SÉANCE

du jeudi 10 avril 2025

80e séance de la session ordinaire 2024-2025

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires : Mme Nicole Bonnefoy, Mme Sonia de La Provôté.

La séance est ouverte à 10 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Apprentissage

M. le président.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'apprentissage, à la demande des commissions des affaires sociales, des affaires économiques et de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport.

Pierre Ouzoulias présidera la suite de la séance sur les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) sur la proposition de loi relative au secteur agroalimentaire.

Je voudrais dire aux apprentis en tribune : les sénateurs présents - en nombre plus restreint que pour les questions d'actualité au Gouvernement - débattent d'un sujet spécifique, le vôtre. Vous êtes dans une assemblée où, il y a quatre-vingts ans, se tenait l'assemblée consultative provisoire. C'était le retour de la démocratie après la Seconde Guerre mondiale et le général de Gaulle, président de l'assemblée consultative provisoire, s'exprimait à cette tribune.

Je salue, à la tribune d'honneur, Joël Fourny, président des chambres de métiers et de l'artisanat, CMA France.

Le débat de ce matin est l'occasion de montrer l'attachement du Sénat à l'apprentissage, voie de formation et d'accès à l'emploi, et à l'artisanat, première entreprise de France.

En notre nom à tous, je salue le président, les apprentis et les maîtres d'apprentissage.

En salle Clemenceau, j'ai rencontré une autre délégation d'apprentis.

Je salue la ministre au banc. L'apprentissage est aussi une préoccupation de l'exécutif.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées du RDSE ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.) À mon tour, je souhaite la bienvenue aux apprentis présents en tribune, que nous recevons à l'occasion des vingtièmes rencontres sénatoriales de l'apprentissage organisées par le Sénat et CMA France.

Vingt-cinq ans après la première édition, le bilan est positif pour ces rendez-vous, marqués par le dialogue et l'engagement. Le Sénat est aux côtés de ceux qui croient en la valeur travail, la puissance de l'expérience et la transmission des savoirs et des savoir-faire.

Les enjeux de l'apprentissage sont plus que jamais au coeur de notre avenir.

Il y a d'abord l'enjeu de l'orientation. Il faut faire de l'apprentissage un choix d'ambition valorisé dans nos collèges.

Il y a ensuite l'enjeu de l'adaptation des compétences. Les besoins des entreprises évoluent rapidement. Les transitions numérique, écologique, technologique et industrielle transforment les métiers et les attentes. L'apprentissage, par sa souplesse et sa proximité avec le terrain, est l'une des meilleures réponses à ces mutations.

Il y a enfin l'enjeu de l'égalité des chances. L'apprentissage répond à un objectif de justice sociale. Quel que soit son lieu de naissance ou son origine, chaque jeune doit pouvoir trouver sa voie.

L'apprentissage est une voie d'excellence, une passerelle entre école et entreprise, mais aussi un levier pour relever les défis économiques, sociaux et environnementaux.

Les apprentis présents ce jour montrent que le talent n'a pas d'âge. La détermination vaut tous les diplômes et l'alternance forge des professionnels complets et adaptables. Les apprentis font la fierté de notre pays. Débattre de l'apprentissage marque l'engagement du législateur à toujours mieux valoriser vos parcours.

Élus des territoires, nous soutenons tous l'apprentissage, car c'est une voie d'excellence, d'émancipation par le travail et de progrès.

Je vous souhaite un excellent débat et j'espère que les échanges répondront à vos attentes et conforteront l'apprentissage. (Applaudissements)

M. le président.  - La commission des affaires économiques et la commission des affaires sociales, que nous entendons ce matin, sont chargées des sujets ayant trait au développement économique pour la première, et au travail pour la seconde.

Mme Pascale Gruny, vice-président de la commission des affaires sociales .  - Je me réjouis que le Sénat renoue avec la tradition des rencontres de l'apprentissage. Je me félicite que nous puissions débattre devant des apprentis et des élus des chambres des métiers et de l'artisanat.

Que de chemin parcouru depuis les dernières rencontres, organisées avant la crise sanitaire : on recensait 367 000 contrats d'apprentissage en 2019, contre 849 000 en 2023, soit une augmentation de 131 %. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a été couronnée d'un succès quantitatif indéniable, qui témoigne de la voie d'excellence que l'apprentissage constitue et de ses avantages évidents pour les employeurs et les jeunes.

Toutefois, la politique de l'apprentissage n'est pas stabilisée. Le modèle de financement n'est pas équilibré. France Compétences est en déficit depuis 2020 et son dernier budget fait apparaître un solde déficitaire d'un demi-milliard d'euros.

La commission des affaires sociales a été force de proposition en recentrant France Compétences sur ses missions premières.

Le montant total des dépenses nationales en faveur de l'apprentissage est également devenu considérable. En cumulant les dépenses de tous les financeurs, il a atteint 15,3 milliards d'euros en 2023.

La rationalisation déjà engagée ne doit néanmoins pas sacrifier l'apprentissage, filière historique de formation.

Lors des dernières discussions budgétaires, la commission des affaires sociales a évité tout freinage brusque et accordé la priorité au soutien des TPE-PME. Depuis février, le montant est différencié selon la taille de l'entreprise.

Je regrette les difficultés liées au ciblage des aides aux employeurs. Elles ont changé quatre fois depuis le 1er janvier 2019, ce qui brouille la lisibilité pour les entreprises.

L'idée de différencier les aides selon les niveaux de qualification des formations ne doit pas non plus être abandonnée. Or la création de l'aide exceptionnelle lors de la crise sanitaire est allée de pair avec une uniformisation. Il faut peut-être retrouver l'esprit de la loi de 2018 et accorder la priorité aux formations historiques de l'apprentissage.

Voilà quelques axes de réforme à venir. L'apprentissage est en phase de consolidation. Au-delà des objectifs quantitatifs, nous devons nous doter d'un modèle pérenne et cohérent.

Je souhaite une pleine réussite aux apprentis présents, ainsi qu'à tous ceux qui les accompagnent vers la vie active. (Applaudissements)

M. le président.  - Chaque groupe politique va maintenant prendre la parole, selon un ordre tiré au sort.

Mme Cathy Apourceau-Poly .  - Je salue les apprentis présents ce matin, ainsi que ceux qui assurent leur formation.

« La seule source de connaissance est l'expérience », a dit Albert Einstein. L'apprentissage donne la possibilité aux jeunes de 16 à 29 ans de découvrir le monde du travail tout en préparant leur diplôme. Il doit être un choix personnel, et non par défaut.

La France compte de très bons lycées professionnels. Nous devons les développer car ils correspondent à de nombreux jeunes.

Ces dernières années, les gouvernements successifs ont développé l'apprentissage en multipliant les aides aux entreprises. Nous n'y sommes pas opposés, à condition qu'elles soient contrôlées avec rigueur. Selon l'économiste Bruno Coquet, les aides publiques à l'apprentissage étaient estimées à 25 milliards d'euros en 2023.

Mais en trois ans, elles ont été divisées par quatre. En 2022, les entreprises recevaient 8 000 euros par apprenti ; depuis février, ce n'est plus que 5 000 euros, pour les entreprises de moins de 250 salariés. Les boulangers, bouchers, coiffeurs, ébénistes, commerçants ou entreprises de la communication et du digital l'ont ressenti comme un coup dur. Il sera plus difficile pour nos jeunes de trouver une entreprise.

Le statut des apprentis mériterait d'être amélioré. L'assujettissement à la CSG et la CRDS décidé dans le PLFSS 2025 se traduit par une perte de 25 euros par mois pour ceux qui perçoivent au moins 50 % du Smic. C'est une injustice pour ces jeunes qui travaillent et vivent pour certains dans une grande précarité. S'y ajoutent des conditions de travail parfois difficiles.

Selon la Dares, un jeune sur quatre en CAP ou en bac pro met un terme à son apprentissage au bout d'une année scolaire. Comment rebondir, retrouver un établissement scolaire ? Trop de jeunes, après un échec, se retrouvent sur le bord du chemin.

Mais n'oublions pas que l'apprentissage est une source d'excellence, qui conduit de nombreux jeunes du CAP au titre de meilleur ouvrier de France. Il redonne à certains le goût des études et les mène vers l'enseignement supérieur.

Madame la ministre, à l'heure où l'on parle de souveraineté alimentaire, de cyberattaques, d'intelligence artificielle, ne faudrait-il pas renforcer les aides aux entreprises et aux apprentis, et non les couper ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi.  - L'effort de la nation en matière d'aides à l'apprentissage est important. Nous avons introduit une différenciation selon la taille de l'entreprise : la baisse des aides, de 6 000 à 5 000 euros pour les entreprises de moins de 250 salariés, concerne 85 % des apprentis.

Nous améliorons la régulation, dans une démarche de concertation.

Les taux d'abandon et de rupture seront bien plus surveillés.

Le régime des apprentis est plus favorable que celui des étudiants et des salariés : il bénéficie d'exonérations de charges et les périodes de stage sont fiscalement plus favorables aux apprentis qu'aux stagiaires.

L'apprentissage est une voie d'excellence qui offre une meilleure garantie d'insertion sur le marché du travail.

Mme Ghislaine Senée .  - La politique en faveur de l'apprentissage a vu son budget passer de 7 à 25 milliards d'euros, soit une hausse de 250 % en quatre ans. Dans le PLF 2025, le Gouvernement a réduit la voilure, mais sans donner beaucoup de précisions. Le Sénat a voté, dès décembre, un meilleur ciblage des aides sur les TPE-PME et la réduction des niveaux de prise en charge (NPEC), pour les étudiants du supérieur. Il a fallu attendre fin février pour connaître les conditions d'emploi en apprentissage pour 2025 : la prime à l'embauche a été baissée à 5 000 euros pour les PME et à 2 000 euros pour les plus grandes entreprises.

Difficile pour les acteurs d'anticiper, d'autant que les décrets relatifs NPEC ne sont toujours pas parus.

La massification de l'apprentissage, pour respecter le voeu présidentiel du million d'apprentis, aura entraîné des effets d'aubaine et la multiplication d'organismes de formation privés lucratifs pas toujours très regardants sur la qualité pédagogique, avec parfois des offres exclusivement en distanciel, sans réel accompagnement. Le référentiel Qualiopi n'est qu'un contrôle de conformité administrative. Le Gouvernement poursuivra-t-il le travail de certification de la qualité des formations en alternance sur Parcoursup, entamé par Sylvie Retailleau ?

Comment comptez-vous agir contre la fragilisation financière de certains centres de formation d'apprentis (CFA) ?

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Nous avons lancé une concertation mi-novembre, dont je donnerai les résultats le 23 avril. Je peux néanmoins vous en livrer les grandes lignes.

Les débats du PLF se sont concentrés sur les aides à l'apprentissage, mais l'essentiel de l'effort porte sur le financement de la formation.

Les branches professionnelles doivent jouer un rôle accru dans la définition des priorités de financement. Elles pourront bonifier certains coûts-contrats en fonction des besoins des entreprises et des compétences d'avenir.

Nous renforcerons la régulation de la qualité, en poursuivant la révision de la certification Qualiopi.

Nous améliorerons la transparence des résultats avec la plateforme InserJeunes, qui éclaire les futurs apprentis sur les taux d'insertion et les rémunérations attendues.

Nous renforcerons les mécanismes de lutte contre la fraude.

Une bonification spécifique est prévue pour les CFA outre-mer.

Une régulation du distanciel est aussi nécessaire. J'en ai parlé longuement avec le président Fourny. En effet, les coûts varient selon les plateaux techniques.

Mme Karine Daniel .  - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Je salue l'organisation de ce débat, au croisement de l'économie, de l'éducation et des solidarités.

L'apprentissage est un levier stratégique pour répondre à de nombreux défis.

Je salue la présence au Sénat de jeunes de Loire-Atlantique, accompagnés de Frédéric Brangeon, président de la chambre de métiers et de l'artisanat des Pays de la Loire, et celle du président Fourny. Derrière les chiffres, il y a des visages, des parcours, des projets.

L'artisanat, pilier essentiel de notre économie, incarne la richesse de nos savoir-faire et l'importance de la transmission. En 2023, près de 20 % des apprentis des Pays de la Loire travaillaient dans le secteur artisanal, preuve de l'attractivité de ces métiers. Cela nous oblige à penser un accompagnement à la hauteur.

Derrière chaque maître d'apprentissage, il y a un engagement fort qui doit être soutenu.

Il faut une prise en compte réaliste des coûts pédagogiques, car l'adaptation aux technologies représente des charges importantes.

L'accès à l'apprentissage ne doit pas être lié au lieu de résidence ou aux liens familiaux.

Nous devons élargir l'offre de formation en fonction des besoins des filières en tension. Il y a une crise des vocations dans les métiers de l'animation, du social, de l'aide à domicile. Les métiers de bouche peinent également à recruter.

Y développer l'apprentissage suppose une concertation renforcée entre l'État, les branches professionnelles et les territoires.

L'apprentissage reste encore trop genré : aux garçons les filières industrielles et artisanales, aux filles les secteurs du soin et de l'éducation. Nous devons renforcer la féminisation de l'apprentissage et la mixité dans chaque filière, dès l'orientation et dans les représentations.

Près de 40 % des contrats concernent les niveaux bac+3 à bac+5, dans les écoles d'ingénieurs, IUT ou universités. Ce développement est positif, il diversifie les profils et favorise l'égalité des chances et la connexion entre formation et emploi. Toutes les filières se trouvent ainsi valorisées. Mais nous ne pouvons ignorer certaines dérives, notamment le captage massif des aides par des structures privées lucratives, parfois très loin de la qualité attendue. Nous saluons la volonté du Gouvernement de réformer le modèle de financement. Il faut une juste allocation de l'argent public au service de l'intérêt général et non au bénéfice de stratégies commerciales.

L'apprentissage doit aussi être un levier de développement local. La filière navale, l'agroalimentaire, le bois, l'économie circulaire, l'économie du soin sont autant de secteurs à développer en Loire-Atlantique. Dans certains territoires, il existe des secteurs de niche - je pense aux couvreurs spécialisés en chaume dans le parc naturel régional de Brière. Ces savoir-faire spécifiques doivent être soutenus.

La territorialisation de l'offre, souple et concernée, assure l'adéquation entre compétences et besoins.

La réforme de la rémunération des apprentis est entrée en vigueur pour les contrats signés depuis le 1er mars 2025 - hélas à la baisse : baisse des exonérations de cotisations sociales, qui ne portent plus que sur 50 % du Smic, contre 79 % auparavant, et fin de l'exonération totale de CSG et de CRDS pour les nouveaux contrats : la part de salaire au-delà de 50 % du Smic y est désormais soumise. Cet alignement sur les stagiaires pèse sur les filières les plus fragiles, comme l'artisanat. Chaque euro pèse dans la décision de recruter ou non un apprenti ! Gare à ce que cette réforme ne freine pas l'essor de l'apprentissage ni ne décourage les entreprises.

L'apprentissage doit être un pilier de notre pacte républicain. Il forme des professionnels, mais aussi des citoyens, en s'appuyant sur des liens intergénérationnels forts. Il est tourné vers l'innovation. Soutenons ceux qui s'y engagent et ceux qui oeuvrent pour la qualité de ces formations.

Portons une vision exigeante et humaniste de l'apprentissage, ancré dans les territoires, ouvert à tous et équitablement financé, au service du bien commun. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K)

M. le président.  - Avant de laisser la ministre répondre, je vous signale qu'une séance d'échanges particulièrement riche a lieu en ce moment même en salle Clemenceau entre les apprentis et les sénateurs.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Nous axons notre démarche sur la réponse aux besoins des entreprises et sur les compétences à développer, particulièrement pour la fixation des coûts-contrats. Les branches professionnelles seront tête de pont, avec leurs entreprises adhérentes et les partenaires sociaux, pour déterminer les priorités. Les niveaux III et IV de qualification seront une priorité.

Nous allons plafonner les dépenses de communication, qui posent effectivement problème dans le secteur lucratif.

L'État bonifiera aussi certaines priorités de formation : métiers du lien, réindustrialisation, transition environnementale...

La baisse des exonérations se justifie par le souci d'une meilleure égalité salariale entre les apprentis les mieux rémunérés et les salariés dont la rémunération nette est inférieure. Ne créons pas de dette sociale avec les exonérations, notamment sur les retraites. Nous souhaitons aussi éviter une baisse de la rémunération nette lors du recrutement post-apprentissage.

Mme Karine Daniel.  - L'apprentissage est un investissement sur l'avenir. Quand on baisse moins, on baisse quand même !

Votre comparaison entre petites et grandes entreprises n'est pas opérante, quand on est centré sur le fonctionnement de son entreprise.

J'entends votre argument sur la rémunération des moins qualifiés, mais évitons de décourager l'embauche d'apprentis aux plus hauts niveaux de qualification, alors qu'ils méritent une reconnaissance de leur diplôme.

M. Jean-Luc Brault .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) Qui, dans cet hémicycle, conseillerait à ses enfants de choisir un lycée professionnel ou un CFA plutôt qu'un lycée général ? Souvent, c'est bien, c'est beau, mais pas chez moi...

L'apprentissage est encore un tabou. Cette semaine, un parent d'élève m'a dit qu'un professeur était content de ne pas envoyer d'élève en lycée professionnel cette année. Les yeux m'en sont sortis de la tête !

Nous parlons de l'apprentissage avec nostalgie, alors qu'il devrait être un étendard.

Nous avons tous dans notre entourage quelqu'un qui a débuté avec un CAP ou un BTS et occupe un poste demandant des années d'études, ou un salarié d'une TPE-PME qui a pris son envol en montant sa boîte et a fait fortune.

Qui n'a jamais entendu : « Gamin, plus tu feras d'études, moins tu bosseras et plus tu gagneras ! » ?

En 2018, on a réformé l'apprentissage pour en faire une voie d'excellence et un moyen de lutter contre le chômage des jeunes.

Les entreprises, désormais, se battent pour recruter des apprentis car c'est la certitude d'avoir des salariés opérationnels et surtout déjà intégrés. À défaut, on recrute de la main-d'oeuvre étrangère. Je l'ai fait, souvent... Après quelques années, par la volonté d'apprendre et de gagner leur vie, ces travailleurs connaissent des réussites impensables au début.

C'est le chef d'entreprise qui vous le dit : les apprentis sont des pépites rares à dénicher.

Le paradoxe, c'est que la dépense publique pour soutenir l'apprentissage est une folie financière.

Nous proposons deux pistes : réviser les NPEC et évaluer le taux d'insertion dans l'emploi pour concentrer l'aide publique sur les formations qui permettent véritablement d'insérer nos jeunes.

Investir dans l'apprentissage, c'est investir dans l'avenir et garantir notre souveraineté économique et industrielle. L'apprentissage, c'est aussi de l'emploi, donc des cotisations sociales. Le retour sur investissement est imbattable ! Que Bercy sorte les calculettes, c'est tout vu.

Mais comment donner l'envie aux jeunes de devenir apprentis ? En Allemagne, le numéro un de Mercedes est passé par l'apprentissage.

Nombre de formateurs se démènent corps et âme : je les salue. Je salue aussi le président de la CMA du Centre-Val de Loire, présent ici.

Je suis passé par le collège technique Benjamin Franklin à Orléans ; j'ai monté ma propre entreprise qui affiche aujourd'hui 70 millions d'euros de chiffre d'affaires. Il est important de passer par l'apprentissage.

C'est un cri du coeur : ne dévalorisons plus la voie professionnelle ! L'apprentissage est un trampoline qui peut vous faire décoller rapidement, et vous retombez toujours sur vos pieds. Loin d'être une voie de garage, c'est une voie d'excellence et de liberté. La main est le prolongement de l'esprit.

Si vous voulez monter votre boîte après avoir roulé votre bosse dans une TPE-PME, vous vous heurtez à des difficultés administratives, à la pression fiscale, à l'instabilité politique nationale et à la folie des géants de ce monde qui flinguent votre business du jour au lendemain.

Monsieur le président, vous l'avez dit, un mot d'ordre : simplification !

Il est trop rare d'intégrer une grande entreprise et de progresser en interne. On préfère embaucher un ingénieur ou un bac+5. Trop souvent, la réalité, c'est : faites une école de management, n'apprenez surtout pas à travailler et à faire quelque chose de vos mains !

Nous devons changer notre culture de l'entrepreneuriat. J'entends souvent dire que les jeunes ont perdu le goût de l'effort. Mais nous passons plus de temps à chercher des niches fiscales qu'à produire de la richesse. (Mme Astrid Panosyan-Bouvet acquiesce.) Ce n'est pas aux jeunes de changer, mais à nous de revoir notre logiciel, en valorisant le goût de l'effort, du risque et de la réussite. (Mme Évelyne Perrot applaudit.)

Je vous remercie et souhaite à tous ces jeunes d'être ambitieux et forts et d'écouter leurs professeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et du RDSE ; M. Gérard Lahellec applaudit également.)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Merci pour ce plaidoyer qui rappelle que les intelligences du coeur, de la tête et de la main sont indissociables.

Nous voulons définir des priorités, résolument, pour les plus petites entreprises au détriment des plus grandes, et pour les niveaux de qualification III et IV. Nous voulons aussi une meilleure adéquation entre formations et besoins des entreprises.

Oui, l'apprentissage garantit une insertion professionnelle rapide, tous niveaux de qualification confondus. Mais si l'on compare la France à l'Allemagne, même hors apprentissage, les étudiants allemands bénéficient d'une meilleure insertion professionnelle que nos jeunes. Il y a donc un problème, même dans la voie générale, où il faut des enseignements plus pratiques et plus adaptés à nos besoins.

Mme Frédérique Puissat .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue les apprentis de France, présents au Sénat, particulièrement les apprentis de l'Isère, beau département de France. (Sourires)

En juin 2022, avec Martin Lévrier et Corinne Féret, nous avons présenté un rapport d'information intitulé France Compétences face à une crise de croissance. La réforme de la loi du 5 septembre 2018 a enclenché une dynamique considérable, mais n'a pas assez anticipé les besoins de financement. Il fallait réguler le système pour garantir sa soutenabilité, disions-nous dans nos conclusions.

France Compétences a réuni quatre établissements. Elle est financée par la dotation versée aux opérateurs de compétences (Opco) et le financement du compte personnel de formation (CPF) via la Caisse des dépôts et consignations. Mais son déficit cumulé depuis sa création avoisine les 11 milliards d'euros. La réforme de l'apprentissage n'a donc pas été financée et elle a contribué à creuser notre déficit public.

Pourtant, il faut encore et toujours encourager l'apprentissage, qui s'adresse à tous les publics, donc ceux qui sont en difficulté. Pour y parvenir, il faut fiabiliser ses mécanismes et équilibrer ses outils financiers.

Depuis longtemps, je propose plusieurs solutions.

Premièrement, recentrer France Compétences sur deux missions seulement : l'apprentissage et le CPF, en mettant fin au financement du plan d'investissement dans les compétences (PIC) par France Compétences -  8 milliards d'euros sur les 11 milliards de déficit...

Deuxièmement, il faut faire une pause dans la logique de guichet en n'allant pas au-delà de 900 000 apprentis financés.

Troisièmement, il faut soit augmenter la subvention à France Compétences -  2 milliards d'euros  - , soit relancer une concertation avec les régions, CFA et organisations professionnelles et syndicales pour trouver des marges de manoeuvre supplémentaires, soit transférer des crédits du budget de l'éducation nationale vers celui du travail.

L'apprentissage est un investissement de long terme.

Nous croyons à l'apprentissage, mais, disons-le, il n'est pas financé. Comment financer la formation de 900 000 apprentis en mettant autour de la table tous les partenaires concernés ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Vous posez les bonnes questions. La concertation que nous avons lancée vise justement à retrouver une soutenabilité financière. Ce n'est pas parce que nous introduisons des mécanismes de régulation financière que nous ne croyons plus à l'apprentissage !

Le renforcement des mécanismes de régulation par la qualité et de lutte contre la fraude est nécessaire. Je vous sais en première ligne sur ces sujets. Révision de la certification Qualiopi, meilleure transparence sur les résultats, lutte contre la fraude, tels sont nos objectifs.

Nous avions aussi discuté de la participation obligatoire des employeurs d'apprentis de niveaux VI et VII durant le PLF 2025, à partir d'un amendement sénatorial.

J'aime l'idée de recentrer France Compétences sur l'apprentissage et le CPF. Sur ce dernier, pour limiter la mécanique inflationniste, nous avons revu le ticket modérateur, supprimé des formations non qualifiantes comme l'aide à la création d'entreprise et amélioré la lutte contre la fraude.

Je vous rejoins sur la nécessité d'une vision plus structurelle, et de recentrer France Compétences sur les grands dispositifs de droit commun.

Mme Frédérique Puissat.  - Structurelle et concertée, car nous devons retrouver autour de la table les acteurs qui font l'apprentissage et faire en sorte qu'ils ne subissent pas des décisions imposées d'en haut.

Mme Nicole Duranton .  - Bienvenue aux jeunes apprentis présents pour les vingtièmes rencontres sénatoriales de l'apprentissage !

L'intelligence de la main vaut celle de l'esprit, c'est ma conviction.

L'apprentissage est une priorité stratégique, une voie privilégiée pour l'avenir de nos jeunes et leur insertion sur le marché du travail.

L'apprentissage progresse en France depuis quelques années, sous l'impulsion de la loi de 2018 et le plan « 1 jeune, 1 solution ». En 2024, 880 000 contrats ont été signés, soit plus 3,2 % par rapport à 2023. Le modèle est un succès.

L'apprentissage est aussi un outil de lutte contre le chômage des jeunes, qui atteignait 20,5 % en France l'an dernier, contre 15,3 % en moyenne européenne.

Un décret du 23 février dernier a fait évoluer les aides à l'embauche, qui passent de 6 000 à 5 000 euros pour les petites entreprises et à 2 000 euros pour les plus grosses. En application d'un second décret paru il y a quelques jours, les apprentis sont soumis au paiement de la CSG et de la CRDS dès que leur rémunération dépasse un demi-Smic.

Lors des débats budgétaires, le groupe RDPI avait craint que le mauvais signal adressé au monde économique vienne casser la bonne dynamique de l'apprentissage.

Oui, il faut faire évoluer notre politique d'apprentissage, pour continuer à investir dans la qualité des parcours, l'orientation et l'accompagnement des jeunes et leur garantir une insertion durable.

J'ai rencontré la semaine dernière la présidente et le directeur du CFA interconsulaire de Val-de-Reuil, l'un des plus grands de France. La diminution des aides à l'embauche ne devrait pas décourager les artisans de recruter des apprentis dans les secteurs en tension - restauration, boulangerie, coiffure, couverture - en raison de la pénurie de main-d'oeuvre.

La question du financement de l'apprentissage demeure centrale. Nous saluons le bon déroulement des concertations tenues depuis novembre dernier. Leurs conclusions sont attendues.

Les fonds alloués à l'apprentissage sont importants, c'est une bonne chose. Le coût de l'apprentissage serait de 24,9 milliards d'euros par an. Nous devons mieux flécher ces dépenses, tout en préservant l'excellence de notre modèle.

L'apprentissage reste un pilier central de la politique de la formation et de l'emploi. Il faut continuer d'en faire un modèle satisfaisant pour tous.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Merci d'évoquer la concertation. Nous souhaitons écouter l'ensemble des acteurs. Je rassure Mme Puissat, le processus n'est ni vertical ni centralisé. Cette réforme puissante du financement de l'apprentissage sera coconstruite.

Compte tenu du contexte budgétaire, nous faisons des choix résolus, pour favoriser les niveaux IV et V, les entreprises les plus petites et nous sommes fermes sur la fraude et la qualité.

Les 25 milliards d'euros évalués par M. Coquet relèvent d'une vision très extensive. Il s'agirait plutôt de 14 milliards d'euros, si l'on exclut les dépenses fiscales - exonération de l'impôt sur le revenu des apprentis, exonérations pour les entreprises...

M. Michel Masset .  - (Applaudissements sur les travées du RDSE) En préambule, j'adresse mes salutations à M. Jean-François Blanchet, président de la chambre des métiers et de l'artisanat de Lot-et-Garonne et au président Gérard Larcher.

L'apprentissage subit des choix politiques discutables. C'est pourtant un bon moyen de former les jeunes, moins onéreux que les lycées professionnels et qui propose une meilleure insertion.

Depuis 2018, les étudiants de l'enseignement supérieur sont massivement formés par l'apprentissage - 60 % des apprentis.

La politique en faveur de l'apprentissage est généreuse et parfois en décalage avec les besoins. Selon la Cour des comptes, le cadre législatif de l'apprentissage a été rénové, sans stratégie nationale ni financement adapté. L'objectif louable du Gouvernement d'un million d'apprentis n'a pas été associé à des critères d'utilité de la dépense. Primes, exonérations, dérogations sont distribuées sans tenir compte de la taille de l'entreprise ou de la formation concernée.

On constate aussi l'ouverture de nombreux centres de formation, notamment privés. Les grandes entreprises du bâtiment, les écoles de commerce ont ouvert leurs propres centres de formation, concurrençant parfois directement les CFA publics.

La baisse des aides a fragilisé les entreprises artisanales, or c'est à ces niveaux de formation que l'apprentissage est efficace. Nos jeunes artisans devront reprendre environ 300 000 entreprises dans les dix prochaines années. Ce sont nos boulangers, nos charpentiers, nos plombiers, nos agriculteurs que nous risquons de voir disparaître.

Les CFA sont laissés sans solution. En Nouvelle-Aquitaine, les CFA du secteur du BTP verront leurs revenus diminuer de 7 % et leurs charges augmenter d'autant. À Agen, on annonce un déficit de 500 000 euros. La dérive du système menace nos métiers traditionnels.

Préserver l'apprentissage, c'est préserver l'école de la vie. Un jeune apprend les gestes de son futur métier avec l'aide d'un sachant.

Quel modèle de transmission des services et des entreprises souhaitons-nous promouvoir ? Voulons-nous faire contribuer les grandes entreprises ? Quelle place pour le secteur privé ?

Enfin, selon la Cour des comptes, il faut clarifier notre financement public de l'apprentissage. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe UC ; M. Pierre Ouzoulias applaudit également.)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Seuls 14 % des 15-29 ans sont apprentis : c'est trop peu ! Nous avons trop de jeunes qui ne sont qu'en études, sans aucune application pratique.

Nous voulons prioriser les niveaux III et IV, les PME, la qualité et la lutte contre la fraude.

Nous n'avons pas de religion sur les CFA privés. Mais la qualité doit être au rendez-vous. Nous devons informer les apprentis et leurs familles, en amont, grâce à la plateforme InserJeunes. L'important est de mieux former nos jeunes et de les accompagner vers l'insertion professionnelle, que les CFA soient publics ou privés. Nous serons intraitables sur la fraude, avec notamment la proposition de loi Cazenave.

Mme Annick Billon .  - Nous partageons une conviction commune : l'apprentissage est un puissant levier d'insertion, qui a fait ses preuves. Encore faut-il lever certains freins.

La mobilité est la première marche vers l'apprentissage, mais pour certains jeunes elle est trop haute. Alors que les jeunes peuvent désormais passer leur permis dès 17 ans, ils doivent attendre 18 ans pour obtenir l'aide à l'obtention du permis B. Cela pénalise les jeunes ruraux. Yves Bleunven a interpellé le Gouvernement cette semaine : comment comptez-vous corriger cette anomalie ?

La rupture d'un contrat d'apprentissage se fait par simple signature d'un formulaire par l'employeur et l'apprenti. Mais le jeune est-il libre, quand la relation est aussi asymétrique avec son maître d'apprentissage ? Pourquoi ne pas confier un rôle d'accompagnement au CFA pour limiter le nombre de ruptures ?

Près de 30 % des contrats d'apprentissage sont rompus avant leur terme selon la Dares. Prévoyez-vous d'impliquer systématiquement les organismes de formation dans les ruptures de contrats ?

En Vendée, deux établissements dont la certification Qualiopi a été renouvelée avec retard ont été considérés comme non conformes : ils ne pouvaient plus signer de nouveaux contrats, les aides aux entreprises ont été bloquées et ils n'apparaissaient plus sur Parcoursup... Un délai de grâce de deux mois ne pourrait-il pas être envisagé ?

En 2023, les collectivités territoriales ont signé 18 000 contrats. Mais en 2024, seuls 9 000 contrats sont financés par le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), contre 21 000 prévus. Les collectivités territoriales doivent faire des choix douloureux.

Nous avons besoin d'un modèle pérenne de financement, car l'apprentissage n'est pas une dépense, mais un investissement pour demain. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Les difficultés d'accès au permis de conduire sont un risque majeur de rupture. Nous envisageons donc très sérieusement d'élargir l'aide à l'obtention du permis B dès 17 ans. Vous connaissez le contexte budgétaire, mais c'est un investissement qui vaut la peine. J'y suis donc très favorable.

Les CFA assurent un rôle d'accompagnement et de prévention des ruptures ainsi qu'un rôle de médiation. Nous pourrions soit l'inscrire dans le code du travail, soit -  c'est plutôt ma recommandation  - le partager dans les bonnes pratiques.

Mes services vont examiner la difficulté rencontrée par les deux établissements vendéens que vous mentionnez.

Le CNFPT bénéficie d'aides pour financer les CFA : une contribution de l'État, un financement complémentaire de France Compétences, et un financement pérenne de 0,1 % versé par les employeurs territoriaux - c'est 0,68 % pour les employeurs privés, d'où un décalage.

Mme Annick Billon.  - Je remercie la ministre de ses réponses encourageantes. Le Sénat est investi dans l'apprentissage. En 2022, j'ai pris une apprentie et elle est toujours à mes côtés. On recense 29 contrats d'apprentissage signés au sein des directions du Sénat. Le Sénat, lui aussi, s'engage !

M. Laurent Lafon.  - Très bien !

Mme Marie-Do Aeschlimann .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Depuis 2018, l'apprentissage a connu un essor sans précédent, passant de 448 0000 contrats à près de 1 million en 2024. Cette mobilisation de tous les acteurs contribue à redonner ses lettres de noblesse à l'apprentissage qui assure une insertion rapide et durable dans le monde du travail.

C'est aussi une ouverture sociale : près de 60 % des apprentis sont dans l'enseignement supérieur. Cela signifie que de nombreux jeunes accèdent à un haut niveau de formation, alors qu'ils n'en auraient pas eu les moyens autrement.

Mais cela a un coût faramineux - 25 milliards d'euros selon certaines estimations. Face à cet emballement budgétaire, le soutien public à l'apprentissage doit être optimisé.

Certaines évolutions de la réforme de 2018 imposent une exigence renforcée sur la qualité des formations. Le développement rapide de l'offre facilité par une certaine dérégulation a permis la multiplication d'établissements à but lucratif qui n'ont d'autre objectif que le rendement financier. Cet effet d'aubaine et l'absence de contrôle de la qualité pédagogique ont conduit la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale à déplorer, dans un rapport d'information, un contrôle qualité défaillant et un niveau de prise en charge identique pour toutes les formations, même celles dont les standards pédagogiques sont discutables. Le soutien public doit reposer sur des critères objectifs. C'est pourquoi j'ai fait adopter un amendement à la loi de finances initiale pour 2025 visant à réduire le niveau de prise en charge des formations dispensées intégralement à distance.

La France doit continuer de nourrir une ambition forte pour l'apprentissage. Il ne doit pas être un marché, mais une voie royale d'accès à l'emploi et un vivier de compétences pour nos PME.

Vos prédécesseurs, madame la ministre, avaient envisagé de créer un label qualité pour certifier les établissements privés. Le Gouvernement semble y renoncer pour privilégier la certification Qualiopi, qui a des défauts.

Comment garantir que les fonds publics aillent aux établissements réellement engagés dans la réussite des jeunes ? Comment allez-vous renforcer Qualiopi ? Quelles garanties pour que l'apprentissage continue de rimer avec exigence et qualité ? (Mme Agnès Evren applaudit.)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Les apprentis de niveau VI et VII représentent 38 % des apprentis. Cela participe de la montée en gamme de l'économie française et de la démocratisation, c'est une très bonne chose.

Toutefois, il faut réguler. Une mission d'inspection interministérielle sur l'enseignement supérieur lucratif sera prochainement lancée. Nous allons renforcer les contrôles Qaliopi ainsi que les contrôles de France Compétences sur les organismes certificateurs, plafonner les dépenses de marketing et différencier les coûts-contrats entre les établissements qui ont des plateaux techniques et ceux qui forment en distanciel.

Mme Anne-Sophie Romagny .  - (Applaudissements sur les travées des groupes UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains) C'est avec une pensée pour les jeunes générations, avenir de notre pays, que je m'adresse à vous. Merci pour ce débat.

Voilà quelques mois, nous étions face à un dilemme cornélien : réduire les dépenses de l'État en sabrant les aides à l'apprentissage ou maintenir ces dernières sans contribuer à l'effort de réduction des dépenses publiques. Nous avons unanimement constaté les bénéfices de l'apprentissage ; le supprimer aurait été désastreux.

Lors du PLF 2025, j'avais déposé des amendements pour moduler les aides en fonction de la taille des entreprises. Madame la ministre, vous avez été à l'écoute et avez tenu vos engagements : le Gouvernement a établi un barème juste et proportionné.

Le décret du 28 mars dernier prévoit une exonération totale de cotisations sociales pour les rémunérations inférieures à 50 % du Smic - au lieu de 79 % auparavant. C'est un alignement sur les conditions prévues pour les stagiaires et cela améliorera les recettes de la sécurité sociale de 278 millions d'euros. Un point d'étape à l'automne - avant le prochain budget - sur l'incidence de cette mesure serait intéressant.

Dans un monde en plein chahut, l'apprentissage est un atout.

Nous devons être vigilants sur la qualité de l'apprentissage. Il s'agit d'argent public, mais aussi de l'avenir de nos jeunes. Ne laissons pas la voie libre à des structures peu scrupuleuses. Comment les Opco et l'État peuvent-ils mieux contrôler les organismes de formation ?

Je ne suis pas favorable à la suppression de l'aide aux apprentis de qualification bac+4 ou bac+5 car les TPE-PME n'embauchent pas que les premiers niveaux de diplôme : elles ont besoin d'apprentis qualifiés.

Aider moins, oui, mais aider mieux, assurément, tel devrait être notre slogan. Il faut sans doute faire évoluer les conditions d'accompagnement des apprentis très qualifiés dans les grandes entreprises.

Faire dans la dentelle, c'est faire preuve de prudence pour ne pas casser la dynamique ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC ; Mme Frédérique Puissat applaudit également.)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - La proposition de loi relative à la lutte contre les fraudes aux aides publiques adoptée au Sénat et qui sera examinée en CMP le 6 mai nous donnera des leviers supplémentaires pour amplifier les contrôles dans les établissements privés à but lucratif. L'État et les Opco pourront mieux communiquer sur les contrôles passés et en cours.

Vous avez raison de parler d'un travail de dentelle. Notre défi est d'industrialiser ces contrôles tout en faisant du sur-mesure.

Mme Agnès Evren .  - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; Mme Annick Billon applaudit également.) Trop d'entreprises peinent à recruter, trop de jeunes doutent de leur avenir, trop de déterminismes sociaux pèsent encore sur notre système éducatif, trop de talents passent entre les mailles du filet faute d'avoir été bien orientés et formés.

Le travail nous responsabilise, nous émancipe, nous offre une place dans la société. C'est la mission de l'apprentissage, qui joue un rôle central dans l'insertion professionnelle.

Au 31 décembre 2024, nous comptions 900 000 apprentis, un record. Si ce succès a bénéficié à l'enseignement supérieur, les premiers niveaux de qualification ont crû de 76 % entre 2018 et 2024, signe que l'apprentissage est bien devenu une voie de formation à part entière.

Mais le chemin est encore long. Il faut une vision structurelle et concertée. À 19 %, le taux de chômage des 15-25 ans est deux fois supérieur à la moyenne nationale. Il faut réconcilier l'école et l'entreprise, briser le tabou en renforçant la coopération entre acteurs de l'éducation et monde économique.

L'apprentissage n'est pas une voie de garage mais un chemin vers l'emploi, les savoir-faire et l'indépendance. Il progresse d'ailleurs dans tous les secteurs : artisanat, tourisme, services. Le soutenir, c'est relancer l'emploi, faciliter la transmission des petites entreprises, valoriser le travail comme valeur républicaine.

C'est aussi une réussite collective impliquant les chefs d'entreprise qui embauchent et forment. Je salue leur engagement. Il faudra veiller aux effets de la baisse du plafond d'exonérations de cotisations sociales, décidée dans le projet de loi de finances. N'oublions pas que l'embauche d'un apprenti demeure un investissement non négligeable, particulièrement pour les entreprises de moins de 250 salariés.

La ville de Paris doit participer à cette dynamique, en nouant des partenariats avec des CFA pour adapter l'offre de formation aux besoins.

L'enjeu est aussi de favoriser l'apprentissage dès le secondaire. Réfléchissons à un statut scolaire de l'apprentissage, qui devrait être possible dès 14 ans, sans condition, pour mieux orienter les collégiens.

Enfin, il faut redonner à la région le rôle qui était le sien avant la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel. L'apprentissage n'est pas seulement une politique éducative, c'est une composante de notre souveraineté économique.

Paris manque de places en CFA dans des filières stratégiques comme les métiers du soin ou le numérique. Comptez-vous développer l'apprentissage en fonction des besoins du terrain ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC)

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Le système éducatif français est celui qui produit le plus de déterminismes sociaux, voire les aggrave, selon le classement du programme international pour le suivi des acquis des élèves (Pisa).

La réforme des lycées professionnels se poursuit, avec une meilleure articulation entre lycée et apprentissage. J'ai visité un lycée professionnel de La Celle Saint-Cloud qui, en ayant des apprentis en bac pro, conserve ses meilleurs éléments et s'ouvre sur le monde de l'entreprise. Nous réfléchissons aussi à des formations plus courtes, pour permettre d'autres spécialisations.

Avec la concertation, nous redonnons la main aux branches professionnelles pour fixer les priorités ; avec la bonification, nous donnerons les bonnes incitations. Outre les métiers du lien, je pense aussi à la réindustrialisation, au numérique, à la transition écologique.

J'étudie avec François Bonneau, de Régions de France, comment caler les priorités des branches professionnelles avec les priorités territoriales, notamment à travers les comités régionaux de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles (Crefop). Ce travail est en cours au niveau régional. Je compte sur les élus des départements pour bien flécher leurs priorités.

M. le président.  - Au Sénat, nous avons 43 apprentis (Mme Annick Billon applaudit), auprès des services du Sénat, des sénateurs et de la présidence. Ils nous apportent une forme d'oxygène bienvenue.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l'emploi .  - Merci pour la précision de vos questions, qui montre l'engagement et l'exigence de votre assemblée. Je salue la ténacité du président Larcher, qui a relancé les rencontres sénatoriales de l'apprentissage, interrompues depuis la crise sanitaire. Ce débat a été l'occasion d'aller au fond des choses.

Depuis 2018, nous avons lancé une révolution de l'apprentissage, en adaptant nos dispositifs, en amplifiant le soutien budgétaire et en changeant les mentalités. Nous devons consolider ces acquis, dans un contexte budgétaire contraint.

Après la phase d'expansion, il nous faut améliorer le dispositif.

Premier enjeu : l'adéquation entre l'offre et les besoins en emplois et en compétences. Certaines filières connaissent des tensions de recrutement. Les transitions démographique, écologique, numérique et stratégique nécessitent des compétences clés. Les branches professionnelles et l'État doivent définir des priorités ; la région devra jouer son rôle.

Le second enjeu, c'est la qualité des formations. Les moyens mobilisés sont importants, les attentes des apprentis et de leurs familles aussi. La remise à plat de la certification Qualiopi garantira que les formations répondent aux attentes des entreprises et des jeunes. La plateforme InserJeunes permet de mieux orienter les futurs apprentis vers les bonnes formations et les bons métiers.

Le pilotage par la qualité implique de renforcer le rôle des entreprises et des branches, d'autant que l'écosystème de l'apprentissage s'est élargi : tous les niveaux de qualification sont désormais concernés et de nouveaux CFA sont apparus.

Troisième enjeu : zéro tolérance pour les fraudeurs ! J'ai suivi attentivement vos travaux sur la proposition de loi relative à la lutte contre la fraude aux aides publiques. Le Sénat a renforcé nos moyens pour lutter contre la fraude dans le domaine de la formation professionnelle : nous pourrons désormais suspendre la déclaration d'activité en cas de suspicion de fraude - et donc la capacité à accueillir de nouveaux apprentis ou à percevoir des financements. Les services pourront communiquer, dans un cadre juridique sécurisé, sur les contrôles qu'ils réalisent. Réactivité et coordination sont clé.

Sélectivité, qualité et tolérance zéro pour la fraude, voilà nos mots d'ordre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, Les Républicains et du RDSE)

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation, de la communication et du sport .  - Je remercie Dominique Estrosi Sassone et Philippe Mouiller pour la co-organisation de ce débat, ainsi que tous ceux qui y ont participé.

L'apprentissage est un outil essentiel au service de l'emploi et de nos territoires : 60 % des jeunes qui sortent de formation trouvent un CDI dans les six mois. Plus d'un apprenti sur quatre est embauché dans l'entreprise où il a effectué son apprentissage.

En 2004, les rencontres sénatoriales sur l'apprentissage avaient pour thématique « Un autre regard sur l'apprentissage ». Vingt ans après, elle demeure d'actualité. Les métiers manuels restent mal appréciés dans notre système scolaire, car mal connus. Il faut les faire découvrir, car l'orientation est trop souvent subie et non choisie.

L'apprentissage reste un modèle fragile, qui a besoin de prévisibilité. Les entrées en apprentissage ont baissé de 14 % en janvier 2025, selon la Dares. Les hésitations lors de l'examen du PLF ont secoué le monde de l'apprentissage et expliquent l'attentisme des employeurs. Nous attendons toujours le décret fixant la participation de l'employeur pour les formations de niveau VI et plus.

Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre.  - Le 23 avril !

M. Laurent Lafon.  - Je souhaite une meilleure prévisibilité et une stabilité à moyen terme.

Au nom de la commission de la culture, je réitère nos mises en garde concernant les formations non diplômantes dispensées par l'enseignement supérieur privé lucratif. Nous appelons depuis des années à une meilleure régulation de ce secteur, avec un encadrement plus strict de l'accès aux financements de l'apprentissage. Nous serons attentifs à l'efficacité des mesures annoncées, madame la ministre.

La question de la formation des jeunes est généralement abordée ici sous le prisme de la répartition des compétences entre État et régions, ou lors du débat budgétaire. Les divergences politiques sont souvent fortes. Dans ce contexte, les rencontres sénatoriales de l'apprentissage permettent un débat apaisé, qui a l'avantage de donner la parole aux premiers concernés : les jeunes et leurs formateurs (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains)

M. le président.  - Je remercie les orateurs et collègues présents ainsi que ceux qui ont animé les échanges en salle Clemenceau. Notre journée consacrée à l'apprentissage se poursuit. (Applaudissements)

La séance est suspendue quelques instants.

Présidence de M. Pierre Ouzoulias, vice-président