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N° 107

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 novembre 2016

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

EN APPLICATION DE L'ARTICLE 34-1 DE LA CONSTITUTION,

en faveur de la réduction des normes applicables à l' agriculture ,

PRÉSENTÉE

Par MM. Daniel DUBOIS, Gérard BAILLY, Daniel LAURENT, Jackie PIERRE, Henri CABANEL, Franck MONTAUGÉ et Henri TANDONNET,

Sénateurs

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La prolifération normative constitue une tendance lourde depuis de nombreuses années en France, qui touche tous les secteurs de l'économie, mais affecte particulièrement le secteur agricole.

En pesant sur la compétitivité des exploitations , en décourageant les paysans, le renforcement continu des contraintes qui leur sont imposées affaiblit durablement et profondément la « Ferme France ».

Or, la cote d'alerte est désormais dépassée . C'est le constat du rapport d'information du groupe de travail sur les normes en agriculture mis en place par la commission des affaires économiques du Sénat. Il est urgent d'aller vers une politique de simplification et d'allègement des normes applicables à l'agriculture, qui bénéficie d'un véritable pilotage et d'un engagement dans la durée.

Cette politique doit être menée à deux niveaux, et d'abord au niveau européen , puisque les normes applicables à l'agriculture proviennent largement de Bruxelles : règlements concernant la politique agricole commune (PAC), règlements concernant les produits phytopharmaceutiques, sur les fertilisants, sur l'information des consommateurs, directives européennes sur les installations classées, sur la qualité des eaux, ou encore sur la protection des habitats, de la faune et de la flore. Au total 80 à 90 % des normes auxquelles les agriculteurs sont confrontés ont été décidées au niveau européen.

Mais le niveau national conserve son importance : les autorités nationales restent responsables de l'application des textes communautaires et de leur contrôle. Le problème de la sur-transposition des textes communautaires constitue à cet égard un enjeu central. Le grief de sur-transposition concerne en théorie les directives européennes, mais par extension, il concerne aussi l'interprétation restrictive et souvent au désavantage des agriculteurs des règlements européens.

Un domaine normatif pèse particulièrement sur l'agriculture : les normes environnementales . Qu'elles concernent la qualité des eaux, la lutte contre les pollutions, la protection des espèces menacées ou encore la préservation de la biodiversité, ces normes n'ont cessé d'être renforcées durant les dernières décennies.

La montée en puissance du principe de précaution a conduit à restreindre voire interdire certaines pratiques agricoles et notamment l'utilisation de certaines substances utilisées dans le traitement des cultures, conduisant parfois à de réelles impasses techniques qui entraînent des abandons de production.

La multiplication des zonages environnementaux crée une complexité supplémentaire pour le monde agricole, pris dans un tourbillon de réformes qui sont autant de contraintes supplémentaires.

Des mesures de simplification sont régulièrement annoncées par les pouvoirs publics . À l'échelle de l'Union européenne, la simplification est une priorité affichée par la Commission, mais celle-ci conçoit la simplification davantage à travers la réduction du nombre des textes applicables qu'à travers l'allègement des obligations des agriculteurs. La nouvelle PAC, en mettant en place le verdissement, a aussi accru le degré de complexité des normes européennes applicables aux exploitations souhaitant bénéficier des dispositifs d'aide du premier pilier.

À l'échelle nationale , certaines mesures ont été prises récemment pour répondre à l'impératif de simplification : relèvement des seuils d'autorisation et remplacement de l'autorisation par la procédure d'enregistrement en matière d'installations classées dans le secteur porcin ou encore de la volaille, réduction des délais de recours des tiers contre les décisions d'autorisation d'installations classées d'élevage, expérimentation de l'autorisation unique pour les installations, ouvrages, travaux et aménagements, mise en place d'une feuille de route de la simplification au sein du ministère de l'agriculture, développement des téléprocédures et de la dématérialisation.

Le comité de rénovation des normes en agriculture, créé au sein du ministère de l'agriculture, a été chargé de formuler des propositions, en partant des attentes des organisations professionnelles agricoles.

Mais le bilan des initiatives en matière de normes agricoles est globalement décevant . D'abord, les agriculteurs s'estiment insuffisamment associés à l'élaboration des règlementations qui vont avoir un impact décisif sur leur activité. S'ils sont correctement associés au processus d'élaboration des textes pilotés par le ministère de l'agriculture, c'est beaucoup moins vrai pour les textes pilotés par d'autres autorités, notamment le ministère de l'environnement. La prise en compte de leurs préoccupations et de leurs intérêts est alors noyée dans la masse des autres préoccupations. L'absence de prise en compte spécifique du monde agricole est frappant pour les normes transversales comme récemment la mise en place du compte pénibilité ou de la complémentaire santé obligatoire.

Parallèlement, les agriculteurs regrettent la faiblesse voire l'absence d'étude d'impact économique sur leur activité des normes qui leur sont imposées. Les nouvelles normes font parfois l'objet d'évaluations, souvent très incomplètes, avant leur adoption, mais les normes en vigueur ne sont que rarement expertisées a posteriori pour en vérifier la pertinence et l'efficacité.

Enfin, alors que des objectifs de simplification de la PAC ou des normes nationales sont régulièrement mis en avant par les pouvoirs publics, le monde agricole a plutôt le sentiment inverse d'une complexification permanente , comme pour les règles de construction en milieu rural.

En définitive, l'allègement normatif en agriculture résulte plus d'actions ponctuelles que d'une politique d'ensemble . Une réelle volonté politique de simplification fait défaut aujourd'hui et explique largement que les grands discours en la matière se heurtent au mur des réalités d'une pression de la norme toujours très forte sur le monde agricole.

La présente proposition de résolution vise donc à changer d'échelle, et faire de la simplification et de l'allègement des normes agricoles un objectif prioritaire, tant à l'échelon national qu'européen , à travers plusieurs propositions, parmi lesquelles :

- Faire adopter chaque année un plan de simplification des normes agricoles au niveau national, au sein d'une instance dédiée associant toutes les parties prenantes, qui pourrait être le conseil supérieur d'orientation de l'économie agricole et alimentaire.

- Développer les études d'impact a priori et a posteriori , et systématiser une analyse des effets de la norme dans un délai de trois à cinq ans après son entrée en vigueur.

- Mettre en place des démarches expérimentales , afin de s'assurer que les nouvelles normes sont adaptées aux attentes du monde agricole, avant leur généralisation,

- S'engager réellement à ne pas sur-transposer les normes européennes , et se doter d'outils de mesures pour garantir le respect d'un tel engagement.

- Faire évoluer les règles de la politique agricole commune , pour accorder aux États membres des souplesses, par exemple pour les calculs de surfaces ou l'application du verdissement.

- S'aligner sur le droit européen en matière d'installations classées et raccourcir les délais d'instruction des dossiers, pour ne pas bloquer les initiatives.

- Faire évoluer les règles en matière d'utilisation de l'eau pour faciliter la réalisation de retenues collinaires.

- Alléger les plans d'épandage , en faisant confiance davantage aux agriculteurs dans leurs pratiques de fertilisation.

Au-delà de ces propositions, les auteurs de cette proposition de résolution estiment indispensable de changer d'approche en matière de normes agricoles , faute de quoi de nombreux exploitants agricoles, estimant impossible de travailler dans des conditions de plus en plus contraignantes et dont la compétitivité sera extrêmement pénalisée par rapport à leurs concurrents européens, seront conduits à abandonner leur activité, entraînant un réel déclin de pans entiers de notre agriculture .

La simplification et l'allègement des normes agricoles est donc d'un intérêt stratégique pour la France d'autant plus grand que la conjoncture agricole est fortement dégradée, principalement dans le secteur de l'élevage, et doit donc être érigée par le Gouvernement en véritable priorité de la politique agricole.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

article

Le Sénat,

Vu l'article 34-1 de la Constitution,

Considérant que l'activité agricole est encadrée par des normes multiples et diverses, relevant tant du niveau européen que national,

Considérant que les contraintes que ces normes font peser sur l'activité agricole constituent un frein à la compétitivité des exploitations, dans un environnement économique marqué par la disparition des outils publics de régulation des marchés agricoles,

Constatant, en particulier, que la préoccupation, certes légitime, de protection de l'environnement a conduit à interdire ou encadrer les pratiques agricoles, notamment en matière d'utilisation de l'eau, de traitements des cultures, ou encore d'utilisation de fertilisants,

Soulignant que le principe de précaution conduit désormais à observer avec suspicion les développements de nouvelles activités et pratiques agricoles, ou encore la création ou l'agrandissement d'installations classées en élevage,

Prenant acte des engagements répétés des autorités tant au niveau européen qu'au niveau national d'encourager la simplification et l'allègement des normes applicables aux agriculteurs, ainsi que des progrès enregistrés récemment en matière d'installations classées,

Déplorant cependant que les engagements pris restent globalement peu suivis d'effets, avec une insuffisance des études d'impact économique sur l'agriculture des nouvelles normes ou des normes existantes, et avec un déficit de pilotage politique de la simplification,

Invite le Gouvernement à faire adopter un plan de simplification des normes agricoles par le Conseil supérieur d'orientation de l'économie agricole et alimentaire, qui serait rendu opposable à l'ensemble des ministères et dont il serait rendu compte de l'exécution devant le Parlement,

Souhaite le développement d'études de l'impact économique sur le monde agricole des normes nouvelles, mais aussi des normes existantes, avec la généralisation d'une pratique de l'évaluation ex-post dans un délai de trois à cinq ans après leur entrée en vigueur,

Insiste en faveur de la mise en place d'expérimentations préalables à la généralisation des normes nouvelles,

Souhaite que l'absence de sur-transposition des normes européennes applicables à l'agriculture puisse être mesurée et contrôlée,

Demande au Gouvernement de négocier avec les partenaires européens de la France et avec la Commission européenne pour obtenir des souplesses dans les conditions de mise en oeuvre de la politique agricole commune, en particulier en matière de verdissement ou de calcul des surfaces,

Souligne la nécessité de réduire les délais d'instruction des dossiers d'installations classées, de faire évoluer les règles en matière d'utilisation et de stockage de l'eau par les agriculteurs ou encore en matière de plans d'épandage,

Et enfin réclame que l'allègement des normes agricoles soit érigé en véritable priorité de la politique agricole tant au niveau européen, qu'au niveau national.

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