Disponible au format Acrobat (122 Koctets)
N° 497
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 27 juin 1996.
Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 août 1996.
PROPOSITION DE LOI
relative à la lutte contre le travail clandestin,
PRÉSENTÉE
Par M. Joseph OSTERMANN,
Sénateur.
(Renvoyée à la commission des Affaires sociales, sous réserve de la constitution éventuelle
d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.)
Travail. - Emploi - Étrangers - Inspection du travail - Travail clandestin - Code pénal - Code du travail.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
Le travail clandestin constitue une pratique dangereuse tant économiquement que socialement : d'abord parce qu'elle contribue à créer une société parallèle définissant ses propres règles de fonctionnement en contravention de celles fixées par l'ordre public ; ensuite parce qu'elle accroît le coût de la redistribution sociale et augmente indirectement la pression fiscale qui s'exerce sur les entreprises et les salariés qui respectent la légalité et, plus largement, sur la collectivité nationale tout entière.
Elle est aussi politiquement insupportable : elle tend à priver le salarié de la reconnaissance de sa qualité et des droits qui y sont attachés (droit au salaire, à la formation, aux allocations chômage ...) ; elle tend à éluder, altérer ou détourner les droits de la communauté (droit à la redistribution fiscale et sociale...) ; elle porte aussi atteinte à la libre concurrence entre les entreprises ; enfin, elle contrarie les prérogatives de l'État en matière de politique d'immigration et de soutien à l'emploi.
La lutte contre le travail clandestin se situe donc aujourd'hui à la conjonction de quatre priorités de ce pays :
- la lutte pour l'emploi,
- la défense des entreprises contre toutes les formes de concurrence déloyales nationales et internationales,
- le rétablissement des équilibres financiers des organismes de protection sociale,
- la maîtrise des flux migratoires.
Face à un tel enjeu, il est primordial de renforcer et d'améliorer sans cesse notre dispositif législatif. Tel est l'objectif de la présente proposition.
Elle tend, en effet, à accroître les moyens de la lutte contre le travail clandestin, grâce à trois catégories de mesures :
- un durcissement des sanctions,
- un renforcement des moyens dont disposent l'Inspection du Travail et les autres services compétents,
- la création d'un dispositif plus efficace en matière de constatation des infractions.
Ainsi, en premier lieu, la présente proposition tend à introduire un doublement des peines et amendes prévues par le code du travail et le code pénal en cas d'infraction, et ce, afin de les rendre plus dissuasives.
En outre, si l'on entend lutter efficacement contre le travail clandestin, il convient d'en donner les moyens financiers suffisants aux services concernés. Or, il semble que cela ne soit pas le cas.
C'est pourquoi l'article 4 propose de réviser à la hausse les crédits budgétaires affectés à l'Inspection du Travail ainsi qu'aux autres services compétents pour constater les infractions relatives à l'emploi des travailleurs étrangers en situation irrégulière.
De plus, la constatation des infractions en matière d'emploi illégal d'étrangers est rendue difficile, par l'éclatement des compétences entre les divers services concernés par le problème : Inspection du Travail d'une part, gendarmerie et police d'autre part.
Les uns et les autres disposent de pouvoirs différents selon la finalité des missions qui leur sont imparties, aucun service ne pouvant recourir à l'ensemble des moyens qui seraient nécessaires à la mise en oeuvre d'un contrôle vraiment efficace.
Ainsi, les inspecteurs du travail disposent d'un droit d'entrée à tout moment et de visite des établissements où s'applique le code du travail, avec autorisation de l'occupant quand le local est habité, mais, en dehors de ce cas, sans information de l'employeur lorsque l'aviser de cette visite risque de porter préjudice au contrôle. Ils ont le pouvoir de consulter les documents rendus obligatoires par le code du travail et celui d'interroger les salariés même hors de la présence de l'employeur.
En revanche, les inspecteurs du travail ne sont pas compétents pour procéder à des contrôles d'identité et à la vérification des titres de séjour.
En ce qui concerne les officiers et agents de police judiciaire, en dehors de trois cas - flagrant délit, commission rogatoire, autorisation du président du tribunal de grande instance - ils ne peuvent pénétrer dans les locaux professionnels alors qu'ils sont seuls habilités à procéder aux contrôles d'identité et à la vérification des titres de séjour.
Un tel éclatement des compétences rend donc particulièrement difficile la constatation des infractions et profite aux employeurs de cette main-d'oeuvre.
Aussi, l'article 5 de la présente proposition tend à instituer une structure nouvelle, plus efficace, composée d'inspecteurs du travail d'une part et de policiers et gendarmes d'autre part. Cette structure aurait l'immense avantage d'allier deux types d'acteurs aux compétences complémentaires pour constater les infractions.
Enfin, afin de faciliter la tâche de cette nouvelle structure, il est proposé de rendre obligatoire le port d'un badge d'identification sur les chantiers. Une telle mesure permettrait de rendre les contrôles d'identité plus aisés lors des inspections et ainsi de mieux appréhender les travailleurs clandestins.
Tel est l'objet de la présente proposition de loi.
PROPOSITION DE LOI
Article premier.
L'article 225-13 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 225-13. - Le fait d'obtenir d'une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, la fourniture de services non rétribués ou en échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli est puni de quatre ans d'emprisonnement et de 1 000 000 F d'amende. »
Art. 2.
L'article 225-14 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 225-14. - Le fait de soumettre une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, à des conditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine est puni de quatre ans d'emprisonnement et de 1 000 000 F d'amende. »
Art. 3.
L'article 225-15 du code pénal est ainsi rédigé :
« Art. 225-15. - Les infractions définies aux articles 225-13 et 225-14 sont punies de dix ans d'emprisonnement et de 2 000 000 F d'amende lorsqu'elles sont commises à l'égard de plusieurs personnes. »
Art. 4.
Les services départementaux des inspections du travail, ainsi que les autres services qui ont compétence pour constater les infractions relatives à l'emploi des travailleurs étrangers en situation irrégulière, reçoivent les moyens nécessaires à l'exercice de leur mission.
Des crédits budgétaires sont inscrits à cet effet dans la loi de finances de l'année.
Art. 5.
Il est ajouté au code du travail un article L. 611-9 bis ainsi rédigé :
« Art. L. 611-9 bis. - Une structure spécialement chargée de lutter contre le travail clandestin est instituée dans chaque département. Elle porte le nom de "brigade de lutte contre le travail clandestin".
« Elle est composée d'inspecteurs du travail, d'une part, et de policiers et gendarmes, d'autre part, qui appliquent conjointement les dispositions du code du travail et des codes pénal et de procédure pénale.
« Elle intervient sur simple demande afin de constater immédiatement l'infraction de travail clandestin et d'engager les poursuites à rencontre des contrevenants.
« Son organisation et son fonctionnement seront définis par décret en Conseil d'État. »
Art. 6.
L'article R. 324-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les salariés de l'entreprise travaillant sur un chantier doivent porter un badge d'identification personnel sur lequel figurent leur nom et leur prénom ainsi que, le cas échéant, le numéro de leur titre de travail. »
Art. 7.
L'article L. 362-3 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 362-3. - Toute infraction aux interdictions définies à l'article L. 324-9 est punie de quatre ans d'emprisonnement et de 400 000 F d'amende. »
Art. 8.
L'augmentation des charges de l'État prévue par la présente loi est compensée à due concurrence par une hausse des taux fixés à l'article 575 A du code général des impôts.