CHAPITRE II LE TOURNANT DE LA RÉFORME ET SES RÉSULTATS
Les bouleversements géopolitiques qui caractérisent la fin des années 1980 contribuent à inciter les dirigeants indiens à choisir la voie difficile de la réforme économique. L'affaiblissement, suivi de la désintégration de l'Union soviétique, fournisseur, client et allié de l'Inde, le spectaculaire essor de la Chine, de la Corée et de l'Asie du Sud-Est mettent en relief l'isolement et le retard du second pays le plus peuplé d'Asie. La fin de la guerre froide et la redéfinition du rôle respectif de l'URSS, des États-Unis et de la Chine en Asie, l'indépendance croissante de la diplomatie des pays de la zone, à commencer par le Japon, et le développement des échanges économiques inter-asiatiques forment la toile de fond des réformes auxquelles l'Inde procède à compter de 1991.
Elles sont préparées et exécutées par deux membres du Congrès dont rien ne laissait présager qu'ils avaient la fibre des grands réformateurs, mais qui ont pris la mesure des transformations du contexte international et des défis qui en résultent pour l'Inde.
Né en 1921, et originaire de l'État d'Andra Pradesh, M. Narashima Rao n'accède à la présidence du parti du Congrès qu'en 1991, après l'assassinat de Rajiv Gandhi. Blanchi sous le harnais d'une longue carrière (il fut chef du Gouvernement d'Andra Pradesh avant d'être secrétaire général du Congrès et d'occuper plusieurs postes ministériels à partir de 1980), Narashima Rao n'a pas la silhouette d'un réformateur. Il se distingue cependant par une grande connaissance des réalités internationales qu'il met depuis longtemps au service de son parti, dont il a rédigé le programme avant les élections de 1991.
Son action est indissociable de celle du ministre des finances qu'il choisit : Manmohan Singh. Celui-ci, issu d'une famille de confession sikh originaire du Penjab pakistanais, a suivi de brillantes études en Inde et en Grande-Bretagne. Nommé secrétaire général du ministère des finances par Mme Gandhi en 1976, il occupa ce poste sous le Gouvernement Janata avant d'être nommé Gouverneur de la Banque centrale (1982-85). Parfaitement informé, lui aussi, de l'état de l'économie mondiale, conscient des progrès spectaculaires qui s'accomplissent en Asie de l'Est autant que du retard de son pays et des erreurs qu'il a commises, il est acquis à la nécessité d'un profond changement. Mais esprit lucide et pragmatique, il procède avec prudence et doigte. Les réformes qu'il réalise se situent à mi chemin entre un libéralisme systématique et la tradition indienne façonnée par un demi-siècle de dirigisme.
I. LA LIBÉRALISATION DE L'ÉCONOMIE INDIENNE : ASSAINISSEMENT, OUVERTURE, DÉRÉGLEMENTATION
Lors de la préparation du budget, en 1991, Narashima Rao et Manmohan Singh établissent un diagnostic sévère des principales faiblesses de l'économie indienne : accroissement des déficits publics ; archaïsme d'un système financier, dont le rôle principal est de subvenir aux besoins financiers de l'État ; dégradation de l'équilibre extérieur, attribuée au dirigisme et au protectionnisme, ainsi qu'au manque de compétitivité qu'ils ont engendré.
A. L assainissement des finances publiques
Pour réduire le déficit budgétaire, le Gouvernement diminue les dépenses militaires, les subventions au secteur public et à l'agriculture, ainsi que les crédits du plan. Le total des subventions de l'État passe de 2.4 % du PNB en 1989-1990, à 1 % en 1993-1994. De ce fait, le besoin de financement des administrations passe de 8.4 % du PIB en 1990-1991 à 5 % du PIB en 1993-1994, tandis que la hausse des prix à la consommation est ramenée de 13,7 % en 1991 à 8,4 % en 1994.
La politique monétaire contribue, de son côté, au ralentissement de l'inflation. Les autorités décident de limiter la monétisation des déficits publics, notamment par la signature, en août 1994, d'un memorandum of understanding entre l'État et de la Réserve bank of India, qui limite strictement le recours de l'État aux financements bancaires. Une structure cohérente des taux d'intérêt est recherchée.