EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La présente proposition de loi vise à remettre en adéquation l'intitulé de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) avec son but initial, en la réservant effectivement aux communes rurales.
Instituée par la loi de finances initiale pour 2011, et régie par les articles L. 2334-32 à L. 2334-39 du code général des collectivités territoriales (CGCT), la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) vise à subventionner les dépenses d'investissement des communes et des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) établis en milieu rural. Elle fait l'objet d'une répartition par enveloppe départementale gérée par les préfets de départements, et fonctionne selon une logique d'appels à projets.
Les critères d'éligibilité sont fixés par l'article L. 2334-33 du CGCT, en fonction de seuils démographiques et du potentiel financier. Les décisions d'attribution au titre de la DETR relèvent in fine du préfet de département, selon des priorités déterminées par la commission DETR.
Logiquement, le CGCT destine en priorité les crédits DETR aux petites communes - moins de 2 000 habitants - mais aussi à des communes de plus grande taille (2 000 à 20 000 habitants) à faible potentiel financier, elles aussi censées s'inscrire à des degrés divers dans la ruralité.
Les révisions successives des seuils d'attribution de la DETR ont partiellement trahi sa vocation originelle de soutien à la ruralité.
Le constat de l'insuffisante « sélectivité territoriale » des concours de l'État est largement établi et s'applique tout particulièrement à la dotation d'équipement des territoires ruraux. Ainsi le référé de la Cour des comptes du 11 mai 2021 relatif aux « concours financiers de l'État en soutien à l'investissement public local » relève-t-il que plus de 40 % des montants des projets communaux subventionnés par la DETR concernent des communes urbaines.
Si les montants distribués au titre de la DETR sont stables depuis 2018, le nombre de communes et d'EPCI-FP1(*) bénéficiaires a augmenté :
La loi de finances pour 2024 a reconduit l'ouverture de 1 046 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) au titre de la DETR. Depuis 2018, ce montant reste supérieur à un milliard d'euros (courants) en autorisations d'engagement.
Le nombre de communes bénéficiaires a néanmoins augmenté dans le même temps, pouvant aboutir à une forme de « saupoudrage » au détriment des communes rurales.
Du fait de l'assouplissement des critères d'éligibilité et de la stabilisation des crédits au niveau national, les montants moyens versés ont diminué tandis que le nombre de bénéficiaires a augmenté. Ainsi, 33 922 communes sont aujourd'hui éligibles à la DETR, parmi lesquelles plus de 3 300 communes urbaines.
Le champ des communes et EPCI bénéficiaires a été élargi par les lois de finances pour 2017 et pour 2019 :
- L'article 141 de la loi de finances pour 2017 a relevé les seuils permettant aux communes et EPCI d'être éligibles à la DETR : la fusion des EPCI à la suite de la refonte de la carte intercommunale a conduit à un élargissement des critères d'éligibilité dans la loi pour compenser l'augmentation de la taille des EPCI éligibles à la DETR. Ainsi, pour mieux tenir compte de la constitution de groupements très étendus mais ayant conservé un caractère rural, la loi de finances pour 2017 a relevé les seuils démographiques au-delà desquels un EPCI à fiscalité propre (EPCI-FP) n'est pas éligible (ce seuil étant passé de 50 000 à 75 000 habitants).
- L'article 260 de la loi de finances pour 2019 a modifié les conditions d'éligibilité des EPCI à la DETR, en rendant éligibles tous les EPCI-FP dont la densité est inférieure à 150 habitants au kilomètre carré. Ce critère de densité vise à tenir compte de la situation particulière des EPCI de grande taille, dont le profil rural était mal cerné par les seuils de population, alors que l'achèvement de la carte intercommunale avait conduit à une réduction du nombre d'EPCI éligibles à la DETR.
À l'heure du bilan, néanmoins, la mission d'information de la commission des Finances de l'Assemblée nationale relative à la DETR (2020) a remis en cause ce critère de densité, responsable d'une forme de saupoudrage de la DETR et du passage d'une assiette éligible à la DETR de 28 millions à près de 32 millions d'habitants. En somme, environ 90 % des EPCI-FP sont éligibles à la DETR.
En définitive, les évolutions récentes du champ d'éligibilité de la DETR ont été marquées par une conception plus souple et extensive de la notion de ruralité. Cette tendance aboutit notamment à ce que tous les territoires actuellement soutenus au titre de la DETR ne sont pas à proprement parler « ruraux » : des villes préfectures ou sous-préfectures de départements très ruraux se voient attribuer, en toute légalité, des crédits au titre de la DETR, au motif qu'elles sont membres d'ECPI eux-mêmes constitués pour l'essentiel de petites communes rurales éligibles à la DETR.
Or, même de taille modeste ou intermédiaire, les aires géographiques de certaines de ces petites villes ou villes moyennes présentent des caractéristiques et des nécessités de développement et d'aménagement spécifiquement urbaines et non rurales ; elles ne s'apparentent pas à des territoires ruraux.
On assiste ainsi à une sorte de détournement de la vocation d'aménagement rural de la DETR au détriment des « véritables » petites communes rurales de l'EPCI et du département, forcément pénalisées par ce manque à gagner.
Cela est d'autant plus vrai que les montants de DETR attribués aux communes urbaines de l'EPCI, par nature porteuses de projets d'une certaine ampleur, sont souvent très élevés proportionnellement à ceux accordés aux communes rurales, ce qui assèche d'autant l'enveloppe départementale de DETR.
Ce « dévoiement » de la DETR est déploré par de nombreux élus ruraux et fait régulièrement l'objet, depuis 2020, d'initiatives législatives sous la forme d'amendements à la loi de finances visant à accroître la sélectivité territoriale de la DETR.
Ces amendements visant à restreindre le nombre d'EPCI éligibles à la DETR sont jusqu'à présent restés sans suite, qu'ils aient joué sur l'abaissement du seuil de population requis ou sur celui du seuil de densité requis.
Il en est de même des amendements s'attachant à « sanctuariser » le fléchage des crédits DETR vers les communes objectivement les plus rurales et vers les projets dévolus à la satisfaction de leurs besoins spécifiques2(*).
Au vu des considérations qui précèdent, la présente proposition de loi suggère :
1°- En son article1er, de réserver la DETR intercommunale aux projets menés sur le territoire des communes de l'EPCI considéré elles-mêmes éligibles à la DETR communale3(*) ;
2°- En son article 2, de réaffirmer le nécessaire respect des objectifs d'aménagement rural de la DETR. À cette fin, il est proposé :
1) D'orienter au sein de l'article L.2334-36 du CGCT les décisions des préfets :
- En précisant que la DETR « ne doit pas soutenir des opérations bénéficiant manifestement à des territoires urbains »4(*) ;
- En prévoyant que le représentant de l'État dans le département tient compte, pour la fixation des taux de subvention, du fait que les projets financés bénéficient strictement aux territoires ruraux5(*).
2) De réaffirmer, à travers une précision à l'article L. 2334-37 du CGCT, que la commission DETR privilégie, lors de l'instruction des dossiers, les projets des communes de plus petite taille ou dont le caractère rural est le plus marqué.
* 1 EPCI-FP : établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre.
* 2 Tel celui déposé par notre collègue Jean-Baptiste BLANC : https://www.senat.fr/amendements/2023-2024/127/Amdt_II-507.html
* 3 Cette piste aurait le mérite de la simplicité, en reprenant les seuils de population retenus pour l'attribution de la DETR communale (soit, en France métropolitaine, les communes de 2.000 habitants maximum, ou de 20.000 habitants maximum lorsque leur potentiel financier par habitant est inférieur à 1,3 fois le potentiel financier moyen par habitant de l'ensemble des communes comparables). Cette recommandation avait également été suggérée dans le cadre des travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale relative aux dotations de soutien à l'investissement du bloc communal (tome I, 2020).
* 4 Étant entendu que la notion de territoire urbain, qui n'est pas définie par la loi, pourrait s'apprécier au regard de critères tenant à des seuils de population et de continuité du bâti établis par l'INSEE.
* 5 La nouvelle définition de la ruralité, discutée dans le cadre du Comité interministériel des ruralités (CIR) du 14 novembre 2020, retient notamment le critère de la densité de la population, afin de mieux rendre compte de la diversité des territoires. Ainsi, sont considérées comme rurales les communes peu denses et très peu denses, à partir de la grille communale de densité de l'INSEE, et en cohérence avec les définitions européennes proposées notamment par Eurostat.