M. le président. « Art. 8. - L'article 32 de la même loi est complété par un quatrième alinéa ainsi rédigé :
« Les dispositions du chapitre 2 et du chapitre 3 du titre IV du livre IV du code du travail sont applicables à l'ensemble des personnels de France Télécom, y compris ceux visés aux articles 29 et 44 de la présente loi, à compter de l'exercice 1997. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 14, Mme Pourtaud, MM. Charzat, Delfau, Garcia, Mélenchon, Pastor, Peyrafitte, Saunier et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de supprimer cet article.
Par amendement n° 100, MM. Billard, Leyzour, Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent de rédiger comme suit l'article 8 :
« L'article 32 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 32. - En accord avec les organisations syndicales représentatives de ses agents, France Télécom consacre chaque année une partie des bénéfices réalisés l'année précédente à une réévaluation des indices de carrière et des salaires de l'ensemble de ses salariés.
« Cette part des bénéfices est au moins équivalente à celle que France Télécom a versée en 1995 à ses salariés au titre de l'application du régime prévu par les dispositions du chapitre 1er de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise. »
La parole est à M. Mélenchon, pour présenter l'amendement n° 14.
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous abordons un sujet que nous avons déjà évoqué par la bande, si j'ose dire, à l'occasion de l'examen de l'amendement n° 2 à l'article 7, puisqu'il s'agit de l'intéressement du personnel.
Vous avez bien sûr compris que mon amendement de suppression est en cohérence avec la logique globale d'opposition au texte que j'ai déjà eu l'occasion de défendre devant le Sénat. Je n'y reviendrai donc pas.
La Haute Assemblée comprendra que celui qui s'exprime ait un attachement particulier au sujet qu'il évoque en cet instant, se souvenant du débat passionnant et passionné que nous avions eu à l'occasion d'une loi qui visait à élargir les conditions de la participation - le rapporteur en était Jean Chérioux - et qui nous avait offert l'occasion d'un débat assez approfondi.
Vous savez que je suis par principe opposé, comme nombre de socialistes d'ailleurs, au concept de la participation.
En cet instant, il me semble nécessaire de rappeler que si, dans le cadre de l'ouverture d'un capital d'une entreprise nationale, ceux qui ne partagent pas mes convictions peuvent, tout en en étant salariés, acquérir, à titre individuel, des actions, cela relève du domaine de la liberté individuelle et du comportement des citoyens.
Mais ès qualités de salariés d'une entreprise, j'estime que le procédé est quelque peu choquants surtout lorsqu'il s'agit de la propriété sociale de la nation. Les travailleurs, me dit-on, ont concouru à l'amélioration et à l'enrichissement de l'entreprise. Je n'en disconviens pas, mais la nation tout entière y a concouru.
En de tels domaines, et pour me résumer, sachez que je ne suis pas partisan de slogans tels que : « La mine aux mineurs ! », « L'électricité aux électriciens ! » et - pourquoi pas ? - « Le courrier aux facteurs ! ».
Par conséquent, je ne vois pas de raison particulière conduirait à ce que les agents de France Télécom soient ès qualites intéressés au dépeçage de la propriété sociale de la nation. Voilà mon point de vue.
Je conclurai en disant qu'en l'espèce le procédé paraît d'autant plus choquant qu'il s'agit de fonctionnaires qui, par définition et de par leur statut, ne doivent pas être intéressés personnellement aux bénéfices et au résultat de l'entreprise à laquelle ils participent.
Je trouve choquant que des fonctionnaires puissent, d'une part, participer au bradage d'un patrimoine qu'ils ont contribué à constituer et, d'autre part, intervenir dans la discussion sur l'avenir de leur entreprise non en tant que salariés, mais en tant que cogérants d'objectifs qui n'ont rien à voir avec la logique de la fonction publique. Ils seront des fonctionnaires travaillant à côté de travailleurs qui n'auront pas le même statut. Ils auront un statut privé. Dans leurs revendications syndicales, seront continuellement conduits à se réclamer des objectifs de la fonction publique pour protéger leur propre situation corporatiste.
Je trouve choquant qu'ils soient associés de cette manière à cette entreprise.
M. le président. La parole est à M. Billard, pour défendre l'amendement n° 100.
M. Claude Billard. Par cet amendement, nous proposons une rédaction différente de l'article 8 du projet de loi.
Je ne reviendrai bien évidemment pas sur les raisons qui nous amènent à rejeter de façon globale les dispositions que l'article 8 prévoit de mettre en oeuvre. Mais je poserai, à l'occasion de l'examen de cet amendement, un certain nombre de questions précises.
En effet, le dispositif d'intéressement du personnel n'est pas sans soulever quelques problèmes dès lors que l'on se trouve en présence de fonctionnaires.
Mais, au-delà de cette particularité, force est de constater que la volonté du législateur, dans le cas qui nous préoccupe, est sans aucun doute de permettre l'émergence de ce qu'il est convenu d'appeler la « carotte » de l'intéressement pour faire oublier le « bâton » que représente le reste des conditions générales d'exercice des missions et des tâches professionnelles.
Tout le monde se doute bien que les garanties offertes par la convention collective qui régira les conditions de travail des agents contractuels ou de droit privé de France Télécom n'offriront pas les mêmes garanties que les statut actuel des fonctionnaires.
On risque fort, comme cela a d'ailleurs pu être observé dans d'autres cas - je pense, par exemple, au récent conflit social de la Régie des transports marseillais - d'aboutir à une dévalorisation du statut des salariés de droit privé, pourtant de plus en plus nombreux, par rapport au statut des agents sous statut public.
Il faut dès lors mettre en oeuvre quelques palliatifs. Parmi les outils existants, figurent les accords d'intéressement. Ces accords et ces outils posent plusieurs problèmes.
Premier problème et non le moindre, l'intéressement des personnels d'une entreprise, quelle qu'elle soit, est étroitement dépendant de la réalité du résultat d'exploitation de ladite entreprise.
Nous avons souligné, lors de la discussion du projet de loi sur la nouvelle réglementation des télécommunications et du présent projet de loi, que la limitation organisée des missions de service public et, partant, la réduction de la valeur ajoutée produite par l'activité de France Télécom, auraient des conséquences sur le résultat d'exploitation de l'entreprise nationale.
La direction de l'entreprise sera alors tentée, afin de redresser ce résultat d'exploitation, de prendre des mesures d'économies diverses, allant de la maîtrise de la masse salariale à la réduction des investissements, en passant par la limitation du nombre des créations d'emploi ou la chasse aux dépenses de fonctionnement courant.
En clair, pour assurer une relative pérennité à l'accord d'intéressement, il faudra peser sur les salaires, l'emploi et l'investissement faute de quoi la carotte de l'intéressement sera de plus en plus rabougrie et de moins en moins attractive.
Nous avons souligné dans le débat que France Télécom était loin, très loin même, de ne disposer d'aucune marge en matière salariale.
La part de la masse salariale est faible dans les comptes de l'entreprise nationale, plus faible que dans le secteur public de façon générale et dans le secteur marchand.
Il reste du grain à moudre pour faire droit aux revendications du personnel en matière de rémunération, de garanties collectives, de statut, de prestations et d'éléments annexes de rémunération.
Tel est l'objet de l'amendement n° 100 par lequel nous vous invitons, mes chers collègues, à consacrer dans la loi cette exigence permanente de revalorisation salariale.
Il permettra accessoirement d'assurer, sur la durée, le financement du régime de retraite de France Télécom, que nous avons évoqué tout à l'heure.
Au bénéfice de ces observations, je vous invite donc, mes chers collègues, à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 14 et 100 ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. La commission est très attachée au principe de la participation. Puisque les mots « intéressement » et « participation » ont été prononcés tant par M. Mélenchon que par M. Billard, je rappelerai que l'intéressement a été créé par la loi de 1990, votée par la majorité de l'époque pour les personnels de La Poste et de France Télécom. De tels dispositifs ne sont pas envisagés aujourd'hui, mais il était important, à ce point du débat, de rappeler que l'intéressement résulte de la loi de 1990. Ce n'est pas cette majorité-là qui l'a créé, mais nous nous en félicitons.
Quant à la participation, les dispositions du chapitre II de l'ordonnance du 21 octobre 1986 s'appliquent à tous les salariés de France Télécom, société nationale.
M. Mélenchon a raison de dire que les choix de la commission sont, d'un point de vue philosophique et politique, différents des siens. En effet, nous croyons qu'il est légitime, en vertu du code du travail, non pas que les salariés détournent la « propriété sociale de la nation », selon l'expression de M. Mélenchon, mais qu'ils participent aux résultats de l'entreprise.
Dès lors, vous le comprendrez, la commission est défavorable à ces deux amendements pour des raisons de fond. Elle souhaite conserver l'intéressement créé par la loi de 1990, ce qui démontre, une fois de plus, que nous n'entendons pas gommer cette loi qui constitue un cadre et une référence. Mais comme le rapporteur M. Jean Faure le disait à l'époque nous pensions qu'il ne s'agissait que d'une étape et qu'il fallait dire la vérité, notamment aux agents de France Télécom. En effet, compte tenu de l'évolution des techniques, l'ouverture évoquée voilà un instant par M. Pierre Laffitte est une réalité, mais nous voulons que France Télécom reste une société nationale, possédée majoritairement par l'Etat, et que les personnels y conservent leur statut. (MM. Laffitte et Machet applaudissent.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements n°s 14 et 100 ?
M. François Fillon, ministre délégué. Le Gouvernement est attaché à la notion de participation, qu'il a souhaité voir ici renforcée par rapport au dispositif de la loi de 1990. Il souhaite donc bien évidemment le rejet de l'amendement n° 14.
Quant à l'amendement n° 100, qui vise à intégrer dans le salaire les fruits de la participation et de l'intéressement, il vide de leur sens ces dispositions.
Il est certes difficile, au cours d'un long débat, de ne pas se contredire, mais je voudrais faire remarquer aux membres du groupe communiste républicain et citoyen qu'ils ne peuvent pas à la fois affirmer que les sociétés privées vont se jeter sur France Télécom tant sa rentabilité paraît assurée et nous expliquer que les conséquences de la loi de réglementation pèseront sur les résultats de l'entreprise de telle sorte qu'il n'y aura plus de bénéfice à distribuer.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 14.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je dois faire au Sénat l'aveu d'une défaillance.
Mes collègues auront remarqué les conditions particulières dans lesquelles j'accomplis ma mission, et les plus attentifs d'entre eux se seront aperçus que les explications que je viens de fournir à propos de cet amendement de suppression s'appliqueraient bien plus opportunément à l'amendement n° 15, puisque celui-ci tend à supprimer l'article 9, qui traite de la participation.
Quoi qu'il en soit, chacun aura compris l'état d'esprit qui m'anime ; il est inutile que j'y revienne. Je me suis expliqué, cela suffit pour l'instant, et je persiste dans mon attitude d'opposition.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 14, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 100, repoussé par la commission et par le Gouvernement.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 8.
M. Félix Leyzour. Le groupe communiste républicain et citoyen votre contre.
M. Jean-Luc Mélenchon. Le groupe socialiste également.
(L'article 8 est adopté.)
Article 9