2. L'existence parfois avérée d'une concurrence déloyale vis-à-vis du secteur privé
Le débat au Sénat sur la loi du 16 octobre 1997 avait fait apparaître une inquiétude quant au risque d'une concurrence déloyale à l'égard du secteur privé en raison notamment de l'imprécision de la liste des nouveaux métiers envisagés par le ministère à l'occasion de la préparation du texte. Le Gouvernement faisait alors valoir que ne seraient agréés que les postes d'emplois-jeunes correspondant à des besoins émergents ou non satisfaits.
Il convient aujourd'hui d'avoir un jugement nuancé. La création des emplois-jeunes ne semble pas avoir eu d'effets massifs de destruction d'emplois selon les représentants des employeurs eux-mêmes.
Néanmoins, le MEDEF souligne que le dispositif a pu " de façon certes marginale entraîner la suppression d'un certain nombre d'emplois dans le secteur des services marchands ".
Quelques exemples de concurrence déloyale Une société commerciale assurait un service d'aide aux personnes âgées. Parmi ses clients, se trouvait une maison de retraite. Profitant de la mise en place du programme, la maison de retraite crée une association visant également à aider les personnes âgées et embauche des emplois-jeunes, subventionnés à 80 % par l'Etat, pour cette mission. Elle résilie alors le contrat avec la société commerciale, qui est obligée de licencier deux de ses salariés, à la suite de la perte de ce marché. Un cas analogue a été constaté dans une autre commune qui a conduit au dépôt de bilan de la société commerciale. Une société était spécialisée dans l'entretien de l'environnement, notamment des berges des voies navigables. A la suite de la création d'une association sur le même type d'activité, cette entreprise a dû licencier plusieurs de ses salariés. Une entreprise qui offrait un service d'aide à domicile pour personnes âgées à un tarif de 120 francs de l'heure a dû mettre fin à son activité après qu'une association composée d'emplois-jeunes a proposé le même type de service... à 30 francs de l'heure. |
De fait, la comparaison devient très inégale entre une entreprise de droit privé finançant les emplois qu'elle crée et une association bénéficiant d'emplois subventionnés à 80 % par l'Etat durant cinq ans.
L'autre aspect pervers du dispositif au-delà de la disparition d'emploi est le frein qu'il fait peser sur la création d'emplois marchands liés à de nouveaux services pour des raisons inhérentes à sa conception : le principe même des emplois-jeunes est de subventionner des activités nouvelles pour permettre l'affichage artificiel de coût de production faible : une autre solution aurait été d'aider le consommateur final -notamment par des incitations fiscales- à acquérir des nouveaux services : cette démarche aurait permis d'offrir les services à leur coût réel et de faciliter la pérennisation en permettant très vite aux consommateur de percevoir le prix réel du service et d'arbitrer entre la charge supplémentaire et la satisfaction retirée.
Alors qu'une solvabilisation du consommateur aurait permis la mise en place de services marchands immédiatement opérationnels, le choix d'une subvention à l'emploi dans le secteur non marchand ne fait que reporter de cinq ans le problème de la solvabilisation des nouveaux services.
La loi du 16 octobre 1997 ajoute une ambiguïté en prévoyant que les besoins auxquels doivent répondre les emplois-jeunes doivent être des besoins émergents ou " non satisfaits ". En matière d'aide à domicile par exemple, certains services peuvent être assumés dans certains départements seulement, pour des raisons purement économiques tenant, par exemple, au coût des transports et à l'éloignement des personnes. Une association peut certes assurer un service nouveau pendant une période déterminée dès lors qu'elle bénéficie d'une subvention couvrant 80 % des dépenses en personnel, mais tout permet de penser que l'initiative privée aurait pu mettre en oeuvre des services analogues si les mêmes conditions lui avaient été offertes.
Ce qui est en cause, ce n'est pas le manque d'initiative du secteur privé mais la disproportion des coûts entre une association dont les coûts salariaux sont subventionnés au moins à 80 % et une entreprise de droit privé qui va assumer l'intégralité des charges. Il aurait été plus opportun de chercher à compenser l'effet des handicaps spécifiques qu'affecte une région plutôt que de maintenir artificiellement une activité pendant cinq ans.
Il reste que les associations disposent, grâce aux emplois-jeunes, d'un avantage relatif parce que ceux-ci leur permettent de prendre position plus tôt dans la définition de nouveaux services à domicile (assistance de convivialité) ou hors du domicile (livraison de médicaments).
Il est révélateur à cet égard que la Fédération nationale des aides à domicile en activités regroupées (FNADAR) considère la possibilité d'une pérennisation des activités innovantes dans le domaine de l'aide à domicile par des entreprises de services à caractère marchand très improbable : " Si de tels services sont solvables, les associations qui ont aujourd'hui embauché les emplois-jeunes en ce sens veilleront à pérenniser par elles-mêmes les nouvelles activités et emplois correspondants ".