SITUATION EN CORSE
Débat sur une déclaration du Gouvernement
M. le président.
L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat,
sur la situation en Corse.
La parole est à M. le Premier ministre.
(Applaudissements sur les travées
du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, depuis une vingtaine d'années, c'est-à-dire depuis le drame
d'Aléria, la République est confrontée au problème corse, dont les composantes
sont bien connues de vous toutes et de vous tous.
L'opinion publique de l'île, attachée - et on la comprend - au respect de son
particularisme, est en même temps très largement hostile à toute idée
d'indépendance ou de rupture avec la République. Les revendications du
mouvement nationaliste, quelles qu'en soient les motivations, touchent aux
principes fondateurs de la République et sont, hélas ! trop souvent soutenues
par la violence et l'attentat.
Dans ce contexte, l'Etat se doit tout à la fois de maintenir les principes
dont il est le garant - l'unité de la République et le respect de la loi - et
d'oeuvrer pour le développement économique et social de la Corse. C'est dans
cet esprit que le Gouvernement travaille.
C'est aussi dans cet esprit qu'il n'a pas l'intention de vous proposer de
nouvelles réformes institutionnelles concernant la Corse. Je l'ai dit dès le 16
janvier dernier en recevant à l'Hôtel de Matignon tous les parlementaires
corses, quelle que soit leur sensibilité politique : les problèmes
institutionnels ne sont pas à l'ordre du jour, tout simplement parce que des
solutions institutionnelles ne porteraient pas remède à la situation que nous
connaissons.
Depuis 1982, la moyenne annuelle du nombre d'actions violentes commises en
Corse - pour l'essentiel des attentats par explosif - s'est élevée à 500, soit
plus d'un attentat par jour.
Cette situation, je le reconnais avec lucidité, ne s'est pas véritablement
améliorée depuis le début de l'année.
Dans le même temps, les acteurs de l'économie corse voient celle-ci partir à
la dérive puisque le tourisme, source essentielle de la prospérité de l'île,
est chaque jour découragé par la recrudescence de la violence ou par des grèves
irresponsables...
Mme Hélène Luc.
Responsables !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Irresponsables !
Mme Michelle Demessine.
Il y a toujours un mot de trop !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Un mot juste !
Mais vous n'aimez pas les mots justes, madame !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Les travailleurs font grève par obligation !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Pourtant réclamées avec insistance par les
représentants des mouvements nationalistes, ...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Jamais les travailleurs n'ont fait grève par obligation !
Mme Hélène Luc.
Demandez donc aux cheminots pourquoi ils font grève aujourd'hui !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Demandez donc l'avis des Corses ! Ils vous diront ce
qu'ils pensent de ces grèves dans leur immense majorité ! On sait bien que vous
êtes les plus fervents zélateurs de la grève ! C'est un principe de
gouvernement pour vous, c'est vrai.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants. - Exclamations sur les travées du groupe
communiste républicain et citoyen.)
M. Jean Delaneau.
Ils en vivent, c'est leur fonds de commerce !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Puis-je vous appeler à un peu de sérénité, mesdames
?
Pourtant réclamées avec insistance, par les représentants des mouvements
nationalistes, disais-je, les réformes institutionnelles réalisées en 1982 et
en 1991 n'ont donc, de ce point de vue de la violence, servi à rien. Je le
redis ici en conséquence avec solennité : le Gouvernement n'entend ni modifier
le statut de l'assemblée territoriale, ni supprimer les conseils généraux de
Haute-Corse et de Corse-du-Sud, ni traiter la Corse comme un département ou un
territoire d'outre-mer, comme certains l'évoquent parfois.
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Il n'est pas question, non plus, je le dis bien sûr en
toute sérénité, d'une reconnaissance officielle du « peuple corse », concept
déjà censuré par le Conseil constitutionnel.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants.)
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Dès lors, quelle est notre priorité si elle n'est pas
institutionnelle ? Elle est double : sécurité et développement économique.
Pour ce qui concerne la sécurité, le retour à la paix publique est une absolue
nécessité qui conditionne tout le reste.
Dès la constitution du Gouvernement, j'avais donné aux ministres concernés, et
singulièrement au garde des sceaux et au ministre de l'intérieur, des consignes
de la plus grande fermeté. J'ai renouvelé ces consignes au cours des derniers
mois.
Cette attitude a commencé à porter ses fruits. Dans le courant des mois de
mars et d'avril, notamment MM. Debré et Toubon reviendront sur ce point -
plusieurs arrestations combinées avec des découvertes de caches d'armes ont
montré que l'action de l'Etat, lorsqu'elle est résolue et déterminée, obtient
des résultats dans la lutte contre toutes les formes de criminalité, au premier
rang desquelles, bien sûr, le terrorisme.
La recrudescence, depuis le début du mois de mai, d'actions terroristes ou de
commandos en Corse ne saurait nous conduire à dévier de cette ligne, pas plus
d'ailleurs que les menaces, formulées par voie de presse, de tel ou tel
dirigeant nationaliste.
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Je le dis avec force : aucune organisation, aucun
responsable ne saurait bénéficier de quelque impunité que ce soit dès lors que
la loi aura été violée.
M. Michel Charasse.
Enfin !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Il faut que les choses soient bien claires : tous ceux
qui commettent en Corse des crimes ou des délits, quelle qu'en soit la nature,
doivent être interpellés et traduits devant la justice.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
Le Gouvernement entend tout faire pour prévenir et réprimer les atteintes
à l'ordre public en Corse comme, bien sûr, sur n'importe quel autre point du
territoire national.
C'est dans cet esprit d'ailleurs qu'ont été récemment transférées à la
quatorzième section du parquet de Paris des infractions à caractère terroriste,
dont il est apparu qu'elles pourraient être instruites avec plus de diligence à
Paris, compte tenu de la charge de travail déjà très lourde qui pèse sur les
magistrats affectés en Corse. Personne, je l'espère, ne s'est mépris sur la
signification de ces décisions.
J'ai enfin demandé au ministre de l'intérieur et au ministre de la défense
d'améliorer la coordination des services placés sous leur autorité - la police
et la gendarmerie - en donnant toutes instructions utiles aux préfets dont la
mission est et reste, plus que jamais, d'assurer cette coordination.
Parallèlement, il importe que soit assurée la protection des personnels de
police et de gendarmerie dont nul ne saurait accepter qu'ils puissent être
attaqués sans réagir, dans le cadre des lois de la République.
Mme Hélène Luc.
C'est vrai !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Le principal atout dont doivent disposer ces services
est la confiance du Gouvernement ; sachez qu'elle ne leur sera pas comptée,
elle leur est acquise depuis ma nomination.
J'admire le courage de toutes celles et de tous ceux - fonctionnaires,
magistrats, policiers, gendarmes ou douaniers - qui sont affectés en Corse et
assument dans des conditions souvent très difficiles leur mission
républicaine.
Je les encourage aujourd'hui à poursuivre leurs efforts. Les résultats obtenus
aux mois de mars et d'avril doivent inspirer leurs actions et nous montre la
voie.
(Applaudissements sur les travées du RPR. - M. François Giacobbi applaudit
également.)
Le rétablissement de l'ordre public doit aller de pair en Corse avec la
relance de l'économie locale.
L'étroitesse du marché intérieur de l'île, la paralysie périodique des
transports maritimes ou aériens, les troubles à l'ordre public, la concurrence,
notamment dans le secteur touristique, d'autres pays méditerranéens, tout cela
a beaucoup affaibli depuis plusieurs années l'économie corse.
Même si l'inverse est vrai, comment imaginer que la paix publique puisse être
durablement restaurée dans une région dont l'économie serait à la dérive, voire
complètement asphyxiée ?
Une concertation étroite avec les représentants des milieux
socioprofessionnels en Corse a permis au Gouvernement d'arrêter dès la fin du
mois de mars - cela a déjà peut-être été oublié - une série de mesures
d'urgence qui ont concerné la modernisation de l'agriculture, la relance de
l'activité touristique et l'assainissement de la situation financière des
petites et moyennes entreprises corses. Ces mesures sont déjà décidées et en
vigueur.
Parallèlement, il m'a semblé nécessaire d'améliorer les conditions du dialogue
social en Corse en permettant la reconnaissance des syndicats représentatifs à
l'échelon local.
Enfin, diverses mesures destinées à faciliter l'enseignement de la langue
corse et à étendre le rayonnement de l'université de Corse ont été prises.
Dans le même temps, et c'est ce qui a le plus retenu l'attention, parfois en
gommant tout ce que je viens de rappeler, le Gouvernement a fait le pari de la
zone franche.
Pour relancer l'investissement et permettre le maintien de l'emploi en Corse,
j'ai proposé en effet que la Corse soit érigée en zone franche. La mise en
oeuvre de cette décision a fait l'objet, la semaine dernière, à l'occasion d'un
déplacement en Corse du ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et
de l'intégration, et du ministre délégué au budget, de discussions avec les
élus de l'assemblée territoriale et les milieux socioprofessionnels concernés.
Ce déplacement a été une étape importante sur la voie du dialogue auquel le
Gouvernement est attaché.
Il va de soi que les mesures envisagées dans le cadre de la zone franche
doivent profiter aux entreprises et non aux particuliers. Il s'agit de rendre
son dynamisme à l'économie corse et non pas de créer des effets d'aubaine, ou
de nouvelles « niches » fiscales.
Le ministre de l'aménagement du territoire, de la ville et de l'intégration va
se rendre prochainement à Bruxelles pour exposer notre projet, tel qu'il est
issu des dernières concertations menées dans l'île. J'ai bon espoir que la
création de cette zone franche puisse faire l'objet d'une décision définitive
avant la mi-juillet. Comme je l'ai déjà annoncé, je me rendrai alors sur place
pour annoncer les modalités détaillées de cette innovation que je crois
importante.
Je n'aurais garde, enfin, d'oublier les problèmes de transports. Un projet de
loi est en cours de préparation pour donner à ce secteur essentiel de
l'économie de l'île une stabilité qui lui a, trop souvent hélas ! fait défaut
dans le passé.
Je le dis cependant sans ambages : si la paix publique n'est pas rétablie en
Corse, la création d'une zone franche apparaîtra tôt ou tard comme une fausse
fenêtre, une fausse bonne idée. Les mesures de soutien à l'activité économique,
dans leur ensemble, s'avéreraient inefficaces.
C'est la raison pour laquelle j'ai rappelé en commençant toute la priorité que
nous attachions au maintien de l'ordre public. Je le dis pour conclure : en
Corse, le Gouvernement n'a pas deux discours, il n'a pas deux politiques, il
n'a pas une politique qui serait différente de son discours et sa main droite
ne saurait ignorer, ni
a fortiori
contredire, ce que fait sa main
gauche.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Le Gouvernement veut rétablir la paix publique tout en
favorisant le développement de l'île grâce à des mesures ayant fait l'objet
d'une vraie concertation et d'un dialogue approfondi avec toutes les parties
prenantes qui respectent le jeu démocratique, c'est-à-dire la règle de
l'élection.
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
Voilà la politique que nous menons. Tout le reste est
littérature ou procès d'intention !
Ces principes ayant été réaffirmés, je voudrais en appeler à la responsabilité
et à la loyauté de nos compatriotes corses. J'en appelle à leur fidélité à la
nation française.
Nous les savons attachés, dans leur immense majorité, à la République et à la
France ; ils l'ont montré tout au long de l'histoire récente.
Je ne partage donc pas la réaction, qui est sans doute un mouvement d'humeur,
de celles et de ceux qui, sur le continent, font mine de vouloir renvoyer les
Corses à leur destin d'indépendance.
Certes, la Corse est aujourd'hui à un tournant ; on l'a dit à plusieurs
reprises dans le passé récent.
Mais, dans mon esprit, dans l'esprit du Gouvernement, dans l'esprit de la
majorité de votre assemblée, j'en suis sûr, et dans celui des Corses, la Corse
fait partie de la France.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
A ses heures
les plus glorieuses, elle a été l'honneur de la France. Elle est capable, nous
le savons, du meilleur, mais encore faut-il que les Corses le veuillent.
Les élections prévues en 1998 et, singulièrement, le renouvellement de
l'assemblée territoriale leur donneront l'occasion de le dire et de peser sur
le destin de l'île de la seule manière acceptable, c'est-à-dire par
l'expression du suffrage et de la démocratie.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Alain Juppé,
Premier ministre.
D'ici là, beaucoup de travail reste à accomplir, j'en
ai bien conscience. Nous le ferons avec nos compatriotes corses, qui sont
attachés à la France et qui sauront, je le sais, prendre leurs
responsabilités.
Nous le ferons sans faiblesse, nous combattrons ceux qui défient la loi, ceux
qui profèrent des menaces, des « ultimatums » et n'ont, hélas ! pour programme,
au bout du compte, que le malheur de la Corse.
Je le disais récemment à l'Assemblée nationale, je le répète devant le Sénat :
la Corse, jusqu'à preuve du contraire, c'est la France. Tous ensemble, nous
croyons à son avenir. Tous ensemble, nous bâtirons pour elle un avenir digne de
son histoire et digne de la France !
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai entendu, j'entends encore, et je lis
beaucoup de commentaires sur la situation en Corse, notamment sur les questions
qui me concernent plus particulièrement en tant que ministre de la justice.
Certes, le débat démocratique, sur ce sujet comme sur tous les autres,
implique évidemment que toutes les analyses, que toutes les opinions puissent
être développées. Mais je voudrais que le Gouvernement puisse, lui aussi, avoir
sa part dans ce débat, ne serait-ce que pour rappeler quelques données
objectives.
Croyez-moi, contrairement à ce que certains ont dit, il ne s'agit ni pour le
Premier ministre, ni pour le ministre de l'intérieur, ni pour les autres
membres du Gouvernement qui ont ce dossier sur leur bureau, ni pour moi-même,
d'affirmer que tout va bien. Je suis conscient, préoccupé, attentif aux
attentes et aux protestations. Je suis lucide sur la situation qui prévaut,
mais je refuse qu'un seul côté de la vérité apparaisse toujours dans les débats
et dans l'information. Aussi je souhaite que le présent débat nous donne
l'occasion de faire apparaître toutes les faces de la vérité et de la réalité,
dans l'esprit même de tolérance et de dialogue qui est celui de la Haute
Assemblée.
N'en déplaise à tous ceux qui, pour des raisons diverses, ont un regard
systématiquement critique sans pour autant proposer de réelles perspectives,
l'action de la justice s'attache à conforter ceux qui s'inscrivent dans la
légalité et oeuvrent dans l'intérêt général, et à réprimer ceux qui ont fait le
choix de l'illégalité.
Pourquoi refuser de prendre acte de cette réalité, à savoir que le nombre de
crimes et de délits est en forte diminution sur le territoire des deux
départements de la Corse - on a recensé 40 p. 100 de vols et de tentatives de
vol à main armée en moins entre 1994 et 1995 - que le taux d'élucidation des
infractions a connu une évolution positive, y compris s'agissant des crimes
pour lesquels d'aucuns prétendent qu'ils ne font pas l'objet d'un traitement
réellement déterminé ; ainsi, les attentats par explosifs ont été deux fois
moins nombreux au premier trimestre 1996 qu'au premier trimestre 1995.
J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer des affaires très récentes dans lesquelles
les auteurs ont été rapidement identifiés et déférés à la justice, sans parler
de cas plus connus qui sont encore dans toutes les mémoires : la fusillade du
Palais de justice d'Ajaccio, dont les auteurs actuellement emprisonnés ne
manqueront pas d'être jugés assez rapidement ; le meurtre du président du
tribunal administratif de Bastia, qui a été très rapidement élucidé ; le drame
de Furiani, qui a endeuillé la France tout entière - j'en profite pour rendre
de nouveau hommage aux victimes qui, par leur dignité, ont permis à la justice
de suivre un cours aussi satisfaisant que possible eu égard à l'émotion bien
légitime éprouvée dans l'île et dans tout le pays.
Mais je voudrais également rendre un hommage particulier à tous ceux qui
concourent, avec un dévouement exemplaire, à l'oeuvre de justice :
fonctionnaires de police, militaires de la gendarmerie, fonctionnaires de
justice - qu'ils exercent leur mission au sein des tribunaux ou au sein des
services déconcentrés - magistrats, tous réunis au service de la justice.
En tant que garde des sceaux, je veille, et je continuerai de veiller à ce que
le respect de l'institution judiciaire et de ceux qui la servent soit préservé
en toutes circonstances, quels que soient les objectifs, plus ou moins
avouables, des polémiques lancées ici ou là.
Je ne ménagerai pas mes efforts en ce sens, comme je continuerai de conduire
une action déterminée pour assurer la juste répression de toute forme de
criminalité. En effet, je le répète : il n'y a pas de délinquant intouchable ni
d'infraction hors la loi.
A ceux qui mettent en cause la détermination de la justice, je redis, par
exemple, que je n'exclurait aucune suite judiciaire en cas de propos ou de
déclarations qui tendraient à la transgression de nos lois en vue de faire
obstacle au bon déroulement de la justice.
De même, je ne cesserai de stigmatiser toute dérive vers ce qui est parfois
présenté comme une violence banalisée.
Nos codes, le code pénal et le code de procédure pénale, sont les seuls
instruments de l'action de la justice. Quant à moi, je ne me laisserai pas
détourner par les critiques émanant de ceux qui, il y a quelques mois encore,
soutenaient une position exactement inverse de celle qui est la leur
aujourd'hui.
Cette volonté m'a conduit à demander l'application, dans un certain nombre de
dossiers, des dispositions de l'article 706-18 du code de procédure pénale, qui
permettent, en matière de terrorisme, de saisir la juridiction parisienne
spécialisée.
Ces procédures n'ont qu'un sens et qu'un objectif : faciliter le bon
déroulement des investigations en cours. Elles reposent, conformément à nos
principes judiciaires, sur un examen au cas par cas de chaque dossier et
s'exercent sous le contrôle souverain de la Cour de cassation, dont la chambre
criminelle vient de faire droit à cinq des requêtes présentées en ce sens par
le Parquet. Trois autres requêtes sont en cours d'examen ; une dizaine d'autres
vont être présentées dans les prochains jours.
Rechercher la pleine efficacité de l'action de la justice dans des dossiers
d'une particulière gravité, compte tenu des moyens et de l'expérience des
instances judiciaires spécialisées, par la stricte application des textes en
vigueur, voilà comment se traduisent concrètement les propos sur l'état de
droit que j'ai été amené à tenir lors de mon déplacement dans l'île au mois de
février dernier.
C'est dans ce même esprit que la répression de la délinquance économique et
financière a fait l'objet d'un renforcement significatif au travers de
l'accroissement des moyens, y compris humains, mis à la disposition des
autorités judiciaires et policières.
L'application ferme de la loi pénale est une pièce maîtresse sur l'échiquier
républicain et un facteur de retour à une situation durablement stable à
laquelle aspirent tous nos concitoyens, en Corse comme sur le continent.
Est-il besoin de rappeler - M. le Premier ministre vient de le dire - que
l'immense majorité des habitants de l'île ne reconnaît comme légitime qu'un
seul cadre, celui de la démocratie au sein de la République française ?
Garantir ce débat, c'est donc, pour la justice, être tout à la fois ferme,
équilibrée et humaine. C'est aussi pouvoir jouer pleinement son rôle, dans une
totale sérénité. C'est punir, lorsqu'il le faut, mais aussi réparer et
réintégrer chacun dans l'exercice de ses droits. J'entends assumer sans réserve
la mission qui m'est ainsi dévolue en ma qualité de garde des sceaux,
conformément aux règles de notre Constitution et de nos lois.
Le sens de l'Etat, celui de l'intérêt général, alliés au légitime attachement
à la Corse, forte de ses richesses et de ses particularités, partie intégrante
de la nation, constituent, j'en suis convaincu, mesdames, messieurs les
sénateurs, autant de valeurs qui nous rassemblent et qui nous préserverons des
logiques d'abandon ou de destruction.
(Applaudissemennts sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président
M. le président.
La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les
sénateurs, si l'île de Beauté s'est trouvée constamment au coeur de mes
préoccupations depuis mon arrivée au ministère de l'intérieur, ce n'est pas
simplement parce que j'éprouve pour ce territoire de la République un
attachement profond. C'est aussi et surtout parce que je perçois l'angoisse qui
s'est emparée de la Corse et de ses habitants. Cette angoisse, chaque jour plus
présente, chaque jour lancinante, ne peut nous laisser indifférents ou
silencieux.
Comment pourrions-nous en effet accepter, mesdames, messieurs les sénateurs,
cette évolution désastreuse vers laquelle l'île semble dériver, sous le regard
impuissant des Corses eux-mêmes ?
Cette dérive nous mène à l'impasse politique aussi bien qu'au déclin
économique et à l'appauvrissement culturel.
Comment pourrions-nous laisser croître l'incompréhension, quand ce n'est pas
l'exaspération de l'opinion publique nationale face à une évolution dont elle
ne comprend pas les raisons ni ce qu'acceptent ou recherchent ceux qu'elle
englobe injustement dans une même responsabilité ?
L'opinion publique est lassée de contribuer, sans en voir les fruits, à un
effort de solidarité qu'elle estime considérable.
La gravité de la situation en Corse nous oblige d'abord à un constat lucide et
sans complaisance.
En vingt ans d'approches successives, et parfois contradictoires, pour
apporter des solutions aux problèmes de la Corse, qu'ils soient
institutionnels, économiques ou tout simplement liés à l'ordre public, nous
n'avons pas trouvé de réponses satisfaisantes, force est de l'admettre. Il nous
faut aujourd'hui prendre acte d'un échec politique. Quelles qu'aient été leur
inspiration, leur originalité et surtout leur bien-fondé, les initiatives
prises jusqu'à présent n'ont pas été, soyons lucides, couronnées de succès.
Qu'il me soit donc permis de préférer aux idéologies, aux idées toutes faites,
aux
a priori,
la mise en oeuvre d'une politique fondée sur des
convictions simples et des mesures pratiques.
C'est cette voie que j'ai voulu inaugurer à Ajaccio, en janvier dernier. Je
n'ai pas varié depuis, en dépit des heurts et des obstacles qui se sont dressés
sur ma route.
Je demeure convaincu que le rétablissement du respect des lois de la
République est le préalable à toute solution durable aux vrais problèmes de
l'île. Il est de la responsabilité de l'Etat de rétablir la loi républicaine,
et l'Etat la fera respecter.
Une fermeté résolue et comprise n'est cependant synonyme ni d'aveuglement ni
de repli de part et d'autre sur des certitudes immobiles.
C'est dans cet esprit que j'ai appelé au dialogue, non pour le plaisir
d'entretenir des contacts stériles, ni dans l'espoir illusoire d'un consensus
général. Le dialogue n'est pas une fin ; il est un moyen au service d'une
politique, qui vise à ouvrir l'espace indispensable à l'amorce d'une vie
institutionnelle et politique normale, à identifier les moyens de sortir des
impasses présentes, à l'abri des provocations, des menaces et de la violence,
toutes inacceptables.
Plus que tout autre, je mesure les difficultés de la démarche. Mais elles ne
sauraient être, pour moi, prétexte à renoncer.
Cette politique a besoin de temps, mais elle a surtout besoin de volonté. En
effet ne nous leurrons pas, tous ceux que la poursuite de la situation actuelle
avantage, dans le maintien des facilités acquises ou des illégalités trop
longtemps tolérées, s'attacheront à faire échouer cette politique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'avais indiqué à Ajaccio que la police
devait se remobiliser contre la délinquance, d'où qu'elle vienne et quelles
qu'en soient les formes. Regardons aujourd'hui les choses avec objectivité.
Durant ces derniers mois, son efficacité comme celle de la gendarmerie ont
incontestablement progressé. En voici plusieurs exemples, déjà rappelés
d'ailleurs par M. le garde des sceaux.
En quelques semaines, l'assassinat du président du tribunal administratif de
Bastia a été élucidé et son auteur interpellé. Une cache d'armes a été
découverte à Bastia. Les poseurs de bombes devant la chambre de commerce et
d'industrie d'Ajaccio ont été arrêtés. Les auteurs d'un mitraillage de la
préfecture et du conseil général ont été pris en flagrant délit et
incarcérés.
J'ajoute que, au cours des quatre derniers mois, ont été déférés à la justice
et écroués plus de responsables ou de complices d'attentats qu'au cours de la
moitié de l'année passée.
Les personnes appréhendées appartiennent à toutes les tendances : à partir du
moment où des actes criminels sont commis, ils doivent être réprimés, d'où
qu'ils viennent.
Nous sommes fermes. Nous ne sommes certainement pas comme les socialistes qui,
de juillet 1988 à septembre 1989, ont amnistié quarante-deux nationalistes.
(Murmures sur les travées socialistes.)
La majorité de l'époque avait en
effet voté une loi d'amnistie, et trois personnes condamnées qui n'étaient même
pas visées dans cette loi ont néanmoins été libérées.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et
de l'Union centriste. - Protestations sur les travées socialistes.)
Ne m'obligez pas à donner d'autres exemples !
Je redis ici que le respect de la loi vaut pour tous, que personne ne peut se
prévaloir de sa situation, de sa tendance ou de son appartenance politique pour
s'en affranchir.
Cette politique de fermeté sera poursuivie. Le RAID reviendra prochainement en
Corse pour relever les fonctionnaires de l'office central de répression du
banditisme.
Tous les moyens seront accordés pour que l'action de la police soit
exemplaire.
Aux forces de police et de gendarmerie présentes en Corse, j'adresse à nouveau
le témoignage de ma gratitude et de ma confiance. Je leur redis aussi mon
émotion devant la mort de l'un des leurs, au cours d'une récente opération
d'interpellation.
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Je sais qu'entre la réalité et la perception des choses il existe une
marge d'interprétation qui peut réduire à néant les arguments les plus solides
et balayer les faits les mieux enracinés.
Je voudrais toutefois que l'on admette que, si l'année 1995 en Corse s'est
trouvée entrecoupée de meurtres entre nationalistes et s'est achevée par une
vague d'attentats inadmissibles, le niveau atteint par la violence n'est, hélas
! aucunement exceptionnel.
Au demeurant, les crimes et les délits de droit commun ont diminué sur l'île
de 22 p. 100 l'année dernière, contre 6 p. 100 - faut-il le rappeler ? - sur le
plan national.
L'inacceptable violence nationaliste, qu'il s'agisse des attentats à
l'explosif, de l'usage des armes à feu ou des incendies, a représenté, en 1995,
540 actes criminels, contre 559 en 1994, 573 en 1993 et 621 en 1992.
Je ne tire nul argument de cette comptabilité. L'essentiel est ailleurs.
Prenons d'abord conscience qu'un changement fondamental est intervenu l'an
passé. La violence s'exerce désormais aussi entre les Corses et entre les
nationalistes, parfois en dehors de toute véritable considération politique.
Par ailleurs, les attentats sont dirigés non plus seulement vers l'Etat mais
également vers toutes les collectivités publiques insulaires.
C'est peut-être, paradoxalement, dans la crainte du chaos que nous pouvons
aujourd'hui puiser le fragile espoir de faire bouger les choses. La crainte de
l'immense majorité des Corses devant l'abîme économique et social qui menace
ainsi que le risque du discrédit politique général permettent que s'amorce,
peut-être, une autre voie, celle qui conduirait la Corse à se réconcilier avec
elle-même, dans le respect mutuel, le rétablissement de la loi et le
développement économique et social.
Cela passe par le dialogue entre les Corses eux-mêmes autant que par un
dialogue entre les Corses et l'Etat.
Le rôle du Gouvernement n'est pas d'imposer des solutions unilatérales et des
schémas préétablis. Il consiste, d'abord, à faire renaître la confiance.
C'est dans cet esprit que, sous l'autorité du Premier ministre, j'ai multiplié
les initiatives.
En tête-à-tête avec mes collègues, je me suis efforcé de faire progresser, sur
tous les plans, le travail interministériel, afin que tous soient associés à la
détermination de l'avenir de la Corse dans un climat de confiance
réciproque.
M. le Premier ministre a reçu les parlementaires de la Corse. J'ai reçu à deux
reprises, les représentants élus de l'assemblée territoriale. Quel que soit le
courant d'idées auquel ils appartiennent, ils sont détenteurs de la légitimité
que confère le suffrage universel.
J'ai voulu également écouter les parlementaires, qui sont les détenteurs de la
souveraineté nationale.
M. François Giacobbi.
Merci quand même !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Le suffrage universel, c'est la légitimité. La
souveraineté nationale, c'est l'autorité.
M. le Premier ministre a présenté le bilan de cette première étape. Il a
rappelé les décisions prises sur le plan économique et social. Il a tracé les
perspectives des prochains mois, évoquant notamment la constitution de la zone
franche, qui doit être un outil de développement pour l'île.
Pour cela, il faut que les Corses soient prêts à prendre en main leur destin,
car rien ne se fera sans eux.
Bien sûr, je déplore que de nouveaux épisodes soient venus, encore récemment,
menacer l'ébauche d'un rétablissement.
La Corse, pour ceux qui l'aiment, mérite mieux que les images d'Epinal par
lesquelles certains s'obstinent à la décrire !
Le grossissement médiatique, l'agitation désordonnée, la multiplication des
provocations ont semblé resurgir.
Ce serait là le pire des pièges, dans lequel les extrémistes veulent nous voir
collectivement succomber.
Entre violence sur l'île et indifférence sur le continent, il existe, j'en
suis convaincu, un chemin pour la raison et pour les hommes de bonne
volonté.
Si celui-ci ne se dégageait pas, entravé par l'action de groupes extrémistes,
il y aurait beaucoup à craindre pour la Corse.
Faudrait-il alors recourir à des solutions d'exception ? Serions-nous prêts à
les accepter ?
M. Emmanuel Hamel.
Non !
M. Michel Charasse.
L'état d'urgence !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Seraient-elles admissibles pour la République
qu'ensemble, et avec les Corses, nous formons ?
Mesurons aussi le risque d'une solidarité insulaire traditionnelle, qui
offrirait une nouvelle chance à ceux qui, enfermés dans leurs fantasmes, se
feraient passer pour les victimes d'une répression injuste.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la lucidité comme le courage nous
conduisent à maintenir la logique que nous avons tenté d'imposer en début
d'année. Si trop d'obstacles devaient nous forcer à renoncer, il s'agirait d'un
échec pour tout le monde, et d'abord pour la Corse.
J'ai ouvert ce dossier sans
a priori.
Comme vous, je me suis interrogé : existe-t-il une autre
politique possible que celle fondée sur le dialogue, la fermeté et le
développement ? Existe-t-il une alternative crédible à nos efforts ?
Existe-t-il des solutions miracles pour faire avancer la Corse sur la voie de
la prospérité et de l'harmonie retrou-vée ? Je crois que non.
Il est temps pour nous, forts de l'échec relatif des approches des vingt
dernières années, sachant en tirer les leçons, de dépasser nos clivages
traditionnels.
Seul l'effort de toute la nation, et d'abord de l'ensemble de ses
représentants, permettra à la Corse de redécouvrir les chemins de l'avenir.
C'est pour cela que l'Etat restera en Corse et que la Corse restera dans la
France.
M. François Giacobbi.
Elle y restera de toute façon !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
C'est, en tout cas, habité par cette espérance
et par cette détermination que j'entends agir dans les mois qui viennent.
Quelles que soient les épreuves, les interrogations, les doutes, les menaces
ou les intimidations, quels que soient les arrières pensées, le double langage
ou les ambiguïtés de certains, le Gouvernement tiendra le cap.
Soyez assurés de notre ténacité et de notre volonté de promouvoir en Corse les
valeurs de progrès qui sont celles de la nation et de la République.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et indépendants et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché,
président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Monsieur le
président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est du destin d'une
terre française dont nous débattons aujourd'hui.
M. Maurice Schumann.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Nous en débattons avec gravité dans un climat
d'inquiétude car nous percevons bien que ce débat, à certains égards, est
peut-être celui de la dernière chance.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il ne faut pas exagérer !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Française, la Corse l'est ; elle l'est par le
sang versé et par la volonté démocratiquement exprimée de sa population.
Peut-on rappeler à ceux qui croient traduire une certaine lassitude de
l'opinion en acceptant de s'abandonner à la revendication des fauteurs de
troubles qu'il fut un temps où la Corse sut répondre avec force et dignité à
une autre revendication, d'origine étrangère celle-là,...
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
... avec une force et une dignité que la
France entière admira ?
Messieurs les ministres, j'approuve votre propos.
Dans ce dossier, comme dans beaucoup d'autres, rien n'est pire que
l'incertitude. Vous avez clairement affirmé votre intention d'y mettre fin.
Vous aurez notre soutien.
Je voudrais simplement appeler votre attention sur deux points.
L'indispensable rétablissement de l'ordre républicain suppose une véritable
mobilisation des services publics.
Par ailleurs, il doit être rappelé - et vous l'avez clairement affirmé - que
la solution des problèmes que rencontrent les départements de Corse ne peut
être trouvée que dans le cadre de la République et dans le respect de la
Constitution.
La commission des lois a récemment institué une mission d'information chargée
d'examiner de manière très concrète les moyens dont dispose la justice, tant
sur le continent qu'en Corse.
Son président et son rapporteur, mes collègues et amis, MM. Charles Jolibois
et Pierre Fauchon, reviennent d'Ajaccio et de Bastia où ils s'étaient rendus
voilà quelques jours en compagnie de M. Giacobbi. Ils ont eu de très nombreux
contacts avec des magistrats et ils en rapportent une double impression.
Ces magistrats sont des hommes et des femmes de qualité. Bien que souvent
menacés - 30 p. 100 d'entre eux ont fait l'objet d'attentats ou de menaces
-...
M. Michel Charasse.
Par qui ?
M. Jacques Larché,
président de la commission.
... ils n'entendent pas renoncer à
l'accomplissement de leurs tâches.
M. Emmanuel Hamel.
Rendons hommage à leur courage !
M. Michel Charasse.
Tout le monde sait par qui !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Mais ils sont actuellement, quelles que
soient les évolutions statistiques, à la limite du découragement, voire de la
renonciation.
La même constatation vaut pour les fonctionnaires de police, des services
fiscaux et de la gendarmerie.
Les raisons de ce découragement sont évidentes. Serviteurs de l'Etat, ils
attendent du Gouvernement une attitude claire, qu'ils n'ont peut-être pas
toujours, jusqu'à présent, suffisamment perçue.
Soyez assurés alors qu'ils vous aideront à la mesure de leurs moyens et de
leur courage dans le rétablissement de l'ordre républicain.
Ce rétablissement - et c'est le second point auquel je voulais en venir - ne
peut avoir lieu que dans la République et dans le respect de la Constitution.
Quelques revendications ne me semblent pas susceptibles d'être satisfaites dans
le cadre actuel de nos institutions.
M. Michel Charasse.
Quelques !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
Qu'il s'agisse de la reconnaissance juridique
du peuple corse, de la suppression des structures départementales ou de l'usage
officiel de la langue corse, notre ordre constitutionnel actuel, qu'on le
veuille ou non, s'y oppose.
Le Conseil constitutionnel l'a déjà affirmé, et si d'aventure on voulait aller
au-delà, il faudrait alors clairement mesurer les conséquences sans doute
redoutables qui en découleraient pour l'ensemble de la nation française.
Il faudrait envisager clairement en toute connaissance de cause une réforme de
la Constitution qui poserait de si redoutables problèmes que vous vous refusez
à y songer.
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Jacques Larché,
président de la commission.
D'autres que moi vous diront, dans le cadre
de leurs responsabilités, ce qu'ils estiment souhaitable dans les domaines
économique, social et fiscal pour que nos compatriotes de Corse retrouvent cet
équilibre auquel, nous le savons, une très forte majorité d'entre eux
aspirent.
Messieurs les ministres, vous avez voulu privilégier le dialogue avec des élus
authentiques.
Ecoutez-les, ils vous diront que, dans leur coeur, ils se sentent pleinement
Français et pleinement Corses et que cette double identité constitue la seule
base possible sur laquelle la Corse française pourra bâtir son avenir.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la
conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour
cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 43 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 19 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous
sommes bien évidemment appelés à réagir après la déclaration de M. le Premier
ministre et les propos tenus par M. le garde des sceaux et M. le ministre de
l'intérieur.
Mais ce débat est rare, comme le soulignait M. Larché. Si nous avons en effet
beaucoup débattu des institutions de la Corse, nous avons eu peu l'occasion de
discuter de la situation dans l'île. Nous voilà donc amenés à nous interroger
sur celle-ci et sur les solutions à apporter aux problèmes récurrents qu'elle
connaît, tels que la violence, l'insécurité et, bien entendu, le retard dans le
développement économique.
Il est vrai que l'opinion publique, lasse de voir cette situation perdurer et
ayant de plus l'impression que la solidarité financière a ses limites...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est ce que dit M. Barre !
M. Jean-Jacques Hyest.
... serait tentée de demander qu'on laisse la Corse se débrouiller avec ses
problèmes, d'où le succès de certaines formules.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Quel succès ?
M. Jean-Jacques Hyest.
Mais cela n'est pas nouveau.
(M. Ceccaldi-Raynaud proteste.)
Je vous en prie, monsieur Ceccaldi-Raynaud, ne réagissez pas ainsi ! Je
pense avoir à la fois la sérénité et le sérieux nécessaires pour aborder les
problèmes de la Corse, comme tout parlementaire !
M. Michel Charasse.
Ça, c'est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest.
Au moins, je n'ai encore rien dit qui puisse être choquant.
(M. Lorrain
applaudit.)
J'ai, au contraire, donné l'avis de l'opinion publique
continentale.
Nous sommes précisément là pour essayer de faire en sorte que cette opinion
publique n'ait plus à se poser ces questions et pour essayer de trouver des
solutions afin de remédier à ces problèmes.
Permettez-moi de reprendre quelques citations que les parlementaires de Corse
connaissent bien.
Au début du siècle, Volney a écrit, dans son ouvrage
Etat physique de la
Corse,
qu'il existe un système mystérieux « dont les effets sont d'attirer
du Trésor français un argent immense et mal employé ».
M. François Giacobbi.
Ce n'est pas nouveau !
M. Jean-Jacques Hyest.
Certes non. Il faudrait aussi évoquer les bandits corses.
M. François Giacobbi.
Oh, la, la !
M. Jean-Jacques Hyest.
On se souvient des voltigeurs corses. Cinq cents gendarmes ont été envoyés en
Corse pour arrêter un seul homme, lequel n'a finalement été appréhendé qu'au
bout de vingt et un ans. On pourrait dire qu'il s'agit d'un mal habituel et
d'une tradition, mais la situation a beaucoup changé.
Il faut, comme l'ont souligné de nombreux parlementaires, rappeler le
patriotisme des Corses. Combien sont morts au service de la nation, dans la
Résistance ? Il faut rappeler le courage dont ils ont fait preuve alors. Dès
lors, on peut se demander pourquoi cette Corse, attachée profondément à la
France, ne peut pas trouver en elle-même la solution à ses problèmes ?
Il faut aussi rappeler l'aspect économique, que je développerai tout à
l'heure. Les meilleurs de ses enfants sont partis sur le continent. Un certain
nombre d'entre eux sont présents dans cet hémicycle, même s'ils ne sont pas
élus de Corse. On peut s'interroger en observant le nombre d'habitants actuels,
les composantes démographiques, le dépérissement de l'économie rurale et la
croissance de certaines agglomérations qui ont complètement désorganisé
l'économie de l'île. De nombreux jeunes ont cru qu'ils pouvaient vivre en Corse
et on note chez eux une certaine désespérance.
Je reprendrai les points qu'ont évoqués MM. les ministres, et tout d'abord la
sécurité. J'approuve pleinement les propos qu'ils ont tenus. Il existe un
malaise chez la grande majorité des Corses, surtout parmi ceux qui sont chargés
de faire respecter la loi, comme l'a bien souligné M. Larché, qu'il s'agisse
des magistrats, des policiers, des gendarmes et des fonctionnaires de toutes
catégories, face à un sentiment d'impunité réelle ou supposée d'une
minorité.
Comme certains l'ont souligné à plusieurs reprises, sous couvert d'un
nationalisme se cache parfois une criminalité, une délinquance de droit commun
inacceptables. Le banditisme, la criminalité, la violence sont des
transgressions de l'Etat de droit que nous ne pouvons accepter car elles créent
un climat d'insécurité et discréditent la force publique.
Vous avez répondu tout à l'heure par avance, monsieur le garde des sceaux, à
une question que je voulais vous poser. On ne peut accepter, par exemple, que
des propos tendant à remettre clairement l'Etat de droit en question puissent
être tenus sans conséquences pour leurs auteurs.
Face à cela, il faut bien entendu réaffirmer, comme vous l'avez fait, que la
conduite de l'Etat se résume à la fermeté mais aussi à la transparence. Il faut
également, et c'est indispensable, redonner confiance à tous ceux qui ont la
lourde charge d'assurer l'Etat de droit en Corse, mais, nous le savons bien, ce
n'est pas suffisant. La répression, à elle seule, n'est pas la solution et elle
n'aurait pas plus de succès qu'elle n'en a eu par le passé.
Nous pourrions alors être tentés de choisir la voie institutionnelle. Certains
rappellent, mais ce n'est pas nouveau, que dans d'autres Etats de l'Union
européenne les îles possèdent des statuts spécifiques. Mais dois-je rappeler
que la loi de 1991, qui avait fait suite au « statut Defferre » de 1982,
reconnaît déjà à la Corse une spécificité dans le cadre de l'article 72 de la
Constitution ?
Je suis d'autant plus à l'aise pour le dire que, lorsque j'étais député, j'ai
soutenu le projet de statut spécifique de la Corse, à l'exception bien entendu
de son article premier, qui me paraissait déplorable et que le Conseil
constitutionnel a censuré. On pourrait sans doute évoquer aussi les récentes
réformes, par exemple en matière de statut fiscal, qui tendent à favoriser le
développement économique de l'île.
C'est pourquoi, messieurs les ministres, nous approuvons votre volonté de ne
pas inclure un volet institutionnel dans votre action en faveur de la Corse. Je
ne crois d'ailleurs pas que de nouvelles modifications statutaires, qui ne sont
en fait réellement réclamées par personne, auraient un quelconque effet.
Faut-il une fois de plus, comme certains l'ont suggéré, organiser des élections
pour vérifier ce que nous savons déjà, c'est-à-dire l'attachement de la très
grande majorité des Corses à la France ? Pourquoi pas ? Mais cela présenterait
l'inconvénient de sous-entendre que les élus légitimes ne le seraient pas tant
que cela et que les institutions sont bloquées.
A mon avis, le problème ne se situe pas là, et je ne crois pas que
l'organisation d'élections permettrait aujourd'hui de favoriser à la fois le
retour de la paix civile dans l'île et le développement économique. Alors, si
la répression indispensable n'est pas suffisante, si la réponse
institutionnelle n'a pas fait et ne peut faire ses preuves, doit-on se tourner
vers la solution économique ? A l'évidence, oui.
En 1908, Georges Clemenceau, rapporteur d'un texte sur la situation économique
de la Corse,...
M. Michel Charasse.
Et il en avait quelque part !
M. Jean-Jacques Hyest.
... soulignait la pauvreté du pays en ces termes : « Ni la Bretagne, ni les
Hautes-Alpes, ni peut-être aucun pays d'Europe ne peuvent donner une idée de la
misère et du dénuement actuels de la Corse. »
A l'examen, toutes choses étant égales par ailleurs, tant le nombre de
bénéficiaires du RMI et de CES que le revenu par habitant montrent, il faut
bien le reconnaître, que la Corse ne s'enrichit pas, même si quelques-uns y
parviennent. C'est tout à fait dommage.
M. Michel Charasse.
La Corse n'est pas la plus pauvre du peloton !
M. Jean-Jacques Hyest.
Elle fait tout de même partie des régions les plus pauvres,...
M. Guy Allouche.
Non.
M. Michel Charasse.
Non, non !
M. Jean-Jacques Hyest.
... si l'on tient compte, bien entendu, du nombre de pensionnés et de
retraités disposant d'un revenu. L'économie active est extrêmement faible.
M. Michel Charasse.
La région la plus pauvre, c'est la Picardie !
M. Jean-Jacques Hyest.
Des faiblesses structurelles perdurent. La Corse, c'est évident, est victime
d'une faible démographie qui l'empêche de développer une économie plus
autocentrée.
En définitive, comme on l'a dit, la Corse vit, pour l'essentiel, du secteur
public et des fonds publics évalués par certains à 11,4 milliards de francs
d'aides nationales et à 400 millions d'aides européennes. A ce sujet, l'Union
européenne sera, bien entendu, conduite à demander des comptes sur
l'utilisation des crédits. Il faut aussi faire comprendre à la Corse qu'elle ne
peut pas continuer à obtenir des subventions ou des aides sans que celles-ci
contribuent au développement.
Ces difficultés économiques insurmontées ont participé, d'une part, à la crise
politique et à l'éclatement de la violence et, d'autre part, à la situation
d'incompréhension de la part des pouvoirs publics. Aujourd'hui, le Gouvernement
souhaite continuer l'action économique, et je le suis dans cette voie ;
seulement il me semble qu'au préalable certaines clarifications s'imposent.
Je ne sais si les zones franches constituent la solution ou la seule mesure à
prendre pour assurer le développement économique de la Corse.
En fait, il faudrait avant tout savoir ce que veulent les Corses. C'est
pourquoi une véritable concertation doit être menée sur le terrain. Le
Gouvernement l'a engagée et il la poursuivra.
L'Etat doit, certes, aider les régions en difficulté, et la Corse en fait
partie, mais cela doit se faire selon une démarche de coopération et
d'initiative. Le développement ne se décrète pas, selon la formule célèbre, et
comme nous ne pouvons l'imposer aux Corses, ils ne peuvent pas non plus
l'attendre sans fournir d'efforts.
La violence que nous constatons avec regret aujourd'hui est la manifestation
d'une incompréhension et d'une non-communication fort regrettables. C'est
pourquoi il faut réinstaurer le dialogue et la transparence. L'aide économique
est importante mais elle doit être comprise et acceptée afin de porter
pleinement ses fruits.
Non que ce soit la dernière chance, mais ce débat doit être l'occasion, d'une
part, de faire entendre aux Corses les exigences d'un développement économique
équilibré et celles de l'Etat de droit, d'autre part, de redire combien les
Français sont attachés à ce que la Corse demeure française afin que tout ce
qu'ont donné ses enfants pour la patrie ne soit pas perdu par ceux qui ont
oublié leur histoire.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, je continuerai à m'adresser à M.
le Premier ministre, bien qu'il soit parti, ce que je regrette, car je
considère que c'est lui, en premier lieu, qui a en charge le dossier de la
Corse.
Le débat parlementaire sur la Corse, que nous demandons de longue date,
s'impose aujourd'hui plus que jamais, car la détérioration dramatique de la
situation exige à la fois des mesures d'urgence et la mise en oeuvre d'une
politique forte et ambitieuse de développement dans la transparence et la
solidarité.
C'est ce qu'attendent avec raison, et dans leur immense majorité, nos
compatriotes corses, qui honnissent la violence destructrice et meurtrière.
Avec la même force, ils condamnent la déstabilisation de l'Etat de droit et de
la légalité républicaine en Corse et ne supportent plus les lourdes carences
économiques et sociales. Avec eux, les sénateurs du groupe communiste
républicain et citoyen exigent le réexamen fondamental de l'action engagée
depuis vingt ans et le changement de cap indispensable au devenir de l'île.
Le peuple corse avec sa jeunesse, avec ses forces vives, riche de sa
personnalité, de son histoire, de ses contributions éminentes à la nation et de
ses potentialités, porte en lui un enthousiasme, une énergie, des atouts qu'il
ne demande qu'à pouvoir déployer. C'est pourquoi le peuple corse, partie
intégrante de la nation française, aspire à toujours plus de démocratie, à
l'exercice plein et entier des droits des citoyens. Ce n'est pas du dogme,
c'est de l'histoire vivante ! Le peuple corse veut et doit vivre une vie digne
et pacifique qui soit féconde et fructueuse pour chaque citoyen, chaque famille
de l'île, et par là même, pour toute la République.
Ce potentiel est, hélas ! bafoué par ceux qui, par une série insupportable de
destructions, de menaces, de rackets, d'assassinats, ont pour seule stratégie
le terrorisme et la mainmise mafieuse sur les activités de l'île. Il est grand
temps de mettre un terme définitivement à ces dérives insupportables.
L'Etat, pratiquement absent tout au long d'une année marquée, monsieur le
ministre de l'intérieur, par des atteintes permanentes à ses représentations
les plus directes - bâtiments publics, administrations publiques, magistrats,
policiers, gendarmes, enseignants, agents du Trésor et des impôts -, l'Etat,
donc, pratique le double langage. D'un côté, le Gouvernement proclame
martialement la nécessité de rétablir l'ordre républicain ; de l'autre, il
choisit délibérément le marchandage en catimini et la diplomatie secrète avec
la branche terroriste du mouvement nationaliste. Et j'apprends que, cette nuit,
les locaux de l'union départementale CGT de Corse-du-Sud ont été mitraillés :
c'est une nouvelle étape inquiétante.
Force est de constater, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres,
que la dernière proposition gouvernementale qui consiste à ériger toute la
Corse en une sorte de zone franche apparaît, pour une large part, comme le prix
payé au chantage terroriste. L'initiative, accueillie favorablement lors de son
annonce par le FLNC-canal historique ainsi que par le patronat et les
responsables politiques qui vous soutiennent, ouvre, de fait, la voie à un
désengagement institutionnel poussant la Corse en marge de la communauté
nationale. Elle la transformerait en zone de non-droit, notamment économique,
et en un paradis fiscal où tout serait permis aux forces de l'argent, y compris
celles de l'argent sale.
Autrement dit, une telle disposition aurait pour conséquence, par les appétits
qu'elle susciterait, d'amplifier tous les phénomènes de dérives mafieuses, et
d'accroître l'espace laissé aux adversaires de la paix civile, via leurs bandes
armées.
Monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, il faut en finir avec
les complaisances, les attitudes politiciennes à l'égard de ceux-là.
Appuyez-vous plutôt sur le courage des Corses qui, de plus en plus nombreux,
dénoncent à leurs risques et périls les stratégies suicidaires. Ces femmes,
qui, dans la lignée héroïque d'une Danielle Casanova, défilent contre la
violence et le terrorisme ; cet évêque, qui s'insurge contre la lutte armée ;
le maire communiste de Sartène, mon ami Dominique Bucchini, qui relève le défi
contre les poseurs de bombes, tous méritent, ô combien ! écoute et
considération.
Ils vous le disent fermement : la Corse a besoin que l'on cesse de tricher
avec elle ! Elle a besoin de vérité et de justice ! Car le terrorisme ne
détruit pas que des bâtiments publics et des vies humaines ; il accroît la
délinquance, la première victime en étant la jeunesse ; il sape les fondements
moraux d'une société et il prospère sur le renoncement et la lâcheté.
Il faut mettre fin à la loi des armes, obtenir l'autodissolution des bandes
armées et cesser le double langage. Il est impératif que les autorités
judiciaires et policières disposent, en Corse, de tous les moyens requis pour
élucider les crimes. Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen
vous le demandent, comme ils vous demandent d'assurer la transparence complète
par la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire, à la suite des
travaux de la mission sénatoriale qui ont été rappelés tout à l'heure par M.
Jacques Larché à laquelle participait mon ami Robert Pagès, et la constitution
d'un observatoire sur les activités mafieuses en France.
Autant la question corse constitue un vrai problème, autant la réponse
nationaliste est une fausse solution. L'avenir du peuple corse ne passe ni par
le retrait de la nation française, ce qui constituerait un défi à l'histoire et
une régression assurée, ni par une Europe des régions version maastrichtienne.
Celle-ci « brancherait » prioritairement l'île sur le marché unique des
capitaux et des hommes, la dissociant du devenir national tout en la livrant
aux convoitises des milieux d'affaires. A cet égard, la déclaration inquiétante
de l'un de vos prédécesseurs, M. Barre, évoquant l'idée d'indépendance et
approuvant l'instauration de la zone franche, reflète l'incapacité du
Gouvernement à faire respecter la légalité, lui qui, dans le même temps,
exonère les responsables, en culpabilisant les victimes et en les
abandonnant.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Qu'est-ce que le Gouvernement a à voir avec M. Barre ?
Mme Hélène Luc.
De telles prises de position irresponsables et dangereuses, que seule prône
une très infime minorité de Corses, rejoignent celles, provocatrices, visant à
discréditer la Corse en la présentant comme vivant de subsides et réduisant les
rapports avec la communauté nationale à un simple contrat commercial. Quel
mépris de deux siècles d'histoire, quelle ignorance de la culture et des
sentiments populaires ! Si certains se croient autorisés à exttravaguer de la
sorte, c'est aussi, messieurs les ministres, en raison de l'inconsistance de
vos propositions, qui sont sans aucune mesure avec l'électrochoc qui serait
nécessaire pour inverser le cours des choses.
La Corse, comme l'ensemble des régions françaises, subit les ravages de la
crise et de l'ultralibéralisme qui, au fil des années, ont généré chômage,
mal-vivre, précarité et baisse du pouvoir d'achat. Mais ce marasme national est
amplifié par le mal endémique subi par la Corse, et cette situation doit servir
de base à toute réflexion et justifier la mise en oeuvre d'une politique
économique et sociale spécifique.
Il y a du chômage en Corse comme partout, mais le taux est l'un des plus forts
de France, la densité des emplois précaires y est des plus importantes, les
salaires sont bas comme partout, mais ils sont les plus bas de France, et le
coût de la vie y est le plus élevé.
M. Michel Charasse.
Ce n'est pas vrai !
Mme Hélène Luc.
Sur 23 000 entreprises privées, une seule compte plus de 130 salariés. Le
pourcentage d'emplois industriels est inférieur de moitié à celui qui est
relevé dans le Languedoc-Roussillon, pourtant lanterne rouge.
M. Michel Charasse.
Ça, c'est vrai !
Mme Hélène Luc.
La Corse importe quinze fois plus qu'elle n'exporte, ses services publics dans
les domaines de l'énergie, du transport et des télécommunications ont subi des
attaques et des démantèlements qui obèrent gravement les possibilités
d'assainissement et de redressement de l'économie.
Une carence majeure de celle-ci, c'est la fragilité et la précarité de son
activité dominante, le tourisme, car aucune économie ne peut se structurer
durablement sur les quelques semaines que dure une saison touristique.
M. François Giacobbi.
C'est vrai !
Mme Hélène Luc.
Une autre faiblesse majeure s'inscrit dans l'assistance sur laquelle repose
l'économie, et qui est amplifiée par des gaspillages de fonds publics se
chiffrant par des milliards de francs versés au patronat sans contrepartie ni
contrôle - le scandale de la Caisse de développement économique de la Corse est
suffisamment parlant de ce point de vue.
Il est urgent de faire le point sur le scandale des fonds publics en Corse,
comme partout, et de permettre aux élus et aux organisations syndicales de
contrôler leur affectation et leur utilisation.
Plus généralement, le droit d'intervention de tous les acteurs de la vie
économique et sociale doit être reconnu, encouragé et respecté, messieurs les
ministres. Il doit être le moteur d'une identité et d'une modernité de la
Corse, renvoyant à une conception moderne de la nation, fondée sur la
construction harmonieuse de régions autogérées et solidaires.
Il existe en Corse, en particulier chez les jeunes, une immense aspiration à
être responsables, à s'impliquer dans un développement dynamique de l'île.
Messieurs les ministres, écoutez enfin le peuple corse !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Arrêtez de parler du peuple corse !
Mme Hélène Luc.
Il existe !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Parler du peuple corse, c'est anticonstitutionnel,
madame Luc. Respectez la Constitution !
Mme Hélène Luc.
Le peuple corse,...
M. Michel Charasse.
Les Français de Corse !
Mme Hélène Luc.
... c'est autre chose que les démagogues et les aventuriers qui prétendent
parler en son nom !
Le peuple corse...
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Respectez la Constitution, madame Luc !
Mme Hélène Luc.
Le peuple corse existe !
Le peuple corse, ce sont des dizaines de milliers de salariés qui se sont
dressés, en 1989 et en 1995, pour défendre le service public indispensable à
l'économie de l'île, pour exiger la parité avec le continent. Ils veulent avoir
voix au chapitre sur les questions essentielles et n'acceptent plus que leurs
revendications démocratiques soient occultées par le débat sur les problèmes
institutionnels et fiscaux que les uns et les autres privilégient.
Le peuple corse,...
M. Michel Charasse.
Les Français de Corse !
Mme Hélène Luc.
... c'est le mouvement syndical, social, associatif, culturel qui refuse de se
laisser assimiler à une poignée de séparatistes. Le peuple corse, ce sont les
femmes, si courageuses, unies dans leur diversité, qui vont manifester de
nouveau le 8 juin contre la loi des armes. Nos camarades communistes corses et
nous-mêmes sommes solidaires de leur combat.
Le peuple corse,...
M. Michel Charasse.
Les Français de Corse !
Mme Hélène Luc.
... c'est tout ce qui vibre à l'unisson du peuple de France, en digne héritier
des résistants et patriotes de ce département qui fut, ne l'oublions jamais, le
premier à se libérer de l'occupant nazi. Il est le digne descendant de Gabriel
Péri, Jean Nicoli, Fred Scamaroni, Arthur Giovoni,...
M. Michel Charasse.
Danielle Casanova !
Mme Hélène Luc.
... auxquels le Président de la République et les représentants de la nation
et de la Corse, parmi lesquels le sénateur-maire d'Ajaccio, notre ancien
collègue, ont rendu hommage en 1993 à l'occasion du cinquantième anniversaire
de la libération de la Corse.
Je m'honore d'avoir partagé ce moment fort...
M. Michel Charasse.
Exact !
Mme Hélène Luc.
... et émouvant, qui rend toujours plus contemporains les mots de Pascal Paoli
prononcés en 1789 et que mon ami Louis Minetti rappelle souvent : « Notre union
à la libre nation française n'est pas servitude, mais participation de droit.
»
Le peuple corse refuse les pressions et l'anonymat. Il veut la parole libre de
citoyen. Il rejette la violence clandestine et se prépare au rassemblement. Il
dénonce les manipulations, propose le débat contradictoire et le respect du
suffrage universel et de la démocratie en toutes circonstances. Au chauvinisme,
il oppose la solidarité, au racket et au crime, la loi républicaine ! Au couple
incertain dialogue-fermeté de M. le ministre de l'intérieur, il oppose le
couple citoyenneté-modernité.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Allons donc !
Mme Hélène Luc.
Oui, modernité.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Quel baratin !
Mme Hélène Luc.
Messieurs les ministres, vous avez les moyens de répondre à l'attente des
Corses.
Vous pouvez donner un cours nouveau à la politique de l'Etat si vous décidez
une action économique de grande envergure en lieu et place de la politique
destructrice que vous appliquez depuis un an en Corse, comme pour toute la
société française.
Engagez enfin une politique nouvelle de développement fondée sur
l'implantation dans l'île d'une base productrice stable, consistante et
moderne. Je vais vous suggérer - j'aurais aimé que M. le Premier ministre soit
présent ! - une action hautement symbolique, qui peut être, à elle seule,
porteuse d'espoir et d'avenir, car porteuse de progrès scientifique, technique,
porteuse d'emplois hautement qualifiés.
La Corse a adressé au Gouvernement sa candidature, Bastia s'est notamment
proposée pour être site d'accueil, de la future source de rayonnement
Synchrotron à énergie intermédiaire, le projet Soleil. Il s'agit d'un projet de
très grande importance pour la communauté scientifique, pour la France, pour
l'Europe.
Si la candidature corse était retenue par le Gouvernement, ses retombées
économiques, industrielles, sociales et universitaires seraient
considérables.
M. Michel Charasse.
Il serait aussitôt plastiqué !
Mme Hélène Luc.
J'ai pris cet exemple car il est particulièrement significatif de la voie
nouvelle que peut et doit prendre dans l'île l'action publique. Il faut que le
Comité de coordination pour le développement industriel de la Corse, le CCDIC,
soit relancé et que l'action sociale et économique devienne vraiment une
priorité : elle seule peut la sortir de l'impasse.
M. le président.
Madame Luc, il va falloir bientôt conclure.
Mme Hélène Luc.
Je termine, monsieur le président.
La politique d'investissement des entreprises publiques doit être résolument
soutenue : elles seules, avec les collectivités locales, ont la possibilité
d'apporter l'oxygène indispensable au secteur privé insulaire complètement
déstructuré et défaillant. Il faut accélérer la réalisation de la centrale au
gaz de pétrole liquéfié prévue par EDF-GDF, reprendre les contacts avec
l'Italie pour faire le point sur le gazoduc, aider tous les projets qui peuvent
irriguer le tissu économique et notamment les PME-PMI.
Il est également nécessaire de permettre aux collectivités locales de sortir
du rouge...
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Elles ont toujours été dans le rouge !
Mme Hélène Luc.
... en facilitant leur désendettement. Il faut aussi aider les offices publics
d'HLM à construire des logements. Sachez que, en Corse du Sud, cette année,
l'office public ne construira aucun logement !
M. Michel Charasse.
Il sera tout de même subventionné !
Mme Hélène Luc.
Des mesures urgentes en faveur du monde agricole doivent lui permettre de
résister aux effets dévastateurs de la politique agricole commune.
Les Corses, naturellement, tiennent à leur langue, mais ils ne s'opposent pas
à celle de la République. Au contraire, ils sont riches de deux cultures et ils
souhaitent que la France ratifie la Charte européenne des langues minoritaires.
Ils l'ont dit dans une délibération unanime de l'Assemblée de Corse, dans
laquelle nul ne pourra trouver la moindre atteinte à la cohésion nationale. Les
moyens doivent être donnés à l'éducation nationale pour préserver et développer
l'apprentissage de la langue corse.
Pour terminer, messieurs les ministres, j'ajouterai que ces orientations sont
réalistes et applicables rapidement. Elles répondent aux aspirations de nos
compatriotes qui n'ont rien à voir avec des criminels et des fanatiques, car
les Corses sont avant tout des acteurs, citoyens ayant leur communauté, leur
région, leur pays au coeur de leurs projets et de leur vie. C'est pourquoi nous
tenons tant à faire entrer leur voix dans notre Haute Assemblée.
Le peuple corse...
M. Michel Charasse.
Les Français de Corse !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Il n'y a pas de peuple corse !
Mme Hélène Luc.
... doit pouvoir compter sur la nation pour passer les épreuves actuelles,
comme la nation a pu compter sur le peuple corse en 1789 comme durant les
grandes heures de 1943 qui ont fait dire au général de Gaulle : « Les Corses
auraient pu attendre d'être délivrés par nos armes, mais ils ont voulu être
eux-mêmes des vainqueurs. »
Messieurs les ministres, les sénateurs du groupe communiste républicain et
citoyen seront de ceux qui, avec les Corses et avec beaucoup d'autres,
oeuvreront activement à donner une nouvelle victoire à cette si belle région et
à tout son peuple.
(Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.
- M. Pierre Mauroy applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, déchirée
par la violence, la Corse s'enfonce et n'est plus loin du point de rupture. Les
visites ministérielles successives sur l'île, un débat au Parlement, une
prochaine visite du Premier ministre suffiront-ils à extirper la Corse de la
spirale infernale qui l'emporte à la dérive ? Les républicains et démocrates
n'admettront jamais que la violence soit un moyen d'expression politique
banalisé.
Le Gouvernement doit faire preuve de courage et de fermeté.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est le cas !
M. Guy Allouche.
En effet, l'Etat n'assume plus son rôle en Corse. Que reste-t-il de la
République quand l'Etat de droit est bafoué ? Ce ne sont pas les mâles
déclarations ministérielles sur cet Etat de droit et les négociations avec ceux
qui pulvérisent les symboles de l'Etat, sans que l'on sache qui est en guerre
contre qui et pour quels motifs, qui y changeront quelque chose. Quand les «
hors-la-loi » deviennent des interlocuteurs privilégiés, c'est que l'ordre
républicain est aboli.
Il est urgent de revenir aux pratiques claires de toutes les sociétés
démocratiques. La Corse en a les moyens ; elle en a le devoir.
Depuis plus de vingt ans, les gouvernements successifs se sont lancés dans des
négociations avec des interlocuteurs au crédit inversement proportionnel à leur
légitimité.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous le reconnaissez !
M. Guy Allouche.
Certes, le dialogue est nécessaire, mais il a des limites, car à force de
céder l'Etat finit par concéder.
Aujourd'hui, il est clairement établi que l'on ne doit pas négocier avec ceux
qui ont pour seul mode d'expression la violence et la propagation de la
terreur. L'ordre républicain ne se marchande pas, il s'impose à tous. Les
mouvements qui prônent la violence ne peuvent être composantes du débat
démocratique.
L'idéologie nationaliste en Corse n'a plus aucune justification politique.
Plus personne n'est dupe. Le seul résultat du terrorisme politique en
démocratie, c'est servir de rendez-vous à toutes les délinquances de droit
commun qui opèrent, pour leur propre compte, derrière un paravent prétendument
politique. Nous assistons à une guérilla entre clans, entre trafiquants en tous
genres, entre racketteurs se partageant l'impôt révolutionnaire, entre mafieux
qui font « main basse » sur la Corse et qui prennent les Corses et l'Etat en
otage. Ils abusennt des libertés pour imposer des diktats à l'immense majorité
de la population. Comment peuvent-ils se servir de la fierté, de l'honneur des
Corses et tendre constamment la sébile à l'Etat nation ?
Jusqu'à quand le Gouvernement se prêtera-t-il à une négociation fondée sur une
arnaque ? Ces pseudo-interlocuteurs ne font que se livrer à des surenchères.
Un Etat républicain comme le nôtre ne pourra jamais admettre que certains
s'érigent en justiciers sommaires. Tant que les poseurs de bombes auront la
quasi-certitude de ne pas être arrêtés, nous n'avancerons pas. Il faut pouvoir
créer l'insécurité chez eux.
Il appartient à la justice d'agir en toute liberté et indépendance, en faisant
appel au concours d'une population consciente de ses devoirs civiques et,
surtout, soucieuse de sa sécurité. Pour cela, l'Etat doit soutenir sans
faiblesse ses représentations directes sur l'île. Que la République cesse
d'être humiliée.
Il est urgent d'aboutir à la moralisation de la vie publique. L'ordre
républicain ne s'appliquerait-il que sur le continent, particulièrement dans
certaines banlieues et quartiers difficiles, alors qu'il s'évaporerait en
franchissant le bras de mer qui nous sépare de la Corse ? D'un côté, l'Etat
fait cogner sur ceux qui crient leur révolte du mal vivre et de l'exclusion
sociale ; de l'autre, ce même Etat serait-il paralytique, aveugle et sourd ?
Non, l'Etat de droit n'est pas à géométrie variable. Pourquoi des Bretons
sont-ils arrêtés, condamnés et emprisonnés au motif qu'ils ont hébergé des
terroristes basques, alors que des terroristes corses s'affichent à la
télévision et agissent en toute liberté et en toute impunité ?
La première des conditions à remplir pour assurer l'avenir de la Corse dans la
démocratie et le pluralisme et pour favoriser son développement économique,
c'est d'éradiquer la violence et la peur en utilisant l'ensemble de notre
arsenal juridique. La Corse doit cesser d'être une « zone franche judiciaire »,
la République étant une et indivisible, aucune zone de non-droit ne doit
exister sur son territoire.
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Guy Allouche.
La situation qui règne aujourd'hui en Corse doit d'abord inciter le
Gouvernement et l'ensemble des responsables politiques à faire preuve
d'humilité et d'esprit de responsabilité, car toute polémique profite aux
partisans de la violence en Corse.
C'est la raison pour laquelle je m'abstiendrai de vous retourner aujourd'hui,
messieurs les ministres, les critiques sévères que la majorité sénatoriale
adressait au gouvernement socialiste en 1990 et en 1991.
De fâcheuses décisions prises dans les années soixante-dix ont servi de
carburant insurrectionnel. Dès 1982, nous étions tous convaincus que la
violence résultait des difficultés économiques, sociales et culturelles que
rencontre la Corse. De nombreuses réformes ont donc aussitôt été entreprises
pour tenir compte du particularisme insulaire. Le statut de 1991 est allé
encore plus loin et a permis de faire l'expérience d'une décentralisation
avancée et adaptée à la Corse, dans le dessein de responsabiliser nos
concitoyens et de leur donner les moyens de prendre leur destinée en main. Nous
avions fait le pari de la jeunesse et de l'intelligence. Encore aurait-il fallu
qu'ils s'en saisissent et que les élus cessent de reculer devant des choix
difficiles.
Ce statut, vous l'aviez rejeté et combattu ; aujourd'hui, vous reconnaissez
qu'il y a lieu de ne pas en changer et, surtout, de ne pas aller vers une
nouvelle étape. Merci de rendre ainsi hommage au courage et à la lucidité des
initiateurs et auteurs de ce statut !
M. Josselin de Rohan.
Vous allez un peu loin !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous interprétez un peu !
M. Guy Allouche.
Je vous en prie, monsieur Ceccaldi-Raynaud !
Aujourd'hui, messieurs les ministres, vous nous reprochez l'absence de toute
proposition, alors que vous n'êtes pas en mesure d'élaborer une réponse
appropriée. Faute de lisibilité, nous n'entendons, hélas ! que les couacs
gouvernementaux.
Alors, vous préconisez une zone franche. Cependant, vos hésitations, tant sur
le contenu que sur la dénomimation, vos atermoiements prouvent que vous n'êtes
pas convaincus de ce que vous avancez, tant il est vrai que c'est l'exemple
type de la fausse bonne idée. Avec les avantages fiscaux dont bénéficie déjà la
Corse, il faut vraiment un surcroît d'imagination pour inventer une zone
franche !
A supposer que la zone franche, telle qu'elle est envisagée, soit possible
juridiquement, elle n'est pas souhaitable politiquement. Je dirai même qu'elle
est condamnable. Tous les observateurs avertis disent au Gouvernement : «
Attention casse-cou ! » les responsables politiques affirment : « Surtout pas
ça ! » ; l'inspection des finances, dans un rapport, le met en garde. A vouloir
persister, M. le Premier ministre commettrait une erreur de diagnostic et une
lourde faute politique. Et pourquoi ? Au lieu de l'autonomie, qu'une minorité
seule réclame, vous leur offrirez mieux : vous leur accorderez tous les
avantages sans aucun des inconvénients. Les conditions techniques pour que la
Corse devienne une « lessiveuse à argent sale » seront plus réelles que
jamais.
L'île de Beauté, devenue l'île de bonté, est noyée sous les subventions. Elle
vit sous la généreuse perfusion de l'Etat. Si la Corse est économiquement
pauvre, peut-on en dire autant de tous ses habitants ? Il faudra bien qu'un
jour les juridictions financières s'intéressent à l'utilisation des fonds
publics.
Pourquoi les services de Bercy, tout comme la Commission de Bruxelles, ne
publient-ils pas les enquêtes sur l'utilisation des très abondants fonds
publics et communautaires dont tout le monde sait qu'elle donne lieu à une
troublante « évaporation » ? Croit-on que les Français du continent, dont plus
de cinq millions connaissent la misère, le chômage, le drame de l'exclusion,
accepteront encore longtemps que la Corse soit un véritable tonneau des
Danaïdes ? Ces Français-là, et tant d'autres, ont déjà trouvé leur porte-parole
en la personne de M. Barre. Si, au nom de l'histoire, l'Etat a des devoirs
envers la Corse, il n'est nullement écrit que la Corse n'a que des droits à
l'égard de l'Etat.
Que le Gouvernement et sa majorité veuillent bien relire le rapport remis à M.
Balladur en décembre 1994 par notre collègue du groupe du RPR M. Jacques Oudin.
Qu'y dit-il ? Que « la Corse bénéficie déjà d'un statut fiscal d'exception.
»
Il ajoute : « L'île reçoit des aides publiques qui font d'elle la mieux
pourvue des régions de métropole. L'Etat apporte 11 milliards de francs à la
Corse ». La dotation européenne par habitant est, pour la Corse, dix fois
supérieure à ce qu'elle représente dans la France entière.
S'il est, aujourd'hui, une culture florissante en Corse, c'est non plus celle
qui valorise les racines identitaires, l'ouverture sur l'autre, culture qui a
toujours fait honneur à la communauté nationale, mais bien, hélas ! celle de
l'assistanat.
Se montrant sceptique sur de nouvelles aides économiques, M. Oudin indique
également : « La première nécessité est de rétablir une paix civile et durable,
la solution ne réside pas tant dans une augmentation des aides que dans une
meilleure affectation et utilisation de celles existantes. » D'ailleurs, ce
diagnostic est confirmé par M. Natali, président du conseil général de
Haute-Corse,...
M. Michel Charasse.
C'est une référence !
M. Guy Allouche.
...qui déclare : « Pourquoi demander encore plus à l'Etat quand tous les
crédits alloués ne sont pas dépensés, faute de projets ? »
Nous sommes tous désormais convaincus du fait que le développement économique,
social et culturel de la Corse passe par le rétablissement de la paix et de la
confiance. Aucun investisseur ne viendra s'établir en Corse tant que le
Gouvernement ne fera pas respecter toutes les lois de la République. La
priorité va aussi à la réappropriation de la citoyenneté, seul moyen de
remédier au manque de mobilisation de la population insulaire contre la
violence. Comme le relevait un procureur de la République de Bastia, « s'il y a
la violence qui tue, il y a également la violence du silence, et quand une
société meurt de peur, c'est qu'elle va mourir tout court ».
Il est plus que temps, pour la Corse, de se choisir un destin et de le prendre
en main.
Le Gouvernement doit continuer à dialoguer, mais il doit le faire dans la plus
grande transparence et dans la clarté. Les contacts secrets renforcent la
clandestinité. Les élus corses doivent être réintroduits dans le dialogue
effectif avec le Gouvernement, car eux seuls sont porteurs de la légitimité du
suffrage universel.
A ce dialogue seront naturellement associés les acteurs économiques, sociaux
et culturels. Que tous ces responsables entraînent la population et qu'ensemble
ils puissent clamer haut et clair ce qu'ils veulent, ce qu'ils pensent de
l'idéologie nationaliste et, surtout, la part active qu'ils entendent prendre
au développement de la Corse, sans toujours tout attendre de l'Etat.
La véritable solution est évidemment entre les mains des Corses eux-mêmes.
Avec tant de moyens, l'heure est non plus à l'hésitation entre passivité,
résignation et complicité, mais davantage à la volonté, à l'initiative et au
courage.
Comprenons-nous bien, mes chers collègues : s'il appartient au Gouvernement de
prendre toutes les mesures nécessaires pour appliquer la loi en Corse, en
donnant l'exemple et en soutenant sans faille ses fonctionnaires, rien ne
pourra se faire sans la participation effective et massive de la population
corse.
Les Corses doivent prendre à bras-le-corps les difficultés auxquelles ils sont
confrontés : ils doivent crier leur révolte et leur exaspération d'être pris en
otage par une minorité ; ils doivent s'exprimer, témoigner ; ils doivent sortir
de cette prétendue loi du silence qui ne les protège plus et qui, bien au
contraire, les prive de leur liberté individuelle et de leurs droits les plus
élémentaires.
Les continentaux auraient tort de pratiquer un je ne sais quel amalgame entre
une minorité qui sème la violence et la terreur et l'immense majorité de la
population corse dont nous connaissons l'attachement à la République et qui
n'aspire qu'à la paix civile et à la sérénité.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est juste !
M. Guy Allouche.
Messieurs les ministres, mes chers collègues, dans le cas contraire, la
permanence de son mutisme deviendrait coupable et synonyme de complicité. Les
femmes corses ne s'y sont pas trompées.
Mme Hélène Luc.
C'est vrai !
M. Guy Allouche.
Elles sont un exemple pour l'ensemble des Corses et pour le pays. Nous ne
pouvons qu'encourager les organisateurs de la manifestation du 8 juin prochain
à Ajaccio et oeuvrer à la réussite de ce sursaut, car tout échec ne pourrait
conduire qu'à l'application de la règle la plus élémentaire en démocratie : le
retour aux urnes.
(Applaudissements sur les travées socialistes. - M. Ceccaldi-Raynaud applaudit
également.)
M. le président.
La parole est à M. Giacobbi.
M. François Giacobbi.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, remontant
pour la première fois à cette tribune depuis plusieurs années, j'ai l'intention
ni de prononcer un réquisitoire ni de faire une plaidoirie, mais de dire ma
très vive satisfaction envers M. le Premier ministre - j'aurais d'ailleurs aimé
qu'il soit présent pour entendre mes propos - qui a tenu sur la Corse un
langage clair, celui que je tiens et que je réclame depuis plusieurs années.
Enfin !
J'exposerai les motifs de ma satisfaction, notamment en matière
institutionnelle. Puis je suggérerai quelques mesures pratiques destinées à
régler des problèmes concrets pour l'immédiat et pour plus tard. Mon collègue
et ami Louis-Ferdinand de Rocca Serra parlera plus longuement des problèmes
économiques.
Je m'exprime ici au nom du groupe du RDSE - je tiens d'ailleurs à le remercier
de sa confiance - en ma qualité de sénateur de la Haute-Corse, c'est-à-dire de
représentant du peuple français et participant, à ce titre, à l'exercice de la
souveraineté nationale
(Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et
Indépendants et du RPR, ainsi que sur les travées socialistes.)
Il n'est pas inutile de rappeler cette vérité première car, de nos jours,
on voit trop souvent des gens essayer de faire croire qu'ils parlent au nom du
peuple, alors que celui-ci leur a refusé de parler en son nom.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais balayer rapidement quelques
pseudo-arguments relatifs à l'indépendance de la Corse ou à un référendum.
Et d'abord, à tout seigneur, tout honneur, je répondrai à un ancien Premier
ministre qu'il n'avait pas à nous parler d'indépendance. Il sait très bien que
nous sommes français et républicains et que nous continuerons de l'être.
M. Christian de La Malène.
Très bien !
M. François Giacobbi.
Je rappelle ici que la Corse a été le premier département français libéré. Il
y a quelqu'un ici qui comprend ce que je veux dire.
(L'orateur s'interrompt, étreint par une très vive émotion.)
Je remercie M. le Premier ministre d'avoir rappelé que la Corse fait
partie de la République et « qu'à ses heures les plus glorieuses, elle a été
l'honneur de la France ». Au surplus, je préfère croire avec lui qu'il
s'agissait chez M. Barre d'un geste de mauvaise humeur incontrôlé et je ne m'y
attarderai pas.
A d'autres qui parlent de référendum, je répondrai ceci : chaque fois que la
Corse a eu à voter, son choix a été clair ; elle a dit oui à la France et à la
République, non à la subversion.
Depuis vingt ans, en particulier, on a compté une bonne quinzaine de
consultations populaires : les autonomistes et les séparatistes n'ont réussi,
malgré leur chantage et leurs menaces, à faire élire ni un député, ni un
sénateur, ni un conseiller général, ni un maire d'une commune de quelque
importance. Celui qui vous parle a été élu sénateur quatre fois de suite au
premier tour de scrutin, à une très large majorité. Et je ne porte ni cagoule,
ni mitraillette. La seule arme dont je dispose est mon amour de la Corse
française et républicaine et du peuple français.
Aussi ce « prurit » référendaire nous irrite-t-il quelque peu car, comme je
viens de le dire, nous disons oui à la France en toute occasion. Nous
observons, d'ailleurs avec quelque surprise, que ceux qui prétendraient nous
demander si nous voulons rester français semblent oublier que nous le sommes
depuis plusieurs siècles.
Enfin, je ne vois pas l'utilité d'une dissolution de l'assemblée régionale.
S'il doit y avoir des élections, il vaut mieux qu'elles se déroulent dans un
climat plus serein.
Comme je le disais au début de mon propos, voilà vingt ans que l'on nous parle
d'avancées institutionnelles et que, à peine a-t-on voté une réforme, on
voudrait nous en proposer une autre. M. le Premier ministre y a mis le holà. Il
était temps ! Bravo !
Permettez-moi d'exposer plus longuement les raisons profondes de ma
satisfaction. Il faut, en effet, balayer une fois pour toutes un certain nombre
de chimères institutionnelles, qui continuent d'avoir cours en Corse et qui
sont trop souvent défendues par une télévision qui est plutôt l'organe de la
subversion que celui de la représentation nationale.
(Marques d'indignation sur les travées du RPR.)
Je démonterai ces chimères en m'appuyant sur la Constitution et sur des
décisions du Conseil constitutionnel qui ne souffrent pas d'équivoque et qui
font jurisprendence. Je vous prie, mes chers collègues, de bien vouloir excuser
les longueurs et les inévitables redites que comportera mon propos.
Première chimère, première demande déraisonnable : la reconnaissance juridique
du peuple corse.
M. Pierre Mauroy.
C'est une affaire classée !
M. François Giacobbi.
Comme si le peuple corse, breton ou auvergnat avait besoin d'être reconnu !
S'il existe, il n'a pas besoin de béquilles constitutionnelles !
Voici ce que j'en disais ici même, le 20 mars 1991, traitant de l'article 1er
du projet de statut particulier : « La souveraineté nationale repose sur
l'unité et l'individualité du peuple français.
« L'article 2 de la Constitution dispose : "La France est une République
indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elles assure l'égalité devant la
loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de
religion".
« Or, qu'on le veuille ou non, la reconnaissance juridique du peuple corse
tient évidemment compte de l'origine et de la race ; on nous l'a assez dit ! Il
y a donc dans l'article 1er du projet de loi une atteinte à l'égalité des
citoyens en raison de leur race ou de leur origine et, pour tout dire, une
connotation raciste que je réprouve fermement, comme vous tous.
« Ne risque-t-on pas, demain, de voir certains réclamer la reconnaissance
juridique d'autres peuples, composantes du peuple français, en raison de leur
origine ou de leur race, voire de leur religion ? »
Et pourquoi pas un peuple juif ou un peuplemaghrébin, composante du peuple
français ?
Je reprends ma citation : « Il paraît que le chef de l'Etat » - celui de
l'époque ! - « à qui des journalistes ont posé la même question aurait répondu
: "Une fois, c'est assez !" » Eh bien ! non, une fois, ce n'est pas
assez, une fois, ce serait déjà une fois de trop. »
Le Conseil constitutionnel a tranché et rejeté sans ambage cette notion de
peuple corse, « composante du peuple français ». Eh bien ! on nous en parle
encore tous les jours à la télévision de la Corse !
Errare humanum est... -
vous connaissez la suite.
M. Michel Charasse.
Peut-être les Corses ne savent-ils pas le latin !
(Sourires.)
M. François Giacobbi.
...
perseverare diabolicum, if you want me to say that.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
On est laïc ou on ne l'est pas !
M. François Giacobbi.
Deuxième demande déraisonnable : la suppression des conseils généraux.
L'article 72 de notre Constitution a consacré l'existence constitutionnelle
des conseils généraux ; le Conseil constitutionnel a précisé, dans une décision
très argumentée, que tout département a droit à un conseil général, même dans
une région où il n'y a qu'un département. A plus forte raison dans une région
où il y en a deux !
Troisième demande déraisonnable : le statut de territoire d'outre-mer par
l'utilisation de l'article 74. La Corse est une région métropolitaine
sui
generis
.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
C'est sûr !
M. François Giacobbi.
... composée de deux départements métropolitains ; il s'agit de la loi
organique sur le Sénat. Par ailleurs, ce n'est pas une région d'outre-mer, elle
n'est pas au-delà des mers. Elle est dans la Méditerranée...
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Département ultra-marin !
M. François Giacobbi.
...à trente minutes d'avion de la France continentale : à peine la durée du
trajet en métro Vincennes-Neuilly !
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. François Giacobbi.
Alors, soyons sérieux !
Quatrième demande déraisonnable : l'étude obligatoire - j'y insiste - du corse
et la coofficialité.
Le Conseil constitutionnel, examinant la conformité du statut de la Polynésie
à la Constitution, vient de rendre un arrêt significatif, le 9 avril 1996 :
« Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution "La langue
de la République est le français".
« Considérant que le deuxième alinéa de l'article 115 prévoit l'enseignement
de la langue tahitienne dans le cadre de l'horaire normal des écoles
maternelles et primaires ainsi que dans les établissements du second degré ;
qu'un tel enseignement ne saurait toutefois, sans méconnaître le principe
d'égalité, revêtir un caractère obligatoire pour les élèves ».
Ce qui s'applique à la langue polynésienne s'appliquera évidemment à toute
langue régionale en métropole.
En ce qui concerne la coofficialité, je cite encore la même décision du
Conseil constitutionnel du 9 avril 1996 :
« Considérant que la référence faite par l'article 115, premier alinéa, au
français en qualité de "langue officielle", doit s'entendre comme
imposant en Polynésie française l'usage du français aux personnes morales de
droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de
service public, ainsi qu'aux usagers dans leurs relations avec les
administrations et services publics ; que toute autre interprétation serait
contraire à l'article 2 de la Constitution ; »
Aux termes de cette décision, il ne peut y avoir de coofficialité du français
avec une langue régionale minoritaire.
Ce que je viens de dire, et qui est irréfutable, n'empêche en rien que l'on
puisse, et même que l'on doive, donner un maximum de facilités à l'étude et à
la promotion des langues régionales minoritaires et de la culture régionale.
Aussi peut-on signer la charte minoritaire des langues régionales minoritaires,
à condition qu'elle ne soit pas en opposition avec la Constitution et sa
jurisprudence.
Tous ces révisionnistes me font penser à des insomniaques qui voudraient sans
cesse changer de lit pour retrouver le sommeil.
Je vous prie d'excuser, mes chers collègues, la longueur de ces propos.
J'espère avoir démontré que, pour donner satisfaction aux différentes
revendications que je viens d'énoncer, il faudrait une révision
constitutionnelle ; mon collègue et ami M. Jacques Larché, président de la
commission des lois, l'a assez souligné. Je suis convaincu que le Sénat ne le
permettrait pas.
A ce propos, je voudrais faire remarquer au distingué président de la
commission des lois de l'Assemblée nationale que le Sénat ne sert pas qu'à
changer des virgules.
(Sourire) ;
il sert aussi à empêcher que l'on puisse changer, sans son
accord, une seule virgule de la Constitution !
M. Emmanuel Hamel.
Très bien !
M. François Giacobbi.
Et c'est fort heureux, car avec la tentation révisionniste inhérente à chaque
changement de majorité à l'Assemblée nationale, s'il n'y avait pas le Sénat, on
pourrait vite voir succéder à l'instabilité gouvernementale si justement
décriée de la IVe République une fragilité institutionnelle qui serait tout
aussi pernicieuse pour la Ve République.
J'en viens à ma conclusion : on a pris assez de mesures institutionnelles pour
gérer la spécificité de la Corse et reconnaître ainsi son « droit à la
différence »
Maintenant, ce qui compte, c'est d'apporter des solutions concrètes aux
véritables problèmes que pose l'insularité. Bref, il faut nous reconnaître le
droit à la ressemblance, c'est-à-dire à l'égalité des chances !
M. Guy Allouche.
Elle était attendue celle-là !
M. François Giacobbi.
Eh bien ! vous l'avez, mon cher collègue ! Il ne suffit pas de dire que la
Corse est gavée de crédits ! Vous refusez de reconnaître que c'est une île qui
a peut-être quelques particularismes.
M. Michel Charasse.
C'est une île entourée d'eau de toutes parts.
(Sourires.)
M. François Giacobbi.
C'est Emmanuel Arène qui le disait ! J'ajoute : « et de préjugés ! »
Mais il y a un préalable : aucune mesure, qu'elle soit d'ordre économique,
financier, social ou culturel ne servira à rien, ne sera qu'un cautère sur une
jambe de bois si la légalité républicaine n'est pas rétablie !
(Très bien ! sur les travées du RPR.)
Sur ce point, la population de la Corse qui, dans son immense majorité,
approuve la fermeté et la clarté des propos de M. le Premier ministre, se
demande encore si les actes répondront bien aux paroles.
M. Christian de La Malène.
Eh oui !
M. François Giacobbi.
Cette inquiétude peut s'expliquer par quelques faits qui montrent que, jusqu'à
ce jour, cela n'a pas toujours été le cas ! Je donne acte à M. le garde des
sceaux de ses déclarations, mais je citerai quand même quelques exemples qui
donnent à réfléchir, notamment l'affaire de Spérone.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ce n'était pas le même garde des sceaux !
M. François Giacobbi.
En mars 1994, une quinzaine de personnes ont été arrêtées au moment même où
elles allaient faire sauter les installations du club de golf de Spérone.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Cela, c'est grave !
M. François Giacobbi.
Ces personnes ont été mises en examen et replacées progressivement en liberté.
J'ai demandé par écrit à M. le garde des sceaux où en était cette affaire et
si, au moins, des actes interruptifs de prescription avaient été accomplis. Je
n'ai toujours pas de réponse, mais on m'a dit, en Corse, qu'un magistrat serait
venu à Paris, il y a quelques jours, pour faire le point. J'aimerais bien que
le Gouvernement fasse le point à propos de ma demande écrite.
Les déclarations récentes de certains leaders « nationalistes », abondamment
reprises dans les journaux, voire en première page de grands journaux du soir,
à la radio et à la télévision, constituent un appel au meurtre et à la
rébellion. Le Gouvernement est-il décidé à examiner ces déclarations sous
l'angle juridique et à en tirer les conséquences ?
J'évoquerai une autre question. Une « personnalité nationaliste » a été
condamnée, voilà plus d'un an, par le tribunal correctionnel d'Ajaccio à des
peines de prison pour port d'arme. Appel du jugement a été interjeté depuis
plus d'un an. Cet appel sera-t-il examiné un jour par la cour d'appel de Bastia
?
Ces questions, ce n'est pas moi qui les pose, ce sont les magistrats exerçant
en Corse et qui s'inquiètent d'avoir à les poser. Mes collègues et amis MM.
Jolibois, et Fauchon, qui étaient avec moi en Corse il y a quelques jours,
peuvent témoigner de la réalité de mes propos.
Ce n'est pas moi non plus qui ai parlé, à propos de la Corse, d'une « zone de
non-droit ». C'est le Président de la République en personne, voilà quelques
jours, en Bretagne.
Et je ne fais allusion ni aux mitraillages de gendarmeries, restés sans
réplique, ni à l'absence de coordination entre la gendarmerie et les forces de
police - M. Juppé en a parlé fort bien - ni à l'absence d'informations
judiciaires sur la « mascarade » de Tralonca. Il s'agit de cette fameuse
réunion qui a précédé la venue de M. le ministre de l'intérieur en Corse.
On nous a gavés, et on continue à nous gaver tous les jours, à tout propos,
d'informations sur une manifestation de six cents personnes en armes qui se
trouvaient au bord du cimetière. Cela aurait dû être le cimetière des illusions
gouvernementales ! Ils étaient non pas six cents, mais une cinquantaine ! Et il
y avait des figurants, des jeunes filles, des enfants de quatorze ans et des
gens d'un certain âge, que j'appellerai des « terroristes honoraires ». Tout
cela représentait deux cents ou trois cents personnes. Il n'empêche que ces
informations ont circulé partout en Europe et que cela nous a fait le plus
grand tort.
M. Guy Allouche.
Vous y étiez ?
M. François Giacobbi.
Non, mais j'ai quelques renseignements !
M. Guy Allouche.
Ah !
M. François Giacobbi.
J'appelle cela une mascarade.
M. Pierre Mauroy.
Etrange mascarade !
M. François Giacobbi.
Personnellement, je suis convaincu, comme mes amis, que la fermeté des actes
du Gouvernement répondra à la clarté des propos de M. le Premier ministre. Je
veux donc croire que la partie sera gagnée et la paix civile rétablie.
Il n'y a là aucun esprit de revanche ou de répression. Nous voulons, tout
simplement, que la légalité républicaine soit respectée en Corse comme
ailleurs. Et, pour cela, il ne me paraît pas nécessaire, au moment où je parle,
d'expédier en Corse des renforts de CRS ou des bataillons de parachutistes. Il
faut, avant tout, parler clairement et agir en conséquence, non seulement pour
la Corse mais aussi pour l'opinion publique continentale, qui montre
aujourd'hui un certain scepticisme : de tous côtés, on entend dire dans les
cercles politiques, dans les salons comme dans les médias : « Oui, M. Juppé a
dit ce qu'il fallait dire et il l'a dit très clairement, mais ses ministres
suivront-ils et pourra-t-il faire appliquer la décision du Gouvernement ? C'est
qu'aujourd'hui les gens ont du mal à croire qu'un chef de gouvernement puisse
gouverner ! »
Je suppose que, comme il est d'usage, votre prise de position du 28 mai,
monsieur le Premier ministre, a été délibérée en conseil des ministres, sous la
présidence de M. le Président de la République. Il faut donc que les gens se
mettent enfin en tête qu'une déclaration du chef du Gouvernement traduit bien
la volonté du Gouvernement. Il est malheureux d'avoir à rappeler cela, mais
vingt ans de faux-semblants, de faux-fuyants, d'incertitudes et de complaisance
envers la force et la violence rendent ce rappel obligatoire.
Cela étant, la Corse n'est pas du tout au bord de la guerre civile, comme le
disait récemment, avec des trémolos dans la voix, une personne interrogée à la
télévision. Je ne suis pas du tout aussi pessimiste que certains, je vous le
dis, car je connais la Corse.
En revanche, sa situation économique n'est pas brillante, elle est même
catastrophique. Elle exige des mesures d'urgence et des mesures à plus long
terme.
J'en donnerai quelques exemples.
Le premier concerne les mesures d'urgence relatives à l'industrie touristique.
Il n'est pas question d'opposer l'agriculture, elle aussi indispensable à la
vie de la Corse, à l'industrie touristique ; il n'en reste pas moins que
celle-ci est l'épine dorsale du développement économique de notre île.
Le comité régional professionnel du tourisme vous a réclamé, à ce sujet, un
certain nombre de mesures qui portent sur l'application d'un taux spécial de
TVA, l'allégement des charges sociales, la restructuration de la dette
hôtelière.
Il faut en tenir compte, sans verser pour autant dans la démagogie.
Le deuxième exemple a trait aux mesures structurelles dont M. le Premier
ministre a, j'en suis heureux, parlé. Elles concernent notamment la
réorganisation efficace des transports aériens de manière que les usagers
puissent venir en Corse et en repartir sans que leur déplacement constitue une
course d'obstacles.
Je le disais déjà en juin 1980 à cette tribune : l'avion, c'est notre
autobus.
Pour les transports maritimes, il est indispensable de garantir un service
minimum, notamment aux périodes de pointe. Une modification de la loi se
révélera peut-être nécessaire. Dans ce cas, proposez-la, et nous la voterons si
elle est raisonnable.
Pour ce qui est de la zone franche, entre la panacée qu'y voient les uns et le
placebo qu'y voient les autres, il me semble que, dans un climat assaini, elle
pourrait trouver sa pleine utilité.
Je me résume : je n'ai donné que quelques exemples, soit de mesures d'urgence,
soit de mesures structurelles. Il appartient au Gouvernement, après
consultation des élus locaux et des socioprofessionnels, de déposer des projets
de loi adéquats devant le Parlement, qui est chargé pour sa part de prendre des
décisions au nom de la souveraineté nationale.
Les sénateurs de notre groupe vous apporteront en grande majorité un appui
lucide et résolu.
Avant de conclure, je vous prie d'excuser, mes chers collègues, l'aridité ou
l'émotion qui ont caractérisé mes propos. En revanche, ma conclusion sera brève
: M. le Premier ministre a enfin apporté dans le débat sur la Corse la clarté
nécessaire. Bravo !
On nous répète sans cesse qu'on a essayé en Corse toutes les politiques et
qu'aucune n'a marché. C'est faux ! On a essayé toutes les solutions, sauf celle
qui consistait à appliquer la loi républicaine.
M. le Premier ministre est décidé à le faire : cela me redonne confiance dans
le destin de la Corse française et républicaine. Je l'en remercie, comme je
vous remercie, mes collègues, de votre attention.
(Applaudissements sur les
travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées socialistes et du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. de Rohan.
M. Josselin de Rohan.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, tous ceux
qui connaissent la Corse éprouvent une réelle fascination devant la beauté de
ses paysages, la richesse de son patrimoine culturel et le caractère altier de
ses habitants.
La Corse a su préserver ses traditions et sa langue. Le progrès technique, les
contingences économiques, les flux touristiques n'ont pas eu raison de son
identité et n'ont pas entraîné l'uniformisation des moeurs ou la banalisation
du mode de vie, comme dans d'autres territoires. Loin d'être une faiblesse,
cette situation devrait faire sa force.
Pour nombre de nos compatriotes, comme pour André Malraux, la Corse est une
énigme.
L'insularité, parfois - mais c'est une idée fausse - semble l'avoir refermée
sur elle-même plutôt que de l'avoir ouverte sur le grand large. Il lui arrive
de revêtir un masque d'impénétrabilité qui déconcerte le continental. Les
luttes intestines contrastent avec ce très grand sentiment de solidarité qui
unit ses habitants et qui fait sa force.
Pourtant, tous ceux qui ont été admis dans l'intimité des Corses peuvent
témoigner de leur générosité, de la richesse de leur culture et de leur
fidélité inébranlable à leurs principes et à leurs amis.
Depuis plus de vingt ans, la Corse est en proie à une agitation endémique
marquée par des épisodes tragiques, des exactions et des meurtres et une
instabilité telle, en dépit de toutes les réformes institutionnelles, que
certains en sont venus à s'interroger sur la volonté des Corses de demeurer
dans la communauté nationale, mais je dirai plus loin ce qu'il faut en
penser.
Tout a été dit et écrit sur les raisons qui ont conduit à cette situation.
Nous laisserons aux historiens et aux annalistes le soin de faire le compte des
maladresses, des erreurs et des malentendus réciproques.
Comme dans toutes les querelles de ménage, tout le monde a sa part de
responsabilité dans cette affaire. La vérité n'est pas univoque et nous
percevons bien qu'il existe derrière les apparences une réalité très différente
des discours. Les grandes déclarations révolutionnaires cachent mal les
ambitions particulières et les intérêts sordides. Les propos énergiques ont été
contredits par la complaisance et la lâcheté de trop de responsables.
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
La prétendue intransigeance s'est accompagnée de palabres en coulisse dont on
ignorait la teneur et qui ont contribué à faire douter des intentions réelles
des pouvoirs publics.
En bref, l'équivoque s'est installée. Elle a donné à penser à certains que
l'Etat louvoyait et ne savait quel parti prendre entre la répression et la
concession ; aux séparatistes de tout acabit, elle a pu faire espérer qu'en
usant du chantage et de la violence ils parviendraient à leurs fins en
spéculant sur la lassitude des uns et la résignation des autres.
Le temps est venu de dissiper toutes les ambiguïtés et de tracer pour la Corse
un avenir clair qui assure à cette partie du territoire français les
perspectives de paix et de développement auxquelles elle aspire tant et
auxquelles elle a droit.
La première condition d'un retour à la paix et à la concorde, le préalable à
toute discussion, est le respect de la loi républicaine et un appel aux sens
des responsabilités de nos compatriotes corses.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Nous souscrivons sans restriction à la fermeté des propos de M. le Premier
ministre dans sa déclaration à l'Assemblée nationale, le 28 mai dernier, et
nous nous félicitons des propos que vous avez tenus à cette tribune, messieurs
les ministres, qui montrent votre détermination.
Il est intolérable que, sur le sol français, des édifices publics puissent
être impunément mitraillés ou plastiqués.
Il est odieux que des policiers, des gendarmes ou des douaniers, dont nous
saluons le dévouement et le courage, soient assassinés lorsqu'ils défendent
l'ordre, les personnes et les biens.
Il est honteux que des magistrats, ainsi que leurs familles, puissent être
menacés et injuriés simplement parce qu'ils veulent faire appliquer la loi.
Il est inadmissible que des fonctionnaires soient contraints, à la suite de
vexations ou d'intimidations, de quitter leur poste où leur sécurité n'est plus
assurée.
Nous voulons, nous exigeons, comme l'a dit le Premier ministre, que les
auteurs de ces méfaits soient appréhendés, emprisonnés et condamnés à
proportion des crimes qu'ils ont commis et, pour reprendre ses propres termes,
qu'« aucune organisation, aucun responsable ne bénéficie de quelque impunité
que ce soit dès lors que la loi aura été violée ».
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Nous demandons qu'un terme soit mis à ces mascarades ridicules au cours
desquelles des cagoulards font étalage de leur armement devant les caméras et
donnent des conférences de presse sans être le moins du monde inquiétés, ou se
livrent autour des cercueils à des manifestations indécentes.
D'une manière générale, nous entendons que l'Etat en Corse cesse d'être
ridiculisé et bafoué, ses agents exposés ou tués, ses décisions violées.
Nous faisons appel au sens de la responsabilité de nos compatriotes corses.
Si, comme tout le laisse à penser, la quasi-totalité d'entre eux désapprouve la
dérive suicidaire et mafieuse dans laquelle certains veulent entraîner la
Corse, ils doivent aider les pouvoirs publics dans leur tâche.
M. Guy Allouche.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Nous savons que la délation leur répugne, mais il ne s'agit pas de cela.
Nous leur demandons de manifester ouvertement leur rejet de la violence et du
brigandage, à l'instar de ces femmes courageuses qui n'ont pas hésité à
proclamer dans la rue leur attachement à la paix.
M. Michel Charasse.
Et qui n'ont vendu personne ! Elles n'ont pas donné un seul nom !
M. Josselin de Rohan.
Nous les invitons à suivre l'exemple des élus qui, fidèles à leurs traditions
familiales et à leurs convictions, en dépit des injures et des menaces, et
parfois même au péril de leur vie, ont affirmé leur détermination inébranlable
de demeurer fidèles à la République et à la France.
Nous adjurons nos compatriotes corses, pour qui l'honneur est tout sauf un
vain mot, de condamner avec force et sans restriction comme contraire à leurs
coutumes et à leurs valeurs le lâche assassinat d'hommes désarmés, morts pour
avoir exprimé une opinion contraire à celle des séparatistes ou pour avoir
refusé des extorsions de fonds.
Il est indispensable qu'ils fassent la distinction entre ceux qui luttent pour
des idées, et qui méritent le respect, et ceux qui commettent des délits de
droit commun sous couvert de militer pour de nobles causes.
Le retour à l'ordre républicain doit être accompagné par de nouveaux modes
d'administration et un véritable programme de développement de l'économie
corse.
Par nouveaux modes d'administration, nous n'entendons pas prôner une nouvelle
réforme des institutions corses ; il faut simplement respecter celles qui
existent.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Loin de résoudre les problèmes de l'île, la création de nouvelles entités
ajouterait au désordre et à la confusion plutôt que d'apporter une réponse aux
questions posées.
Utilisons les institutions existantes, mais donnons-leur les moyens de
fonctionner avec efficacité.
Pour ce faire, il faut refonder une administration solide et respectée et
recruter des agents sur la base de la compétence, à l'exclusion de tout autre
critère.
Il faut cesser de parler de « corsification » de l'administration ! Tous les
fonctionnaires, quelle que soit leur origine, doivent pouvoir exercer leurs
fonctions en Corse, sans distinction ethnique.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Très bien !
M. Christian de La Malène.
Parfaitement !
M. Josselin de Rohan.
Il faut également procéder à une très large déconcentration qui donne aux
représentants en Corse du pouvoir central la capacité de régler à l'échelon
local le plus grand nombre possible d'affaires.
Il importe également de renforcer la décentralisation au profit des assemblées
élues, et singulièrement de l'assemblée de Corse, en les dotant des moyens
financiers nécessaires, mais sous réserve du contrôle de la chambre régionale
des comptes.
M. Guy Allouche.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Chacun doit comprendre que l'insularité et l'identité corse appellent parfois
d'autres méthodes d'administration et d'autres solutions que celles qui sont en
vigueur sur le continent.
Les départements d'Alsace et de Moselle ont un droit local et sont régis par
le concordat. Ils font néanmoins partie de la République. La Corse peut aussi,
dans le domaine culturel, dans celui de l'enseignement ou dans le domaine
économique et social avoir ses particularités, bénéficier de certaines
adaptations, sans pour autant cesser d'appartenir à la nation.
M. François Giacobbi.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
A condition de respecter les principes de notre Constitution et de notre droit
public, laissons s'élaborer les initiatives et les expérimentations si, en
responsabilisant les décideurs, elles permettent de répondre aux aspirations et
aux attentes de la population.
La Corse doit, par ailleurs, bénéficier d'un véritable programme de
développement de son économie.
Qu'il s'agisse des transports maritimes et aériens, des infrastructures
routières et touristiques, de l'agriculture et de l'emploi, tout doit être
réorganisé ou repensé après concertation avec les partenaires sociaux.
Il ne s'agit pas, dans cette affaire, d'une enveloppe de crédits. La
République a beaucoup donné à la Corse, mais le problème est de nous assurer
que l'argent distribué est bien employé.
La défiscalisation, les aides européennes, les crédits de l'Etat doivent
permettre une relance de l'économie corse et la solidarité nationale doit
continuer de s'exercer, mais sur la base d'un contrat, car, en contrepartie de
ce qu'accorde le pouvoir central, il faut que les Corses fassent un bon usage,
loyal et honnête, des crédits que la République met à leur disposition.
M. Michel Charasse.
Honnête !
M. Guy Allouche.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
La Corse dispose de nombreux atouts. Il faut aider à la constitution de
petites et moyennes entreprises et favoriser l'émergence d'une génération
d'entrepreneurs. Il faut aussi veiller à ce que s'instaure dans l'île une
véritable concurrence, qui s'accompagne d'une baisse des coûts de production en
évitant la constitution de monopoles qui pénalisent les consommateurs.
Je voudrais m'adresser particulièrement ce soir à nos compatriotes corses.
Je sais que les questionner sur leur appartenance à la nation française serait
leur faire injure. La France ne saurait ignorer tout ce qu'elle doit à leur
île. Le plus illustre de ses fils a couvert nos armes de gloire et nous a légué
nos institutions.
M. Michel Charasse.
Que les Corses détestaient, d'ailleurs !
M. Paul d'Ornano.
Oh !
M. Michel Pelchat.
Ils le détestaient, mais ils avaient tort !
M. Josselin de Rohan.
D'innombrables soldats et fonctionnaires corses ont servi la République avec
intelligence, honneur et fidélité, et contribué à son rayonnement dans l'Empire
français et dans le monde.
Comment pourrions-nous oublier les 40 000 morts corses de la Première Guerre
mondiale qui ont privé l'île du quart de sa population ?
M. Michel Charasse.
Voilà ! Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Comment pourrions-nous oublier les figures héroïques de Colonna, d'Ornano, de
Fred Scamaroni et Danielle Casanova qui, aux heures sombres, ont incarné le
refus de la France de s'incliner devant la défaite et l'Occupation ?
Comment oublier enfin que la Corse fut le premier département libéré de
France, et libéré par lui-même ?
Mais les Corses ne sauraient pour leur part oublier que, sans la France, ils
n'auraient pas eu la possibilité de donner dans le monde entier et dans
l'Empire français toute la mesure de leur ingéniosité et de leur talent, ni de
disposer des ressources sur lesquelles ils peuvent compter pour assurer leur
développement.
M. Lucien Lanier.
Très bien !
M. Josselin de Rohan.
Aussi, leur disons-nous : restez avec nous, car il se fait tard. Depuis plus
de deux siècles, nous avons cheminé ensemble dans la prospérité comme dans
l'épreuve. Nous avons rencontré des obstacles et des traverses, mais nous avons
appris à nous estimer et à nous connaître.
N'écoutez pas ceux qui veulent vous entraîner dans l'aventure car, au bout de
la route, vous ne rencontrerez que la pauvreté et la désespérance.
Tournons-nous ensemble vers l'avenir. Nous avons besoin de vous comme vous
avez besoin de nous pour construire une France prospère, une France libre à
laquelle les Français, dans leur diversité, soient fiers d'appartenir et qui
donne à tous ses enfants l'attention et la place qui leur revient.
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Michel
Charasse manifeste également son approbation.)
M. le président.
La parole est à M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ainsi,
pour la première fois de son histoire, le Parlement français a-t-il décidé, sur
l'initiative du Premier ministre, de consacrer, par ce débat, plusieurs heures
à la Corse, à ses problèmes, à la gravité de la situation que connaît l'île, et
aussi à la recherche de solutions susceptibles de contribuer au rétablissement
de la paix sur cette terre de France et à son redressement économique.
En premier lieu, je veux rendre hommage à l'action que le Premier ministre a
entreprise avec son gouvernement et aux initiatives qu'il a suscitées pour
s'attaquer aux différentes facettes de la crise économique, sociale, culturelle
et politique qui secoue la Corse.
Je voudrais dire ensuite que le Parlement est le lieu idéal pour un débat sur
la situation de la Corse, car si les difficultés de l'île ont indiscutablement
un caractère particulier, elles constituent, à bien des égards, un clignotant
des problèmes de la France et la question corse, sous tous ses aspects, a pris
une dimension nationale.
J'aimerais indiquer comment cette Corse, si proche du continent français, a pu
apparaître comme la terre la plus lointaine, inaccessible et incompréhensible à
tous avant d'explorer quelques solutions, notamment économiques, de nature à
l'aider à sortir de l'ornière dans laquelle elle s'est enfoncée.
En fait, la Corse est malade. Sa maladie a deux manifestations principales :
l'une est économique, l'autre est morale et politique. Les deux se conjuguent
pour induire dans l'opinion beaucoup de scepticisme, beaucoup de pessimisme et
souvent du désespoir.
Longtemps, la Corse est restée une région oubliée. Ses habitants l'ont quittée
massivement pour poursuivre, à titre individuel, souvent de belles carrières,
aussi bien sur le continent qu'outre-mer où ils ont fait, selon la formule
consacrée, la « colonie et la coloniale ».
Au début des années soixante, plusieurs facteurs se sont additionnés pour
provoquer, quelquefois avec maladresse, un changement de situation : l'afflux
de population rapatriée des anciennes colonies, l'essor du tourisme naissant,
les retombées de la croissance économique que l'Europe devait, en particulier,
à la création du marché européen. C'est dans ces années que se sont manifestées
des aspirations régionalistes ; il s'agissait à l'époque de prendre en compte
trois nécessités.
C'était d'abord la nécessité, pour la Corse, de maîtriser son destin. Cette
nécessité, partagée par toutes les autres régions françaises, motivera le
projet de loi de régionalisation soumis à référendum par le général de Gaulle.
C'est elle qui sera à l'origine des deux statuts particuliers de la Corse de
1982 et 1991.
C'était ensuite la nécessité, toujours sur le plan économique, de veiller à ce
que le développement de l'île ne soit pas trop inégal. Les Corses n'auraient
pas compris qu'un secteur moderne et capitaliste se développe, tandis qu'un
autre, archaïque, aurait été condamné au dépérissement.
D'importantes mesures ont été prises, depuis, pour réorienter l'activité
économique et favoriser, en particulier, l'intérieur, même si les pesanteurs du
relief et les effets de la désertification rendent ces efforts aléatoires.
C'était enfin la nécessité de prendre en compte les particularités culturelles
de la Corse. Celles-ci sont irréfutables, et les prendre en compte, on le voit
bien aujourd'hui, ne met absolument pas en péril l'unité nationale. La Corse a
connu, depuis cette période, un renouveau significatif pour tout ce qui a trait
aux pratiques culturelles. Tous les genres artistiques s'y sont développés, et
l'université de Corte, créée en 1981, a pris en compte, avec d'autres
institutions, la spécificité culturelle de l'île.
L'annonce récente par M. le Président de la République que la France pourrait
enfin ratifier la charte européenne des langues régionales semble aller dans la
même direction, et je m'en réjouis.
Les années soixante-dix se sont caractérisées par l'apparition et
l'augmentation du nombre des plasticages et des attentats. Tous n'étaient
évidemment pas politiques, tant il est vrai que la tentation a toujours été
grande, sous tous les cieux, pour des personnes peu scrupuleuses, de recourir,
quand les périodes sont troublées, à des procédés délictueux pour satisfaire
leurs intérêts personnels.
L'imprécision doctrinale des autonomistes, le flou de leur idéologie et de
leurs revendications a favorisé, de leur part, les surenchères et les fuites en
avant. La répression policière des agissements condamnables n'a eu pour effet,
en les transformant en victimes de leur cause, que de les renforcer aux yeux
d'une opinion dont ils ont habilement su s'assurer la sympathie et la
solidarité.
Il fallait alors rompre le cycle provocation-répression, ce piège inévitable
dans lequel les pouvoirs publics et les nationalistes, ensemble, sont tombés,
les uns ne pouvant décemment pas rester inertes devant des atteintes flagrantes
à l'ordre public, à la tranquillité des citoyens, les autres réalisant qu'ils
pourraient d'autant mieux mobiliser leurs troupes qu'ils pouvaient, aux yeux de
l'opinion, se faire passer pour des victimes de la répression, du colonialisme
et de la France.
L'arrivée des socialistes au pouvoir a été marquée par des signes d'apaisement
qui, assez rapidement, ont éprouvé leurs limites. Le point le plus remarquable,
au début des années quatre-vingt, a été l'adoption, pour la Corse, d'un statut
particulier qui ne faisait, en réalité, que préfigurer celui dont seraient
dotées, les années suivantes, les vingt et une autres régions françaises.
L'élection du président de la première assemblée régionale élue au scrutin
proportionnel sans seuil - c'est-à-dire que s'y trouvaient représentées toutes
les tendances de l'opinion - fut saluée, en août 1982, pour ceux qui s'en
souviennent, par une salve de quatre-vingt-dix-neuf attentats perpétrés par le
FLNC. Il était clair que ce mouvement clandestin avait tout à redouter du débat
démocratique : en effet, comment serait-il parvenu à avoir, vis-à-vis de ses
militants et de ses sympathisants, quelque légitimité si ce qui faisait
l'essentiel de ses revendications avait été sereinement et publiquement débattu
au sein de l'assemblée régionale ?
La Corse, à partir de cette date, est empoisonnée par la présence sur son sol
de terroristes qui sont, par conviction, hostiles à tout débat et à toute forme
de démocratie.
La Corse en est vraiment, au sens propre, empoisonnée : il n'y a pas une
fraction de son opinion, il n'y a pas un seul des acteurs publics qui, à un
titre ou à un autre, n'ait eu à subir les effets de cette funeste contagion.
Le FLNC, vitrine non légale des nationalistes, a empoisonné la Corse parce
qu'il y avait malheureusement trouvé, dans toutes ces années de crise
économique, un terrain favorable.
Le chômage sévissait dans l'île comme il sévissait dans le reste de la France.
Les jeunes, inoccupés, sont une proie facile pour les mouvements clandestins.
Un peu d'argent, le charme sulfureux de la poudre, ce qu'il faut de discours
messianique et révolutionnaire : il n'en faut pas davantage pour séduire
quelques jeunes que ne contrôle plus une société dont les cadres se défont jour
après jour.
Le goût de l'argent facile qui a déferlé sur l'Europe et sur la France, avec
quelques figures emblématiques, n'a pas épargné la Corse et a créé
d'innombrables tentations que le FLNC a su alors, assez habilement, canaliser
et attirer à lui.
Malheureusement, ce qui devait arriver et que nous avions prévu arriva, à
savoir que les mouvements clandestins, à la fin des années 1980, ont volé en
éclats pour donner naissance au moins à trois groupes - les « historiques »,
les « clandestins » et « Resistenza » - chacun portant sur les autres les
accusations les plus graves quant aux mobiles, purement crapuleux, de leur
action.
M. François Giacobbi.
Il faudra bientôt un annuaire pour s'y retrouver !
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
Les règlements de comptes implacables auxquels se livrent entre elles les
diverses organisations terroristes laissent penser que, si le contentieux qui
les divise est en partie idéologique et politique, il a certainement une autre
dimension qui peut, seule, expliquer la haine exprimée et le nombre des
meurtres perpétrés.
La Corse en est là : une population qui, dans la diversité de ses opinions et
de ses convictions, n'aspire, comme toutes les autres populations de la
planète, qu'à une chose : vivre en paix. L'amalgame qui s'est opéré entre les
mobiles politiques et les raisons crapuleuses de la vague de violence qui a
déferlé sur la Corse se décante peu à peu.
Si certains gouvernements, dans le passé, ont pu avoir la tentation, pour
rétablir l'ordre public, de fermer les yeux ou de faire preuve de complaisance
à propos des délits de droit commun commis par tel ou tel se réclamant d'une
organisation nationaliste, s'il s'en est trouvé pour espérer troquer
tranquillité contre laxisme, ce fut une faute ! La complaisance, en aucun cas,
ne peut servir de politique. Et je me réjouis que M. le Premier ministre ait
réaffirmé avec force sa volonté de mener en Corse une politique de fermeté.
Aussi, la Commission européenne a-t-elle publié, au mois de juin 1995, un
document intitulé : « Evolution prospective des régions de la Méditerranée
ouest ». Il trace de l'île un portrait sévère mais juste.
« La Corse est la région de l'arc latin dont l'avenir est le plus incertain :
vieillissement de la population, absence de création d'emplois qualifiés,
inexistence des activités industrielles, importance des revenus de transfert,
faible effet d'entraînement d'une fréquentation touristique massive et très
saisonnière, enfin, phénomènes d'insécurité qui conduisent à des
désinvestissements.
« Face à des déséquilibres structurels importants, la société corse n'a pas de
projet collectif et, faute de résoudre ses contradictions internes, elle court
le risque d'un repli sur soi entretenant le processus de sous-développement,
pouvant la conduire à devenir, dans les prochaines années, un
Mezzogiorno
français. »
Comme on peut le constater, la maladie dont souffre la Corse est grave, certes
; mais, à nos yeux, elle n'est pas incurable.
D'abord parce que, il faut le reconnaître, depuis vingt ans, des progrès
considérables ont été accomplis.
Ainsi, les infrastructures - routes, ports, aéroports, équipements de santé et
culturels - où des améliorations peuvent toujours être apportées, ont été
métamorphosées par rapport à leur état voilà seulement un quart de siècle.
Des progrès ont aussi été faits dans le domaine des institutions. Le statut
actuel de la Corse a corrigé certaines imperfections du statut précédent et il
a doté l'île d'un véritable outil au service de son avenir. Les institutions
valent ce que les hommes en font, mais, aujourd'hui, en Corse, les moyens
existent pour remplacer l'antique et dégradante attitude d'assisté que les
régions ont toujours eue à l'égard de l'Etat par une attitude de
responsabilité. L'élaboration par les élus corses d'un plan de développement
régional, le premier dans toute l'histoire de la Corse qui ait été élaboré par
les représentants de l'île, est un signe encourageant de cette évolution.
Quant à l'état d'esprit, les Corses sont de plus en plus nombreux à souhaiter
un développement économique durable et à croire, contre vents et marées, qu'il
est possible. Ils sont unanimes, par ailleurs, à vouloir prévenir les
déséquilibres qui avaient pu naître d'un développement trop inégal fondé sur
quelques monocultures au cours des années soixante ; je fais allusion à la
vigne.
Ensuite, parce qu'en s'attaquant aux causes du mal plutôt qu'à ses
conséquences, le Gouvernement tend à modifier profondément la démarche utilisée
jusque-là, et je ne peux que m'en réjouir.
En effet, en soulignant que la question institutionnelle n'était pas en Corse
à l'ordre du jour - M. le Premier ministre l'a réaffirmé avec force tout à
l'heure - il a exprimé fermement sa position, qui consiste à rétablir les
équilibres nécessaires à toute région française ; qu'il s'agisse du domaine
économique et social ou du respect des lois de la République.
Pour ce qui est du retour à la paix civile, le traitement réel du problème ne
saurait faire référence ni à un laxisme permanent ni à une répression
aveugle.
Il convient surtout d'éviter les crispations qui conduisent parfois à des
positions extrêmes dont nul ne peut contester qu'elles interdisent rapidement
toute avancée vers l'objectif recherché.
Cet objectif ne peut être que d'assurer un avenir serein à la Corse, au sein
d'un ensemble national qui n'ait plus à se poser la question de l'ancrage de
l'île à la République.
La Corse attend de cette démarche qu'elle se concrétise par un ensemble de
mesures économiques, fiscales et sociales adaptées à sa situation.
A ce sujet, je me félicite du fait que M. le Premier ministre ait souligné sa
volonté d'améliorer les conditions du dialogue social, en permettant la
reconnaissance des syndicats représentatifs à l'échelon local. C'est le sens
d'une proposition de loi que j'ai déposée sur le bureau du Sénat, initiative
parallèle à celle de mon excellent collègue José Rossi, à l'Assemblée
nationale.
En effet, aujourd'hui, les difficultés économiques de l'île sont caractérisées
par l'atonie des investissements privés et, partant, du marché de l'emploi, par
un taux de faillites élevé des entreprises locales qui sont endettées et ne
peuvent faire face aux charges fiscales et sociales et, enfin, par
l'éparpillement communal, qui amoindrit les capacités locales d'investissement,
notamment à l'intérieur de l'île.
Actuellement, une partie non négligeable de l'activité économique de la Corse
est sous-tendue par les marchés publics des administrations de l'Etat ou des
collectivités locales.
L'activité touristique en Corse a été, depuis plusieurs années,
particulièrement pénalisée par la conjugaison de plusieurs facteurs, à savoir
le différentiel de change favorisant des destinations concurrentes, les
perturbations liées aux conflits sociaux et entraînant un manque de fiabilité
dans la desserte de l'île, la cherté des transports et de la vie insulaire,
enfin la violence.
En conséquence, la Corse est aujourd'hui une région touristique sans
touristes. Il est urgent de situer l'activité touristique comme moteur de
l'économie insulaire. Cependant, tout autant que celles du littoral, les
collectivités publiques de l'intérieur doivent être à même de soutenir les
projets locaux de développement. Le dispositif à mettre en place devra prendre
en compte le sauvetage des prochaines saisons et le développement des
infrastructures nécessaires à l'accueil.
Un tourisme de qualité passe aussi par un environnement protégé.
L'agriculture, au-delà de son aspect économique, joue un rôle essentiel dans la
gestion d'un espace rural de plus en plus désertifié et ravagé chaque année par
les incendies. Le développement de cette activité ne pourra se faire qu'au
travers d'une politique volontariste de soutien aux productions locales.
Deux directions me semblent souhaitables : tout d'abord, l'adaptation de la
législation européenne aux contraintes physiques de l'île, en cohérence avec la
politique nationale et, ensuite, l'abondement des mesures découlant du contrat
de plan et du document unique de programmation.
L'Union européenne, par sa politique régionale, a déjà admis la Corse au
bénéfice de l'objectif 1. Ne faudrait-il pas profiter de la tenue de la
conférence intergouvernementale, qui examine actuellement les conditions
d'application du traité de Maastricht, pour demander, une nouvelle fois, que la
Corse bénéficie d'un programme d'option spécifique à l'éloignement et à
l'insularité ? Seul un effort spécifique, fondé sur des mesures dérogatoires
par rapport aux règles qui régissent le fonctionnement du grand marché
intérieur, pourrait ainsi permettre à la Corse de prendre toute sa place dans
le développement de l'Union européenne.
La prise en compte de ces spécificités passe, en outre, par la reconnaissance
d'une fiscalité indirecte particulière, compatible avec les règles du traité et
susceptible de contribuer au développement économique et social de la Corse.
L'assemblée de Corse, dans cette perspective, a adopté un certain nombre de
propositions, le 13 février dernier, qui militent en faveur d'une telle
disposition dérogatoire.
Cette disposition ne saurait constituer un privilège supplémentaire que la
Corse réclamerait ; elle ne saurait être qu'un outil exceptionnel adapté à sa
situation, qui l'est également.
Si cette disposition ne pouvait aboutir, ce que je regretterais vivement, il
faudrait veiller à ce que la démarche engagée avec la zone franche ait le même
effet mobilisateur.
Qu'est-ce, en effet, qu'une zone franche ?
Tout d'abord, une telle zone ne doit pas être confondue avec un paradis
fiscal...
M. Michel Charasse.
Oh !
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
... ou bancaire, qui implique l'idée d'un refuge discret.
MM. Guy Allouche
et
Michel Charasse.
Oh la la !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Ne vous laissez pas interrompre !
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
C'est un moyen exceptionnel pour faire face à une situation exceptionnelle.
C'est un outil de nature à aider la réalisation du plan de développement
régional que vient d'adopter l'assemblée de Corse.
C'est un coup de fouet qui peut être donné à l'économie.
(M. Michel
Charasse s'exclame.)
C'est enfin un moyen de faire retrouver à l'île un niveau d'investissements
privés et publics capables de relancer l'économie.
Toutefois, je me permets de poser au Gouvernement trois questions essentielles
qui surgiraient si la zone franche venait à voir le jour.
Celle-ci concernera-t-elle tout ou partie de l'île,...
M. Michel Charasse.
Ah !
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
... compte tenu des mesures déjà arrêtées pour la Corse par la loi du 4
février 1995 classant certaines parties de l'île en zones de revitalisation
rurale bénéficiant déjà de mesures spécifiques ?
Toutes les aides envisagées seront-elles compatibles avec le droit européen
?
Qui supportera la charge des exonérations et des équipements nécessaires que
l'Etat serait tenté de faire supporter par les collectivités territoriales de
Corse ?
En effet, il conviendrait qu'on y retrouve, à côté des seules exonérations
traditionnelles, des incitations très diverses de nature, fiscale, financière,
administrative ou sociale. Ces dernières ont été fort bien recensées et
proposées par les multiples acteurs de la vie économique de l'île -
agriculteurs, professionnels du tourisme et de l'hôtellerie, commerçants,
artisans, chefs d'entreprise et syndicats de salariés - lors des tables rondes
et des ateliers organisés par le Gouvernement.
Ce principe de zone franche doit déterminer l'ébauche d'une rentable stratégie
de développement économique de l'île, propre à dynamiser son tissu
d'entreprises comme à fonder, sur le plan social et sur le plan culturel, les
bases d'un renouveau de la citoyenneté insulaire.
Nul ne doute, sur le fond, que le Gouvernement saura donner à la zone franche
qu'il veut créer en Corse un contenu qui réponde aux attentes de la grande
majorité de la population et qui prenne en compte les inquiétudes qui se sont
manifestées ici ou là quant à l'annonce de la quasi-impossibilité d'obtenir un
programme spécifique.
Quand le projet de loi concrétisant cette idée de zone franche sera déposé
devant le Parlement, non seulement il viendra couronner des mois d'un débat
fructueux, mais il sera, dans cette enceinte, l'occasion d'une discussion dans
le détail de ses aspects techniques.
Pour l'heure, il faut constater que les problèmes de la Corse sont perçus par
l'opinion nationale comme des problèmes compliqués, opaques, particuliers...
M. Michel Charasse.
Et lassants !
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra.
... qui peuvent se réduire à cet antagonisme inepte : la Corse opposée à la
France.
Mais les soucis de la Corse, aujourd'hui, sont les soucis de la France ; ceux
qui sont nés de l'exode rural, du chômage et, sur le plan culturel, d'une
standardisation des modes de vie.
Créer une nouvelle dynamique, en encourageant les entreprises locales et en
adoptant une attitude positive à l'égard des investisseurs, redonner confiance
aux populations, telle est l'image que la Corse, qui subit comme les autres
zones fragiles des handicaps importants, doit donner afin d'être réintégrée
dans le développement économique national.
Le groupe des Républicains et Indépendants, au nom duquel j'ai l'honneur de
m'exprimer aujourd'hui, souhaite apporter au Gouvernement son entier concours
pour éclairer ses choix et l'aider à réussir dans son entreprise de
redressement de la Corse vers un développement durable.
Je comparais tout à l'heure les maux dont souffre la Corse à ceux du
paludisme. Ce fléau, après avoir fait l'objet de discussions, de rapports,
d'études, a pris fin lorsque s'est manifestée une volonté déterminée.
C'est une volonté de cet ordre que la population de la Corse, unanime, attend
du Gouvernement pour lui redonner confiance dans son avenir.
(Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR,
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Mauroy.
M. Pierre Mauroy.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous
consacrons un débat parlementaire à la situation de la Corse ; c'est dire la
gravité de cette situation et donc, pour chacun d'entre nous, la nécessité
d'adopter un ton à la mesure des enjeux.
Ce ton, le parti socialiste ne s'en est jamais départi et, après les propos
excessifs que vous connaissez, j'ai écrit, avec Michel Rocard et Laurent
Fabius, au Président de la République. Celui-ci, dans sa réponse, invoquait la
nécessité d'une attitude responsable et exempte de polémique. Dont acte,
monsieur le ministre : dont acte pour vous, dont acte pour tout ce qui est
excessif.
Reste, légitimement, le débat critique, le seul qui honore notre République,
le seul qui soit digne de la Corse, le seul qui doive nous occuper aujourd'hui,
avec une triple exigence : faire une analyse juste, ne pas renouveler des
erreurs funestes et réinventer l'avenir avec les Corses eux-mêmes.
L'analyse avec lucidité, tout d'abord.
Tous les gouvernements depuis vingt ans ont été confrontés aux mêmes
difficultés, à la même succession d'accalmies et de tempêtes, reconnaissez-le,
messieurs les ministres. Jamais, pourtant, la crise corse n'avait atteint une
dimension aussi spectaculaire. La télévision, les radios ont peut-être amplifié
les événements, mais la dimension est spectaculaire.
Elle est aussi grave, car c'est la crise de l'Etat de droit qui est à
l'origine de toutes les autres, de toutes les crises qui se sont succédé en
Corse.
Démonstration de force médiatique à renfort de cagoules noires et d'armes
lourdes, multiplication d'attentats, recrudescence d'assassinats, fusillade
contre la presse, meurtre d'un policier, menace d'extension jusqu'au continent
: nous sommes tous unanimes : de telles méthodes, tous ces événements sont
suffisamment éloquents, inquiétants et affligeants pour qu'il ne soit pas
nécessaire d'y insister davantage. De plus, ces manquements intolérables à la
loi ont aussi de lourdes conséquences économiques et sociales qui se retournent
contre tous les Corses.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Pierre Mauroy.
En effet, la deuxième crise, celle du développement économique et du progrès
social, paraît trop souvent passée sous silence. En dépit des avantages
spécifiques importants, peut-être disproportionnés, dont elle bénéficie, la
Corse dispose du plus faible PIB de toutes les régions métropolitaines, pis, sa
situation s'aggrave.
Avec une nette régression économique en 1996, une chute, en l'espace de deux
ans, de plus de 20 p. 100 du chiffre d'affaires du tourisme, une augmentation
du chômage qui s'élève à plus de 15 p. 100 de la population active, cette crise
économique et sociale, liée à une crise politique majeure, constitue
aujourd'hui une urgence et, bien sûr, une priorité.
Enfin, la troisième crise, qui en découle naturellement, est une crise de
confiance, et ce n'est pas céder à la polémique que de considérer que le
Gouvernement y a sa part de responsabilité, car cette crise de confiance est
aujourd'hui générale.
Elle est celle de l'administration, notamment des policiers et des magistrats
qui s'interrogent.
Elle est celle des élus corses, avec lesquels le Premier ministre a été
contraint d'organiser une rencontre en janvier dernier.
Elle est celle de nombreux parlementaires, y compris de la majorité.
Elle est celle, enfin, de l'opinion qui, tant en Corse que sur le continent,
est partagée entre l'exaspération et le découragement.
Le débat à l'Assemblée nationale, puis le voyage de M. Gaudin n'ont pas
constitué l'électrochoc nécessaire. Espérons que la seconde chance qu'offre
notre débat aujourd'hui sera saisie. Pour cela, il faut éviter de renouveler
les erreurs qui s'empilent dans une construction sans cohérence et, en tout
cas, sans avenir si l'on persévérait.
La première erreur, c'est d'agiter l'épouvantail de l'indépendance.
La réplique provocante de M. Barre a rencontré un certain écho dans la presse,
mais aussi dans l'opinion exaspérée. Elle n'est pas la solution. L'écrasante
majorité des Corses témoignent, à chaque scrutin, de leur attachement à la
nation.
Mais l'organisation d'un référendum ne se traduirait, en définitive, que par
une perte de temps supplémentaire pour tous et, pour les Corses, par une
blessure de trop.
M. Michel Charasse.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
La deuxième erreur, ce serait de remettre en cause les avancées
institutionnelles.
Le Premier ministre a en effet fustigé l'attention portée par les socialistes
aux réformes institutionnelles et rappelé à sa majorité d'aujourd'hui leur
commune opposition d'hier contre les lois de 1982 et de 1991.
Nous souhaiterions savoir si le Gouvernement compte revenir sur ces réformes.
Mais comme tel ne semble pas être le cas, c'est donc qu'elles étaient utiles
!
Car c'est de la décentralisation qu'il s'agit, du transfert des compétences à
la région Corse dans des domaines essentiels.
C'est du renforcement de la légitimité et de la responsabilité des élus qu'il
est question, à travers un mode de scrutin à l'assemblée et un engagement de la
responsabilité de l'exécutif.
C'est en réalité le pouvoir donné aux Corses sur leur propre destin qui est en
jeu.
Et pour notre part, nous considérons que la décentralisation avancée que
connaît la Corse constitue davantage un modèle qu'un repoussoir, et que si des
modifications à la marge s'avéraient nécessaires, c'est bien plutôt dans le
sens d'une étape supplémentaire que d'un retour en arrière.
M. Guy Allouche.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
La troisième erreur, c'est de créer de faux espoirs économiques et sociaux
autour d'une zone franche qui semble se limiter à un mauvais slogan.
Ce qui est certain, c'est que, par un étrange paradoxe, si les Corses récusent
le terme mais acceptent le contenu, vous semblez faire l'inverse, messieurs les
ministres !
Ce qui est certain, c'est que vous êtes surtout occupés à expliquer tout ce
qu'il n'est pas possible de faire, en soulignant ici les contraintes
européennes, là le déséquilibre existant avec les autres départements. Et, en
définitive, on redoute que la grande zone franche annoncée ne se réduise à un
petit catalogue en faveur des PME.
Ce qui est certain, enfin, c'est notre opposition à ce qui serait un paradis
fiscal pour les entreprises et un enfer social pour les salariés.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
Il ne s'agit pas d'aider davantage, il s'agit de mieux répartir et surtout de
ramener la confiance.
Plusieurs sénateurs socialistes.
Très bien !
M. Pierre Mauroy.
La quatrième erreur, c'est de pratiquer le grand écart entre les discours et
les actes.
Les Corses, et avec eux tous les Français, attendent aujourd'hui un discours
de fermeté, mais surtout une preuve de correspondance entre ce discours et la
pratique du Gouvernement. Ils sont sceptiques. Car on ne peut, d'un même
mouvement, condamner les terroristes et négocier avec eux, prôner la fermeté de
la justice et la « circonspection » dans la conduite de l'action publique,
saluer le travail des policiers et des magistrats et ne pas comprendre leur
désarroi.
Est venu le temps d'agir avec fermeté et, surtout, de faire ce que l'on
dit.
Il est nécessaire enfin - et j'en terminerai par là - de tracer une nouvelle
voie.
Cela passe par un préalable : le droit partout, le droit pour tous. C'est une
nécessité républicaine, mais aussi un impératif pour le retour de la confiance
et du développement économique.
Cela passe aussi par le respect de deux principes : la responsabilité et la
légitimité.
La responsabilité d'abord, pour définir les rôles de chacun et pour que chacun
assume naturellement ses actes.
C'est vrai de l'Etat auquel il revient de définir une méthode, de dire avec
qui, sur quoi on travaille pour remobiliser toute la Corse autour d'un
projet.
Le retour à l'ordre est nécessaire, mais la remobilisation des Corses et de la
Corse ne se fera qu'autour d'un projet. C'est naturellement le Gouvernement qui
doit donner l'exemple de ce projet.
Le second principe, c'est la légitimité. En démocratie - faut-il le rappeler ?
- le peuple seul est souverain, le suffrage universel seul s'impose à tous.
Après le retour de l'ordre, au terme du processus que nous souhaiterions voir
s'engager, et au terme de ce processus seulement, il doit y avoir un acte
solennel accompli par les Corses eux-mêmes.
Je voudrais simplement, pour conclure, dire aux Corses, en dépit des
difficultés qu'ils traversent et des interrogations qu'ils connaissent, que les
socialistes leur font confiance, et préciser en particulier à ces courageuses
femmes du « Manifeste pour la vie » qui se sont levées pour dire « assez » à la
violence, que les socialistes les assurent de leur soutien. On l'a déjà relevé
avec raison et je tiens à le souligner.
La France a mobilisé les Corses pour défendre la patrie, et leur tribut a été
lourd, par deux fois, au cours de ce siècle.
Les Corses ont pris leur part dans l'édification et la défense de la
République.
C'est en son sein qu'ils veulent vivre leur particularisme ; dans une
République suffisamment ferme pour faire appliquer partout et par tous la loi
commune ; dans une République suffisamment forte pour s'enrichir des diversités
; dans une République qui, demain, sache mieux incarner les valeurs de liberté,
d'égalité et de fraternité.
(Applaudissements sur les travées socialistes,
ainsi que sur certaines travées du RDSE, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse.
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, restaurer
la République, restaurer l'Etat, il n'y a pas d'autre mot d'ordre quand une
partie du territoire national sombre dans le sang et l'impunité, quand la
République n'est plus chez elle à l'intérieur de ses frontières et quand l'Etat
est provoqué par des violents et des mafieux. A tout cela, une seule réponse :
la loi, rien que la loi, mais toute la loi !
M. Josselin de Rohan.
Très bien !
M. Michel Charasse.
Dans l'épreuve que nous traversons, gardons-nous - exécutif comme législatif -
de la division politicienne, méfions-nous des procès faciles, évitons ces
ragots dignes des cabarets de chansonniers !
Aussi loin qu'on remonte dans le temps, on constate que la République ne s'est
pas toujours bien conduite en Corse et que tous les gouvernements ou presque
ont échoué dans l'île.
Mauvaise conduite de la France en 1914-1918, car les Corses sont, de tous les
Français, ceux qui ont été contraints de payer le plus cher le droit d'être des
nôtres,...
M. Josselin de Rohan.
Avec les Bretons !
M. Michel Charasse.
... entre les deux guerres, quand les Corses n'avaient pas d'autre solution à
leur misère que de partir dans nos lointaines colonies, où ils ont d'ailleurs
fait merveille ; dans les années 1970, lorsqu'on a commis l'erreur
psychologique de réserver par priorité aux rapatriés les terres mises en valeur
pour les insulaires.
Mais, depuis, la France s'est bien rattrapée, passant d'un extrême à l'autre :
d'une rigueur excessive au laxisme total.
Inutile de rechercher quelque hypothétique péché originel pour pointer du
doigt les responsables de la situation actuelle. Depuis plus de vingt ans, tous
les gouvernements ont cru bien faire en nouant un interminable dialogue de
dupes avec les terroristes. En fait, ils ont mis l'Etat toujours plus à la
remorque des voyous et des mafieux. Tous ont compensé aussi convenablement
l'insularité par des dispositions spéciales - statut administratif en réforme
permanente, statut fiscal éternellement renégocié et amélioré - et en faisant
pleuvoir par milliards de francs les fonds publics nationaux et européens sur
l'île ! La République est allée aussi loin qu'elle le pouvait : les Corses et
leurs élus ont plus de pouvoirs et de moyens que partout ailleurs - Pierre
Mauroy vient de le rappeler. La Corse reçoit l'aide la plus forte par habitant
alors que tant d'autres régions sont plus défavorisées qu'elle pour l'emploi ou
le niveau de vie ! Mes chers collègues, qu'ont rapporté tous ces cadeaux à la
Corse et à la République ? Rien, sinon l'échec, l'injustice et l'inégalité pour
ceux de nos compatriotes qui, sur le continent, sont moins bien traités que les
Corses !
Rien n'a marché, sauf la « pompe à fric » de la République. Qu'a-t-on fait de
l'argent public déversé dans ce panier percé, puisque la majorité des Corses
n'a jamais vu la couleur des allégements fiscaux ni des fonds généreusement
distribués pour le développement de l'île et l'emploi de leurs enfants ?
La République devait-elle, pour payer ses fautes d'antan, mettre autant en
question, sans résultat et à la faveur d'une indigne danse du ventre avec des
malfrats sans scrupules, le principe sacré d'égalité entre les Français ?
Et surtout, pourquoi tous ces gestes accumulés ont-ils été aussi gravement
inopérants pour rétablir et garantir en Corse l'ordre républicain ?
Mes chers collègues, la réponse est simple : dans une démocratie comme la
nôtre, ce n'est pas, ce n'est jamais en sapant les fondements de l'unité
nationale et l'indivisibilité de la République ni en affaiblissant et en
abaissant l'Etat qu'on tient le mieux compte des particularismes locaux qui
méritent attention et qui s'appellent, en Corse, insularité, culture et langue.
Qui peut croire que les milliards de francs déversés et la zone franche de
demain attireront un jour autre chose que des voyous ? Quelle entreprise
acceptera de venir s'installer dans l'île si sa sécurité n'est pas assurée, si
elle est soumise au racket, à l'impôt pseudo-révolutionnaire, à l'obligation de
« corsiser » ses emplois ? Il est aujourd'hui moins risqué pour un gangster
corse de rester sur place et de se gaver en toute légalité que d'affronter,
comme autrefois, les sanglants règlements de compte des bas-fonds de Pigalle ou
du cours Belzunze ! On ne fera jamais rien de bon en Corse tant que les lois de
la République, qu'elles protègent ou qu'elles punissent, n'y seront pas
appliquées comme partout ailleurs en France, sans complaisance ni faiblesse.
Il ne s'agit pas seulement des lois touchant à l'ordre public. On doit certes
cesser de pouvoir se promener en Corse armé jusqu'aux dents - Pierre Mauroy et
Guy Allouche l'ont dit - au nez et à la barbe des forces de sécurité, qui ont
souvent d'ailleurs l'ordre de ne rien voir, et il faut mettre un terme aux
menaces contre les biens et les personnes, aux attentats, au racket, au
pseudo-impôt révolutionnaire, aux défilés d'encagoulés qui ridiculisent l'Etat
et démoralisent les forces de l'ordre !
Sur un territoire d'à peine 200 000 habitants permanents, la France est
capable de mettre à la raison cette misérable centaine d'agités dont tout le
monde - police, gendarmerie, justice, voisins, opinion publique - connaît le
nom, l'adresse, les habitudes, le téléphone et les relations !
Qu'on ne vienne pas nous raconter que ce mouvement vient des profondeurs d'un
peuple qui aspirerait à prendre en mains son destin : il y a une différence de
hauteur et de fond entre le discours émouvant des apôtres de la décolonisation
à travers le monde et les débilités du niveau d'un bambin de six ans proférées
sur le ton du commandant Sylvestre par ceux qui n'ont que le crime comme
argument !
Chaque été, à la fin des travaux de la Concolta à Corte, on voit rituellement
surgir - François Giacobbi le sait - un groupe d'encagoulés l'arme au poing.
Seuls les plus naïfs admirent ces « pistoleros » qui, se prenant pitoyablement
pour Mandrin et Cartouche dans les films de cape et d'épée, viennent et
repartent après avoir tranquillement enfilé leur déguisement à quelques mètres
du chapiteau et fendu sans problème un cordon de gendarmes prévenus depuis
longtemps et invités à veiller à ce qu'il ne leur arrive rien !
Comediante,
tragediante !
Nécessaires, les lois répressives et d'ordre public sont pourtant presque
secondaires par rapport aux autres car, en Corse, mes chers collègues, aucune
loi n'est jamais appliquée normalement dans aucun domaine. Avant d'être ce
paradis que les touristes apprécient, la Corse est d'abord celui de la fraude,
de la fraude partout et toujours ! Lorsque l'Europe suspend ses primes aux
éleveurs - pour des fraudes bien connues des services locaux de l'Etat - le
contribuable national prend aussitôt le relais alors que la France poursuit
impitoyablement les irrégularités partout ailleurs.
L'Etat tremble à l'idée de démolir les immeubles construits sans permis et
sanctionnés pourtant par la justice. Des masses énormes d'argent public sont
attribuées irrégulièrement et des milliers d'avantages sociaux accordés par des
commissions achetées ou complices et avec des certificats médicaux de
complaisance. Voyez ce maître-nageur d'Ajaccio, classé handicapé par la
COTOREP, cet éleveur qui exploite une boîte de nuit construite avec la prime
destinée à son écurie. Dès qu'un contrôle est effectué, le service compétent
est aussitôt menacé et plastiqué et ses documents dispersés ou volés. Quand
cherchera-t-on à en savoir plus du côté de ceux à qui le crime profite ? Et que
fait la chambre régionale des comptes ?
Les services locaux de l'Etat ont certes leur part de responsabilité. Mais les
premiers fautifs - et je parle en termes généraux, vous le comprenez bien -
sont d'abord les ministres et les administrations centrales, qui préfèrent
acheter une paix précaire par le silence et la passivité. Quel fonctionnaire
local peut oser aujourd'hui exercer son autorité - c'est-à-dire celle de l'Etat
- alors qu'il sait que si les choses tournent mal - et c'est toujours le cas en
Corse quand on veut appliquer la loi - Paris ne le soutiendra jamais. Au mieux,
il sera ridiculisé, au pire désavoué, contraint à des excuses publiques, voire
muté.
Alors, qu'on commence d'abord par appliquer la loi, toutes les lois, comme à
Mende, à Lille ou à Strasbourg - ce que M. Giacobbi appelle le « droit à la
ressemblance », et moi le « devoir de ressemblance » -...
M. François Giacobbi.
Nous sommes d'accord !
M. Michel Charasse.
...que Paris donne des ordres clairs et fermes à ses préfets et à ses services
locaux, qu'il soutienne leur action et ne cède plus au chantage. Mes chers
collègues, un fonctionnaire de l'Etat menacé ne doit jamais être muté. Quoi
qu'il en coûte, il faut le maintenir sur place, le faire protéger, le faire
savoir haut et fort, et les menaces cesseront ! Un bâtiment public plastiqué ne
doit être réparé ou reconstruit qu'avec des crédits prélevés systématiquement
sur les dotations normales de la Corse pour que la République ne paye pas deux
fois.
Les Corses sont démoralisés par les passe-droits, les injustices, les
violations scandaleuses de la loi, l'abaissement de l'Etat. On leur reproche -
je l'ai entendu au cours de ce débat, mais sans soupçonner mes collègues de
malveillance - la loi du silence et leur refus de coopérer. J'ai entendu
l'appel que leur a lancé M. de Rohan.
Comment exiger d'eux qu'ils soient plus courageux et plus déterminés que
l'Etat, qui leur donne tous les jours le pire exemple ? Quand ils auront enfin
le sentiment d'appartenir à une communauté nationale soumise partout aux mêmes
lois, aux mêmes droits, aux mêmes devoirs, les Corses coopéreront. En
attendant, ne comptons pas sur eux, car s'ils se mouillent pour l'Etat, ils
savent que les autorités de leur pays les abandonneront s'ils doivent les
appeler au secours.
Il ne faut plus continuer à discuter à perte de vue avec des assassins et des
mafieux qui s'entretuent, qui ne représentent rien et sont écrasés dans chaque
scrutin. Aucun Républicain ne peut accepter que l'Etat dialogue avec ceux qui
l'insultent et qui le menacent sans même encourir ses foudres. Non seulement
c'est inefficace, mais c'est humiliant et cela rappelle l'époque où la France
envahie pliait sous le joug étranger.
Et d'ailleurs, pour négocier quoi ? Ce qu'on nous demande désormais, c'est de
brader des pans entiers de la souveraineté nationale et de l'autorité de l'Etat
pour que les mafieux puissent exercer tranquillement leur petite dictature par
la menace, la violence, le racisme - Français d'abord, Arabes dehors,
corsisation des emplois - le chantage, les vols, le racket, le crime et le
sang. Une dictature qui offrira à tous les voyous de France et de Navarre une
grande lessiveuse du blanchiment des produits du crime si Bruxelles commet
l'erreur d'accepter l'injustifiable zone franche.
On peut certes toujours discuter pour que les règles spéciales existantes
répondent toujours mieux à la légitime attente de la Corse ; je ne suis pas en
désaccord avec les propos de M. Mauroy ou de M. Allouche. Mais, là aussi, il
faut parler le langage de la vérité : quel avenir et quels emplois peuvent
offrir sur les marchés européen et mondial les diplômes de culture, d'artisanat
et de langue corse de l'université de Corte ? Si elle veut être prise au
sérieux, la Corse doit cesser de se replier frileusement sur elle-même et sur
son passé.
En tout cas, mes chers collègues, nous voici parvenus aujourd'hui à ce qui
n'est plus négociable : la France, l'Etat, la République.
Puisqu'il n'y a pas en Corse de majorité pour l'indépendance, puisqu'on y veut
toujours la France, qui s'est libérée, d'abord là-bas, alors qu'elle soit
présente, qu'elle agisse, qu'elle impose, qu'elle protège ses enfants et
qu'elle mette fermement un terme à la comédie d'un dialogue dont seule la
République a fait les frais, et qui finira par la gangrener et la pourrir de
l'intérieur.
Messieurs les ministres, qu'exigent de leur Gouvernement les Français du
continent comme ceux de Corse ? Ils exigent qu'il soit enfin la République,
qu'il soit enfin l'Etat, qu'il agisse en Corse pour la liberté, pour la
sécurité, pour la justice et pour l'unité nationale comme ailleurs.
(Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines
travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du
RPR).
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je tiens tout d'abord à dire à M. Larché que
nous sommes sensibles à l'approbation qu'il a formulée sur la politique suivie
par le Gouvernement.
Monsieur Giacobbi, je vous remercie d'approuver la volonté exprimée par M. le
Premier ministre de construire l'avenir de la Corse dans le cadre de la
République. Oui, le rétablissement de l'ordre républicain est la condition
nécessaire et indispensable pour permettre le développement économique.
M. François Giacobbi.
C'est une interpellation !
M. Michel Charasse.
Oui, mais amicale !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je vous réponds, monsieur Giacobbi, et M.
Charasse a noté que mon propos était amical.
M. François Giacobbi.
Moi aussi !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Giacobbi, vous connaissez parfaitement
la Constitution, notamment son article 20 : « Le Gouvernement détermine et
conduit la politique de la nation. »
M. François Giacobbi.
Eh oui !
En ce qui concerne la Corse, la politique a été déterminée et elle est
conduite par les ministres sous l'autorité du Premier ministre ; ne cherchez
donc pas à opposer les uns aux autres.
M. François Giacobbi.
Permettez, monsieur le ministre !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Je ne vous ai pas interrompu, monsieur Giacobbi
!
M. François Giacobbi.
Je ne vous ai pas interrompu non plus tout à l'heure !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur de Rohan, l'analyse que vous avez faite
de la situation de la Corse était émouvante.
Ne cherchons pas les responsabilités du passé ; laissons cela aux historiens !
En revanche, essayons de tirer des leçons des échecs ou des insuffisances, des
maladresses des politiques qui ont été suivies par le passé, car le temps est
venu, compte tenu de la situation de la Corse et de l'état d'esprit des Corses,
de définir des perspectives d'avenir claires.
Ce temps doit être marqué par la fermeté. Oui, il n'y a pas d'avenir pour la
Corse en dehors du rétablissement de l'autorité de l'Etat et des lois
républicaines. Mais le temps est venu aussi de faire appel à la responsabilité
de l'ensemble des élus et de l'ensemble des Corses, de proposer à ceux qui
souhaitent le rétablissement de l'ordre républicain, et qui acceptent d'assumer
leurs responsabilités, de dialoguer sur l'avenir de la Corse.
L'enseignement que l'on peut tirer de l'engagement de certaines figures
légendaires de la Corse, qu'il s'agisse de Fred Scamaroni, de Colonna d'Ornano,
Compagnon de la Libération, premier compagnon du général de Gaulle, de Danielle
Casanova ou de Jean Nicoli, c'est qu'il ne faut jamais renoncer ni accepter la
fatalité. Ils nous ont enseigné qu'il fallait toujours choisir les chemins de
l'effort et s'écarter des chemins du renoncement.
Monsieur Hyest, vous avez, avec lucidité et sincérité, reconnu qu'il n'y avait
pas de solution miracle en Corse. S'il y en avait une, on le saurait, monsieur
Charasse !
C'est la combinaison de toutes les approches qui peut déboucher sur des
solutions. La zone franche n'est certes pas la seule mesure pour assurer le
développement économique, mais cela peut être un outil utile.
Madame Luc, je vous envie ! Qu'il est facile aujourd'hui d'être communiste !
C'est le parti des « y a qu'à » et « faut qu'on ». Permettez-moi, madame Luc,
de vous citer cette phrase d'Anatole France : « Heureux ceux qui n'ont qu'une
vérité ! Plus heureux et plus grands ceux qui, après avoir fait le tour des
choses, ont assez approché la réalité pour savoir qu'il existe non pas une,
mais une multitude de vérités. » Alors, veillons à ne pas simplifier le débat
!
Mme Hélène Luc.
Je garde confiance, monsieur le ministre !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Madame Luc, je ne vous ai pas interrompu, et je
vous remercie d'être aussi aimable à mon égard que je ne l'ai été au vôtre.
Tout est complexe, et les problèmes que nous avons à traiter en Corse sont
difficiles. Il faut s'employer à les résoudre avec sérieux, sans chercher à les
simplifier.
Je n'ai jamais dit, le Gouvernement n'a jamais dit, que la zone franche était
une zone de non-droit, une zone de déréglementation, une zone de laisser-faire,
bien au contraire !
La zone franche peut être l'occasion d'essayer d'orienter la Corse vers des
chemins précis, avec un souci pédagogique.
Monsieur de Rocca Serra, vous avez raison d'insister sur les problèmes
démographiques et économiques. Vous avez raison également d'avoir rappelé les
progrès réalisés dans ces domaines, parce que dire qu'on n'a rien fait en Corse
serait une erreur. On a beaucoup fait pour les routes, pour les aéroports, pour
les ports.
M. Michel Charasse.
Tout ce qui a sauté !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
La nécessité d'intéresser davantage l'Union
européenne au problème de la Corse est une réalité.
Vous avez abordé la question de la zone franche.
A l'issue d'une consultation locale approfondie, menée par MM. Gaudin et
Lamassoure, le Gouvernement a entamé les discussions avec la Commission de
l'Union européenne. Les aides d'Etat auxquelles pourront aboutir les mesures
envisagées devront recevoir son accord avant la poursuite du processus de
préparation.
Naturellement, les mesures fiscales qui seront retenues auront un coût pour le
budget de l'Etat. Il est certain que le montant total de ce programme devra
être considéré à l'aune des difficultés budgétaires qui pèsent sur tout le
pays. Mais ces aides iront à l'ensemble de l'île et il n'est pas question de
les séparer.
D'ici à quelques semaines, M. le Premier ministre fera connaître ce
qu'implique la zone franche, et vous verrez alors que nous avons tenu compte de
tous les avis.
Monsieur Mauroy, je ne crois pas que la zone franche soit un mauvais slogan.
Ne vous inquiétez pas, ce ne sera ni un paradis fiscal, ni un enfer. M. le
Premier ministre vous a répondu par avance : nous faisons ce qu'il décide et
nous faisons ce que nous avons dit que nous ferions.
Nous proposons aux Corses un projet économique qui a commencé à prendre forme
à la suite du conseil interministériel présidé par M. le Premier ministre voilà
quelques semaines. Nous allons continuer, dans la concertation avec l'ensemble
des représentants, à affiner ce projet car je crois nécessaire, aujourd'hui,
d'essayer de mobiliser les Corses sur un projet d'avenir partagé.
Ernest Renan a dit un jour, lors d'une conférence à la Sorbonne, qu'une
nation, c'est un rêve d'avenir partagé. Eh bien, je crois qu'il faut que nous
proposions aux Corses de continuer à partager le rêve de la France.
Mme Hélène Luc.
Dites-nous plutôt ce que vous pensez de nos propositions !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Allons madame Luc, un peu de calme, s'il vous
plaît !
(Protestations sur les travées du groupe communiste republicain et
citoyen.)
Mme Hélène Luc.
Vous ne répondez pas aux questions !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Monsieur Charasse, la République est chez elle
en Corse et elle doit s'y sentir à l'aise.
M. Michel Charasse.
Je suis heureux de l'entendre !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Elle se doit de construire l'avenir économique
de la Corse. L'Etat n'est à la remorque de personne.
Monsieur Charasse, vous êtes pour moi une énigme. Je ne veux pas polémiquer
avec vous ni vous faire de faux procès, et je ne m'intéresse pas outre mesure à
ce qui est le passé. Mais, lorsque je vous entends dire que la loi n'est pas
appliquée en Corse, je ne peux m'empêcher de vous rappeler que les socialistes
ont tout de même été au gouvernement pendant près de quatorze ans,...
M. Michel Charasse.
Moi, la loi, je l'ai appliquée en Corse !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
... qu'il y a eu les lois d'amnistie de 1981 et
1988.
M. Pierre Mauroy.
Elles n'ont pas été votées que par les socialistes !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Vous dites que la Corse vit sous le règne de la
fraude, et cela depuis vingt ans. Je vous laisse naturellement la
responsabilité de ces propos.
Moi, je ne cherche pas à accuser tel ou tel, mais on ne peut nier que nous
héritons de ce passé.
M. Michel Charasse.
Vous aurez remarqué que j'ai eu la délicatesse de ne désigner personne !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Nous avions hérité nous aussi !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
Aujourd'hui, les instructions du Gouvernement
sont fermes et précises. Elles ont été rappelées aux policiers voilà quelques
jours, à ma demande, par le directeur général de la police nationale : il faut
poursuivre celles et ceux qui violent la loi républicaine.
En fin de compte, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons la
confirmation de ce que Jacques Toubon et moi-même pressentions : personne n'a
proposé une autre politique que celle qui est voulue par le Gouvernement,...
Mme Hélène Luc.
Si !
M. Michel Charasse.
Qu'il s'y tienne !
M. Jean-Louis Debré,
ministre de l'intérieur.
... et je m'en félicite.
(Applaudissements
sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Je voudrais brièvement, au nom du Gouvernement,
remercier tous ceux qui ont pris part à ce débat, dont la qualité fait honneur
au Sénat tout entier. Un sujet aussi important pour la République méritait
bien, effectivement, un débat de cette tenue.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Vous êtes un expert !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Je tiens d'abord à dire, après Jean-Louis Debré, qu'il
faut mettre fin à cette idée, assez bassement politicienne, reconnaissons-le,
selon laquelle, au sein du Gouvernement, s'exprimeraient des options très
diverses sur cette question.
En vérité, les choses sont parfaitement simples. M. le Premier ministre a eu
l'occasion de s'exprimer sur notre politique pour la Corse à trois reprises :
d'abord, voilà quelques mois, en répondant à une question à l'Assemblée
nationale ; ensuite, la semaine dernière, de nouveau à l'Assemblée nationale,
pour ouvrir un débat ; enfin, aujourd'hui, il y a quelques heures, devant
vous.
Ce que le Premier ministre a dit, au nom du Gouvernement tout entier, est la
traduction des actions que les ministres concernés, tout particulièrement le
ministre de l'intérieur et le garde des sceaux, mais aussi le ministre de
l'aménagement du territoire, qui était présent tout à l'heure, le ministre de
l'équipement et le ministre de l'économie et des finances, mènent depuis
l'automne dernier en direction des deux départements de Corse.
Il ne s'agit pas, pour les membres du Gouvernement compétents, d'appliquer ce
que le Premier ministre a dit la semaine dernière ou cette semaine. Nous
conduisons une politique qui a été délibérée par le Gouvernement voilà
maintenant plusieurs mois et dont le Premier ministre a donné la traduction la
plus haute, la plus claire et la plus ferme devant les deux assemblées.
Je tiens à le préciser, car cette espèce de procès politicien qui est instruit
par certains ne me semble vraiment pas de nature à faire avancer les choses ni
à donner plus d'efficacité - ce que tout le monde a réclamé ici - à l'action de
l'Etat dans les deux départements de Corse.
Je veux également dire que la Corse attend, demande, exige que le
Gouvernement, c'est-à-dire la nation, conduise à son égard une politique
prioritaire.
Il ne s'agit évidemment pas de dire, comme certains le font : « Nous allons
abandonner la Corse, prendre les Corses au mot et organiser, de telle ou telle
façon, le "largage" de la Corse. »
C'est là une thèse qui est non seulement tout à fait minoritaire mais encore
absolument inadmissible et, de toute façon, contraire à l'opinion de 99,99 p.
100 des Corses.
M. François Giacobbi.
Et irréaliste !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Mais il faut nous méfier aussi des propos un peu
excessifs qui stigmatisent la Corse et les Corses, car ils ne peuvent que
renforcer un vague sentiment d'« étrangeté » qui existe dans certaines parties
de l'opinion à l'égard de la Corse.
Je tenais à faire cette mise en garde après avoir entendu certains des propos
qui ont été tenus dans cet hémicycle.
Ce qu'il s'agit de faire, c'est d'appliquer à la Corse - et nous le faisons -
la loi commune de la République.
Mais pouvons-nous le faire, dans un certain nombre de domaines, du jour au
lendemain, alors que depuis vingt ans - et M. Charasse a bien voulu le
reconnaître - il n'en va pas ainsi ?
M. Michel Charasse.
Depuis trente ans plutôt !
M. Jacques Toubon,
garde des sceaux.
Pouvons-nous le faire aussi en alignant les actions que
nous conduisons en Corse, d'une manière uniforme, sur celles que nous menons
dans tous les autres départements ? Je ne le crois pas.
Il faut donc que nous ayons pour la Corse une politique prioritaire et une
politique particulière. Et c'est finalement cela l'unité de la République. La
loi est une, mais elle doit s'appliquer en s'adaptant, autant que faire se
peut, aux besoins, aux problèmes, aux aspirations de chacun des enfants de la
République, là où ils vivent, là où ils travaillent et où ils ont, c'est
souvent vrai aujourd'hui, hélas ! bien des difficultés.
D'un débat comme celui-là, il faut que sorte l'idée que les Corses, comme tous
les Français, ont des droits et des devoirs et que nous avons, nous, la
représentation nationale et l'exécutif, le devoir de faire appliquer la loi,
comme l'exige de nous la Constitution, mais aussi de prendre en compte les
difficultés spécifiques que rencontrent les Corses.
Nous devons lutter, je le répète, contre deux attitudes dangereuses : celle
qui consiste à stigmatiser ce que seraient la Corse, ou les Corses - car les
Corses sont aussi divers que tous les autres Français - et celle qui voudrait
imposer à tous un moule dans lequel les particularités de chacun ne pourraient
pas s'exprimer.
En fait, ce que je viens d'énoncer, c'est tout simplement la définition de la
République, et la Corse a besoin de la République.
(Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. François Giacobbi.
On n'a pas répondu à mes questions !
M. Michel Charasse.
Il ne fallait pas les poser !
(Sourires.)
Mme Hélène Luc.
On n'a pas répondu non plus à nos propositions !
M. le président.
Le débat est clos.
Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimé sous le
numéro 413 et distreibué.
Nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt
et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une
heures trente, sous la présidence de M. Jean Delaneau.)