EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Préambule de la Convention de 1965 des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale souligne avec force que « toute doctrine de supériorité fondée sur la différenciation entre les races est scientifiquement fausse, moralement condamnable et socialement injuste et dangereuse » et que « la discrimination entre les êtres humains pour des motifs fondés sur la race, la couleur ou l'origine ethnique est un obstacle aux relations amicales et pacifiques entre les nations et est susceptible de troubler la paix et la sécurité entre les peuples ainsi que la coexistence harmonieuse des personnes au sein d'un même État ».

Depuis quelques années, nous voyons pourtant se développer en France, sur les réseaux sociaux, dans les médias et les prises de paroles publiques des discours discriminatoires et racistes d'une rare violence.

Dès 2015, le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale de l'ONU s'inquiétait de la banalisation du discours haineux en France à l'égard des minorités, notamment des Roms. L'année suivante, le Conseil de l'Europe pointait du doigt la « banalisation » des discours racistes en France, notamment ceux émanant des responsables politiques.

En 2017, dans les premières semaines du quinquennat, le Parlement décidait de réagir en adoptant un amendement dans le projet de loi pour la confiance de la vie politique visant à étendre l'obligation pour les juridictions répressives de prononcer, sauf décision spécialement motivée, une peine complémentaire d'inéligibilité pour les délits d'injures ou de violences à caractère raciste, antisémite ou homophobe, d'apologie du terrorisme, de négationnisme ou de participation à des associations dissoutes.

S'agissant de peines automatiques, le Conseil constitutionnel avait jugé que cette disposition portait une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression et l'avait donc déclarée inconstitutionnelle.

Tout en prenant acte de cette décision, les auteurs de cette proposition de résolution constatent cependant que, depuis 2017, la situation s'est encore dégradée. La banalisation du discours raciste prospère, notamment chez les responsables publics et politiques.

En juin 2019, le Comité directeur pour les droits de l'Homme du Conseil de l'Europe a lui-même fait le constat d'une progression du discours raciste en politique. Dans un nombre croissant de pays européens, les partis nationalistes et xénophobes exploitent les craintes des citoyens vis-à-vis de la question migratoire et contribuent de la sorte à nourrir l'intolérance et à dégrader les relations entre les membres de leurs communautés nationales, au risque d'affaiblir les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.

Au début de l'année 2020, la Commission européenne contre le racisme et l'intolérance tirait la sonnette d'alarme face à l'ultranationalisme, l'antisémitisme et la haine envers les musulmans en Europe.

Dans la lutte contre ces fléaux, les élus et responsables politiques ont une responsabilité particulière. Ils doivent faire preuve de fermeté et sanctionner la parole raciste quand elle émane de leurs rangs.

Trop nombreux sont ceux qui sont ou ont été condamnés par la justice et peuvent toutefois, sans honte et sans entrave, prétendre à un mandat électif. Peuvent-ils valablement prétendre représenter le peuple français alors qu'ils ont été reconnus coupables de délits qui portent atteinte à l'unité de la Nation, qui menacent l'ordre public et les droits et libertés d'autrui ?

En héritiers du pas accompli dans le combat contre le racisme avec la loi « Gayssot », les auteurs de la présente proposition de résolution jugent inacceptable cet état de fait.

Si la liberté d'expression est l'une des libertés les plus précieuses en démocratie, elle ne saurait servir de paravent aux discours de haine, au risque de saper le pacte républicain au motif de la défendre.

C'est ce qu'en substance rappelle aussi l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe : « Les États membres devraient faire preuve de plus de rigueur dans leur recours au système de justice pénale pour punir et dissuader les auteurs d'infractions racistes commises dans le cadre de la vie politique. Plutôt que d'étendre la liberté d'action des hommes et des femmes politiques et des partis, leur image publique, leur possibilité d'accéder aux médias et leur rôle de leader d'opinion devraient au contraire inciter les États membres à les soumettre à un contrôle plus minutieux que les autres individus ou groupes ».

Notre législation pénale nous empêche-t-elle de faire preuve de cette rigueur à l'encontre des personnages publics ou politiques ? Nous contraint-elle à les laisser se présenter devant les électeurs ? Notre législation nous laisse-t-elle démunis face à ces délinquants souvent récidivistes ? Devons-nous légiférer en prenant le risque d'une inconstitutionnalité pour non-respect du principe de la proportionnalité des peines ?

Non ! Notre législation dispose de l'éventail approprié d'infractions et sanctions pleinement applicables.

L'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit, en effet, à son avant-dernier alinéa une peine complémentaire d'inéligibilité pour les auteurs d'infractions racistes ou discriminantes. Sont visées les condamnations pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Sont également visées les condamnations pour provocation à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou identité de genre ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, à des discriminations.

Pourquoi cette peine complémentaire est-elle si peu appliquée ? Si nous ne sommes pas en mesure de connaître avec précision le nombre de fois où cette peine complémentaire a été prononcée, force est de constater que les élus condamnés sur le fondement de l'article 24 ne sont que très rarement condamnés à une peine complémentaire d'inéligibilité.

Sans retirer au juge son pouvoir d'appréciation et son contrôle de la proportionnalité des peines, il reste regrettable que les orientations de notre politique pénale n'incitent pas nos juridictions à faire preuve de la sévérité nécessaire à l'encontre des hommes et femmes politiques ou de celles et ceux qui sont parties prenantes du débat politique. Cette sévérité s'impose pourtant, dans la mesure où leur image publique, leur influence et leur statut leur imposent de faire preuve de responsabilité.

Les auteurs de cette proposition de résolution le regrettent d'autant plus s'agissant de personnes qui se présentent au suffrage des électeurs en s'affranchissant des valeurs républicaines.

C'est pourquoi les auteurs proposent à notre assemblée d'adopter la présente proposition de résolution. Elle invite le Gouvernement, dans le cadre de sa responsabilité de conduite de la politique pénale, à préciser au ministère public et aux juridictions compétentes les conditions d'application de la loi à l'encontre de tout responsable politique ou de toute personne partie prenante du débat politique qui se rendrait coupable des délits visés à l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, et d'examiner la possibilité de requérir et de retenir la peine complémentaire d'inéligibilité prévue par ce même article si le délit s'avérait particulièrement odieux ou répété.

Dès l'adoption de cette proposition de résolution, il serait opportun pour le garde des Sceaux, fort du soutien de la représentation nationale, de saisir les juridictions judiciaires pour faire connaître la détermination et la volonté politique du Gouvernement et du Sénat de combattre toutes déclarations politiques incitant à la violence ou à la haine, en violation des lois de la République et des droits de l'homme universellement reconnus, en vue de rendre plus effective la peine complémentaire d'inéligibilité.

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