RÉGLEMENTATION
DES TÉLÉCOMMUNICATIONS
Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence
M. le président.
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi (n° 357,
1995-1996), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, de
réglementation des télécommunications. [Rapport (n° 389, 1995-1996).]
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en
préambule, je voudrais moi aussi saluer les dizaines de milliers de
manifestants qui défendent aujourd'hui un autre service public aussi
fondamental que celui des télécommunications, celui du gaz et de l'électricité.
Si je suis à cette tribune pour remplir le mandat qui m'a été confié, mon coeur
est avec ceux qui défilent. Qu'un peu de leur énergie inspire et éclaire nos
débats !
M. Robert Pagès.
Très bien !
M. Gérard Delfau.
Monsieur le ministre, nous abordons aujourd'hui le premier volet d'un ensemble
législatif qui, s'il était mené à son terme dans les conditions que vous
souhaitez, pourrait avoir le même effet dévastateur que la privatisation de
TF1, sous le gouvernement de M. Chirac, en 1986. Il s'agissait, disait M.
Léotard, alors en charge du dossier, d'une ouverture maîtrisée à la
concurrence.
Dix ans plus tard, le secteur public de l'audiovisuel est rongé par la course
au profit que vous avez instaurée, comme vient de le montrer la crise qui
secoue France 2 ainsi que France 3 ; et plus personne n'oserait invoquer sans
rire le « mieux disant culturel » que la famille Bouygues s'était engagée à
respecter devant le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Le même scénario s'enclenche, à présent, pour les télécommunications. Le
paradoxe, c'est que ce soit vous, monsieur Fillon, qui en soyez le
porte-parole, alors qu'au fond de vous-même, sans aucun doute, vous le
désapprouvez.
Vos deux textes de loi constituent bien une intervention majeure dans
l'organisation économique et sociale. Ils peuvent ruiner les acquis d'un siècle
d'efforts pour bâtir un secteur performant des télécommunications.
Rappelons-en les grandes dates. Au départ, il y eut la loi de nationalisation
des sociétés privées de téléphone, en 1889, voilà plus d'un siècle ; elle fut
complétée par l'instauration du budget annexe des PTT, en 1923 ; enfin,
l'édifice fut modernisé par la loi Quilès de 1990, créant deux opérateurs
publics autonomes : La Poste et France Télécom.
Aujourd'hui, nous débattons de la loi de « déréglementation » et de «
dérégulation » des télécommunications. La semaine prochaine, si le scénario ne
se grippe pas, vous demanderez, en première lecture au Sénat, de privatiser
France Télécom et de laisser le champ libre à la famille Bouygues, une fois de
plus, à deux compagnies fermières de l'eau - l'une et les autres connues du
grand public par de récents démêlés judiciaires - ainsi qu'à quelques firmes
étrangères.
Le géant américain ATT, l'Anglais BT et des nouveaux venus asiatiques
attendent que le repas soit prêt. Ils risquent bien d'ailleurs de réécrire à
leur façon la fable de
L'huître et les plaideurs
et de mettre ainsi d'accord malgré eux, les
Français.
Quelle que soit l'issue, ce sont les citoyens de notre pays qui en feront les
frais.
Or, l'enjeu n'est pas seulement, ni même d'abord, économique : privatiser,
dans de mauvaises conditions, les télécommunications, c'est s'attaquer au coeur
de notre démocratie et c'est brader un peu de notre histoire.
En cette fin de siècle, l'information circule à travers de multiples canaux
interconnectés. Le fil entre des points fixes, le câble, l'hertzien et le
satellite servent de supports. Les domaines du téléphone, de l'informatique et
de l'audiovisuel sont interdépendants. Comme le disent les auteurs de l'ouvrage
Les Télécoms en question,
signant sous le pseudonyme A. Leray : «
L'information est un bien immatériel qui échappe aux notions ordinaires de
propriété ou de marchandise. Elle a une valeur d'usage plus qu'une valeur
d'échange : c'est par sa circulation plus que par son accumulation que
l'information prend de l'importance. Ainsi, ce sont les réseaux de
télécommunications qui sont l'élément dominant de ce que lon peut appeler le
"nouvel ordre communicationnel".
Justement, ce sont ces supports que vous voulez achever de privatiser, après
la brèche importante introduite par le ministre Longuet, sous le gouvernement
Balladur, en 1993 : celui-ci avait ouvert à la concurrence le téléphone mobile
et tenté de transformer le statut de France Télécom ; seule la très vive
réaction des salariés l'avait empêché d'avancer dans cette direction.
Fixons au passage un point d'histoire, monsieur le ministre : pour introduire
ce débat, vous vous retranchez sans cesse derrière l'argument de la directive
européenne qui fixe au 1er janvier 1998 la libéralisation des services et des
infrastructures de télécommunications. Mais cette décision est de votre seule
responsabilité ! Ce sont, en effet, les conseils des ministres réunis à
Bruxelles le 16 juin 1993 et le 17 novembre 1994 qui ont décidé à l'unanimité,
donc avec l'accord de la France, l'ouverture à la concurrence, d'une part des
services vocaux et, d'autre part, des infrastructures filaires de téléphonie au
1er janvier 1998. C'est le gouvernement Balladur qui a accepté ce
calendrier.
Dès lors, il était mis un terme au compromis de 1989, négocié sous la
présidence de M. François Mitterrand, qui avait su trouver un juste équilibre
entre l'ouverture à la concurrence des services à valeur ajoutée et le maintien
du monopole sur la téléphonie vocale entre points fixes, ainsi que sur celui
des infrastructures publiques, payées par les contribuables. Un simple coup
d'oeil sur la chronologie remarquablement établie par notre collègue Gérard
Larcher, dans
L'Avenir de France Télécom : un défi national -
j'ai de bonnes lectures...
!
M. Gérard Larcher,
rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan.
Excellentes !
M. Gérard Delfau.
... le montre clairement.
Dans la foulée fut pensée et votée la réforme Quilès, en 1990, qui assurait
sur des bases solides le noyau dur du service public : un opérateur public
autonome, ayant le monopole du réseau et de la téléphonie filaire, le reste
étant ouvert à la concurrence. Cela n'avait pas si mal marché, tant du point de
vue de la cohésion sociale que sous l'angle stratégique et financier : 9,2
milliards de francs de bénéfices en 1995 ! C'est cette construction équilibrée
que vous faites voler en éclats.
Pourquoi tant de précipitation ? Sans recommander forcément l'attitude
actuellement adoptée par la Grande-Bretagne vis-à-vis de ses partenaires
européens, on aurait pu attendre d'un gouvernement nommé par M. Jacques Chirac
un peu plus de circonspection et un peu plus de fermeté à Bruxelles.
Surtout, pourquoi tant de zèle ? En effet, s'il est vrai que la Commission
européenne exige une concurrence totale entre prestataires de services, à une
date rapprochée, elle s'interdit d'émettre un avis sur la nature juridique de
l'opérateur public et sur la propriété du réseau. Ces choix relèvent
exclusivement de l'Etat national.
Or, loin de préserver ces marges de manoeuvre, vous allez au-devant de
l'industrie privée, comme s'il y avait d'autres raisons à cette mise en
concurrence complète et à cet affaiblissement délibéré de France Télécom. Parmi
celles-ci, il en est une qui inquiète la majorité parlementaire elle-même : il
ne vous suffirait pas que la recette attendue de la privatisation vienne
combler les déficits du budget.
L'Etat vend ainsi son patrimoine, à la façon d'un fils de famille prodigue, ce
qui, simultanément, n'interdit pas à M. Arthuis de fustiger la « hausse de la
fiscalité locale », ni au Premier ministre de déplorer la « mauvaise graisse »
de la fonction publique. Il est d'étranges donneurs de leçon !
Mais un autre « coup tordu » budgétaire - permettez-moi l'expression - se
prépare : est-il vrai, monsieur le ministre, que Bercy envisage d'inscrire en
recettes ordinaires les 50 milliards de francs que France Télécom devra verser
à l'Etat pour provision de la retraite de ses agents, au lieu de mettre ces
sommes dans un fonds de pension, comme l'aurait fait un Pierre Bérégovoy ? Si
tel était le cas, on se trouverait devant un tour de passe-passe qui ne
manquerait pas d'intéresser la Cour des comptes et d'étonner les observateurs
étrangers, attentifs aux signes de rigueur financière.
J'ai beau chercher, je ne vois pas d'arguments qui justifient l'ampleur de ce
démantèlement, eu égard à nos engagements européens. Existe-t-il au moins une
rationalité économique ? Même pas ! C'est pour pallier les carences - ou les
faillites - d'entreprises privées que s'est bâti, peu à peu, depuis un siècle,
un vaste secteur d'entreprises publiques.
Et la vague de privatisation qui a déferlé depuis les années quatre-vingt, sur
les Etats-Unis et la Grande-Bretagne notamment, n'a pas eu les résultats
bénéfiques que certains attendaient ! Les chantres de la « déréglementation »
doivent admettre qu'une autorité de régulation peut se montrer plus tatillonne
et plus prodigue en textes qu'une administration.
Les adeptes de la « dérégulation » sont contraints de s'interroger sur la
baisse de sécurité qui affecte le transport aérien, pour ne citer que cet
exemple.
Quant à la fin des « monopoles », il est piquant ou triste - on choisira - de
les voir se reconstituer à grande vitesse, par rachats et concentrations, mais
cette fois sous forme privée.
Je ne résiste pas au plaisir de citer le journal
Le Monde
des 2 et 3
juin 1996, pourtant favorable à l'ouverture à la concurrence des entreprises
publiques. La journaliste écrit : « Sous le couvert des autorités de tutelle,
les fameux « régulateurs » ou la commission des fusions et monopoles, la
Grande-Bretagne continue à suivre la marche de ses anciennes protégées dans les
secteurs de l'eau, de l'électricité ou du gaz, que ce soit pour empêcher une
trop forte concentration qui nuirait à la concurrence ou pour faire baisser les
tarifs et préserver les intérêts des usagers pris en otage par les nouveaux
propriétaires ». C'est rudement dit !
On peut suivre aussi avec intérêt, et avec beaucoup de craintes, la montée en
puissance d'ATT, le géant américain, que la loi anti-trust avait obligé à
s'amputer d'une partie de son implantation locale, il y a une vingtaine
d'années.
M. Michel Pelchat.
Il y a dix ans !
M. Gérard Delfau.
Apparemment, il est en voie d'occuper une position hégémonique et, cette fois,
à l'échelle planétaire, ce qui représenterait un danger mortel pour notre
civilisation. Faut-il vraiment lui faciliter la tâche en lui ouvrant le marché
français et, surtout, en démembrant France Télécom ? Etrange attitude de la
part de votre Gouvernement !
Tout se passe, en effet, comme si le projet de loi sur la « déréglementation »
avait pour objet non seulement d'abolir la position dominante de l'entreprise
publique - ce qui est condamnable - mais encore de lui faire financer ses
propres concurrents - ce qui est stupéfiant !
En effet, l'article 34 du projet de loi semble avoir été rédigé de la plume de
quelques opérateurs privés. D'ailleurs, ils ne s'en cachent pas. Cela porte
même un nom bien français : le
lobbying.
Et cette pratique détestable n'est pas pour rien dans certaines dérives des
hommes politiques... Je me souviens de mon indignation lors d'une réunion que
vous présidiez, monsieur le ministre, en entendant les représentants de British
Telecom, de Bouygues, de la Lyonnaise des eaux et de la Générale des eaux
tenter de nous apitoyer sur leur sort dans le combat qu'ils avaient à livrer
face au « requin » - le mot fut prononcé - France Télécom. Les voilà sans doute
rassurés par le texte qui nous vient de l'Assemblée nationale !
Ils auront accès, de plein droit, en tant que câblo-opérateurs et prestataires
de services, au réseau national de France Télécom, qui a été financé pour
l'essentiel par l'argent du contribuable, à hauteur de 100 milliards de francs,
pendant les années soixante-dix et quatre-vingt, ce qui n'est pas rien !
Certes, il est concédé qu'ils devront payer au propriétaire une « juste
rémunération », qui « couvrira le coût des prestations fournies et des
investissements réalisés ». Mais qui croira que, ne pouvant refuser l'accès à
son réseau, France Télécom aura les moyens d'imposer un « juste » retour sur
investissement ? Le tenterait-il qu'il serait désavoué par l'autorité de
régulation, qui aura pour mission et pour idéologie d'ouvrir au maximum à la
concurrence le secteur des télécommunications.
C'est un géant que l'on livre pieds et poings liés au marché international.
Américains et Asiatiques remportent là, sans combattre et sous pavillon
européen, une belle victoire. C'est un crime contre l'intérêt supérieur de la
France.
Le même esprit préside à la mise en oeuvre de l'interconnexion qui vise à
construire ce que vous appelez le réseau « sans couture » entre différents
opérateurs. Ce problème est au coeur de l'ouverture à la concurrence du secteur
des télécommunications.
Il n'est pas envisageable que soit construit un nouveau réseau pour lequel 150
milliards de francs seraient nécessaires. Actuellement, seules existent les
infrastructures détenues par la SNCF, les sociétés d'autoroute, EDF, les
oléoducs, la RATP, les téléports. Au passage, remarquons qu'il s'agit en
général d'entreprises publiques entre lesquelles il aurait été facile pour
votre Gouvernement d'établir un accord de renforcement mutuel avec l'opérateur
principal face à la concurrence étrangère.
Voilà une proposition que nous vous soumettons puisqu'il paraît que nous
serions muets sur l'avenir de France Télécom et crispés sur le
statu quo
!
En ce qui concerne l'interconnexion, le projet de loi traite l'opérateur
public national comme s'il était non seulement en position dominante, mais
encore coupable d'abus de position dominante.
En effet, seul France Télécom, de fait, sera obligé de se plier aux exigences
des autres opérateurs privés. Qui plus est, en ouvrant le droit à
l'interconnexion, non seulement aux exploitants de réseaux mais aussi aux
services, on ouvre le marché à des entreprises dont le seul objectif sera de
pratiquer l'« écrémage », en s'attaquant aux sections les plus rentables en
tant que simples revendeurs de capacité, sans pour autant devoir supporter la
charge financière des investissements réalisés.
Enfin, les principes de tarification de l'interconnexion sont renvoyés à un
décret. Là encore, il y a fort à parier que l'opérateur public sera lésé, le
Gouvernement ayant refusé, à l'Assemblée nationale, un amendement socialiste
disposant que les tarifs d'interconnexion devaient être évalués en fonction des
investissements réalisés par l'opérateur offrant l'interconnexion.
Nous défendrons à nouveau cet amendement. Aurons-nous plus de chance ou
allons-nous, ici, au Sénat, accepter cette disposition discriminatoire ? La
future autorité de régulation est-elle mise en place pour servir de cheval de
Troie aux concurrents de France Télécom ? C'est une lourde responsabilité que
vous prendriez, mes collègues de la majorité.
C'est après cet ensemble de mesures concernant l'ouverture à la concurrence
qu'arrive, sous le titre « le service public des télécommunications »,
l'article 35, chef-d'oeuvre, je dois le reconnaître, d'hypocrisie, festival de
double langage !
Cet article commence par énoncer les grands principes fixés par les juristes
de l'école du service public : égalité, continuité, adaptabilité. Il découpe
ensuite la notion de service public en trois composantes : le service
universel, notion directement importée de Bruxelles ; les services obligatoires
de télécommunication - en quoi sont-ils obligatoires ? Nul ne le dit ! - enfin,
les missions d'intérêt général, terminologie, jusqu'ici réservée aux
prestations les plus éloignées du coeur du service public, concernant dans ce
projet de loi les fonctions régaliennes de l'Etat. Comprenne qui pourra !
Reprenons d'abord les grandes lignes d'une architecture si complexe que, même
avec beaucoup de bonne volonté, on s'y perd. Peut-être est-ce intentionnel !
Il y a d'abord le « service universel » défini comme la fourniture à tous d'un
service téléphonique de qualité à un prix abordable.
Viennent ensuite les « services obligatoires » de télécommunication,
c'est-à-dire l'accès au RNIS, les liaisons louées, la communication de données
par paquet, les services avancés de téléphonie vocale, le télex.
Sont rappelées, enfin, les « missions d'intérêt général », à savoir la
défense, la sécurité publique, la recherche et l'enseignement supérieur, qui
sont confiées à l'Etat.
Voici une première remarque fondamentale : ce découpage préfigure la mort de
la notion de service public.
La caractéristique spécifique de cette lente construction juridique et
économique, c'est d'avoir posé en principe la mutabilité et l'adaptabilité. A
partir de cette conception, chaque génération a pu exprimer ses besoins vitaux,
à charge pour l'opérateur public d'y apporter une réponse satisfaisante.
C'était la contrepartie de la situation de monopole et du statut d'agent de la
fonction publique concédés à l'entreprise. Celle-ci a toujours conçu sa mission
comme devant, non seulement répondre à cette demande sociale, mais encore comme
étant susceptible de l'anticiper : l'exemple de l'invention et de la
généralisation du Minitel est typique de cet état d'esprit dans l'histoire de
France Télécom.
Désormais, un tel miracle ne pourra se reproduire, puisqu'une telle merveille
ne pourrait être mise à la disposition des bénéficiaires du « service universel
», ce service du pauvre.
Le découpage du service public des télécommunications en trois strates fige
une situation et, par là même, il la rend obsolète. Bien sûr, les technologies
continueront à progresser à grande vitesse, mais au bénéfice exclusif de ceux
qui auront les moyens de payer ces prestations coûteuses. C'est l'esprit même
du service public, sous sa double approche traditionnelle, égalité et
adaptabilité, que vous reniez.
De plus, vous en donnez une définition restrictive, dans le cadre d'un service
dit « universel » qui se résume aux services de base de la téléphonie fil à
fil. Or, celle-ci n'est plus l'avenir des télécommunications, vous le savez. Le
téléphone mobile se répand comme une traînée de poudre. Le réseau filaire, le
câble et l'hertzien se combinent. L'image rejoint le texte. Téléphone,
télévision, informatique se rencontrent.
Une autre configuration des télécommunications se met en place sous nos yeux.
Vous en excluez le plus grand nombre. Vous refusez l'accès à la modernité à
ceux qui en auraient le plus besoin, les plus pauvres et les plus marginalisés,
sans oublier les petites entreprises. C'est en cela, surtout, que votre texte
est celui d'une majorité de droite.
Au fond - et pour en venir à ma conclusion - c'est ma grand-mère, qui n'use
guère du téléphone, c'est le Lozérien, si éloigné de la capitale, c'est
l'artisan de ma commune qui paieront pour l'habitant de l'Ile-de-France et pour
l'homme d'affaires pressé de donner ses ordres à la Bourse de Hong kong !
(Murmures sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
Après cette analyse sans concession de votre projet de loi de «
déréglementation » des télécommunications - ce sera ma conclusion - vous
imaginez bien, monsieur le ministre, que, avec le groupe socialiste, je me
battrai pied à pied pour vous faire renoncer à ce funeste dessein.
Si vous parveniez, malgré tout, à vos fins, sachez qu'un jour, une autre
majorité reprendrait le débat, et sur des bases radicalement différentes, car
l'histoire du service public est liée à l'histoire de la France. Et je ne
désespère pas qu'elle infléchisse même celle de l'Europe !
Aujourd'hui vouée au culte du marché et de la concurrence, notre Union
européenne doit s'ouvrir aux notions de « puissance publique » et de « société
d'économie mixte ». Elle retrouvera ses racines face à une autre conception du
monde que celle qu'inspire l'ultra-libéralisme.
C'est ce combat que j'ai choisi de mener en priorité désormais, avec des
parlementaires de toutes les formations politiques, y compris au sein de notre
assemblée.
De grâce, monsieur le ministre, ne nous rendez pas la tâche impossible.
Relisez le remarquable rapport du député M. Didier Borotra sur « l'Europe et
les services publics », publié en octobre 1995. Que, dans ce débat, il vous
inspire ! Ce sera ma dernière proposition.
(Applaudissements sur les travées
socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
M. le président.
La parole est à M. Pelchat.
M. Michel Pelchat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais bien
entendu vous proposer de ne pas poursuivre le discours que nous venons
d'entendre...
M. Guy Fischer.
Cela ne nous étonne pas !
M. Michel Pelchat.
... et d'essayer de trouver d'autres façons d'éclairer notre assemblée que la
lampe à huile !
(Exclamations sur les travées socialistes.)
M. Jean Chérioux.
Et surtout la démagogie !
M. Claude Estier.
Cela vous va bien ! C'est nous, la lampe à huile ? Franchement !
M. Michel Pelchat.
Je vous propose de changer de fréquence.
Mon cher collègue, que cela vous plaise ou non, vous ne m'empêcherez pas de
dire ce que je pense et de donner mon interprétation du discours précédent.
Je vous propose de changer de fréquence, de passer sur Radio-France et
d'écouter la différence, comme disait Roland Faure voilà quelques années.
Une fois de plus, en France, contrairement à ce qui a été dit précédemment, le
fait aura précédé le droit, car le projet de loi portant sur la réforme des
télécommunications ne vient que confirmer ce qui existe déjà dans ce secteur,
l'avènement de la concurrence, simplement en l'organisant et en assurant à la
France et à France Télécom une place prépondérante dans ce nouveau système qui
est d'ores et déjà en place.
Certes, nous sommes encore dans une situation de monopole de l'opérateur des
télécommunications, mais nul n'ignore aujourd'hui les façons de détourner ce
monopole. Les exemples sont déjà nombreux, et ils iront en se multipliant !
L'ouverture à la concurrence, à laquelle la France prépare le secteur des
télécommunications aujourd'hui, représente une avancée majeure pour le
développement de notre économie nationale. En effet, les télécommunications
sont présentes dans tous les secteurs économiques, elles jouent un rôle majeur
dans la compétitivité de nos entreprises sur les marchés internationaux, et
elles occupent une part croissante des richesses produites par les économies
développées.
Du cercle de la concurrence, dans lequel il s'agit aujourd'hui de faire entrer
les télécommunications, nous attendons, en premier lieu, une baisse des
prix.
En effet, nos prix sont 30 p. 100 plus élevés en France que dans les pays
ouverts à la concurrence. Nos tarifs peuvent même être jusqu'à six fois à huit
fois plus élevés, lorsque l'on considère des services particuliers comme la
location de liaisons spécialisées.
Ces tarifs élevés, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers
collègues, rendent notre marché particulièrement vulnérable à une concurrence
étrangère, concurrence qu'aucun moyen juridique ne peut entraver et que les
progrès technologiques des prochaines années ne peuvent qu'accélérer.
A titre d'exemple, une communication téléphonique d'une minute entre Paris et
Biarritz est facturée à 2,22 francs TTC par France Télécom. Si vous faites
appel à des sociétés de
call back
- permettez-moi de vous faire
remarquer que je préfère l'expression française « rappelez-moi », qui signifie
la même chose, mais qui est moins usuelle dans le langage courant - elles
proposent des tarifs aux alentours de 1,82 franc pour la même communication
sans passer par le monopole de France Télécom, ce qui correspond à 30 p. 100 de
moins.
Par ailleurs, des pages de télécopie, par exemple, pour une liaison entre
Brest et Strasbourg qui durerait trois minutes, seraient facturées 5,93 francs
TTC par France Télécom, sans compter l'abonnement, alors que sur Internet ces
mêmes pages peuvent être transmises par courrier électronique pour le coût
d'une communication locale, soit 1,48 franc TTC les trois minutes, c'est-à-dire
quatre fois moins cher.
Voilà ce qui existe aujourd'hui ! Voilà la réalité à laquelle il faut faire
face et dans laquelle il faut se positionner pour demain !
Rappelons que les tarifs professionnels dans les pays ouverts à la concurrence
ont baissé entre 1990 et 1994 de 8,6 p. 100 tandis qu'ils baissaient seulement
de 3,1 p. 100 dans l'ensemble des pays ayant conservé le monopole.
Rappelons aussi que les tarifs résidentiels dans les pays ouverts à la
concurrence ont baissé de 3,1 p. 100 entre 1990 et 1994, alors que, au
contraire, dans les pays ayant conservé le monopole du service téléphonique,
les mêmes tarifs résidentiels ont augmenté de 8,7 p. 100 sur la même
période.
Ces exemples illustrent, monsieur le président, monsieur le ministre, mes
chers collègues, la nécessité de baisser les tarifs des télécommunications qui,
sous le régime du monopole, ont été maintenus à un nivreau particulièrement
élevé.
Il faut rappeler qu'il y aura aussi une amélioration de la qualité des
services et une augmentation du nombre de ceux-ci.
En effet, la baisse des prix n'est pas uniquement une nécessité pour faire
face aux différentes formes de concurrence qui se développent sur ce marché.
Nous en attendons également une hausse de la consommation avec, notamment,
l'émergence, de nouveaux services et aussi une meilleure utilisation des
infrastructures existantes. Ces infrastructures doivent ainsi pouvoir
contribuer davantage au développement des régions, grâce, par exemple, au
télétravail, au télé-enseignement, véritables atouts en terme d'aménagement du
territoire.
Là encore, du point de vue de l'aménagement du territoire, nous ne pouvons que
souligner le handicap que représentent jusqu'à présent les tarifs trop
élevés.
Il faut en particulier constater que les télécommunications représentent, dans
les pays qui ont conservé le monopole, une part du produit intérieur brut
inférieure à celle que l'on constate dans les pays qui ont d'ores et déjà
procédé à la libéralisation de ce secteur. Ainsi, les télécommunications
représentent 1,6 p. 100 en France contre 2,1 p. 100 au Royaume-Uni, 2,2 p. 100
aux Etats-unis et 2,4 p. 100 en Suède. Ce moindre développement du secteur se
manifeste généralement par plusieurs signes : prix plus élevés que dans les
pays cités, moindre diversité des services offerts, taux de croissance et
niveau de consommation moins élevés.
La baisse des tarifs va favoriser le développement de nouveaux services et de
l'ensemble du marché des télécommunications en France.
Grâce à cela, de nouveaux opérateurs français vont pouvoir émerger, à
l'échelle tant nationale qu'internationale, et ceux-ci seront naturellement
créateurs de nouveaux emplois. On estime que la croissance des emplois dans le
secteur des télécommunications en France serait comprise dans une fourchette de
70 000 à 135 000 emplois dans les cinq prochaines années.
Tels sont les bénéfices que l'on est en droit d'attendre de cette ouverture à
la concurrence, qui permettra à la France de continuer à occuper une place de
premier rang, sur un secteur aux dimensions de plus en plus internationales et
où, partout, les monopoles cèdent la place au dynamisme du marché.
Et l'enjeu du projet de loi sur la réglementation des télécommunications est
bien là, monsieur le ministre, mes chers collègues : faire en sorte que, dans
cet environnement international et concurrentiel, nos opérateurs nationaux
occupent demain les premiers rangs européens et mondiaux.
Ce texte a été enrichi à l'Assemblée nationale de deux avancées majeures.
Premièrement, a été introduite une date butoir pour achever la résorption du
déséquilibre tarifaire de France Télécom.
Ce déséquilibre représente à ce jour, selon l'exposé des motifs du projet de
loi qui nous est présenté, de 9 milliards à 14 milliards de francs de charge
pesant sur l'ensemble du secteur des télécommunications. Il s'agit là d'un
lourd handicap pour tous les opérateurs et il serait utile, pour permettre
l'essor attendu de l'ouverture à la concurrence, que ce déséquilibre soit
résorbé le plus rapidement possible. Il peut l'être pour les deux raisons
suivantes.
D'abord, le relèvement de 20 francs environ de l'abonnement téléphonique
qu'exige la résorption du « déficit d'accès » serait compensé par la baisse
globale des tarifs de communications.
Ensuite, des dispositions du projet de loi, dans le cadre du fonds de service
universel, permettraient, notamment aux foyers les plus démunis, de bénéficier
d'une réduction, par exemple de moitié du prix de l'abonnement. De la sorte,
les effets de la hausse de l'abonnement seraient totalement compensés par la
baisse des tarifications.
Par ailleurs, l'élimination du « déficit d'accès » contribue à assainir
l'économie entière du secteur des télécommunications, comme l'a souligné le
groupe d'experts présidé par le directeur général de l'INSEE.
En effet, on constate le poids que représente la contrainte économique du «
déficit d'accès » avec l'illustration du développement tardif du téléphone
mobile en France.
On ne peut que regretter que, au termes d'abonnés, la France, avec 2,54 p.
100, arrive derrière des pays comme l'Irlande, le Portugal, l'Espagne et la
Grèce.
On voit là combien le handicap du déséquilibre tarifaire de France Télécom,
qui a représenté jusqu'à 50 p. 100 des prix pratiqués par les opérateurs de
téléphone mobile, freine le développement dynamique de notre marché des
télécommunications. Le résorber représente donc aujourd'hui une urgente
priorité.
La résorption du « déficit d'accès » est également d'une urgente priorité pour
l'opérateur public, comme le dit d'ailleurs son président, car il se retrouve
désormais face à une concurrence qui ne manquerait pas de profiter des tarifs
trop élevés de France Télécom pour écrémer le marché interurbain et lui prendre
la place importante qu'il occupe aujourd'hui sur ce secteur et qui ne demande
qu'à se développer.
Dans l'attente de ce rééquilibrage, pour permettre le dynamisme nécessaire au
développement des nouveaux services de radiocommunications mobiles, l'Assemblée
nationale a adopté une seconde mesure sage : elle consiste à exonérer les
opérateurs nationaux de radiocommunications mobiles des versements dus au titre
du déséquilibre tarifaire.
Cette mesure ne constitue nullement un cadeau que nos collègues députés
auraient offert aux opérateurs. Elle représente simplement la juste
contrepartie du développement du trafic téléphonique qu'engendrent les
communications mobiles et représente une initiative salutaire car, en allégeant
les charges qui pèsent sur les opérateurs, elle est susceptible de permettre à
la France de rattraper son retard ; il est donc nécessaire que cette mesure ne
soit pas remise en cause au Sénat.
M. Gérard Delfau.
Merci pour elle !
M. Michel Pelchat.
Je vous en prie, mon cher collègue !
Ce retard est aujourd'hui, monsieur le président, monsieur le ministre, mes
chers collègues, vous le savez bien, dommageable à l'aménagement du
territoire.
Il convient donc de trouver un juste équilibre entre les contraintes que
subissent actuellement ces opérateurs - je pense notamment au niveau élevé des
charges d'interconnexion - les engagements que nous souhaitons leur voir
prendre et la très rapide évolution des technologies. A ce sujet, j'aurai
d'ailleurs l'occasion de défendre un amendement lors de l'examen des
articles.
Au-delà de tout cela, cette loi, monsieur le président, monsieur le ministre,
mes chers collègues, possède un caractère tout à fait original. Il en faudrait
d'autres de la même veine !
En effet, alors que tout le monde se pose de grandes questions pour favoriser
l'emploi, vous nous proposez, monsieur le ministre, une loi qui va produire
trois effets, trois effets qui, jusqu'à présent, ont toujours été jugés
contradictoires, mais qui, pour cette fois, sont complémentaires et même
s'additionnent, à savoir la création d'emplois, l'augmentation de la
consommation et les prélèvements obligatoires.
Commençons par le premier effet, la création d'emplois.
Nous l'avons vu, dans les cinq prochaines années, la croissance des emplois
dans le secteur des télécommunications devrait être comprise entre 70 000 et
135 000 emplois.
M. Guy Fischer.
C'est à prouver !
M. Michel Pelchat.
Sur le marché du téléphone mobile, notamment, la création d'emplois devrait
être très importante.
A titre d'exemple, citons le Royaume-Uni. Le bilan de l'ouverture à la
concurrence montre que l'emploi a augmenté du fait du succès grandissant de la
téléphonie mobile. En effet, dans ce pays, qui compte environ 5 millions
d'abonnés, les emplois liés directement ou indirectement à cette activité et
qui étaient au nombre de 42 000 en 1994 pourraient passer à 90 000 d'ici à l'an
2000, c'est-à-dire doubler !
J'en viens au deuxième effet, l'augmentation de la consommation.
Les études qui ont été menées en 1993 pour le ministère des
télécommunications, vous le savez, monsieur le ministre, ont montré qu'à
l'horizon 2000 le marché des télécommunications devrait, dans notre pays,
connaître une croissance de près de 7 p. 100 par an pour l'ensemble des
services, ce qui est considérable.
Enfin, le troisième effet est la réduction des prélèvements obligatoires.
Avec la mise en concurrence des opérateurs de télécommunication, on va
abaisser le coût des communications, et donc réduire les prélèvements
obligatoires. M. Larcher, dont je salue le rapport admirable, ...
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Merci !
M. Michel Pelchat.
... nous le dit bien : la baisse des tarifs « devrait favoriser l'allégement
des charges des entreprises ».
Création d'emplois, réduction des prélèvements obligatoires, augmentation de
la consommation, voilà, monsieur le ministre, un triptyque que l'on n'arrive
jamais à réaliser sans que cela coûte de l'argent public. Eh bien ! là, vous
l'avez fait, et vous êtes le premier !
Pourvu que de nombreuses lois comme celle-ci nous soient présentées, non pas
pour notre satisfaction personnelle, mais pour l'avenir de notre pays. Merci,
monsieur le ministre.
Merci, mes chers collègues, de voter cet excellent texte. Pour ce qui les
concerne, les Républicains et Indépendants le feront avec joie !
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Hérisson.
M. Pierre Hérisson.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, concilier
service public et concurrence, voilà une tâche difficile mais nécessaire. Il
nous appartient de trouver un équilibre entre ces deux réalités au bénéfice des
utilisateurs et des clients.
Je ne reviendrai pas, dans mon intervention, sur les points de détail qui ont
été très bien exprimés dans l'excellent rapport de notre collègue M. Gérard
Larcher.
Monsieur le ministre, pour nous, France Télécom, entreprise majeure, ne doit
pas, dans ce nouveau contexte, subir les aléas du marché mondial, et non plus
seulement européen, comme on veut bien le dire, sans disposer, et c'est bien là
l'essentiel pour sa pérennité, des armes indispensables à l'ouverture à la
concurrence.
Il ne s'agit en aucun cas de démanteler l'opérateur national. L'adaptation
sera le gage de son avenir et non pas seulement de sa survie. Je crois que le
changement de statut doit être accompagné d'un changement de culture. Il faudra
bien qu'il se traduise en termes de maintien d'emplois, mais aussi de créations
d'emplois. En fait, il aura comme conséquence d'amener sur le marché de la
concurrence une entreprise comme les autres.
A ce propos, monsieur le ministre, j'aurai l'occasion de défendre un
amendement qui permettra, je l'espère, à cette entreprise redevenue une
entreprise normale de s'acquitter de sa taxe professionnelle au profit des
collectivités locales, comme cela devrait être le cas aujourd'hui, j'en profite
pour vous le rappeler, monsieur le ministre.
Si vous pouviez nous donner l'assurance, au moment où M. le Premier ministre
s'est engagé à procéder à une réforme de la taxe professionnelle, que ce
problème sera réglé à l'occasion de ce projet de loi, ce serait un gage de la
volonté du Gouvernement de revoir notre fiscalité.
Le projet de loi que vous nous soumettez définit clairement la notion de
service public. Il se place dans une perspective d'évolution et d'adaptation
conformes aux principes fondamentaux constituant le coeur même de la notion
d'un service public.
Celui-ci ne devrait-il pas, tout simplement, rechercher la satisfaction de la
clientèle, et c'est bien là l'essentiel pour une entreprise sur le marché de la
concurrence ? « Le client est le personnage le plus important de l'entreprise
», cela a été dit avant moi, mais mérite d'être répété.
Notre service public ne peut pas ignorer l'Europe ; c'est bien là toute la
question.
Nous assistons à l'éclosion d'un nouveau concept : le service universel, qui
pourrait devenir une sorte de service public européen. Sa définition s'appuie
sur quatre éléments : couvrir des besoins vitaux et fondamentaux ; être
accessible à tous ; fournir des prestations abordables ; fournir des
prestations de qualité.
On pourra objecter que le service universel n'est pas public et que ses points
d'application envisagés - énergie, télécommunications, services postaux -
doivent s'entendre dans un environnement concurrentiel.
A quoi l'on peut rétorquer que, si le service universel n'est pas
obligatoirement public, il peut l'être parce que sa finalité première est
d'être un instrument de cohésion sociale.
Si le développement futur de l'Union européenne accorde une priorité aux
préoccupations sociales et à une amélioration de l'harmonie sociale, rien
n'interdit de penser que, par affinements successifs, service public et service
universel finiront par se ressembler. Le service public à la française est
aujourd'hui un bon article d'exportation qui justifie que l'on s'y attarde.
La qualité du service universel exige une observation attentive de l'évolution
des comportements et des besoins des usagers.
Il est de l'intérêt public de préparer notre économie aux nouvelles conditions
du marché par un rééquilibrage des tarifs du service du téléphone, tout en
respectant les exigences de l'aménagement du territoire.
Si, à l'heure de l'ouverture à la concurrence, c'est-à-dire au 1er janvier
1998, il apparaît que l'équilibre économique et financier du service universel
ne pourra être atteint en raison des règles imposées aux opérateurs autorisés,
il sera alors indispensable de simplifier et de limiter dans le temps les
mesures visant à compenser une charge plaçant France Télécom dans une situation
inégale.
Dans le cadre du monopole, la loi avait confié à la commission supérieure du
service public des postes et télécommunications, à laquelle j'ai l'honneur
d'appartenir, le soin de cette mission. Le projet de loi que nous examinons la
maintient tout naturellement dans un marché ouvert. Cette commission, par sa
composition, doit apporter les garanties d'expertise et de neutralité
suffisantes et demeurer ainsi une sorte de « conscience du service public ».
J'ai déposé un amendement visant à accroître la représentation du Parlement au
sein de la commission supérieure du service public des postes et
télécommunications, afin d'assurer la parité entre les deux chambres, qui
seront représentées, chacune, par sept membres.
Le monde est bel et bien devenu un village planétaire : ce projet de loi
scelle la convergence entre les télécommunications, l'informatique et les
médias électroniques.
Le secteur des télécommunications est certainement l'un des rares secteurs
dont la croissance est plus que prometteuse. En dix ans, le trafic mondial a
été multiplié par 2,5. Dans moins de cinq ans, plus de 800 millions de lignes
auront été installées sur l'ensemble du globe.
Si la transmission de la voix représente et représentera encore 80 p. 100 des
recettes, il ne faut pas négliger la forte demande de transmission de données
aux entreprises qui s'installe de manière de plus en plus évidente.
La France a, dans le domaine des technologies de transmission des données, des
images et du son, une avance importante. Elle est en mesure de jouer un grand
rôle.
Nous ne devons à aucun moment refaire l'erreur que nous avons commise avec le
cinéma. Nous avons laissé aux Américains le soin de traduire en une industrie
prospère l'idée géniale des frères Lumière. Ne laissons pas l'industrie des
nouvelles technologies de l'information aux mains monopolistiques des
Américains, sous le seul prétexte qu'ils sont à l'origine de la création
d'Internet.
Nous ne sommes pas dépourvus d'atouts. Cinquante ans après sa création, le
CNET - le Centre national d'études des télécommunications - peut se vanter
d'être l'un des principaux centres de recherche mondiale. Il peut également
être fier d'avoir lancé très tôt des programmes de recherche dans le domaine de
la télétransmission, de la transmission et de la commutation numérique. Cette
démarche originale a permis de gagner une génération de matériel et, surtout,
de passer d'une position de « retardataire » à une position de pointe, si ce
n'est de leader.
Le CNET doit désormais s'adapter à un nouveau contexte. Pour autant, il doit
pouvoir poursuivre la voie engagée et demeurer un laboratoire performant dans
une entreprise appelée à être déréglementée.
Aujourd'hui, tous les exploitants sont conscients de l'importance du marché
des liaisons spécialisées. Les alliances sont, en ce domaine, fondamentales
pour proposer à une clientèle stratégique mondiale les services qu'elle attend.
France Télécom, avec ses partenaires de demain, disposent de grands atouts sur
ce créneau qu'il convient d'exploiter sans tarder.
Il sera alors temps de définir des règles relatives aux nouveaux services
ouverts au public, notamment dans le domaine du multimédia. Ainsi
conviendra-t-il de clarifier la répartition des compétences entre l'autorité de
régulation des télécommunications et le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Ce projet de loi qui vise à réglementer les télécommunications permet surtout
de prévoir plus facilement quel sera l'avenir de la future société France
Télécom.
L'usager consommateur du service public n'est pas encore devenu roi, mais il
n'est plus un quelconque sujet. Il s'agit d'une évolution spectaculaire, que
mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même approuvons totalement.
C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous voterons le projet de loi qui nous
est soumis.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et
Indépendants et du RPR.)
M. le président.
La parole est à M. Saunier.
M. Claude Saunier.
Avant de développer mon argumentation, je voudrais vous dire, monsieur le
ministre, dans quel état d'esprit j'aborde personnellement, tout comme un
certain nombre de mes collègues, ce débat. Nous ne l'abordons pas avec la
frilosité de parlementaires soucieux de défendre des droits acquis, de
maintenir un ordre établi et de pratiquer une obstruction inspirée
essentiellement par l'immobilisme et le conservatisme. Non, monsieur le
ministre, nous l'abordons, les uns et les autres, avec la passion de ceux qui
ont mesuré l'importance de la révolution technologique, économique et
culturelle majeure qui éclate littéralement sous nos yeux.
Nous l'abordons aussi - je le dis avec regret - en constatant que notre
société, en particulier la classe politique, n'a peut-être pas, au cours de ces
dernières années, accordé suffisamment d'intérêt à la réflexion collective sur
ce qui est le creuset du monde de demain.
Je l'aborde enfin avec un esprit qui tente, depuis quelques années, de
comprendre le sens de ce qui se prépare sous nos yeux, avec une curiosité
permanente sur l'innovation, avec une sorte de fascination sur le génie
inventif de l'humanité, qui s'exprime au travers de ce que nous découvrons
chaque jour, mais aussi avec lucidité et perplexité devant ce que la seule
technologie nous apporte de meilleur et de pire.
Si j'évoque très librement cet état d'esprit, c'est non pas évidemment pour
étaler des impressions personnelles, mais parce que je sais que cette approche
est largement partagée par un grand nombre de nos collègues sur les différents
bancs de notre assemblée.
Monsieur le ministre, c'est au nom de cette passion, au nom de cette
conviction que je vous livre mes impressions quasiment au terme de ce débat et
non pas à la lumière de je ne sais quelle lampe à huile que l'on a évoquée
voilà quelques instants.
Monsieur le ministre, nous ne sommes pas favorables à votre proposition.
Nous ne le sommes pas, d'abord parce que vous avez utilisé une méthode
contestable. Hier, ici même, vous nous avez présenté votre projet de loi comme
un texte uniquement technique, guidé par les circonstances, en un mot
anodin.
M. François Fillon,
ministre délégué à la poste, aux télécommunications et à l'espace.
J'ai
dit le contraire !
M. Claude Saunier.
Ce n'est pas la première fois, monsieur le ministre...
M. François Fillon
ministre délégué.
J'ai dit qu'il s'agissait d'une réforme historique !
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Il ne vous a pas écouté !
M. Claude Saunier.
Nous avons déjà eu l'occasion d'entendre des propos de même nature, ici même,
voilà quelques semaines.
Ainsi, le texte qui nous est soumis, sous une apparence de grande complexité
technique, est en fait un texte éminemment politique. Il l'est par ses
origines. Il l'est par son inspiration. Il l'est par les conséquences
considérables que son application entraînerait dans la vie de nos concitoyens,
pour le développement des entreprises et pour l'avenir de la nation.
Or nous constatons en fait un véritable décalage, voire un grand écart, entre
l'importance du sujet abordé et la présentation, presque anodine, de
dispositions techniques.
Cela relève d'une méthode législative que nous contestons, monsieur le
ministre et qui soulève un certain nombre de questions, questions qui ont
également été posées par vos propres amis politiques.
En effet, en quelques mois, le Parlement a été invité à se prononcer sur une
série de textes qui, tous, sont présentés comme des mesures techniques de
circonstances.
Ainsi, le 20 février nous avons examiné un texte autorisant les
expérimentations. Ayant participé au débat, j'ai le souvenir de la façon dont
vous l'avez abordé vous-même.
Cette semaine, nous discutons de la future réglementation des
télécommunications.
La semaine prochaine, nous débattrons du statut de France Télécom.
Hier soir, monsieur le ministre, vous nous avez annoncé l'intention du
Gouvernement de définir quelques règles de déontologie, en effet
indispensables, pour l'exploitation d'Internet.
Enfin, dans quelques semaines, c'est le chantier de la télévision numérique
que nous allons ouvrir.
En un mot, alors que le secteur des télécommunications entre dans une phase
radicalement nouvelle de son histoire, alors que notre société dépend de plus
en plus de ces nouvelles technologies, qu'il s'agisse d'aménagement du
territoire, de formation, de culture, d'économie, le Gouvernement refuse, de
fait, d'organiser le grand débat parlementaire qu'exige l'ampleur du sujet.
Le débat que nous venons d'avoir depuis hier soir témoigne de cette
contradiction entre l'affichage purement technique et le véritable enjeu de ce
projet de loi.
A l'évidence - et c'est, je crois, un point de vue assez largement partagé -
le Gouvernement n'a pas saisi l'opportunité d'un grand débat d'intérêt
national. Il a choisi, excusez-moi l'expression, le bricolage législatif. Il
navigue à vue, sans stratégie.
C'est donc, d'abord, sur le plan de la méthode que nous contestons
formellement votre projet de loi. Mais nous le contestons, bien entendu aussi,
sur le fond, sur son contenu, que nous considérons comme dangereux.
Vous justifiez votre texte par des impératifs européens. L'explication est un
peu courte !
Le calendrier européen n'imposait nullement la hâte avec laquelle vous nous
proposez la dérégulation, puisque le rendez-vous est fixé au 1er janvier
1998.
Ce délai aurait pu permettre à la France d'ouvrir, au sein de l'Europe, le
grand débat politique qu'exigerait un tel sujet. Pourquoi tant de hâte ?
En réalité, nous avons la réponse. Nous l'avons entendue ici même. Cette hâte
traduit une attitude de soumission à la logique libérale, qui constitue
l'idéologie de référence du projet de loi.
Il est permis de s'interroger sur les grandes déclarations relatives auservice
public à la française faites par les voix les plus autorisées de l'Etat alors
que, dans le même temps, nous assistons au démantèlement systématique de ce
service public.
Nous ne sommes pas loin, j'ai le regret de le dire, du double langage.
Alors, on invoque des raisons techniques, et ces arguments méritent, en effet,
d'être examinés attentivement.
On nous dit que le monopole actuel de France Télécom tombera de toute façon
très rapidement, du fait de la mise en place de nouveaux services portés par la
conjonction du numérique et des constellations de satellites à orbite basse,
par exemple.
Il s'agit effectivement là d'une donnée technique dont j'ai eu l'occasion,
voilà quelques jours, de vérifier la réalité, avec quelques-uns de mes
collègues, M. Trégouët en particulier, au CNES, chez Matra Space et chez
Alcatel Space. Nous avons vu ce que les ingénieurs et les techniciens étaient
en train de nous préparer : une nouvelle révolution, un nouveau bouleversement,
dont il faut tenir compte.
Fallait-il pour autant, par l'organisation de la dérégulation dans les
services existants, prendre le risque de déstabiliser l'opérateur public
français ?
Fallait-il introduire le loup dans la bergerie, par l'ouverture massive des
services classiques à des groupes privés de taille internationale ?
Sur ce point, ni vos arguments, monsieur le ministre, ni ceux du rapporteur de
la commission, M. Gérard Larcher, ne nous ont convaincus, c'est le moins que
l'on puisse dire !
M. Robert Pagès.
Très bien !
M. Claude Saunier.
J'en viens à ce que je considère comme la déstabilisation d'un bon service.
Nous aurions pu être un peu plus sensibles aux vertus de l'ouverture à la
concurrence si notre opérateur public avait été mauvais ; après tout, il s'agit
de l'intérêt national ! Si France Télécom avait fait preuve d'immobilisme, de
mauvaise gestion ou d'incapacité à innover, on aurait pu, en effet, se poser la
question.
Or tel n'est pas le cas. D'ailleurs, dans les propos de tous les orateurs, à
quelque groupe qu'ils appartiennent, comme dans les vôtres, monsieur le
ministre, ce ne sont qu'éloges sur l'efficacité technique et commerciale de
notre opérateur public.
Alors, encore une fois, pourquoi en organiser la déstabilisation ? Et dans
l'intérêt de qui ?
M. Gérard Delfau.
Très bien !
M. Claude Saunier.
S'agissant de l'aménagement du territoire, les témoignages, les
interrogations, les souhaits ont été nombreux au cours du débat, et pas
seulement sur les travées de l'opposition. Vous y répondez par le principe du
service public universel. Fort bien, mais tel que celui-ci est aujourd'hui
entendu, la réponse est un peu courte !
On a parlé du « RMI du téléphone ». La formule est cruelle, mais éloquente.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Elle est facile !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Elle est surtout cruelle pour son auteur !
M. Claude Saunier.
Le service universel tel que vous nous le présentez est en effet bien maigre
pour entrer de plain-pied dans la société de l'information que l'on nous
annonce en respectant les principes de l'égalité républicaine.
Concrètement, on le sait, les entreprises, y compris les plus petites, vont,
demain, consommer non pas de la téléphonie vocale mais, massivement, des
capacités de transport d'information.
La dérégulation qui nous est proposée, parce qu'elle est intrinsèquement
fondée sur une vision financière pour les opérateurs qui vont s'emparer des
nouveaux réseaux, ne peut manquer depénaliser lourdement les zones rurales et
les régions excentrées.
Des collègues ont, par ailleurs, bien mis en relief les conséquences de la
dérégulation sur la tarification et sur l'emploi, en particulier à la lumière
des expériences étrangères.
S'agissant de l'emploi, nous devrons faire preuve de beaucoup de
circonspection pour apprécier avec justesse les effets du bouleversement
technique et organisationnel qui nous attend.
A plusieurs reprises, on a évoqué les grands talents des ingénieurs du CNET.
Je voudrais justement, avant de conclure, vous interroger, monsieur le
ministre, sur l'avenir de la recherche et de la formation à France Télécom.
La seule logique financière que l'Etat impose à son grand opérateur dispense
celui-ci de missions d'intérêt général comme la recherche et la formation.
Puisqu'on lui impose de faire de l'argent, sa mission n'est plus ni de chercher
ni de former.
On sait pourtant que notre avenir collectif, notre avenir national, se joue
pour une part dans les laboratoires du CNET ou du CCETT, le centre commun
d'études de télédiffusion et de télécommunications.
Nous souhaiterions savoir précisément quelles sont, sur ce point, les
intentions du Gouvernement.
Vous l'avez deviné, monsieur le ministre, notre opposition au projet que vous
nous soumettez est déterminée.
Cette opposition tient autant à l'approche et à la méthode que vous avez
retenues qu'au contenu d'un texte qui organise la dérégulation, autant aux
multiples conséquences négatives de ce choix pour la nation qu'à la nature
idéologique profonde de cette option.
Je le dis très clairement : notre position n'a rien à voir avec un quelconque
conservatisme. Nous mesurons comme vous les enjeux technologiques, économiques
culturels et sociaux, enjeux considérables, qui se profilent derrière des
questions apparemment techniques. C'est précisément pour cela que nous vous
demandons de revoir votre méthode et votre projet de loi.
Monsieur le ministre, il s'agit d'un enjeu majeur pour notre pays. Ne
continuez pas à jouer à la roulette russe avec l'avenir de la nation !
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Robert Pagès applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Lagourgue.
M. Pierre Lagourgue.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 1er
janvier 1998, le secteur des télécommunications sera ouvert à la
concurrence.
La fin du monopole de l'Etat résulte, certes, des engagements européens de la
France mais aussi et surtout de l'évolution technologique qui, développant
chaque jour davantage les possibilités offertes par les communications
satellitaires ou par les réseaux hertziens, a rendu nécessaire la
libéralisation du marché, de manière que les attentes du public soient mieux
satisfaites et que la compétitivité de nos entreprises soit renforcée dans ce
domaine.
Cette étape se trouve franchie avec ce projet de loi qui fixe les règles du
jeu appelées à s'appliquer à partir de 1998.
L'intitulé du projet indique bien qu'il s'agit de définir les conditions
d'exercice d'un service public des télécommunications dans un secteur qui sera
ouvert à la concurrence.
Fort heureusement, France Télécom est confirmé dans sa vocation d'entreprise
de service public puisqu'il est nommément désigné comme l'opérateur du «
service universel des télécommunications », c'est-à-dire celui qui est chargé
de fournir à tous un service téléphonique de qualité et à un prix abordable.
En l'état actuel, seul France Télécom est capable d'assurer, dans sa totalité
et sur l'ensemble du territoire, la prise en charge de ce service universel des
télécommunications, dont le cahier des charges détermine notamment, aux termes
de l'article L. 35-2 du code des postes et télécommunications, « les
obligations tarifaires nécessaires, d'une part, pour permettre l'accès au
service de toutes les catégories sociales de la population et, d'autre part,
pour éviter une discrimination fondée sur la localisation géographique ».
Ce dernier point m'amène directement à l'objet principal de mon propos : la
tarification des communications dans les départements d'outre-mer.
La discrimination fondée sur la localisation géographique existe encore, hélas
! à l'encontre de l'outre-mer, bien que, techniquement, elle ne se justifie
plus. En effet, l'utilisation des satellites a quasiment aboli le coût lié à la
distance, comme l'a reconnu le rapport de l'inspection générale des
télécommunications que vous m'avez communiqué, monsieur le ministre.
Permettez-moi de citer brièvement quelques extraits des conclusions de ce
rapport, qui portait sur « l'offre de services et la tarification dans les
départements d'outre-mer » :
« Le constat que nous avons fait est que le tarif des communications entre la
métropole et la Réunion est élevé, trop élevé, si l'on se réfère aux tarifs
internationaux et aux tendances tarifaires dans lesquelles la chute des coûts
de la transmission conduit à tenir de moins en moins compte de la distance.
« Dans un contexte de libéralisation des télécommunications, des offres
alternatives et concurrentes à celles de France Télécom ne manqueront pas
d'apparaître si une nouvelle stratégie n'est pas fixée par et pour France
Télécom à l'horizon de 1998.
« S'il est une partie du territoire national où la notion de "service
universel" a un sens, c'est bien dans les DOM, plus que partout ailleurs,
et la Réunion n'y fait pas exception. »
Certes, plusieurs baisses tarifaires sont intervenues à la suite de mes
interventions, et je saisis cette occasion pour vous en remercier, monsieur le
ministre. Cependant, les tarifs des communications interurbaines et
internationales demeurent élevés.
Ainsi, certaines communications internationales coûtent plus cher à partir de
la Réunion qu'à partir de l'île Maurice. De même, les communications entre la
métropole et la Réunion sont souvent plus coûteuses que les communications
internationales.
Je ne défends pas aveuglément la position de France Télécom, car la
libéralisation du secteur des télécommunications est réalisée avant tout dans
l'intérêt des consommateurs, qui attendent, à juste titre, une baisse des
tarifs. Mais je trouverais regrettable que France Télécom, par un comportement
malthusien, que nous avons rencontré chez d'autres sociétés de service public,
ne se donne pas les moyens de conserver la place excellente qui est la sienne
parmi les opérateurs mondiaux. En tout cas, je souhaite que cette place soit
maintenue.
Je tenais simplement, monsieur le ministre, à attirer votre attention sur la
nécessité absolue de poursuivre et même d'accélérer la politique d'alignement
des tarifs téléphoniques, afin que cet alignement soit achevé avant l'échéance
de 1998, faute de quoi les départements d'outre-mer risqueraient fort de
s'adresser à d'autres opérateurs, ce qui serait vraiment regrettable. Je
rappelle d'ailleurs que cet alignement avait fait l'objet d'un engagement de la
part de M. Jacques Chirac lors de la campagne pour l'élection
présidentielle.
Je crains en effet que, du fait de l'irruption de la concurrence, les liaisons
avec les DOM n'échappent à l'opérateur public. Je serais le premier à le
regretter.
Le président de France Télécom a estimé que ce projet de réglementation des
télécommunications contenait de très bonnes dispositions qui permettront à ce
secteur de s'intégrer parfaitement dans son environnement mondial.
C'est en tout cas avec cette conviction que je voterai ce texte.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des
Républicains et des Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. François Fillon,
ministre délégué.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. François Fillon,
ministre délégué.
Je voudrais tenter de répondre aux très nombreuses
questions qui ont été posées par les différents orateurs au cours de ce débat
extrêmement riche, qui avait, il est vrai, été ouvert par un rapport de très
grande qualité, présenté par M. Gérard Larcher.
Je m'adresserai d'abord à M. Saunier, à propos de la méthode. Je ne sais pas
si, hier soir, vous m'avez écouté ; en tout cas, je suis certain que vous ne
m'avez pas entendu.
M. Claude Saunier.
Vous ne m'avez pas convaincu !
M. François Fillon,
ministre délégué.
J'ai essayé, tout au long de la présentation de ce
texte, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, d'en souligner le caractère
essentiel ; j'ai même utilisé, de manière peut-être un peu excessive, le mot
d'« historique ». Je n'ai donc jamais tenté de présenter ce projet de loi comme
anodin. J'ai, au contraire, pris soin de montrer qu'il constituait un tournant
considérable dans l'histoire des télécommunications françaises, puisqu'il tend
à mettre fin au monopole de l'Etat en matière de téléphonie.
J'ai veillé à ce que ce texte fasse l'objet d'une consultation publique très
large. Organisée par la direction générale des postes et télécommunications,
elle a duré près d'une année. Jamais une telle consultation n'avait été
organisée sur un sujet comme celui-là. Elle a ainsi permis à tous les acteurs
du secteur des télécommunications de s'exprimer.
Enfin, j'ai veillé à ce que ce texte soit négocié - j'emploie ce terme à
dessein - avec les organisations syndicales qui l'ont souhaité.
Je tiens à vous faire remarquer, à ce propos, qu'une seule organisation
syndicale - il faut lui rendre cet hommage - s'est opposée au projet de loi de
réglementation des télécommunications. Elle avait d'ailleurs, en avril dernier,
appelé à la grève les personnels concernés. Il n'en va pas de même pour le
changement de statut de France Télécom, dont nous débattrons prochainement.
J'en viens aux questions qui ont été soulevées au cours de ce débat.
MM. Trucy et Hoeffel ont tout d'abord évoqué la portabilité des numéros,
c'est-à-dire la possibilité donnée aux usagers de conserver tout au long de
leur existence leur numéro de téléphone, qu'ils changent de domicile ou
d'opérateur. Voilà qui permet de faciliter l'ouverture à la concurrence.
La portabilité des numéros, qui est une disposition très importante, sera mise
en oeuvre en deux phases pour des raisons qui sont essentiellement d'ordre
technique.
Lors de la première phase, qui s'étendra entre 1998 et l'an 2000, la
portabilité sera autorisée en cas de changement d'opérateurs mais non en cas de
changement de domicile. Cette portabilité sera fondée
a priori
sur la
technologie du transfert d'appel sous réserve que, d'ici là, une autre
technologie plus efficace ne se développe. Les coûts de cette première phase
seront entièrement supportés par le nouvel opérateur choisi par l'abonné qui
souhaitera avoir accès à la portabilité.
Dans une deuxième phase, à partir de 2001, lorsque les ingénieurs et les
techniciens auront mis au point les logiciels permettant d'adapter les
terminaux à cette portabilité des numéros, cette dernière sera généralisée.
Elle sera fondée sur ce qu'on appelle « la technologie des réseaux intelligents
» et son coût sera négligeable puisque cette technologie sera intégrée dans la
conception des futurs réseaux et des futurs centraux.
M. Trucy a évoqué les critères qui permettront de déterminer les catégories
spécifiques susceptibles de bénéficier d'un tarif privilégié. Ces critères ne
sont pas aujourd'hui précisément arrêtés, mais je puis d'ores et déjà indiquer
qu'ils reposeront sur des conditions de ressources et sur l'existence de
handicaps.
Nous voulons corriger les inconvénients de l'actuel tarif appliqué par France
Télécom aux abonnés ayant peu de communications. En effet, attribué sans
condition de ressources, ce tarif était surtout avantageux pour les
propriétaires de résidences secondaires. Tel n'était pas l'objectif recherché à
l'origine par l'opérateur.
MM. Trucy, Hérisson et Saunier se sont interrogés à la fois sur l'avenir de la
recherche, notamment du CNET, et sur celui de l'enseignement supérieur.
S'agissant du CNET, je tiens à rassurer le Sénat, en particulier ceux d'entre
vous qui ont évoqué cette question. Le CNET est et restera l'organisme de
recherche et de développement de France Télécom. D'ailleurs, l'essentiel de son
activité est aujourd'hui lié à la stratégie de l'opérateur et ses équipes
demeureront au sein de l'entreprise.
De même, France Télécom restera dans les mains de l'Etat puisque celui-ci
conservera 51 p. 100 du capital et continuera de faire l'objet d'un contrat de
plan, dans lequel seront reconduites ses actuelles obligations en matière de
recherche.
Parallèlement, la loi prévoit que les missions de recherche publique dans le
domaine des télécommunications, c'est-à-dire celles qui, au fond, ne relèveront
plus de l'opérateur, seront exercées par l'Etat ou pour le compte de celui-ci
et sous sa responsabilité, dans le cadre de contrats qui préciseront les
programmes et les moyens de financement.
Le CNET pourra naturellement être partie prenante dans cette recherche
publique au côté d'autres organismes, tels que l'Institut national de recherche
en informatique et en automatique, l'INRIA, les laboratoires universitaires, le
CNRS et certains laboratoires industriels.
S'agissant de l'enseignement supérieur, les choses doivent être très claires.
L'enseignement supérieur relèvera exclusivement de la responsabilité de l'Etat
si le Sénat, après l'Assemblée nationale, vote le projet de loi qui lui est
soumis.
J'ai confié à l'inspection générale des finances et à l'inspection générale
des postes et télécommunications une mission sur la future organisation du
service public de l'enseignement supérieur des télécommunications.
Cette mission, qui s'est achevée, a permis de préciser les charges financières
afférentes à cette mission de service public. Je puis donc vous préciser que
les écoles seront organisées en un établissement public administratif qui sera
placé sous la tutelle du ministre chargé des télécommunications. Chacune de ces
écoles sera, en outre, dotée de l'autonomie nécessaire à l'accomplissement de
ses missions.
En outre, la loi prévoit explicitement que le financement de l'enseignement
supérieur, à compter de l'exercice budgétaire de 1997, sera assuré par l'Etat.
Celui-ci veillera à ce que les crédits octroyés garantissent la haute qualité
de l'enseignement dispensé.
Enfin, les personnels participant à ces missions seront mis à la disposition
de l'établissement public. M. Trucy s'est inquiété de l'application du droit de
la concurrence au secteur des télécommunications. Il s'est demandé si nous
n'étions pas en train de développer un droit spécifique de la concurrence en ce
domaine.
Je veux, sur ce point, vous rassurer, monsieur le sénateur. Un droit
spécifique ne sera pas créé. Il sera simplement fait application du droit
général de la concurrence. Celui-ci s'appliquera pleinement et aucune autorité
responsable de son élaboration ou du contrôle de son application ne sera
dessaisie.
L'autorité de régulation n'a pas pour mission de définir un droit sectoriel de
la concurrence. Elle aura cependant la faculté de saisir le conseil de la
concurrence, pour avis ou au contentieux, si elle a un doute sur le respect des
règles de la concurrence.
A court terme, il faudra veiller à développer la concurrence et le marché
mais, à long terme, cet objectif deviendra moins essentiel.
M. Trucy s'est également inquiété de la non-fixation par la loi des coûts
d'interconnexion. Celle-ci précise effectivement qu'ils seront déterminés par
un décret d'application. La loi, comme le prévoit la Constitution, pose un
principe général. Elle précise que, pour les exploitants qui devront publier
leurs tarifs d'interconnexion, ces tarifs devront rémunérer l'usage effectif du
réseau de transport et de desserte et refléter les coûts correspondants.
Elle prévoit, ensuite, qu'un décret déterminera plus précisément les principes
de tarification auxquels les accords d'interconnexion devront satisfaire.
Enfin, l'autorité de régulation veillera au respect des règles générales
fixées par l'Etat.
Vous comprendrez bien, monsieur Trucy, qu'il n'était pas possible de trancher,
dans la loi, des questions économiques complexes, telles que les calculs de
coûts à long terme.
M. René Trégouët s'est inquiété du raccordement des écoles aux autoroutes de
l'information et aux nouveaux réseaux. Ce point constitue effectivement - et
nous avons souvent eu l'occasion d'en parler ensemble - une priorité pour le
Gouvernement.
Je soutiens donc pleinement la proposition de M. le rapporteur et de M.
Trégouët tendant à faire préciser, par le schéma sectoriel des
télécommunications prévu par la loi d'orientation pour l'aménagement et le
développement du territoire du 4 février 1995, les moyens qui permettent
d'assurer à ces établissements un accès préférentiel à ces services.
Je vous rappelle d'ailleurs que j'ai déjà pris un certain nombre de décisions
en ce domaine, notamment à l'occasion d'une communication en conseil des
ministres en mars dernier. Il s'agit de mettre en réseau, d'ici à la fin de
1996, via le réseau national de recherche Renater, 700 établissements
d'enseignement secondaire répartis dans treize académies et de permettre
l'accès de tous les collèges et lycées de France au réseau Numéris pour le coût
d'une ligne téléphonique classique.
M. Trégouët a également posé le problème de l'inclusion de l'accès au RNIS et
à la téléphonie mobile dans le service universel. Nous aurons l'occasion de
revenir sur ce sujet lors de l'examen des articles, mais j'indique d'ores et
déjà que nous avons choisi d'inclure l'accès au RNIS parmi les services
obligatoires, c'est-à-dire parmi ceux qui seront disponibles, comme
aujourd'hui, sur l'ensemble du territoire et dans le respect des principes du
service public.
Cette proposition répond, me semble-t-il, à vos interrogations, monsieur
Trégouët, puisque toutes les entreprises, qui étaient visées dans votre
question, pourront avoir accès à ce service au même coût si elles sont placées
dans des conditions identiques. En effet, le principe de l'égalité du service
public sera respecté. Ainsi, à structure de communications identique, une
entreprise accédera à un service au même coût, qu'elle soit située à Paris ou à
Brive-la-Gaillarde.
J'avais moi-même envisagé d'inclure le RNIS dans le service universel, mais
j'y ai renoncé pour deux raisons. D'abord, l'offre de services, sur le RNIS est
aujourd'hui, il faut bien le reconnaître, encore réduite. Je souhaite que cette
situation évolue, mais, pour l'instant, c'est la réalité.
Ensuite, l'inclusion du RNIS dans le service universel reviendrait au fond à
forcer France Télécom à pratiquer des tarifs abordables pour toutes les
catégories d'utilisateurs, y compris les particuliers. En réalité, cette mesure
reviendrait donc à subventionner massivement le RNIS, puisque c'est là la
différence essentielle entre les services obligatoires et le service
universel.
Je préfère, pour ma part, en rester à la démarche du Gouvernement, qui est, me
semble-t-il, ambitieuse, et qui permet de répondre aux besoins des entreprises
et d'amortir progressivement les investissements réalisés sur le RNIS, en
créant ainsi une baisse progressive des tarifs d'accès à ce réseau. C'est ainsi
qu'il faut, à mon sens, préparer l'élargissement futur du service universel. Je
souhaite que nous puissions ensemble, au cours de ce débat, éclaircir ce
point.
Quant à l'inclusion du téléphone mobile dans le service universel, là aussi,
je comprends la logique qui sous-tend votre proposition. Le service public
intégrera un jour la téléphonie mobile, mais après cette phase
d'investissements lourds, nécessaire pour développer les réseaux mobiles, dans
laquelle nous sommes encore aujourd'hui.
Au préalable, il faut tenir compte du développement des nouvelles
technologies, telles que la téléphonie mobile satellitaire. Vous avez, d'une
certaine manière, opposé celle-ci aux dispositifs existants aujourd'hui. Vous
avez craint une sorte de concurrence entre ces deux technologies.
Cette technologie constitue une chance formidable en termes d'aménagement du
territoire, puisqu'elle permettra de desservir les zones les plus reculées à
moindre coût. Elle constitue également une chance pour nos opérateurs puisque,
comme vous le savez, France Télécom et Alcatel participent aujourd'hui au
projet Global Star qui permettra la mise en oeuvre de ce service de téléphone
mondial.
Votre proposition, si je l'ai bien comprise, présenterait un double effet
pervers. D'une part, elle ne ferait peser de très lourdes charges
d'investissement que sur France Télécom, alors que, dans ce secteur, c'est le
développement de la concurrence qui doit permettre d'atteindre l'objectif
recherché, au besoin en l'y incitant un peu, comme le propose M. le
rapporteur.
D'autre part, votre proposition aboutirait probablement à privilégier des
technologies moins coûteuses en investissement que la technologie numérique,
mais obsolètes ou en voie de l'être, et aux tarifs prohibitifs.
M. Cluzel a longuement analysé la convergence de plus en plus grande entre les
services audiovisuels et les services de télécommunication, d'une part, et
entre les supports utilisés dans ces deux secteurs, d'autre part. Le projet de
loi tire plusieurs conséquences de cette situation en créant une agence des
fréquences pour mieux gérer la ressource hertzienne et en prévoyant la
possibilité de développer les services de télécommunication sur le câble.
J'ajoute que la proposition que j'ai évoquée en ce qui concerne le contrôle du
contenu sur les réseaux en ligne va dans le sens de la logique développée par
M. Cluzel et fondée sur une autorité chargée de la régulation économique et une
autorité chargée en quelque sorte du contrôle du contenu. Nous aurons
l'occasion de revenir sur ce point au cours de la discussion des articles.
M. Billard n'a pas posé de question. Mais qu'il me permette de lui dire qu'il
a commis de nombreuses erreurs dans l'analyse qu'il a faite de ce projet de
loi.
M. Claude Billard.
Ce n'est pas la même que la vôtre !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Monsieur Billard, je vous ai écouté, laissez-moi au
moins développer mes arguments !
D'abord, l'ouverture à la concurrence a pour objet non pas de faire le jeu des
multinationales, mais de faire bénéficier nos concitoyens de la baisse des
tarifs qui s'est manifestée partout dans les pays qui ont libéralisé. Nos
factures de téléphone doivent donc baisser dans les quatre ou cinq ans qui
viennent d'au moins 30 p. 100, et pour toutes les catégories d'usagers.
Le projet de loi qui vous est soumis prévoit très clairement que ce que l'on
appelle le rééquilibrage de la structure tarifaire de France Télécom,
c'est-à-dire la hausse d'une vingtaine de francs de l'abonnement, doit se faire
dans le cadre général d'une baisse globale des tarifs, y compris des tarifs
locaux. C'est la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale sur ce
texte.
Du reste, monsieur Billard, vous avez voulu citer des exemples de pays qui
auraient pâti de la libéralisation tarifaire. Permettez-moi de vous dire que
vous n'avez cité que des pays qui n'ont précisément pas libéralisé, à savoir la
Belgique, les Pays-Bas, l'Italie, qui sont sous monopole. Quant au Canada, les
communications locales et internationales n'y sont pas encore libéralisées,
mais l'abonnement inclut un forfait gratuit de communications locales.
Enfin, vous n'avez pas pu m'indiquer l'évolution des emplois dans le secteur
des télécommunications aux Etats-Unis. Ils ont diminué, m'avez-vous dit.
Puisque vous ne m'avez pas fourni de chiffres, je vais, moi, vous les donner.
Sachez qu'entre 1988 et 1992, si 6 000 emplois ont bien été supprimés aux
Etas-Unis dans le secteur longue distance qui avait été libéralisé, dans le
même temps, 19 000 emplois étaient créés par les concurrents de ATT, MCI et
Spring, qui sont arrivés sur ce marché.
Dans une étude d'impact, qui est forcément imparfaite puisque ce n'est qu'une
estimation, nous avons prévu à hauteur de 70 000 le nombre d'emplois
directement créés par les nouveaux opérateurs dans les cinq prochaines années.
Comment sommes-nous arrivés à ce chiffre ? Tout simplement en considérant ce
qu'ont fait les nouveaux opérateurs de téléphone mobile qui, depuis leur
installation dans notre pays, ont créé un grand nombre d'emplois.
Quant au fameux 30 000 départs en préretraite qui pourraient intervenir à
France Télécom dans les prochaines années, monsieur Billard, et qui d'ailleurs,
au fil des débats, gonflent, passant à 40 000 puis à 50 000 pour maintenant
atteindre dans la presse 70 000, ils ne sont pas destinés à réduire les
effectifs de France Télécom. Sachez que chaque départ à la retraite est
compensé par un recrutement, afin de rajeunir la pyramide des âges de France
Télécom. Celle-ci s'est en effet dégradée, pour la raison simple que, depuis
plusieurs années et pas seulement depuis deux ans, monsieur Billard, France
Télécom ne remplace pas tous les départs en retraite. D'ailleurs, vous le savez
bien, puisque France Télécom recrute, bon an, mal an, depuis 1990, entre 1 500
et 2 000 personnes par an, alors qu'il y a plus de 3 000 départs à la retraite
chaque année.
Le président de France Télécom s'est engagé, notamment vis-à-vis de plusieurs
organisations syndicales, à signer un accord sur l'emploi prévoyant,
parallèlement à la mise en place de ce système de préretraite, le recrutement
de 3 000 jeunes salariés chaque année à France Télécom. Cette possibilité nous
est offerte aujourd'hui parce que France Télécom est une entreprise productive
dont, plusieurs d'entre vous l'ont souligné, le ratio nombre de lignes-employés
est tout à fait excellent ; il devrait s'améliorer encore dans la mesure où
notre pays accuse un certain retard en matière de consommation de téléphone et
de trafic, retard que l'arrivée de la concurrence et de nouveaux services doit
permettre, en partie, de combler.
Madame Pourtaud, je ne sais pas si nous parlons du même projet de loi. Vous
avez évoqué les services obligatoires en indiquant qu'il était scandaleux que
leurs prix soient désormais libres. Ils le sont déjà ! Nous ne proposons pas de
changer le système. La téléphonie vocale traditionnelle est au coeur du service
public, de même que les services de liaisons loués, le télex, les réseaux
numériques. Mais ces derniers sont financièrement équilibrés. France Télécom
fixe les tarifs en fonction de ses coûts sans pratiquer de péréquation sociale.
C'est la situation que vous avez trouvée normale pendant des années et des
années. Aujourd'hui, vous voudriez tout d'un coup que la vieille dame de la
Lozère...
M. Michel Pelchat.
De Sablé-sur-Sarthe !
M. François Fillon,
ministre délégué.
... puisse avoir accès au télex, aux liaisons louées,
aux réseaux numériques à intégration de services et à toute une série de
produits qui sont, en réalité, destinés aux entreprises et que ces dernières
paient en fonction du service.
M. Gérard Delfau.
Exactement !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Nous ne proposons pas autre chose que de maintenir ce
qui existe depuis des années dans ce domaine, sauf si le Parlement estime, dans
un délai qu'il lui reviendra de fixer, qu'il convient d'ajouter à la définition
du service universel un certain nombre de services nouveaux dont, à l'évidence,
nous ne connaissons pas encore la nature puisqu'ils n'existent pas encore. Le
choix du Gouvernement de confier au Parlement et à lui seul le soin, à
intervalles réguliers, tous les quatre ans proposez-vous, d'enrichir la
définition du service universel me semble être la meilleure des garanties que
ce service universel évoluera en fonction des progrès technologiques.
Vouloir introduire aujourd'hui de nouveaux services dont on ne sait pas, par
définition, quelle technologie permettra de les mettre en oeuvre ne me paraît
pas très réaliste.
Une question se pose effectivement pour les réseaux numériques à intégration
de services. Nous aurons l'occasion d'en débattre de nouveau.
Mme Pourtaud a également envisagé l'augmentation de la facture des petits
consommateurs, après beaucoup de ses collègues. Le projet de loi prévoit, dans
son article 6 pour l'article L. 35-3 du code des postes et télécommunications,
que le rééquilibrage tarifaire aura lieu dans le cadre de baisses globales des
tarifs pour l'ensemble des catégories d'utilisateurs, notamment pour les
particuliers. En outre, des conditions tarifaires spécifiques seront proposées
aux personnes à faibles ressources ou à handicap.
Mme Pourtaud a longuement évoqué certains pouvoirs qui seraient donnés à
l'autorité de régulation. Ces pouvoirs n'existent que dans son imagination. Le
pouvoir réglementaire est entre les mains du Gouvernement, le pouvoir
législatif restant évidemment entre les mains du Parlement. Quant aux
négociations internationales, relisez le texte, elles relèvent clairement du
Gouvernement. L'autorité de régulation n'intervient dans ce domaine que pour
conseiller le ministre chargé des télécommunications. Elle peut participer à la
représentation de la France au plan international si le Gouvernement le lui
demande. Elle n'a aucun pouvoir propre dans le domaine des négociations
internationales.
Par ailleurs, il n'est nulle part question de porter l'abonnement à 90 francs
hors taxes. Je connais la méthode, elle a été utilisée à plusieurs reprises,
qui consiste, pour effrayer les Français, à augmenter, de débat en débat, les
chiffres qui sont fournis, en particulier dans l'étude d'impact de ce texte. Il
n'est nullement question de porter l'abonnement à 90 francs hors taxes ; le
seul chiffre public figure, d'ailleurs, non pas dans le projet de loi, mais
dans le rapport Champsaur. On pourra considérer le prix de l'abonnement comme
équilibré lorsqu'il aura atteint 65 francs hors taxes, ce qui représente
environ les 20 francs qui ont été évoqués par plusieurs d'entre vous. Ce
rééquilibrage, je l'ai indiqué, se fera progressivement.
Enfin, Mme Pourtaud a évoqué l'inscription des fondements du service public
dans le traité sur l'Union européenne. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler
que ce sont des gouvernements socialistes qui ont négocié le traité sur l'Union
européenne.
(M. Gérard Delfau proteste.)
Monsieur Delfau, ce sont bien des gouvernements socialistes qui ont négocié le
traité sur l'Union européenne, n'est-ce pas ? Et ils l'ont négocié après avoir
donné leur aval aux premières directives de libéralisation des services publics
dans les domaines des transports aériens et des télécommunications.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux.
Vous avez la mémoire courte, monsieur Delfau. Ayez le courage de ce que vous
avez fait !
M. Michel Pelchat.
Bravo !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Nous nous efforçons d'agir pour inscrire les principes
du service public dans le traité sur l'Union européenne et, à cet
égard,monsieur Delfau, vous avez fait preuve pour le moins d'une mémoire
sélective. Vous ignorez, semble-t-il, que, entre 1987, date à laquelle la
France a ouvert à la concurrence le radiotéléphone analogique, et 1993,
plusieurs gouvernements socialistes se sont succédé qui, tous, ont accompagné
le mouvement dans le sens d'une plus large concurrence. Comment cela a-t-il pu
vous échapper ?
C'est M. Quilès qui a organisé, au printemps 1991, la concurrence sur le
radiotéléphone numérique GSM en attribuant deux licences, l'une à France
Télécom, l'autre à SFR, la filiale de cette Générale des eaux que vous n'avez
cessé de fustiger tout au long de ce débat.
M. Gérard Delfau.
L'essentiel était préservé !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Cette décision, monsieur Delfau, n'était à l'époque
nullement imposée par une directive européenne, puisque ce n'est qu'en 1995
qu'un texte européen est intervenu pour rendre obligatoire une telle ouverture
à la concurrence. De même, le gouvernement de Michel Rocard a, en 1989, permis
l'adoption, sous présidence française, d'une directive européenne libéralisant
l'ensemble des services des télécommunications, à l'exception de la téléphonie
fixe fournie au public,...
M. Gérard Delfau.
Et de la propriété des infrastructures !
M. François Fillon,
ministre délégué.
... et c'est en application de cet engagement qu'il a
très logiquement ouvert à la concurrence, le 1er janvier 1993, les services
supports, mettant ainsi Transpac en concurrence avec British Telecom, la
Compagnie générale des eaux, Sprint, Unisource et un grand nombre de
fournisseurs de capacités de transport.
M. Christian de La Malène.
Voilà !
M. Jean Chérioux.
Très bien !
M. Emmanuel Hamel.
Il faut inverser la tendance !
M. Gérard Delfau.
Vous n'avez pas répondu à ma démonstration !
M. Jean Chérioux.
Ils sont amnésiques !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Telle est la réalité, monsieur Delfau.
Pour ma part, je préfère la position du groupe communiste républicain et
citoyen qui, lui, est fidèle à sa ligne et ne trahit pas ses engagements,...
M. Michel Rufin.
Il faut se reporter au
Journal officiel !
M. François Fillon,
ministre délégué.
... alors que, vous, vous n'avez eu de cesse de
libéraliser le secteur des télécommunications...
M. Gérard Delfau.
Cela vous va bien de dire cela !
M. François Fillon,
ministre délégué.
... Et, aujourd'hui, vous nous expliquez que nous
sommes en train de faire une erreur historique en continuant l'action que vous
avez entreprise ? J'avais d'ailleurs rendu hommage à cette action en ouvrant ce
débat, car je pense que c'est grâce à la continuité de la position des
gouvernements français successifs depuis dix ans que, progressivement, l'idée
du service universel, reprenant les principes du service public à la française,
est en train de s'imposer au sein de l'Union européenne.
M. Jean Peyrafitte.
Ce n'est pas vrai !
M. Gérard Delfau.
Non, en effet, cela n'a rien à voir !
M. Christian de La Malène.
Vous avez bonne mine !
M. François Fillon,
ministre délégué.
Monsieur Lagourgue, nous nous sommes déjà souvent
entretenus de la question des tarifs de France Télécom dans les départements
d'outre-mer. Je suis d'accord avec vous pour reconnaître qu'il y a encore
beaucoup de progrès à faire dans ce domaine.
Si le prix de l'abonnement et des communications locales y est le même qu'en
métropole, en revanche le prix des communications longue distance est
anormalement élevé, vous avez eu raison de le souligner. Depuis deux ans, nous
résorbons cet écart, à raison de cinquante centimes environ chaque année ; la
dernière baisse est intervenue au début du mois de mars, conformément
d'ailleurs aux engagements que j'avais pris devant vous, dans cet hémicycle. Je
vous indique d'ores et déjà qu'une prochaine étape sera franchie cet été, avec
une nouvelle baisse de cinquante centimes.
Par ailleurs, à la suite des différents contacts que vous avez eus avec mon
ministère, plusieurs décisions ont été prises. D'abord, d'ici à la fin de
l'année, nous alignerons le prix des communications de l'annuaire électronique,
le 11, sur le prix pratiqué en métropole. Ensuite, nous introduirons la formule
Primaliste, qui permet d'appeler à tarif réduit trois numéros, comme c'est le
cas en métropole. Nous introduirons également la possibilité d'identifier
l'appelant.
Au début de l'année 1997, nous procéderons à l'alignement des tarifs Numeris
concernant pour la transmission des données sur les réseaux Numeris pour la
téléphonie vocale. De même, nous introduirons des modulations tarifaires
horaires identiques à celles du téléphone pour les services Numeris, pour
l'utilisation de la carte téléphonique et pour celle des messageries
télématiques.
Enfin, cette fois dans le courant de l'année 1997, nous introduirons les
numéros verts, qui ne peuvent pas aujourd'hui être proposés dans les
départements d'outre-mer, ainsi que la possibilité d'accéder à Internet au prix
d'une communication locale.
Soyez assuré que je serai extrêmement vigilant sur ce point et ferai en sorte
que les départements et les territoires d'outre-mer soient traités
équitablement par rapport à la métropole.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, loin d'être anodin,
le texte que vous examinez constitue au contraire une réforme historique, comme
est historique le contresens qui, me semble-t-il, caractérise la démarche du
groupe socialiste. Ce contresens a été sanctionné par 70 p. 100 des Français,
qui se prononcent pour l'ouverture à la concurrence du secteur des
télécommunications, et par les salariés de France Télécom, dont les deux tiers
ont désormais compris la nécessité des évolutions proposées par le
Gouvernement.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Gérard Larcher,
rapporteur.
Mon rapport oral serait incomplet si je ne donnais pas
maintenant, comme je m'y étais engagé, les conclusions des travaux que la
commission a achevés ce matin même sur le contrôle du contenu des réseaux en
ligne qu'évoquait tout à l'heure M. le ministre.
La commission vous proposera un amendement tendant à insérer, après l'article
11, un article additionnel qui comporte trois volets.
Le premier, c'est la nécessité, selon nous, d'imposer aux fournisseurs d'accès
des dispositifs techniques - verrouillage ou accès sélectif - permettant de
bloquer l'accès à certains services. Ainsi, des parents pourront contrôler
l'accès de leurs enfants à certains services.
Le deuxième volet, qui rejoint les préoccupations exprimées, notamment, par M.
Cluzel, et que l'on retrouve chez nombre de nos collègues de toutes les
commissions, au premier rang desquelles la commission des affaires culturelles,
c'est la déontologie du contenu et de la mise en place d'un organisme chargé de
donner son avis sur le contenu des services proposés.
Enfin, le troisième volet, c'est la condition d'exonération de responsabilité
pénale des fournisseurs d'accès, notamment s'ils ne respectent pas les
dispositifs techniques prévus pour contrôler les accès, ou les avis du conseil
de surveillance qui serait créé.
Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter, mes chers
collègues, avant que le débat ne se poursuive.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
15