2. Les limites des soins en prison
a) Les insuffisances de la prise en charge médicale
La prise en charge au sein des SMPR, si elle a constitué un progrès considérable, connaît certaines limites difficiles à surmonter :
- les moyens en personnels médicaux demeurent insuffisants malgré les progrès importants réalisés au cours des dernières années. Au 31 décembre 2008, les SMPR comptaient 105 postes à temps plein pourvus de médecins, 238 postes d'infirmiers et 85 postes de psychologues. Ces effectifs élevés doivent cependant être rapprochés des besoins de la population concernée. Les études précitées de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) ont en effet montré que le recours aux soins de santé mentale est, en détention, dix fois supérieur à celui observé en population générale. Par ailleurs, selon les éléments transmis au Sénat par la direction de l'hospitalisation et de l'offre de soins du ministère de la santé à l'occasion de l'examen de la loi pénitentiaire adoptée en 2009, les effectifs médicaux et soignants n'ont progressé depuis 1997 que de 21,45 % (42,68 % pour les médecins et 15,3 % pour les soignants) en psychiatrie alors qu'ils augmentaient de 108,3 % pour les soins somatiques (53 % pour les médecins et 126,4 % pour les soignants). En outre, les effectifs sont très inégalement répartis entre SMPR, variant pour les médecins de 0,3 (Chalons en Champagne) à 10,05 équivalents temps plein (Fresnes).
L'inégale répartition des psychiatres sur le territoire a non seulement des effets sur l'organisation des secteurs de psychiatrie générale, qui n'assurent pas toujours un suivi suffisant de leurs patients, mais rend également très difficile l'attribution des postes au sein des SMPR ou des Ucsa, compte tenu du peu d'attrait de ces médecins pour une activité réputée difficile ;
- pour des raisons évidentes liées aux contraintes de déplacement des détenus, les SMPR accueillent prioritairement les détenus de l'établissement où ils sont situés. Ainsi, une étude de 2005 portant sur le recours aux soins des détenus en 2003 a montré que 430 détenus sur 1 000 incarcérés dans un établissement pénitentiaire disposant d'un SMPR ou d'une antenne SMPR ont bénéficié d'une prise en charge psychiatrique supérieure à une fois dans l'année, contre 144 pour les établissements non dotés d'un SMPR.
Or, les SMPR sont principalement localisés dans les maisons d'arrêt, ce qui présente des avantages incontestables pour la réalisation d'évaluations à l'entrée en détention, mais néglige le fait que certains établissements pour peines, en particulier les maisons centrales, accueillent des détenus condamnés à de très longues peines et souffrant parfois de troubles mentaux majeurs ;
- l'hospitalisation au SMPR est pour l'essentiel une hospitalisation de jour, compte tenu de l'absence de personnel soignant la nuit dans la plupart des cas et de l'impossibilité d'y accueillir des détenus sans leur consentement. En outre, comme l'a montré l'étude précitée, « les conditions d'hospitalisation au SMPR ne sont pas réellement comparables à celles des services hospitaliers, les chambres d'hospitalisation ne se différenciant pas des cellules de détention dans dix-sept SMPR. Ces locaux non différenciés peuvent poser problème pour une prise en charge en termes de soins ; notamment en ce qui concerne l'existence de systèmes de réanimation de premier niveau, les risques liés aux lits métalliques en cas de crise, ou la présence de systèmes d'alerte ».
Mais l'aspect le plus critiquable de la prise en charge des détenus atteints de troubles mentaux est sans aucun doute la manière dont ils sont accueillis au sein des hôpitaux psychiatriques lorsqu'une hospitalisation est nécessaire. Réalisée sans leur consentement, cette hospitalisation se déroule le plus souvent, pour des raisons de sécurité, en chambre d'isolement, le détenu étant parfois entravé sans que son état médical le justifie. Dans ces conditions, les durées d'hospitalisation sont particulièrement brèves, ne dépassant souvent pas deux à trois jours, et ne permettent pas la stabilisation attendue de l'état du patient.
Quant à la prise en charge au sein des UMD, elle demeure particulièrement difficile compte tenu du nombre de places très insuffisant dans ces structures.
b) L'aggravation de certaines pathologies et le risque suicidaire
Comme l'a souligné l'avis rendu en 2006 par le comité consultatif national d'éthique sur la santé et la médecine en prison, l'incarcération peut être source d'aggravation des troubles mentaux de certains détenus sous le double effet de l'insuffisance des soins dispensés déjà mentionnée et des conditions de vie dans les établissements pénitentiaires (promiscuité, troubles du sommeil...). Cette situation met en danger ces personnes, qui peuvent porter atteinte à elles-mêmes (automutilations, suicides) ou au personnel pénitentiaire et à leurs codétenus. Le rapport établi en 2009 par le docteur Louis Albrand sur la prévention du suicide en milieu carcéral montre en particulier que la dépression, lorsqu'elle n'est pas prise en charge, est la première cause de suicide en prison.
c) L'absence d'articulation entre le milieu carcéral et la prise en charge à l'issue de la peine
L'insuffisance de la prise en charge se manifeste enfin au moment de la sortie de prison. Hors les cas où les détenus libérés font l'objet de mesures telles que le suivi socio-judiciaire ou l'injonction de soins, ils sont bien souvent remis en liberté sans qu'aucun suivi particulier soit prévu. Même si, selon l'étude précitée sur la prise en charge de la santé mentale des détenus en 2003, 85 % des SMPR déclaraient avoir une activité post-pénale pour les détenus suivis pendant leur incarcération qui nécessitaient une poursuite des soins en milieu ouvert, 1 400 patients seulement avaient été vus par les équipes des SMPR, à domicile ou dans une structure extérieure à la prison, soit 4 % de la population suivie plus d'une fois dans l'année.
Le passage de relais au secteur psychiatrique général n'apparaît qu'imparfaitement assuré et certaines des personnalités entendues par le groupe de travail ont souligné le manque de structures intermédiaires susceptibles d'accueillir des sortants de prison pour ménager une transition entre la prison et une prise en charge ambulatoire.