M. le président. Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les trois premiers sont identiques.
L’amendement n° I-286 rectifié est présenté par MM. Lagauche et Legendre, au nom de la commission de la culture.
L’amendement n° I-430 rectifié est présenté par Mme Morin-Desailly, MM. Maurey, Biwer, Détraigne et Jarlier, Mme Férat et les membres du groupe Union centriste.
L’amendement n° I-433 rectifié est présenté par M. Plancade, Mme Laborde et les membres du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Au dernier alinéa de l’article 278 bis du code général des impôts, après le mot : « Livres », sont insérés les mots : « sur tout type de support physique, y compris ceux fournis par téléchargement ».
II. - La perte de recettes résultant pour l’État du I ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour présenter l’amendement n° I-286 rectifié.
Mme Catherine Morin-Desailly, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Je défends là une disposition adoptée par la commission de la culture et dont nous avions largement discuté lors de l’adoption par le Sénat, le 26 octobre dernier, de la proposition de loi relative au prix du livre numérique présentée par Mme Catherine Dumas et M. Jacques Legendre. Je précise que mon intervention vaudra également présentation de l’amendement identique n° I-430 rectifié, déposé par le groupe de l’Union centriste.
Il s’agit d’aligner le taux de TVA applicable au livre numérique dit « homothétique » sur celui qui est appliqué au livre « papier ». En effet, il nous a semblé qu’une harmonisation au taux réduit de 5,5 % éviterait une distorsion de concurrence qui serait extrêmement préjudiciable à l’industrie du livre.
Nous vous proposons donc de transposer plus complètement la directive TVA du 5 mai 2009 et d’en permettre une interprétation plus souple dans le cadre du rescrit fiscal, à l’instar, semble-t-il, d’autres État membres.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je ferai un triple rappel.
Tout d’abord, par ces amendements identiques, nous reprenons un souhait que nous avons déjà exprimé à l’unanimité à l’occasion de l’adoption de la proposition de loi relative au prix du livre numérique. Il nous faut donc aujourd'hui faire preuve de cohérence.
Ensuite, cette mesure est nécessaire au développement d’une offre légale attractive pour les consommateurs, conformément à la volonté que nous avons affichée dans le cadre de l’adoption des lois dites « HADOPI ».
Enfin, il est urgent de poursuivre activement le débat au niveau européen en vue d’obtenir du Conseil un consensus sur la faculté des États membres d’appliquer un taux réduit de TVA non seulement pour tous les livres – y compris pour ceux qui sont accessibles seulement sur internet –, mais aussi pour les autres biens culturels en ligne.
M. le président. L’amendement n° I-430 rectifié a été défendu.
La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l’amendement n° I-433 rectifié
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous remarquerez qu’il y a une volonté commune sur toutes les travées de cet hémicycle de voir appliquer le même taux de TVA à 5,5 % pour le livre numérique et pour le livre papier.
Au nom du groupe RDSE, je me rallie à cette demande portée par la commission de la culture et qui vient d’être excellemment défendue par Catherine Morin-Desailly.
M. le président. L’amendement n° I-301 rectifié, présenté par M. Ralite, Mmes Gonthier-Maurin et Labarre, MM. Renar, Voguet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l’article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Au 6° de l’article 278 bis du code général des impôts, après le mot : « Livres », sont insérés les mots : « sur tout type de support physique ».
II. - La perte de recettes résultant pour l’État du I ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
La parole est à M. Jack Ralite.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Last but not least ! (Sourires.)
M. Jack Ralite. Notre amendement vise à étendre le taux de TVA réduit de 5,5 %, actuellement appliqué au livre papier, au livre numérique.
Page ou écran, livre papier ou livre numérique, qu’importe le support physique, c’est toujours du texte, des mots qui s’y projettent. Dans les deux cas, c’est d’un livre qu’il s’agit et, toujours, il nous faut parler d’une œuvre de l’esprit.
Dès lors, s’il s’applique au livre papier, le taux de TVA réduit de 5,5 % doit s’appliquer à son pendant numérique. D’autres pays tels que le Japon, l’Espagne ou le Luxembourg ont déjà réduit leur taxation sur la valeur ajoutée aux environs de 5 %.
À l’heure où le chiffre sévit en maître sur chaque chose, surtout, que l’on se rassure : le marché du livre numérique n’étant encore qu’une ébauche, y étendre un taux réduit de TVA ne saurait se révéler très coûteux. Il y a loin de la restauration au livre numérique ! Le prédécesseur de l’actuel ministre de la culture, Mme Christine Albanel, le rappelait en substance dans son rapport sur le livre numérique remis au Premier ministre le 15 avril dernier.
Puisque nous parlons de coût, il est d’ailleurs grand temps de lever l’idée reçue selon laquelle le livre numérique n’en connaîtrait pas, ou fort peu. Ainsi que le rappelait à bon escient le Syndicat national de l’édition lors des Assises professionnelles du livre en mars 2009, ce sont non pas les mêmes coûts d’impression ou de logistique qui sont impliqués, mais des coûts nouveaux : la nécessité de sites de vente en ligne – les e-librairies –, les coûts de conversion, voire de numérisation pour les ouvrages anciens, de stockage et de sécurisation des fichiers, sans omettre les frais juridiques liés à l’adaptation des contrats d’édition et à la défense contre le piratage ; un piratage que l’on se doit d’enrayer, précisément à la faveur d’une offre légale du livre numérique attractive, indissociable d’une TVA à 5,5 %.
Évoquant les pirates, je n’oublie pas les ogres insatiables que sont Google, Apple ou encore Amazon, face auxquels il faut bâtir un marché économiquement pérenne soutenu par une structure juridiquement solide, de sorte que le livre numérique devienne véritablement une ouverture de potentialités : littérature, poésie, savoir scientifique, voilà autant de contenus intellectuels qui, on l’oublie trop souvent, doivent tout à leurs auteurs, dont il faut défendre fermement les droits.
Il y va de la diversité culturelle, où compte chaque bruissement de mots, d’idées. Par conséquent, monsieur le ministre, nul besoin d’attendre la décision – qui, trop souvent, est une injonction – européenne pour agir : donnons au livre numérique l’élan qu’il mérite !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je souhaiterais faire un commentaire commun à l’ensemble de ces amendements.
Tout d’abord, à la suite de Catherine Morin-Desailly, je rappellerai qu’ils font suite à des travaux de la commission de la culture, laquelle a organisé en avril 2010 une table ronde et publié un rapport d’information sous la responsabilité de son président, Jacques Legendre.
Le 26 octobre dernier, le Sénat a adopté une proposition de loi déposée par Catherine Dumas et Jacques Legendre sur le prix unique du livre numérique ; elle devrait être examinée par l’Assemblée nationale.
À l’évidence, le principe de la TVA à taux réduit pour le livre numérique fait aujourd’hui l’objet d’un quasi-consensus. Il est en effet préconisé à la fois par les rapports récemment commandés par le ministre de la culture, M. Frédéric Mitterrand, par les éditeurs et par les services du ministère de la culture.
Quel serait le coût d’une telle mesure ? Dans l’immédiat, il serait vraisemblablement faible. À l’avenir, c’est plus difficile à dire.
Actuellement, l’application du taux réduit pour le livre papier – le livre qui se touche, se sent et dont les pages se tournent ; à mon sens, le seul livre qui mérite vraiment ce nom, mais je ferme ici la parenthèse ! (Sourires.) – coûte 500 millions d’euros par an.
Un tel montant ne serait cependant pas atteint immédiatement dans le cas du livre numérique. En effet, si les éditeurs continuent de commercialiser le livre numérique à un prix quasiment identique à celui du livre papier, le marché a peu de chance de se développer rapidement. A contrario, s’ils diminuent considérablement leurs prix – aux États-Unis, le livre numérique est à peu près deux fois moins cher que le livre papier –, la TVA s’appliquera à une assiette unitaire plus faible.
Par ailleurs, monsieur le ministre, et j’y insiste car c’est une question d’ordre plus général que nous retrouverons au cours des délibérations de ce jour, les principaux libraires électroniques seront vraisemblablement implantés hors de France. Ils établiront leur siège au Luxembourg, en Irlande, dans tous ces beaux pays, ces « tigres » ou « écureuils » européens qui prospèrent sur un terreau alimenté par une fiscalité très basse.
Mme Nicole Bricq. Il a perdu ses griffes, le tigre irlandais !
M. Jean-Jacques Jégou. Certains écureuils ont plus de noisettes que d’autres !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Oui, mais avant de donner des noisettes, il faudrait prescrire quelques conditions ; j’espère que nous y reviendrons, notamment lorsque Mme Lagarde nous aura rejoints.
La commission des finances, sans naturellement pouvoir s’opposer à cette mesure de diffusion culturelle, s’interroge sur son utilité réelle.
Premièrement, est-il opportun de créer une nouvelle niche de TVA, alors que l’article 9 du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 prévoit que « le coût des dépenses fiscales est stabilisé en valeur à périmètre constant » ? Nous devons appliquer ce que nous avons voté.
Deuxièmement, cette niche est-elle conforme au droit communautaire ? La directive de 2009 n’autorise l’application du taux réduit que pour les livres « sur tout type de support physique ». Un livre numérique téléchargé sur internet, est-ce un support physique ? J’avoue manquer de compétence pour répondre à cette question. L’immatériel est-il physique ? Y a-t-il de l’immatériel physique ou du physique immatériel ? M. le ministre nous éclairera certainement sur ce sujet difficile.
Troisièmement, une telle niche favoriserait-elle vraiment le développement du livre numérique ? Je me tourne maintenant vers l’homme le plus compétent sur le sujet au sein de la commission des finances. Je veux parler de Yann Gaillard, votre collègue de l’Aube, monsieur le ministre, qui, dans son récent rapport d’information sur la politique du livre, avait exprimé un certain scepticisme.
Il nous a toutefois confié en commission – il nous l’expliquera certainement encore mieux en séance – qu’il avait peut-être pris un peu de recul par rapport à ce scepticisme.
En tout état de cause, il est permis de s’interroger plus avant.
Tout d’abord, le marché du livre électronique ne risque-t-il pas d’être contrôlé par des acteurs implantés à l’étranger, lesquels ne paient pas la TVA ? Je réitère la question : n’est-ce pas une nouvelle fois « servir la soupe » aux multinationales américaines qui font tout pour nous payer le moins d’impôts possible ?
Ensuite, les libraires en ligne implantés en France baisseraient-ils vraiment les prix toutes taxes comprises ou bénéficieraient-ils d’un effet d’aubaine ?
Par ailleurs, si le prix du livre numérique était nettement moins élevé que celui du livre papier, par exemple deux fois moins élevé, le passage au taux réduit ne correspondrait-il pas, pour un livre donné, à un montant trop faible pour avoir un impact réel sur les ventes ?
Enfin, est-il possible de se contenter de la référence suivante : « tout type de support physique, y compris ceux qui sont fournis par téléchargement » ? En effet, le livre numérique est une notion assez floue. Après tout, en termes de nouvelles technologies, un livre est une suite de pages ; autrement dit, c’est un fichier. Dès lors, à partir de quand qualifie-t-on un fichier électronique de livre ? Voilà une définition qui nous manque ! À la limite, tout fichier à caractère littéraire pourrait être considéré comme un livre ; mais cela fait-il vraiment un livre ?
Par conséquent, l’économie de l’immatériel nous renvoie à des questions assez fondamentales. La notion de livre nous semble être une évidence, que nous avons connue dès la plus haute Antiquité, mais elle est, en quelque sorte, pulvérisée, dynamitée par l’irruption des nouvelles technologies. Cela mérite réflexion.
Ne faudrait-il pas se référer au champ de la proposition de loi précitée de la commission de la culture relative au prix du livre numérique ? Aux termes de son article 1er, ce texte « s’applique au livre numérique lorsqu’il […] est à la fois commercialisé sous sa forme numérique et publié sous forme imprimée ou qu’il est, par son contenu et sa composition, susceptible de l’être, nonobstant les éléments accessoires propres à l’édition numérique ».
Visiblement, nos collègues de la commission de la culture, qui ont bien étudié ce sujet, tâtonnent, et nous avec eux. La définition qu’ils proposent est complexe : plusieurs critères viennent se compléter ou se relativiser.
Tout cela me conduit à afficher à mon tour un certain scepticisme, dans le style « gaillardien » – si mon collègue Yann Gaillard me le permet –, et à solliciter l’avis du Gouvernement. Puisse-t-il nous apporter quelque lumière sur cette matière.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Baroin, ministre. Le style gaillardien est à l’opposé du style gaillard : il est élevé, cultivé, se caractérise par une approche de la politique culturelle et une certaine idée de l’exception culturelle à la française. Il a permis, au fil des années, au sénateur Yann Gaillard d’associer son nom à un certain nombre d’avancées en matière de défense des intérêts culturels français.
Ce n’est pas un problème de fond qu’il nous faut résoudre ici. Pour le Gouvernement, en effet, tout ce qui est susceptible de muscler et de conforter la politique de défense de l’exception culturelle à la française va dans la bonne direction.
En revanche, nous sommes confrontés à deux difficultés d’une autre nature.
En premier lieu, et c’est indiscutable, la mesure proposée n’entre pas dans le champ d’application de la directive européenne relative au taux réduit de TVA. Elle est incompatible avec le droit communautaire. Nous ne pouvons nous soustraire à cette évidence, même au nom de la défense du livre.
En second lieu, nous devons faire face à une concurrence déloyale mise en place de façon sourde et non assumée par un État particulier. J’ai saisi la Commission européenne afin de l’alerter sur l’existence de cette pratique dont les conséquences sont très concrètes : d’une part, les serveurs se localisent dans ce pays et bénéficient de ce fait d’un avantage indu ; d’autre part, cette situation affaiblit les promoteurs industriels tant en France que dans les autres États membres.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces amendements. Nous continuons cependant à poursuivre les relations avec la Commission européenne pour qu’une position commune se dégage prochainement sur ce point.
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote sur les amendements nos I-286 rectifié, I-430 rectifié et I-433 rectifié.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, j’interviens, car je viens d’être utilisé, un peu malgré moi, comme porte-drapeau dans cette affaire.
Le rapport d’information que j’ai rédigé sur la politique du livre face au défi du numérique était assez ambigu sur le statut du livre numérique. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, et assez rapidement d’ailleurs.
Aujourd’hui, même si sa définition est complexe, le livre numérique existe en tant que tel. Son développement marque une nouvelle étape dans l’histoire du livre, après le volumen et le codex. Personnellement, cette nouvelle forme ne me plaît guère, mais elle se tend à se répandre incontestablement. Nous assistons non pas à une révolution mais à une évolution globale du livre.
C’est la raison pour laquelle, lorsque ces amendements ont été examinés en commission des finances, j’ai émis un avis favorable. Dans mon souvenir, si le débat a été très complexe, car il nous a fallu examiner un grand nombre d’amendements, la commission n’a pas repoussé une telle proposition.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous demandons l’avis du Gouvernement !
M. Yann Gaillard. Pour ma part, je maintiens ma position.
En outre, pour avoir reçu tout récemment une délégation conduite par le président du Syndicat national de l’édition, qui porte un nom glorieux, puisqu’il est un descendant de la famille Gallimard, je peux témoigner que le monde de l’édition est très demandeur de ce taux réduit de TVA.
Par conséquent, sans prétendre qu’il ne faut pas remettre l’ouvrage sur le métier et réfléchir encore, je ne pense pas que nous puissions être défavorables à une évolution qui s’impose à nous. Certes, nous qui appartenons à ces générations qui ne sont plus de la première jeunesse, nous le regrettons. Mais qu’y faire ?
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je tiens à saluer la culture du pragmatisme à laquelle nous invite Yann Gaillard.
Monsieur le ministre, je souhaite vous rendre attentif aux distorsions de concurrence qui sont en train de se développer, dont certaines sont peut-être le coût caché du passage à 5,5 % du taux de TVA dans la restauration.
Mme Nicole Bricq. Ah !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le Luxembourg a été autorisé à préserver sa spécificité et à se faire le spécialiste des transactions immatérielles. Ainsi, compte tenu de ses caractéristiques budgétaires, ce pays peut appliquer un taux normal de TVA de 15 %. En outre, pour quelques années encore, il lui est permis de déroger à la règle suivant laquelle la TVA qui est facturée à un consommateur revient au budget de l’État dans lequel celui-ci réside.
Par conséquent, le Luxembourg, en proposant une TVA dont le taux correspond au seuil minimal fixé par la directive européenne, accueille toutes les grandes sociétés américaines spécialisées dans les prestations immatérielles.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Voilà !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est par exemple le cas pour la musique. Il faut savoir que toutes les institutions territoriales qui offriront à leurs jeunes concitoyens une carte d’accès à la musique numérique alimenteront le budget luxembourgeois.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Qui n’en a pas besoin !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Au surplus, sur le livre numérique, le Luxembourg a, semble-t-il, conclu un arrangement au terme duquel une partie du prix est soumise à la TVA à 15 % et une autre partie correspond aux droits d’auteur, lesquels, dans ce pays, sont assujettis à un taux de TVA d’environ 3 %. Autrement dit, ce cocktail permet au Luxembourg de pratiquer sur le livre numérique un taux de TVA particulièrement bas.
Aujourd’hui, nous courons le risque de voir tous les opérateurs offrant un accès au livre numérique s’établir au Luxembourg. Et le préjudice se révélera considérable en termes de concurrence, car nous assisterons à la concentration de tous les opérateurs dans ce pays.
Monsieur le ministre, la situation ne peut pas durer.
J’en profite pour vous alerter sur certaines pratiques qui témoignent selon moi d’un franchissement de la ligne jaune entre ce qui est conforme à la loi et ce qui relève de la fraude.
Il existe en France un établissement qui, s’étendant sur plusieurs hectares, sert de pôle logistique. Naturellement, cela crée de l’emploi sur notre territoire. De ce site sont distribués des biens de consommation, des appareils électroniques, mais les factures sont établies depuis le Luxembourg et personne n’arrive à savoir à quel taux de TVA ces produits sont assujettis et quel État en bénéficie. C’est manifestement une fraude. L’Europe aurait du mal à survivre à de telles pratiques si ces dernières se prolongeaient.
Je suis attentif aux propos du rapporteur général – je le suis toujours ! – et, comme lui, je considère qu’avant de nous prononcer sur le taux de TVA qu’il convient d’appliquer à l’accès au livre numérique il est nécessaire d’en proposer une définition claire. Oserais-je dire que c’est en quelque sorte d’abord un livre que l’on a numérisé ?
Je serais heureux de connaître les précisions du Gouvernement sur cette pratique luxembourgeoise et sur la fraude qui se développe sur notre territoire, car elle est de nature à porter atteinte à nos finances publiques.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. M le rapporteur général s’est posé la question de la définition du livre numérique. Notre collègue Yann Gaillard lui a fort bien répondu.
Mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que la proposition de loi relative au prix du livre numérique de Catherine Dumas et de Jacques Legendre prévoit une définition du livre numérique dit « livre numérique homothétique ». Il s’agit d’une œuvre de l’esprit proposée sous un autre support, y compris par le téléchargement : bien que toujours immatérielle, elle reste réelle, perceptible et consultable.
Je tiens également à rappeler que, à l’heure actuelle, bénéficient d’un taux de TVA à 5,5 % le livre papier mais également le livre audio – qui a aussi un support physique – et le livre numérique sur support physique, par exemple une clé USB.
Poursuivons le raisonnement jusqu’à son terme. Alors qu’il nous faut accompagner une nouvelle industrie qui doit prendre son essor et qui ne représente, pour l’instant, que 1 % de part de marché, pourquoi ne pas lui appliquer, par souci d’équité, un taux réduit de TVA ? Avouez que ce serait plus logique. Cela permettrait en outre d’encourager l’édition française et de sauver nos libraires, secteur menacé auquel nous sommes très attachés.
Par ailleurs, est-il opportun de créer une telle niche ? Je ne peux m’empêcher de faire à mon tour référence à la TVA sur la restauration. Dans ce secteur aussi, la question de la pertinence d’une telle mesure s’est posée.
M. le ministre a fort à propos soulevé le problème de la compatibilité de cette mesure avec la directive TVA. Que je sache, la législation communautaire est aussi le résultat de rapports de force et de négociations entre les États membres au sein du Conseil européen.
Je prendrai pour seul exemple la Suède, qui, dès 2008, pressée par ses lecteurs non-voyants, a agi avec beaucoup de volontarisme. Cela a donné lieu à la directive européenne du 5 mai 2009. Sans l’initiative unilatérale et très courageuse de ce pays, l’Union européenne n’aurait jamais enregistré d’avancée sur le livre audio et numérique sur support physique.
Dans ce contexte, nous gagnerions à regarder du côté des marchés japonais et américain. Au Japon, le taux de TVA appliqué au livre numérique est de 5,5 %. Aux États-Unis, ce produit est exonéré de sales tax.
Nous en sommes tous conscients : nous entrons dans un espace extrêmement concurrentiel. Si nous ne prenons pas les bonnes mesures alors même que nous encourageons le développement du livre numérique, nous courons droit à l’échec. Aujourd’hui, dans ce domaine, nous portons une responsabilité historique.
L’adoption de ces amendements favorisera-t-elle le développement du livre numérique ? Nul ne peut le dire aujourd’hui. Aux États-Unis, celui-ci s’est développé de façon extrêmement importante. Si nous ne montons pas dans le train maintenant, nous raterons l’occasion d’accompagner un marché essentiel. Ce qui est sûr, c’est qu’avec une TVA à 19,6 % le marché aura beaucoup de mal à prendre son essor !
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite, pour explication de vote.
M. Jack Ralite. Je serai bref, parce que je partage les argumentations présentées par M. Gaillard, M. le président de la commission des finances, et notre collègue de la commission la culture, Mme Morin-Desailly. D’ailleurs, mon petit développement de tout à l’heure, si vous l’avez écouté attentivement, comprenait une évocation des trois questions qui font débat.
Je veux toutefois indiquer que, lors d’un débat public que j’animais dans le cadre du Salon du livre de cette année, au moment où l’on a abordé cette question, M. Gallimard, qui était présent, a très fortement défendu la nécessité de réduire la TVA sur le livre numérique.
Or, comme le disait M. Gaillard à juste raison, depuis, c’est tout le Syndicat du livre qui soutient cette position, et je ne pense pas qu’il veuille se saborder…
À l’occasion d’une table ronde organisée par la commission de la culture et réunissant l’ensemble des acteurs du secteur, tous ont exprimé la même position, à l’exception d’un seul empêcheur de tourner en rond, le représentant de l’Autorité de la concurrence.
Véritablement, l’avenir du livre numérique est une question très belle. Pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le taux réduit de TVA dans ce secteur ne semble pas si facile à décider. Tout de même, on a moins tâtonné dans le secteur de la restauration et, pour tout dire, on a vite « mangé », sauf ceux qui fréquentent régulièrement les restaurants !
Faut-il souligner que l’Espagne aussi a fait un geste en faveur du livre numérique ?
En tout état de cause, monsieur le ministre, ne nous dites pas que l’on ne peut pas se déclarer compétent avant même que cette compétence soit établie à l’échelon de l’Europe. Cela relève d’un petit jeu où soit l’on gagne, soit l’on perd tous, parce que chacun trouvera des exemples pour justifier de sa position.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Jack Ralite. En outre, ce ne serait pas une mauvaise chose que, dans le domaine de la culture, l’initiateur soit un Français ! Dans la mesure du possible, je mange à midi, mais pas toujours. En revanche, je lis tous les jours et je considère qu’il faut soutenir le développement de cette pratique.
Si, sur le plan stratégique, des questions de concurrence se posent, notre président de la République, président du G20, ne pourrait-il les aborder dans ce cadre ? Malheureusement, à ce niveau-là, du côté du Gouvernement, on est en général plutôt muet.
Donc, plutôt que d’avancer à tâtons ou d’être muets, soyons parleurs ! La variété des intervenants dans le même sens prouve qu’il est possible de s’entendre.