M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de résolution européenne analyse la proposition de règlement européen portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des régions ultrapériphériques. Le texte européen élabore une refonte du régime POSEI, dont l’objectif est d’améliorer la compétitivité de l’agriculture et des industries agroalimentaires et de consolider une agriculture de proximité dans nos départements ultramarins.
En fait, cette proposition de règlement européen s’attarde peu sur les modifications proposées par la Commission européenne sur le fonctionnement du POSEI, mais se polarise surtout sur les risques importants pour l’agriculture des DOM posés, notamment, par la signature de l’accord multilatéral de Genève sur les bananes le 15 décembre 2009 et les accords commerciaux passés entre l’Union européenne et l’Amérique centrale, le Pérou et la Colombie en particulier.
Elle se polarise également sur les éventuelles mesures de compensation ainsi que sur les études d’impact systématiques des effets commerciaux sur les RUP à proposer préalablement à leur conclusion.
Le POSEI, à travers le régime spécifique d’approvisionnement, ou RSA, et les mesures en faveur des produits agricoles locaux, a montré son efficacité, soulignée par la Cour des comptes européenne, qui a d’ailleurs mis en avant la nécessité de maintenir cette aide pour l’agriculture des régions concernées.
Aussi, cette proposition de règlement devait constituer une réelle opportunité pour dénoncer les effets néfastes de la politique commerciale européenne sur l’agriculture ultramarine. Or il semble bien que l’Union fait actuellement le choix de gommer peu à peu les différences de traitement et les avantages dont bénéficieraient ces territoires, sous couvert de libéralisation des échanges, de restrictions budgétaires et de changement de priorités vers d’autres zones régionales dans le monde.
Les récentes négociations sur la banane avec les pays non ACP ou encore l’accord de libre-échange avec le Pérou ou la Colombie sont là pour le prouver. Les analyses d’impact de ces accords sur les RUP ont fait défaut et la Commission européenne n’a pas proposé de compensation réglementaire. En tout état de cause, on peut douter de la détermination de la Commission européenne et des États de mettre en danger de tels accords pour protéger « quelques petits territoires d’outre-mer ».
Il importe donc que l’article 349 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne soit le socle juridique principal sur lequel les dispositions financières en faveur des RUP peuvent s’appuyer, aux côtés des articles concernant directement la politique agricole. Dès lors, toute compensation financière accordée aux RUP françaises du fait de leurs réalités devra être réalisée en prenant en compte les conséquences négatives d’une politique commerciale de l’Union sur des économies agricoles ultramarines fragiles, d’autant que les pays andins ou d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud ne sont pas soumis aux mêmes normes sociales et environnementales.
Il importe également que soit systématisée la réalisation d’études d’impact par la Commission européenne lors de la négociation d’accords commerciaux susceptibles d’affecter l’économie des RUP. Ces études permettraient de mettre en avant préalablement à chaque signature d’accord les risques potentiels pour les économies locales. De même, l’abaissement des droits de douane devrait être conditionné à un meilleur respect d’un certain nombre de normes sociales et environnementales. Là, je pense particulièrement à la filière rizicole en Guyane, ce riz produit dans la commune dont je suis le maire, qui souffre notamment de l’application inappropriée de certifications européennes, alors que le riz produit dans les pays voisins, issu de semences non homologuées « Europe » – interdites en Guyane française – est vendu en Europe !
Il faudrait, enfin, que les mesures de compensation financière, même si elles ne peuvent neutraliser les effets négatifs de l’arrêt de certaines productions agricoles car l’agriculture assure un rôle multifonctionnel majeur, soient calculées à la hauteur du préjudice, compte tenu de l’absence encore trop marquée d’une réelle prise en compte des difficultés structurelles des RUP lors de la signature des accords de partenariat économique.
Le Gouvernement, dans ses négociations avec la Commission européenne, doit être particulièrement vigilant sur ce point ainsi que sur la mise en œuvre des autres mesures de protection du marché des RUP.
Aussi, je partage totalement les objectifs de la présente proposition de résolution européenne dont les deux axes essentiels sont la nécessaire compensation des effets des accords commerciaux et l’évaluation systématique de l’impact de ces accords sur les RUP. Il appartient maintenant aux gouvernements français, espagnol et portugais de trouver de nouvelles alliances dans une Europe à vingt-sept et de conditionner leur accord sur les grandes réformes européennes à venir dans un respect des dispositions des traités en faveur de l’outre-mer comme du principe de solidarité qui fonde le projet européen.
Par ailleurs, si à court et moyen termes l’aide financière aux filières principales – banane, sucre, rhum notamment – doit être maintenue compte tenu de leur poids économique et social, la trop forte dépendance des territoires ultramarins à quelques produits qui subiraient inévitablement une baisse très importante des droits de douane d’ici à 2020 peut être un frein à moyen et long termes au développement d’une économie agricole performante et compétitive. Les financements agricoles au titre du POSEI doivent davantage permettre à moyen terme de mettre en œuvre une diversification des produits et des circuits de transformation. Les filières canne-sucre-rhum et bananes, culture d’exportation, prédominent largement, alors que les filières animales et végétales de diversification – fruits et légumes, riz, fleurs, plantes à parfum, aromatiques et médicinales – sont en plein développement. Le partage de l’enveloppe française mériterait à ce titre d’être revu. En 2005, lors de la dernière répartition, 56 % étaient consacrés à la Réunion, 37 % à la Martinique, 17 % à la Guadeloupe et seulement 2 % à la Guyane, sous le prétexte de la faible organisation des filières. Or la Guyane est la seule région de France qui connaît une augmentation du nombre d’exploitations, de 20 % en dix ans. Cette activité concerne 20 000 personnes, soit près de 10 % de la population, plus de 80 % des exploitants s’adonnant à l’agriculture traditionnelle ! N’est-ce pas une réalité qui mérite d’être prise en considération quand on veut bâtir le développement de nos territoires à partir du concept de développement endogène ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – MM. Denis Detcheverry et Soibahadine Ibrahim Ramadani applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.
Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’axe majeur de la politique de l’Union européenne, c’est sa stratégie de cohésion. Dans ce cadre, le Marché commun, puis la CEE et, ensuite, l’Union européenne se sont efforcés de donner aux pays et aux régions les plus en retard les moyens financiers ou réglementaires – et parfois les deux – leur permettant de rattraper leur retard.
Parmi les régions les plus en retard, il y a eu lors du traité de Rome les départements français d’outre-mer auxquels se sont ajoutées ensuite les îles espagnoles et portugaises qui, avec les DOM, forment ce que l’on appelle aujourd’hui les « régions ultrapériphériques de l’Europe ».
Les moyens juridiques mis en œuvre par l’Union européenne pour permettre aux RUP de déroger au droit commun furent respectivement l’article 292-2 du traité d’Amsterdam, puis l’article 349 du traité de Lisbonne. Aussi est-il important que cet article soit la base juridique de tout règlement spécifique relatif aux RUP.
Le premier programme de reconnaissance des spécificités des RUP fut le POSEI, le programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, mis en œuvre en 1981.
Ce programme s’applique principalement à l’agriculture et permet à l’Union européenne et aux États membres, contrairement au droit communautaire, de venir en aide aux filières agricoles et aux agriculteurs des RUP.
L’objectif du POSEI est triple : d’abord, le soutien des filières traditionnelles – banane, canne à sucre, rhum ; ensuite, la diversification agricole, afin d’accroître le degré d’autosuffisance alimentaire ; enfin, le régime spécifique d’approvisionnement, ou RSA, palliant les surcoûts liés à l’approvisionnement pour les intrants agricoles et les produits de première nécessité comme le riz à la Réunion. Il est bien entendu que la diversification ne doit pas se faire au détriment des filières traditionnelles et inversement. Comme on le dit chez nous, « la diversification se porte bien quand l’agriculture traditionnelle se porte bien ».
Soulignons que le soutien aux filières traditionnelles s’impose d’autant plus qu’il permet de maintenir leur compétitivité face à la concurrence ; c’est le cas notamment pour la banane.
Nous sommes là au cœur du problème qui nous amène à la proposition de résolution.
En effet, les cultures traditionnelles des RUP bénéficient d’une organisation de marché propre à l’Union européenne, c’est l’Organisation communautaire du marché du sucre et l’Organisation communautaire du marché de la banane. Avec les aides POSEI, ces marchés avantageux pour les productions des RUP peuvent se maintenir face à la concurrence mondiale.
Mais ces marchés européens sont contraires aux règles de l’Organisation mondiale du commerce à laquelle adhère l’Union européenne. Aussi, l’Organisation mondiale du commerce ne cesse de demander à l’Europe d’ouvrir son marché à la production mondiale sous peine de sanction.
C’est ce que l’Union européenne a commencé à faire pour la banane. Elle protégeait sa production de bananes et aussi celle des ACP avec lesquels elle avait des accords privilégiés, en appliquant des droits de douane sur la banane importée des pays tiers. Ces droits s’élevaient à 176 euros par tonne métrique. Tel était le contenu de l’OCM bananes.
Sous la pression de l’OMC, une première brèche a été faite par l’Union européenne à son marché de la banane, en signant en décembre 2009, à Genève, un accord multilatéral avec les pays d’Amérique latine abaissant ces droits de douanes de 176 euros à 114 euros d’ici à 2017. C’était déjà une première atteinte à la production de bananes ACP et RUP.
Cet accord de 2009 a été passé par l’Union européenne avec les pays d’Amérique latine, sans concertation avec les producteurs des ACP et des RUP. C’était une grave atteinte à leur économie. Aussi, dès cet instant, ils ont réclamé des compensations. Le point de départ des difficultés des producteurs de bananes des RUP et des ACP est donc décembre 2009, d’où le premier amendement que j’ai déposé sur la proposition de la résolution.
En 2010, le Parlement européen a, en effet, voté, pour les ACP, un budget de compensation de 200 millions d’euros alors qu’ils demandaient 500 millions d’euros. Notons que ce budget vient en supplément des crédits d’aide au développement accordés aux ACP par l’Union européenne.
Mais la pression de l’OMC sur l’Union européenne ne s’est pas arrêtée là. C’est ainsi que, en mars 2010, elle a passé de nouveaux accords avec la Colombie et le Pérou, abaissant encore les droits de douane pour la banane à 75 euros.
Autant dire que la production de la banane, notamment des RUP, est désormais sérieusement compromise. D’autant que les conditions de production dans ces pays ne sont pas les mêmes. De ce fait, la compensation devient une impérieuse nécessité. Cette compensation incombe totalement à l’Union européenne.
Le débat actuellement en cours au Parlement européen est, en effet, l’occasion de poser avec force ces questions.
Rappelons cependant que cette discussion porte sur le projet de règlement POSEI pour le mettre en conformité avec le traité de Lisbonne.
Le présent règlement réaffirme pour les RUP le soutien de leur agriculture pour la diversification et pour les cultures traditionnelles. Dans ce but, des lignes budgétaires sont arrêtées.
La question de la compensation doit donc venir en plus. L’Union européenne doit assumer ses responsabilités et voter en plus de crédits POSEI déjà définis un crédit supplémentaire pour la compensation des conséquences des accords commerciaux. D’où le second amendement que j’ai déposé et que je vous demande, mes chers collègues, de soutenir.
Sans cela, nous risquons de voir l’Union européenne prendre, pour la compensation, sur les crédits POSEI déjà votés, et ce au détriment des actions de POSEI en faveur du soutien des filières de diversification, ce qui est tout aussi inacceptable.
Je rappelle que la dotation financière prévue pour les RUP au titre du POSEI est annuellement de 771 millions d’euros. Cela a permis de développer nos agricultures. En témoignent d’ailleurs le rapport de la Cour des comptes européenne et le rapport commandé par la Commission européenne, publiés en 2010.
Ce bilan étant qualifié de positif dans ces deux rapports, il est hors de question de ponctionner sur le POSEI les crédits pour la compensation dont nous parlons, car cela aurait pour conséquence d’amoindrir les actions engagées dans le cadre de ce programme.
Il est évident que le débat actuel au Parlement européen est l’occasion d’affirmer avec force la nécessité de compenser le manque à gagner dont pâtissent aujourd’hui nos planteurs de banane du fait des accords passés par l’Union européenne avec les pays d’Amérique latine, et dont pâtiront aussi demain nos planteurs de canne. Je le dis car, dans le Bulletin Quotidien Europe de l’Agence Europe publié vendredi dernier, a été révélée l’étude de la Commission européenne relative aux conséquences de l’accord UE/MERCOSUR sur l’agriculture européenne : une baisse de 3 % des prix et de 16 % des volumes de production est prévue si ce nouvel accord en négociation vient à être signé.
À la suite de cette étude, – je tiens à insister sur ce point – la Commission européenne s’est empressée de répondre ce lundi que « les gains dans les secteurs de l’industrie et des services dépassent largement les pertes dans l’agriculture ». À nous de comprendre que l’agriculture européenne sera sacrifiée !
C’est pourquoi je félicite mes collègues d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de résolution européenne. En effet, c’est tout un pan de l’activité économique des RUP qui en dépend.
Ce débat nous donne l’occasion de dire à l’Union européenne les conséquences, chez nous, des accords qu’elle passe. La résolution invite à juste titre et avec force la Commission européenne à procéder à une étude d’impact dans les RUP pour tout accord commercial avec des pays tiers et elle demande au gouvernement français de soutenir les parlementaires nationaux et européens auprès des instances européennes qui réclament une telle étude d’impact. J’ai bien noté, monsieur le ministre, votre volonté de nous soutenir.
La proposition de résolution européenne qui nous est présentée doit être adoptée, et j’espère qu’elle le sera à l’unanimité. Cependant, je le répète, la compensation doit s’ajouter aux crédits accordés au titre du POSEI et non se faire au détriment de celui-ci. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Denis Detcheverry. (M. Yvon Collin applaudit.)
M. Denis Detcheverry. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons ce soir, au travers de cette proposition de résolution européenne, la question cruciale de l’impact des accords de libre-échange négociés par l’Union européenne avec les pays tiers sur les économies ultramarines.
Au cours des deux dernières années, l’Union européenne a conclu plusieurs accords commerciaux portant sur des productions traditionnelles des départements d’outre-mer, la banane, le rhum, le sucre, avec des pays dont les coûts de production sont très inférieurs. Chacun peut aisément mesurer les effets potentiellement dévastateurs de ces accords sur l’agriculture des régions ultrapériphériques. Les producteurs des départements d’outre-mer n’auront évidemment pas la capacité concurrentielle pour résister à un afflux de produits à bas prix sur le marché européen.
Les élus d’outre-mer n’ont cessé depuis des mois, ici comme à Bruxelles, de tirer la sonnette d’alarme et de réclamer des compensations. En vain, semble-t-il ! Certes, la Commission européenne en a accepté le principe, mais ses premières propositions étaient purement inacceptables.
Quant aux clauses de sauvegarde prévues dans ces accords, on sait bien qu’elles sont particulièrement complexes à mettre en œuvre. Les conditions sont très restrictives, la procédure longue. Ce n’est pas quand les difficultés sont devenues insurmontables qu’il faut déclencher ce mécanisme !
Quoi qu’il en soit, ces accords, qui ouvrent un boulevard aux négociations reprises avec les pays du MERCOSUR, ne sont pas les seuls à susciter une inquiétude. En effet, l’Union européenne négocie depuis 2009 un accord économique et commercial global avec le Canada, qui devrait se concrétiser à la fin de cette année. Ma collègue députée de Saint-Pierre-et-Miquelon, Annick Girardin, a présenté, en mars dernier, un rapport d’information devant la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur les conséquences d’un tel accord, qui a donné lieu à l’adoption par cette commission d’une proposition de résolution. J’indique que je partage tout à fait ses inquiétudes.
Le territoire de Saint-Pierre-et-Miquelon a largement fondé son développement économique sur son positionnement de porte d’entrée de l’Europe sur le continent américain et vice versa. De plus, l’archipel a une structure économique fragile, dépendant largement des quotas de pêche qui lui sont accordés dans un cadre bilatéral. En tant que pays et territoire d’outre-mer, il bénéficie d’un régime commercial spécifique. Ainsi, grâce à des dérogations à la règle d’origine, Saint-Pierre-et-Miquelon peut transformer certains produits de la pêche canadienne, dans la limite de 1 290 tonnes par an, et les exporter vers l’Union européenne sans droits de douane.
Si l’accord entre l’Union européenne et le Canada lève les barrières douanières sur tous ces produits, le Canada n’aura plus aucun intérêt à les faire transiter par Saint-Pierre-et-Miquelon. C’est tout l’équilibre économique de ce territoire qui est menacé ! La pêche et l’aquaculture, principales filières de l’archipel, qui emploient 200 personnes sur 6 000 habitants, en seraient les premières victimes.
La France a certes adressé à la Commission européenne une liste des points problématiques, mais celle-ci n’est pas juridiquement tenue de les prendre en considération. Pourtant, directement en prise économique avec le Canada, Saint-Pierre et-Miquelon ne fait tout simplement pas partie du mandat de négociation de la Commission !
Cela étant, ce projet d’accord suscite moins de craintes et d’oppositions que celui qui concerne, par exemple, les pays du MERCOSUR, sans doute en raison de l’ancienneté des liens commerciaux, politiques et culturels avec un pays ayant des structures économiques comparables. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer les conséquences qu’il peut avoir.
En effet, ce n’est pas par hasard si les négociations, qui ont connu, dans un premier temps, un rythme assez rapide, butent sur des questions sensibles. Restons vigilants, monsieur le ministre, car le Canada est très incisif, alors que l’Union européenne n’est pas toujours soudée et manque parfois de pugnacité.
Au-delà des problèmes posés par ces accords, on peut s’interroger sur la légitimité et la cohérence de la politique commerciale de la Commission européenne. Celle-ci dispose en effet d’une large marge de manœuvre, exerçant cette compétence sur la base d’un mandat formulé en termes généraux. Le traité de Lisbonne a certes introduit des dispositions visant à renforcer les prérogatives du Parlement européen en matière de contrôle sur les négociations, mais leur application est loin d’être effective, comme le démontrent les fortes réticences de la Commission pour transmettre des informations sur la tenue des différents rounds de négociations, ainsi que le déficit criant d’études d’impact.
À cet égard, le projet d’accord de libre-échange avec le Canada est particulièrement symbolique. Seule a été réalisée une étude conjointe de la Commission européenne et du gouvernement canadien, qui avait, en fait, pour objet principal de déterminer le champ des négociations. De plus, les incidences n’y ont été appréciées qu’en termes économiques globaux.
Par ailleurs, cette politique commerciale n’est pas toujours très cohérente avec les politiques européennes structurantes en matière sociale, sanitaire et environnementale. On facilite, par exemple, l’importation de bananes d’Amérique latine, alors que celles-ci ne respectent pas les mêmes règles phytosanitaires que celles qui sont imposées aux départements d’outre-mer. De même, nous importons de la viande sud-américaine produite dans des zones où sévissent encore des épizooties, qui nous auraient amenés en Europe à prendre des mesures d’interdiction de commercialisation. Comment comprendre et faire comprendre cela à nos agriculteurs et nos concitoyens ?
L’élimination de tous les obstacles à la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux ne conduit pas forcément en elle-même à la croissance la plus forte, la plus durable et la plus équitable. Selon Emmanuel Todd, « maintenir le libre-échange, c’est maintenir la machine à accroître les inégalités socioéconomiques ». La notion de libre-échange ne devrait-elle pas céder la place à celle de « juste échange » ?
Je souscris donc tout à fait à l’analyse des coauteurs et du rapporteur de cette proposition de résolution européenne, dont l’objectif est d’appuyer la démarche du Gouvernement pour que nos régions ultrapériphériques ne soient pas des variables d’ajustement et que notre agriculture ultramarine ne soit pas sacrifiée sur l’autel des intérêts de l’industrie européenne. Cette démarche doit être volontariste. Il faut obtenir non pas un semblant de compensation, mais une véritable réparation. Il est également grand temps de faire en sorte que la politique commerciale de l’Union intègre d’emblée une meilleure reconnaissance des réalités économiques ultramarines. En clair, mieux vaut prévenir que tenter de réparer !
Évaluation systématique des effets sur les RUP des accords commerciaux, clauses de sauvegarde opérationnelles, meilleure cohérence entre la politique commerciale et les autres politiques sectorielles de l’Union, notamment par la prise en compte de la spécificité des RUP, tout cela va dans le bon sens.
Toutefois, permettez-moi, mes chers collègues, d’ajouter que l’outre-mer européen ne se résume pas aux RUP ; il y a aussi les PTOM.
Contrairement aux premières, ceux-ci ne sont pas des territoires européens, même s’ils sont rattachés à un État membre et si leurs ressortissants sont des citoyens européens. Ils sont liés à l’Union européenne par un accord d’association, qui doit être renouvelé en 2014. Dans cette perspective, j’appelle à une réflexion approfondie sur un rapprochement entre le régime des PTOM et celui des RUP, afin d’intégrer les PTOM dans le mandat de négociation des accords commerciaux, d’inclure une clause de sauvegarde spécifique dans ces accords et de prévoir des modalités de compensation. Tel est d’ailleurs l’objet des amendements que j’ai déposés sur cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – Mme Gélita Hoarau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous rassure : je n’épuiserai pas mon temps de parole, parce que je partage toutes les analyses qui viennent d’être développées à la tribune tant par les coauteurs de cette proposition de résolution européenne, par notre excellent rapporteur et par M. le ministre que par l’ensemble de mes collègues, sans exception.
Permettez-moi, monsieur le ministre, de faire un rappel historique de la construction européenne, pour que nous nous mettions d’accord sur la méthode, avant de nous accorder sur les actions à conduire.
L’histoire de l’Europe montre que les territoires que l’on appelait « les confettis de l’Empire » sont les mal-aimés des autres partenaires de la France. Ainsi, en 1957, lors de la signature du traité de Rome – les départements d’outre-mer étaient mentionnés à l’article 227 dudit traité –, le général de Gaulle avait dû quitter la table des négociations parce que nos partenaires allemands refusaient d’attribuer un quota de bananes aux départements d’outre-mer. Ce fut la politique de la chaise vide. Autrement dit, il y a eu un rapport de force entre la France et l’Allemagne, pour que nous soyons intégrés par la grande porte de la préférence communautaire.
Aux termes du traité de Rome, la France disposait d’un délai, de dix ans, me semble-t-il, pour proposer des mesures d’adaptation aux départements d’outre-mer.
Je ne sais pas, monsieur le ministre, mes chers collègues, si cela est dû au traumatisme qu’a constitué la perte du plus grand département français d’outre-mer, je veux parler de l’Algérie – mentionné lui aussi au 2. de l’article 227 –, mais la France n’a pris aucune mesure d’adaptation durant cette période. Ainsi, en 1978, la Cour de justice des Communautés européennes, saisie pour statuer sur un conflit privé, a rendu le fameux arrêt Hansen, aux termes duquel elle a estimé que l’ensemble des politiques communautaires s’appliquaient intégralement aux départements d’outre-mer, la France n’ayant pas pris les mesures d’adaptation nécessaires pendant la période impartie. Nous sommes donc entrés dans ce système non pas par la porte d’une décision politique, mais par celle d’une décision de justice.
À partir de cette date, tous les mécanismes européens se sont appliqués, jusqu’en 1989, date à laquelle nous nous sommes aperçus que, une fois certains crédits européens autorisés, il n’y avait pas de politique européenne pour l’outre-mer. C’est alors que le gouvernement de Jacques Chirac a élaboré des rapports pour demander la mise en place de programmes prioritaires pour l’outre-mer, les fameux POSEI.
En 1991, lors de la discussion du traité de Maastricht, nous avons créé un intergroupe parlementaire DOM-TOM. Avec l’ensemble de nos collègues, toutes opinions politiques confondues, à l’instar de ce qui se passe ce soir, nous avons plaidé auprès du Président de la République de l’époque, François Mitterrand, pour qu’une déclaration prévoyant des adaptations spécifiques aux économies des départements d’outre-mer soit annexée au traité de Maastricht.
Cette déclaration solennelle des Douze – nous étions douze à l’époque ! – a été adoptée et annexée au traité, et Jacques Chirac, devenu Président de la République, a fait adopter le traité d’Amsterdam, devenu aujourd'hui le traité de Lisbonne.
L’intégration de l’outre-mer, avec ses particularités et ses difficultés qui sont considérables par rapport à celles que connaissent les autres territoires européens, a été le fruit d’une volonté politique des élus d’outre-mer, conjuguée à une décision de justice et à la volonté politique des plus hautes autorités de l’État français, d’appartenance politique différente, à savoir François Mitterrand et Jacques Chirac.
Aujourd’hui, il appartient à ce gouvernement et au président de la République en exercice de mettre en place un plan capable de sauver l’économie d’outre-mer. Or, monsieur le ministre, je vois – nous voyons, puisque cela a été dit sur toutes les travées – arriver trois ouragans : les accords avec les pays andins, avec le MERCOSUR et les accords de partenariat économique.
Quelle riposte face à un ouragan ? On l’a vu aux États-Unis : il n’y en a pas ! Or, inutile de tourner autour du pot ! Si, nous, nous n’en trouvons pas, il n’y aura plus d’économie agroalimentaire, ni d’économie de la pêche dans les départements d’outre-mer.
Où est la marge de manœuvre quand vous représentez 800 000 habitants comme la Réunion, 200 000 comme la Guyane, 400 000 comme la Martinique et 400 000 également comme la Guadeloupe, soit à peine 2 millions d’habitants ? Pour des marchés qui comptent à coup de 300 millions, 400 millions, 500 millions d’habitants, avec des PIB énormes, monsieur le ministre, le rapport de force ne plaide pas en notre faveur et votre tâche est éminemment compliquée !
Voilà pourquoi nous sommes solidaires avec vous. Nous sommes vos alliés, vos partenaires, et nous jouons le même match sur le même terrain. Mais nous sommes des nains ! Or la libéralisation mondiale du commerce n’aime pas les nains ; elle les écrase même. Et quand on écrase les nains, on écrase des populations en difficulté.
Nous voyons apparaître une première incohérence au sein de la Commission. Celle-ci n’a pas que des défauts ; elle a bien utilisé les traités quand elle a accordé les crédits européens au nom de la cohésion, lorsqu’elle nous a autorisés, sur demande de l’État français, à bénéficier de taux de subvention élevés ou quand elle a autorisé une aide « au quintal » pour sauver l’économie sucrière.
Mais, en ouvrant grand les portes du marché européen, elle en fait un marché passoire sur le plan industriel. Mes chers collègues, aujourd’hui, des pans entiers de l’industrie française s’écroulent sous nos yeux. Comme le dit souvent le Président de la République, la France se vide de son sang industriel. La faute à qui ? Pas aux départements d’outre-mer, mais à une interprétation trop libérale des traités européens, sans qu’il y ait « réciprocité » ; vous avez dit le mot, monsieur le ministre. Il n’y a plus de réciprocité, cette règle de l’équilibre et de la prospérité commune !
Envoyez des produits en Chine, on y trouvera toujours un défaut et ils n’entreront pas dans le pays. Mais sans norme, sans respect des règles d’environnement, des règles sociales, ni de la personne humaine, on enverra n’importe quel produit en France. C’est ainsi que des meubles en provenance de Chine donnent de l’urticaire, que des semelles de chaussures se décollent. Mais on laisse entrer tous ces produits au nom du libre-échange !
Si l’on fait la même chose dans le domaine agricole, on va tuer l’identité culturelle de notre pays. En effet, une facette de l’identité et du patrimoine de la France, et avec elle des outre-mer bien sûr, c’est notre agriculture, laquelle, avec son industrie agroalimentaire, ses paysages, ses productions qui sont la fierté de nos paysans et nos tables bien garnies, notre gastronomie, fait la richesse de notre pays !
C’est tout cela qui est en jeu, monsieur le ministre, et c’est aussi l’image d’un pays qui donne en même temps au tourisme, première industrie du pays, sa chance d’exister.
Monsieur le ministre, je soutiens cette proposition de résolution. Mais, en quittant cette tribune, je n’aurai pas la conscience tranquille si je ne vous dis pas qu’elle est une condition nécessaire, mais largement insuffisante pour relever le défi !
Le défi, c’est vous et le chef de l’État qui, dans le groupe des Douze, comme vous l’avez indiqué, dit que l’on n’est pas pressé de libéraliser s’il n’y a pas réciprocité. On n’est pas pressé de faire entrer des produits de tous les pays et, ce faisant, de tuer les paysans qui nous ont élus si l’on n’est pas sûr de sauver notre agriculture. Nous n’avons pas été élus pour tuer notre agriculture ; il faut faire très attention !
Des technocrates surpayés et irresponsables devant le peuple nous obligent à avaler des couleuvres et, de fait, nous nous trouvons confrontés avec ceux qui, à un moment donné, par leur bulletin de vote, nous ont fait confiance !
Alors que nous combattons Kadhafi parce qu’il n’est pas un démocrate, ne nous comportons pas comme des dictateurs ! Moi, j’ai été élu et je rends compte de ce que je dis et fais ici. Nous avons été élus pour sauver notre agriculture, notre industrie, et pour que les gens qui veulent aujourd’hui vivre de leur travail puissent y parvenir !
Si nous n’apportons pas de réponse, mes électeurs me demanderont à quoi je sers quand je mets mon costume pour aller au Sénat ! Avant, je pouvais leur répondre que je défendais leurs intérêts, comme avec le traité Maastricht, les régions ultrapériphériques, la Constitution…
Mais que répondrai-je quand les accords de partenariat économique mettront notre sucre de canne ou les bananes antillaises en concurrence avec les pays d’Amérique du Sud ou quand tous les efforts que l’Europe pourra consentir en matière de crédits seront anéantis par les ouragans que j’ai cités ? Nous ne pouvons pas plaider pour l’incapacité de réagir en pareille situation !
Comme en 1957 – ô combien l’attitude du général de Gaulle était responsable ! –, comme au moment du traité de Maastricht et du traité d’Amsterdam, je demande au chef de l’État – car c’est à ce niveau-là que cela va se jouer, monsieur le ministre – d’adopter ce projet de résolution, mais surtout de le mettre en œuvre !
J’ai justement déposé un amendement destiné à compléter l’amendement du rapporteur et prévoyant que, concernant les accords commerciaux, outre les études d’impact prévues par le rapporteur et par la résolution, les mécanismes de compensation demandés sur toutes les travées, la clause de sauvegarde soit mise en œuvre par l’État membre dans les six mois où le danger est constaté, si toutefois la Commission ne l’a pas fait, bien sûr. Ce n’est pas la peine de voter cette résolution si c’est pour attendre trois ans les clauses de sauvegarde et finalement pleurer l’enterrement de secteurs entiers de notre agriculture !
Voilà, mes chers collègues, l’inquiétude qui est la mienne. Je suis content qu’un consensus se soit dégagé et, monsieur le ministre, que tout le monde se soit rassemblé autour de vous pour vous encourager. Nous savons que vous vous battez, que vous avez résisté au courant libre-échangiste irresponsable. Nous sommes les combattants de la liberté, mais pas de n’importe laquelle. Nous défendons celle qui donne de la dignité aux populations. Ce qui, au contraire, anéantit les populations est une contrainte, un asservissement, et non une liberté. Or nous avons été élus non pour asservir les gens, mais pour les servir !
Mes chers collègues, je compte sur vous pour soutenir mon amendement. Comme vous tous, je vais voter cette résolution. Monsieur le ministre, c’est un acte de foi et d’espérance. Mais je resterai vigilant, car, en bons démocrates, nous avons été élus pour construire, et non pour détruire ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Georges Patient applaudit également.)