Restauration de la sécurité en Haïti
Mme la présidente. - L'ordre du jour appelle l'examen de la proposition de résolution invitant à favoriser la restauration de la sécurité en Haïti afin de créer les conditions nécessaires à la mise en place d'un processus politique de sortie de crise, présentée, en application de l'article 34-1 de la Constitution, par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues, à la demande du groupe SER.
Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de résolution . - (Applaudissements) Monsieur le ministre, je vous remercie pour votre présence, d'autant plus appréciable au vu de la lourdeur de votre agenda. (M. Jean-Noël Barrot apprécie.)
Je me réjouis de l'examen de cette proposition de résolution, porteuse d'une belle ambition. Voilà dix-huit mois que nous y travaillons, afin de mobiliser davantage la communauté internationale pour aider ce pays avec qui nous avons noué une relation unique.
Comment qualifier l'urgence, quand elle dure depuis si longtemps ? Les cris et les pleurs du peuple haïtien ne transpercent plus les murs des médias. Mais le Parlement et avec lui la France entière n'oublient pas Haïti.
Le groupe d'amitié France-Caraïbes a mené un travail important, notamment avec les deux ambassadeurs - je salue la présence de l'ambassadeur haïtien dans notre tribune. J'ai échangé avec Leslie Voltaire, président du Conseil présidentiel de transition (CPT). Le dernier sommet de la Caricom en 2025 a aussi été l'occasion d'échanger avec la délégation haïtienne, pour définir les axes prioritaires d'action.
Je remercie tous les collègues ayant participé à ce travail et cosigné cette proposition de résolution, notamment tous les présidents de groupe.
Nous souhaitons un engagement fort en faveur de la restauration de la sécurité en Haïti, préalable indispensable à toute sortie de crise dans ce pays frère meurtri et épuisé, mais digne et résilient.
Nous le devons à ce peuple, qui a fait siens les idéaux des Lumières. Nous avons en partage de nombreuses valeurs, qui nous obligent. Le lien entre nos deux pays est indéfectible. L'humanité du peuple haïtien nous invite à réagir.
La France est aussi un pays caribéen : les territoires d'outre-mer sont aux premières loges du désolant spectacle de l'effondrement de Haïti. Si nous ne réagissons pas, le danger pointera. La violence ne pourra toujours pas être circonscrite à la perle des Antilles, dont nous souhaitons qu'elle retrouve tout son lustre.
Les gangs armés ont pris le contrôle de pans entiers de Port-au-Prince : ils contrôlent 80 % de la capitale, les accès aux routes et au port, et commettent de nombreuses violences et exactions - enlèvements, viols collectifs... L'année dernière, au moins 5 601 personnes ont été tuées, 2 212 blessées, 1 494 kidnappées : ce sont les chiffres d'une guerre qui ne dit pas son nom. En particulier, les violences sexuelles sont devenues une arme pour soumettre les communautés, anéantissant tout espoir de reconstruction.
S'ajoute à ce tableau une série de catastrophes naturelles. Le séisme de 2010 a fait 280 000 morts. Quelque 1 million de déplacés internes, une recrudescence du choléra, 80 000 malades du VIH, seuls 28 % des établissements hospitaliers pleinement opérationnels : les chiffres donnent le tournis.
La France participe à la coalition des volontaires, notamment grâce à 16 millions d'euros d'aide humanitaire versés en 2024. Mais le désengagement américain rebat les cartes. Monsieur le ministre, pouvez-vous garantir que le budget consacré à l'aide humanitaire sera préservé ?
Sans avancée sur la sécurité, c'est tout le fonctionnement du pays qui se trouve empêché. La résolution du 2 octobre 2023 du Conseil de sécurité des Nations unies a marqué une première étape, avec le déploiement d'une mission multinationale d'appui à la sécurité (Mmas) : le Kenya a pris la tête de cette force de sécurité qui rassemble 1 000 personnes, dont 750 Kényans, 75 policiers salvadoriens et 25 policiers de la Jamaïque. Mais ce déploiement est trop lent et les forces sont sous-équipées, malgré le courage exceptionnel de ces hommes.
Principal obstacle : le financement de la mission, qui repose uniquement sur des contributions des États. Sur les 110 millions de dollars d'aides, le Canada est le premier contributeur, pour 63 millions de dollars. Ensuite viennent les États-Unis, avec 15 millions. La France a contribué à hauteur de 8 millions d'euros l'année dernière.
S'ajoutent des aides directes : les États-Unis de Joe Biden avaient mobilisé plus de 300 millions de dollars en fonds et en équipements directement à la Mmas, dont des dizaines de véhicules blindés. La France a consacré 2 millions d'euros en 2024 au soutien des forces de sécurité haïtiennes.
Compte tenu de l'ampleur de la tâche, de la poussée des gangs et de l'incertitude sur les aides américaines, la communauté internationale doit accentuer ses efforts et sécuriser les financements. La proposition du secrétaire général des Nations unies de financements hybrides permettrait de financer la logistique de la mission internationale. Monsieur le ministre, la France appuiera-t-elle cette proposition ? Quel sera le montant de la contribution française à la Mmas cette année ?
Nous avons un devoir de fraternité, une responsabilité partagée : Haïti, terre de fierté et de douleurs, a plus que jamais besoin d'un partenaire ambitieux et constant dans son engagement. Sachons être à la hauteur de l'histoire qui nous lie à ce pays ! (Applaudissements)
M. Jean-Marc Vayssouze-Faure . - (Applaudissements sur les travées du groupe SER) Le Sénat lance cet après-midi une nouvelle alerte face au drame qui se joue dans le pays le plus peuplé des Caraïbes. Cette proposition de résolution prouve notre capacité à marquer une détermination commune, au-delà de nos différences. Je salue l'initiative d'Hélène Conway-Mouret, qui s'inscrit dans son engagement de longue date sur le sujet.
Haïti est un pays avec lequel la France partage des liens intimes, une histoire sombre, parfois, une langue et une relation récemment restaurée. La première visite d'un chef d'État français s'est tenue en mai 2015, avec François Hollande.
Haïti fut l'une des premières voix de la liberté, de l'indépendance et de l'abolition de l'esclavage. La France a engagé depuis quelques années une coopération avec ce pays, que nous devons accentuer, tant la situation sur place est accablante.
Il y a une semaine, à Mirebalais, les gangs armés confirmaient que leur stratégie n'est que la propagation du chaos. Un assaut récent a eu lieu contre un établissement pénitentiaire : 529 détenus évadés, des policiers fuyant le commissariat, des morts, des blessés parmi la population locale, des autorités débordées, des gangs sur le point de s'emparer d'infrastructures-clés. L'île est au centre d'un cataclysme sécuritaire, comme le montrent les 5 601 personnes tuées l'an passé.
Au nom du groupe SER, j'ai une pensée pour la population haïtienne, marquée par l'assassinat de son président, Jovenel Moïse, puis la démission, en mars 2024, du Premier ministre Ariel Henry.
La population, à jamais marquée par le séisme de janvier 2010, est victime d'assassinats, de viols collectifs et de pillages. Le 20 mars dernier, l'ambassade de France a dû fermer son accès au public.
La tenue de ce débat témoigne d'une prise de conscience. La proposition de résolution confirme l'urgence : venir en aide à la population haïtienne et restaurer la sécurité dans le pays sont un préalable indispensable à un processus politique de sortie de crise. L'accord conclu le 3 avril 2024 fait de la sécurité une priorité.
La Mmas, de 1 000 hommes, a des effectifs structurellement insuffisants. Nous soutenons l'appel de Hélène Conway-Mouret pour que la France soutienne la police haïtienne. La France a renforcé son soutien à la sécurité en Haïti, avec 10 millions d'euros l'an dernier.
Face à l'aggravation de la crise, nous devons aller plus loin. Ce texte est aussi un appel au sursaut humanitaire, à agir plus vite, plus fort, pour les millions de femmes et d'enfants déplacés dans les 142 camps, souvent dans des abris de fortune. Plus de 60 000 personnes ont été au coeur de ces mouvements entre mi-février et mi-mars.
La France doit amplifier son soutien humanitaire, car 5,6 millions de personnes, soit la moitié de la population, sont en situation d'insécurité alimentaire. Les personnes vulnérables, susceptibles d'être recrutées par les gangs dont elles sont les victimes, doivent faire l'objet d'une attention particulière. Dans les camps, les populations pourraient se trouver privées d'eau et de soins.
En 2024, la France a octroyé 16 millions d'euros au titre de l'aide humanitaire, qui a notamment financé des cantines scolaires ayant servi 80 000 repas par jour. L'an dernier, 2 millions d'euros ont été déployés en soutien aux personnes déplacées et 2 millions d'euros supplémentaires pour les Haïtiens renvoyés de République dominicaine. Ils seraient 200 000 dans cette situation.
Nous devons maintenir les crédits d'aide humanitaire, les besoins financiers étant estimés à 908 millions de dollars en 2025, en hausse de 35 % par rapport à 2024.
Sur la sécurité comme sur l'aide humanitaire, la France doit être au rendez-vous, alors que la reconfiguration géopolitique entraînera un recul de l'aide américaine. Actuellement, l'aide humanitaire est portée à 60 % par les Américains ; ce taux atteint 90 % pour la lutte contre le sida.
Le groupe SER votera naturellement cette proposition de résolution.
Monsieur le ministre, je saisis cette occasion pour renouveler nos alertes concernant la réduction des crédits de l'aide publique au développement, qui a supporté seule 10 % des coupes budgétaires en 2025, alors qu'elle représente 1 % du budget de l'État. Nous devons agir concrètement et résolument en faveur des programmes vitaux pour la santé, l'agriculture et les droits des femmes.
Face aux défis mondiaux, c'est fidèle à ses valeurs, à la fraternité et à l'esprit des Lumières que la France doit agir. (Applaudissements)
M. Marc Laménie . - Je remercie Hélène Conway-Mouret ainsi que ses collègues du groupe SER.
Cela fait un peu plus d'un an que le Premier ministre Ariel Henry a démissionné de ses fonctions de chef de gouvernement par intérim.
Haïti est considéré comme un État failli. L'autorité n'existe plus, le droit a disparu, ne reste que la loi du plus fort. Les gangs se disputent le territoire ; leurs affrontements font de nombreuses victimes, en leur sein comme chez les civils. Pas moins de 4 239 personnes ont été tuées au cours des dix-huit derniers mois.
C'est dire l'ampleur du chaos, mais aussi les moyens dont disposent les gangs. Les viols collectifs se multiplient. Le sort des filles et des femmes est alarmant. Certaines sources font état de traite d'enfants.
La communauté internationale ne peut laisser faire. En mars, plus de 60 000 personnes ont été déplacées. Les forces de l'ordre sont dépassées, démoralisées, et passent elles-mêmes parfois dans les gangs, comme Jimmy Chérizier, ancien policier devenu chef de gang.
De nombreux Haïtiens fuient vers l'État voisin de République dominicaine, où des manifestations hostiles à l'égard des migrants haïtiens ont éclaté.
Ce chaos intervient après plusieurs catastrophes naturelles qui ont affaibli la population comme les institutions.
La communauté internationale s'accorde sur la nécessité d'agir. La Mmas est en cours, pour tenter de restaurer l'ordre.
Les États-Unis, deuxième bailleur de cette mission, ont récemment annoncé diminuer leurs financements - un coup dur pour un État déjà fragile.
Pour la population haïtienne, le danger est permanent. Tant que la sécurité ne sera pas rétablie sur le territoire, la situation humanitaire ne pourra s'améliorer et l'économie restera paralysée.
La France concourt à la Mmas à hauteur de plusieurs millions d'euros. Cet engagement indispensable doit être poursuivi, et la mission réexaminée à l'issue du désengagement américain. La communauté internationale doit renforcer son soutien logistique, médical et humanitaire.
Mais il faudra aussi aider Haïti à reconstruire un tissu social, économique, institutionnel. Il faudra créer les conditions d'une paix durable, soutenir un renouveau politique avec des processus démocratiques solides. L'urgence, c'est le retour à l'ordre, en engageant des moyens à hauteur de la catastrophe.
Le groupe INDEP votera unanimement ce texte. (Applaudissements)
M. Bruno Belin . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Oui à la solidarité internationale !
Parler de Haïti, c'est parler d'un attachement jamais démenti pour un pays dans lequel j'ai eu la chance de me rendre à l'occasion de huit missions, entre 2009 et 2018, notamment quelques semaines avant et après le séisme de 2010.
J'ai vu Haïti entamer sa descente aux enfers, par incurie, par impuissance face à la violence intérieure imposée par les gangs, qui n'ont d'autre légitimité que la peur des peuples.
En moyenne, les habitants disposent d'un dollar par jour pour vivre. Haïti est un pays failli, où l'unité d'usage monétaire, la gourde, dit elle-même tout le poids qui pèse sur ce pays.
Haïti est le carrefour de toutes les misères, de toutes les violences ; mais c'est aussi une géographie et une histoire qui nous interpellent et nous obligent.
Commencée avec la France au début du XIXe siècle, avec Toussaint Louverture et la proclamation de la Première République, cette histoire est celle du premier État francophone des Caraïbes.
M. Pierre Ouzoulias. - Très bien !
M. Bruno Belin. - La marijuana venue de Jamaïque, la cocaïne de Colombie... Les trafics sont nombreux.
Cette proposition de résolution crée une espérance essentielle. Je salue l'ambassadeur, en tribune, et le ministre, dont la présence montre l'engagement de la France.
Non loin de la ville de Marigot, au sud-est de Haïti, à Macary, une école a été créée au début des années 2010 : celle-ci porte le nom d'une jeune fille, Fanny Lefebvre, à qui je dédie mon intervention.
Vive Haïti ! (Applaudissements)
M. Pierre Ouzoulias. - Bravo !
M. Frédéric Buval . - Cette proposition de résolution a pour ambition de donner une impulsion politique en faveur d'une intervention internationale et d'un soutien accru à Haïti, et rétablir la sécurité face aux violences et à la barbarie des gangs.
Haïti traverse l'une des pires crises de son histoire : instabilité politique, insécurité grandissante, situation humanitaire alarmante. Dans ce pays des Caraïbes déjà fragilisé par les troubles politiques et les catastrophes naturelles, la population subit une détérioration sans précédent de ses conditions de vie.
Dans environ 80 % de Port-au-Prince, les viols, enlèvements et affrontements sont devenus monnaie courante. Les forces de l'ordre, parfois corrompues, ne peuvent rétablir la sécurité. L'accès à l'eau potable, l'éducation et les soins de santé restent très limités. L'insécurité alimentaire atteint des niveaux critiques, plus de la moitié de la population étant sous-alimentée. Plus de 1 million de personnes ont dû quitter leur lieu de vie, nombre qui a triplé en un an.
Depuis plus de deux siècles, la France a une dette historique envers ce peuple martyr, de qui elle a exigé le paiement d'une indemnité de 150 millions de francs or en l'échange de la reconnaissance de son indépendance. Cette somme exorbitante - l'équivalent de 21 milliards de dollars actuels - était la compensation exigée par les colons pour la perte de l'outil de travail que représentaient les esclaves. Une telle dette était indigne de la France. Elle a retardé le développement haïtien. (M. Pierre Ouzoulias acquiesce.)
Ce long héritage nous oblige. Haïti ne peut s'en sortir sans la solidarité internationale et sans la France.
La stabilité et la sécurité de la région des Caraïbes sont menacées. La France a une responsabilité particulière dans cette zone. La Martinique, la Guadeloupe et la Guyane, qui ont des liens historiques avec Haïti, font face à une hausse massive de l'immigration haïtienne, légale comme irrégulière. Les capacités d'accueil des autorités locales sont sous pression. Les demandes d'asile augmentent, alors que les services administratifs sont saturés.
Les municipalités font face à une hausse des besoins dans les domaines du logement, de l'éducation et de la santé. Les systèmes de santé guadeloupéens et martiniquais sont pourtant déjà fragilisés par le manque d'effectifs et de moyens.
Nous devons agir pour le peuple haïtien, pour rétablir la sécurité et faciliter une transition démocratique.
Le RDPI votera naturellement cette proposition de résolution.
Mme Sophie Briante Guillemont . - Haïti, pays brisé, le plus pauvre des Amériques, subit une crise sans précédent. Son récit est celui d'une longue descente aux enfers.
Le 1er janvier 1804, Haïti a proclamé son indépendance à l'issue d'une longue révolte, devenant ainsi la première République noire. Mais elle n'a gagné son indépendance qu'après le paiement à la France d'une dette colossale, dont elle a réglé le principal en 1883 et les intérêts dans les années 1950 : au total, cela représenterait entre 20 et 110 milliards d'euros de pertes de croissance, montants que certains n'hésitent pas à qualifier de véritable rançon.
Si on ajoute à tout cela l'occupation du pays par les États-Unis au début du XXe siècle, la corruption politique et les catastrophes naturelles, on comprend pourquoi il s'agit d'un des pays les plus pauvres des Amériques.
Depuis plusieurs années, des gangs font régner la terreur : plus de 5 000 homicides l'année dernière, soit 1 000 de plus qu'en 2023.
Le pays est noyé dans une profonde instabilité politique depuis l'assassinat de Jovenel Moïse, et la démission forcée d'Ariel Henry n'a pas enrayé la spirale de la violence. Si la sécurité fait partie des priorités du CPT, celui-ci peine à asseoir sa légitimité.
On recense plus de 1 million de déplacés. D'après les ONG, la moitié de la population est en insécurité alimentaire. Haïti vit une véritable crise humanitaire. L'arrêt de l'aide américaine ne peut qu'aggraver cette crise : ONG et associations locales ferment boutique.
Environ 900 de nos compatriotes vivent encore en Haïti. Nous avons perdu la moitié voire un tiers de la communauté française en quelques années. L'accès à l'aéroport étant restreint, le moyen le plus sûr de quitter le territoire reste l'hélicoptère, ce qui est hors de portée de nombreux Français.
Je salue l'action de l'ambassade de France et de notre marine nationale, qui, en mars 2024, a évacué plus de 200 personnes. (M. Jean-Noël Barrot apprécie.) Le lycée français Alexandre-Dumas est contraint de fermer régulièrement. Les enseignants improvisent au jour le jour, comme le personnel. Nous saluons leur engagement.
La restauration de la sécurité dans le pays est vitale, et je remercie Hélène Conway-Mouret et le groupe socialiste pour cette proposition de résolution.
Il faudra un effort international considérable. La mission menée par le Kenya est une première étape, malheureusement insuffisante. Un embargo sur les armes doit être instauré, car Haïti ne produit pas d'armes. Puis viendra une réponse politique. Que faire des 15 000 hommes, pour moitié mineurs, membres des gangs ? Pourront-ils être réintégrés dans la société haïtienne ?
La France, par l'histoire qui nous lie, doit être motrice. Nous voterons cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe SER)
Mme Évelyne Perrot . - Merci, chère Hélène Conway-Mouret, de nous donner la possibilité de parler de Haïti.
Les défis du pays sont multiples et interconnectés : sécuritaires, économiques, politiques et humanitaires. Le pays, déjà éprouvé par les séismes de 2010 et 2021, peine à se relever. Et il est en proie à une insécurité croissante. Pas moins de 85 % de la zone métropolitaine de Port-au-Prince est sous le contrôle des gangs.
Des tirs de gangs sur des avions de ligne américains ont entraîné la fermeture de l'aéroport et la suspension des liaisons aériennes.
Pas moins de 5 millions de personnes souffrent d'insécurité alimentaire aiguë et 2 millions vivent en situation d'urgence alimentaire ; ils sont 6 000 à vivre en situation de famine. Les conséquences sont dévastatrices, notamment sur le développement des enfants.
Plus de 40 000 enfants ont dû quitter leur foyer depuis le début de l'année 2025 en raison de l'escalade des violences - et nous ne sommes que le 10 avril ! Les violences sexuelles à l'encontre des enfants ont augmenté de 1 000 % entre 2023 et 2024. Les recrutements d'enfants dans les groupes armés ont augmenté de 70 %.
Sur le plan économique, les défis sont immenses. Ainsi, 64 % de la population vit avec moins de 3,45 dollars par jour. L'accès aux ressources essentielles, notamment alimentaires, est compromis pour une grande partie de la population.
Le processus politique est fragile et les institutions sont en ruine : l'instabilité politique s'est aggravée depuis l'assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021. Les dernières élections présidentielles et législatives remontent à 2016 et le Parlement n'est plus opérationnel depuis janvier 2020. Les tensions entre le CPT et le Premier ministre ont conduit à des changements fréquents dans le Gouvernement.
Corruption et impunité sont omniprésentes. Les efforts de la police nationale haïtienne et de la mission de soutien à la sécurité n'ont pas réussi à enrayer la violence. L'État perd inexorablement du terrain face aux gangs, qui étendent leur contrôle et imposent leurs propres lois.
La communauté internationale doit aider Haïti à sortir de cette crise. Tel est l'objet de cette proposition de résolution transpartisane.
Il est impératif d'accélérer le déploiement de la mission de soutien à la sécurité et de s'assurer que des mécanismes de conformité aux droits de l'homme soient pleinement en place. La coopération policière entre la France et Haïti doit être accentuée.
L'accord de Kingston, signé le 11 mars 2024, est un bon début.
La proposition de résolution appelle à un acheminement rapide et sécurisé de l'aide humanitaire, vitale pour la population. Naturellement, le groupe UC la votera. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et INDEP)
M. Pierre Ouzoulias . - La situation en Haïti est dramatique. L'État haïtien peine à assurer la sécurité de sa population, faute de moyens suffisants et d'appareils institutionnels stables. Les gangs exercent une emprise inquiétante sur de larges pans du territoire et de la société.
En octobre 2022, le Gouvernement haïtien a sollicité l'appui d'une force multinationale, ce que le Conseil de sécurité des Nations unies a accepté. La majorité de notre groupe soutient le principe de ce déploiement, car chaque citoyen a droit à la dignité et à la sécurité.
Mais soyons lucides : l'approche uniquement sécuritaire de ce texte risque de réduire cette crise politique à une simple urgence humanitaire.
Les interventions armées étrangères - une dizaine en trente ans - , même motivées par de bonnes intentions, n'ont pas permis de stabiliser le pays : leur échec tient souvent à une analyse partielle de la crise.
L'insécurité est non pas une cause, mais une conséquence. La crise tient à un enchevêtrement de facteurs : effondrement institutionnel, corruption, inégalités sociales, absence de perspectives économiques, liens entre élites et groupes armés.
C'est pourquoi une intervention internationale sans véritable feuille de route politique et sans coordination avec des acteurs légitimes risquerait de ne rien changer à la situation. Le Gouvernement non élu ne bénéficie en effet d'aucune légitimité politique.
Une telle mission risquerait de renforcer une police décriée pour sa corruption, et non les institutions. L'épidémie de choléra, introduite par des Casques bleus, appelle à une vigilance extrême. Les victimes des précédentes missions attendent toujours justice et réparation.
La seule issue durable passe par un processus politique inclusif et souverain. L'accord de Montana, élaboré par un large éventail de la société civile haïtienne, est une initiative sérieuse. Il propose une rupture avec les pratiques actuelles, des élections libres et le rétablissement des trois pouvoirs de l'État.
Il est urgent d'ouvrir un débat international sur la dette haïtienne, notamment la dette dite de l'indépendance imposée par la France. Il faudrait annuler les dettes et reconnaître cette dette historique.
Nous ne pouvons nous contenter d'une réponse armée : il y a besoin d'une vision globale, respectueuse de la souveraineté du peuple haïtien et construite avec toutes les forces du pays. La sécurité certes, mais jamais au détriment de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, du GEST et sur quelques travées du groupe Les Républicains)
M. Guillaume Gontard . - La situation de Haïti est catastrophique sur tous les plans. C'est le pays le plus pauvre des Amériques ; 36 % de sa population survit avec moins de 2 dollars par jour. Le pays est régulièrement frappé par les catastrophes naturelles, avec des morts par milliers. Le choléra fait des ravages, la faim sévit...
Depuis 2020, le pouvoir législatif a cessé de fonctionner. L'année suivante, le président Jovenel Moïse était assassiné. Depuis deux ans, il n'y a plus aucun élu en fonction à Haïti. La légitimité du Premier ministre par intérim, Ariel Henry, est très faible.
L'État haïtien est donc en déliquescence totale. La nature ayant horreur du vide, les mafias prennent le relais et s'affrontent pour contrôler le territoire. La violence est endémique : en 2024, plus de 5 600 personnes ont été tuées et Port-au-Prince détient le macabre record de la ville la plus violente au monde.
Cela ne peut plus durer. La résolution du Conseil de sécurité des Nations unies du 2 octobre 2023 est un premier pas. Comme souvent, la France et les États-Unis ont été les plus actifs. Mais ces deux nations ont perdu toute légitimité pour résoudre les problèmes de la perle des Antilles, qui s'est libérée du joug de l'esclavage à partir de 1791, puis est devenue indépendante en 1804, grâce à Toussaint Louverture.
Malheureusement, la France monarchiste de Charles X obligea les esclaves à rembourser leur ancien maître... Cet épisode honteux est totalement oublié chez nous, mais pas à Haïti : 80 % de son budget a été consacré au remboursement de cette dette illégitime pendant 122 ans !
Le soutien de la France et des États-Unis à la dynastie des Duvalier, sanguinaires dictateurs qui ont ruiné le pays, ont achevé de plomber notre réputation. Avec un tel passif, la population haïtienne n'attend pas grand-chose de la France...
Il est donc positif que la Mmas ait été placée sous commandement kényan, mais soyons vigilants à ce que les forces kényanes ne commettent pas d'exécutions sommaires.
Humilité et aide utile : voilà ce que permet cette résolution. Je remercie Hélène Conway-Mouret, qui nous permet d'envoyer un signal fort aux Haïtiens. Nous avons cosigné cette proposition de résolution et nous la voterons. (Applaudissements sur les travées du GEST et des groupes CRCE-K, SER et INDEP)
Mme Annick Petrus . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains) Je salue M. l'ambassadeur de Haïti, présent en tribune.
Il y a quelques jours, des milliers de Haïtiens manifestaient à Port-au-Prince, pour dénoncer l'insécurité et l'inaction des autorités : écoles et commerces fermés, commissariats attaqués, prisons vidées, familles entières jetées sur les routes...
Haïti est victime non pas d'une crise passagère, mais d'une détresse durable. La situation se dégrade depuis plusieurs années, mais aujourd'hui il y a urgence. Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, Volker Türk, a récemment parlé d'un nouveau point de crise pour les droits humains en Haïti. La communauté internationale ne peut plus rester spectatrice.
La France a une responsabilité particulière. Nos territoires ultramarins sont aux avant-postes. Je redis ma solidarité avec le peuple haïtien, car la communauté haïtienne est nombreuse à Saint-Martin. Notre île, à quelques encablures de Haïti, ressent chaque onde de choc de la crise : partageant des liens humains, familiaux, économiques, nous ne pouvons être indifférents.
La résolution appelle au déploiement effectif de la Mmas et au renforcement de la coopération policière ; elle soutient le processus politique. Ce sont de bonnes orientations, mais il faut désormais des actes, car chaque jour compte.
Il est de notre devoir de rester fidèles à nos valeurs, de ne pas détourner le regard et d'agir avec humanité, constance et respect pour la souveraineté d'un peuple aspirant à la paix, à la dignité et à la reconstruction. (Applaudissements)
Mme Micheline Jacques . - (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains ; M. Vincent Louault applaudit également.) Haïti occupe une place singulière dans la Caraïbe et dans le monde. Personne ne peut regarder ailleurs, alors que ce pays s'enfonce dans une crise sécuritaire, alimentaire et économique majeure.
Hier, Bruno Retailleau qualifiait la situation de chaotique et réaffirmait l'engagement de la France aux côtés d'Haïti.
Je salue la présence en tribune du chargé d'affaires Louino Volcy.
Je salue l'initiative d'Hélène Conway-Mouret ; cette proposition de résolution a été cosignée par l'ensemble des groupes. La volonté française ne fait pas de doute.
La situation d'Haïti nous concerne universellement, car c'est elle qui a fait entrer la démocratie et la liberté dans l'universalité.
Haïti se situe à 900 km de la France, soit la distance entre Paris et Rome. C'est pourquoi aider Haïti, c'est aider les outre-mer, où vivent plus de 150 000 Haïtiens. La violence en Haïti est alimentée par les cartels du narcotrafic. Ne laissons pas se créer dans la Caraïbe un hub de la drogue et des armes.
Les défis ne sont pas que sécuritaires : un million de personnes déplacées ; la moitié de la population qui vit sous le seuil de pauvreté...
L'élection de Donald Trump pourrait se traduire par un retrait de l'aide budgétaire américaine. Il ne faudrait pas que les liquidités liées aux trafics remplacent ces devises.
Le rapport d'Amnesty International sur la situation des enfants est atroce. Mais les mineurs représentent 30 % des gangs : comment engager l'armée contre des enfants ? C'est un dilemme moral cornélien.
La force multinationale n'a pas tenu ses promesses. Nous savons l'engagement de la France en faveur du rétablissement de l'ordre en Haïti. Il faut une force internationale de maintien de la paix sur le fondement du chapitre V de la Charte des Nations unies.
Sans sécurité, point de développement. Mais le rétablissement de la sécurité ne saurait être le seul horizon : Haïti est aussi un territoire agricole fertile, porteur d'une jeunesse à qui il faut redonner espoir.
L'année 2025 marque le bicentenaire des relations diplomatiques entre la France et Haïti. Privée de l'équivalent de trois années de PIB, la jeune république en 1825 n'a pas pu investir dans des institutions suffisamment solides pour résister aux contingences de l'histoire.
Le groupe Les Républicains votera à l'unanimité cette proposition de résolution et soutient l'action du Gouvernement aux côtés d'Haïti. (Applaudissements)
M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères . - La France soutient le peuple haïtien, qui traverse l'épreuve de la violence et du chaos, en raison de la guerre des gangs. La France est un État caribéen : nous sommes donc solidaires des défis qui se posent à Haïti.
Je remercie Hélène Conway-Mouret pour son engagement, ainsi que celui du groupe d'amitié France-Caraïbes. Je salue également l'engagement et le sang-froid de notre ambassadeur à Port-au-Prince.
Haïti est entrée dans une phase de transition politique, avec l'accord du 3 avril 2024 et la mise en place d'un exécutif bicéphale, composé du CPT et du Gouvernement. Ce dernier a deux priorités : libérer la population de l'emprise des gangs et organiser des élections générales.
La France soutient les autorités de transition haïtiennes et leur agenda. En 2024, nous avons versé 750 000 euros à l'organisation internationale de la francophonie pour accompagner le processus électoral.
La situation sécuritaire ne cesse de se dégrader : plus de 5 600 morts et 1 million de déplacés en 2024, et 1 000 morts et 78 000 déplacés depuis le début de 2025. Le 1er avril, 500 détenus se sont échappés de prison...
Les forces de sécurité nationales, fortes de 10 000 hommes, ne parviennent pas à contenir cette violence. Résultat : les Haïtiens sont privés de l'accès aux services de base, ainsi qu'à l'aide humanitaire. La moitié de la population souffre de la faim. La France est pleinement engagée : elle est le dernier État de l'Union européenne, avec l'Espagne, encore présent à Port-au-Prince. Avec 40 millions d'euros de dons, nous sommes le troisième bailleur d'Haïti, derrière les États-Unis et le Canada.
Des liens indéfectibles unissent nos deux pays : histoire, géographie, langue. Nos relations diplomatiques sont étroites. Le 29 janvier dernier, le Président de la République a reçu le président du CPT.
Notre priorité est le rétablissement de la sécurité. Depuis 2023, nous avons mobilisé plus de 11 millions d'euros pour soutenir la Mmas, la police nationale et les forces armées haïtiennes. À ce stade, le secrétaire général des Nations unies a écarté la transformation de la Mmas en opération de maintien de la paix, privilégiant son renforcement sur le modèle somalien. La France est favorable à une plus grande implication des Nations unies.
Nous voulons des sanctions contre les chefs de gangs et ceux qui les financent. La France a voté le régime de sanctions décidé par l'ONU et est à l'origine des sanctions décidées à Bruxelles en juillet 2023 : trois chefs de gangs ont été désignés en décembre 2024, de nouveaux dossiers, préparés par mes équipes, sont en cours d'examen.
Quelque 16,5 millions d'euros d'aides ont été alloués en 2024, avec 8,5 millions d'euros pour l'aide humanitaire, 2 millions pour l'aide aux migrants haïtiens expulsés par la République dominicaine et 1 million d'euros pour notre coopération culturelle et éducative. Plus de 4 000 étudiants haïtiens sont présents en France.
Vous l'avez rappelé : 2025 marque le bicentenaire de la reconnaissance de l'indépendance de Haïti par la France. Le Président de la République a indiqué que notre passé commun ne devait pas être oublié et qu'il fallait faire vivre la mémoire de l'esclavage sur l'ensemble du territoire national, comme en Haïti. Le 17 avril, le Président de la République fera des annonces. La date est symbolique : il s'agit de la date anniversaire de l'ordonnance du 17 avril 1825 de Charles X de reconnaissance de l'indépendance de Haïti, en contrepartie d'une indemnité. La France est ouverte à un dialogue apaisé sur les questions mémorielles.
Nous ne pouvons ignorer la décision américaine de geler son aide internationale - c'est 60 % de l'aide humanitaire à Haïti. Et les expulsions d'Haïtiens en situation illégale depuis les États-Unis ont démarré. En dépit des restrictions budgétaires, nous voulons continuer à soutenir Haïti et sa population en 2025.
Je salue nos presque 1 000 compatriotes sur place, qui craignent pour leur sécurité, et je rends un hommage appuyé à notre ambassadeur et à ses équipes : célibat géographique, déplacement dans des véhicules blindés, évacuation des bureaux de l'ambassade. Leur courage et leur dévouement font honneur à la France. Je compte sur vous, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs, pour les saluer. (Applaudissements)
Haïti vit l'une des pires crises de son histoire. Notre soutien doit être à la hauteur des liens qui unissent nos deux peuples. Cela passe par la préservation de nos moyens diplomatiques, de nos moyens de coopération sécuritaire et de notre aide publique au développement.
Plus que jamais, les Haïtiennes et les Haïtiens ont besoin du soutien de la France. Je resterai pleinement engagé sur le sujet et sais pouvoir compter sur votre mobilisation. (Applaudissements)
À la demande du groupe SER, la proposition de résolution est mise aux voix par scrutin public.
Mme la présidente. - Voici le résultat du scrutin n°261 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 334 |
Pour l'adoption | 332 |
Contre | 2 |
La proposition de résolution est adoptée.
(Applaudissements)