DEUXIÈME TABLE RONDE : LES RECHERCHES SUR LE TRAITEMENT DE L'OBÉSITÉ
Jean-Claude ETIENNE
La biologie du tissu adipeux et ses implications dans les pathologies du tissu adipeux, sont peut-être la réponse à la question de tout à l'heure. Philippe Valet de l'université Paul Sabatier de Toulouse, vous avez la parole.
LA BIOLOGIE DU TISSU ADIPEUX ET SES IMPLICATIONS DANS LES PATHOLOGIES ASSOCIÉES À L'OBÉSITÉ
PHILIPPE VALET - UNIVERSITÉ PAUL SABATIER (TOULOUSE)
Philippe VALET
Merci Monsieur le Président. Les deux communications qui vont suivre seront des communications de biologistes, qui permettront peut-être d'apporter quelques éléments de réponse à la discussion qui a commencé tout à l'heure. Ma tâche est de vous parler de la biologie du tissu adipeux et de ses implications dans les pathologies associées à l'obésité. La deuxième partie de cette table ronde était dédiée au traitement. Ce dont je vais parler se trouve très en amont de ce traitement, mais nous pourrons penser identifier des cibles potentielles pour des traitements. Je vais essayer aussi, en étant un peu provocateur, de vous montrer que le tissu adipeux n'est pas systématiquement néfaste pour l'organisme.
Tout d'abord, quelques petits rappels de biologie de base, simples mais importants. Il faut savoir que le tissu adipeux est un tissu ou organe - c'est un débat sémantique - totalement indispensable. Il participe à l'isolation thermique, à la reproduction, à la résistance aux jeûnes et à la régulation du sucre et des graisses. Il est donc indispensable d'avoir une teneur que l'on appelle normale. En masse grasse, cette teneur dite normale peut fluctuer de façon relativement importante mais il ne faut pas qu'elle fluctue trop, car dans le cas de l'excès, l'obésité dont on parle aujourd'hui, et dans le cas de l'absence, ce que l'on appelle la lipoatrophie, il existe un déficit de capacité de stockage du surplus énergétique et l'on génère un diabète -j'ai pris l'exemple d'une pathologie associée dans ces deux cas.
La présence du tissu adipeux est donc absolument indispensable à la physiologie normale de l'organisme. Ce tissu adipeux est sous la dépendance d'un bilan énergétique très simple à faire, d'un côté il y a les entrées, de l'autre côté il y a les sorties, comme dans un bilan financier à la maison, dont parlait Claudine tout à l'heure. Nous avons d'un côté les entrées, les graisses, les sucres, les protéines, et d'un autre côté les sorties qui sont dues en grande partie au fonctionnement de base de l'organisme. Une petite partie est due au maintien de la thermogenèse, c'est-à-dire le maintien de la température de l'organisme. Enfin, une partie variable dont reparlera sans doute Jean Michel Oppert, qui est la part due à l'activité physique. Ce bilan énergétique est aussi, nous l'avons vu, sous la dépendance d'influences environnementales et sociétales. Il existe une susceptibilité biologique individuelle, c'est l'épigénétique dont nous avons également parlé tout à l'heure. Ces influences environnementales et sociétales modifient de façon importante les profils d'activité physique mais aussi nutritionnelle, et ici aussi nous retombons facilement sur le discours autour de l'épigénétique. Tout cela est ainsi à prendre en compte lorsque l'on essaie d'équilibrer cette balance entre les entrées et les sorties énergétiques.
Dominique Langin l'a dit tout à l'heure, ce tissu adipeux correspond à plusieurs types de cellules. Je vais essentiellement me focaliser sur une cellule en particulier qui est l'adipocyte, Anne Bouloumié parlera juste après moi d'autres types cellulaires. Cet adipocyte est une cellule très présente dans le tissu adipeux, qui a une grande capacité de stockage sous forme de triglycérides, de lipides. Ce stockage au sein de l'adipocyte est tout à fait réversible, c'est-à-dire que la plasticité de l'adipocyte fait qu'il va pouvoir gonfler, on appelle cela une hypertrophie adipocytaire, lorsque l'excédent est en faveur de l'entrée énergétique. Mais l'adipocyte peut également libérer cette énergie stockée lorsque le besoin s'en fait sentir - le sport, le stress, le jeûne, etc. Lorsque l'on est dans une phase où la balance est plus souvent en faveur du stockage que de la libération, on arrive à la pathologie qui est l'obésité et surtout au développement de pathologies associées à l'obésité. Nous avons parlé de diabète, de maladies cardiovasculaires, de cancers et autres, je vais y revenir. Nous nous demanderons quels sont les facteurs impliqués dans la dynamique et l'expansion du tissu adipeux, c'est-à-dire dans l'accumulation de triglycérides, puisque la thématique d'aujourd'hui est l'obésité.
Il y a cette capacité de stockage due à la lipogenèse, au stockage des triglycérides - on vient de le voir, une balance énergétique positive - qui est due de façon non négligeable au déterminant génétique et épigénétique (c'est promis je vais le rajouter sur la diapositive) et ponctuellement à des situations telles que la gestation, l'influence des hormones sexuelles etc. Ce que l'on appelle la lipolyse, la mobilisation des triglycérides, est sous la dépendance de l'activité lipolytique de base, on l'a vu. La lipolyse est induite lorsque les besoins de mobilisation énergétique se font sentir, le stress, le jeûne, l'exercice physique, les fameux déterminants génétiques et épigénétiques, et dans d'autres situations, d'autres contrôles endocrines tels que les hormones corticoïdes ou thyroïdiens par exemple.
Le contrôle du nombre de cellules est un autre paramètre important qu'il faut prendre en compte car l'expansion du tissu adipeux est associée, d'une part au remplissage des adipocytes présents dans le tissu adipeux, mais d'autre part à la multiplication et au recrutement de nouveaux adipocytes. Ce contrôle du nombre de cellules, ces phénomènes que l'on appelle des phénomènes d'hyperplasie adipocytaire, sont aussi importants à prendre en compte quand on veut bien comprendre le fonctionnement de l'expansion du tissu adipeux. On taxe le tissu adipeux de beaucoup d'effets négatifs, mais il est physiologiquement important - je vous l'ai dit au tout début dans ma première diapositive.
Regardez ici l'exemple de ce qu'il se passe lorsque l'on met des souris en régime hyperlipidique et que l'on mesure trois paramètres très simples, le poids, le taux de sucre et la concentration en insuline dans le sang. Lorsque l'on met ces animaux en régime hyperlipidique, ils vont grossir et accumuler du tissu adipeux, de façon croissante bien sûr. Les deux autres index ne bougent pas. Quand on voit que l'animal commence à avoir du mal à grossir, que son tissu adipeux se développe jusqu'à ce que l'animal ne grossisse plus du tout, alors les désordres commencent à apparaître. L'insuline devient plus importante en quantité dans le sang, et c'est quand l'animal ne grossit plus qu'il va devenir hyperglycémique, prédiabétique et diabétique. Tant que le tissu adipeux peut se développer, faire son travail de stockage et de mise en réserve de l'excédent énergétique, la pathologie, en tout cas la pathologie diabétique, est en quelque sorte retardée. Le développement de la masse grasse doit être considéré comme une sorte de protection et de sécurité face au développement des maladies - de cette maladie-là en tout cas.
Dominique l'a dit, depuis une dizaine d'années, depuis la découverte de la leptine en 1994, nous savons que le tissu adipeux n'est pas uniquement une espèce de sac qui va stocker ou relarguer de l'énergie, mais aussi que c'est une véritable glande endocrine. Le tissu adipeux peut sécréter de nombreuses choses. Evidemment, il sécrète des acides gras qui sont utilisés pour la dépense énergétique, on sait depuis assez de temps maintenant qu'ils peuvent avoir un impact sur le contrôle de l'expression des gènes. Ces lipides en général peuvent être des métabolites lipidiques, qui peuvent avoir des actions de véritables médiateurs des hormones pour faire simple, qui peuvent avoir des actions, soit autocrines ou paracrines au sein du tissu adipeux, soit endocrines par leur libération dans la circulation sanguine. Et puis, très étudiées depuis une dizaine d'années, les peptides ou les protéines qui sont synthétisées et sécrétées par le tissu adipeux, que l'on appelle aujourd'hui - je pense que c'est admis pour à peu près tout le monde - les adipokines, produites par le tissu adipeux.
Il est important de savoir cela, et cette notion de glande endocrine que l'on peut donner au tissu adipeux est importante. Pourquoi ? Parce que tout d'abord, sur ce petit écorché de souris, qui est un pseudo-écorché de souris, vous voyez qu'il y a du tissu adipeux absolument partout. C'est vrai, Jean Michel Oppert a raison, il y a du tissu adipeux interne, profond, et du tissu adipeux sous-cutané. Ce sont les deux grandes distinctions que l'on peut faire chez l'homme - pour faire des relations avec les pathologies. Mais du tissu adipeux, ou en tout cas des adipocytes, sont présents dans presque tous les organes, ou autour de tous les organes. On peut donc dire que peu, pour ne pas dire pas, de tissus échappent aux sécrétions adipocytaires. A commencer par le tissu adipeux lui-même, qui s'auto régule en quelque sorte, au niveau de ses propres sécrétions de type adipokines. Ces adipokines-là vont pouvoir interagir avec quasiment tous les autres organes présents dans un organisme, via leur libération dans la circulation sanguine, donc de façon endocrine, tout à fait comme une hormone. La question est de savoir si ces sécrétions adipocytaires, et notamment dans le cas de l'obésité, sont bénéfiques ou néfastes. Sont-elles amies ou ennemies ?
J'ai choisi de vous illustrer cela par trois exemples simples. Le premier, nous en avons parlé tout à l'heure - c'est pour cela que je n'ai pas beaucoup pris la parole, sinon j'allais tout dévoiler - c'est la progression tumorale. Voilà un exemple de coupe histologique que l'on a fait au laboratoire. Dominique l'a dit : vous voyez ici une tumeur mammaire, avec ici le cintre de la tumeur, avec autour de la tumeur comme autour de la glande mammaire, du tissu adipeux qui est fortement présent, ainsi qu'une zone d'interface ici, dans laquelle les cellules tumorales en rose sont présentes à côté des adipocytes en blanc. Il y a donc un vrai dialogue qui se crée entre l'adipocyte et la cellule tumorale, en tout cas au niveau du cancer du sein. Le tissu adipeux est présent dans l'instrument mammaire et dans la tumeur.
Les épidémiologistes, on vient d'en parler, nous disent qu'il y a un risque relatif important de développer certains cancers. J'ai fait une liste, car certains cancers sont plutôt protégés par le tissu adipeux comme le cancer du poumon par exemple. Mais, le risque de développer un cancer colorectal quand on est en surpoids est augmenté d'un facteur 1,5 et de 2 quand on est obèse ; le cancer de l'endomètre d'un facteur 2 quand on est en surpoids et de 3,5 quand on est obèse. Le risque de certains cancers - ils sont notés ici - est donc significativement augmenté lorsque l'on est en surpoids, et encore plus lorsque l'on est obèse. Ces deux éléments nous ont amenés à nous poser la question de savoir si ces fameuses sécrétions adipocytaires, ces fameuses adipokines, pourraient ou non participer à l'invasion tumorale et au développement de la tumeur. On peut assez facilement identifier certaines de ces sécrétions adipocytaires, qui sont ici surlignées en rouge, mais la liste n'est pas exhaustive. Elles peuvent très facilement influencer le développement tumoral. J'ai pris ici un exemple simple qui parle de lui-même. Une équipe américaine a mesuré le volume des cellules tumorales chez la souris lorsque les cellules tumorales sont co-injectées avec des cellules de contrôle qui ne sont pas des adipocytes - voyez la courbe noire ici - et le volume de la tumeur chez des animaux qui ont été co-injectés avec des adipocytes. Les résultats parlent d'eux-mêmes, l'adipocyte a dans ce cas-là un véritable effet stimulant de la prolifération de cette tumeur chez la souris.
Les adipokines ne sont pas forcément néfastes, elles peuvent également être bénéfiques. On sait depuis très longtemps maintenant que le tissu adipeux peut être capable de transformer certains stéroïdes, pour les amener à la fabrication de stéroïdes sexuels par exemple, comme l'oestradiol. La fabrication d'oestradiol par le tissu adipeux n'est pas négligeable, comme le montre notamment ce travail chez la femme ménopausée, où la concentration plasmatique sanguine d'oestradiol est presque doublée comparativement à la femme qui n'est pas en surcharge pondérale. Le tissu adipeux participe donc à la fourniture sanguine d'oestradiol, et l'on sait parallèlement à cela que chez la femme ménopausée, le tissu adipeux participe à l'effet protecteur de complications cardiovasculaires par exemple, ou de phénomènes de l'ostéoporose. Le tissu adipeux, l'excès de tissu adipeux ou les adipokines ne sont donc pas forcément négatives.
Comme dernier exemple, j'ai pris un exemple qui a été développé au laboratoire, par lequel nous avons pu mettre en évidence l'existence d'une adipokine relativement nouvelle qui s'appelle l'apeline, et montrer que la production par l'adipocyte de ce peptide-là permet de diminuer les taux plasmatiques de glucose, la glycémie. Lorsque l'on injecte de l'apeline à des animaux, on voit que l'utilisation du glucose est plus importante comparativement à des animaux contrôles. Cela est très intéressant chez l'animal sain, normo-pondéral, mais encore plus lorsque l'on sait que ce peptide-là fonctionne de façon tout à fait identique chez l'animal sain et chez l'animal diabétique, ce qui n'est pas le cas de nombreux autres adipokines, comme démontré auparavant. Ici par exemple, on voit que les effets de l'adipokine sont toujours marqués chez le diabétique aussi bien pour ce qui concerne l'utilisation du glucose dans le tissu adipeux, dans le coeur ou dans certains muscles. Les effets de cette sécrétion endogène par le tissu adipeux d'apeline peuvent être mis au rang de rôle protecteur du tissu adipeux qui permet comme nous le disions tout à l'heure de retarder l'apparition du diabète, mais peuvent être aussi d'un intérêt thérapeutique certain, si ces résultats sont confirmés chez l'homme.
Je vous remercie et je vous donne une petite image d'un sculpteur toulousain qui considère aussi que le tissu adipeux n'est pas forcément néfaste.
Jean-Claude ETIENNE
Image particulièrement suggestive et nous vous en remercions. Merci beaucoup Philippe Valet. Anne Bouloumié va intervenir sur le rôle de la plasticité du tissu adipeux dans le développement de l'obésité.