M. le président. La parole est à Mme Pourtaud.
Mme Danièle Pourtaud. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. Borotra.
Plusieurs dizaines de milliers de gaziers et d'électriciens manifestaient hier dans les rues de Paris. Lundi, c'étaient les salariés de France Télécom. Aujourd'hui, ce sont ceux de la SNCF.
Monsieur le ministre, ces manifestants s'opposent, comme ceux du mois de décembre, au démantèlement entrepris par votre Gouvernement de tous les services publics au nom du libéralisme dont on sait bien qu'il aboutit toujours à ce que la loi du plus fort s'impose.
Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que nous apportons notre soutien aux salariés des entreprises publiques qui se mobilisent actuellement pour refuser la politique de privatisation et de déréglementation menée par le Gouvernement.
Ne vous y trompez pas, monsieur le ministre, il ne s'agit pas de la défense des intérêts catégoriels de quelques porteurs de mauvaise graisse. (Protestations sur les travées du RPR.) Ces manifestants défendent le service public auquel les Français sont très attachés. Tous les Français savent bien, même de manière diffuse, que les entreprises publiques sont un peu les leurs et que les services publics sont les derniers remparts contre une société trop inégalitaire, à l'américaine.
Permettez-moi d'ailleurs de vous rappeler ce qu'écrivait M. Borotra, député, dans une proposition de résolution déposée à l'Assemblée nationale, le 30 mai 1995. L'Assemblée nationale « rappelle son attachement au service public, seul à même d'assurer la solidarité entre les Français et entre les différentes parties du territoire national ».
Les Français ne pourront que regretter que le ministre Borotra ne se souvienne pas de ce qu'écrivait le député Borotra.
Permettez-moi maintenant de revenir au problème de l'électricité. Grâce à EDF, la France est le troisième producteur mondial, le premier européen, et nous avons l'électricité la moins chère d'Europe. Or, monsieur le ministre, il semble que vous vous apprêtiez à approuver une directive européenne qui risque de bouleverser le marché fançais de l'électricité. Vous vous apprêtez à accepter d'ouvrir 25 p. 100 du marché français à la concurrence, et ce serait progressivement porté à 33 p 100 d'ici à six ans.
Si tel est le cas, les gros consommateurs industriels pourront s'approvisionner auprès du producteur de leur choix et bénéficier de baisses de prix alors que les petits consommateurs, c'est-à-dire la grande masse des Français, devront payer leur électricité plus chère.
Le problème est suffisamment grave pour que, comme le député Borotra l'année dernière, nous considérions que « compte tenu de l'importance des principes et des modalités d'organisation des services publics et afin de rendre incontestables les orientations ainsi arrêtées, il convient d'envisager une consultation populaire dans le cadre des dispositions de l'article 11 de la Constitution. »
Monsieur le ministre, sans aller jusqu'à demander, comme vous le faisiez l'année dernière, un référendum...
Un sénateur du RPR. Pourquoi pas ?
Mme Danièle Pourtaud. Effectivement, pourquoi pas ?
Donc, sans aller jusque-là, nous souhaitons, au minimum, que la représentation nationale puisse débattre de ce projet de directive européenne. En effet, lors du précédent débat sur ce sujet, le Sénat a voté ...
M. le président. Venez-en à votre question, je vous prie, madame le sénateur ! Vous avez largement dépassé votre temps de parole.
Mme Danièle Pourtaud. J'y viens, monsieur le président.
Je disais donc que le Sénat a voté une résolution adoptée, je tiens à le souligner, par le Gouvernement. Certes, il s'agissait de celui de M. Balladur, qui invitait ce dernier « à refuser toute forme d'accès des tiers au réseau, tant dans le secteur de l'électricité que dans celui du gaz. »
Monsieur le ministre, pouvez-vous dire à la représentation nationale, qui vous écoute, et à nos concitoyens, qui nous regardent, quelle sera la position de la France sur le secteur de l'électricité le 20 juin au Conseil des ministres européens et permettrez-vous à la représentation nationale d'en débattre ? (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste, et des télécommunications. Madame le sénateur, le Parlement aura, le moment venu, à transposer cette directive européenne, si directive il y a, en droit national. Il va donc de soi que le Parlement aura à s'exprimer.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Avant ou après ?
Mme Hélène Luc. Il faut que ce soit avant !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Je tiens par ailleurs à vous dire que je n'ai pas changé d'avis sur la défense du service public, mais que nous sommes animés par des conceptions différentes.
Pour moi, le service public, ce n'est ni le statu quo ni le marché libéralisé de manière intégrale.
Pour moi, le service public est constitué de trois éléments essentiels.
Tout d'abord, le service public, c'est la défense des intérêts nationaux et, dans le secteur de l'électricité, c'est fonder l'organisation du marché sur la priorité nucléaire, qui est le choix de production de notre pays et, en contrepartie, établir une programmation à long terme. Aucune décision ne sera prise qui ne respecte pas la programmation à long terme. C'est pour cela que nous défendrons la solution de l'acheteur unique face à la voie de libéralisation généralisée voulue par certains de nos partenaires européens.
Ensuite, le service public doit remplir sa mission à l'égard de nos concitoyens ; il doit permettre aux 29 millions de consommateurs de notre pays, domestiques en particulier, et où qu'ils habitent, d'être servis dans la continuité, dans la qualité et à des prix péréqués. Cela signifie qu'il faut maintenir le monopole de la distribution et du transport de l'électricité. Nous n'accepterons pas de décision qui remette en cause ce principe.
Enfin, il faut respecter les salariés de l'entreprise. C'est très important parce que, si l'entreprise est ce qu'elle est, c'est à eux qu'on le doit ainsi qu'au choix des gouvernements qui, année après année, ont conforté le pôle nucléaire de la production d'électricité en France.
A la demande de M. le Premier ministre, nous avons confirmé qu'EDF était une entreprise publique qui resterait une entreprise nationale détenue à 100 p. 100 par l'Etat.
Nous avons confirmé au personnel de l'entreprise qu'il était salarié d'EDF et qu'il resterait régi par les conventions collectives électriciennes et gazières. Nous avons pris l'engagement qu'EDF resterait une entreprise publique intégrée.
En prenant ces engagements, nous défendons les intérêts nationaux, ceux du personnel et ceux de nos concitoyens, dans une perspective qui ne peut pas exclure un minimum de concurrence. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Je vais vous dire pourquoi. C'est parce qu'il existe un autre impératif national ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Il convient de permettre aux entreprises industrielles d'être compétitives, car, de leur compétitivité, dépend pour l'essentiel le problème de l'emploi.
M. Jean Chérioux. Bien sûr !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. Quand il s'agit d'entreprises qui doivent intégrer à leur prix de revient le prix de l'énergie, il n'y a aucune raison de les couper des conditions de la concurrence. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Nous avons donc choisi une voie claire, celle qui consiste à refuser la libéralisation généralisée du marché. Nous avons choisi comme voie une ouverture maîtrisée à la concurrence.
Mais je suis au moins d'accord avec vous sur un point, madame le sénateur...
M. le président. Je vous demande de bien vouloir conclure, monsieur le ministre !
M. Franck Borotra, ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications. ... si nous ouvrons un certain secteur aux conditions de la concurrence, c'est précisément parce qu'EDF est l'entreprise qui produit au prix le moins cher sur l'ensemble de l'espace européen.
Cette société pourra donc, sans porter atteinte aux intérêts des consommateurs domestiques, résister tranquillement aux conditions de la concurrence d'autres producteurs, qui sont moins compétitifs et moins productifs. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)

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