N° 1577

 

N° 739

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DIX-SEPTIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2024 - 2025

Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 12 juin 2025

 

le 12 juin 2025

     

RAPPORT

au nom de

L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

sur

Réunion du Conseil scientifique du 15 mai 2025

par

M. Pierre HENRIET, député et M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Pierre HENRIET,

Premier vice-président de l'Office

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Stéphane PIEDNOIR,

Président de l'Office

     

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur

Premier vice-président

M. Pierre HENRIET, député

Vice-présidents

M. Jean-Luc FUGIT, député

M. Gérard LESEUL, député

M. Alexandre SABATOU, député

Mme Florence LASSARADE, sénatrice

Mme Anne-Catherine LOISIER, sénatrice

M. David ROS, sénateur

   

DÉPUTÉS

SÉNATEURS

M. Alexandre ALLEGRET-PILOT

M. Maxime AMBLARD

M. Philippe BOLO

M. Éric BOTHOREL

M. Joël BRUNEAU

M. François-Xavier CECCOLI

M. Maxime LAISNEY

Mme Mereana REID ARBELOT

M. Arnaud SAINT-MARTIN

M. Emeric SALMON

M. Jean-Philippe TANGUY

Mme Mélanie THOMIN

M. Stéphane VOJETTA

Mme Dominique VOYNET

M. Arnaud BAZIN

Mme Martine BERTHET

Mme Alexandra BORCHIO FONTIMP

M. Patrick CHAIZE

M. André GUIOL

M. Ludovic HAYE

M. Olivier HENNO

Mme Sonia de LA PROVÔTÉ

M. Pierre MÉDEVIELLE

Mme Corinne NARASSIGUIN

M. Pierre OUZOULIAS

M. Daniel SALMON

M. Bruno SIDO

M. Michaël WEBER

CONCLUSIONS DE LA RÉUNION DU 15 MAI 2025

L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a réuni son Conseil scientifique le 15 mai 2025 pour son échange de vues annuel.

Deux sujets essentiels pour l'actualité de la recherche et de la formation scientifiques étaient inscrits à l'ordre du jour :

- les répercussions des décisions prises par l'administration fédérale américaine sur les laboratoires de recherche et les projets scientifiques, en particulier dans le cadre des nombreuses coopérations internationales ;

- l'usage de l'intelligence artificielle (IA) dans les pratiques des scientifiques et les perspectives offertes pour leurs travaux par les évolutions technologiques.

Quels que soient les champs de recherche concernés et sans ignorer les spécificités de chaque discipline, des analyses convergentes et des préoccupations communes ont émergé des discussions entre les membres du Conseil scientifique et ceux de l'Office.

Sur ces fondements, pour chacun des deux thèmes abordés, l'Office tire plusieurs enseignements et avance des orientations allant dans le sens de la promotion d'une plus grande indépendance, stratégique pour la France et pour l'Europe.

I. LES CONSÉQUENCES DES DÉCISIONS DE L'ADMINISTRATION FÉDÉRALE AMÉRICAINE DANS LE DOMAINE DE LA RECHERCHE

A. UN RISQUE MAJEUR D'APPAUVRISSEMENT DE LA RECHERCHE AU NIVEAU MONDIAL

1. Une offensive qui touche tous les secteurs, provoquant de fortes inquiétudes et une grande instabilité

Les membres du Conseil scientifique de l'Office ont souligné l'ampleur de l'offensive lancée par l'administration américaine contre les sciences : ses décisions remettent en cause l'ensemble du système de recherche, très dépendant des États-Unis au niveau mondial, et provoquent des dommages que l'on peut craindre irréversibles.

Les raisons invoquées pour réduire les moyens de la recherche sont à la fois idéologiques et budgétaires.

 Au-delà de l'environnement et de la santé publique, très affectés, toutes les disciplines sont concernées.

Les programmes scientifiques arrêtés pour des raisons idéologiques concernent principalement le changement climatique, l'épidémiologie, la virologie et les recherches sur les vaccins, les énergies renouvelables et certains pans des sciences humaines et sociales (SHS) qui touchent à la diversité, l'inclusion ou encore l'égalité (études de genre, théorie critique de la race, histoire de l'esclavage ou encore sociologie des inégalités).

Les autres disciplines scientifiques ne sont pas épargnées, qu'il s'agisse des sciences physiques, des sciences spatiales ou des sciences de l'ingénieur.

Outre certaines universités prestigieuses (Harvard et Columbia par exemple), les missions et le fonctionnement des institutions muséales, archivistiques et de certaines bibliothèques sont également remis en cause.

 De fortes coupes budgétaires, des licenciements massifs et un climat d'intimidation dans les agences fédérales et certaines académies et universités

L'Inserm fait état d'un certain abattement des personnels des National Institutes of Health (NIH), dont beaucoup sont dans l'incertitude quant à l'avenir de leur activité et se sentent menacés. Des licenciements massifs y ont été imposés parmi les directeurs et les autres employés.

D'autres agences de premier plan, dont de nombreux collaborateurs ont été brutalement congédiés, sont durement touchées : la National Science Foundation (NSF) ou encore la National Aeronautics and Space Administration (Nasa).

Les budgets de ces agences ont été fortement restreints, la diminution atteignant, selon les informations recueillies, jusqu'à - 50 % pour les sciences spatiales et - 25 % pour l'exploration à la Nasa. Les moyens alloués aux départements de l'énergie (Department of Energy - DOE) et de l'agriculture (United States Department of Agriculture - USDA) ont également fait l'objet de sévères coupes.

Dans le domaine des sciences physiques, les restrictions budgétaires annoncées pour 2026 sont extrêmement importantes : - 24 % pour l'Office sur l'énergie nucléaire, - 31 % pour l'énergie fossile ou encore - 75 % sur les énergies renouvelables.

Les dynamiques de coopération scientifique et technologique sont ainsi freinées, l'Académie des sciences témoignant de la participation de plus en plus difficile des chercheurs étrangers aux réunions internationales aux États-Unis du fait de la difficulté à obtenir des visas, et des chercheurs américains aux réunions à l'étranger, faute de financements.

Les programmes de recherche sur le climat sont notamment suspendus. Très impliqué dans le Giec, le CNRS confirme que les scientifiques américains n'y participent plus.

Dans le domaine des sciences spatiales, un projet cosmologique important (Roman), en phase finale après plusieurs centaines de millions de dollars d'investissement, risque d'être arrêté. Le programme de retour d'échantillons martiens, auquel la France a participé, est également menacé.

Une grande inquiétude porte sur l'avenir du Cern et la physique des particules en raison des restrictions budgétaires qui pourraient toucher les organisations internationales.

Les retraits de financement concernent également les universités, parmi lesquelles celle de Harvard, menacée de se voir privée de 2,2 milliards de dollars annuels.

Les membres du Conseil scientifique soulignent le climat d'intimidation qui gagne les milieux de la recherche. Il a notamment été souligné que la Présidente de l'Académie américaine des sciences évitait de prendre position sur la nouvelle politique scientifique par peur de représailles. Plusieurs membres ont plus généralement témoigné d'une atmosphère oppressante et d'une certaine retenue dans les messages reçus de scientifiques établis aux États-Unis, dont certains semblent craindre de laisser des traces écrites.

Enfin, malgré les protestations organisées dans les milieux universitaires et de la recherche (mouvement « Stand-up for Science »), la prudence, voire le silence, dont font preuve certaines instances scientifiques, notamment européennes, dans leurs expressions publiques a été déploré. En Europe, le réseau des académies des sciences (Allea) a publié une déclaration encourageant les gouvernements et institutions internationales à défendre la liberté académique et l'autonomie des institutions scientifiques mais celle-ci est diversement suivie selon les pays1(*).

 Une forte instabilité qui explique un certain attentisme

Ces évolutions déstabilisent l'ensemble des jeunes scientifiques au niveau mondial, en particulier les doctorants et post-doctorants, dont la situation est souvent précaire. De l'avis général, du fait de la forte proportion de jeunes chercheurs de nationalité étrangère dans les laboratoires américains, en provenance d'Asie et d'Europe notamment, il faut s'attendre à ce qu'ils se tournent massivement vers d'autres régions du monde.

À l'inverse, les chercheurs les plus établis au plan international ne cherchent pas spécialement à venir s'installer en Europe. Certains attendent les élections de mi-mandat ou un changement de président pour envisager la suite de leur carrière.

Dans certaines disciplines prévaut ainsi un relatif attentisme : dans les sciences physiques par exemple, passé un moment de stupeur face à l'ampleur des restrictions mises en place dans un pays auparavant connu pour sa liberté d'expression, il semble que les scientifiques commencent à temporiser sans envisager de partir.

2. Une mise en danger de l'ensemble du système de recherche et du patrimoine scientifique

Il n'en demeure pas moins que c'est l'intégrité du patrimoine scientifique qui est mise en péril, avec la destruction d'infrastructures et de données essentielles au développement de la recherche scientifique. La crise révèle ainsi la fragilité de notre système de recherche, largement dépendant des États-Unis.

 La destruction d'infrastructures et de données essentielles à la culture scientifique

Les témoignages recueillis par l'Académie des sciences auprès de ses réseaux font état d'une destruction rapide de structures, réseaux, bases de données et travaux de recherche, avec des conséquences parfois irréversibles ou dont la reconstruction sera très longue.

Dans le domaine des sciences spatiales en particulier, certaines bases de données sont hébergées de façon exclusive aux États-Unis, comme celles liées au projet du télescope grand champ installé au Chili (Large Synoptic Survey Telescope ou LSST), qui vise notamment à mieux comprendre la nature de l'énergie noire, ou certaines données sur les ondes gravitationnelles.

Dans ce contexte, le CNRS indique avoir été saisi par le ministère de la recherche d'une demande de recensement de l'ensemble des bases de données scientifiques qui se trouvent en souffrance en raison des arrêts de financement.

L'importance de disposer de sites miroirs est bien identifiée : s'agissant par exemple des séquences d'ADN en biologie, le CNRS dispose de trois sites miroirs, répartis entre les États-Unis (au sein du National Center for Biotechnology Information), l'Europe et le Japon, répliqués quotidiennement. Cependant, la généralisation de sites miroirs à l'ensemble des disciplines concernées requerrait des moyens considérables (à la fois en bande passante et en capacité de stockage).

 Une crise qui révèle la fragilité du système international de recherche

À travers ses conséquences très concrètes, la crise provoquée par les décisions américaines révèle la fragilité du système international de recherche, très dépendant des États-Unis.

L'Académie des sciences rappelle à titre d'exemple que les États-Unis représentent 23 % des publications mondiales sur le climat, 50 % de celles relatives à la recherche océanographique et deux tiers du réseau « Argo » (programme international qui coordonne la collecte des informations dans les océans à l'aide d'une flotte d'instruments robotisés).

Dans ces conditions, certains scientifiques estiment que la position dominante occupée par les États-Unis dans le domaine scientifique aura tendance à s'effacer au profit de la Chine, interrogeant l'avenir de la stratégie française et européenne pour la science.

B. QUELLES RÉPONSES AUX NIVEAU FRANÇAIS ET EUROPÉEN ?

1. Des financements annoncés qui n'apparaissent pas à la hauteur des enjeux

À l'occasion de la conférence organisée à Paris le 5 mai dernier et intitulée « Choose Europe for Science », la présidente de la Commission européenne a annoncé que l'Union européenne allait mobiliser 500 millions d'euros pour attirer des chercheurs étrangers. La France pourrait y consacrer 100 millions d'euros.

Plusieurs membres du Conseil scientifique ont déploré la faiblesse de ces sommes au regard de l'enjeu de l'attractivité des carrières scientifiques en France et plus largement en Europe, en particulier lorsque ces sommes sont ramenées au « coût » salarial annuel individuel d'un chercheur. Malgré la qualité internationalement reconnue de la recherche développée dans les laboratoires français, les conditions salariales proposées en France ne permettent pas d'attirer les chercheurs les plus chevronnés et ne le permettront pas davantage à l'avenir.

2. Concentrer les efforts sur le recrutement de jeunes chercheurs étrangers

La seule ambition raisonnable au regard des moyens disponibles est de recruter de jeunes chercheurs étrangers et de leur offrir l'opportunité de débuter leur carrière sur le sol français ou européen.

De fait, dans le domaine des SHS, le CNRS constate que ce sont avant tout les jeunes chercheurs qui sont intéressés par le fait de venir travailler en France. Un dispositif simplifié de candidature, s'inscrivant dans « Choose Europe for Science », a été mis en place, reposant, en cas de sélection, sur un cofinancement par l'agence et l'État. Dans le même esprit, une collaboration entre l'Inserm et le CNRS dans le cadre du programme ATIP-Avenir permet aux jeunes chercheurs recrutés de se voir proposer une offre complète (moyens, contrat, laboratoire, équipes).

Un consensus existe ainsi sur la nécessité de mettre en place une stratégie « active et ciblée » en direction des étudiants étrangers qui auraient souhaité s'établir aux États-Unis mais qui ne le pourront pas.

3. Mener une réflexion prospective sur la résilience du système de recherche français et européen

Plus largement, le Conseil scientifique a appelé de ses voeux un travail prospectif sur la résilience du système de recherche français et européen, Marc Sciamanna, professeur à CentraleSupélec, allant même jusqu'à évoquer la nécessité d'un « réveil dans tous les domaines scientifiques face à l'abandon d'une forme d'intelligence culturelle et technologique ».

Il s'agit notamment d'étudier et de réévaluer le système d'enseignement supérieur et de recherche ainsi que la place de la jeunesse dans les sciences.

Une étude sur les financements de la recherche privée, industrielle et technologique, que le Bureau de l'Office a souhaité inscrire à son programme de travail, contribuera à cette réflexion.

Enfin, à l'image des membres de son Conseil scientifique, l'Office tient à réaffirmer l'importance de défendre les valeurs sur lesquelles repose la science, la liberté d'expression des chercheurs et à rappeler le rôle central joué par l'expertise scientifique comme aide à la décision politique et pour éclairer l'opinion publique.

II. L'UTILISATION DE L'IA DANS LES PRATIQUES DES CHERCHEURS

Dans le prolongement du récent rapport de l'Office établi par le député Alexandre Sabatou et les sénateurs Patrick Chaize et Corinne Narassiguin sur les derniers développements de l'IA2(*), les membres du Conseil scientifique ont évoqué l'impact de l'IA sur leurs pratiques de chercheurs et insisté sur la nécessité pour l'organisation de la recherche de s'adapter aux nombreux enjeux qui en résultent.

A. UN IMPACT DÉJÀ SIGNIFICATIF ET DES PERSPECTIVES NOMBREUSES

1. Un usage généralisé

L'IA revêt une importance croissante pour la recherche, comme en témoigne de façon emblématique l'attribution en 2024 des prix Nobel de physique et de chimie à des chercheurs ayant développé ou mobilisé l'IA3(*).

Dans les sciences de l'ingénieur, en particulier la photonique, l'IA est utilisée principalement pour l'apprentissage des réseaux de neurones et l'aide à la décision : reconnaissance d'images et de formes, traitement de données massives ou encore simplification de structures complexes telles que le routage de circuits électroniques.

L'IA joue un rôle clé pour la réduction de données en astrophysique, où le volume d'informations à traiter est considérable (par exemple, s'agissant du projet de radiotélescope international « Square Kilometre Array Observatory », 700 pétabytes par an, soit plusieurs térabytes par seconde en régime de croisière). Les réseaux neuronaux convolutifs permettent d'identifier les données à conserver et de les classifier.

Cet apport de l'IA est également central dans le secteur de la recherche biomédicale et de la santé, qui travaille sur des bases de données nombreuses et volumineuses.

Dans le domaine de l'énergie et de l'environnement, l'IA et la science des données se sont imposées de la recherche fondamentale jusqu'aux applications industrielles et la maintenance prédictive, en particulier pour le développement des technologies bas carbone. L'IA est utilisée pour l'analyse des données, la modélisation ou la simulation, mais aussi, depuis l'essor des grands modèles de langage (LLM), pour l'aide à la rédaction.

L'intérêt des LLM et des outils conversationnels est également bien identifié dans les sciences humaines et sociales (SHS) : facilitation de tâches administratives (constitution de tableaux ou de supports de présentation), aide à la rédaction ou à l'élaboration de protocoles de recherche, analyse de textes (traitement automatisé de corpus volumineux), constitution et interprétation de données.

Ainsi, de nombreuses disciplines qui travaillent avec de grandes bases de données (langues, économie, archéologie, humanités traditionnelles) utilisent désormais l'IA pour la lecture automatique d'écritures anciennes ou l'extraction de données.

En philosophie, la validité de ChatGPT en tant que « sparring partner » est reconnue, et son utilisation est fréquente.

Au total, les chercheurs sont unanimes sur l'intérêt que peuvent représenter les nouveaux outils d'IA pour le résumé de contenus et le gain de temps appréciable dont ils peuvent les faire bénéficier.

2. Des perspectives nombreuses

Les perspectives offertes par les nouveaux développements des technologies d'IA sont nombreuses, en particulier pour la reconnaissance d'images et la robotisation. Les chercheurs indiquent en effet que l'analyse textuelle et d'images sera de plus en plus centrale pour l'exploitation des corpus de données.

Les pratiques des chercheurs devraient continuer à être transformées par les LLM et leurs conséquences sur les méthodes de production, d'analyse et de classification des données, en particulier dans les SHS.

Dans le champ des sciences sociales et des recherches quantitativistes, qui impliquent la constitution de matériaux empiriques constitués à partir d'enquêtes comme des sondages ou des interviews d'échantillons représentatifs, des travaux de simulation de sondages par l'IA sont par exemple expérimentés par certains chercheurs, avec des interrogations sur les limites inhérentes à la simulation de comportements sociaux à partir de populations virtuelles4(*).

Les retours d'expérience des représentants du centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) font également état d'une performance élevée de ChatGPT pour le commentaire de modèles statistiques réalisé dans un cadre expérimental.

L'évaluation de la capacité de cet outil à réaliser des classifications de données relatives à des positions politiques à partir de verbatims offre également des perspectives encourageantes : son niveau de maturité est désormais suffisant pour réaliser un travail de classification d'une qualité quasi équivalente à celui d'un être humain5(*).

La place que prendront ces outils dans la formulation des questions de recherche est un autre point qu'il conviendra d'évaluer.

S'agissant enfin des méthodes d'analyse des données, les chercheurs identifient une tendance vers l'hybridation des méthodes statistiques traditionnelles avec les méthodes computationnelles.

À cet égard, il est probable que les nouvelles générations de chercheurs soient conduites à coder davantage que leurs prédécesseurs et que les équipes de recherche intègrent un nombre croissant de développeurs informatiques.

B. LA NÉCESSAIRE POURSUITE DE L'ADAPTATION DE L'ORGANISATION DE LA RECHERCHE AUX ENJEUX DE L'IA

1. Approfondir les collaborations entre scientifiques et experts de la donnée

Pour permettre aux chercheurs d'exploiter pleinement les nouvelles possibilités offertes par l'IA, la création de passerelles plus nombreuses entre scientifiques et experts des données et de l'IA apparaît essentielle.

Or dans le domaine de la recherche biomédicale comme dans d'autres disciplines, la difficulté de recruter des experts en IA est patente, ces derniers étant le plus souvent attirés vers des structures privées offrant des rémunérations plus avantageuses.

À l'heure de l'IA, l'attractivité des postes et des carrières dans la recherche publique reste par conséquent un enjeu de taille.

2. Investir dans les équipements et les architectures de calcul sous-jacentes

Un autre point d'alerte concerne les équipements et les architectures de calcul sur lesquels repose la recherche, en particulier dans les sciences de l'ingénieur où les systèmes actuels ne sont pas adaptés à une utilisation massive de données.

À défaut d'investissement dans certaines branches particulièrement prometteuses de la physique, comme le magnétisme, l'optique ou le quantique, la France accusera un retard croissant.

Plus que jamais, des efforts d'investissement dans les équipements sont indispensables à l'échelle européenne.

3. Poursuivre le travail d'évaluation des outils disponibles, en particulier des LLM

L'évaluation des outils disponibles, en particulier des grands modèles de langage (LLM), doit se poursuivre, même si elle est parfois rendue difficile par la rapidité avec laquelle ces techniques évoluent, les sauts qualitatifs entre les versions successives d'un même outil pouvant être importants.

Ce travail d'évaluation doit tout d'abord permettre de connaître précisément la fréquence d'usage des agents conversationnels dans le travail de recherche. En effet, dans les sciences humaines et sociales, mais probablement aussi dans d'autres disciplines, cette fréquence n'a pas été « objectivée », même si l'on sait que l'appropriation des LLM s'opère rapidement à l'échelle individuelle.

Le travail d'évaluation doit ensuite permettre de comprendre et d'anticiper les biais culturels que peuvent charrier l'entraînement et l'utilisation des modèles. Il s'agit d'évaluer l'importance, dans la constitution des corpus des recherches, des filtres algorithmiques invisibles (hiérarchisation des contenus, empreinte culturelle, etc.).

À cet égard, la plateforme de science ouverte HAL6(*) développée en France constitue un atout précieux car les articles scientifiques qui y sont publiés le sont gratuitement, ce qui permet d'alimenter les modèles d'IA de façon suffisamment exhaustive pour écarter, au moins en partie, le risque de biais du corpus de données.

Pour aller plus loin et sortir de cette dépendance, les chercheurs appellent de leurs voeux la mise en place d'IA européennes souveraines et dignes de confiance.

Enfin, une réflexion doit être menée sur la façon de considérer les informations issues de modèles génératifs. Dans les SHS, l'intervention d'algorithmes génératifs est susceptible de brouiller la frontière entre les données jusqu'ici considérées comme primaires (celles issues de sondages, de questionnaires, d'interviews, d'observations) et les données ayant déjà été générées par une IA, dites secondaires.

Si la réponse n'est pas totalement évidente, il va de soi, d'un point de vue méthodologique, qu'il incombera à chaque chercheur, en fonction des spécificités de chaque projet de recherche, de respecter une totale transparence sur le type de données exploitées.

C. DEUX VOIES PARALLÈLES AUSSI INDISPENSABLES L'UNE QUE L'AUTRE : SAVOIR FAIRE AVEC ET SANS L'IA

L'utilité de l'IA et les risques liés à son utilisation plaident pour une vision positive mais prudente.

Pour garantir une utilisation efficace et éthique de l'IA, un consensus existe sur le besoin de formation massif des chercheurs et des ingénieurs et la nécessité, pour les uns et les autres, de garder un esprit critique. S'il faut former à l'IA, il faut aussi, dans chaque discipline, garder la maîtrise des savoirs fondamentaux.

1. Rappeler le caractère fondamental pour tout chercheur du rapport au terrain

En premier lieu, il convient de ne jamais perdre de vue que les technologies d'IA restent des systèmes de calcul statistique créés par des êtres humains, mais incapables de donner du sens aux données. Comme l'a souligné Raja Chatila, professeur émérite d'intelligence artificielle, de robotique et éthique à Sorbonne Université : « Ce sont les chercheurs qui pensent, pas les machines ». Par nature ou par construction, les IA sont capables d'hallucinations, c'est-à-dire de corrélations erronées.

Dans ce contexte, la maîtrise des fondamentaux de chaque discipline et le rapport au terrain restent indispensables pour rester maître de son projet de recherche, en particulier dans l'hypothèse d'un arrêt ou d'une interruption des systèmes.

Il s'agit, pour reprendre l'expression de Daniel Andler, mathématicien et philosophe, d'assurer l'explicabilité des modèles d'apprentissage et des résultats en faisant preuve d'un « bilinguisme technologique » : il faut pouvoir exploiter pleinement les technologies d'IA, mais également pouvoir s'en passer. Le maintien de l'expertise des chercheurs est en particulier essentiel au regard des « boîtes noires » qui caractérisent le fonctionnement de certaines IA comme ChatGPT.

Est ainsi mise en lumière l'une des limites à l'utilisation de l'IA : on ne peut s'en servir à un haut niveau que sur des sujets que l'on connaît déjà bien.

À cela s'ajoute l'enjeu de l'exactitude des données utilisées dans des recherches assistées par l'IA. Il s'agit d'un aspect particulièrement critique dans certaines disciplines, comme la recherche clinique par exemple et l'évaluation de médicaments ou de protocoles chirurgicaux.

2. Maîtriser les IA et l'art du prompt

Les membres du Conseil scientifique ont souligné l'importance pour les chercheurs d'être massivement formés à l'IA, en particulier pour comprendre comment fonctionne l'échange itératif avec les modèles de langage et pour maîtriser l'art du prompt.

L'Office ne peut qu'abonder en ce sens, la nécessité d'approfondir les efforts de formation à l'IA ayant été mis en exergue par le Parlement dans de nombreux travaux7(*).

3. Adopter une approche éthique : transparence, frugalité

Parmi les bonnes pratiques qui doivent se diffuser dans la communauté scientifique, l'obligation de signaler, chaque fois que cela est nécessaire, l'utilisation de l'IA dans les publications et les travaux de recherche apparaît indispensable. Cette règle de transparence doit être enseignée dès la formation initiale, a fortiori dans un contexte où les outils d'IA générative transforment les façons d'apprendre et d'évaluer les étudiants.

Enfin, l'impact environnemental de l'IA est un autre enjeu éthique auquel étudiants et chercheurs doivent être formés. Si, dans ce domaine, la balance coûts-avantages n'apparaît pas toujours évidente, il est heureux que des entités comme le CNRS commencent à inclure les enjeux de frugalité dans leurs réflexions stratégiques sur la transition environnementale.

TRAVAUX DE L'OFFICE

I. COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 15 MAI 2025

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a le plaisir d'accueillir ce matin les membres de son Conseil scientifique. Je vous remercie d'être venus nombreux. Cette réunion entre l'Office et le Conseil scientifique se tient après une année riche en événements. Notre dernière rencontre date du 21 mars 2024, presque une autre époque puisque la dissolution de l'Assemblée nationale en juin dernier a conduit depuis au renouvellement de la moitié des 18 députés membres de l'Office.

Dans le domaine de la recherche, l'actualité a été marquée en 2024 par les discussions sur le futur programme européen de recherche et d'innovation dont la Commission européenne semble vouloir la fin, ce à quoi s'opposent le Parlement européen et les ministres européens de la recherche. Parmi les faits majeurs figurent également les décisions prises aux États-Unis au cours des quatre derniers mois avec la nouvelle présidence Trump.

Ces nombreux événements ont conduit le Président de la République à organiser il y a dix jours à la Sorbonne une conférence intitulée « Choose Europe for Science », à laquelle a participé la présidente de la Commission européenne. Dans la foulée, Ursula von der Leyen a annoncé le déblocage de 500 millions d'euros pour attirer des chercheurs étrangers, principalement ceux exerçant aux États-Unis. La France a quant à elle débloqué 100 millions d'euros pour le même objectif.

Nous aborderons aujourd'hui cette actualité importante, plusieurs d'entre vous ayant souhaité s'exprimer sur ce sujet et partager leurs inquiétudes. Je vous propose donc un premier tour de table pour échanger sur les répercussions des décisions américaines sur vos laboratoires et projets scientifiques dans le cadre des coopérations internationales. Vous pourrez nous faire part des témoignages les plus significatifs et nous présenter votre vision des évolutions aux États-Unis, en Europe et dans le reste du monde, en identifiant les secteurs de recherche les plus impactés.

Nous ferons ensuite un second tour de table sur les récents développements de l'intelligence artificielle, particulièrement l'IA générative, à la suite du dernier rapport de l'Office établi par les sénateurs Corinne Narassiguin, Patrick Chaize et le député Alexandre Sabatou. Nous recueillerons vos témoignages sur vos usages de l'IA et les perspectives qu'elle ouvre pour vos travaux. Virginie Tournay, absente aujourd'hui, nous a fait parvenir une contribution écrite qui vous sera distribuée.

Enfin, Catherine Cesarsky disposera d'un temps de parole en fin de réunion sur un sujet lié à une convention internationale.

M. Robert Barouki, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie (Université de Paris), directeur de l'unité Inserm « Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs », chef de service en biochimie métabolomique et protéomique à l'Hôpital Necker-Enfants malades. - Merci beaucoup pour l'organisation de cette réunion. En tant que directeur de l'Institut thématique de santé publique de l'Inserm, spécialisé en santé environnementale, je peux témoigner que ces domaines sont parmi les plus touchés par les décisions américaines.

Je participe en ce moment à un congrès sur l'exposome où j'ai pu rencontrer de nombreux collègues. Les personnels des National Institutes of Health (NIH) ont pu venir, ce qui n'était pas garanti il y a encore quelques semaines. En discutant avec eux, je constate un abattement évident. Beaucoup se sentent menacés, incertains quant au maintien de leurs contrats et à la durée de leur activité. Les personnes proches de la retraite s'interrogent particulièrement sur leur avenir.

Concernant d'éventuels départs, la situation est complexe. Actuellement, la plupart des chercheurs sont dans l'attentisme. Une vice-directrice récemment nommée au NIH, membre de la nouvelle équipe, a tenu des propos plutôt rassurants sans entrer dans les détails stratégiques. Certains chercheurs s'intéressent aux possibilités d'accueil en Europe, mais pas nécessairement les plus établis au plan international.

Si nous souhaitons les aider, il faudra envisager plusieurs approches. D'abord, certains domaines de recherche risquent d'être très appauvris si les États-Unis s'en retirent. Ensuite, nous devons développer des outils permettant aux excellents chercheurs de continuer à exercer. Faut-il créer des associations entre laboratoires, sans nécessairement proposer un accueil permanent, mais permettant des collaborations bénéfiques pour tous et offrant aux chercheurs américains un ancrage en Europe ?

M. Didier Roux, physico-chimiste spécialiste de la matière condensée, membre de l'Académie des technologies. - L'Académie des sciences a lancé une collecte de données au sein de ses réseaux, notamment auprès de nos confrères et consoeurs américains. Nous n'en avons pas terminé la compilation, mais avec Hélène Olivier-Bourbigou et Catherine Cesarsky, nous avons résumé et classé les informations recueillies.

Nous vous proposons une présentation structurée à trois voix de la situation telle qu'elle est perçue par nos collègues américains.

Les bouleversements que connaît actuellement la communauté scientifique américaine résultent de raisons à la fois idéologiques et budgétaires, qu'il convient de distinguer. Les conséquences, selon plusieurs témoignages, s'annoncent dramatiques. Nous assistons à la destruction rapide de structures, réseaux, bases de données et travaux entiers.

Dans le domaine de la recherche, ce qui est détruit rapidement est très long à reconstruire. Même si certains attendent les élections de mi-mandat ou un changement de président, l'inquiétude porte sur des transformations irréversibles qui seront très difficiles à corriger.

Le constat évident est que la Chine est en train de monter rapidement en puissance et prendra naturellement le leadership scientifique jusqu'à présent détenu par les États-Unis.

Concernant les programmes arrêtés pour des raisons idéologiques, il s'agit principalement du changement climatique, des recherches sur les vaccins, de la virologie, de l'épidémiologie, des énergies renouvelables, et de certains secteurs des sciences humaines et sociales (SHS) touchant à la diversité, l'inclusion et l'égalité.

Le climat et l'épidémiologie sont particulièrement touchés. Rappelons que les États-Unis représentent 23 % des publications mondiales sur le climat, 50 % de la recherche océanographique et deux tiers du réseau Argos, désormais en péril. Cela démontre la fragilité du système international qui dépend fortement des États-Unis.

Concernant les agences fédérales, des licenciements massifs sont en cours au NIH, à la National Science Foundation (NSF) et à la National Aeronautics and Space Administration (NASA), avec une volonté de recentrer cette dernière sur l'objectif d'aller sur Mars et de délaisser ses autres missions. Les budgets de ces agences, ainsi que ceux du Département de l'énergie et de l'United States Department of Agriculture (USDA), sont en forte diminution.

Mme Catherine Cesarsky, astrophysicienne, haut conseiller scientifique au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), membre de l'Académie des sciences. - Les universités, qui recevaient beaucoup de fonds fédéraux, sont menacées. Les plus prestigieuses sont particulièrement attaquées, notamment Harvard qui a reçu une demande comminatoire, digne du Troisième Reich, de mise en place de règles iniques, sous la menace d'une suppression des financements fédéraux de 2,2 milliards de dollars par an.

À la NSF, une diminution de budget de 55 % est demandée tout comme le licenciement de 1 700 personnes. La NASA subit également une baisse de 50 % de ses budgets pour les sciences spatiales et de 25 % pour l'exploration. Un projet cosmologique important nommé Roman, presque prêt après des investissements de centaines de millions de dollars, risque d'être arrêté. Le programme de retour d'échantillons martiens, auquel la France a contribué, est également menacé.

Pour Harvard, à la suite d'accusations d'antisémitisme liées aux manifestations pro-palestiniennes, les pressions sont énormes. Paradoxalement, le gouvernement exige une « diversité » mais cela signifie en réalité recruter des personnes ayant certaines opinions spécifiques.

Les universités doivent aussi faire face à la réduction de la prise en charge de certaines dépenses générales liées aux contrats (« overheads »), à la diminution des financements fédéraux de recherche, et à la participation de plus en plus difficile des étrangers aux réunions internationales aux USA en raison de problèmes de visas. Les chercheurs américains ont eux aussi de plus en plus de difficulté à participer aux réunions à l'étranger.

Mme Hélène Olivier-Bourbigou, responsable de programme et coordinatrice de la recherche fondamentale à l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN), membre de l'Académie des sciences et de l'Académie des technologies. - Les principales victimes seront les doctorants et les postdoctorants, c'est-à-dire les personnes qui sont dans les situations les plus précaires. La déstabilisation touchera l'ensemble des jeunes scientifiques au niveau mondial. La forte proportion d'étrangers, notamment européens et asiatiques, dans les laboratoires américains, va générer des demandes de mobilité massives de ces chercheurs vers d'autres pays. Certaines universités suppriment déjà des programmes de doctorat du fait de l'incertitude sur les financements.

On observe également des refus ou révocations de visas pour les étudiants étrangers et l'impossibilité de participer à certaines réunions internationales. Les journaux scientifiques subissent aussi des pressions pour modifier leurs critères de sélection des articles.

En réaction, les présidents d'universités comme Harvard et Princeton protestent, défendant la liberté académique, même au prix de pertes financières. Plusieurs États locaux poursuivent l'État fédéral pour ces actions contre les universités, mais les procédures juridiques seront longues.

M. Didier Roux. - Les plaintes sont déposées mais les réponses juridictionnelles ne viendront que dans des mois, voire des années. L'administration Trump joue sur cet aspect dans plusieurs domaines : elle agit tout en sachant que son action sera contestée, mais dans l'intervalle les mesures décidées sont mises en oeuvre.

Mme Hélène Olivier-Bourbigou. - Les associations scientifiques et l'Académie des sciences américaine restent prudentes, mais organisent des protestations et des groupes de travail. En France, plusieurs académies ont réagi, l'Académie des sciences étant la première. En Europe, le réseau des académies des sciences (ALLEA) a publié une déclaration avec différents niveaux d'engagement selon les pays : certaines s'expriment avec une grande prudence (Allemagne) quand d'autres effectuent un simple renvoi vers leur site sans commentaire (Belgique, Italie) ou avec des commentaires (Espagne, Pays-Bas, Autriche, Finlande, Danemark, Suède, Slovaquie, Israël et Turquie). Des académies non membres du réseau ALLEA comme celles du Mexique, du Royaume-Uni, du Canada, du Brésil et d'Afrique du Sud ont également fait des déclarations.

Mme Catherine Cesarsky. - La présidente de la National Academy of Sciences craint des représailles et évite de se prononcer mais les chercheurs membres de l'Académie veulent absolument réagir. Toutes les associations scientifiques, comme l'American Astronomical Society, échangent sur les actions à mener. La stratégie adoptée consiste à écrire massivement aux élus - députés, gouverneurs - pour leur expliquer à quel point les États-Unis se tirent une balle dans le pied avec ces mesures.

Mme Hélène Olivier-Bourbigou. - Je complète sur l'ampleur de l'offensive avec un autre sujet important : l'offensive sur le numérique en Europe, qui a fait l'objet d'une tribune de l'Académie des technologies. Une pression s'exerce sur la réglementation européenne concernant la protection des données individuelles, avec un appel à la défense du règlement général sur la protection des données. Il existe également un risque fort de manipulation des populations par les réseaux sociaux, avec des fake news en continu, y compris scientifiques. Il est important de mentionner cette dimension du numérique pour montrer l'ampleur complète de l'offensive en cours.

Mme Marie Gaille, philosophe, directrice de recherche au CNRS-SPHERE-Université Paris 1, directrice de l'Institut des sciences humaines et sociales du CNRS. - Je confirme les analyses présentées par Robert Barouki et nos collègues de l'Académie des sciences. Le ministère de la recherche nous a demandé de recenser l'ensemble des bases de données scientifiques arrêtées ou en souffrance à la suite des coupes dans les financements.

Concernant la présence des collègues américains aux grandes conférences internationales, nous sommes très impliqués dans le GIEC et nous constatons que nos collègues américains n'y participent plus.

Pour les sciences humaines et sociales, nous avons lancé un travail de coordination avec l'Institut des Amériques pour analyser l'ensemble des liens entre chercheurs français et américains. Les collègues les plus chevronnés ne viennent pas nécessairement travailler en France, mais les plus jeunes sont davantage intéressés. Nous observons des situations absurdes, comme celle d'un linguiste du Massachusetts Institute of Technology (MIT) travaillant sur le genre grammatical en hébreu, dont les financements ont été coupés parce que le mot « gender » figurait dans son programme, sans lien aucun avec les « gender studies ».

Le CNRS a mis en place un dispositif de recrutement qui s'insère dans l'opération « Choose Europe for Science ». Une simple page sur son site Internet permet de déposer un dossier qui sera examiné puis éventuellement transmis à l'Agence nationale de la recherche (ANR). Notre institution devra trouver 50 % du financement, complété en cas de sélection par l'État. Ce modèle économique sera crucial pour les semaines et les mois à venir.

M. Thierry Dauxois, directeur de recherche au CNRS, ex-directeur du laboratoire de physique CNRS-ENS de Lyon, directeur de l'Institut de physique du CNRS. - Je suis allé à Los Alamos et à l'université d'Arizona en février, puis à New York University en mars. En février, j'ai observé une stupeur chez les chercheurs qui ne comprenaient pas ce changement massif dans un pays connu pour sa liberté d'expression et de création. En mars, l'atmosphère avait évolué : les scientifiques commençaient à temporiser, évoquant les élections de mi-mandat, sans envisager réellement de partir.

Les communications que nous recevons ne sont pas explicites. Hier encore, j'ai reçu un message d'un chercheur américano-vénézuélien souhaitant venir en France, mais n'expliquant pas les raisons pour lesquelles il souhaitait quitter les États-Unis ; il se contentait d'indiquer que : « the reasons are quite obvious » (les raisons sont assez évidentes). Une telle retenue venant des États-Unis est préoccupante.

Il faut noter que les chercheurs les plus établis ne se voient pas venir en France et le disent explicitement : les salaires et avantages connexes ne sont pas au niveau de ce dont ils bénéficient aux États-Unis. Cela concerne moins les chercheurs moins établis, peut-être les futures « rising stars ». Il faut faire passer à nos tutelles l'information que nous ne sommes pas compétitifs sur cet aspect des moyens, même si la recherche développée dans nos laboratoires l'est clairement.

Mme Christelle Roy, docteur en physique nucléaire, directrice de recherche au CNRS, directrice de CNRS Nucléaire et Particules. - La surprise malheureuse est que toutes les disciplines ont été touchées, pas uniquement les sciences du climat ou la biodiversité. Cela a un impact majeur non seulement sur les universités mais aussi sur les laboratoires nationaux.

Il y a dix jours, j'étais à Fermilab, laboratoire de physique des particules, où les licenciements commencés en novembre sous l'administration Biden se poursuivent de façon brutale : les personnes sont convoquées, reçues immédiatement et raccompagnées directement à la sortie avec coupure de téléphone, sans passer par leur bureau, par crainte de réactions destructrices. L'atmosphère est oppressante et les informations circulent plutôt oralement, les chercheurs craignant de laisser des traces écrites.

Les coupes budgétaires annoncées pour 2026 sont colossales : - 24 % pour l'Office sur l'énergie nucléaire, - 31 % pour l'énergie fossile, - 57 % pour l'Advanced Research Project Agency on Energy, et - 75 % sur les énergies renouvelables.

Concernant les données scientifiques, un recensement de toutes les données des disciplines touchées a été effectué rapidement. Pour les sciences spatiales, certaines bases de données sont exclusivement hébergées aux États-Unis, comme l'expérience LSST (Grand Télescope d'étude synoptique) ou une partie des données sur les ondes gravitationnelles. Nous envisageons des sites miroirs, mais cela nécessite des moyens considérables : les sciences du climat représentent 60 pétaoctets. Nous manquons à la fois de bande passante et de capacité de stockage.

Une autre conséquence inquiétante concerne la physique des particules et notamment le CERN. Une récente réunion interministérielle a décidé d'importantes coupes budgétaires touchant les organisations internationales. Cette transformation du leadership et cette nouvelle géopolitique soulèvent des questions dérangeantes face auxquelles nous semblons encore sidérés, sans vraie réaction.

M. François-Joseph Ruggiu, professeur d'histoire moderne à Sorbonne Université (Centre Roland Mousnier, CNRS-Sorbonne-Université). - Ce qui est très intéressant dans les interventions que nous venons d'entendre, c'est l'écart entre les attentes et ce qui se passe réellement.

Notre horizon d'attente de cette deuxième administration Trump concernait des attaques contre des thèmes de recherche spécifiques, notamment dans les sciences humaines et sociales (SHS), les études de genre, la théorie critique de la race, la relecture de l'histoire américaine sur la place de l'esclavage et la sociologie des inégalités liée aux programmes « Diversité, égalité et inclusion ». Ces attaques ont bien eu lieu : reprise en main de la Smithsonian Institution qui pilote des musées et des bibliothèques, et renvoi de l'archiviste national des États-Unis - un signe très préoccupant car toucher aux archives est une attaque profonde.

Ce qui n'avait pas été anticipé, même dans le Projet 2025 présenté comme la plateforme radicale de Trump, c'est l'ampleur de cette offensive. Nous n'assistons pas simplement à une attaque sur certains thèmes, mais à une remise en cause de l'ensemble du système de recherche.

En termes institutionnels, nous observons des pressions sur les universités. Il faut rappeler que la majorité des étudiants américains (13,5 millions) sont inscrits dans des universités publiques, contre 5 millions dans les établissements privés. En s'attaquant immédiatement à Brown, Harvard, Princeton et Columbia, le système Trump déstabilise l'ensemble des 4 000 universités américaines.

Les attaques vont bien au-delà des SHS et du climat, elles touchent aussi la santé et le spatial - domaines scientifiques où le lien avec le monde des affaires est pourtant très prégnant. Je suis également frappé par les attaques contre les revues scientifiques, au coeur de notre système.

L'aspect systémique se manifeste par le fait que toute la chaîne est touchée : financements, bases de données, mots-clés, mais aussi systèmes de visa et on observe des demandes de suppression d'enseignements. C'est tout le système d'enseignement et de recherche qui est visé, montrant à quel point les communautés scientifiques doivent être solidaires face à ces attaques.

Cela ouvre trois champs de réflexion. Premièrement, une réflexion sur les personnes qui portent cette politique - les inspirateurs, les exécutants et ceux qui s'en accommodent. Les SHS ont l'habitude de travailler sur ces dynamiques dans les contextes autoritaires des années vingt et trente. Deuxièmement, un exercice de prospective et de résilience du système français serait nécessaire. Troisièmement, la place de l'Europe est essentielle face à cette double bataille engagée : celle des agences et institutions et celle du contrôle des données. Cette bataille doit être pensée à l'échelle européenne.

M. Patrick Netter, professeur émérite des universités, pharmacologue, membre de l'Académie nationale de médecine. - Je voudrais intervenir sur l'accueil des Américains qui voudraient venir en France : comment les accueillir, quels moyens leur donner, comment les attirer ? Je cite l'exemple de ce que nous avons mis en place il y a quelques années avec l'Inserm et le CNRS : le programme ATIP-Avenir. Ce dispositif sélectionne une dizaine de candidats côté CNRS et une dizaine côté Inserm. L'intérêt est que les personnes recrutées reçoivent un « package » complet : un salaire correct, un doctorant, un postdoc et surtout la prise en charge de l'environnement familial. Tout est prêt à leur arrivée dans l'unité de recherche, sans qu'ils aient à monter immédiatement des demandes de financements ANR.

Ce programme fonctionne très bien : presque tous les candidats ont ensuite été recrutés à l'Inserm ou au CNRS, et ils obtiennent 50 % des financements ERC en biologie-santé. Je tiens à rappeler l'importance de l'Europe et des financements ERC qui offrent de vrais moyens.

Pour l'accueil des chercheurs américains qui vont venir en France, nous devons leur proposer des conditions attractives. Je me permets de souligner que la somme proposée par l'État, bien qu'intéressante, reste insuffisante si on la répartit entre les différents domaines. À environ un million d'euros par candidat, on n'ira pas très loin. Il faudrait, Messieurs les députés et sénateurs, revoir ces montants à la hausse.

M. Marc Sciamanna, professeur à CentraleSupélec, titulaire de la chaire Photonique, directeur du Laboratoire Matériaux optiques, photonique et systèmes (LMOPS), professeur associé à Georgia Institute of Technology (États-Unis). - Les sciences de l'ingénieur partagent les préoccupations exprimées par mes collègues qui ont joué un rôle important de lanceurs d'alerte en France et en Europe.

Comme beaucoup d'universités et d'écoles françaises, CentraleSupélec a lancé un appel spontané pour financer des projets d'accueil de chercheurs américains, avant la mobilisation nationale et le cadre plus général mis en place.

Les sciences de l'ingénieur sont clairement impactées. Au quotidien, de nombreuses réunions sont annulées et les dynamiques de coopération scientifique et technologique sont freinées, à la fois par la prudence des chercheurs américains concernant leurs budgets et en raison des obstacles à la mobilité.

Concrètement, alors que mon équipe avait privilégié l'Europe pour ses réunions scientifiques, nous allons désormais aux États-Unis pour rencontrer les chercheurs américains. Je l'ai fait il y a moins d'un mois : il y avait très peu d'Européens et les Américains restaient entre eux, mais ces rencontres sont importantes pour construire ensemble.

Je partage l'avis de Patrick Netter sur la faiblesse de la proposition actuelle, qui n'est pas à la hauteur. À titre d'exemple, avec ma casquette d'élu local, nous accompagnons des projets de 15 millions d'euros portés parfois par une seule personne, montants bien supérieurs à ce que propose actuellement la Présidence de la République.

Notre système présente d'importantes faiblesses. Dans le domaine de la photonique et des lasers, nous n'avons pratiquement plus de fabrication de structures avancées de semi-conducteurs en France. Mon laboratoire s'approvisionne à 98 % en Asie ou aux États-Unis. Pour construire des structures avancées, nous dépendons du Fraunhofer en Allemagne ou de Singapour.

Cette faiblesse n'est pas spécifique à la science mais concerne aussi d'autres secteurs comme la défense. Il faut un réveil dans tous les domaines scientifiques face à l'abandon d'une forme d'intelligence culturelle et technologique. L'OPECST et son Conseil scientifique pourraient constituer un bon noyau pour mobiliser les consciences. Ce réveil doit impliquer les universités et les financements privés.

Concernant le recrutement de chercheurs, j'ai rencontré des collègues américains récemment. Les jeunes voient une opportunité pour démarrer leur carrière, mais les chercheurs confirmés sont plus réticents. Ils m'ont rappelé les écarts de moyens considérables : le budget de l'École polytechnique est de 175 millions d'euros, celui de Columbia de 9 milliards, et l'ANR dispose d'un budget neuf fois inférieur à la NSF. Un million d'euros ne suffit pas pour qu'ils quittent ce qu'ils ont construit, leur famille et leurs enfants.

Notre réveil financier et intellectuel prendra des années, mais c'est le moment de l'initier. Détruire de la connaissance, c'est détruire du patrimoine, comme ne pas reconstruire Notre-Dame.

Les collectivités locales représentent un levier à activer absolument. Nos chercheurs et universités communiquent trop peu avec leurs élus locaux. Si vous n'alertez pas vos élus locaux des difficultés de vos laboratoires, vous manquez une opportunité. Ces élus peuvent faire le lien avec les tutelles et les universités pour créer un écosystème local d'ampleur inédite, comme l'a fait la région Auvergne-Rhône-Alpes pour les micro et nanotechnologies.

Concernant nos relations avec les États-Unis, la prudence est de mise. Metz, pour des raisons historiques liées à la personnalité de son ancien maire, abrite le seul campus européen d'une université américaine en Europe, et je suis premier vice-président de cette structure. Nous sentons une vraie prudence dans les discours. Nos intérêts avec les États-Unis vont au-delà de la science, nécessitant parfois une forme de realpolitik. Les chercheurs ne sont pas dénués de conscience, mais leur discours est filtré comme en Italie avec le gouvernement Meloni.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - L'ancien maire de Metz, Jean-Marie Rausch, a été le premier président de l'OPECST.

M. Raja Chatila, professeur émérite d'intelligence artificielle, de robotique et d'éthique à Sorbonne Université, ancien directeur de l'ISIR et du LAAS-CNRS, président de l'Initiative mondiale IEEE sur l'éthique des systèmes autonomes et intelligents, membre du groupe d'experts européen sur l'IA. - Il existe un effet indirect de la politique américaine sur les universités. De nombreuses universités sont financées par des fonds privés, notamment via des chaires. Ces financements, provenant de personnalités fortunées, sont sensibles à la politique gouvernementale. Certaines menaces commencent à peser sur des chaires dans des domaines ciblés, comme une chaire à Harvard à l'intersection de l'informatique et des sciences sociales.

Concernant les infrastructures et les puces, la politique initiée sous l'administration Biden limite l'exportation de technologies américaines fondamentales vers certains pays, y compris des pays membres de l'Union européenne. Cette restriction pourrait s'étendre aux systèmes. Les grands fournisseurs de services d'IA et de cloud sont américains. Actuellement, les États-Unis ne perçoivent pas l'Europe comme un concurrent, contrairement à la Chine, mais si cette perception change, l'Europe en paiera le prix.

Sur le plan réglementaire, l'Europe a adopté un règlement sur l'IA avec un code de conduite provisoire. Je constate, lors de réunions avec Microsoft ou OpenAI, qu'ils tournent de plus en plus le dos à cette réglementation. La tendance est à la non-réglementation, et l'Europe recule déjà sur ce plan.

Pour les politiques d'accueil, la France n'est pas bien positionnée. En Europe, nous n'avons pas un système unique. Des pays comme la Suède offrent des « packages » similaires à ceux qui existent aux États-Unis, incluant le chercheur, sa famille, un poste pour le conjoint. D'autres pays comme le Canada ou les Émirats arabes unis seront sans doute plus attractifs que la France.

En revanche, ceux qui auraient voulu aller aux États-Unis, notamment d'excellents étudiants indiens ou chinois, pourraient se tourner vers la France. Mais nous leur imposons actuellement des obstacles spécifiques. C'est pourtant parmi ces nationalités qu'on trouve les auteurs des articles les plus cités en IA.

Pour attirer des talents américains, il faut cibler des personnes spécifiques plutôt que faire de grandes annonces non suivies d'effets. Nous avons besoin d'une stratégie active et ciblée.

Mme Catherine Cesarsky. - Je tiens à souligner un point important qui n'a pas été suffisamment précisé. Vous avez parlé de « programmes pour recevoir des Américains », mais la réalité est que ce ne sont pas des Américains que nous aurons. Ce que nous pouvons faire de mieux en France, c'est attirer des jeunes très brillants qui auraient voulu aller aux États-Unis mais qui ne le pourront pas - qu'ils soient indiens, chinois, italiens, suédois ou de toute autre nationalité. Il est essentiel de cibler les jeunes chercheurs de toute nationalité.

Mme Sophie Ugolini, directrice de recherche à l'Inserm, directrice au Centre d'immunologie de Marseille-Luminy (CIML). - Je partage tous les constats sur les problèmes de nos collègues aux États-Unis, la biologie-santé étant touchée de la même manière. Je confirme également que nous n'attirons pas ou très peu de chercheurs déjà établis avec leur laboratoire. En revanche, les plus jeunes, en début de carrière, sont extrêmement mis en difficulté aux États-Unis, ce qui représente une opportunité pour l'Europe et la France de les accueillir dans de bonnes conditions.

Cette crise révèle notre dépendance scientifique vis-à-vis des États-Unis, à l'image de notre dépendance militaire. Notre système peut être complètement déstabilisé et nous sommes impuissants face à cette situation. En 2022, le budget américain pour la recherche représentait 3,6 % du PIB contre 2,2 % en France, la moyenne européenne étant de 2,11 %. C'est là le problème fondamental.

Quand les chercheurs américains voient ce qu'on leur offre ici, certes il y a des postes permanents intéressants permettant la recherche sur le long terme, mais globalement nous devons nous battre pour obtenir 300 000 euros pour un laboratoire. Les ERC sont très bien mais il faudrait les élargir. Les annonces de 100 millions d'euros à l'échelle française et 500 millions à l'échelle européenne sont insuffisantes. Il faut une vraie ambition sur le long terme pour éviter que la Chine ne prenne le relais pendant que l'Europe reste à la traîne. Il faut un réveil pour la science comparable à celui que l'on observe pour la défense.

Mme Virginie Courtier-Orgogozo, biologiste, directrice de recherche au CNRS et responsable de l'équipe « Génétique et évolution » à l'Institut Jacques-Monod. - Je souhaite formuler deux recommandations. Premièrement, il faut insister sur l'importance d'avoir des bases de données avec des sites miroirs, et pas uniquement un site aux États-Unis. Par exemple, je travaille sur les séquences d'ADN et nous disposons de trois sites miroirs : un aux États-Unis (NCBI), un en Europe et un au Japon, répliqués quotidiennement. Si l'un ne fonctionne plus, nous avons toujours les autres. Ces bases de données sont essentielles pour notre travail quotidien et résultent de collaborations internationales. Il faut anticiper qu'un pays puisse cesser de maintenir une base de données et investir dans ces sites miroirs.

Deuxièmement, concernant la liberté d'expression des chercheurs : nos collègues américains n'osent plus communiquer normalement, préférant parfois les SMS aux e-mails. Ceci est révélateur de l'impact de la situation sur leur liberté, et nous ne voulons pas que cela se produise en France. La recherche a besoin de confronter différents points de vue. Bien que la liberté d'expression soit déjà bien protégée en France, nous devrions envisager de renforcer les textes pour mieux la préserver, dans l'hypothèse où nous connaîtrions une situation similaire à celle des chercheurs américains.

M. Étienne Klein, physicien et philosophe des sciences, professeur à l'École centrale, directeur de recherche au CEA, membre de l'Académie des technologies. - Au CEA, nous avons peu d'interactions avec les SHS américaines, mais nous recevons des demandes de climatologues ou de spécialistes en sciences de l'observation de la Terre.

Je tiens à souligner qu'aux États-Unis, la situation s'accompagne d'un discours particulier suggérant que si une vérité scientifique dérange, elle peut être politiquement et médiatiquement dégradée en une simple croyance que chacun est libre de contester. La liberté d'expression n'est pas la liberté de dire n'importe quoi. Les normes du débat politique descendent dans le débat scientifique, comme si les résultats scientifiques n'étaient que des opinions critiquables selon des critères politiques. Cette tendance commence à arriver en France.

M. Daniel Andler, mathématicien et philosophe, professeur émérite à l'Université Paris Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques. - Je suis interpellé par le fait que mon académie n'ait pas jugé utile de se saisir de cette situation, contrairement à l'Académie des sciences.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Nous recevons effectivement des mails et sollicitations sur le sujet, et nous sommes amenés à intervenir dans les médias pour évaluer la situation aux États-Unis. Je tire de vos propos plusieurs conclusions.

D'abord, le risque que nous n'avons peut-être pas suffisamment évoqué est celui d'un appauvrissement de la culture scientifique et de la recherche aux États-Unis, qui est une locomotive au niveau mondial. Si l'on fait un parallèle avec les mesures économiques envisagées par Donald Trump sur les taxes douanières, on voit qu'une démarche qui peut sembler bonne du point de vue américain a un effet boomerang avec un risque de récession pour l'économie américaine.

Pour la science, les mesures prises sont d'une grande violence - non seulement des licenciements d'une ampleur phénoménale, mais aussi le nettoyage des bases de données. On ne donne plus la possibilité aux chercheurs de continuer leurs recherches puisqu'on les licencie brutalement, et on supprime également l'accès à ce qui a constitué leurs travaux pendant des années, voire des décennies.

Le nettoyage des données est encore plus violent car il efface des travaux scientifiques et appauvrit la recherche mondiale. Si nous voulons pallier ce « grand nettoyage américain », le doublement ou triplement des bases de données pose des questions écologiques importantes compte tenu de la consommation actuelle des data centers.

Face aux annonces de « Choose France », nous ne sommes pas à la bonne échelle au niveau français. Le seul levier suffisamment puissant pour rivaliser avec les États-Unis ou la Chine, c'est l'Europe. Il nous faut une réflexion globale européenne pour regrouper les laboratoires qui travaillent trop souvent chacun de son côté.

Les 100 millions d'euros français et les 500 millions d'euros européens sont insuffisants pour accueillir des cohortes de chercheurs américains dans des conditions avantageuses. Nous devrions peut-être nous concentrer sur la sauvegarde des données et des travaux, puis cibler quelques profils. La situation financière de la France est dramatiquement mauvaise, et je doute que nous ayons les moyens d'attirer des cohortes entières.

La menace concerne aussi les futurs chercheurs qui avaient pour projet de s'installer aux États-Unis et font face à des conditions de visa difficiles. Nous pourrions cibler ces jeunes chercheurs qui pourraient trouver un intérêt à s'installer en Europe.

Concernant le CERN, j'étais hier avec sa directrice générale. À ce stade, il n'y a pas eu d'annonces remettant en cause ses financements. Pour l'instant, c'est plutôt le statu quo avec des budgets confortés par l'ensemble des pays impliqués.

M. Alexandre Sabatou, député, vice-président de l'Office. - Je vous remercie pour vos témoignages. Il y a des choses qui m'inquiètent concernant la présidence Trump. Vous avez évoqué les archives supprimées, Mme Gaille a précisé qu'ils avaient supprimé tout ce qui contenait le terme « gender ». Ces dérives sont évidentes, et Donald Trump manque clairement de finesse.

Je souhaite toutefois relativiser le sujet concernant les universités. On trouve facilement sur Internet des exemples de dérives d'extrême gauche, wokistes et décoloniales, dans les universités américaines. Je pense que la réaction de Donald Trump s'explique par cette mono-pensée universitaire. Vous avez ironisé sur sa demande de diversité, mais quand on constate dans certaines universités un rapport de 30 professeurs démocrates pour un républicain, cela pose question.

Harvard a connu des débordements début 2024, la présidente a dû démissionner pour avoir été incapable de dénoncer les appels au génocide des Juifs sur son campus. Je comprends qu'il y ait une réaction. Nous sommes tous attachés à la démocratie et à la diversité des idées.

Ce sujet n'a pas vraiment été abordé ce matin mais mériterait d'être discuté car il commence à arriver en France, pas tellement dans les universités enseignant les sciences, ce dont je me félicite, mais par exemple à Sciences Po.

Je remercie M. Chatila pour son analyse sur l'importance d'adopter une approche ciblée plutôt qu'une politique d'accueil généralisée. Nous devons faire de la politique active dans le monde universitaire pour attirer les bons profils. Je partage également les propos de M. Klein sur le relativisme scientifique, sur lequel j'ai rédigé une tribune et qui est déjà présent en France, qu'il s'agisse de la remise en cause du réchauffement climatique, des campagnes de vaccination, ou des débats contre le nucléaire. J'invite les scientifiques à s'investir davantage politiquement ou à prendre plus souvent la parole car votre parole n'est pas assez écoutée.

Mme Florence Lassarade, sénatrice, vice-présidente de l'Office. - Il y a deux jours, j'assistais aux 19e Rencontres sur le cancer et je sais combien le monde de la recherche est inquiet sur les financements. À travers vos suggestions, vous faites appel au monde politique qui travaille habituellement en silo par rapport à vous. Je pense que nous devons nous emparer des questions que vous posez. Notre rôle est de vous accompagner, et pas uniquement de plancher sur des travaux. Notre rôle aujourd'hui devrait être plus politique que celui d'experts.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Je voudrais vous remercier d'avoir mis ce sujet sur la table, qui constitue l'essence même des académies et du lien fraternel avec la communauté scientifique.

Je ne pense pas que le sujet du genre dans les études universitaires soit central dans les réductions budgétaires.

Il ne faut pas être naïf sur le repli nationaliste mondial qui touche au premier chef les organisations internationales et les consortiums scientifiques. C'est le résultat d'une politique qui n'est pas souhaitable pour nous. Appeler à rouvrir les budgets n'est pas la solution, les chefs d'État ne sont pas dans cette optique.

Je suis très critique, bien que membre de la coalition gouvernementale, sur les annonces du « Choose France for Science ». Pourquoi « France » alors qu'on affirme vouloir continuer la coopération internationale ? La France est déclassée dans les publications scientifiques depuis une quinzaine d'années, et je ne crois pas qu'avec une mise de fonds aussi modeste on puisse modifier quoi que ce soit dans le paysage scientifique français et international.

J'ai récemment vu l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) annoncer un grand consortium européen pour sanctuariser les politiques publiques de recherche au niveau européen. C'est la véritable réponse qu'il nous faut apporter : « Choose Europe for Science ».

Comme le président Stéphane Piednoir l'a rappelé, nous sommes confrontés à des blocs de nations-continents. Pour sanctuariser et amplifier l'effort de recherche en France, nous devons poursuivre cette coopération européenne et transatlantique, notamment avec le Canada.

En tant que rapporteur spécial du budget de la recherche à l'Assemblée nationale, je m'interroge sur le financement des récentes annonces gouvernementales. J'ai questionné le ministre sans obtenir de réponse claire. Ces annonces ne sont pas budgétées, alors que j'avais déjà dénoncé le moindre respect de la loi de programmation pour la recherche (LPR) par rapport aux ambitions initiales.

Il existe un vrai enjeu d'intensification des partenariats publics privés. Le bureau de l'OPECST vient de lancer une étude sur les financements de la recherche privée, industrielle et technologique, pour déterminer comment créer des effets de levier afin de renforcer ces partenariats et ces financements auprès des acteurs industriels.

Concernant l'intervention des scientifiques dans le débat public, s'ils doivent prendre la parole, je reste dubitatif quand cette parole sort de leur champ d'expertise. Or, c'est ce qui se passe aujourd'hui. Par exemple, lors de la réorganisation de la sûreté nucléaire, des scientifiques qui ne sont pas spécialistes de ce sujet ont signé des tribunes, ce qui dévoie la parole scientifique. Le CNRS travaille à l'élaboration d'une charte pour encourager les scientifiques à cibler correctement cette prise de parole, mais il faudra qu'elle soit appliquée.

M. David Ros, sénateur, vice-président de l'Office. - Je partage l'essentiel des propos de Pierre Henriet, un peu moins la fin, ce qui va me permettre d'apporter des nuances à son intervention. J'ai également posé une question au gouvernement sur l'annonce des 100 millions d'euros. Adoptons une approche positive : ce qui se passe aux États-Unis pourrait être une opportunité pour la France, si nous examinons lucidement notre système d'enseignement supérieur et de recherche, avec ses contraintes et les enjeux concernant la place de la jeunesse dans la science.

Je suis sensible à l'idée que trois jeunes chercheurs pourraient être plus efficaces qu'un seul chercheur senior, à budget équivalent. Nous avons des jeunes brillants - français, européens ou extra-communautaires - qui peinent à obtenir des postes. Il est crucial de les intégrer aux travaux sur des thèmes prioritaires pour l'avenir : énergie, IA, environnement et autres domaines essentiels.

Cette annonce de 100 millions d'euros intervient parallèlement à une coupe de 500 millions dans le budget du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ce qui a crispé la communauté. Cela pose la question de l'utilité de l'argent public dans un contexte de contraintes budgétaires.

En septembre, nous commencerons l'examen du PLF pour 2026. Compte tenu des annonces présidentielles, j'espère un soutien fort pour ces thématiques. Je résumerais mon propos par : « France, choose science ». Je m'inquiète particulièrement de la désaffection pour les études scientifiques, notamment chez les jeunes filles, qui aura des impacts considérables dans 15 à 20 ans.

Ma divergence avec Pierre Henriet concerne le partage des rôles entre le scientifique et le politique - nous sommes tous deux à cheval sur ces deux mondes. Je ne plaide pas pour que la parole scientifique interfère dans tous les débats politiques, mais pour que la démarche scientifique infuse davantage dans les décisions politiques, les évaluations et les prises de décision, ce qui manque cruellement en France. J'appelle à ce que les scientifiques s'impliquent en politique dans le cadre de leur démarche intellectuelle.

M. Daniel Salmon, sénateur. - Je vous remercie d'avoir partagé avec nous vos inquiétudes, vous qui êtes au coeur de la science et de ses connexions transatlantiques. Le rôle du politique est bien de garantir l'indépendance de la science et d'en assurer les financements.

Ce que je retiens de vos propos, c'est que l'Union européenne constitue l'échelle appropriée pour répondre à ces défis.

Nous avons plus que jamais besoin des scientifiques pour faire face aux défis planétaires. Le scientifique est aussi un citoyen, et nous sommes sur une ligne de crête concernant la réception de la parole scientifique. Dans les discours politiques actuels, on présente souvent les scientifiques comme des militants plutôt que des chercheurs. C'est là que nous devons être vigilants et rappeler que la démarche scientifique nous amène vers des certitudes et nous éloigne des croyances. Nous sommes à un moment où opinion et vérité entrent en collision.

À nous, politiques, d'être vigilants pour avancer. J'ai également noté que les seniors ne souhaitent pas quitter les États-Unis, à nous donc de nous mobiliser pour attirer les juniors.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - La science est aussi le doute, beaucoup de doute avant les certitudes. Sur le mélange scientifique-politique, rappelons ce qui s'est passé pendant la crise du covid-19, où certains scientifiques ont joué un rôle politique important. Je ne suis pas sûr que cela ait servi la science ou la politique.

M. Didier Roux. - En réponse à Monsieur Sabatou, les incidents que vous mentionnez ont été pris en compte par les universités américaines. Les universités ont mis en place des mesures pour éviter que cela ne se reproduise, et les présidences qui ont dérapé ont été démises par les universités elles-mêmes. Ce n'est pas une raison pour pénaliser l'institution dans sa mission pour le bien commun. Les actions de l'administration Trump à ce sujet ne sont pas pertinentes.

Monsieur Henriet, je suis entièrement d'accord avec vous sur la vision européenne. C'est la bonne réponse. Il ne s'agit pas simplement d'une question d'augmentation de budget. Il y a une incohérence entre les contraintes budgétaires de l'État et l'urgence de certains sujets - la défense étant prioritaire, mais la recherche l'est aussi.

Il y a deux urgences. La première est d'éviter l'irréversibilité concernant des données indispensables pour la science et la sécurité internationale. Les problèmes de météorologie, tsunamis, tremblements de terre, ouragans et épidémiologie sont particulièrement préoccupants. Le rôle de l'Europe est d'essayer, avec d'autres pays, de remplacer ce que nous risquons de perdre à cause des actions américaines.

La seconde concerne les talents - notre priorité doit être d'attirer en France les jeunes talents, pas un prix Nobel. De nombreux Européens qui prévoyaient de faire carrière ou poursuivre des études doctorales ou postdoctorales aux États-Unis sont déstabilisés. Ces Européens, mais aussi potentiellement des chercheurs indiens, chinois ou d'autres nationalités, vont se tourner vers l'Europe. Nous devons répondre rapidement à cette situation car si ces talents vont ailleurs, ce sera une perte irréversible. La dimension du temps court est donc cruciale au regard du caractère irréversible des évolutions en cours.

M. Étienne Klein. - Je n'ai pas employé le terme « relativisme ». Je dénonce la concaténation entre vérité et liberté, tant aux États-Unis qu'en France, où chacun devient libre de décider ce qui est vrai pour lui puisque toutes les thèses coexistent. Quand M. Bardella soutient M. Raoult, ce n'est pas au nom du relativisme. Le relativisme, c'est ce que vous évoquez, Monsieur Piednoir, en disant que la science c'est le doute - cela crée une catastrophe car on se demande alors pourquoi on l'enseigne et quelle est sa valeur. Il faut distinguer science et recherche. Aucun scientifique ne doute de l'existence de l'atome, de la forme de la Terre ou de l'expansion de l'univers - ces questions sont réglées. Mais certains sujets restent sans réponse, c'est pourquoi on fait de la recherche. Le moteur de la recherche est bien le doute, mais un doute très particulier : le doute de celui qui sait qu'il ne sait pas. Quand on confond science et recherche, le doute propre à la recherche colonise l'idée même de science. Dans ce système, la dissidence est valorisée - si un scientifique contredit sa communauté, il est invité partout dans les médias.

Mme Virginie Courtier-Orgogozo. - C'est un sujet vraiment difficile car parfois, on n'entend pas assez la voix dissidente. Prenez l'exemple de l'origine du coronavirus : initialement, tous les scientifiques affirmaient son origine naturelle, mais aujourd'hui, certains changent de position, comme l'Académie de médecine en France.

Je voudrais mentionner l'avis du Comité d'éthique du CNRS sur l'engagement des chercheurs dans l'espace public. Nous avons une responsabilité et des devoirs : maintenir une approche robuste et scientifique, expliciter notre domaine d'expertise quand nous nous exprimons publiquement. Il faut toujours séparer le politique du scientifique, tout en explicitant mieux la démarche scientifique. Nous avons des doutes, mais cela ne nous empêche pas d'arriver à des conclusions - même si transformer ces conclusions en décisions relève de votre rôle politique, pas du nôtre.

En tant que chercheurs, nous avons aussi des biais. Par exemple, en biologie, nous avons tendance à mettre toutes les espèces sur un pied d'égalité, alors qu'un philosophe placera les humains bien au-dessus du reste. C'est pourquoi nous avons besoin de confronter différentes opinions. Aujourd'hui, les sciences participatives tentent de mieux impliquer le public. Je suis d'accord avec l'idée qu'il ne faut pas que les universités américaines soient uniquement peuplées de démocrates. Nous avons besoin d'un panel de points de vue et de tolérance - c'est précisément le manque de tolérance qui nous choque.

Mme Marie Gaille. - Je voudrais intervenir sur la notion de « wokisme » que vous avez reprise, Monsieur Sabatou. Ce n'est pas une catégorie scientifique mais un mot fourre-tout. Malheureusement, les sciences humaines et sociales sont de plus en plus évaluées à travers ce filtre ni légitime ni valable. Il est crucial que nous n'utilisions pas cette catégorie qui ne signifie rien en termes scientifiques. Elle reflète une volonté d'appréhender grossièrement et de dénigrer une façon de faire des sciences. Nous devons nous débarrasser de ce filtre principalement utilisé dans la sphère politique.

Je rejoins mes collègues qui distinguent sphère politique et sphère scientifique. En sciences humaines et sociales, nous pouvons contribuer à la décision, mais la décision elle-même appartient aux politiques. Nous essayons de faire des sciences comme les autres disciplines et sommes exaspérés d'être constamment jugés à travers cette catégorie du « wokisme ». Nous allons devoir consacrer du temps pour documenter les usages de ce terme, identifier qui l'emploie et ce qu'il vise - alors que nous avons véritablement autre chose à faire.

Cette notion devrait être abandonnée lorsqu'on parle des sciences humaines et sociales. Mon intervention n'est pas seulement un plaidoyer pour ma communauté, elle vise aussi à dénoncer le fait que l'emploi du terme « wokisme » participe d'une entreprise plus large de dénigrement de la démarche scientifique. Rejeter cette notion de « wokisme » permettrait de repositionner le débat sur la place de la science dans l'espace public et sur la nécessité d'un nouvel âge des Lumières, face à des propos qui nous ramènent à un dogmatisme dont l'histoire nous avait libérés.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - C'est tout l'intérêt de cette réunion entre politiques et scientifiques, même si certains d'entre nous peuvent appartenir aux deux communautés. Le plus grave est quand les politiques prennent des décisions par méconnaissance, avec des opinions ou certitudes non fondées. Quand un ministre de l'environnement affirme qu'il faut réduire la part du nucléaire pour lutter contre le dérèglement climatique, c'est une contradiction majeure qui a malheureusement plus d'impact que tous vos travaux scientifiques. C'est cette parole qui porte, alors qu'elle représente une erreur gravissime de compréhension.

Nous allons à présent passer au second point de notre ordre du jour. Je vous invite donc maintenant à évoquer l'usage que vous faites ou non de l'intelligence artificielle dans votre quotidien et vos travaux de recherche.

M. Didier Roux. - Je signale à ce sujet un rapport récent du think tank d'Arthur D. Little. C'est un consultant indépendant, et nous sommes deux à participer à son conseil scientifique. Ce rapport, intitulé « Eureka ! on Steroids », traite du rôle de l'intelligence artificielle dans la recherche et l'innovation. Il commence par rappeler qu'en 2024, les prix Nobel de physique et de chimie ont été décernés à des chercheurs ayant utilisé l'intelligence artificielle pour faire des découvertes scientifiques, chercheurs qui appartiennent ou ont appartenu à des entreprises privées américaines travaillant sur l'utilisation de l'IA en recherche. Le fait que des prix Nobel récompensent des travaux s'appuyant sur l'IA démontre son importance croissante.

Mme Catherine Cesarsky. - En astrophysique, nous utilisons énormément l'intelligence artificielle pour la réduction de données. L'astrophysique est l'une des sciences traitant les plus grands volumes de données. Le projet de radiotélescope international Square Kilometre Array Observatory (SKAO) implique 16 pays dont la France mais aussi la Chine. C'est probablement le seul projet scientifique international auquel la Chine est associée. Les réseaux de radiotélescopes seront situés en Afrique du Sud et en Australie. Le volume de données sera colossal : 700 pétaoctets par an, soit plusieurs téraoctets par seconde. Rapidement, il excédera l'ensemble des données scientifiques produites par l'humanité. Il est impossible de traiter de tels volumes sans méthodes nouvelles. Nous ne conserverons pas toutes les données, mais devrons décider rapidement lesquelles garder, en utilisant des réseaux neuronaux convolutifs. Ces méthodes permettront d'identifier automatiquement les sources d'ondes radio cosmiques et de les classifier selon leur forme. Actuellement, nous testons ces modèles en créant des données synthétiques où nous plaçons des sources connues que les chercheurs doivent retrouver. Ces techniques sont déjà utilisées à moindre échelle dans tous les domaines de l'astrophysique.

Mme Hélène Olivier-Bourbigou. - IFP Énergies Nouvelles est un EPIC qui mène des recherches pour développer des technologies bas carbone dans l'énergie et l'environnement. L'IA et la science des données se sont imposées dans tous nos domaines, de la recherche fondamentale jusqu'aux applications industrielles, notamment pour la maintenance prédictive. Nous utilisons l'IA principalement pour trois aspects : l'analyse des données de mesure et d'observation, la modélisation et la simulation, et l'aide à la rédaction et aux métiers via les « grands modèles de langage » (LLM).

Pour nous, c'est une évolution majeure, pas encore une révolution, malgré une progression extrêmement rapide. Certains freins subsistent concernant la garantie et l'explicabilité des résultats. Il est essentiel d'impliquer les experts métier dans leur validation. L'IA représente une opportunité considérable pour exploiter les données multimodales, améliorer les algorithmes d'apprentissage (particulièrement génératifs) et augmenter les capacités de calcul, améliorant la précision des prédictions tout en accélérant les traitements.

Cette évolution implique un changement de l'organisation de la recherche. Auparavant, nous travaillions sur des modèles physiques en cherchant à assimiler les données ; désormais, nous créons des modèles à partir des données en y incorporant les modèles physiques. Il faut donc établir des passerelles entre expertise IA et compétences métier, en favorisant les échanges et le travail collaboratif. Les chercheurs métier doivent s'approprier ces opportunités tout en conservant leur expertise, essentielle à la validation.

Les limitations à surmonter concernent la garantie des résultats - nous obtenons empiriquement d'excellents résultats mais sans garantie formelle - et l'explicabilité des modèles d'apprentissage. La quantification des incertitudes est donc un axe de recherche essentiel, particulièrement en contexte industriel. Il faut réintégrer la physique et le raisonnement des experts métier pour pallier le manque d'explicabilité par rapport aux modèles traditionnels.

M. Christian Lannou, épidémiologiste dans le domaine de la santé des cultures, responsable du département Santé des plantes et environnement à l'Inrae. - Je rejoins les observations sur la valeur ajoutée de l'IA, le gain de temps appréciable et ses vastes possibilités, notamment en reconnaissance d'images et en robotisation.

Nous avons beaucoup travaillé sur les risques, avec une vision positive mais prudente. Des questions éthiques se posent sur l'utilisation de données générées versus les données réelles, surtout si on ne peut plus distinguer les deux.

Il existe également des risques sur la qualité de la recherche : l'IA ne doit pas réduire la pensée critique des chercheurs qui doivent rester les concepteurs d'idées. L'IA n'engendrera pas d'idées véritablement disruptives ou de nouveaux scénarios de rupture, alors que c'est précisément ce qu'on attend des chercheurs.

Enfin, nous avons identifié un risque de souveraineté lié à l'IA qui collecte nos données et nos idées. Nous demandons à nos tutelles de nous fournir des IA institutionnelles françaises, ou plutôt européennes vu la taille critique nécessaire, qui soient dignes de confiance. Les IA américaines sont faciles à utiliser mais constituent un piège potentiel lorsqu'on y introduit des informations sensibles.

M. Marc Sciamanna. - Sur le sujet de l'IA, plusieurs points méritent notre attention. Dans ma discipline, les sciences de l'ingénieur et la photonique en particulier, nous utilisons l'IA principalement pour l'apprentissage des réseaux de neurones et l'aide à la décision : reconnaissance d'images, de formes, traitement de données massives, simplification de structures de designs complexes comme le routage de circuits électroniques.

Une préoccupation majeure concerne les architectures de calcul sous-jacentes. Les technologies électroniques actuelles atteignent leurs limites : elles ne pourront pas traiter l'utilisation massive de données et présentent un bilan environnemental et énergétique catastrophique. La France doit investir dans des physiques alternatives (magnétisme, optique, quantique) ou bien nous accumulerons un retard considérable. Ces investissements sont essentiels et doivent être abordés à l'échelle européenne.

En tant qu'enseignant, je constate plusieurs défis. J'ai testé Mistral AI pour évaluer une découverte scientifique. L'outil m'a affirmé que cette découverte existait déjà et m'a même cité comme expert français du laser. Cela soulève un problème : l'IA valorise les personnes et projets les plus visibles en ligne, sans regard objectif, ce qui peut influencer les décisions de financement.

L'évaluation des compétences devient également problématique. Avec les outils d'IA générative, il devient difficile de distinguer le travail personnel des étudiants. À CentraleSupélec, nous avons généralisé les détecteurs de plagiat et créé des commissions spéciales pour contrer l'ingéniosité des étudiants utilisant ces outils. Des entreprises nous signalent des diplômés qui prétendent avoir des compétences qu'ils ne possèdent pas réellement.

Côté positif, l'IA excelle pour résumer des contenus. Mais globalement, une grande prudence s'impose car ces outils remettent en question notre système d'évaluation et de connaissance, en valorisant ceux qui communiquent le mieux sur les réseaux.

M. Patrick Netter. - Je suis totalement d'accord avec ce qui vient d'être dit. J'insiste particulièrement sur la recherche clinique, où l'on peut comparer deux médicaments ou deux procédures chirurgicales avec des résultats complètement falsifiés si les données de base sont inexactes. Il faut exercer une vigilance extrême sur les nouveaux médicaments et les nouvelles procédures.

Ce problème s'étend aux données transmises par les médias qui peuvent être falsifiées sans que l'on puisse s'en rendre compte. C'est une préoccupation majeure actuellement. Je ne reviendrai pas sur les problèmes d'évaluation et de transmission des données déjà évoqués par Marc Sciamanna, mais je tiens à souligner l'importance cruciale de veiller à la qualité des données qui, une fois falsifiées, peuvent complètement fausser les résultats, particulièrement en recherche clinique.

M. Robert Barouki. - L'importance des modèles numériques en recherche biomédicale et dans le domaine de la santé est évidente. Je voudrais cependant souligner un point crucial : nos organisations sont clairement en sous-effectifs dans le champ de l'informatique et manquent de personnes capables d'utiliser correctement les modèles numériques.

Malgré les collaborations possibles entre organismes de recherche ou universités, nous restons insuffisamment équipés. La raison est simple : nous n'arrivons pas à recruter des personnes de grande valeur avec les salaires que nous proposons. Les meilleurs sont légitimement attirés par le secteur privé. Les organisations publiques peinent à constituer des équipes suffisamment solides pour développer toutes les applications futures. C'est un véritable problème qu'il faut garder à l'esprit.

M. Étienne Klein. - L'Académie des technologies a publié en décembre 2024 un rapport intitulé « IA générative et désinformation », dirigé par Nicolas Curien. Ce travail, qui a impliqué des spécialistes de l'informatique, de l'algorithmique, des psychiatres, des journalistes et des neuroscientifiques, présente des conclusions plutôt pessimistes sur la propagation des fausses informations, rendue plus efficace par les algorithmes - d'autant plus que notre cerveau préfère souvent le faux au vrai.

Je rejoins mon collègue de CentraleSupélec sur le problème de l'évaluation. Une querelle des Anciens et des Modernes émerge dans les grandes écoles et universités sur l'évaluation des élèves. Je ne peux plus donner de dissertations à faire à la maison car je reçois des copies sans fautes d'orthographe, visiblement rédigées par ChatGPT. Nous devons donc enfermer les étudiants sans téléphone ni ordinateur pendant trois heures, et ils rendent parfois des copies indigentes. La question fondamentale est : pendant combien de temps allons-nous demander aux étudiants de produire des travaux inférieurs à ceux de l'IA ? Devons-nous leur apprendre à bien utiliser ces outils ou à s'en passer ? Ce débat divise déjà la communauté enseignante.

M. Daniel Andler. - Je propose une réponse à ce qu'a évoqué Étienne Klein : le bilinguisme technologique. De la maternelle au master, il faut développer deux voies parallèles : une exploitant pleinement les technologies (informatique, IA) et une autre s'en passant délibérément.

Cette approche sans technologie est nécessaire pour deux raisons : d'abord pour maintenir nos capacités en cas d'effondrement des systèmes, ensuite pour comprendre réellement ce que font les « boîtes noires » comme ChatGPT. Cela résout également le problème d'évaluation, on évaluera dans la situation sans technologie.

Nous avons été éduqués à l'ancienne, ce qui nous donne une structure conceptuelle fondamentale et un regard critique. Les nouvelles générations, si elles sont formées de manière uniquement technologique, risquent d'utiliser ces boîtes noires sans comprendre leur fonctionnement.

Je tiens à souligner qu'il existe un univers parallèle au nôtre, extrêmement critique envers l'IA, que ce soit pour des raisons philosophiques, scientifiques ou par rejet anthropologique fondamental. L'IA restera longtemps un sujet de controverse.

Quant à l'explicabilité mentionnée par ma collègue de l'Académie des sciences, les optimistes pensent qu'on résoudra ce problème. Un dirigeant d'industrie affirmait que : « la question des hallucinations sera réglée dans six mois ». Trois ans plus tard, un article du New York Times indique que les modèles d'IA sont plus performants mais hallucinent davantage. L'explicabilité reste un problème fondamental difficile à résoudre entièrement.

Dans mon domaine, la philosophie, ChatGPT s'avère être un sparring-partner tout à fait valable, largement utilisé par une partie de notre communauté.

Mme Virginie Courtier-Orgogozo. - Je suis entièrement d'accord avec Daniel Andler, notamment sur un point qu'il n'a pas mentionné aujourd'hui : l'importance de toujours signaler l'utilisation de l'IA dans les publications et travaux de recherche. Daniel Dennett fait une analogie pertinente avec les faux billets de banque - on écrit toujours « faux » dessus. De même, ce qui vient de l'IA doit être identifié comme tel, sans prétendre que cela provient d'une intelligence humaine.

Un autre point important est la dépendance au corpus de données. Le système HAL en France, où les chercheurs partagent leurs recherches, est très précieux car ces données alimentent l'IA, contrairement aux articles publiés dans des revues payantes qui ne sont pas nécessairement intégrés au corpus.

L'IA semble particulièrement utilisée pour produire des rapports et articles, contribuant à l'inflation de la production scientifique. Avec notre « petite tête d'humain », nous devenons paradoxalement plus dépendants de l'IA pour analyser cette masse de données. C'est comparable au principe « nul n'est censé ignorer la loi » face à une masse de textes législatifs impossible à maîtriser entièrement. Il faudrait donc essayer de travailler sur l'accès à l'IA.

Il est essentiel de conserver différentes manières de penser. Après la notion de « forces évolutives » dans les années quarante, puis celle de « réseaux » avec Internet, nous raisonnons maintenant avec l'IA, mais d'autres approches de raisonnement restent importantes.

Enfin, nous devons nous préoccuper de la puissance accrue de certains acteurs - ceux qui possèdent les données et la maîtrise technique - et du positionnement de l'Europe, tout en cherchant à limiter l'accroissement des inégalités lié à l'IA.

M. François-Joseph Ruggiu. - Sur l'enseignement, je partage les craintes exprimées. J'ai reçu des dissertations m'attribuant des livres que je n'ai jamais écrits. Toutefois, en histoire et peut-être dans d'autres domaines des SHS, il ne faut pas surestimer la menace de l'IA utilisée par les étudiants. Actuellement, une grande partie de l'information n'est pas disponible en libre accès. Les éditeurs français comme Seuil, Fayard, Albin Michel ne proposent pas leurs livres en ligne. Les étudiants doivent donc consulter les ouvrages papier pour accéder aux connaissances, particulièrement les plus récentes. Ce retard français en matière d'édition électronique protège paradoxalement un peu l'enseignement.

Concernant la recherche, je suis frappé par la conversion des SHS à l'usage de l'IA. Tous les secteurs manipulant de grandes bases de données - linguistes, économistes, archéologues - l'adoptent. Je pratique la démographie historique et travaille avec un laboratoire de La Rochelle dans le cadre d'un programme ANR d'IA. Même les humanités traditionnelles s'y convertissent, pour la lecture automatique d'écritures anciennes ou l'extraction de données.

Ma préoccupation concerne nos collaborations avec les informaticiens. Ils me rappellent qu'ils ne sont pas de simples prestataires de services mais des chercheurs. Dans les projets ANR communs, les deux parties doivent produire de la recherche innovante. Ce qui est innovant aujourd'hui en SHS pourrait ne plus l'être dans quelques années, risquant de compromettre ces collaborations fructueuses. J'invite mes collègues du CNRS et de l'Inserm à réfléchir à cette question.

M. Raja Chatila. - Je viens d'un laboratoire spécialisé en IA et en robotique. J'insiste fortement sur le fait que l'expression « intelligence artificielle » crée un imaginaire trompeur par rapport à la réalité. Ce sont des systèmes de calcul statistiques, sans causalité, sans raisonnement, sans compréhension de la signification des données qu'ils traitent. Avec les systèmes comme ChatGPT qui utilisent le langage naturel, nous projetons notre propre signification sur les chaînes de caractères qu'ils produisent, mais eux ne comprennent absolument rien. L'explicabilité vient de nous, pas d'eux. Les hallucinations ne disparaîtront jamais car ce sont des corrélations fallacieuses inhérentes à tout système statistique.

En 2023, le Comité national d'éthique du numérique a publié un rapport, à la demande du ministre, sur les enjeux éthiques de l'IA générative. Ces outils sont extrêmement puissants mais gardons à l'esprit qu'ils sont purement statistiques. La confiance qu'on leur accorde doit être celle qu'on accorde à des outils statistiques, rien de plus. Cela implique une grande prudence dans les domaines d'utilisation, notamment pour la production de textes de loi, où tout doit être vérifié sur leur qualité et leur exactitude.

Pour la recherche scientifique, ces outils peuvent aider à consulter des données existantes, mais Newton aurait pu observer des milliers de pommes tomber sans jamais formuler la théorie de la gravitation s'il n'avait pas été un humain : ce sont les chercheurs qui pensent, pas les machines.

Concernant la formation, les nouvelles générations utilisent l'IA naturellement. Quand je demande à mes étudiants s'ils ont utilisé l'IA pour préparer leurs travaux, ils répondent « évidemment ». Pour maintenir une distance critique, une double formation est indispensable.

Mme Marie Gaille. - Sur le conflit entre les implications environnementales et les usages scientifiques de l'IA, le CNRS vient de publier sa feuille de route sur la transition environnementale, et l'usage massif de l'IA fait partie des arbitrages difficiles à venir.

Deuxièmement, pour les SHS particulièrement, nous devons développer et entraîner des modèles sur de vastes corpus en langue française. Cela renvoie à un enjeu de souveraineté et à la diplomatie scientifique, mais c'est surtout une condition pour faire de la bonne science. Une partie des méthodes et épistémologies est produite en français, et le « tout anglais » limite le bassin bibliographique. Le CNRS travaille sur ce sujet avec la Bibliothèque nationale de France (BNF) même si ce travail coûte cher.

Troisièmement, concernant les usages, les chercheurs en SHS se sont approprié ces outils, souvent sans pleine conscience de la nature statistique du raisonnement. Ils sont en attente de cadrages éthiques et méthodologiques. Nous avons lancé une première formation nationale pour appréhender ces usages. Le besoin de formation est massif, tant pour les chercheurs que pour les ingénieurs, dans une situation comparable à celle des humanités numériques il y a quinze ans.

Enfin, en ce qui concerne le positionnement de la science française, nous participons à l'infrastructure européenne OPERA, qui développe un outil de traduction multilingue conçu par et pour les pairs, facilitant la communication scientifique et sa diffusion au-delà des barrières linguistiques.

M. Thierry Dauxois. - L'IA transforme les pratiques de recherche en physique, mathématiques et chimie à un rythme incroyable. Ce qui était inimaginable il y a six mois est routinier aujourd'hui, rendant la formation des chercheurs extrêmement difficile. Pour reprendre la formule de David Ros, trois jeunes valent vraiment beaucoup plus qu'un vieux dans ce contexte.

Sur les opportunités et dangers, je rejoins Hélène Olivier-Bourbigou et Daniel Andler sur l'importance de comprendre, pas seulement de prédire. Je suis moins optimiste que mon collègue de l'Inrae concernant l'intégrité scientifique - de sérieux problèmes de plagiat persistent, notamment à cause des traductions. Enfin, la consommation énergétique reste un vrai problème que les jeunes, plus exigeants sur ces questions, devront résoudre.

M. Alexandre Sabatou, député, vice-président de l'Office. - Quels outils utilisez-vous concrètement ? Développez-vous vos propres modèles open source dans vos universités pour garder les données en interne, ou utilisez-vous des outils comme ChatGPT ? Dans ce cas, comment anonymisez-vous vos données ?

Par ailleurs, ChatGPT prétend avoir un niveau de doctorant dans tous les domaines. L'IA vous a-t-elle déjà bluffés dans vos domaines respectifs ? Avez-vous l'impression de parler à un collègue de bon niveau ? Est-ce que vous « brainstormez » avec l'IA pour faire avancer votre réflexion scientifique ?

Mme Catherine Cesarsky. - Quand on utilise ChatGPT, même sur des questions relatives à la mise en place d'organisations internationales pour faire de la science, on obtient des réponses très complètes et très vite, mais il y a des idioties dedans. Si vous ne connaissez pas le sujet, le risque est d'utiliser des éléments complètement faux. On ne peut donc s'en servir que sur des choses que l'on connaît bien.

M. François-Joseph Ruggiu. - En histoire, j'ai exactement la même réponse. Il est impossible à ChatGPT de produire quelque chose du niveau doctoral ni même du niveau master. Les étudiants essaient, mais le résultat est évident, particulièrement en histoire, parce que l'IA n'a pas accès aux données sur lesquelles est fondé un travail de recherche original basé sur des données non exploitées.

M. Thierry Dauxois. - Le CNRS propose un outil appelé Perplexity. C'est un équivalent de ChatGPT, peut-être moins puissant mais souverain. Il est en train de monter en puissance et n'est ouvert que sur autorisation aux membres des laboratoires CNRS.

M. Daniel Andler. - Perplexity est assez utile, pas tellement pour ses réponses. J'utilise la version gratuite, pas la version « pro » qui est certainement meilleure, mais ses résumés de situation peuvent être utiles. Ce qui est très précieux, c'est que pour chaque point de l'argumentaire, Perplexity renvoie à un certain nombre de sites ou de bases bibliographiques. Cela accélère énormément le travail de défrichage.

M. Christian Lannou. - Pour répondre à votre question sur les étudiants et les doctorants, l'IA est vraiment utile pour rassembler de l'information, mais la dimension innovatrice, voire disruptive, qu'on attend d'un étudiant, on ne la trouvera pas avec l'IA. Je ne l'ai pas encore observée.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Est-ce que vous la trouvez chez les étudiants ?

M. Christian Lannou. - Je la trouve chez des étudiants.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Nous pouvons clore cette seconde partie de nos débats, consacrée à l'IA. C'est un débat vertigineux que nous avions déjà abordé lors de la présentation du rapport de l'Office. Je veux aussi mentionner la délégation à la prospective du Sénat qui a produit cinq rapports sur des cas d'usage de l'IA dans les services publics, alors que nous avons de notre côté étudié le concept technologique et ses évolutions puis mené des réflexions quasi philosophiques sur le devenir de l'homme et sa conscience.

Nous sommes à l'amorce d'un nouveau tournant. J'ai été enseignant quand Internet est apparu, et certains collègues craignaient Wikipédia. Aujourd'hui, ce n'est plus un sujet - personne n'ouvre plus d'encyclopédies. C'est probablement le même type de changement qui est devant nous avec l'IA, ce qui pose la question essentielle de l'esprit critique qu'il faut enseigner dès le plus jeune âge.

Pour finir sur une note positive, nous avons des acteurs français, des ingénieurs, chercheurs et scientifiques de très bon niveau que le monde entier nous envie. L'art de vivre à la française peut nous permettre d'en conserver quelques-uns, avec des outils souverains.

Mme Catherine Cesarsky. - Je tiens, avant de clore cette réunion, à vous parler du projet Square Kilometer Array Observatory (SKAO), un radiotélescope géant sous forme de deux réseaux d'instruments, une partie en Australie et une partie en Afrique du Sud. Il commencera à fonctionner dans deux ou trois ans et continuera à se développer. Ce projet permettra des découvertes extraordinaires en astrophysique : compréhension de la formation des étoiles ou des planètes, chimie et recherche de la vie ou encore cosmologie fondamentale.

Ce projet est reconnu mondialement, non seulement pour son intérêt scientifique, mais aussi sous l'angle de la diplomatie scientifique. Il est porté par un organisme intergouvernemental sur le modèle du CERN avec 13 pays membres : Australie, Canada, Chine, Allemagne, Inde, Italie, Pays-Bas, Portugal, Afrique du Sud, Espagne, Suède, Suisse et Royaume-Uni.

La France a décidé le 12 décembre 2020 d'intégrer ce projet. En attendant que cette intégration soit effective - il manque encore la ratification de l'accord -, c'est le CNRS qui finance la participation française, mais la France est exclue de certaines discussions importantes, comme la sélection du nouveau directeur général, malgré une excellente candidate française. Une procédure accélérée a été engagée en octobre 2024, le Sénat a adopté le projet de loi de ratification le 12 mars et il ne manque plus que l'accord de l'Assemblée nationale. Je vous demande instamment de faire ce que vous pouvez pour le permettre : cela évitera que la France soit écartée des discussions importantes.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le Sénat a fait sa part et le sujet est maintenant entre les mains de l'Assemblée nationale où il ne devrait pas susciter beaucoup d'opposition.

J'ajoute que, dans le domaine spatial, la stratégie nationale doit être définie prochainement avec des annonces attendues au Salon du Bourget.

Merci beaucoup pour votre présence ce matin. Cette confrontation entre science et politique est extrêmement importante pour nous. Nous continuerons cette collaboration au cours des prochains mois.

II. EXTRAIT DU COMPTE RENDU DE LA RÉUNION DU 12 JUIN 2025

Communication sur la réunion du Conseil scientifique (Pierre Henriet, député, Stéphane Piednoir, sénateur, rapporteurs)

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Le troisième et dernier point de notre réunion sera consacré à une communication sur la réunion du Conseil scientifique de l'Office le 15 mai dernier. Deux sujets étaient à l'ordre du jour : les répercussions des décisions prises par l'administration fédérale américaine sur la recherche et l'usage de l'intelligence artificielle dans les pratiques des scientifiques.

Je rendrai compte du premier sujet et Pierre Henriet présentera le second.

Les membres du Conseil scientifique qui étaient nombreux à être présents le 15 mai dernier se sont inquiétés de l'appauvrissement de la recherche américaine mais aussi de la recherche internationale. L'offensive virulente de l'administration Trump touche tous les secteurs de la science. Les programmes scientifiques arrêtés pour des raisons idéologiques concernent principalement le changement climatique, l'épidémiologie, la virologie, les recherches sur les vaccins, les énergies renouvelables et certains pans des sciences humaines et sociales.

Les autres disciplines scientifiques ne sont pas épargnées, qu'il s'agisse des sciences physiques, des sciences spatiales, ou des sciences de l'ingénieur. Certaines universités prestigieuses, comme Harvard et Columbia, sont attaquées et les missions et le fonctionnement des institutions muséales, archivistiques et de certaines bibliothèques sont également remis en cause.

Depuis, de nouvelles mesures de contrôle des visas pour les étudiants étrangers dans les universités américaines, et également le contrôle des réseaux sociaux, ont été instaurés. Nous observons des coupes budgétaires, des licenciements massifs et un climat d'intimidation généralisé dans les agences fédérales et les universités. Les réductions budgétaires sont considérables, allant jusqu'à 50 % pour les sciences spatiales et 25 % pour l'exploration à la NASA et 24 % pour l'Office sur l'énergie nucléaire. Les dynamiques de coopération scientifique et technologique sont fortement entravées. L'Académie des sciences a témoigné de la difficulté pour les chercheurs étrangers de participer à des réunions internationales aux États-Unis en raison des difficultés pour obtenir des visas.

Les programmes de recherche sur le climat sont suspendus, notamment ceux impliqués dans le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Le CNRS a confirmé que les scientifiques américains n'y participent plus. Un projet cosmologique important, en phase finale, risque d'être arrêté. Le programme de retour d'échantillons martiens, auquel la France a participé, est également menacé. Une grande inquiétude pèse sur l'avenir du CERN et la physique des particules en raison des restrictions budgétaires qui pourraient toucher des organisations internationales impliquées dans ce projet. Le Conseil scientifique a observé des retraits de financement concernant certaines universités, dont Harvard, menacée de perdre 2,2 milliards de dollars par an. Les membres du Conseil soulignent le climat d'intimidation qui gagne les milieux de la recherche, avec une atmosphère oppressante et une retenue dans les messages reçus de scientifiques établis aux États-Unis.

Le réseau des Académies des sciences d'Europe, ALLEA, a publié une déclaration encourageant les gouvernements et les institutions internationales à défendre la liberté académique et l'autonomie des institutions scientifiques. Cependant, cette déclaration est diversement suivie selon les pays.

Ces évolutions déstabilisent les jeunes scientifiques, en particulier les doctorants et les postdoctorants, dont la situation est souvent précaire. Une forte proportion de jeunes chercheurs étrangers dans les laboratoires américains pourraient se tourner vers d'autres régions du monde. Cela pourrait représenter une opportunité pour nous d'accueillir des doctorants et post-doctorants qui aspiraient à poursuivre leurs parcours aux États-Unis, comme l'a souligné le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche.

La destruction rapide de structures, de réseaux, de bases de données et de travaux de recherche aux États-Unis met en danger l'ensemble du système de recherche et du patrimoine scientifique. Les témoignages recueillis font état de conséquences irréversibles. L'importance de disposer de sites miroirs a été évoquée, mais cela nécessiterait des moyens numériques considérables et aurait des conséquences écologiques déplorables.

La crise révèle la fragilité du système international de recherche, très dépendant des États-Unis. Les États-Unis représentent 23 % des publications mondiales sur le climat et 50 % de celles sur la recherche océanographique. Plusieurs scientifiques estiment que la position dominante des États-Unis dans le domaine scientifique aura tendance à s'effacer au profit de la Chine.

Les scientifiques présents ont tiré trois conclusions : les financements annoncés n'apparaissent pas à la hauteur des enjeux, comme en témoigne la conférence Choose Europe for Science organisée à Paris le 5 mai dernier. Ursula von der Leyen a annoncé que l'Union européenne allait mobiliser 500 millions d'euros pour attirer des chercheurs étrangers, notamment américains. La France y consacrerait 100 millions d'euros. Les membres du Conseil scientifique ont déploré la faiblesse de ces sommes au regard de l'enjeu de l'attractivité des carrières scientifiques en France et en Europe.

Il semble ensuite qu'il faille concentrer les efforts sur l'accueil de jeunes chercheurs étrangers, en leur offrant l'opportunité de débuter leur carrière sur le sol français ou européen. L'échelle européenne semble la bonne taille pour mener ces réflexions.

Le Conseil scientifique a enfin appelé à un travail prospectif sur la résilience du système de recherche français et européen, en réaffirmant les valeurs de la science et la liberté académique. L'expertise scientifique joue un rôle central dans l'aide à la décision politique et l'éclairage de l'opinion publique.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Le second thème de la réunion avec le Conseil scientifique était l'utilisation de l'intelligence artificielle (IA) dans les pratiques des chercheurs. Il en ressort que l'impact de l'IA est déjà très significatif et les perspectives nombreuses. L'usage de l'IA est généralisé, et son importance croissante pour la recherche est illustrée par l'attribution en 2024 des prix Nobel de physique et de chimie à des chercheurs ayant développé ou mobilisé l'IA.

L'IA joue un rôle central dans les sciences de l'ingénieur, pour la réduction des données en astrophysique, ainsi que dans le secteur de la recherche biomédicale et de la santé, où les bases de données sont nombreuses et volumineuses. Elle est également utilisée pour l'analyse des données, la modélisation ou la simulation, et, depuis l'essor des grands modèles de langage (LLM), pour l'aide à la rédaction.

Les disciplines des SHS qui travaillent avec de grandes bases de données, comme les langues, l'économie, l'archéologie, utilisent l'IA par exemple pour la lecture automatique d'écriture ancienne ou l'extraction de données. En philosophie, la validité de ChatGPT en tant que partenaire de discussion est reconnue.

Les chercheurs sont unanimes sur l'intérêt des nouveaux outils d'IA pour le résumé de contenu ou le gain de temps appréciable qu'ils peuvent leur offrir. Les perspectives sont nombreuses, en particulier pour la reconnaissance d'images et la robotisation. Les retours d'expérience des résultats du Cevipof font état d'une performance élevée de ChatGPT pour le commentaire de modèles statistiques.

La première conclusion est que la poursuite de l'adaptation de l'organisation de la recherche aux enjeux de l'IA est nécessaire. Cela signifie qu'il faut approfondir les collaborations entre scientifiques et experts de la donnée. La création de passerelles plus nombreuses entre scientifiques et experts de la donnée et de l'IA apparaît essentielle. Cependant, la difficulté de recruter des experts en IA est patente, ces derniers étant le plus souvent attirés vers des structures privées offrant des rémunérations beaucoup plus avantageuses.

L'attractivité des postes et des carrières dans la recherche publique reste un enjeu de taille, qui nécessite d'investir dans les équipements et les architectures de calcul sous-jacents. De nombreux systèmes actuels ne sont pas adaptés à une utilisation massive de données. À défaut d'investissements dans certaines branches prometteuses de la physique, comme le magnétisme, l'optique ou le quantique, la France connaîtra un retard croissant. Des efforts d'investissement dans les équipements sont indispensables à l'échelle européenne.

Le travail d'évaluation des outils disponibles, notamment des LLM, doit se poursuivre. Ce travail doit permettre de comprendre et d'anticiper les biais culturels que peuvent porter l'entraînement et l'utilisation des modèles. Les chercheurs appellent de leurs voeux la mise en place d'une intelligence artificielle européenne, souveraine et digne de confiance. Il faut réfléchir à la façon de considérer les informations issues des modèles génératifs, notamment être conscient du risque de fausses informations.

Certains membres du Conseil scientifique préconisent de maintenir deux voies parallèles : le savoir-faire avec et sans l'intelligence artificielle. L'utilité de l'intelligence artificielle et les risques liés à son utilisation plaident pour une vision positive mais prudente. Pour garantir une utilisation efficace et éthique de l'intelligence artificielle, un consensus existe sur le besoin de formation massive des chercheurs et des ingénieurs, et la nécessité de garder un esprit critique. Il faut former à l'intelligence artificielle tout en gardant la maîtrise des savoirs fondamentaux.

Le rapport au terrain reste fondamental pour tout chercheur. Les perspectives sont nombreuses mais ce sont les chercheurs qui pensent, pas les machines. Par nature ou par construction, les intelligences artificielles sont capables d'hallucinations, c'est-à-dire de corrélations erronées. La maîtrise des fondamentaux de chaque discipline et le rapport au terrain restent indispensables pour rester maître de son projet de recherche. Il s'agit d'assurer l'explicabilité des modèles d'apprentissage et des résultats en faisant preuve d'un bilinguisme technologique.

L'enjeu de l'exactitude des données utilisées dans les recherches assistées par l'intelligence artificielle est crucial, notamment dans des disciplines comme la recherche clinique, l'évaluation de médicaments ou de protocoles chirurgicaux.

Les membres du Conseil scientifique ont souligné l'importance d'une formation massive des chercheurs à l'intelligence artificielle, en particulier pour comprendre le fonctionnement de l'échange itératif avec les modèles de langage et maîtriser l'art du prompt. Il est indispensable de signaler l'utilisation de l'intelligence artificielle dans les publications et les travaux de recherche. Cette règle de transparence doit être enseignée dès la formation initiale, surtout dans un contexte où l'outil d'intelligence artificielle générative transforme les façons d'apprendre et d'évaluer les étudiants. Enfin, l'impact environnemental de l'intelligence artificielle est un enjeu éthique majeur auquel l'étudiant et le chercheur doivent être formés.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Je vous propose de formaliser ce compte rendu de la réunion du Conseil scientifique, peut-être sous la forme d'un court rapport, pour prendre acte que l'Office a tenu compte des inquiétudes de son Conseil scientifique.

La réunion que nous avons tenue avec lui a suscité des commentaires extrêmement positifs. Plusieurs membres du Conseil sont venus vers moi à la fin pour me dire que celle-ci avait été vraiment très riche. L'actualité américaine a mobilisé les chercheurs et les académiciens, mais le format de notre réunion a été très apprécié.

Vous avez reçu le texte de nos conclusions, nous y ajouterons le compte rendu complet de la réunion.

M. Arnaud Saint-Martin, député. - Je n'étais pas présent ce jour-là, c'était un jour de niche parlementaire en séance, et j'en étais bien désolé. Il est précieux d'avoir cet état des lieux sur la menace pour la science aux États-Unis. Je me demande pourquoi elle n'est pas davantage qualifiée. On a l'impression d'un processus un peu aveugle. Les États-Unis ne sont pas épargnés, mais par qui ? par quoi ?

La menace est en fait très caractérisée : c'est Trump, son administration, tous les gens qu'il a nommés - qui, pour certains, quittent déjà le navire. Cette menace est qualifiée, obscurantiste, climatonégationniste, elle déteste la science, elle déteste les scientifiques, elle les vire littéralement.

J'ai récemment parlé avec des personnels du Centre national d'études spatiales (Cnes), notamment de la direction des relations internationales, qui ne peuvent pas interagir avec leurs interlocuteurs, même par mail. C'est du maccarthysme, de la censure, de l'autocensure. Certains historiens, comme Timothy Snyder, parlent même de fascisme. Je trouve que la caractérisation que vous faites de la menace est très polie.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Nous avons mentionné l'administration fédérale américaine.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Les membres du Conseil scientifique n'ont pas utilisé ces termes. Nous sommes sur un compte rendu de ce qui a été dit, pas sur notre opinion.

M. Arnaud Saint-Martin, député. - Ils n'ont pas utilisé ces termes ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Ils n'ont pas utilisé ces termes.

M. Arnaud Saint-Martin, député. - « Trump », jamais ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - « Trump », oui, mais les termes de fascisme, de maccarthysme... n'ont pas été utilisés. Nous sommes donc sur un compte rendu de ce qui a été dit.

M. Arnaud Bazin, sénateur. - En ce qui concerne les 500 millions d'euros annoncés par la présidente de la Commission européenne, en savons-nous davantage ? J'ai noté que cette somme était insuffisante. S'agit-il de salaires, de compléments de salaire, d'aide à l'investissement pour des projets, ou bien d'un pur effet d'annonce ?

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Il faut être poli également sur ce point. Nous sommes plutôt en faveur de votre deuxième option. L'enveloppe est insuffisante et étalée sur trois ans. Du côté français, c'est 100 millions étalés sur trois ans.

Le salaire et les conditions de travail d'un chercheur français sont sans commune mesure avec ce que la recherche privée, notamment aux États-Unis, peut offrir.

Il y a eu une annonce, une volonté européenne de lancer quelque chose, mais cela n'ira pas très loin. Je ne pense pas qu'on attirera beaucoup de chercheurs américains avec ce montant en France.

Cependant, il y a un vrai sujet concernant les chercheurs qui se destinaient à partir. Chaque année, on produit des doctorants, des post-doctorants qui aspirent naturellement à aller aux États-Unis. Comment peut-on les aider ? Pour eux, c'est une vraie rupture à très court terme.

La loi de programmation de la recherche (LPR) pourra peut-être être consolidée. Le processus de révision de la LPR, annoncé par le ministre pour cette année, pourrait aborder le sujet de ceux qui ne peuvent pas faire leur mobilité internationale aux États-Unis.

M. Pierre Henriet, député, premier vice-président de l'Office. - Une précision s'impose, car nous avons abordé le sujet à plusieurs reprises, notamment les annonces qui ont été faites deux jours avant la réunion du Conseil scientifique. Certains chercheurs ont perçu ces annonces comme une provocation, car les budgets actuels ne sont pas à la hauteur des enjeux, notamment en termes de rémunération de carrière pour les chercheurs français. Cela ressortait des échanges informels que nous avons eus. Il faut toujours être vigilant sur ces éléments budgétaires.

M. Stéphane Piednoir, sénateur, président de l'Office. - Après ces échanges, je vous demande l'autorisation de publier les conclusions que vous avez reçues avec l'intégralité du compte rendu de la réunion du 15 mai. Je vous remercie.

L'Office adopte les conclusions de la réunion du Conseil scientifique et autorise la publication, sous forme de rapport, du compte rendu de la réunion et de ces conclusions.

ANNEXE

COMPOSITION DU CONSEIL SCIENTIFIQUE 2024-2026

Daniel ANDLER, mathématicien et philosophe, professeur émérite à l'Université Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques.

Robert BAROUKI, professeur des universités-praticien hospitalier de biochimie (Université de Paris), directeur de l'unité Inserm Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs, chef de service en biochimie métabolomique et protéomique (Hôpital Necker Enfants Malades).

Frédérick BORDRY, membre honoraire et conseiller du directeur général du CERN, directeur du développement technologique de Gauss Fusion.

Hélène BUDZINSKI, directrice de recherche au CNRS en chimie analytique et chimie de l'environnement, directrice du laboratoire Environnements et Paléo-environnements océaniques et continentaux à l'Université de Bordeaux.

Catherine CESARSKY, astrophysicienne, haut conseiller scientifique au CEA, membre de l'Académie des sciences.

Raja CHATILA, professeur émérite d'intelligence artificielle, de robotique et d'éthique à Sorbonne Université, ancien directeur de l'ISIR et du LAAS-CNRS, président de l'Initiative mondiale IEEE sur l'éthique des systèmes autonomes et intelligents, membre du groupe d'experts européen sur l'IA.

Christine CLERICI, professeure des universités-praticienne hospitalière de physiologie et explorations fonctionnelles, ancienne présidente de l'Université Paris-Diderot.

Virginie COURTIER-ORGOGOZO, biologiste, directrice de recherche au CNRS et responsable de l'équipe « Génétique et Évolution » à l'Institut Jacques-Monod à Paris.

Thierry DAUXOIS, directeur de recherche au CNRS, ex-directeur du laboratoire de physique CNRS-ENS de Lyon, directeur de l'Institut de physique du CNRS.

Marie GAILLE, philosophe, directrice de recherche au CNRS-SPHERE-Université Paris1, directrice de l'Institut des sciences humaines et sociales du CNRS.

Claudie HAIGNERÉ, première femme européenne astronaute, ex-conseillère spéciale du directeur général de l'Agence spatiale européenne (ESA), membre de l'Académie des technologies.

Jean-Luc IMLER, enseignant-chercheur, directeur de l'unité de recherche Modèles insectes d'immunité innée, directeur de l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire du CNRS, professeur à l'Université de Strasbourg.

Béchir JARRAYA, chercheur à NeuroSpin CEA Saclay, neurochirurgien à l'hôpital Foch de Suresnes et professeur à l'Université Paris-Saclay (UVSQ).

Étienne KLEIN, physicien et philosophe des sciences, professeur à l'école centrale, directeur de recherche au CEA, membre de l'Académie des technologies.

Christian LANNOU, épidémiologiste dans le domaine de la santé des cultures, responsable du département Santé des plantes et environnement à l'INRAE.

Patrick NETTER, professeur émérite des universités, pharmacologue, membre de l'Académie nationale de médecine.

Christine NOIVILLE, docteur en droit, directrice de recherche au CNRS, directrice de l'Institut des sciences juridiques et philosophiques de l'Université Paris 1, présidente du Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), présidente du comité d'éthique du CNRS.

Hélène OLIVIER-BOURBIGOU, responsable de programme et coordinatrice de la recherche fondamentale à l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN), membre de l'Académie des sciences et de l'Académie des technologies.

Didier ROUX, physico-chimiste spécialiste de la matière condensée, délégué à l'information scientifique et à la communication de l'Académie des sciences, membre de l'Académie des technologies.

Christelle ROY, docteur en physique nucléaire, directrice de recherche au CNRS, directrice de CNRS Nucléaire et Particules.

François-Joseph RUGGIU, professeur d'histoire moderne à Sorbonne Université (Centre Roland Mousnier, CNRS-Sorbonne-Université).

Marc SCIAMANNA, professeur a` CentraleSupe'lec (campus de Metz), titulaire de la chaire Photonique, directeur du Laboratoire mate'riaux optiques, photonique et syste`mes (LMOPS), professeur associé a` Georgia Institute of Technology (USA).

Virginie TOURNAY, directrice de recherche au CNRS, Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF).

Sophie UGOLINI, directrice de recherche à l'Inserm, directrice au Centre d'immunologie de Marseille-Luminy (CIML).


* 1  https://allea.org/wp-content/uploads/2025/02/ALLEA-Statement-on-Threats-to-Academic-Freedom.pdf

* 2 Rapport Assemblée nationale n° 642 (17e législature) - Sénat n° 170 (2024-2025), déposé le 28 novembre 2024, ChatGPT, et après ? Bilan et perspectives de l'intelligence artificielle.

* 3 En physique, John Hopfield et Geoffrey Hinton ont utilisé des outils de la physique pour développer des méthodes qui sont à la base de l'apprentissage automatique actuel (les réseaux de neurones artificiels). En chimie, David Baker, Demis Hassabis et John Jumper ont, avec l'appui de l'IA, fait avancer la connaissance de la structure tridimensionnelle des protéines à partir de leur séquence d'acides aminés.

* 4  SocArXiv Papers | Machine Bias. How Do Generative Language Models Answer Opinion Polls?

* 5  https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/20531680251335653

* 6 La plateforme HAL (« Hyper Articles en Ligne ») a été développée en 2001 par le Centre pour la communication scientifique directe (CCSD) du CNRS. Elle est destinée au dépôt et à la libre diffusion d'articles scientifiques, de thèses ou de rapports techniques.

* 7 Voir notamment, au-delà du rapport de l'OPECST précité, le rapport d'information de MM. Christian Bruyen et Bernard Fialaire n° 101 (2024-2025), fait au nom de la délégation à la prospective du Sénat, IA et éducation.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page