SÉANCE
du jeudi 27 mars 2025
74e séance de la session ordinaire 2024-2025
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires : Mme Alexandra Borchio Fontimp, Mme Véronique Guillotin.
La séance est ouverte à 11 h 05.
Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.
Rapport public annuel de la Cour des comptes
M. le président. - L'ordre du jour appelle le débat à la suite du dépôt du rapport public annuel de la Cour des comptes.
Huissiers, veuillez faire entrer M. le Premier président de la Cour des comptes et le M. le rapporteur général de la Cour.
(M. Pierre Moscovici, Premier président, prend place au banc du Gouvernement, ainsi que M. Yves Rolland, rapporteur général près la Cour des comptes.)
Monsieur le Premier président de la Cour des comptes, monsieur le rapporteur général, c'est avec plaisir que nous vous accueillons ce matin pour notre débat sur le rapport public annuel de la Cour.
Ce rendez-vous important nous apporte un éclairage précieux pour l'exercice de notre mission constitutionnelle de contrôle de l'action du Gouvernement. Vos conclusions et les orientations qui les accompagnent nourrissent également nos débats législatifs. Merci pour votre présence et pour la qualité de la relation entre la Cour et le Sénat.
Comme chaque année, je donnerai la parole aux représentants de la commission des finances et de la commission des affaires sociales, puis à un représentant de chaque groupe politique, afin que le Sénat puisse s'exprimer, dans sa diversité, sur les observations et recommandations formulées dans ce rapport public annuel.
Monsieur le Premier président, vous vous êtes penché cette année sur nos politiques publiques en faveur de la jeunesse. L'effort de la nation est réel. Nous vous écouterons avec intérêt sur l'évaluation de l'ampleur et de l'efficacité de cet effort.
En tout état de cause, il reste des défis à relever. Au premier rang desquels figurent les disparités territoriales, notamment dans les zones rurales et outre-mer, où la question de l'égalité d'accès aux services publics est prégnante. Nous nous en faisons souvent l'écho au Sénat et nous sommes pleinement à la tâche sur ces questions.
Nul doute que votre rapport aura des répercussions auprès de notre assemblée, qui représente les collectivités territoriales, en première ligne sur ces politiques.
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Merci, monsieur le président, de vos mots de bienvenue, qui traduisent la qualité des liens qui unissent nos deux institutions - j'y suis attaché. L'un de mes illustres prédécesseurs, Philippe Séguin, disait que la Cour est à équidistance entre le Gouvernement et le Parlement. Nous répondons volontiers aux demandes du Parlement et travaillons efficacement avec vos commissions des finances et des affaires sociales.
Le rapport public annuel est le fruit d'un travail collectif de toutes les chambres de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC). Je remercie le rapporteur général, les présidentes et présidents de chambre et toutes leurs équipes. Je remercie aussi le groupe de dix experts spécialistes de la jeunesse qui nous ont apporté un éclairage précieux - c'était une innovation.
La publication de ce rapport public annuel est un rendez-vous historique : il date de 1832, quelques années après la création de la Cour des comptes, par Napoléon, en 1807. J'y suis très attaché et nos concitoyens y sont attentifs.
Ce rapport a toutefois changé de nature depuis 2022. Depuis que tous nos rapports sont publiés, il n'est plus pertinent de réaliser un mélange de nos principales observations : nous avons donc choisi d'établir un rapport public annuel thématique, selon un choix collégial.
Cette année, notre choix s'est porté sur les politiques publiques en faveur des jeunes, alors que nous abordons un tournant démographique. Notre action en faveur de la jeunesse est une nécessité et une opportunité. C'est un investissement stratégique pour une société plus résiliente, plus prospère et plus équitable.
La jeunesse n'a pas de définition juridique. C'est une période de construction de l'identité, marquée par des défis psychologiques et des basculements, qui, sans accompagnement, peuvent être source de vulnérabilité, d'exclusion voire d'échec. Nous avons choisi la tranche d'âge 15-25 ans, de la sortie du collège à l'accès à l'ensemble des droits sociaux et fiscaux - dont le RSA, à 25 ans. Notre rapport ne traite donc ni de l'école primaire ni du collège.
Ces 9 millions de jeunes représentent 13,2 % de la population, une proportion qui baissera de façon alarmante sur les dix prochaines années, pour devenir inférieure à celle des plus de 75 ans.
Ce rapport est confiant : l'accès des jeunes à l'autonomie est globalement réussi. Ils achèvent leurs études à 21 ans et demi ; ils sont plus de la moitié à être diplômés de l'ensemble supérieur ; ils quittent le domicile parental à 23 ans et demi ; 88,5 % d'entre eux sont en études, en formation ou en emploi.
Les dépenses de l'État qui leur sont spécifiquement destinées s'établissent à 53,4 milliards d'euros - dont 40 milliards d'euros de dépenses d'éducation -, soit 12 % du budget de l'État et 2 % du PIB. S'y ajoutent les dépenses des collectivités territoriales et des organismes de sécurité sociale.
Autre défi, les jeunes sont particulièrement exposés aux inégalités économiques, sociales, éducatives et territoriales. Le taux de pauvreté des 18-25 ans est de 10 % - c'est élevé même si c'est moins qu'en Allemagne ou que la moyenne des pays de l'OCDE. Les inégalités territoriales d'accès à l'enseignement supérieur, aux transports collectifs, à la pratique sportive et à l'emploi restent importantes, selon qu'on vit en ville, à la campagne, outre-mer, ou dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Ainsi, seulement 20 % des jeunes ruraux accèdent à l'enseignement supérieur - contre 32 % des jeunes urbains -, alors qu'ils y obtiennent de meilleurs résultats.
Autre défi, comment élaborer des politiques publiques efficaces et ciblées ? Depuis les années 1980, la jeunesse a été érigée en priorité des politiques publiques, longtemps centrées sur l'insertion professionnelle ; celles-ci englobent désormais l'autonomie, l'égalité des chances et la participation à la vie publique. Les instruments se sont multipliés : fonds d'expérimentation pour la jeunesse, agence du service civique, service public de l'orientation, RSA... Mais il manque une approche structurée et coordonnée.
La gouvernance de cette politique est fragmentée entre de très nombreux acteurs, sans une organisation qui chapeauterait cette politique globale et répondrait de ses décisions devant Parlement et les citoyens.
Ces enjeux se cristallisent autour de grandes questions, que nous avons traitées en seize monographies. Le rapport public annuel ne comprend plus de premier chapitre sur la situation des finances publiques, publié le 13 février dernier sous forme d'un rapport ad hoc. Ces seize monographies ne sont pas exhaustives, mais sont le reflet des résultats de nos politiques et des défis auxquels nous sommes confrontés.
La première partie du rapport traite de l'accès des jeunes à l'éducation et la formation, au travers de quatre enquêtes - orientation, obligation de formation des jeunes décrocheurs, prévention de l'échec universitaire, accès des jeunes ruraux à l'enseignement supérieur.
Malgré son coût de 400 millions d'euros, l'orientation au lycée ne permet pas de dépasser les déterminismes. Nous préconisons des modules obligatoires dans la formation initiale des enseignants et l'adaptation de leurs emplois du temps pour qu'ils assument pleinement cette compétence.
Les jeunes ruraux accèdent beaucoup plus difficilement que les jeunes urbains à l'enseignement supérieur ; lorsqu'ils le peuvent, ils suivent surtout les cursus courts. Or leurs résultats aux examens sont meilleurs. Il faut donc avant tout favoriser leur mobilité vers les pôles de formation. Nous préconisons aussi de modifier le calcul des bourses pour tenir compte de leur éloignement géographique.
La deuxième partie du rapport porte sur l'entrée des jeunes dans la vie active - emploi, logement, mobilité et accompagnement des jeunes majeurs de l'aide sociale à l'enfance (ASE).
Depuis 2017, le niveau d'emploi des jeunes s'améliore, essentiellement grâce à l'alternance. Le coût annuel des dispositifs pour l'emploi des jeunes est de 7,3 milliards d'euros. Mais la Cour a observé des difficultés structurelles persistantes. L'entrée dans l'autonomie est globalement réussie, mais 10 % des jeunes ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation. L'accès à l'emploi est très dépendant du diplôme, avec des différences territoriales fortes. La Cour préconise une stratégie contracyclique, mieux articulée avec le droit commun et davantage ciblée sur les jeunes les plus éloignés de l'emploi.
Le logement des jeunes a ses spécificités : mobilité fréquente, petites surfaces en ville, faibles revenus. Or cette politique publique est très fragmentée. Il faut renforcer la coordination locale à l'échelle de chaque territoire, et désigner un chef de file national.
Quelque 38 % des jeunes ruraux ont déjà renoncé à un entretien d'embauche à cause de difficultés de déplacement. Les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) ont privilégié les réductions tarifaires, mais c'est surtout le manque d'offre de transport qui est limitant. Il faut améliorer notre connaissance des besoins des jeunes, mieux tenir compte des ressources dans l'octroi d'avantages tarifaires et mieux coordonner l'offre entre collectivités.
La troisième partie du rapport a trait à la prévention, s'agissant du sport, des addictions et de l'alimentation.
Sur le sport, les chiffres globaux sont excellents : près de 80 % des jeunes Français sont des sportifs réguliers, avec 16,5 millions de licenciés. Mais les politiques publiques s'adressent davantage aux jeunes déjà sportifs, alors que leur cible devrait être les plus éloignés de la pratique sportive - femmes, jeunes en situation de handicap ou qui connaissent des difficultés socio-économiques.
Un jeune sur dix s'estime dépendant aux drogues ou à l'alcool et 2,6 % des jeunes consomment de l'alcool quotidiennement. Nous ne sommes pas bons par rapport à nos voisins européens. Il faut une politique plus volontariste et transversale, avec des campagnes de communication ciblées et un prix minimum de l'unité d'alcool.
Il faut aussi prévenir l'obésité chez les jeunes, qui limite l'espérance de vie et pèse sur les comptes sociaux. Environ 15 % des adultes sont obèses - ce taux est de 38 % en Nouvelle-Calédonie et de 48 % en Polynésie... Cela doit devenir une priorité.
La quatrième partie du rapport concerne à l'apprentissage à la citoyenneté.
La journée défense et citoyenneté (JDC) concerne 800 000 jeunes chaque année, pour 100 millions d'euros. La base juridique de ce dispositif, raccourci à 2 h 45 en 2024, est fragile. Il a été sans cesse ajusté et remanié et ses messages sont brouillés. Le ministre des armées veut remilitariser la JDC. Il faudrait en profiter pour la rationaliser, alors qu'il est essentiel de renforcer le lien entre les jeunes, la nation et l'armée.
Les jeunes sont surreprésentés dans la population délinquante : 26 % des mis en cause, 34 % des poursuivis, 35 % des condamnés. Or l'efficacité de la politique pénale est limitée, malgré 2 milliards d'euros consacrés chaque année aux jeunes. Le taux de récidive est plus élevé que dans le reste de la population. Les outils de l'État sont trop faibles. Il faut développer une action précoce en direction des familles.
De ces seize coups de sonde, se dégagent deux idées-forces. Le problème est non pas la quantité de la dépense publique - la jeunesse française n'est pas abandonnée - , mais sa qualité. Et il faut mieux cibler.
Nous avons dégagé six orientations transversales. Un, mieux différencier les mesures en fonction des publics cibles, et passer d'un pilotage par l'offre à un pilotage par les résultats. Deux, repenser le contenu des parcours de formation initiale. Trois, améliorer la prévention. Pour atteindre ces trois objectifs, il faut renforcer la lisibilité des dispositifs publics pour limiter le non-recours. Nous avons ainsi observé une méconnaissance forte du système fiscal par les jeunes, dont 25 % trouvent légitime de frauder le fisc... Quatre, mieux coordonner l'action des acteurs concernés. Cinq, mettre en place des outils de suivi et d'évaluation rigoureux, car dans l'ensemble, ces politiques publiques sont utiles, appréciées et efficaces, mais insuffisamment suivies ; on manque par exemple de chiffres sur les décrocheurs. Six, doter la France d'un plan stratégique en faveur de la jeunesse. Les jeunes ont des besoins spécifiques, qui doivent être identifiés dans une stratégie nationale, si besoin en distinguant différentes catégories de jeunes, pour lutter contre les inégalités d'accès aux services publics.
Tels sont les messages de ce travail colossal. La Cour a constaté l'implication sans faille de tous les acteurs. Cela inspire confiance dans notre jeunesse et dans l'action publique en faveur de la jeunesse.
Les jeunes expérimentent plus que les autres que l'égalité des droits n'est pas l'égalité des chances. De nombreuses difficultés trouvent leur origine avant 15 ans : les inégalités naissent souvent à l'école.
La jeunesse est un moment passionnant, mais délicat et parfois difficile. N'oublions pas qu'elle est une ressource inestimable.
En matière de jeunesse, quand on se compare, on se console... (Applaudissements)
M. Claude Raynal, président de la commission des finances . - L'ensemble des relations entre la Cour et la commission des finances du Sénat ne se résume pas à cette remise traditionnelle du rapport public annuel. C'est ainsi que nous avons entendu, au début du mois, des magistrats financiers sur la gestion de l'eau potable et de l'assainissement outre-mer. Les rapporteurs spéciaux suivent avec attention les travaux de la Cour dans leurs champs de compétence.
Ce rendez-vous annuel n'est plus l'occasion d'échanger sur la situation des finances publiques, qui fait l'objet d'une publication séparée, en février. J'en suis un peu déçu, d'autant que nous partageons beaucoup de constats convergents, notamment sur la dérive des comptes publics depuis 2023 et le fait que l'année 2025 sera déterminante pour leur redressement. Les conclusions de notre mission d'information sur la dégradation des finances publiques ont été votées à l'unanimité - ce qui ne sera peut-être pas le cas ailleurs...
L'objectif du Gouvernement est de faire passer le déficit public de 5,4 % du PIB en 2025 à 4,6 % en 2026, tout en investissant dans la défense et en préservant le modèle social : cette équation ferait peur à plus d'un mathématicien. La porte-parole du Gouvernement a même parlé de cauchemar... Le déficit public atteint 5,8 % PIB en 2024 - moins que prévu. L'objectif de 5,4 % pour 2025 est donc peut-être atteignable.
Il a été beaucoup question de la jeunesse après le covid, puis ça a été oublié. Pierre Bourdieu disait que la jeunesse n'est qu'un mot : derrière, il y a des réalités très différentes et de profondes inégalités.
Le rapport montre que tous les jeunes n'ont pas les mêmes opportunités, selon leur lieu de vie, l'origine et les revenus de leurs parents, leur genre... Les politiques publiques ont donc la responsabilité majeure de rééquilibrer les règles du jeu.
Mais le rapport montre que le compte n'y est pas encore. On peut encore améliorer le ciblage vers les jeunes qui en ont le plus besoin et certains enjeux comme le transport ou le logement restent insuffisamment pris en compte. Le défi est considérable : un jeune sur dix vit sous le seuil de pauvreté et leur santé mentale s'est dégradée. Nous avons tous une responsabilité pour la jeunesse et je me réjouis que la Cour ait choisi ce thème.
L'accès aux transports collectifs est central, en particulier pour les jeunes ruraux. Vous le notez : le problème n'est pas tant le tarif que l'offre disponible. Dans le cadre de la loi de finances pour 2025, nous avons ainsi affecté 50 millions d'euros de quotas carbone aux AOM ; c'est modeste, mais c'est un début.
Les plus diplômés arrivent plus vite à l'autonomie - grâce notamment au soutien financier familial -, alors que 48 % des jeunes en non-emploi résident toujours chez leurs parents à la fin de leurs études. L'accès au logement est donc un angle mort. Les deux réseaux de résidences pour jeunes actifs ont une capacité quatre fois inférieure à celle des résidences universitaires à vocation sociale. Il faut répondre plus efficacement aux besoins.
Le taux de chômage des 18-25 ans est passé de 23,5 % en 2017 à 17,2 %, un taux deux fois plus élevé que celui de la population générale.
L'effort de l'État est indéniable : les aides ciblées en faveur de l'emploi des jeunes sont passées de 3,4 milliards d'euros en 2017 à 7,2 milliards en 2023, sous l'effet de la montée en puissance des aides à l'apprentissage. Mais la Cour note que la corrélation entre les deux n'est pas établie : le déterminant principal de l'accès des jeunes à l'emploi reste la conjoncture économique. La Cour préconise une stratégie contracyclique, à laquelle ne répond pas le maintien des dépenses à un niveau très élevé depuis 2022. Au cours de nos débats budgétaires, nous avons aussi préconisé un recentrage des aides sur les jeunes les plus éloignés de l'emploi.
Venons-en à deux points plus précis. La loi Taquet de février 2022 a créé un droit opposable à l'accompagnement des jeunes majeurs par l'ASE. Ils sont 31 000, deux fois plus qu'en 2010. Mais la loi est très inégalement appliquée d'un département à l'autre. En cause, la faiblesse de la compensation financière allouée par l'État : 50 millions d'euros par an, alors que les dépenses atteignent 1,2 milliard d'euros.
La Cour considère que l'orientation au lycée est trop tardive et un quart des lycéens en sont insatisfaits. L'orientation demeure genrée et inégalitaire : 13,7 % seulement de filles dans les terminales professionnelles à spécialité de production ; seuls 62 % des lycéens des zones rurales choisissent un lycée général et technologique, contre 76 % dans les villes. Depuis 2018, l'orientation relève des enseignants, mais ils sont peu formés.
Merci à la Cour pour ce tour d'horizon, qui sera précieux pour la préparation des prochains textes financiers. (Applaudissements)
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Je me félicite du choix de la Cour de traiter de la jeunesse : c'est une politique rarement évaluée. Quatre chapitres concernent directement notre commission des affaires sociales.
D'abord, l'emploi des jeunes. Alors que les moyens ont doublé depuis 2017 - 7,3 milliards d'euros en 2023 -, le taux de chômage des jeunes demeure 2,4 fois plus élevé que celui de l'ensemble des actifs.
L'enquête de la Cour le confirme : augmenter la dépense publique n'est pas un gage d'efficacité. L'amélioration du taux d'emploi des jeunes n'est donc pas la conséquence de l'intensification de l'effort des pouvoirs publics, car la conjoncture économique reste le premier déterminant.
Aussi paraît-il urgent de revoir notre stratégie. Le plan « 1 jeune, 1 solution » ne peut pas être prolongé indéfiniment. Au cours des débats budgétaires, le Sénat a cherché à recentrer l'aide à l'embauche d'un apprenti sur les TPE-PME et les jeunes les moins qualifiés, pour éviter les effets d'aubaine.
La Cour s'est aussi intéressée aux évolutions du contrat d'engagement jeune (CEJ), issu de la loi pour le plein emploi de 2023. Le rapprochement des missions locales et de France Travail a abouti à un équilibre fragile. La réduction du nombre de contrats, recentrés sur les publics les plus éloignés de l'emploi, est une piste prometteuse.
Autre sujet d'importance, la prise en charge des jeunes majeurs issus de l'ASE. La loi Taquet, qui confie aux départements une prise en charge jusqu'à 21 ans, limite les sorties sèches de la protection de l'enfance. Les jeunes majeurs représentent désormais 18,9 % des bénéficiaires de l'ASE en 2021, contre 11,7 % en 2017. Alors que la dépense atteint 1,2 milliard d'euros, c'est le parent pauvre de la protection de l'enfance, car l'enveloppe de l'État n'est que de 50 millions d'euros, répartie au prorata du nombre de jeunes majeurs et sans regard sur ce que font les départements.
Les dispositifs de la loi de 2022 sont loin d'être pleinement appliqués : la commission départementale d'accès à l'autonomie n'est pas mise en place partout et l'entretien de bilan six mois après le contrat jeune majeur n'est pas toujours réalisé, faute de moyens. Les disparités territoriales sont importantes : le taux de prise en charge des jeunes majeurs est de 38 % en Seine-et-Marne, quand il est de 83 % en Gironde. Nous regrettons l'absence de pilotage global. Alors que 15 à 30 % des enfants de l'ASE sont en situation de handicap, aucun accompagnement spécifique n'est prévu pour ces jeunes majeurs.
Autre sujet préoccupant, l'addiction aux drogues illicites et à l'alcool. Si la consommation baisse chez les mineurs, elle reste élevée chez les jeunes majeurs, qu'il s'agisse d'alcool, de cannabis ou de cocaïne.
Notre réponse sanitaire et médico-sociale est insuffisante et inadaptée. On déplore tout d'abord des carences majeures sur le repérage précoce, en raison de l'insuffisante formation des médecins généralistes. Ensuite, les jeunes se tournent peu vers les structures spécialisées d'accompagnement et l'offre hospitalière est insuffisante et peu ciblée sur les jeunes. Le seul dispositif ciblé, ce sont les 260 consultations jeunes consommateurs (CJC), notoirement sous-dimensionnées. Oui, il faut une politique de prévention plus ambitieuse et une prise en charge mieux coordonnée - les initiatives danoises et islandaises sont intéressantes à cet égard. Et il faut aussi impliquer davantage les institutions scolaires.
S'agissant de la JDC, la Cour des comptes pointe un modèle à bout de souffle, pris en étau entre des moyens humains qui se réduisent et des missions que le législateur enrichit toujours plus. Une JDC de 2 h 45 n'est pas conforme à la loi. Que veut-on faire de cette journée ? Quelques heures ne suffisent pas à insuffler l'esprit de défense, à susciter le civisme, à détecter l'illettrisme, à promouvoir l'égalité femmes-hommes...
En outre, la mise en place du service national universel (SNU) a perturbé l'organisation de la JDC. Nous devons mener une réflexion globale sur l'ensemble des dispositifs en direction de la jeunesse qui concourent au lien entre l'armée et la nation, pour supprimer ceux qui seraient redondants ou peu adaptés. La question du rapprochement entre le SNU et la JDC se pose et nous devrons trancher.
Merci à la Cour pour ses travaux. La commission des affaires sociales apprécie tout particulièrement notre collaboration. Je pense à la récente enquête sur la réforme de l'accès aux études de santé, ainsi qu'à celle sur la téléconsultation, mais aussi à vos éclairages sur les retraites, sur lesquels nous vous entendrons, avec la commission des finances, au début du mois de mai.
Vos travaux nous apportent toujours des éléments utiles pour alimenter nos propositions d'amélioration. Grâce à votre regard, neutre, nous pouvons prendre nos responsabilités. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP et sur quelques travées du groupe SER)
M. Marc Laménie . - (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC) L'an dernier, le rapport public annuel analysait nos politiques d'adaptation au changement climatique - un des sujets qui inquiète le plus notre jeunesse. Cette année, c'est la politique en faveur des jeunes dont l'efficacité est sondée. Ce travail nous sera très utile.
Au nom du groupe Les Indépendants, j'évoquerai l'accès des jeunes de territoires ruraux à l'enseignement supérieur. Sénateur des Ardennes, je sais que la marche est plus haute pour eux. Merci d'avoir pris la région Grand Est comme exemple. Les résultats ne m'étonnent pas, hélas. La France peut s'enorgueillir d'un taux de diplômés de l'enseignement supérieur des 25-34 ans supérieur à la moyenne de l'OCDE ; mais si 32 % des Français sont diplômés du supérieur, ils ne sont que 27 % dans le Grand Est, 20 % dans la Meuse et 18,6 % en Haute-Marne - cela doit être à peu près la même chose dans les Ardennes.
Les causes sont nombreuses et connues. Les formations post-bac présentes dans les territoires ruraux sont essentiellement des BTS et des centres de formation d'apprentis (CFA). La solution, c'est de redynamiser ces territoires, longtemps abandonnés par l'État : réindustrialisation, logements adaptés, transports en commun, etc.
Parmi vos nombreuses propositions, j'en retiens trois qui me semblent prioritaires et sans impact sur nos dépenses publiques : adapter l'emploi du temps des professeurs principaux pour qu'ils réalisent leur mission d'orientation, rendre plus accessibles les dispositifs d'accompagnement sur Parcoursup et renforcer l'offre de transports.
Nous devons remédier aux lacunes de cette politique publique, sans aggraver la dette dont les jeunes d'aujourd'hui porteraient demain le fardeau de l'impossible remboursement. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC ; MM. Georges Patient et Bruno Sido applaudissent également.)
M. Jean-François Husson . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Michel Canévet applaudit également.) En tribune, ne cessent de se succéder des jeunes de toute la France : ce débat les concerne.
Pas moins de 9 millions de jeunes Français de 15-25 ans bénéficient d'un budget de 53 milliards d'euros, soit 12 % du budget de l'État et 2 % de la richesse nationale. On pourrait penser que tous les voyants sont au vert... Mais les jeunes sont deux fois plus au chômage que l'ensemble des actifs ; quelque 60 % des 16-18 ans sortent du système scolaire sans formation ; et environ 10 % de la jeunesse n'a ni formation ni qualification.
Vous notez que les infrastructures sportives manquent dans les territoires ruraux.
L'éducation artistique et culturelle (EAC) concentre à elle seule 3,5 milliards d'euros en 2023. Mais son déploiement est mal réparti sur le territoire, puisque 40 % des écoles sont à plus de 15 kilomètres du premier théâtre, et un tiers d'entre elles du premier musée.
Merci pour votre recensement et votre travail de consolidation des dépenses des différents ministères.
Un nouveau choc de simplification permettrait d'y voir plus clair et de faciliter la pratique pour les millions de jeunes bénéficiant de ces politiques. Chacun y va de son grain de sel : ici le ministère, puis chaque niveau de collectivité. Je pense notamment au pass Culture, j'y reviendrai.
Votre rapport souligne paradoxalement le non-recours de nombreux jeunes à leurs droits, parfois par méconnaissance, par complexité ou par éloignement des centres de décision. Ils ont du mal à se retrouver dans ce maquis et ce phénomène est amplifié dans les territoires ruraux.
Les jeunes éloignés des villes subissent une double peine : ils sont éloignés des pôles universitaires, ce qui freine leur accès à l'enseignement supérieur ; ils ont un niveau de revenu inférieur à la moyenne nationale, ce qui freine aussi leur mobilité.
Attention à ne pas tomber dans une forme d'assignation à résidence préjudiciable, alors qu'il faut favoriser le mérite républicain.
Dans les départements très ruraux de la Haute-Marne et de la Meuse, les résultats des jeunes, lorsqu'ils accèdent à l'enseignement supérieur, sont supérieurs à la moyenne nationale. Il faut donc concentrer les dispositifs, les rendre lisibles et accessibles, pour que ceux-ci bénéficient directement à ces jeunes, mais aussi à ces territoires.
Il faut cibler les dispositifs. Nous devons définir les priorités et recentrer les dispositifs : c'est ce que nous avons fait pour l'apprentissage et le pass Culture dans le dernier PLF. Il faut une dépense publique efficace et qui donne confiance à notre jeunesse - nous lui devons bien cela. Je nous invite à poursuivre l'effort, le chemin est encore escarpé. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du groupe INDEP)
M. Georges Patient . - Nous ne pouvons qu'être d'accord avec l'introduction du rapport : les politiques publiques pour la jeunesse sont un investissement stratégique pour construire une politique plus équitable, résiliente et prospère.
Le RDPI vous remercie d'avoir choisi ce thème. Dans le contexte international actuel, marqué par des transformations rapides et des enjeux environnementaux toujours plus importants, il est essentiel de doter notre jeunesse des outils nécessaires pour relever ces défis.
L'État y consacre plus de 53 milliards d'euros, soit 12 % de son budget. Les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale y contribuent également. D'où une prolifération de dispositifs qui nuit à leur lisibilité et à leur efficacité, avec un fort non-recours.
Nous pourrions nous féliciter du grand nombre de diplômés de l'enseignement supérieur ; plus de la moitié des jeunes sortis d'études en 2021, c'est plus que dans le reste de l'Union européenne. Pourtant, cela cache de fortes inégalités territoriales : les jeunes ruraux ou ultramarins sont défavorisés. Notre système éducatif reste très inégalitaire, avec des propositions d'orientation influencées par le genre ou l'origine sociale ou territoriale, laissant de côté les jeunes des QPV, notamment.
L'insertion dans la vie active peut être difficile, accentuée par les freins à la mobilité.
Pourtant, le chômage des jeunes connaît une baisse continue. La généralisation de l'alternance est un progrès, mais il faut mieux la cibler, multiplier les passerelles vers l'emploi durable et l'adapter aux spécificités territoriales.
Les outre-mer concentrent les difficultés : les Neet (ni en emploi, ni en études, ni en formation) y sont surreprésentés, jusqu'à 38 % en Guyane, contre 10 % en moyenne nationale. Ce taux baisse au niveau national, stagne outre-mer, et augmente en Guyane.
L'illettrisme frappe entre 30 % et 50 % des jeunes Ultramarins.
Pas moins de 50 % d'une classe d'âge quitte le système scolaire sans diplôme autre que le brevet des collèges. Quel avenir pour les outre-mer avec une jeunesse si mal formée ?
De nombreux jeunes quittent leur territoire pour se former. Ce mouvement de départ sans retour est dramatique et pèse sur l'équilibre démographique, notamment aux Antilles. Il appauvrit le territoire avec une fuite des compétences souvent irréversible. Prenez connaissance du rapport de Rodolphe Alexandre sur la jeunesse ultramarine, dont les conclusions et recommandations sont proches de celles de la Cour, notamment sur la superposition des aides et le non-recours.
Addictions, problèmes de santé mentale, obésité ou précarité alimentaire touchent de nombreux jeunes. Une prise en charge précoce et adaptée est indispensable. Il faut une politique de prévention ambitieuse. La consommation de drogues illicites et d'alcool est supérieure à la moyenne européenne. Danemark et Islande montrent qu'il est pourtant possible de faire baisser fortement la consommation grâce à la prévention. Notre approche est quasi uniquement répressive.
La criminalité liée aux trafics attire une frange de notre jeunesse, la détourne de l'éducation et la fait plonger dans la délinquance. Les territoires d'outre-mer en paient un lourd tribut.
Merci à la Cour des comptes pour cet important travail. Des progrès restent à accomplir. Il y a urgence à préserver notre cohésion sociale et faire des jeunes des acteurs de la réussite de notre pays. (Applaudissements sur les travées du RDPI et du groupe INDEP)
M. Christian Bilhac . - La jeunesse est un excellent choix pour ce rapport public annuel, car elle est l'avenir de notre pays.
À l'heure où les relents de la guerre sont de plus en plus prégnants, la paix est un horizon à reconquérir, et la conscription revient dans les débats. Il est réjouissant de voir que 50 % des jeunes de 18 à 30 ans sont prêts à s'engager pour notre pays, beaucoup plus qu'aux Pays-Bas et en Allemagne, et que les candidats à la réserve citoyenne se bousculent.
Les politiques publiques en faveur de la jeunesse représentent 2 % du PIB.
Pourtant, les inégalités sont fortes sur le plan économique, éducatif, territorial et social, selon qu'on est un jeune rural, un habitant des QPV ou un urbain.
Comment ne pas s'inquiéter des 16 % de jeunes très éloignés de l'emploi, d'un taux de pauvreté de 10 %, des difficultés d'accès à l'enseignement supérieur, aux transports, au logement ?
L'apprentissage de la citoyenneté est le coeur du sujet. Ce n'est pas à 15 ou 18 ans que l'on devient un bon citoyen ; tout se joue dès la prime enfance, dès l'école maternelle.
Lorsqu'un vigneron met un tuteur de vigne, il le plante très tôt. Une fois que le cep est adulte, c'est trop tard. Il en est de même pour la jeunesse...
Mais l'école ne peut pas tout. Son action ne porte que sur quatre jours par semaine, et 36 semaines par an.
Comment renouer avec la jeunesse ? Le dispositif SNU arrive beaucoup trop tard. Vous avez porté un regard sévère sur ce dispositif, monsieur le Premier président.
Victor Hugo voulait élever l'homme à la dignité de citoyen. Je propose d'innover : instaurons un tutorat pour les enfants dès l'âge de 3 ans, qui réunirait l'école à la mairie, les deux socles de notre République. Cela renforcerait l'adhésion précoce à la citoyenneté, réduirait les inégalités sociales, l'échec scolaire et la petite délinquance, sans tomber dans une vision « bisounouresque ».
Les parents sont responsables : pourquoi ne pas imposer un stage de parentalité ? À conjuguer avec les nécessaires sanctions quand les jeunes violent les règles du vivre ensemble, sans attendre de les envoyer en prison. Cette politique en direction des jeunes de 3 à 15 ans pourrait faire l'objet du prochain rapport public annuel.
Ce débat sans dogmatisme prouve la qualité du travail de notre assemblée. Je vous remercie pour ce débat. (M. Marc Laménie applaudit.)
M. Michel Canévet . - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et INDEP) Le groupe UC remercie la Cour des comptes pour ce travail. La jeunesse a connu des périodes difficiles - je pense à la pandémie de covid.
Il y a de plus en plus de personnes âgées en France, et la natalité est préoccupante.
Les jeunes expriment de nombreuses inquiétudes sur l'avenir. Ceux qui sont en tribune pourraient en témoigner.
La jeunesse n'est qu'un mot, nous rappelait le président de la commission des finances. C'est surtout un état d'esprit.
Nous partageons l'essentiel des orientations du rapport : établir un soutien différencié, repenser les parcours de formation, lutter contre les addictions, renforcer la lisibilité des dispositifs et leur coordination.
Les politiques pour la jeunesse représentent une dépense de 53 milliards d'euros, soit 2 % du PIB. Mais cela monte à 5 % si l'on additionne l'action de tous les acteurs publics.
Il faut une vraie stratégie nationale envers les 9 millions de jeunes.
La formation doit être adaptée. Faut-il conserver la gratuité à l'université ? Nous nous interrogeons, car il faut donner aux établissements d'enseignement supérieur les moyens d'investir et de développer des oeuvres sociales répondant aux besoins des étudiants.
Nous devons aussi lutter contre l'échec à l'université : en premier cycle, un étudiant sur deux sort sans diplôme - c'est préoccupant.
La répartition des tâches entre l'État et la région n'est pas claire en matière d'orientation. Il faut un vrai chef de file.
Il faudrait aussi recentrer le collège sur l'enseignement de certaines matières fondamentales.
Les décrocheurs - 10 % d'une classe d'âge - sont un motif de préoccupation. France Travail doit mieux accompagner, en lien avec les académies.
Le taux de chômage des jeunes est particulièrement élevé, malgré un nombre important d'alternants - plus d'un million.
Le logement est un problème général en France. Mais il manque des solutions pour les jeunes travailleurs. Il faut repenser cette action, malgré le succès de la garantie Visale.
Les maisons des adolescents sont une bonne solution, mais il faut donner plus de moyens sociaux et médicaux aux établissements scolaires : une maison par département, c'est insuffisant.
Oui, il faut revisiter JDC pour tenir compte des ambitions légitimes. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et du RDSE ; M. Jean-François Husson applaudit également.)
M. Pascal Savoldelli . - La jeunesse est le miroir de notre société : plurielle, fragmentée, partagée de tensions et de luttes. Elle partage le même espoir d'accès à l'éducation, à l'emploi, au logement, à l'autonomie.
Le rapport public annuel rappelle la gravité de la situation de la jeunesse : la précarité, avec les files d'attente devant les Restos du Coeur, ou la souffrance psychologique, avec l'augmentation des troubles mentaux chez les 18-24 ans.
Le mal-être des jeunes est d'abord le produit d'un système politique qui, à nos yeux, a échoué. Il est autant social que politique et trouve sa source dans les renoncements successifs. Le néolibéralisme a fait de la jeunesse le cheval de Troie de la flexisécurité. Le laboratoire d'une société déshumanisée où les contrats précaires, les stages interminables et l'ubérisation du travail sont devenus la norme. L'accès à un travail digne, stable et correctement rémunéré semble inatteignable. On teste, on dérégule, on met en concurrence. Pas moins de 42 % des jeunes sont en CDD, 38 % des jeunes diplômés sont au chômage trois ans plus tard, les inégalités de genre perdurent.
La fracture territoriale s'aggrave : 22 % des jeunes ruraux sont au chômage.
Un nombre croissant de jeunes s'engage dans l'action sociale et politique : en 2023, 44 % des jeunes sont bénévoles dans une association. Cette dynamique ne se limite pas à une simple réaction face à la précarité. C'est une aspiration à changer la société : en témoigne le rejet croissant du système capitaliste, que 60 % des jeunes considéraient en 2023 comme le principal responsable de la crise.
Il s'agit aussi de proposer une éducation réellement démocratique, qui ne soit pas soumise aux impératifs du marché et ne soit pas une simple préparation à la vie active.
Transformons l'école en une institution du commun, contrôlée démocratiquement par les usagers, les professionnels et la population. Il faut abolir la concurrence entre les établissements, éradiquer la ségrégation ethnique et sociale et repenser l'inclusion. Ce n'est pas seulement la défense d'une école de l'État face à une école de marché : l'école doit être un vecteur d'égalité, de justice sociale et de solidarité.
Quel monde du travail préparons-nous ? Produire quoi, pour qui, dans quelles conditions ? Il faut un travail libéré du chantage à l'emploi et reconnu pour sa valeur sociale et non pour sa rentabilité immédiate.
Changeons de cap et offrons aux jeunes la possibilité de changer leur avenir. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K ; Mme Isabelle Briquet, MM. Thierry Cozic et Jacques Fernique applaudissent également.)
M. Thomas Dossus . - (Applaudissements sur les travées du GEST) Chaque jeune Français, quels que soient son lieu de naissance, son genre ou son origine sociale, a-t-il les mêmes chances pour construire son avenir ? Les crédits pour la jeunesse représentent 12 % du budget de l'État. Ce n'est pas qu'une dépense, c'est aussi un investissement pour l'avenir.
Bien que notre taux de diplômés de l'enseignement supérieur soit supérieur à la moyenne des pays de l'OCDE, de profondes inégalités persistent. L'orientation est toujours perçue comme une voie par défaut et reste influencée par des stéréotypes, limitant les ambitions des jeunes.
Plus grave, les inégalités territoriales restent très importantes pour l'accès à la formation, malgré la loi de 2018. Le taux de diplômés de l'enseignement supérieur varie selon les régions et diminue en zone rurale : 20 % dans les territoires ruraux contre 32 % dans les métropoles. Cette ségrégation territoriale mine notre pacte républicain.
Cela se traduit aussi dans l'accès à la mobilité, plus faible dans les zones rurales : 38 % des jeunes ruraux ont renoncé à un entretien d'embauche en raison des problèmes de transport. Il faudrait plus de coordination et plus d'investissements pour les transports publics.
En 2022, 397 000 mineurs et jeunes majeurs étaient suivis par l'ASE ; quelque 221 000 sont accueillis et hébergés, dont plus de 31 900 jeunes majeurs. Les différences sont flagrantes. Certains départements mobilisent quatre fois plus de moyens que d'autres. La prise en charge varie de 38 à 83 %. Certes, les départements exercent librement leurs compétences, mais l'ampleur de l'écart pose la question de l'égalité de l'usager.
Les addictions des jeunes sont préoccupantes. Le Parlement examine actuellement la proposition de loi Narcotrafic. Nous devons nous pencher sur les aspects sanitaires ; tout est lié. Pas moins de 3,5 % des jeunes avouent qu'ils consomment tous les jours du cannabis ; 230 000 seraient victimes d'une addiction.
Les pratiques récréatives à risque sont particulièrement répandues. L'approche ultra-répressive choisie par la France depuis 1970 est une impasse. Seule l'approche sanitaire et éducative permettra de lutter contre les addictions : il y va de l'avenir de notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du GEST ; MM. Marc Laménie et Christian Bilhac applaudissent également.)
M. Thierry Cozic . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) La figure de proue des publications de la Cour consacre ses 612 pages à la jeunesse, ces « forces vives sur lesquelles repose notre avenir et devraient être au coeur de nos préoccupations ». Tout est là : « devraient ».
Le budget semble mal ciblé et mal coordonné - bien que la Cour ne le juge pas excessif.
Bourdieu disait que la jeunesse n'est qu'un mot. C'est loin d'être une catégorie homogène. La jeunesse française expérimente peut-être plus que d'autres que l'égalité des droits n'est pas celle des chances. Un jeune sur dix est en situation de pauvreté, soit plus que les 26-55 ans ou que les seniors.
Les jeunes ont été durement frappés par la crise économique post-covid. L'insertion professionnelle d'une majorité d'entre eux ne doit pas masquer les 16 % éloignés de l'emploi. Pas moins de 27 % des jeunes en QPV sont sans emploi, contre 11 % sur le reste du territoire. Seuls 20 % des jeunes ruraux ont accès à l'enseignement supérieur, contre 32 % des jeunes urbains.
L'éducation est primordiale.
Autrefois au coeur de la production du savoir, l'université publique française s'épuise sous les injonctions contradictoires de la massification et de l'excellence. Les déterminismes y structurent les parcours ; grandes écoles et universités privées lui font concurrence. Pourtant, une bonne formation est cardinale pour réindustrialiser le pays et réussir la transition environnementale. Nous devons nous positionner en leaders plutôt qu'en suiveurs.
La fuite des cerveaux depuis l'arrivée au pouvoir de Trump est édifiante. Une scientifique française du CNRS s'est vu refuser l'entrée aux États-Unis ; Katherine Calvin, scientifique en chef de la Nasa, a été limogée. À cela s'ajoutent la pénurie des sources de financement et les contrats courts. Ils savent bien que leur avenir ne s'inscrit pas outre-Atlantique. La France doit les accueillir.
Nous ne devons pas négliger les étudiants, mais tous les jeunes ne le sont pas : dans le domaine du logement, les politiques publiques favorisent davantage les étudiants que les jeunes actifs. Selon le sondage de la Cour, 60 % des jeunes ont des difficultés à trouver un logement. Les efforts menés depuis une dizaine d'années ont des effets limités.
Autre sujet important, la santé mentale des jeunes, qui s'est dégradée. Selon Santé publique France, un jeune sur cinq a des troubles dépressifs, sans parler des passages aux urgences pour tentatives de suicide ou scarifications. Sans moyens supérieurs dans le prochain PLFSS, nous ne pourrons pas prendre les mesures nécessaires. (Applaudissements sur les travées du groupe SER ; MM. Marc Laménie et Christian Bilhac applaudissent également.)
Mme Christine Lavarde . - (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP) Montherlant disait que la jeunesse est le temps des échecs - telle n'est pas l'opinion de la Cour. Il y a de bonnes nouvelles, comme la hausse de 6 points du taux d'emploi des jeunes depuis 2017 ou la réduction de treize mois du délai de jugement des mineurs.
La multiplication des agences et opérateurs rend les politiques publiques moins efficaces : celles consacrées à la jeunesse l'illustrent bien.
Depuis 2014, la région est compétente pour l'orientation, mais l'animation de cette compétence reste du ressort de l'État. Pas moins de 25 % des lycéens se disent insatisfaits des informations reçues pour s'orienter.
Autre exemple : l'accompagnement des jeunes vers l'emploi. L'État alloue 765 millions d'euros aux missions locales, alors que France Travail consacre 4 700 ETP à l'accompagnement des jeunes demandeurs d'emploi. Malgré les 7,3 milliards d'euros de dépenses publiques dans ce domaine, le taux de chômage des jeunes reste de 3 points supérieur à la moyenne européenne.
En outre, la multiplicité d'acteurs et l'approche par sous-catégories cibles empêchent toute évaluation globale.
Enfin, l'aide à l'alternance souffre d'un ciblage insuffisant, favorisant la culture du saupoudrage. Vous recommandez, comme le groupe Les Républicains, un recentrage des aides à l'apprentissage sur les jeunes les plus éloignés de l'emploi.
Nous déplorons également un manque de ciblage pour le pass Culture, qui coûte 210 millions d'euros. Les inégalités sociales d'accès à la culture persistent, et les actions financées ne sont pas contrôlées. D'où des comportements opportunistes, comme la création d'associations pour bénéficier du pass. C'est pourquoi nous voulions réduire ses crédits de 125 millions d'euros lors du dernier PLF.
Une fois de plus, monsieur le Premier président, vous nous fournissez un éclairage précieux. Mais vous ne faites pas de recommandations. Avez-vous identifié des pistes de rationalisation des compétences en matière d'orientation, d'accompagnement vers l'emploi ou d'aide au logement, notamment ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP ; M. Christian Bilhac applaudit également.)
M. Guillaume Chevrollier. - Très bien !
M. Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes. Merci pour ce débat, une spécificité de la Haute Assemblée : c'est tout à votre honneur.
Vos interventions montrent la pertinence de notre rapport public annuel, même si nous pourrions aller plus loin, comme l'a noté Mme Lavarde. C'est toujours d'un grand intérêt de travailler avec vos commissions des affaires sociales et des finances.
Nous sommes à votre service pour améliorer la gestion publique.
Nous avons déconnecté le rapport public annuel du rapport sur l'état des finances publiques. Nous pouvons réfléchir à une reconnexion ; il faudrait alors avancer la sortie du rapport public annuel.
L'Insee a annoncé ce matin que le déficit de 2024 s'élevait finalement à 5,8 % du PIB. Gardons-nous d'un lâche soulagement avec l'annonce d'un déficit moindre que prévu : l'Espagne a annoncé un déficit à 2,8 % - en deçà de ce qui est prévu par les traités. Pour notre part, maintenons la trajectoire d'un déficit à 3 % en 2029, alors que notre dette a dépassé les 3 300 milliards d'euros.
La Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) resteront à vos côtés pour rappeler qu'il faut de bonnes finances publiques pour mener de bonnes politiques publiques.
J'en viens au rapport lui-même. Deux orateurs ont cité Pierre Bourdieu : la jeunesse ne serait qu'un mot. Paraphrasant Michel Foucault, je dirais que c'est aussi une chose, des choses, en réalité : nous devons gérer des situations très inégales et très différentes.
C'est la qualité de la dépense publique qu'il faut améliorer. J'ai bien retenu ce qu'a dit M. Patient sur les spécificités des outre-mer. Nous avons ainsi travaillé sur l'enseignement supérieur ultramarin.
C'est toujours pour nous une grande responsabilité et un grand plaisir de travailler avec le Sénat.
Je vous donne donc rendez-vous pour le rapport public annuel de 2026, dont le thème intéressera sans doute le Sénat : la cohésion sociale et territoriale. (Applaudissements)
M. le président. - Merci à tous pour ce débat, et merci pour la qualité de nos relations.
Nous donnons acte de ces échanges à la Cour des comptes.
Je demande aux huissiers de reconduire M. Moscovici.
(M. Pierre Moscovici, Premier président et M. Yves Rolland, rapporteur général près la Cour des comptes quittent l'hémicycle.)