M. le président. Par amendement n° 139, Mme Pourtaud, MM. Charzat, Delfau, Pastor et Saunier, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 1er, un nouvel article ainsi rédigé :
« La présente loi porte réglementation et développement du service public des télécommunications.
« Les télécommunications sont régies par les principes du service public. A ce titre, elles satisfont au principe d'égalité, de continuité, d'adaptabilité, de neutralité, de participation, de transparence, de simplicité et d'accessibilité. »
La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Par cet amendement, nous avons souhaité faire du service public le pivot de la réglementation des télécommunications. En effet, le service public est à nos yeux au coeur du pacte républicain. Il est de ce fait indispensable, car il participe au renforcement de la cohésion sociale et au développement solidaire des territoires.
Le service public, c'est un élément fort de notre démocratie de par les principes qu'il recouvre. Ces principes sont au nombre de huit. Nous avons tenu à tous les décliner.
Le premier est le principe d'égalité. L'égalité est un principe constitutionnel. Il est au coeur de notre devise mais, malheureusement, je crains qu'il ne soit mis à mal par ce texte. Je prendrai un seul exemple. La définition en trois composantes que vous faites du service public, créant ainsi deux catégories de citoyens : ceux qui devront se contenter du service universel et ceux qui auront les moyens d'avoir accès à ce que vous appelez « les services obligatoires », à savoir les modes de télécommunications les plus avancés. De ce traitement inégalitaire, nous ne voulons pas. C'est pourquoi nous proposons d'énoncer clairement que le service public des télécommunications doit respecter le principe d'égalité.
Le deuxième principe est celui de continuité. Il s'agit, là encore, d'un principe très important, car c'est en son nom que les pouvoirs publics se doivent de mener une politique volontariste d'aménagement du territoire afin que tous les citoyens puissent avoir accès, quel que soit le lieu où ils résident, à un service téléphonique de haute qualité. Dans la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, il est prévu la réalisation d'un schéma sectoriel des télécommunications, notamment des réseaux interactifs à haut débit. C'est un objectif ambitieux auquel nous souscrivons. Mais, là encore, en plaçant la concurrence au coeur de la réglementation, je crains que ce schéma ne voit jamais le jour.
Le troisième principe est celui d'adaptabilité. Là encore, nous touchons à un point clé de notre débat. Le service public doit-il rester figé dans une définition arrêtée à un moment donné ? Nous ne le pensons pas et nous ne sommes pas les seuls. Il nous a semblé que, sur toutes les travées, a été défendue la nécessité de donner un égal accès au téléphone mobile et au réseau à haut débit pour tous les citoyens et donc de considérer ces éléments comme partie intégrante du service public.
Si nous n'y prenons garde, votre service public réduit au service universel ne respectera pas ce principe d'adaptabilité. Le projet de loi prévoit, certes, une clause de révision, mais tous les cinq ans. L'Assemblée nationale et notre rapporteur ont proposé un rendez-vous plus rapproché. Cela sera-t-il suffisant compte tenu de la rapidité des progrès technologiques dans ce secteur ? Nous ne le croyons pas. Le service public des télécommunications doit aussi satisfaire à ce principe en permanence.
Le quatrième principe est celui de neutralité. Je crois, monsieur le ministre, que vous y êtes sensible, puisque c'est en quelque sorte en son nom que vous proposez de créer une autorité de régulation. Nous ne pensons pas, pour notre part, que ce soit le meilleur moyen de faire respecter ce principe. Sa mise en application relève plutôt, à nos yeux, des prérogatives de la puissance publique. Qui mieux qu'elle peut en effet garantir un tel principe ? N'est-ce pas là l'objet de l'Etat ? Les fonctionnaires n'ont-ils pas obligation d'agir en vertu de ce principe ? J'ai bien peur que, en donnant à une autorité des compétences en matière réglementaire qui relèvent normalement des missions de pouvoirs publics, nous ne bousculions le principe de neutralité.
Le cinquième principe est celui de participation. Il permet à tous les usagers - personnels, collectivités locales, entreprises - d'avoir leur mot à dire. C'est la parole donnée au citoyen, pour un meilleur fonctionnement de ce service public.
Le sixième principe est celui de transparence. Là encore, ce principe est souvent cité dans le projet de loi. Vous nous dites qu'il ne peut y avoir de concurrence loyale sans transparence. C'est vrai. Pourtant, ce projet de loi ne met pas en oeuvre ce principe. Je ne prendrai qu'un exemple : l'interconnexion. Pourquoi seul France Télécom aura, de fait, une offre tarifaire et technique à publier ?
Le septième principe est celui de simplicité. Un service public doit être un service simple, dont tout le monde comprend l'usage. Le système que vous nous proposez est un vrai maquis. La loi que vous avez écrite est extrêmement complexe. Elle est source, pour les entreprises, d'insécurité juridique, car la frontière entre les compétences de l'Autorité de régulation des télécommunications, du Conseil supérieur de l'audiovisuel et du Conseil de la concurrence n'a pas été suffisamment précisée. De plus, elle met le simple citoyen au coeur de la lutte sauvage à laquelle risquent de se livrer les opérateurs pour gagner des parts de marchés, sans que ses droits de consommateur soient respectés.
Enfin, le huitième et dernier principe est celui d'accessibilité. Il doit permettre à tous d'accéder au service téléphonique. Là encore, ce principe ne sera plus appliqué, nous semble-t-il. J'en donnerai deux exemples : la hausse programmée de l'abonnement et le fait que les mobiles et les réseaux à haut débit donnant accès aux fameuses « autoroutes de l'information » ne seront pas accessibles à tous.
Construire la nouvelle réglementation des télécommunications avec, en son centre, le respect des principes du service public, tel est l'objet de cet amendement que nous vous demandons d'adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement n° 139.
Nous avons déjà répondu à beaucoup d'arguments. A force de dialoguer ainsi sans être entendu, je finis par me poser quelques questions !
Rappelez-vous que la clause de révision existe. Nous proposerons que le « rendez-vous » soit avancé d'une année.
Des dispositifs d'engagements sont prévus au cours de l'année 1997 pour un certain nombre de services nouveaux ; je pense aux mobiles, même s'ils sont hors du service public.
Enfin, l'article 35 du code des postes et télécommunications, tel qu'il est rédigé à l'article 6, énonce clairement les principes de service public. Voilà pourquoi c'est à l'article 6 que nous examinerons les conditions d'un service public de qualité, y compris les clauses de révision qui prévoient que le service public n'est pas figé. Je rappelle qu'aujourd'hui le réseau numérique à intégration de services n'est pas dans le service public.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. François Fillon, ministre délégué. Nous devons nous entendre sur une méthode pour ce débat. Ou bien aucun des arguments apportés par le Gouvernement et par la commission n'est pris en compte par l'opposition et, dans ce cas, il n'est pas utile de continuer à argumenter. Ou bien Mme Pourtaud veut bien examiner quelques-uns des arguments que j'ai eu l'occasion de défendre et qu'elle semble encore ignorer.
Le service universel, c'est le service du téléphone. Il faut y ajouter d'autres services, me dites-vous. Lesquels ? Les services à haut débit ? Quels sont aujourd'hui les services que l'on trouve sur les réseaux à haut débit qui seraient de nature à entrer dans le service universel ? Je veux qu'on me le dise ! Quel est le service qui peut être apporté aujourd'hui - je ne dis pas demain - à un usager de France Télécom, quelque part en France, qui ne puisse être rendu sur le réseau téléphonique actuel ? Y a-t-il aujourd'hui des services qui sont offerts par France Télécom sur des réseaux à haut débit qui s'adressent aux usagers que nous sommes, les uns et les autres ?
M. Delfau, comme beaucoup, a évoqué la vieille dame de la Lozère qui va être privée du service public du téléphone. A-t-elle besoin des liaisons louées à haut débit ? A-t-elle besoin du télex ? A-t-elle besoin du réseau numérique à intégration de services ?
Mme Hélène Luc. Mais il n'y a pas qu'elle en Lozère !
M. François Fillon, ministre délégué. Il y a là une très grande hypocrisie ! Le service public que nous proposons, c'est le service du téléphone avec l'ensemble des composantes auxquelles les Français sont aujourd'hui habitués et attachés.
Si, demain, le Parlement estime qu'il faut intégrer une nouvelle technologie dans la définition du service universel, par exemple le réseau numérique à intégration de services parce qu'il permettrait d'avoir l'image sur le poste téléphonique - mais vous reconnaîtrez qu'aujourd'hui ce service n'existe pas - il le décidera !
Vous continuez de répéter inlassablement que la définition du service universel est figée alors que le Parlement en a la maîtrise ! Comment pourrait-on mieux rendre évolutive la définition du service universel ? Le Gouvernement proposerait de conserver la possibilité de faire évoluer ce service universel, je comprendrais votre argumentation. Le Gouvernement confierait à l'autorité de régulation la possibilité de faire évoluer la définition du service universel, je comprendrais aussi votre argumentation. Mais là, c'est le Parlement qui se saisit directement !
Vous souhaitez une révision tous les quatre ans. L'Assemblée nationale a proposé une révision au moins tous les cinq ans, ce qui permettrait peut-être au Parlement de se saisir en fonction des évolutions technologiques. Nous aurons un débat sur ce point tout à l'heure. En attendant, on ne peut pas dire que nous offrons aujourd'hui un service public minimum !
L'amendement que vous nous proposez revient à élargir à l'ensemble des opérateurs de télécommunications les principes du service public. C'est tout le contraire de ce que nous voulons faire, précisément parce que nous voulons protéger le service public et surtout l'opérateur public en charge du service universel. Vous voulez, vous, que tous les opérateurs - par conséquent, tous les opérateurs privés puisque le projet de loi ouvre les services des télécommunications à la concurrence - respectent les obligations de service public. Il faudrait donc que tous les opérateurs privés participent à l'offre du service public. C'est ce que nous ne voulons pas parce qu'il faut, selon nous, que ce soit France Télécom, l'opérateur public, qui maîtrise l'offre de service public.
Certains pays ont fait d'autres choix. L'Allemagne, par exemple, a choisi de mettre en concurrence le service public. Nous, nous voulons que France Télécom reste le seul opérateur du service public.
Les arguments que vous avez évoqués à propos de la « jungle » à laquelle sera confronté l'utilisateur ne résistent pas à l'examen, notamment en raison des mesures que j'ai énoncées tout à l'heure : par exemple, s'agissant de la portabilité des numéros, qui n'existe pas aujourd'hui, on ne peut pas faire mieux en matière de simplicité puisque chaque usager aura son numéro de téléphone et le conservera quel que soit son lieu d'habitation ou son opérateur. Cela me fait dire que, pour l'usager, cette ouverture à la concurrence sera simple d'emploi et qu'elle se fera dans la transparence.
Enfin, vous continuez à vouloir faire croire que l'usager devra supporter une hausse du coût du service téléphonique, notamment pour les communications locales, alors que le texte précise clairement que la hausse de l'abonnement ne pourra se faire qu'à l'occasion d'une baisse globale des tarifs. Cela signifie que le solde entre la hausse de l'abonnement et la baisse des tarifs devra bénéficier à l'usager.
Dans ces conditions, vous comprendrez que le Gouvernement soit défavorable à cet amendement qui va contre le service public.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 139, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er