L'EXEMPTION JUDICIAIRE DE SANCTION PENALE
Table des matières
NOTE DE SYNTHESE
Bien
qu'il semble naturel que la reconnaissance de culpabilité se traduise
par le prononcé d'une sanction pénale, le coupable peut, dans
certaines circonstances prévues par la loi, être exempté de
toute peine.
On distingue les exemptions législatives des exemptions judiciaires.
Les exemptions législatives sont automatiquement accordées dans
certains cas limitativement énumérés. En France par
exemple, dans les affaires de terrorisme et de faux-monnayage, les
délinquants qui ont "
permis d'éviter la réalisation de
l'infraction et d'identifier, le cas échéant, les autres
coupables "
sont exemptés de peine
.
Quant aux exemptions judiciaires, objet de cette étude, elles existent
en France sous deux formes : la dispense de peine et l'ajournement du
prononcé de la peine. Ainsi, les tribunaux français, dans le
cadre de leurs pouvoirs d'individualisation judiciaire, jouissent depuis
quelques années du pouvoir discrétionnaire de ne pas sanctionner
l'accusé reconnu coupable. Ce pouvoir d'exemption est limité aux
seules matières correctionnelle et contraventionnelle.
L'ajournement du prononcé de la peine, introduit dans la
législation française en 1975, a mis fin au principe de
l'indivisibilité de la sentence selon lequel le juge ne peut pas
dissocier dans le temps les décisions sur la culpabilité et sur
la sanction. Désormais, comme dans les pays anglo-saxons, la juridiction
peut déclarer l'accusé coupable et statuer ultérieurement
sur la peine. A l'audience de renvoi, le prévenu peut être
dispensé de toute peine.
Pour analyser les dispositifs étrangers d'exemption judiciaire, on a
donc cherché à savoir si les pays voisins connaissaient des
institutions comparables à la dispense de peine et à
l'ajournement du prononcé de la peine. Pour cela, on a retenu, outre
l'
Angleterre
et le
Pays de
Galles
, l'
Allemagne
,
la
Belgique
, l'
Espagne
et l'
Italie
.
1) L'ajournement du prononcé de la peine existe en Allemagne, en Angleterre et au Pays de Galles et en Belgique.
En
Angleterre et au Pays de Galles, ainsi qu'en Belgique, l'ajournement du
prononcé de la peine obéit aux mêmes règles qu'en
France : la décision sur la culpabilité et la décision sur
la peine sont dissociées. A l'issue d'un délai fixé au
moment de la première, l'accusé peut être dispensé
de toute peine.
En revanche, en Allemagne, lorsque la juridiction pénale rend un
"
avertissement avec suspension du prononcé de la
peine
", elle détermine par avance la peine éventuelle,
en même temps qu'elle déclare l'accusé coupable et qu'elle
fixe un délai au terme duquel elle peut constater qu'il n'y a pas lieu
de prononcer la peine prévue.
En dehors de cette différence de fond, les trois pays qui connaissent
l'ajournement du prononcé de la peine l'utilisent selon des
modalités variables.
a) Le champ d'application de l'ajournement du prononcé de la peine
diffère.
En Allemagne, il est limité aux infractions mineures. En Belgique, il
est exclu en matière criminelle. En revanche, la loi anglaise ne
définit pas son champ d'application par rapport à la
gravité de l'infraction concernée : n'importe quel tribunal
pénal, qu'il s'agisse d'une
magistrates' court
ou de la
Crown
Court
, peut ajourner le prononcé de la peine s'il estime qu'une
telle décision est conforme aux "
intérêts de la
justice
".
b) La durée de l'ajournement est variable.
En Angleterre et au Pays de Galles, l'ajournement ne peut dépasser six
mois. En Allemagne, il est compris entre un et trois ans. En Belgique, sa
durée peut varier entre un et cinq ans.
c) Les lois anglaise et belge exigent l'accord du condamné pour que
les tribunaux puissent ajourner le prononcé de la peine.
d) Dans chacun des trois pays, le tribunal qui ajourne le prononcé de la
peine peut imposer des conditions probatoires.
2) La dispense de peine existe en Allemagne, en Angleterre et au Pays de Galles ainsi qu'en Italie.
En
Angleterre et au Pays de Galles, elle est très comparable à son
équivalent français. Il en va de même en Italie, même
si elle n'existe qu'au bénéfice des mineurs.
En Allemagne, la dispense de peine revêt une signification totalement
différente. En effet, elle est obligatoirement prononcée lorsque
la peine encourue est inférieure à un an de prison et que les
conséquences de l'acte incriminé sont telles qu'il est
évident que le coupable s'est en quelque sorte châtié
lui-même et que toute sanction serait superflue.
ALLEMAGNE
I - L'AJOURNEMENT DU PRONONCE DE LA PEINE
Prévu à l'article 59 du code pénal,
l'avertissement avec suspension du prononcé
de la peine
,
introduit par la grande réforme du droit pénal de 1969, est
seulement applicable aux personnes condamnées à payer des amendes
inférieures ou égales à 180 "
taux
journaliers
" (
1(
*
)
).
Un tel avertissement peut être rendu lorsque l'évaluation des
faits et de la personnalité du coupable laissent penser qu'il convient
de ne pas prononcer de peine. En revanche, il est exclu lorsque, au cours des
trois dernières années, le condamné s'est vu infliger une
peine ou a déjà reçu un tel avertissement.
Lorsqu'un avertissement avec suspension du prononcé de la peine est
rendu, la
peine est déterminée
et un sursis, compris entre
un et trois ans, est fixé. Le tribunal peut également imposer des
obligations au coupable (compensation financière du dommage par
exemple). Le délai écoulé, le tribunal peut constater
qu'il n'y a pas lieu de prononcer la peine.
Dans la pratique, cette possibilité est rarement utilisée parce
que
" l'arrêt conditionnel de l'instance pénale ",
qui s'applique dans les mêmes conditions et qui permet au
ministère public de renoncer à intenter l'action publique, lui
est généralement préféré.
II - LA DISPENSE DE PEINE
L'article 60 du code pénal oblige le tribunal à ne pas
prononcer de sanction lorsque les conséquences de l'acte
incriminé sont "
tellement graves
" qu'il serait
inconvenant de prononcer une peine, le coupable s'étant en quelque sorte
châtié lui-même. Cette disposition s'applique seulement
lorsque la peine encourue est inférieure à un an de prison.
La jurisprudence prend en compte aussi bien les conséquences physiques
de l'acte incriminé, sur l'auteur de l'acte ou sur ses proches, que ses
conséquences matérielles. Ainsi, si un conducteur provoque un
grave accident de la route au cours duquel son conjoint est grièvement
blessé et que la sanction pénale qu'il encourt est
inférieure à un an de prison, le tribunal a l'obligation de ne
pas prononcer de sanction.
ANGLETERRE ET PAYS DE GALLES
I - L'AJOURNEMENT DU PRONONCE DE LA PEINE
L'article 1-1 de la loi de 1973 sur les pouvoirs des tribunaux
pénaux
(2(
*
))
les autorise à
ajourner d'au plus six mois le prononcé de la peine, avec
l'accord du
condamné
. Cette disposition doit permettre au tribunal de prononcer
la peine en tenant compte de sa conduite après la condamnation.
L'ajournement du prononcé de la peine peut être exercé
aussi bien par une
magistrates' court
que par la
Crown Court
. Il
n'est donc pas réservé aux infractions mineures. La loi
précise que seuls les "
intérêts de la
justice
" doivent justifier la décision d'ajournement, compte
tenu de la nature de l'infraction ainsi que de la personnalité du
coupable.
Bien que la loi soit muette sur ce point, la jurisprudence a eu l'occasion de
préciser que le tribunal qui prend la décision d'ajournement doit
indiquer au condamné les raisons de l'ajournement et la conduite que
l'on attend de lui pendant cette période. Si le condamné s'est
conformé aux prescriptions indiquées par le tribunal, il peut,
à l'issue du délai de six mois, être dispensé de
toute peine.
En règle générale, une décision d'ajournement du
prononcé de la peine n'est pas prise lorsque les améliorations de
la conduite du condamné sont suffisamment précises pour faire
l'objet d'une ordonnance de probation. Cette institution, qui permet à
une personne reconnue coupable d'être laissée en liberté
tout en étant placée sous la surveillance d'un fonctionnaire
spécialisé, n'est pas traitée ici car elle constitue une
sanction.
II - LA DISPENSE DE PEINE
Elle est
prévue par
l'article 1a de la loi de 1973 sur les pouvoirs des
tribunaux pénaux
et connaît deux modalités :
- la dispense absolue,
- la dispense conditionnelle
1) La dispense absolue
Après avoir reconnu la culpabilité, le juge ne prononce aucune peine, même mineure, s'il estime que ce n'est pas nécessaire. C'est par exemple le cas lorsque la culpabilité, bien qu'effective sur le plan juridique, ne traduit aucune " mauvaise action ".
2) La dispense conditionnelle
Le juge peut assortir la dispense de peine de l'absence de toute infraction pendant un délai inférieur à trois ans. Une condamnation n'est alors prononcée qu'en cas de mauvaise conduite.
BELGIQUE
I - L'AJOURNEMENT DU PRONONCE DE LA PEINE
Il a
été institué en 1964. En effet, d'après l'article
1er de la
loi du 29 juin 1964
concernant la suspension, le sursis et
la probation
,
" la mise à l'épreuve d'un
délinquant se réalise :
1) par la suspension du prononcé de la condamnation ;
2) par le sursis à l'exécution des peines. "
La
" suspension du prononcé de la condamnation "
correspond en fait à la suspension du prononcé de la peine.
En matière pénale, la suspension du prononcé de la peine
ne peut pas être décidée par une cour d'assises.
L'exposé des motifs du projet initial justifiait la suspension du
prononcé de la peine
"
dans le cas où, l'affaire
étant trop grave pour être laissée sans suite, une
condamnation, même prononcée avec sursis, serait de nature
à compromettre le redressement -déjà acquis ou qu'on est
en droit d'espérer- de l'inculpé et le reclassement de celui-ci
dans la société.
"
Aux termes de l'article 2 de la loi de 1964,
" la suspension peut
être ordonnée de l'accord de l'inculpé, [...] en faveur de
l'inculpé qui n'a pas encouru antérieurement de condamnation
à une peine criminelle ou à un emprisonnement correctionnel
principal de plus d'un mois, lorsque le fait ne paraît pas de nature
à entraîner, comme peine principale, un emprisonnement
correctionnel supérieur à deux ans ou une peine plus grave et que
la prévention est déclarée établie. "
La décision ordonnant la suspension en détermine la durée,
nécessairement comprise entre un et cinq ans et, le cas
échéant, les conditions de probation imposées.
En effet, la suspension comporte deux modalités :
- la suspension simple, qui n'implique aucune modalité
particulière ;
- la suspension probatoire qui comporte des conditions particulières
(réparer le préjudice, ne pas fréquenter certains
lieux...)
II - LA DISPENSE DE PEINE
Une telle mesure n'existe pas.
ESPAGNE
Le
droit pénal ne connaît ni l'ajournement du prononcé de la
peine, ni la dispense de peine.
En effet, à chaque faute correspond une peine que le juge doit
appliquer. Il ne peut qu'en faire varier la durée en fonction
d'éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes.
ITALIE
I - L'AJOURNEMENT DU PRONONCE DE LA PEINE
Une telle mesure n'existe pas.
II - LA DISPENSE DE PEINE
Dénommée " pardon judiciaire ", la dispense de peine n'existe qu'au bénéfice des mineurs sans antécédents pénaux encourant une peine d'incarcération de moins de deux ans.
(1)
Le " taux journalier ", d'origine scandinave, a remplacé
l'ancien système de la somme globale. Le tribunal fixe le nombre de
" taux journaliers " applicable à l'infraction commise. Il
fixe ensuite le montant du " taux journalier ", variable en fonction
des capacités financières du condamné.
(2)
Le système pénal est différent en Ecosse et en
Irlande du Nord