EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs
À la rentrée 2024, le premier degré comptait 6,26 millions d'élèves, soit une diminution de 78 100 élèves par rapport à lannée précédente. Cette baisse, amorcée depuis plusieurs années, saccentue : selon les prévisions du ministère de l'Éducation nationale, les effectifs du premier degré pourraient reculer de plus de 560 000 élèves dici 2029, soit près de 10 % des effectifs actuels.
Cette évolution sexplique principalement par la diminution du nombre de naissances. En 2023, la France a enregistré 678 000 naissances, un niveau historiquement bas. Le taux de fécondité est désormais estimé à 1,68 enfant par femme, bien en deçà du seuil de renouvellement des générations.
Les conséquences de cette situation se font déjà sentir sur lorganisation du service public d'éducation, avec la fermeture de classes, la suppression de postes denseignants et la réorganisation d'écoles. Ces ajustements, désormais fréquents sur lensemble du territoire, affectent plus particulièrement les zones rurales et périurbaines, où la fermeture dune école peut fragiliser durablement un bassin de vie.
Dans l'organisation du service public d'éducation, les collectivités territoriales jouent un rôle central. Deux communes sur trois accueillent au moins une école, et la mise en oeuvre de la politique éducative dépend largement de leur engagement. Le code de l'éducation consacre cette responsabilité : larticle L. 212-5 en fait une dépense obligatoire pour les communes, et larticle L. 212-4 leur confie la charge des écoles publiques implantées sur leur territoire.
Cependant, lorganisation de loffre scolaire dans le premier degré reste fortement dépendante de la gestion des effectifs qui est révisée chaque année depuis 1963 en fonction de la démographie et des moyens disponibles. Or, les ouvertures, fermetures ou regroupements de classes et d'écoles ont des effets notables sur la continuité des services éducatifs : ils peuvent remettre en cause des investissements pluriannuels, modifier les conditions daccueil des élèves, y compris ceux en situation de handicap, et perturber lorganisation des services périscolaires, de restauration et de transport.
Chaque année, les élus locaux doivent faire face à ces évolutions dans des délais contraints, avec peu de visibilité sur les projections deffectifs. Cette instabilité rend parfois difficile l'élaboration de politiques locales durables et cohérentes. Cette annualité ne permet pas en effet d'anticiper les projets de fermetures et d'ouvertures de classes comme des écoles et de les inscrire à moyen terme dans des projets de territoire. Cest pourquoi de nombreux élus plaident pour linstauration dune planification pluriannuelle de la gestion de ces effectifs fondée sur un horizon de trois ans. Un tel cadre pérenne permettrait de renforcer la prévisibilité, de mieux articuler les politiques éducatives et daménagement du territoire, et de préserver lattractivité des territoires les plus fragiles.
Le rapport public annuel de la Cour des comptes du 19 mars 2025 et consacré aux politiques en faveur de la jeunesse souligne lampleur des disparités territoriales à venir. Dici 2070, certains départements ruraux pourraient perdre jusqu'à la moitié de leur population denfants en âge scolaire, tandis que des « îlots de jeunesse » se formeraient dans les zones métropolitaines.
Dans ce contexte, les territoires classés en zones France Ruralités Revitalisation (FRR) apparaissent particulièrement exposés. Ces zones, identifiées comme prioritaires pour le maintien et le développement des services publics, subissent les effets cumulatifs de la baisse démographique et de la révision annuelle de la carte scolaire. Entre 2011 et 2023, les effectifs du premier degré y ont diminué de 11,8 %, contre 2,2 % en zone urbaine. Cette évolution a contribué à faire passer la part des élèves scolarisés en milieu rural de 32 % à 29,8 % sur la même période.
Dans ces territoires, la fermeture dune école ne constitue pas seulement un ajustement administratif ; elle peut avoir des effets structurels sur l'équilibre local, la cohésion sociale et la pérennité des services liés à la scolarisation.
Dans ces conditions, il apparaît nécessaire de proposer, dans la ruralité, une autre méthode de gestion pleinement concertée des prévisions des évolutions démographiques et de leurs conséquences sur l'enseignement scolaire et les projets d'aménagement concernés. Alors que larticle L. 211-2 du code de l'éducation prévoit une concertation systématique pour lorganisation du second degré, aucun mécanisme nest prévu pour le premier degré à l'échelle communale ou intercommunale.
Conscient de la nécessité de proposer une évolution, le ministère de l'Éducation nationale a mis en place en 2024 un protocole national de concertation triennal visant à associer les élus locaux. Si cette initiative marque une inflexion dans la méthode, elle demeure insuffisante. D'une part, son application varie fortement selon les départements, plusieurs académies ayant informé les maires a posteriori de décisions de fermetures de classes, sans qu'un véritable dialogue préalable ait eu lieu. D'autre part, l'absence de caractère contraignant du protocole ne permet pas d'assurer un cadre homogène et respecté sur l'ensemble du territoire.
Par ailleurs, les collectivités n'ont pas accès aux outils nécessaires pour anticiper les évolutions. En effet, les données de prévision démographique sont très difficilement accessibles, tandis que les échanges avec les services académiques s'avèrent irréguliers. Ces limites compromettent l'objectif affiché de planification pluriannuelle et soulignent la nécessité de sécuriser juridiquement un nouveau processus afin d'engager une véritable déconcentration à la hauteur des enjeux.
L'inscription dans la loi d'un cadre de concertation triennal apparaît indispensable.
À l'instar de ce qui est prévu pour la révision de la carte scolaire du second degré, nous proposons que le Conseil départemental de l'Éducation nationale (CDEN) organise systématiquement une concertation de révision pluriannuelle des effectifs du premier degré avec les collectivités territoriales, afin d'anticiper et de prendre en compte la cohérence des projets territoriaux. Le CDEN, constitué, il faut le rappeler, des représentants des enseignants, des enseignants-chercheurs, des autres personnels, des parents d'élève, des lycéens, des étudiants, des collectivités territoriales, et d'associations, constitue le cadre institutionnel pertinent pour organiser la concertation entre l'État et les représentants des collectivités territoriales.
L'article unique de la présente proposition de loi crée un article additionnel après l'article L. 211-1 du code de l'éducation afin d'instaurer le principe et le cadre de cette concertation.