qu'il y a urgence : urgence à agir pour répondre à la double urgence sanitaire et environnementale. Nous avons vu de nos propres yeux des situations qui nous ont bouleversées. La cote d'alerte est dépassée.

Je pense à ces décharges sauvages à ciel ouvert à Mayotte, où des enfants jouent tandis que des déchets brûlent ou finissent dans le lagon. À Saint-Pierre-et-Miquelon, où pourtant la collecte est exemplaire, une partie des déchets des décharges littorales se retrouvent dans la mer à chaque tempête. L'urgence est criante, tandis que les outre-mer concentrent 80 % de la biodiversité française.

L'urgence est tout aussi marquée sur le plan sanitaire : en raison de maladies comme la dengue, l'hépatite A, la typhoïde ou la leptospirose, les décharges sont autant de dangers pour les populations.

Les outre-mer ont un retard majeur. Le taux d'enfouissement moyen des déchets ménagers est de 15 % au niveau national, mais supérieur à 60 % dans les outre-mer, sauf en Martinique et à Saint-Barthélemy ; il est même de 100 % en Guyane, à Mayotte et à Saint-Martin.

La prise de conscience est forte dans tous les territoires ultramarins et, sur place, les initiatives fourmillent. La situation résulte non d'un désengagement des collectivités territoriales, qui consentent des efforts financiers importants, mais d'un retard structurel trop important. Il faut un nouvel élan, voire un plan Marshall XXL, pour la gestion des déchets dans les outre-mer.

C'est le sens des 26 mesures concrètes que nous préconisons, dont certaines vous seront détaillées par Mme Malet dans quelques instants.

Pour finir, je regrette que la révision en cours du règlement européen sur les transferts de déchets ne prenne pas assez en compte les réalités territoriales.

Mme Viviane Malet, au nom de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - De ce diagnostic découlent nos 26 recommandations. Il faut une nouvelle stratégie pour préserver la santé et la biodiversité dans nos outre-mer, qui ne peuvent être des dépotoirs. Nous avons besoin de plans de rattrapage exceptionnels pour chaque territoire, afin de prendre le virage d'une économie circulaire réaliste.

La première mesure sur laquelle j'insisterai porte sur les financements. Il faut 250 millions d'euros supplémentaires sur cinq ans pour réaliser les équipements prioritaires. L'exonération de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) sur plusieurs années doit succéder aux bricolages.

La contractualisation des acteurs permettra de définir des engagements clairs, en mettant en commun l'ingénierie.

En responsabilisant les éco-organismes, ces derniers pourront rattraper leur retard. Sans contrainte, impossible d'avancer. Il faut des mécanismes incitatifs.

Il convient d'abaisser à 1 tonne, au lieu de 100, le seuil à partir duquel les éco-organismes prennent en charge le coût du nettoyage des dépôts sauvages.

La commission consultative d'élaboration et de suivi (CCES) doit devenir une véritable instance de suivi et de pilotage.

Il faut également développer des dispositifs de gratification directe du tri.

Enfin, nous plaidons pour le développement de la valorisation énergétique des déchets, avec un cadre favorable au prix de rachat de l'électricité produite.

Je remercie la présidente du groupe d'études sur l'économie circulaire, Marta de Cidrac, qui a enrichi nos réflexions. Cette collaboration permettra de donner à nos travaux les suites législatives qu'ils appellent. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Jacques Fernique applaudit également.)

Mme Micheline Jacques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nos collègues Gisèle Jourda et Viviane Malet dressent un constat aussi précis qu'alarmant. L'image de la décharge à Mayotte est glaçante, et ses conséquences sur la population et sur l'environnement ne peuvent nous laisser insensibles.

L'inadaptation des politiques de déchets semble être la source de ces situations. Le caractère multidimensionnel de la gestion des déchets apparaît clairement.

Cette épineuse question ne peut être résolue que localement. À Saint-Barthélemy, l'organisation que nous devons à Michel Magras trouve son origine dans la politique touristique et environnementale : elle fait partie des priorités des politiques publiques. Saint-Barthélemy a fait le choix dès 2002 d'une incinération des déchets, permettant le fonctionnement d'une usine de dessalement. Cela n'aurait pu réussir sans l'adhésion de la population.

L'économie de Saint-Barthélemy en fait un territoire importateur et producteur de déchets. Le traitement des déchets doit rester une politique prioritaire. Je souscris aux préconisations de nos collègues.

Comment réussir une politique publique quand les normes constituent un frein ? Le déficit d'ingénierie est connu. La complexité est le premier obstacle à la politique des déchets. Le panorama dressé renforce la nécessité de gouverner selon les besoins. J'ai préconisé au moins une école d'ingénieur par bassin océanique, malheureusement nous ne cessons de baisser nos objectifs.

L'exemple des cahiers des charges des éco-organismes, inadaptés aux outre-mer, est éloquent : seules certaines dispositions relatives aux emballages ménagers sont propres aux outre-mer. Or, pour la construction des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP), il s'agit de partenaires centraux.

Les obstacles liés à l'impossibilité de collecter des données sont signalés par la Cour des comptes : impossible de planifier sans données !

La collecte devrait être incitée. Or, si l'on prend l'exemple de la TGAP, elle vient grever les actions, alors que les besoins d'investissement sont colossaux ! Les réfactions de TGAP dont bénéficient les outre-mer sont facteurs d'incertitudes. Cette taxe est peu compréhensible pour les outre-mer. Les pistes tracées par nos collègues mériteraient d'être traitées lors de la prochaine discussion budgétaire, si ce n'est dans le cadre du Syndicat intercommunal des ordures ménagères (Siom). Le traitement des déchets en outre-mer coûte 1,7 fois plus qu'en métropole, alors que les recettes fiscales sont moindres.

En matière fiscale, il faut multiplier les échanges de bonnes pratiques : les solutions innovantes de Wallis-et-Futuna ou de la Nouvelle-Calédonie peuvent utilement nourrir les réflexions. Les points de collecte volontaires y sont moins développés, au profit du porte à porte. Il faut impliquer davantage les populations, en abordant sans tabou la question de la gratification. La culture du tri doit être plus fortement encouragée.

L'empreinte carbone est au coeur de toutes les politiques publiques : on ne saurait donc s'affranchir de cette question dans la réflexion sur les déchets outre-mer. Valorisation et prévention offrent des solutions pour réduire le coût écologique de la gestion des déchets. Le tribut payé localement par l'environnement est déjà bien lourd. Habiliter les collectivités à définir les matières dont elles autorisent l'entrée est particulièrement pertinent.

Le rapport sur le logement social relevait déjà les difficultés résultant de l'absence de gestion locale de l'amiante, qui pourtant peut faire l'objet de réemploi. Plus largement, il faut encourager le réemploi dans une optique de développement de l'économie circulaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

M. Jean-Louis Lagourgue .  - Ensemble pour une île plus propre : c'est le slogan de l'association PropRéunion, dont les bénévoles oeuvrent depuis 2017.

Je salue ceux qui contribuent à la préservation de nos territoires ultramarins. Nombreux sont les voyageurs qui trouvent ces paysages de carte postale malheureusement entachés d'ordures. Les problématiques sont exacerbées par le climat, la densité de population et l'isolement des territoires.

La problématique ne se limite pas aux dépôts sauvages : toute la chaîne de gestion est concernée, de la collecte au traitement. Les situations sont contrastées : Mayotte et la Guyane enfouissent pratiquement tous leurs déchets, alors que la situation est moins préoccupante à Saint-Barthélemy et à La Réunion. Les risques sont sanitaires - dengue et typhoïde, notamment -, économiques - la dégradation des paysages risquant de détourner les touristes - et environnementaux.

Les nombreuses décharges polluent les sols et les nappes phréatiques. Le rapport de la délégation aux outre-mer l'établit : les problèmes de gouvernance sont nombreux, le financement est insuffisant, les éco-organismes sont trop discrets pour les filières REP. Il est parfois même impossible d'exporter les déchets.

La Réunion et Mayotte subissent des difficultés dans l'exportation des déchets, à tel point que les collectes des déchets dangereux ont dû être stoppées. Nous stockons l'équivalent d'un an de batteries ou de boues chargées d'hydrocarbures. Les conséquences du covid sur le transport maritime n'y sont pas étrangères. La situation de surstockage a été réglée par des procédures exceptionnelles, mais pose la question de la liaison entre nos deux territoires de l'océan Indien et l'Europe, distante de 9 000 kilomètres.

Les eurodéputés ont opté pour durcir l'exportation de déchets même dangereux hors Union européenne. Madame la ministre, pouvez-vous garantir que la France usera de toute son influence dans les négociations à venir afin que les mesures prévues soient adaptées aux outre-mer ? Comment envisagez-vous la coopération entre les outre-mer et les États de leur voisinage ?

M. Jacques Fernique .  - Je remercie la délégation aux outre-mer pour ce travail considérable. La problématique des déchets en outre-mer est moins une particularité exotique qu'une mise à l'épreuve de notre politique publique globale, un révélateur de ses carences, mais également des innovations prometteuses pouvant amener à des avancées dont la métropole pourrait aussi bénéficier.

Là-bas comme ici, l'équation est du même ordre : chacune des trois parties -  consommateur, producteur, État - doit assurer ses responsabilités. Or, alors que les dépôts sont structurellement plus élevés dans les outre-mer, les filières REP ne sont pas assez contraignantes et les éco-organismes n'ont pas d'objectif par territoire, ce qui est encore plus handicapant pour les outre-mer.

Dengue, saturnisme, hépatite A : ces maladies prolifèrent en raison des décharges sauvages. Les outre-mer abritent 80 % de la biodiversité française : des mangroves souillées par des déchets, c'est une catastrophe écologique, sanitaire, sociale et touristique. La France milite pour un traité sur les pollutions plastiques : il faut une application concrète dans les outre-mer.

J'appuie la recommandation consistant à hausser les exigences des filières REP. L'éco-organisme doit être soumis à un objectif territorial et risquer une sanction spécifique : comment, sinon, les inciter à agir dans les outre-mer, alors que les coûts de gestion des déchets y sont plus élevés ? Les outre-mer doivent être habilitées pour intervenir dans les cahiers des charges : il faudra abaisser de 100 tonnes à une le seuil de prise en charge des dépôts sauvages par les éco-organismes.

Comme nos collègues le proposent, il faut aussi fournir aux outre-mer les moyens de répondre aux coûts plus élevés de gestion des déchets, alors que c'est sur les contribuables que pèsent les contraintes. Comme le souligne l'association Amos, un centre de tri ne peut pas être monté aussi facilement dans les outre-mer qu'à Paris. L'État doit mettre sur la table 250 millions d'euros sur cinq ans pour Mayotte et la Guyane.

Le bon principe de la TGAP devient un frein dans les outre-mer. L'exonération de TGAP est donc capitale.

Enfin, la recommandation 23, largement développée dans la proposition de résolution européenne de nos collègues, vise une meilleure adaptation des dispositifs européens aux outre-mer.

Si tout ce débat, le rapport de la délégation et la proposition de résolution européenne restaient lettre morte, la déception serait immense. Le Gouvernement a donc une grande responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER)

M. Georges Patient .  - En matière d'urgence, tout est question de perception. Il semblerait que l'urgence liée à la gestion des déchets en outre-mer passe sous les radars de l'État. L'excellent rapport de Gisèle Jourda et Viviane Malet réveillera peut-être la puissance publique.

La gestion des déchets concerne autant la santé publique que l'environnement et le développement économique, au même titre que l'assainissement et l'adduction d'eau potable.

L'urgence se situe bien dans la protection de la santé des habitants de nos territoires et la préservation du cadre de vie. Les défaillances apparaissent de la production à l'élimination des déchets. Nous en sommes encore à éviter que la majorité des déchets ne finissent dans la nature. Il faut davantage d'équipements de base : enfouissement, incinération, déchetteries, collecte.

Dans certaines parties de la Guyane, les seuls moyens d'accès sont la pirogue ou l'avion, et la collecte est une gageure. Mais le tri l'est tout autant : avec deux usines de traitement, la Guyane affiche un taux de 18 % de valorisation, l'essentiel des déchets étant enfouis. L'enfouissement atteint 67 % dans les outre-mer, contre 15 % au niveau national.

La collecte est la mère des batailles : plus nous collectons, plus nous protégeons les populations et développons la revalorisation. Mais comment financer ces collectes ? Le rapport cite le cas extrême de Camopi, en Guyane, qui ne touche aucune taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM). En moyenne, en outre-mer, la TEOM ne couvre que 80 % du coût du service public -  dans certaines communes, c'est seulement 15 %.

Il faut donc faire appel à la solidarité nationale, avec une taxe à l'image de la taxe sur la consommation finale d'électricité, pour financer la gestion des déchets dans les régions les plus éloignées. Comment la population de Guyane pourrait-elle payer un service de gestion des déchets qui coûte 1,7 fois plus cher qu'en métropole ?

La taxe pollueur-payeur était séduisante, mais le montant de la taxe gonfle sans que les collectivités puissent réorienter les déchets vers d'autres filières REP. Cette taxe devient alors contre-productive : il faut suspendre l'application de la TGAP dans les outre-mer.

Par ailleurs, des comportements d'évitement sont constatés, certains professionnels se débarrassant de leurs déchets dans des dépôts sauvages. En plus de payer la TGAP, les collectivités doivent alors nettoyer leurs paysages : double peine. Il faut donc abaisser le seuil de prise en charge par la filière REP à 1 tonne.

Le coût sera-t-il supportable pour nos économies étroites ? Pourquoi exclure d'emblée la valorisation énergétique des déchets ? Le Gouvernement compte-t-il profiter du prochain conseil interministériel sur les outre-mer pour avancer ?

Mme Gisèle Jourda .  - L'urgence sanitaire liée à la gestion des déchets n'est pas qu'un sentiment. Le rapport fournit quelques données objectives permettant de se rendre compte que le climat, la densité de population et la pauvreté exacerbent les risques.

La commission d'enquête sur la pollution des sols, dont j'étais rapporteure en 2020, avait mis en lumière les risques de pollution invisible dont la mémoire se perd bien souvent trop rapidement. Nos déplacements et nos auditions ont mis en évidence une dure réalité. Mayotte est un cas paroxystique : décharges à ciel ouvert où les enfants jouent, femmes lavant leur linge dans des eaux polluées. En Guyane, l'espace disponible dilue la sensation de débordement, mais la situation est similaire.

L'abandon des déchets sur l'espace public ou privé, notamment les batteries, l'électroménager et les véhicules hors d'usage, favorise la prolifération de nuisibles et de rongeurs porteurs de maladie. Des pollutions diffuses sont à craindre : le saturnisme infantile est observé à La Réunion autour des zones d'abandon de batteries.

La tendance à une hausse exponentielle est alarmante : les déchets abandonnés sont autant de gîtes larvaires pour les moustiques, propageant la dengue ou le Zika, entraînant des maladies comme la leptospirose, mortelle dans 54 % des cas ; en Guyane, cette maladie est soixante-dix fois plus fréquente qu'en métropole. La typhoïde ou l'hépatite A sont également concernées.

Il y a eu vingt-trois cas de paludisme à Mayotte sur les huit premiers mois de 2022, et 100 cas de saturnisme. Le territoire cumule maladies vectorielles et zoonotiques. Il est naturellement impossible d'imputer ces maladies aux seuls déchets, mais ces derniers créent des conditions plus favorables aux contaminations.

Quant à la qualité de l'air, elle souffre de l'incinération des déchets verts, fréquente. Pis, les décharges dégagent en brûlant des fumées toxiques, sans parler des déchets radioactifs de Polynésie française, dont Lana Tetuanui parlera mieux que moi. Les conséquences à long terme sont encore mal connues.

Les déchets miniers en Guyane, issus notamment de l'orpaillage, sont également à l'origine de la contamination des poissons. La Nouvelle-Calédonie est également concernée.

La priorité serait de poser les bases d'une politique des déchets : infrastructures, centres de collecte, sites de stockage manquent. Il faut aller à l'essentiel pour prendre le virage de l'économie circulaire, notamment à Mayotte et en Guyane.

Mon territoire audois a été historiquement touché par les mines. Nous ne pouvons abandonner les territoires d'outre-mer : des mesures urgentes doivent être à la hauteur des enjeux.

M. Gérard Lahellec .  - Notre débat témoigne de l'importance de chaque politique publique pour le quotidien des Français. Sur la gestion des déchets en outre-mer, le rapport d'information de la délégation est alarmant : il est urgent d'agir.

Les outre-mer souffrent d'un retard majeur en la matière. L'urgence sanitaire et environnementale nous alerte. Ainsi, le taux d'enfouissement y est de 67 %, contre 15 % au niveau national, et le coût de gestion des déchets ménagers est 1,7 fois plus élevé que dans l'Hexagone. On collecte 14 kg d'emballages ménagers par habitant dans les territoires d'outre-mer, pour 51 kg en moyenne en France. C'est lié à un retard d'équipement.

Dans un contexte de crise sociale à Mayotte et en Guyane, cette inaction est une nouvelle source de mécontentement. Le rapport formule des recommandations pertinentes pour rattraper le retard dans ces deux territoires.

Il n'existe pas de recyclage adapté, ni de filière dédiée - pas d'économie circulaire répondant aux réalités locales. Des gisements de déchets, notamment dans les quartiers informels, avec leurs dépôts sauvages, échappent à la collecte : 45 % des habitants de Mamoudzou n'en bénéficient pas. Une part importante de la population se trouve sans accès à l'eau potable, donc exposée à des pathologies comme la dengue et l'hépatite A.

Le coût environnemental est énorme : les sols pollués empêchent l'épanouissement de la faune et de la flore, alors que les outre-mer abritent 80 % de notre biodiversité.

Les financements sont insuffisants, tels qu'ils ressortent de la loi de finances pour 2023, et les taxes ne sont pas la solution à tout. Il faut accompagner concrètement les élus, la santé des habitants en dépend.

La prévention et la pédagogie sont inexistantes : il faudrait des moyens pour montrer l'importance des petites actions au quotidien. Il faut une vraie gouvernance, avec des pénalités si nécessaire, notamment à l'endroit des éco-organismes.

L'enjeu, ce sont les générations futures : la cote d'alerte est trop souvent dépassée pour certains territoires d'outre-mer. L'égalité républicaine doit devenir une réalité là où on en a le plus besoin. (Applaudissements sur les travées du GEST et du groupe SER)

Mme Lana Tetuanui .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains) Après six mois de travaux, la délégation sénatoriale aux outre-mer est parvenue à un constat général alarmant, plus particulièrement dans des départements en urgence sanitaire et environnementale. Seuls 15 % des déchets sont valorisés en outre-mer, alors que, dans l'Hexagone, 15 % des déchets sont enfouis.

Certes, des politiques locales ont placé certains territoires dans une situation plus avancée, grâce à des actions de sensibilisation au tri et à des investissements structurants. Nous, élus ultramarins, connaissons les défis liés à l'insularité : absence de foncier, éloignement, coût du transport, sans oublier la nécessité de préserver la biodiversité, richesse de nos îles sur laquelle repose notre économie.

Il faut chaque jour de nouveaux moyens : la vague de déchets ne cesse de revenir. L'économie circulaire doit y être déployée, plus qu'ailleurs, avec une politique de conduite du changement à insuffler dans nos îles, où le danger sanitaire et environnemental est omniprésent, incarné par les décharges illégales et les dépôts sauvages.

Le rapport de Gisèle Jourda et Viviane Malet, que le groupe UC tient à saluer, nous confronte à une réalité inquiétante. Le taux de leptospirose, soixante-dix fois supérieur en Guyane et à Mayotte au taux national, illustre l'urgence d'un rattrapage massif.

Le flux croissant de déchets défigure les paysages et détruit la biodiversité, sans oublier les océans, poubelles de la pollution plastique. À l'heure du sommet de l'ONU contre la pollution plastique à Paris, il est urgent de trouver des solutions moins polluantes.

Je souscris entièrement aux préconisations du rapport et à la proposition de résolution européenne. La solidarité nationale doit jouer, et il faut mobiliser aussi les aides européennes pour adapter la gestion des déchets aux spécificités des régions ultrapériphériques (RUP), simplifier les procédures d'exportation des déchets et permettre la conclusion d'accords régionaux.

Dans ma collectivité, la charge de la collecte et du traitement des déchets revient aux communes depuis 2004, grâce à un amendement d'un éminent sénateur... Or faute de moyens d'ingénierie, elles ne seront pas en mesure d'assumer cette charge avant l'échéance au 31 décembre 2024. Les demandes récurrentes d'évaluation de cette charge n'ont toujours pas abouti. L'appui de l'État à une étude globale est primordial.

Espérons que nos décharges à ciel ouvert seront définitivement condamnées, pour la préservation de notre biodiversité et de notre santé, avec l'aide de l'État et de l'Europe. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

M. Stéphane Artano .  - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC) La gestion des déchets, comme la gestion de la compétence eau et assainissement, est un marqueur fort de la réussite ou de l'échec de nos politiques publiques.

Les deux communes de Saint-Pierre-et-Miquelon gèrent la collecte de tous les déchets, compte tenu de l'absence d'opérateurs privés pour traiter ceux des entreprises. Ce n'est pas tenable, d'autant qu'une grande partie des déchets non valorisés sont brûlés à ciel ouvert. Les maires ont fait part de leur désarroi à nos rapporteures.

En revanche, la collecte des déchets ménagers obtient des résultats remarquables : l'archipel a été en mesure de l'assumer dès 2018. Le ministre Jean-François Carenco, dont je salue l'engagement, a pu mesurer sur place, début mai, l'ampleur des défis.

Il existe un plan national de résorption des décharges sur le littoral. Pourquoi celle de Saint-Pierre n'a-t-elle pas été retenue, alors qu'elle déborde sur le domaine public maritime, et qu'un signalement de l'Office français de la biodiversité vaut une enquête judiciaire au maire ? Je demande donc un diagnostic du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) en vue d'un accompagnement.

De plus, nos décharges sont saturées de véhicules, d'accumulateurs et de pneus. Nous souhaitons une opération d'enlèvement de ce stock historique, avec le soutien de l'État.

Ensuite, les éco-organismes doivent se montrer plus actifs. Le Gouvernement les a réunis pour les mettre face à leurs responsabilités et leur demander une feuille de route territorialisée. Madame la ministre, peut-être avez-vous des éléments à nous communiquer ? À Saint-Pierre-et-Miquelon, un consensus existe autour d'une plateforme interfilières REP, avec un représentant local.

Il faudra sans doute un cahier des charges propre à l'archipel et des mécanismes de pénalités, ainsi qu'un incinérateur de petite capacité à Saint-Pierre, qui sera utilisé par les deux communes.

En 2014, la maire de Saint-Pierre, Karine Claireaux, a obtenu le label « Zéro déchet, Zéro gaspillage » pour sa ville. Saint-Pierre-et-Miquelon est sans doute l'un des territoires où les efforts ont été les plus importants. Le maire actuel, Yannick Cambray, poursuit ces efforts, en lien avec Miquelon-Langlade.

J'en appelle à un suivi étroit de l'État pour une gestion vertueuse des déchets. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe INDEP, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains ; Mme Gisèle Jourda applaudit également.)

Mme Marta de Cidrac .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Nos outre-mer ont toujours occupé une place à part, avec une diversité qui a fondé une singularité parfois mal comprise. L'éloignement, les différences climatiques, les spécificités insulaires imposent au législateur un effort permanent de contextualisation et de différenciation.

Ce débat est l'occasion d'en prendre conscience alors que s'ouvre à Paris la négociation sur les pollutions plastiques. Je salue le rapport d'information de notre délégation aux outre-mer.

À des milliers de kilomètres, ces territoires de faible superficie confèrent à notre pays le deuxième domaine maritime mondial. Notre responsabilité environnementale est donc, elle aussi, mondiale. À travers leur statut de RUP, nos outre-mer donnent aussi à l'Union européenne une présence sur tous les continents. C'est un atout qui justifie la prise en compte de leurs spécificités.

Ce contexte est essentiel à la compréhension de la politique de gestion des déchets. J'ai rencontré, dans le cadre de l'évaluation de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), les élus et professionnels du secteur.

Deuxième espace maritime mondial, la France abrite 10 % des récifs coralliens, 20 % des atolls et 10 % de la diversité des espèces marines dans le monde. Il nous revient de laisser à nos enfants des espaces protégés. En effet, Guyane exceptée, nos outre-mer sont insulaires et donc plus sensibles à la pollution.

Les risques sont aussi sociaux et économiques : les terres arables et l'eau potable disparaissent.

Les carcasses de voiture parsèment nos îles. Dans l'Hexagone comme dans les outre-mer, un mauvais traitement des déchets est lourd de conséquences. Quid de la hausse du nombre véhicules électriques et du traitement des batteries ? De l'évolution des modes de consommation, avec la fast fashion et les objets technologiques ? Faute d'exutoire, les territoires seront saturés.

Notre délégation a identifié des pistes locales : beaucoup d'acteurs se disent entravés par le règlement européen sur le transfert de déchets (RTD) qui empêche l'exportation de déchets dangereux vers les pays tiers à proximité. Ce n'est pas viable d'un point de vue environnemental, alors que certains ports ont les infrastructures nécessaires au traitement ou au transit.

En principe, ce règlement met en oeuvre la convention de Bâle en matière de déchets dangereux, mais, dans les faits, il est bien plus strict. Dans le cadre de sa renégociation, nos territoires ultramarins comptent sur votre voix. La France est le seul pays à compter autant de RUP, si éloignées. C'est un atout à valoriser, non à pénaliser. La France doit plaider pour un assouplissement, sous peine de préparer les bombes à retardement de demain.

La délégation a identifié des axes de progression clairs, de l'amélioration de la gouvernance au développement de l'économie circulaire, en passant par une incitation des filières REP à mettre en oeuvre une obligation de résultat. Ces dispositions figurent déjà dans la loi Agec : déployons-les vraiment dans les outre-mer ; en parallèle, négocions sur la question des RUP et la définition d'une véritable stratégie maritime qui protège nos outre-mer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains)

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité .  - (Mmes Gisèle Jourda et Viviane Malet applaudissent.) Je remercie la délégation aux outre-mer, ainsi que Gisèle Jourda et Viviane Malet pour leur rapport qui inspirera l'action du Gouvernement.

Je vous prie d'excuser Jean-François Carenco, actuellement en Nouvelle-Calédonie avec Gérald Darmanin et qui a fait de la gestion des déchets l'une de ses priorités.

Le constat est alarmant, mais, comme l'a souligné M. Artano, le but est d'ouvrir des perspectives de progrès. Ainsi, 67 % des déchets ménagers sont enfouis, leur gestion est 1,7 fois plus coûteuse. Trois à quatre fois moins de déchets d'emballage vont dans les bacs jaunes.

Votre rapport dresse un état des lieux des difficultés : coûts, absence de marché, difficultés à exporter, éco-organismes trop peu mobilisés. Les dépôts sauvages polluent les cours d'eau et les nappes phréatiques, favorisant la prolifération de moustiques et de rongeurs.

Les lois Agec et Climat et résilience fixent des objectifs ambitieux qui imposent de redoubler d'efforts pour nos compatriotes ultramarins souffrant d'un sentiment d'abandon. Nous préparons un plan concret et territorialisé, avec une feuille de route interministérielle, partant de votre rapport et des retours des préfets et de l'Ademe.

Le premier axe d'amélioration est la gouvernance, avec un important travail de rationalisation à mener par les collectivités, compétentes en matière de déchets. L'État est à leurs côtés, comme le montre son action auprès du syndicat martiniquais de traitement et de valorisation des déchets (SMTVD).

Le prochain conseil interministériel des outre-mer (Ciom), le 12 juin à 15 heures, sera l'occasion de reprendre directement certaines de vos recommandations, dont l'autorité unique et la gratification du geste de tri.

L'État est au rendez-vous des financements, avec les contrats de convergence et de transition. Ainsi, le ministre des outre-mer a conventionné 41 millions d'euros avec l'Ademe pour accompagner les collectivités, malheureusement pas assez consommés, comme souvent en outre-mer. Rien ne sert de voter des budgets mirobolants s'ils ne sont pas dépensés. C'est pourquoi le Gouvernement envisage de mettre à la disposition des collectivités une expertise en matière d'ingénierie.

En outre, le fonds européen d'investissement (FEI) apporte une aide ponctuelle. Depuis 2010, 31,2 millions d'euros de projets ont été financés à ce titre, soit 2,6 millions par an. Cette année, Jean-François Carenco doublera cette enveloppe et les efforts seront concentrés sur la Guyane.

Le Fonds vert est aussi un outil dont les collectivités ultramarines doivent se saisir : la Martinique recevra 870 000 euros à ce titre. Les fonds européens sont des atouts précieux : pour la période 2017-2020, 155 millions d'euros ont été engagés en faveur de la gestion des déchets en outre-mer. La commissaire européenne à la cohésion et aux réformes, Elisa Ferreira, déplore régulièrement dans nos échanges la sous-consommation des fonds européens. Les collectivités doivent se saisir de ces opportunités de financement.

Les éco-organismes des filières REP ne sont pas au rendez-vous en outre-mer : cette situation est anormale. La loi Agec prévoit un rattrapage du retard pris d'ici trois ans.

M. le président. - Il faut conclure, madame la ministre.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée.  - Concernant le transfert des déchets, les autorités françaises sont pleinement mobilisées dans la révision du règlement européen, pour faciliter les conditions de transit vers l'Union européenne.

Je vous remercie une fois encore pour la qualité de vos travaux. Avec Jean-François Carenco et Bérangère Couillard, nous comptons sur le prochain Ciom pour améliorer encore la gestion des déchets en outre-mer.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je remercie la ministre pour sa participation.

Sur ce sujet fondamental, notre délégation attend des réponses claires ; vous avez commencé à en apporter. Vingt-six recommandations sont sur la table, il appartient au Gouvernement de s'en saisir. Notre délégation en assurera un suivi précis, sans esprit partisan.

Le Ciom se tiendra le 12 juin prochain : le volet consacré aux déchets nous semble prioritaire. Après vos propos positifs, nous attendons désormais des actes.

Notre délégation a noté que Bérangère Couillard et Jean-François Carenco avaient demandé, le 6 avril dernier, aux éco-organismes de se mettre à niveau dans les outre-mer. À défaut, je vous invite à engager les mécanismes de pénalité et à abaisser les seuils de responsabilité. Agir vite et fort est impératif, comme l'a dit Gisèle Jourda.

La question des déchets comporte, outre les enjeux sanitaires et environnementaux, une dimension économique, car le développement touristique suppose des plages propres, dénuées d'épaves. Le traitement des déchets peut aussi apporter de la valeur ajoutée en développant des filières économiques locales.

Les déchets sont un service public du quotidien, comme l'eau potable et l'électricité. La crise de confiance constatée lors des dernières élections en outre-mer est un symptôme des insuffisances de nos politiques en la matière.

La pertinence d'éventuelles évolutions institutionnelles doit être évaluée à l'aune de l'efficacité de ces politiques. Autre aspect transversal, l'ingénierie, point faible de nos outre-mer.

Le rapport formule des propositions essentielles. La différenciation et la territorialisation sont des exigences incontournables. Il faut réexaminer la hiérarchie des modes de traitement : il vaudrait mieux valoriser localement les déchets que de les expédier à l'autre bout du monde. La stratégie doit être définie territoire par territoire.

Madame la ministre, je suis partisan des feuilles de route territorialisées. Le Gouvernement n'est pas seul responsable : les collectivités, les acteurs qui ne sont pas investis dans la gestion des déchets le sont tout autant. La solution passe par une contractualisation territoriale. Gouvernement, éco-organismes, élus, nous devons tous être au rendez-vous ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et des groupes UC et Les Républicains)

La séance est suspendue quelques instants.