EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Du « Too big to fail » au « Too big to pay ». En français dans le texte du « trop gros pour faire faillite » à « trop gros pour payer » leur juste part d'impôt. C'est en somme ce que laisse suggérer, aux personnes morales qui s'adonnent à des pratiques fiscales pénalement répréhensibles, la conclusion de convention judiciaire d'intérêt public (CJIP).
Ces CJIP, créées par la loi du 9 décembre 2016 dite Sapin 2 et son élargissement aux délits de fraude fiscale par la loi du 23 octobre 2018 rendent possible la conclusion entre le procureur de la République et toute personne morale mise en cause pour des délits d'atteinte à la probité (corruption, trafic d'influence, fraude fiscale et leur blanchiment) et certains délits prévus par le code de l'environnement, ainsi que les infractions qui leur sont connexes.
Les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste - Kanaky contestent cette procédure. Celle-ci distingue une fois de plus les grandes entreprises des TPE-PME et des particuliers dans leur rapport à l'impôt. Cette procédure contourne la justice « à la française » au profit d'une justice de transaction « à l'américaine », qui contribue à l'opacité de la procédure judiciaire en ce qu'elle n'est pas véritablement rendue devant une Cour, qui exonère enfin les mis en cause de toute culpabilité et d'inscription au bulletin n°1 du casier judiciaire.
Sur l'iniquité fiscale, les inégalités du rapport à l'impôt sur les sociétés est l'un des stigmates d'un champ fiscal à deux vitesses. Aussi, une mission d'information sur les différentiels de fiscalité entre entreprises présentait son rapport le 19 juillet 2023. Son co-rapporteur le Président de la commission des finances E. Coquerel et son rapporteur général J-R. Cazeneuve décrivent un différentiel de taux implicite brut avant report en 2015 de 17,8 % pour les grandes entreprises quand il atteint 23,7 % pour petites et moyennes entreprises (PME). Cette mission explique que la fraude, même si elle n'est pas l'apanage des grandes entreprises multinationales, bénéficie de mécanismes particuliers leur permettant d'éluder l'impôt (majoration des prix de transferts, numérisation de l'économie engendrant la volatilité de la base taxable, régime d'intégration fiscale et du régime mère-fille par l'exonération de dividendes, le transfert de dette intragroupes...). Les travaux du centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii) montrent que les profits non déclarés en France se seraient élevés à 36 milliards d'euros en 2015 et auraient conduit à une perte de près de 14 milliards d'euros de recettes fiscales à la même date.
Au regard de ces éléments, des risques face à l'érosion de nos recettes fiscales qui minent notre pacte social et la capacité des administrations à agir. La loi doit s'appliquer de façon égale pour tous. Un délit, une condamnation, c'est un principe simple qu'il convient de restaurer pour ne pas que se creusent les écarts de traitements entre les différents types de contribuables, en particulier entre les différentes catégories de personnes morales.
Nous nous opposons à un système judiciaire fondé sur des tractations opaques, négociées pour des délits de probité portant sur des sujets fondamentaux tels que la corruption d'agent public ou la fraude fiscale. Il est avancé que le coût de ce contentieux et l'incertitude de son aboutissement légitimeraient cette forme de transaction. Il s'agit d'un renoncement faute de moyens à la véritable justice rendue au nom du peuple français. Renforçons les moyens du PNF qui souffre d'un stock de dossiers en constante augmentation, renforçons les services d'Enquêtes Judiciaires des finances (SEJF) pour que cesse ce simulacre de justice. D'aucuns arguent que la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) permettait de pouvoir juger rapidement et de s'assurer de la perception des sommes fraudées, mais qu'elle avait pour principal tort d'engendrer une condamnation pénale. La conséquence était notamment l'exclusion des marchés publics et de pouvoir transiger via une CJIP ultérieurement. Qu'un fraudeur se voit exclu de la perception d'argent public en cas de condamnation pénale est non seulement justifié mais souhaitable.
Le second alinéa de l'article 41-1-2 du code de procédure pénale prévoit une condamnation pouvant atteindre « 30 % du chiffre d'affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d'affaires annuels connus à la date du constat de ces manquements ». Or, ce montant bien que dissuasif en apparence s'avère particulièrement inappliqué. À titre d'exemple, le 21 octobre 2022, le Crédit Suisse a conclu une convention judiciaire d'intérêt public pour une amende de 123 millions d'euros alors que le montant maximal théorique prévoyait la possibilité de lui infliger 6 377 millions d'euros, soit 1,21 % de l'amende autorisée. Des autorités judiciaires émanaient des informations permettant de mettre en évidence un système organisé d'aide à la fraude fiscale et au blanchiment d'argent au moyen d'opérations de démarchage des clients français par des commerciaux venus de Suisse. Autrement dit, le Crédit Suisse organisait la fraude fiscale de clients français sollicités par des commerciaux à la solde de la banque. La CJIP constitue dans ce cas d'espèce une incitation à la fraude sans condamnation pénale, si ce n'est une amende souvent faible et des dommages et intérêts. C'est un signal inadéquat pour lutter contre les fraudes.
Le plan contre la fraude fiscale du Gouvernement répond à une attente légitime de renforcement de l'arsenal législatif de lutte contre l'évitement de l'impôt. Pour autant, sans l'abrogation de cette procédure de CJIP, la lutte contre la fraude fiscale demeurera vaine. Le but n'est pas simplement de condamner la fraude mais de la désinciter.
La France doit prendre sa juste part dans la lutte contre l'évasion fiscale qui ampute, selon l'Observatoire européen de la fiscalité, de 1 000 milliards d'euros en 2022 les finances publiques et les contribuables des pays lésés. L'imposition mondiale à 15 %, ne doit pas omettre que pour ceux-là, un euro d'impôt est un euro de trop, que les investissements publics dans les transitions écologiques et numériques ou dans la protection des plus vulnérables sont du ressort du marché. Notre ambition n'est ni plus ni moins que la sauvegarde de l'organisation sociale par l'État qui fait face à l'affaiblissement d'une de ses prérogatives consubstantielles, la collecte de la juste imposition décidée par le peuple via ses représentants.
L'article unique abroge l'article 41-1-2 du code de procédure pénale qui prévoit la possibilité de conclure une Convention judiciaire d'intérêt public (CJIP) pour des faits pénalement répréhensibles. La justice de droit commun doit, par conséquent, s'appliquer.