EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La santé animale ne saurait être considérée comme une question réservée aux spécialistes : elle constitue un enjeu de santé publique qui concerne lensemble de la société. Elle conditionne la souveraineté alimentaire de la France, la stabilité économique des revenus de nos agriculteurs et de nos filières agricoles, la vitalité de nos territoires ruraux et, in fine, la confiance des citoyens dans la qualité de leur alimentation. Soulignons par ailleurs lextrême gravité que peuvent présenter les épizooties. En raison de linfluenza aviaire, la filière foie gras a par exemple perdu 50 % de sa production et elle aurait pu disparaître sans laide de lÉtat entre 2015 et 2022. Les conséquences ont été dramatiques pour de nombreux éleveurs mais furent également en cascade pour lensemble de la filière. Des sites de production et de transformation de canard ont ainsi été liquidés en Dordogne, faute dapprovisionnement suffisant, fragilisant ainsi des territoires entiers. La santé animale peut donc comporter des conséquences sanitaires, environnementales, économiques et territoriales.

Or, les crises récentes ont démontré que notre organisation sanitaire nest plus pleinement adaptée aux évolutions des risques épidémiologiques. Comme le souligne la note danalyse du ministère de lagriculture sur la lutte contre les maladies animales dans le contexte du changement climatique, l'évolution du climat accroît la circulation des agents pathogènes et favorise l'émergence de nouvelles épizooties. Cette dimension impose, dabord, dintégrer pleinement la santé animale dans une approche globale de type One Health, reliant santé animale, santé humaine et environnement. Les trois sont liés.

La succession des épisodes dinfluenza aviaire, la résurgence de la tuberculose bovine ou l'émergence de maladies vectorielles rappellent lurgence dun changement de paradigme. Trop souvent, notre pays sen remet à des mesures durgence lourdes et socialement coûteuses -- abattages massifs, indemnisations complexes -- alors que les outils de prévention existent.

Les campagnes vaccinales, le développement de vaccins innovants, la coordination européenne des dispositifs et lanticipation logistique doivent devenir le coeur de la politique sanitaire, et non une variable dajustement. Comme le rappelait déjà la résolution adoptée le 30 mai 2002 par le Comité international de lOrganisation mondiale de la santé animale, la lutte contre les maladies animales constitue un bien public mondial, qui suppose une action coordonnée de l'État, des éleveurs et de la communauté internationale. La France doit prendre toute sa part dans cette responsabilité partagée en dotant son système de santé animale doutils renforcés de prévention, de gouvernance et de solidarité.

Notre pays dispose dune expérience robuste en matière de santé animale. Le 1er octobre 2023, le ministère de l'agriculture a lancé la première campagne nationale de vaccination contre l'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP), ciblant les canards d'élevage. Cette initiative est la première en Europe, positionnant la France comme le premier grand pays exportateur de volailles à déployer une stratégie de vaccination à grande échelle pour protéger ses élevages. Au cours de cette première campagne vaccinale, entre le 1er octobre 2023 et le 30 septembre 2024, 61 millions de canards ont fait l'objet d'une vaccination contre l'IAHP.

Le 1er octobre 2024, cette campagne a été reconduite selon la même stratégie, en complément des mesures de biosécurité et de surveillance renforcée déjà en place sur le territoire hexagonal.

Le ministère de lagriculture a toutefois annoncé le 14 mars 2025 la réduction de 70 % à 40 % du taux de prise en charge de lÉtat concernant la vaccination contre l'influenza aviaire. Cette décision soudaine, qui sera effective à compter du 1?? octobre 2025, nest pas comprise par les professionnels de la filière avicole qui voient leur reste à charge s'élever. Ces derniers ont en effet été fortement fragilisés avec 1 800 foyers dinfluenza aviaire hautement pathogène (IAHP) détectés et 32 millions de volailles abattues au cours des deux années précédant la mise en place de la vaccination. La Dordogne a été fortement touchée par la grippe aviaire et des éleveurs de canards et doies notamment ont été contraints darrêter leur activité.

De plus, les autorités sanitaires - animale et humaine - sont en alerte, face à une diffusion accrue de la grippe aviaire dans dautres pays européens mais aussi aux États-Unis où le virus décime les élevages de volailles et conduit à une explosion du prix des oeufs. Lors des assises du sanitaire organisées à la fin du mois de janvier, le ministère avait pourtant souligné la pertinence économique de la vaccination préventive, dont le coût global (100 millions d'euros) demeure nettement inférieur aux indemnisations versées pour les pertes d'élevages (près d'un milliard d'euros pour la seule saison 2021-2022). Les États-Unis sintéressent désormais à la politique de vaccination française quil serait dommage de fragiliser.

Larticle premier propose dès lors de maintenir à hauteur de 70 % le taux de prise en charge de lÉtat concernant la vaccination contre linfluenza aviaire.

Autre élément de fragilité de notre politique vaccinale contre linfluenza aviaire, bien que de moindre ampleur, les oiseaux captifs dans les parcs zoologiques ne peuvent pas recevoir de vaccination contre lIAHP. Le Parc du Bournat en Dordogne illustre la vulnérabilité de ces établissements : 80 palmipèdes ont dû être euthanasiés le jeudi 23 janvier 2025 après la découverte dun foyer de grippe aviaire au sein de l'établissement.

Si les désagréments causés aux parcs de loisirs peuvent sembler limités, un élevage de poulets fermiers, situé à 1,4 km du parc de loisirs, a failli devoir être lui aussi être abattu, à 400 mètres près. En effet, il sagit ici dune influenza aviaire donc contagieuse. Afin de lutter contre tout risque de contagion, il serait préférable que les parcs puissent bénéficier des mêmes protections vaccinales que les élevages. Tel est lobjet de larticle 2.

La coopération européenne, réelle et importante, gagnerait à être renforcée. Sur le plan de la recherche, les États-membres de lUnion européenne et les laboratoires agréés pourraient se coordonner davantage afin de mutualiser leurs travaux de recherche vétérinaire. Tel est lobjet de larticle 3.

Autre levier de coopération européenne, une banque de vaccins et dantigènes pourrait être utilement créée au niveau européen. Cest ce que recommandent, notamment, les inspecteurs du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) dans un rapport de juin 2025 intitulé « De la pertinence de développer les banques dantigènes en santé animale en anticipation des émergences sanitaire » :« La mission conclut que les banques de vaccins et dantigènes sont utiles dans une acception moderne du concept que la mission a intitulé “banques biologiques à vocation vaccinale”, mais aussi et surtout dans une approche de la vaccination collective attendue de tous qui fait changer de paradigme. »Rappelons que disposer dune banque dantigènes permet de produire un vaccin en 5 à 10 jours. Enfin, une procédure d'autorisation temporaire d'utilisation (ATU) européenne pourrait être créée pour faciliter et accélérer les processus. Faute de compétence législative au niveau européen, larticle 4 prévoit dès lors la remise dun rapport du Gouvernement sur le sujet afin de préparer une stratégie précise et résolue de la France sur lensemble de ces sujets.

Le Fonds national de mutualisation du risque sanitaire (FMSE), outil particulièrement utile pour les agriculteurs et les filières, doit disposer dun rôle plus dynamique et agir de manière davantage préventive. Les évolutions de taux de prise en charge de lÉtat concernant le variant 3 de la fièvre catarrhale ovine et les lourdes conséquences de ce variant ainsi que du variant 8 dans les élevages français doivent nous conduire à renforcer notre politique de prévention. Les vaccins constituent un levier de prévention efficace et robuste, encore faut-il que lachat soit accessible pour les éleveurs lorsque lÉtat se désengage. Cest pourquoi le FMSE pourrait être mobilisé dans le financement des achats de doses de vaccins et leur administration à condition que ses missions soient élargies à la prévention. Cest lobjectif de larticle 5 de cette proposition de loi.

Afin daméliorer la santé animale, la France doit par ailleurs créer une cinquième école vétérinaire publique sur le territoire national pour répondre à la déprise vétérinaire en zones rurales.

La région Nouvelle-Aquitaine et un ensemble dacteurs parties prenantes locales, régionales et nationales sengagent très fortement pour la mise en place dune cinquième école publique vétérinaire à Limoges, projet structurant pour le territoire du Limousin, de lensemble de la Nouvelle-Aquitaine mais également pour notre pays.

Ce projet, prévu par larticle 6 de la présente proposition de loi, vise à participer au maintien de l'élevage dans les territoires ruraux et à renforcer notre structure de formation de vétérinaires. Il est ancré dans la stratégie régionale et inter-régionale daménagement et dattractivité des territoires ruraux et de santé des populations.

La lutte contre la tuberculose bovine est un sujet de préoccupation majeure pour les éleveurs, particulièrement en Dordogne et dans les Pyrénées-Atlantiques, où des cas ont été détectés. Rappelons que la tuberculose bovine est une maladie infectieuse générée par la bactérie Mycobacterium bovis, qui peut se transmettre à dautres mammifères (blaireaux, cervidés, sangliers) et à lhumain. La faune sauvage, et notamment le blaireau, est un vecteur majeur de cette zoonose importante. Le contrôle renforcé de la faune sauvage, incluant la surveillance épidémiologique, la régulation des populations et lencadrement des activités humaines susceptibles de perturber les équilibres écologiques et de favoriser la circulation des agents pathogènes, est prévu par larticle 7 pour lutter contre la recrudescence de la tuberculose bovine.

Les mécanismes dindemnisation, conçus pour compenser les pertes, ne remplissent plus leur rôle de protection et de confiance. Leur barémisation, leur fiscalisation et leur assujettissement aux cotisations sociales fragilisent les exploitations au moment même où elles devraient être sécurisées. Lindemnisation ne saurait être considérée comme un revenu imposable : elle est avant tout un instrument de sauvegarde doutils de production indispensables à l'éleveur pour reconstituer un cheptel. Rappelons par ailleurs le drame humain que constitue labattage danimaux atteints ou potentiellement atteints par une maladie comme la montré la vive détresse dun éleveur à Eyzerac, en Dordogne. Cest pourquoi larticle 8 propose dexonérer dimpôts ou de cotisations sociales le montant des indemnités reçues par l'éleveur. Cette exonération ne concernerait pas uniquement la tuberculose bovine mais lensemble des maladies animales, afin de ne pas créer de ruptures d'égalité entre les filières. L'article 9 constitue le gage de cette proposition de loi.

La présente proposition de loi vise à améliorer la santé animale au sein des élevages français. Loin de résoudre lensemble des problèmes constatés par les éleveurs et vétérinaires, elle espère apporter des solutions concrètes à des failles identifiées dans notre politique de santé animale. Cette proposition de loi entend ainsi placer la prévention au coeur de la politique sanitaire, réformer lindemnisation pour quelle soutienne réellement les éleveurs, consolider les maillons essentiels que sont la vaccination et la formation vétérinaire, et renforcer la gouvernance collective de la santé animale. Elle trace ainsi la voie dune politique renouvelée, alliant rigueur scientifique, justice sociale et responsabilité publique.

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