M. Yves Détraigne. Comment ne pas soutenir les deux objectifs majeurs de ce texte, l’amélioration des conditions de détention et celle de l’exécution des peines qui ont été prononcées par les tribunaux ? Le texte complet et ambitieux voulu par le Gouvernement apportait, dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, des réponses importantes sur ces deux thèmes.
J’évoquerai ici le texte tel qu’il a été approuvé par les députés. Ce projet de loi de programmation devait fixer les principaux objectifs de notre politique d’exécution des peines pour les prochaines années ; il a pour ambition de mettre fin à certains dysfonctionnements tout à fait réels de notre système judiciaire. Il dresse un diagnostic lucide et pertinent sur les problèmes qui persistent en matière d’exécution des peines, tout en y apportant des réponses très concrètes pour tenter de remédier à cette situation d’ici à 2017.
Tout d’abord, un constat s’impose. Le stock de peines non exécutées est dû pour beaucoup, voire pour l’essentiel, à l’insuffisance de nos capacités carcérales. L’une des principales mesures du projet de loi de programmation que nous examinons consiste donc à porter à 80 000 le nombre de places de prison à l’horizon 2017.
La création de places de prison supplémentaires n’est sans doute pas une décision facile, mais elle est aujourd'hui indispensable. Il s’agit d’une réforme ambitieuse, mais avant tout nécessaire.
Monsieur le garde des sceaux, je tiens à saluer votre action déterminée en la matière. Elle a porté ses fruits et s’inscrit dans le volontarisme qui marque votre gestion de la chancellerie.
M. Jean-Pierre Michel. Le volontarisme pour sanctionner les magistrats ! Voilà la vérité !
M. Yves Détraigne. Le problème est réel : plusieurs dizaines de milliers de peines d’emprisonnement prononcées chaque année ne sont jamais exécutées. Ce texte tente d’y répondre.
Le projet de loi de programmation qui nous est soumis vise à donner à la justice les moyens nécessaires pour atteindre l’objectif d’une exécution efficace des peines prononcées par les magistrats.
Intimement liée à la confiance que chacun place dans la justice de notre pays, la garantie d’une réponse pénale effective implique notamment de prendre en compte, dans un souci de protection de la société, la prévention de la récidive. Le projet de loi cherche à atteindre cet objectif en renforçant le système d’évaluation de la dangerosité des personnes condamnées, dont l’expert est précisément l’un des acteurs essentiels. Il s’agit donc d’un texte pragmatique et réaliste, qui permet à la justice d’être crédible et efficace.
Il n’y a pas de « tout carcéral ». Contrairement à ce qui est affirmé, ce texte s’inscrit dans la droite ligne de la loi pénitentiaire à laquelle le Sénat est profondément attaché. Il s’agit simplement de prendre en compte les évolutions de notre société et du droit pénal. Aujourd’hui, notre pays compte 65 000 détenus, près de 85 000 décisions d’emprisonnement ne sont pas exécutées et le taux de surencombrement est de 113 % et atteint même 136 % en maison d’arrêt !
Or, mes chers collègues, je vous rappelle que la loi pénitentiaire, dont la commission prétend aujourd’hui être le défenseur, impose l’encellulement individuel à l’horizon 2014. L’objectif de 80 000 places prévu par le Gouvernement est donc parfaitement justifié. Il nous situe d’ailleurs dans la moyenne des pays du Conseil de l’Europe.
Ce projet de loi donne les moyens de mettre en application les lignes directrices de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 sur des points cruciaux, notamment le développement des activités pour les détenus. Ainsi, les nouveaux établissements tripleront la surface consacrée aux activités des détenus, ce qui permettra de proposer cinq heures d’activité par jour et par détenu. Nous en sommes loin aujourd'hui.
Ce texte prévoit également le développement des aménagements de peine. C’est en renforçant les moyens des SPIP que nous y parviendrons. Ce texte concentre encore davantage ces services sur cette mission.
De nombreuses dispositions importantes du texte ont été supprimées par la commission, à tort, me semble-t-il. Je tiens à en rappeler quelques-unes.
L’article 4 bis, abrogé par la commission des lois, prévoyait l’information des médecins ou des psychologues chargés des soins d’une personne poursuivie ou condamnée sur la nature des faits reprochés. Il est indispensable de permettre au médecin psychiatre ou au psychologue traitant de la personne poursuivie ou condamnée de savoir pour quelles infractions la justice a estimé que des soins devaient lui être imposés et de connaître les éléments utiles du dossier, principalement les expertises psychiatriques et psychologiques.
Pourtant, en l’état actuel du droit, le médecin ou le psychologue auxquels la justice demande de prodiguer des soins doit se contenter des renseignements que son patient veut bien lui fournir sur les faits qui lui sont reprochés. Il n’est pas compréhensible de s’opposer à ce partage de l’information entre la justice, le médecin et le psychologue introduit dans le projet de loi par les députés.
Autre exemple, l’article 7, relatif au contrat d’engagement des médecins psychiatres, a été également supprimé par la commission des lois. Nous le savons tous, la justice manque d’experts psychiatres et de médecins coordonnateurs : on estime à 117 le nombre de médecins coordonnateurs manquants pour suivre l’ensemble des 5 398 mesures d’injonction de soins en cours.
Le texte prévoit la mise en place de bourses pour attirer les internes de médecine psychiatrique vers les activités d’expert judiciaire et de médecin coordonnateur, sur le modèle du dispositif déjà en vigueur pour lutter contre la désertification médicale. Les étudiants signeront à ce titre un contrat d’engagement ouvrant droit à une allocation ; en contrepartie, une fois leurs études terminées, ils solliciteront leur inscription sur les listes d’experts judiciaires et de médecins coordonnateurs, là où il en manque par rapport aux besoins.
Ce dispositif incitatif répond à une impérieuse nécessité au regard de l’insuffisance des experts. La commission des lois l’a supprimé, mais n’a proposé aucune solution pour remédier à cette pénurie.
Mme Sylvie Goy-Chavent. C’est vraiment dommage !
M. Yves Détraigne. Le Gouvernement défendra un certain nombre d’amendements visant à rétablir le texte initial du projet de loi, notamment sur les points que je viens d’évoquer. Dans la logique des remarques que j’ai formulées précédemment, il va de soi que je les soutiendrai.
Aussi, sauf s’il était profondément remanié lors de l’examen en séance publique afin de lui rendre son équilibre initial, ce que nous souhaitons, le groupe de l’Union centriste et républicaine votera contre ce texte issu des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées de l'UCR et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le garde des sceaux, le projet de loi que vous nous présentez est inadmissible tant au regard des conditions dans lesquelles il est présenté que sur le fond. C’est ce que je vais montrer au nom du groupe socialiste.
Votre projet de loi est inadmissible, car, une fois encore – c’est une habitude depuis bientôt cinq ans –, il est mis explicitement en relation avec un fait divers, en l’occurrence le drame de Chambon-sur-Lignon. Le Gouvernement entend profiter d’un contexte propice à la surenchère répressive. La recette est éprouvée, nous la connaissons. Malheureusement, elle n’en demeure pas moins indigne d’un gouvernement de la République.
Votre projet de loi est inadmissible, car, conséquence logique de ce qui précède, ce texte est élaboré sans aucune concertation avec les professionnels, syndicats, associations de magistrats, syndicats pénitentiaires. C’est consternant ! Ils nous l’ont dit, et je ne pense pas qu’ils aient menti.
Votre projet de loi est inadmissible, car, une fois encore – la dernière, j’en suis persuadé, et je ne suis d’ailleurs pas le seul à l’être –, ce gouvernement demande au Parlement de légiférer dans l’urgence, ce que l’on peut comprendre, au demeurant, car il lui reste peu de temps.
Votre projet de loi est inadmissible,…
M. André Reichardt. Encore !
M. Jean-Pierre Michel. … car, alors que vous ne serez peut-être plus au pouvoir dans trois mois, vous engagez la politique d’exécution des peines, sur le plan tant quantitatif que qualitatif, jusqu’en 2017, en proposant de construire 24 000 places de prison supplémentaires d’ici là.
Votre projet de loi est inadmissible…
M. André Reichardt. Encore !
M. Jean-Pierre Michel. Oui, cher collègue ! Et ce n’est pas fini. Ce texte repose sur un postulat faux et dangereux. En effet, vous faites le constat que, au 1er octobre 2011, le parc pénitentiaire comptait 57 540 places pour 64 147 personnes incarcérées.
Vous ajoutez que le scenario le plus probable d’évolution de la population carcérale aboutit à une prévision d’environ 96 000 personnes écrouées, détenues ou non, à l’horizon 2017.
Vous en déduisez bien sûr, de façon simpliste, que le nombre de personnes écrouées détenues s’élèvera à 80 000 à cette échéance, comme si toutes les peines de prison prononcées devaient être appliquées par incarcération. Votre projet de loi tend donc à prévoir de porter la capacité du parc carcéral à 80 000 places d’ici à 2017.
Ce raisonnement mécaniste ne saurait d’ailleurs surprendre. Le Gouvernement dont vous faites partie se satisfait, par principe, de l’augmentation du nombre de peines d’emprisonnement et souhaite que cette tendance se prolonge coûte que coûte. Qu’importent, au fond, l’évolution de la délinquance et l’appréciation des juges, la France doit atteindre son quota de détenus, lequel, pour vous, a vocation à être sans cesse revu à la hausse.
Votre projet de loi est inadmissible, car il révèle un choix de société dangereux pour la paix sociale. Plutôt que d’envisager une décroissance carcérale qui passerait, notamment, par l’instauration d’un véritable numerus clausus pénitentiaire, vous choisissez la facilité, la fuite en avant, au risque d’aggraver le problème que vous prétendez combattre.
Il est urgent de repenser profondément les conditions de détention de l’ensemble des personnes privées de liberté, afin que la mission de garde de l’administration pénitentiaire ne prévale plus, comme aujourd’hui, sur celle de réinsertion.
Certes, monsieur le garde des sceaux, de nouveaux établissements doivent être conçus, mais l’objectif de réinsertion doit valoir pour tous les détenus. Tel est notamment l’avis, essentiel selon moi, des organisations représentatives des personnels pénitentiaires, auditionnées par la commission des lois.
Votre projet de loi est inadmissible…
M. André Reichardt. Encore !
M. Jean-Pierre Michel. Ne soyez pas pressé, cher collègue, nous ne sommes pas au bout ! En effet, ce texte prévoit la construction d’établissements de 650 places – et même de 850 places, voire plus encore – en région parisienne, faisant fi des effets pervers du gigantisme, alors que le seuil critique est évalué à 500 places. Il faut croire que vous souhaitez la multiplication des suicides et des agressions de personnels en prison ! (Murmures sur les travées de l'UMP et de l'UCR.)
M. Jean-Pierre Michel. C’est la vérité, monsieur le garde des sceaux !
Votre projet de loi est inadmissible,…
M. André Reichardt. Encore !
M. Jean-Pierre Michel. ... car vous ne vous préoccupez que de flux et de stocks. Et pour stocker vite, vous n’hésitez pas à recourir à des procédures dérogatoires du droit commun : partenariats public-privé, exceptions au droit de la construction, établissements incluant l’exploitation et la maintenance par le secteur privé.
Les personnels pénitentiaires sont très inquiets de ces perspectives. À cet égard, il serait intéressant que vous précisiez ce que recouvrent les termes « exploitation et maintenance des établissements par le secteur privé ».
Votre projet de loi est inadmissible,…
Mme Françoise Férat. Encore !
M. Jean-Pierre Michel. … car il comporte une analyse totalement erronée de la notion de dangerosité. En effet, vous le savez, aucune évaluation, qu’elle soit clinique, criminologique ou statistique ne permettra jamais de prévoir avec certitude le devenir d’une personne et sa propension au passage à l’acte criminel.
Il est politiquement irresponsable d’entretenir, comme vous avez l’habitude de le faire, l’illusion d’une science prédictive en la matière.
Votre projet de loi est inadmissible, car l’appréciation de la dangerosité qu’il revendique repose sur l’expertise psychiatrique. Or vous envisagez de pallier la pénurie d’experts psychiatres en recourant à des psychologues. Pourtant, chacun sait que les troubles psychologiques ne s’assimilent pas à la maladie mentale. Malheureusement, vous mélangez tout.
Par ailleurs, vous prévoyez que les internes en psychiatrie pourront faire des expertises. Je dois vous dire que ceux que je rencontre dans l’établissement psychiatrique que je préside s’estiment absolument incapables d’assumer de telles tâches.
Votre projet de loi est inadmissible, car, cerise sur le gâteau empoisonné, il n’oublie évidemment pas les mineurs. Du reste, comment aurait-il pu en être autrement, puisqu’ils sont votre hantise ?
Les centres éducatifs fermés sont, certes, utiles dans certains cas,…
M. André Reichardt. Ah ! C’est précisément l’objet du projet de loi.
M. Jean-Pierre Michel. … pour éviter la prison aux mineurs. Mais ils ne sauraient épuiser la question de la prise en charge des mineurs délinquants.
Or, depuis des années, ces structures sont l’unique réponse brandie par la Gouvernement dans le débat public sur la délinquance juvénile, laquelle fait l’objet d’une instrumentalisation politique honteuse.
M. André Reichardt. Nous avons doublé le nombre de places !
M. Jean-Pierre Michel. En résumé, votre projet de loi est inadmissible, car il va à l’encontre de la loi pénitentiaire que nous avons votée il y a trois ans à peine, dans un quasi-consensus.
Par exemple, pourquoi ne pas nous informer du taux de récidive par établissement, comme ladite loi le prévoit expressément ? Vous ne l’avez jamais fait, alors que cette communication aurait été véritablement utile pour l’examen de ce texte.
Monsieur le garde des sceaux, fort heureusement, grâce à l’excellent travail de Mme la rapporteur, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, et des autres membres de la commission des lois, votre projet nocif n’existe plus. Le groupe socialiste votera donc le texte issu des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, madame la rapporteur, mes chers collègues, entre août 2005 et novembre 2010, nous avons adopté pas moins de dix-huit lois pénales, avec l’objectif affiché de lutter contre la récidive. Ces textes constituent autant de reculs et de régressions.
Les gouvernements successifs sont restés sourds aux alertes de l’Observatoire international des prisons, l’OIP, et de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, que nous avons pourtant relayées tant bien que mal au travers de nos amendements, mais que la majorité sénatoriale d’hier, arc-boutée sur ses positions et sur celles du Gouvernement, a repoussé chaque fois d’un revers de main.
Toutes ces lois pénales ont donné à l’opposition sénatoriale d’aujourd’hui l’impression d’avoir agi. Mais ce n’est là qu’une simple impression, car cette frénésie législative masque en réalité une inefficacité patente, une incapacité à comprendre et résoudre des problèmes aussi importants que ceux qui nous réunissent aujourd’hui.
Mes chers collègues, si, comme le disait Albert Camus, « une société se juge à l’état de ses prisons », nous avons bien du souci à nous faire !
Afin de rétablir la vérité, je me ferai l’écho de toutes ces critiques que vous n’avez pas entendues, en dénonçant, tout d’abord, la généralisation de régimes différenciés de détention au sein d’un même établissement.
Ces régimes, qualifiés de « pure et simple ségrégation » par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, reviennent à effectuer un tri entre les détenus que l’institution choisit de favoriser et ceux qu’elle abandonne à leur sort.
Comment ne pas dénoncer aussi une politique qui s’est accommodée, et qui s’accommode toujours, d’ailleurs, de conditions de détention indignes dans de nombreux établissements ?
La succession de condamnations de l’État par les juridictions administratives, pour avoir imposé des « conditions de détention n’assurant pas le respect de la dignité inhérente à la personne humaine », est là pour nous le rappeler.
Pas plus tard qu’hier, l’État a de nouveau été condamné à indemniser quatre détenus logeant dans une seule cellule de douze mètres carrés, avec des toilettes dans un coin de la pièce.
M. Philippe Bas. Voilà pourquoi nous voulons augmenter le nombre de places de prison !
Mme Éliane Assassi. Monsieur Bas, vous prendrez la parole quand ce sera votre tour ! (Sourires.)
À l’heure où le Gouvernement met tous les moyens financiers en œuvre pour mener à bien sa politique d’enfermement,…
Mme Françoise Férat. C’est extraordinaire !
Mme Éliane Assassi. J’en ai d’autres en réserve, madame Férat !
Les conditions d’hygiène et de surpopulation dans certains établissements nuisent à la santé des détenus, comme le montrent de nombreux rapports de la DDASS.
De même, l’accès aux soins reste difficile en détention, alors que les besoins sanitaires de la population incarcérée sont bien plus importants que ceux de la population générale.
Votre politique pénale a abouti à un transfert de prise en charge des personnes les plus marginalisées et atteintes de troubles psychiques sévères de l’hôpital vers la prison. Saturé, et souffrant d’un manque patent de solutions d’accueil adaptées, le secteur de la psychiatrie générale laisse à la rue nombre de personnes atteintes de troubles mentaux, jusqu’à ce que leurs symptômes les fassent basculer dans la criminalité ou la délinquance. Le résultat est que plus de 20 % des détenus seraient atteints de troubles psychotiques. Or la prison ne peut être considérée comme un lieu de soins !
La figure du « fou criminel », que vous véhiculez, gagne les esprits et l’approche sécuritaire contamine les politiques de santé publique, quand bien même le passage à l’acte serait davantage favorisé par les ruptures de soins et l’isolement social que par les troubles psychiques en eux-mêmes.
S’agissant des droits de communiquer avec l’extérieur ou de recevoir des visites, la législation reste marquée par une accumulation de restrictions et de mesures de surveillance.
La réglementation française continue de méconnaître les droits des personnes détenues à la liberté d’opinion et d’expression, l’administration étant notamment autorisée à censurer tout écrit des détenus en vue d’une publication.
Soustrait à l’application du droit commun, le travail carcéral s’exerce dans des conditions dignes du XIXe siècle. Comme l’indique le règlement intérieur de certaines maisons d’arrêt, « la personne détenue qui travaille n’est pas un salarié ». Elle n’est donc pas susceptible de bénéficier de la protection du droit du travail.
Les règles du salaire minimum ne s’appliquant pas aux détenus, leurs rémunérations mensuelles nettes en 2010 n’ont pas dépassé, en moyenne, 318 euros par mois pour un équivalent temps plein. La loi pénitentiaire a été, par votre faute, une nouvelle occasion manquée de satisfaire aux exigences de l’Organisation internationale du travail, tendant à offrir aux personnes détenues des garanties similaires aux travailleurs libres en matière de rémunération, de protection sociale et de sécurité au travail. Le travail carcéral reste ainsi aux antipodes de l’objectif visé, à savoir favoriser la réinsertion des détenus.
Majoritairement issue de milieux défavorisés, la population pénale se trouve souvent dans une situation de grande précarité en détention et sort appauvrie, économiquement et socialement, de son expérience carcérale.
En refusant aux détenus l’accès aux « moyens convenables d’existence » dont bénéficient les personnes exclues du travail ou les travailleurs pauvres, vous avez pris la responsabilité de les maintenir dans une situation de grande pauvreté pendant leur incarcération et à leur libération.
Par là même, vous fabriquez ces récidivistes et ces exclus que vous montrez du doigt, encore une fois, avec cette nouvelle loi d’affichage.
La justice des mineurs n’a bien évidemment et malheureusement pas échappé à ces régressions. Confrontée à d’incessantes modifications et en proie à votre obstination, l’ordonnance du 2 février 1945 a été vidée de ses principes essentiels, qui étaient la primauté de l’éducatif sur le répressif et la spécialisation de la justice des mineurs.
Dans le présent projet de loi, il était question de multiplier les centres éducatifs fermés, lesquels devenaient la réponse unique à tous les problèmes, alors que leur fonctionnement a fait l’objet de nombreuses critiques, notamment de la part du Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Cette multiplication se serait faite au détriment des foyers classiques, des lieux de vie ou des familles d’accueil.
Le placement en centre éducatif fermé est certainement une alternative à l’incarcération qui aurait pu être intéressante, mais il est dommage que le caractère fermé de ces centres prenne le dessus sur l’aspect éducatif, en raison des très faibles moyens qui leur sont accordés.
Les structures éducatives alternatives à ces centres font aussi les frais de cette pénurie de crédits. Il y a déjà eu 68 fermetures en 2011 et 28 autres structures de ce type vont fermer en 2012. Or elles permettent aux mineurs d’être extraits de leur milieu habituel, ce qui peut être primordial pour un jeune en reconstruction.
Malheureusement, la politique que vous menez en matière d’enfance consiste plutôt à agiter la délinquance des mineurs comme un épouvantail et à s’auto-congratuler ensuite. Mais les services spécialisés, comme la Protection judiciaire de la jeunesse, n’ont de cesse de dénoncer un abandon de la justice des mineurs, une politique vidant de tout contenu une justice adaptée et marquant un recul de plusieurs siècles de notre conception de la place de la justice dans la société.
Mes chers collègues, aujourd’hui, le chiffre de 85 000 peines non exécutées est brandi pour justifier ce nouveau projet de loi, alors qu’il s’agit à 95 % de courtes peines en attente d’aménagement dans des services d’application des peines engorgés.
Les annonces de programmes de construction se sont succédé et c’est désormais un objectif de 80 000 places de prison qui est annoncé, soit une augmentation de 60 % en douze ans.
Pourtant, le phénomène est connu : l’accroissement du parc carcéral a tendance à susciter une augmentation des incarcérations, si bien qu’il n’apporte pas en soi une réponse durable au problème de la surpopulation et de la récidive.
Cette annonce sous-tend en réalité un renoncement à l’exécution des courtes peines en milieu ouvert, là encore en dépit des études montrant que les aménagements de peines sont plus favorables à la prévention de la récidive que la détention.
En matière tant pénale que pénitentiaire, vous avez donc nagé à contre-courant, si je puis dire, et témoigné à plusieurs reprises de votre méconnaissance des problèmes.
Nous proclamons, pour notre part, que la peine doit être un temps pour se reconstruire et se réinsérer. Nous souhaitons pour cette raison que la législation en matière pénitentiaire se fonde sur une approche éducative, sur la responsabilisation et le respect des droits et de l’expression des détenus comme des personnels.
Comme nous le rappellent les normes européennes, les contacts avec le monde extérieur sont indispensables pour lutter contre les effets potentiellement néfastes de l’emprisonnement. Plus concrètement, les règles pénitentiaires européennes indiquent que les personnes détenues doivent pouvoir « communiquer aussi fréquemment que possible – par lettre, par téléphone ou par d’autres moyens de communication – avec leur famille, des tiers et des représentants d’organismes extérieurs, et recevoir des visites des dites personnes » ; « se tenir régulièrement informées des affaires publiques » ; « communiquer avec les médias » ; « participer aux élections, aux référendums et aux autres aspects de la vie publique ».
Une première étape pour limiter la récidive réside dans le fait d’éviter l’emprisonnement le plus possible, en ce qu’il aggrave la situation sociale, psychique, familiale des personnes et qu’il a tendance à perpétuer les phénomènes de violence et à renforcer les personnes dans un « statut de délinquant ». En ce sens le prononcé de peines alternatives doit être privilégié et l’emprisonnement constituer un dernier recours, comme le réaffirme la loi pénitentiaire que vous remettez implicitement en cause avec ce texte.
La sécurité passe, notamment, par le fait d’aménager la vie en prison de manière aussi proche que possible de la vie en société. Il faut offrir aux détenus des conditions matérielles appropriées et des occasions de développement physique, intellectuel et émotionnel, leur donner la possibilité de faire des choix personnels dans autant de domaines que possible.
Par exemple, participent tant de la prévention des violences que de la réinsertion le fait de permettre aux détenus de bénéficier d’activités les occupant en dehors de leur cellule au moins huit heures par jour, de percevoir une rémunération conforme aux salaires pratiqués dans l’ensemble de la société ou de se voir proposer un travail conforme aux normes et techniques contemporaines.
De même, concourt à la sécurité et à l’apprentissage de la responsabilité le fait d’autoriser les détenus à discuter collectivement de questions relatives à leurs conditions générales de détention et de communiquer à cet égard avec les autorités pénitentiaires. Les groupes de travail sur la violence en prison, qui se sont constitués en France au sein de la direction de l’administration pénitentiaire ou sur ordre de mission de la Chancellerie, ne disent pas autre chose : la prévention des tensions passe par « une humanisation des rapports sociaux » et le développement de « la vie sociale en détention », notamment par la mise en place « d’espaces de parole ».
Sans acceptation de ces principes, et sans remise en cause de votre politique pénale en œuvre, la fuite en avant continuera.
Je voudrais saluer les nombreux efforts accomplis par Nicole Borvo Cohen-Seat, notre rapporteure – j’insiste sur le féminin –, pour refondre complètement ce projet de loi, même si la procédure accélérée, sur un sujet aussi important, ne nous permet pas de travailler dans des conditions permettant de revenir complètement sur plus d’un quinquennat de lois destructrices.
Néanmoins, nous y reviendrons très vite et nous réussirons, avec l’aide des organisations spécialisées, telles que l’Observatoire international des prisons ou la Protection judiciaire de la jeunesse, à donner à la politique pénitentiaire une orientation qui concilie humanité, respect des droits des détenus et sécurité des citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.
M. Jean-René Lecerf. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai souhaité m’exprimer dans cette discussion générale en qualité de rapporteur pour avis, depuis de nombreuses années, du budget de l’administration pénitentiaire…
Mme Catherine Tasca. Un excellent rapporteur !