ANNEXES
DOCUMENTATION REMISE PAR MADAME MARIE-DANIELLE PIERRELÉE, PRINCIPAL DU COLLÈGE GARCIA LORCA À SAINT-DENIS
Quels élèves avons-nous au collège ?
Le Collège Garcia Lorca et les collèges "ordinaires"
L'ensemble des catégories correspond à Garcia Lorca et les parties grisées sont celles que l'on rencontre dans la majorité des collèges.
La présence, sur les marges, d'élèves très atypiques, n'entraîne pas seulement une difficulté à gérer ces élèves particulièrement problématiques. Elle modifie tout l'équilibre et les comportements de l'ensemble des élèves. Les interactions entre les différentes catégories sont essentielles à comprendre pour définir une stratégie et réagir.
Le respect
Le respect est un thème central dans les discours des jeunes mais il recouvre de concepts très différents et la polysémie même du mot ne nous aide pas à clarifier notion auprès des jeunes.
Quoi de commun entre les différents sens du mot dans les expressions suivantes ?
- Tenir en respect
- Se faire respecter
- Être respecté
- Respecter
- Avoir le respect (expression très employée par les parents)
- Inspirer du respect
- Avoir droit au respect....
Les professeurs estiment qu'ils ont droit au respect. Ils l'estiment d'une façon générale, en toutes circonstances, même si... Ils laissent donc croire qu'il n'y a pas de relation entre le fait d'être respecté et le fait d'être respectable, que c'est leur position qui leur confère ce droit. Demandent-ils le respect ? ou la soumission ?
Pour beaucoup d'élèves, être respecté, c'est pouvoir obtenir la soumission des autres.
Les élèves du groupe A tiennent tout le monde en respect . Gare à celui qui ne donnerait pas des gages ostensibles de soumission.
Les élèves du groupe B exigent d'être respectés parce qu'ils ne le sont pas "naturellement" comme ceux du groupe A. Ils sont donc particulièrement sensibles tout comportement d un autre élève qui pourrait laisser croire qu'il cherche à rivaliser avec eux. Ils passent beaucoup de temps à exiger des excuses Si les autres n'obtempèrent pas, ils risquent des coups sévères. Les élèves du groupe B ne veulent pas être mis à 1'amende par qui que ce soit mais ils l'affirment justement parce que cela ne <illisible< pas de soi comme c'est le cas pour les élèves du groupe A.
Les élèves du groupe C sont généralement respectés par le plus grand nombre. Ils peuvent aussi être soumis à des pressions des groupes A et B mais ils sont peu sensibles à 1'insulte parce qu'ils ont généralement assez confiance en eux.
Les élèves du groupe D sont souvent menacés, insultés, humiliés par les autres. Ils en souffrent mais n'ont pas de stratégie pour y échapper. Ils se plaignent dans des espaces où la parole leur est donnée mais ils font comme si les menaces étaient inéluctables, émanaient d'un lieu inaccessible. Par contre, ils se rebellent vigoureusement s'ils sont insultés par des élèves qui appartiennent à la même catégorie qu'eux ou par des élèves du groupe E. Ils ne protestent que s'ils n'ont pas peur.
Les élèves du groupe E attirent sur eux toutes les humiliations : celles des élèves de tous les groupes, celles des professeurs, celles de leurs compagnons d'infortune de la catégorie E. Tout est bon pour s'acharner sur quelqu'un qui serait ainsi moins respectable que soi... Quand ils essaient de se défendre, ils sont généralement perdants. Comme ils sont souvent poussés à bout, ils commettent des actes incompréhensibles et désespérés.
Catégorie A : Les rebelles
qui tiennent en respect le plus grand nombre,
qui sont assurés de l'impunité
et qui peuvent mettre n'importe qui à l'amende
Une minorité d'élèves actifs, intelligents et vifs, en position de pouvoir, qui se sentent assez invulnérables. Sur la cité, ils bénéficient de la protection non-dite des grands frères; au collège, ils prolongent cette position de façon larvée et cherchent à occuper toutes les positions de pouvoir, y compris institutionnelles. Ils monopolisent par exemple un grand nombre de sièges de délégués de classe. Ils connaissent leurs "droits" et les revendiquent haut et fort.
Ce sont eux qui pratiquent le plus souvent le racket. Ils seront aussi les premiers petits dealers de haschich. Ils sont dans de petits trafics et ont un bon sens du "business".
Ils connaissent très bien les institutions et s'en servent à leur profit exclusif. Ils "cassent les jambes" de ceux qui voudraient rivaliser avec eux s'ils ne sont pas légitimes (parce qu'ils ne sont pas dans l'orbite des mêmes groupes sur la cité). Les victimes ne se plaignent jamais et vont jusqu'à les disculper "spontanément" quand on ne leur demande rien... Personne n'ose s'attaquer à eux. Ce sont ceux-là qui se font porter leurs sacs par les autres.
Souvent les professeurs admettent qu'ils ne leur disent plus rien, parce que cela conduit immédiatement au conflit et que tout enseignement devient alors impossible; ou alors, les enseignants craignent les représailles. Ce sont des jeunes qui vivent clairement dans la délinquance. Ils peuvent se présenter eux mêmes comme "la racaille".
Effectif : au total, pas plus de 10 élèves dans l'établissement, surtout des garçons.
Objectif : Tenir le terrain et affirmer sa suprématie
Terrain de valorisation : la capacité à n'obéir à personne; la violence physique, les bonnes notes à l'école - acquises par tous les moyens -, le fait d'être délégué.
Points d'appui : une grande facilité à parler, à embrouiller, la force physique, le système d'alliance sur la cité. Leurs mères qui les protègent contre la violence du père et les excusent souvent de toutes leurs transgressions.
Fragilité : l'élève dans cette position craindra surtout un rival, aussi légitime que lui, appartenant éventuellement à une bande adverse.
Reconnaissent l'autorité de quelques grands; des parents quelquefois, surtout dans le cas des pères violents.
Ont autorité sur : tous les autres élèves, sauf ceux de la même catégorie plus âgés.
Catégorie B : Les candidats à l'impunité,
qui cherchent à se faire respecter
qui ne se font pas mettre à l'amende
Il s'agit d'une minorité d'élèves qui prennent les premiers pour modèles. Ils n'ont pas la même légitimité et doivent donc donner des gages aux précédents. En même temps, ils sont moins sûrs d'eux et craignent davantage la répression de l'institution. Les enseignants s'en prennent plus facilement à eux qu'aux rebelles en cas de transgression. Ils sont donc davantage punis que les premiers, et ils savent crier à l'injustice.
Pour faire leurs preuves, ils s'attaquent à des cibles qui leur paraissent plus accessibles : les élèves paumés (Catégorie E), les filles, les professeurs les plus fragiles. Ils sont un peu plus facilement dénoncés par les victimes.
Se faire élire délégué est une des premières manoeuvres possibles quand on n'a pas de rival plus fort dans la classe...
Effectif :
Peut-être 20 à
25 élèves sur l'établissement, encore surtout des
garçons
mais davantage de filles que dans la catégorie A.
Objectif : Se faire reconnaître comme un vrai chef et accéder à l'impunité.
Terrain de valorisation : La violence, les insultes, les menaces sur les groupes faibles (D et E).
Points d'appui : une protection toujours à négocier des membres du groupe A ; la capacité à parler, à embrouiller...
Fragilité : une certaine sensibilité aux menaces de l'institution, la possibilité de se faire lâcher par les plus forts.
Reconnaissent l'autorité des élèves rebelles; essaient de se faire reconnaître par les grands de la cité; ils craignent également leurs grands frères. Ils ont une certaine réserve en présence des profs qui ont l'expérience de ce genre d'élèves.
Ont autorité sur : les élèves les plus fragiles (D et E), les filles, les plus jeunes, les moins forts physiquement...
Catégorie C : Les élèves positifs
qui sont respectés
que l'on ne mettrait pas à l'amende
Il s'agit encore d'une minorité d'élèves qui ont envie de réussir au collège et qui y Prennent une part active. Ce sont des élèves qui s'entraînent à l'autonomie et qui sont des forces de proposition. Ils souhaitent souvent se faire élire comme délégué de classe et y parviennent s'il n'y a pas en face ceux de la première ou de la seconde catégorie. Ils proposent des actions; ils font des critiques, parfois un peu maladroitement, ce qui les conduits à être parfois mal considérés par certains professeurs... Ils sont prêts à passer aux actes et à s'engager si les aide un tout petit peu...
Effectif : 25 à 30 élèves sur le collège, souvent des filles, en plus grand nombre dans les classes de 6è-5è qu'en 4è-3è.
Objectif : Réussir à l'école et s'y plaire.
Terrain de valorisation : Les initiatives, la capacité à parler, la capacité à réaliser des actions collectives.
Points d'appui : La reconnaissance des adultes et des élèves de la catégorie D, rarement des autres. Une grande solidité psychologique.
Fragilité : Ils sont la cible des plus durs. Ils peuvent être aussi mal perçus par les professeurs quand ils critiquent des dysfonctionnements.
Reconnaissent l'autorité des adultes en général. Par rapport aux élèves du groupe A, ils essaient de garder une neutralité la plus distante possible. Ils n'hésitent pas, par contre à critiquer publiquement les élèves du groupe B.
Ont autorité sur une grande partie des autres élèves dans le domaine scolaire (catégorie B, D et E). À l'extérieur du collège, ils doivent être très prudents. C'est à l'extérieur que les plus durs essaieront de les piéger car à l'intérieur du collège ils ont beaucoup d'alliés.
Catégorie D : les élèves "ordinaires"
qui ne veulent pas d'histoire
mais qui peuvent être mis à l'amende, insultés et frappés
Ce sont eux qui représentent la masse des élèves du collège. Ils ont envie de faire des études, d'aller au lycée, même s'ils ne sont pas très brillants. Ils aspirent surtout à être tranquilles. Ce n'est pas souvent le cas car ils servent d'objet d'entraînement pour les autres, ceux qui veulent jouer aux durs et qui ont besoin de le prouver. Ils sont donc régulièrement frappés, insultés, volés. Ils n'osent généralement rien dire et ne semblent pas avoir une grande confiance dans les adultes pour les protéger. Ils se précipiteront même pour "défendre" un délinquant accusé et lui fournir un alibi, espérant sans doute par là s'acheter un peu de tranquillité. Ils sont souvent l'objet de pressions, surtout quand ils sont d'assez bons élèves.
Ils doivent donner des gages de soumission aux professeurs parce qu'ils veulent réussir leurs études mais aussi aux voyous parce qu'ils ne veulent pas d'histoire... Ils ont donc des attitudes diverses en fonction de celui qui est en face d'eux, professeur ou élève, agressif envers les uns, agréable avec les autres.... Ils n'hésiteront pas à dénoncer un élève un peu fragile (catégorie E), même injustement, pour protéger un "voyou". De même, ils pourront participer à un chahut dans le cours d'un professeur plus fragile alors qu'ils auront un comportement irréprochable avec un autre.
Effectifs : le plus grand nombre des élèves, plus de 80 % très certainement, filles et garçons.
Objectif : Ne pas avoir d'histoires ; Avoir si possible des bonnes notes.
Terrain de valorisation : divers selon les cas: la réussite dans telle ou telle matière, les vêtements, un walkman....
Points d'appui : Selon les cas, une bonne réussite scolaire, de l'argent, des aptitudes sportives....
Fragilité : L'incapacité à s'affirmer devant les deux premières catégories, le sentiment d'abandon quand ils sont agressés, la peur, assez peu d'aptitude au mensonge.
Reconnaissent l'autorité des adultes (parents et professeurs) en général, des deux premiers groupes (A et B).
Ont autorité sur la dernière catégorie. (E)
Catégorie E : Les paumés, les victimes désignées
Ceux qui ont toujours des histoires
qui sont toujours mis à l'amende, insultés, frappés
qui ne cherchent qu'à survivre
Ces élèves sont les plus en difficulté de tous. Pour des raisons diverses (peu de moyens intellectuels, physique particulier, élève d'une famille mal considérée dans la cité, d'une famille considérée comme ennemie des rebelles : enfants de concierge par exemple) ils sont la cible préférée des plus agressifs. Insultes, coups gratuits, vols.... Comme ils sont les plus faibles, tous ceux qui veulent faire leurs preuves s'essaient sur eux à frapper. Les élèves qui ne veulent pas d'histoire les utilisent parfois pour donner des gages à ceux qui leur font peur et les frappent également, les accusent injustement. Ces élèves ne sont pas vraiment dans des conditions leur permettant de travailler : leurs résultats scolaires sont mauvais et ils deviennent aussi la cible des professeurs...
Pour se défendre, ils ont des stratégies changeantes, quelquefois difficilement compréhensibles : Ils cherchent à éviter ceux qui leur font peur en arrivant en retard (pour ne pas les croiser sur le chemin) ou en ne venant pas du tout à l'école les jours ou ils sentent une très grosse menace. Ils cherchent parfois à se rebeller et essaient de frapper. En présence de l'adulte qui intervient, ils n'ont jamais le beau rôle : ils se débrouillent moins bien que la plupart de leurs agresseurs avec le langage. Ils ne peuvent pas compter sur leur famille pour les défendre. Ils peuvent facilement se replier sur eux-mêmes, et consommer des produits psycho actifs (des médicaments des parents à la drogue en circulation sur la cité - ce qui accroît leur dépendance aux petits dealers du groupe A)
Ce sont eux qui n'auront pas de quoi manger à midi; C'est parmi eux que l'on retrouve des jeunes qui font des tentatives de suicide...
Effectifs : une vingtaine d'élèves sur le collège.
Objectif : Survivre et se protéger autant que possible.
Terrain de valorisation : ???? Ils cherchent à se faire respecter parce qu'ils sont sans cesse humiliés par tout le monde. Cela les conduit à insulter, à menacer (sans passer à l'acte le plus souvent).
Points d'appui : ????
Fragilité : Une grande fragilité psychologique, le manque d'amis, une extrême solitude, des difficultés familiales qui viennent se cumuler. Ils n'ont aucun lieu où se sentir réellement en sécurité.
Reconnaissent l'autorité de tout le monde (adultes, parents, élèves A et B surtout) mais ils paraissent souvent dans un autre monde; leur mode de vie est tellement limite que les normes reconnues par les autres ne leur paraissent pas bien importantes.
N'ont autorité sur personne . Dans les moments de très grande révolte ils accomplissent des actions suicidaires, ils lancent des bagarres dont ils ne peuvent pas sortir.