EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 9 juin dernier, seulement quelques minutes après l'annonce de l'estimation des résultats de l'élection des représentants français au Parlement européen, le Président de la République annonça la dissolution de l'Assemblée nationale, la sixième depuis 1958, après celles - bien connues - de 1962, 1968, 1981, 1988 et 1997. Le décret afférant fut publié le lendemain au Journal officiel de la République française.

Sous la Ve République, le droit de dissolution de l'Assemblée nationale est un pouvoir propre du Président de la République. Il est formellement prévu par l'article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958. Le locataire du Palais de l'Élysée le met en oeuvre de façon discrétionnaire, uniquement après « après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées »1(*). Les limites à l'exercice de cette prérogative constitutionnelle du Président de la République sont posées par la Loi fondamentale française.

Tout d'abord, le droit de dissolution ne peut pas être utilisé lors de l'exercice des pouvoirs exceptionnels2(*) prévus par le célèbre article 16 de la Constitution, dont le Président de la République dispose « lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu »3(*).

De la même manière, le droit de dissolution ne peut pas être mis en oeuvre en « cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit, ou d'empêchement »4(*), en application de l'article 7 de la Constitution.

Ensuite, les élections législatives qui suivent l'exercice du droit de dissolution par le Président de la République doivent intervenir dans un délai entre « vingt jours au moins et quarante jours au plus »5(*), selon l'article 12 de la Constitution.

Enfin, une nouvelle dissolution ne peut pas intervenir « dans l'année qui suit »6(*) des élections législatives provoquées par une dissolution, toujours en application de l'article 12 de la Constitution.

Ainsi, selon cette dernière règle constitutionnelle, deux dissolutions ne peuvent pas se succéder dans un délai inférieur à un an. Cette limite de l'exercice du droit de dissolution s'explique par la nécessité de garantir un équilibre entre les pouvoirs législatifs et exécutifs. Ce délai contraint le Président de la République à devoir respecter le résultat des élections législatives qu'il a provoquées.

En droit constitutionnel l'existence du droit de dissolution de l'assemblée élue au suffrage universel direct est un trait caractéristique des régimes parlementaires. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la Ve République est un régime parlementaire et ne peut pas être classée parmi les régimes présidentiels, caractérisés par une stricte séparation des pouvoirs. Les différentes cohabitations politiques que la Ve République a connues entre 1986 et 2002, ainsi que - d'une certaine façon - la période politique actuelle avec l'absence de majorité absolue à l'Assemblée nationale, le confirment. Sans majorité absolue solide à l'Assemblée nationale, le pouvoir du Président de la République est considérablement réduit.

Dans un régime parlementaire classique, le droit de dissolution est généralement l'arme dont dispose le pouvoir exécutif afin de répondre utilement à l'adoption d'une motion de censure ou - du moins - tenter de lever un blocage parlementaire. La dissolution de 1962, décidée par le Général de Gaulle, est en une parfaite illustration. Elle fut la réaction directe et immédiate à la motion de censure adoptée par l'Assemblée nationale contre le Gouvernement de Georges Pompidou. Le droit de dissolution est également utilisé à d'autres fins, notamment pour résoudre démocratiquement des crises sociales par un retour des Français aux urnes, comme en 1968, ou pour des desseins plus politiques (1981, 1988, 1997 ou encore 2024).

Les conséquences politiques de la dissolution de 2024 supposent cependant que l'exercice du droit de dissolution dans le temps soit davantage ouvert, notamment dans le cas de l'hypothèse d'une élection présidentielle, qu'elle soit anticipée ou non d'ailleurs. En effet, en application du texte actuellement en vigueur de la Constitution, si une élection présidentielle intervient dans les mois qui suivent une dissolution, le nouveau Président de la République ne pourra pas en provoquer une nouvelle et devra attendre que le délai d'un an soit totalement écoulé pour y recourir à nouveau. Cet état du droit n'est pas satisfaisant.

L'élection présidentielle rythme la vie politique nationale depuis 1965, et plus encore depuis 2002 avec la réduction de la durée du mandat présidentiel à 5 ans, comme celle des députés. Pour preuve, chaque élection législative intervenue à la suite de celle d'un nouveau Président de la République lui a donné une majorité absolue à l'Assemblée nationale, condition indispensable pour qu'il puisse mettre en oeuvre, avec son Gouvernement, le programme qu'il a précédemment proposé au Français.

Ainsi, en cas de blocage politique ou institutionnel majeur, surtout lorsque l'exercice du droit de dissolution n'a pas permis l'émergence d'une majorité à l'Assemblée nationale et qu'une motion de censure a été ultérieurement adoptée par cette dernière, l'élection présidentielle est la seule échappatoire possible. En d'autres termes, le cas échéant, ce rendez-vous démocratique suprême est le seul en mesure de « réinitialiser » le jeu politique national, à condition - néanmoins - que l'élection d'un nouveau Président puisse être suivie par une dissolution de l'Assemblée nationale, peu importe la date de la précédente.

Dans le cas contraire, si un nouveau Président de la République est élu, mais sans la possibilité de dissoudre immédiatement l'Assemblée nationale, il se trouvera structurellement dans une situation d'impuissance. Il ne pourra pas compter sur une majorité de députés au sein de la chambre basse, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets.

Dit autrement, seule l'élection présidentielle peut remettre à zéro la situation politique du pays dans une telle situation et donner une nouvelle impulsion au fonctionnement institutionnel de la France. C'est pourquoi la Constitution du 4 octobre 1958 doit autoriser un Président de la République nouvellement élu à pouvoir user de son droit de dissoudre l'Assemblée nationale, même si une dissolution est intervenue il y a moins d'un an, par dérogation à l'actuel quatrième alinéa de son article 12.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi.

* 1 Premier alinéa de l'article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958.

* 2 Cinquième alinéa de l'article 16 de la Constitution du 4 octobre 1958.

* 3 Premier alinéa de l'article 16 de la Constitution du 4 octobre 1958.

* 4 Quatrième alinéa de l'article 7 de la Constitution du 4 octobre 1958.

* 5 Deuxième alinéa de l'article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958.

* 6 Quatrième alinéa de l'article 12 de la Constitution du 4 octobre 1958.

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