M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Marchand, les lignes capillaires de fret permettent la desserte ferroviaire des entreprises dans les territoires depuis les grands axes ferroviaires. Elles représentent 10 % du réseau ferré, c’est-à-dire environ 3 000 kilomètres de lignes. Elles sont empruntées par près de 20 % des trains de fret. Maillon essentiel du transport de fret ferroviaire pour assurer la logistique du dernier kilomètre jusqu’à des sites industriels ou agricoles, elles sont d’une importance majeure pour le développement économique des territoires. Nous partageons donc tout à fait votre point de vue.
Néanmoins, leur modèle économique est dégradé par un faible niveau de trafic, et elles sont globalement dans un état détérioré, ce qui nécessite une mobilisation collective de l’État, des régions et des opérateurs pour en assurer la pérennité. Les montants déjà apportés par l’État via l’AFITF ont permis, par effet de levier, la réalisation de 100 millions d’euros d’investissements au total et la pérennisation d’environ 800 kilomètres de lignes sur lesquels sont transportées 4 millions de tonnes par an. C’est donc une avancée majeure.
L’État soutient par ailleurs des initiatives locales, consistant à mettre en œuvre des modes de gestion innovants pour les lignes capillaires fret, qui peuvent contribuer à la pérennisation de leur modèle économique. Ainsi, grâce à une ouverture permise par une évolution récente de la réglementation, il est possible, pour les collectivités qui en feraient la demande, de bénéficier d’un transfert de propriété de ces catégories de lignes.
Le Gouvernement va donc veiller à inclure les lignes capillaires fret dans le projet de loi d’orientation qui sera présenté prochainement au Parlement.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard.
M. Guillaume Gontard. Madame la secrétaire d’État, la réponse de Mme Borne à une question similaire, la semaine dernière, était sujette à interprétation.
Aussi, comme je suis perspicace, vous me permettrez de vous interroger de nouveau sur le projet Lyon-Turin. En reprenant les conclusions du Conseil général des ponts et chaussées et de l’Inspection générale des finances, qui, depuis 1998, n’ont cessé de rappeler que les voies existantes entre Lyon et Turin permettaient de répondre aux besoins de transport des marchandises, l’auteur du rapport Duron a adopté une position de bon sens.
Dans les années quatre-vingt, il circulait 120 trains de fret par jour et vers l’Italie en gare de Modane. Aujourd’hui, il n’en circule plus que 20. Pourtant, le réseau a été modernisé pour un milliard d’euros.
Maintenant que l’informatique est performante, qu’en Italie la voie a été doublée, qu’il n’y a plus de douane et que les voies existantes sont loin d’être saturées, je vous propose de lancer un service d’intermodalité pour reporter les marchandises de la route vers le rail. Il suffit de revenir à une circulation de 120 trains de fret par jour pour compenser la circulation d’un million de camions.
M. Jean-Pierre Vial. Très bien !
M. Guillaume Gontard. Ce faisant, le Gouvernement fédérerait les transporteurs routiers, les opérateurs ferroviaires, les gestionnaires d’infrastructures, les organisations de protection de l’environnement, les cheminots et les contribuables.
Mieux, vous seriez à l’initiative de mesures concrètes pour améliorer la sécurité routière, pour lutter contre les émissions de CO2 et atteindre l’objectif de 50 % de part du ferroviaire, imposé par l’Europe. Cela permettrait également de créer au moins 400 emplois pour la manutention et le chargement des trains d’intermodalité.
En respectant l’article R. 1512-2 du code des transports, grâce aux bénéfices tirés du tunnel du Mont-Blanc versés au fonds public pour l’intermodalité, ces réalisations sont finançables immédiatement, à l’inverse du Lyon-Turin, qui doit disposer de financements préalables, comme le prévoit le traité bilatéral.
Madame la secrétaire d’État, pourquoi donc attendre un dispendieux et pharaonique tunnel au lieu de régler la question du fret ferroviaire franco-italien rapidement et simplement ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Joël Bigot applaudit également.)
M. Ronan Dantec. Bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Gontard, lors du sommet franco-italien du 27 septembre 2017, la France et l’Italie ont confirmé l’importance stratégique de la section transfrontalière de la ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Les travaux de reconnaissance de la section internationale de la ligne nouvelle Lyon-Turin sont réalisés à plus de 75 %, avec plus de 23 kilomètres percés à ce jour. Les travaux définitifs du tunnel seront lancés par le promoteur TELT dans le courant de l’année 2018.
À l’horizon 2030, la mise en service du tunnel ferroviaire Lyon-Turin doit permettre de revitaliser le trafic fret ferroviaire, en disposant d’une infrastructure fiable et performante, non permise par la modernisation de la ligne existante, en cohérence avec les autres ouvrages européens déjà réalisés.
Ce projet de 10 milliards d’euros est bien spécifique et tout à fait exceptionnel. C’est aussi pour cela que la part des financements l’est aussi : il est financé à 40 % par l’Union européenne, mais aussi à 35 % par l’Italie. Il fait partie du corridor méditerranéen des réseaux transeuropéens de transport et fait donc l’objet d’un accord international entre la France et l’Italie. La contribution de la France au financement de ces travaux définitifs représente un montant de 2,5 milliards, d’euros sur un montant total d’investissement de 10 milliards d’euros.
M. Jean-Pierre Vial. Très bien !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. Les annuités seront en partie couvertes par l’application d’une majoration de péage « Eurovignette » des réseaux autoroutiers alpins et la mobilisation des dividendes d’ATMB, Autoroute et tunnel du Mont-Blanc, et de la SFTRF, la Société française du tunnel routier du Fréjus. La part résiduelle de ces annuités, de l’ordre d’une cinquantaine de millions d’euros par an, a vocation à être couverte par l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, qui bénéficie pour cela d’une dotation spécifique et pérenne.
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Prince. (M. Pierre Louault applaudit.)
M. Jean-Paul Prince. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, en France, le transport ferroviaire de marchandises voit ses parts baisser de manière continue au profit du transport routier. Cette situation a des conséquences graves sur le plan environnemental, les transports routiers étant le premier émetteur de gaz à effet de serre dans notre pays, ainsi que sur le plan économique et social, en mettant en grande difficulté le secteur ferroviaire.
Avec la ponctualité et la fiabilité du réseau, l’une des principales raisons pour lesquelles les professionnels privilégient la route est son coût plus attractif. Or, si le transport routier est plus abordable, c’est en grande partie grâce aux avantages fiscaux considérables dont il bénéficie : les poids lourds circulent gratuitement sur les routes nationales, y compris les poids lourds étrangers en transit, et ne contribuent ni aux frais d’entretien de l’infrastructure ni au coût environnemental que suscite leur passage.
Plusieurs pays européens ont vu la part du ferroviaire dans leurs transports de marchandises augmenter après avoir instauré une fiscalité sur le transport routier : c’est le cas de l’Allemagne, qui a mis en place un péage routier pour les poids lourds en 2005 et où la part du fret ferroviaire dépasse les 20 %, alors qu’elle a chuté sous les 10 % dans notre pays.
En France, le législateur avait fixé des objectifs ambitieux pour le fret ferroviaire dans la loi Grenelle I de 2009. Celui-ci devait atteindre 25 % du transport de marchandises en 2025.
Les objectifs du Grenelle ne furent pas tenus, malgré une stratégie similaire à celle de nos voisins européens. En effet, une « écotaxe » sur les poids lourds devait faire contribuer les transporteurs routiers à l’entretien des routes et rendre le fret ferroviaire plus attractif. Comme chacun sait, cette taxe fut finalement abandonnée.
Mme Élisabeth Borne a récemment évoqué son intention…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Paul Prince. … de créer une nouvelle taxe, qui concernerait les poids lourds « en transit sur notre territoire », tout en écartant le retour de l’« écotaxe ». Qu’en est-il ? (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Prince, le développement du fret ferroviaire implique de rendre ce mode de transport suffisamment attractif, y compris, bien évidemment, du point de vue financier, par rapport aux modes concurrents, et en premier lieu par rapport à la route, qui concentre malheureusement encore aujourd’hui 90 % des transports intérieurs terrestres et des transports de marchandises.
La directive dite « Eurovignette », qui encadre la tarification de l’utilisation des infrastructures routières sur le réseau routier transeuropéen et les autoroutes, propose ainsi des outils de financement intermodal. C’est là que se situe la solution au problème.
En particulier, elle offre la possibilité de majorer les péages autoroutiers pour financer des projets d’infrastructures alternatives sur le réseau transeuropéen. Le texte actuel de la directive est encore trop contraignant, parce qu’il limite cette possibilité à des cas exceptionnels de tronçons routiers situés en zone montagneuse et connaissant de graves problèmes de congestion, ou dont l’utilisation par des véhicules cause des dommages importants à l’environnement. Il limite aussi l’utilisation des recettes correspondantes à des projets situés dans le même corridor que celui sur lequel le péage est majoré.
Dans le cadre de la révision de cette directive, engagée au printemps de l’année dernière, le Gouvernement soutient un assouplissement d’un tel outil de majoration des péages, pour qu’il puisse être appliqué plus facilement et à plus grande échelle. Celui-ci pourrait devenir, y compris sur le long terme, l’un des leviers importants contribuant à accélérer la transition modale, permettant ainsi de diminuer l’impact du transport de marchandises sur l’environnement. Nous entendons donc l’utiliser pleinement.
M. le président. La parole est à Mme Nelly Tocqueville. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Nelly Tocqueville. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en septembre dernier, la Cour des comptes s’inquiétait d’une politique peu ambitieuse en matière de fret ferroviaire en France. Elle suggérait au gouvernement des « voies d’amélioration », pour revitaliser particulièrement le transport ferroviaire de marchandises, qualifiant de « préoccupante » la situation de l’opérateur public dans ce secteur.
Cette activité a enregistré une perte nette de 256 millions d’euros en 2015 et de quelque 314 millions d’euros en 2016. En outre, elle est pénalisée par un endettement de l’ordre de 4 milliards d’euros. Le rail transporte un peu plus de 10 % des marchandises qui circulent dans l’Hexagone, tandis que 87 % de celles-ci transitaient encore par la route en 2015. Ces seuls chiffres démontrent la nécessité impérative de soutenir le fret ferroviaire et d’en améliorer sa structure, dans le souci de répondre à des impératifs environnementaux prégnants et aux objectifs de la transition écologique et énergétique.
Quand on sait qu’un train de fret équivaut à 50 camions sur les routes, les nécessités sont donc non seulement environnementales, mais aussi économiques.
Une telle problématique est particulièrement vérifiable, comme cela a été dit, dans ma région, où la modernisation du tronçon interdépartemental Serqueux-Gisors conditionne la compétitivité du port du Havre, confronté aux difficultés induites par l’insuffisance de la part modale, et, plus largement, celle de l’ensemble HAROPA, groupement d’intérêt économique réunissant les ports du Havre, de Rouen et de Paris, et constituant le cinquième ensemble portuaire Nord européen. Actuellement, ce sont moins de 5 % des containers partant du Havre qui relèvent du fret ferroviaire.
Le report à 2020 de l’achèvement des travaux sur cet axe, initialement prévu à la fin de 2019, illustre la difficulté à mettre en œuvre de tels aménagements. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous confirmer cette date pour ce dossier local et, plus généralement, nous informer sur les moyens financiers que le Gouvernement envisage pour moderniser et développer le fret ferroviaire, afin de faire face aux urgences climatiques, économiques et concurrentielles, en particulier au niveau européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame Tocqueville, comme je l’expliquais en détail dans le cadre de ma réponse à Mme Canayer, la modernisation de la ligne entre Serqueux et Gisors vise à créer un itinéraire fret alternatif à l’axe historique empruntant la vallée de la Seine via Rouen et Mantes-la-Jolie, proche de la saturation en raison de la hausse du trafic de voyageurs.
Elle répond à la volonté politique, d’ailleurs affirmée encore récemment par le Premier ministre, de renforcer la compétitivité des ports normands, notamment celui du Havre, en améliorant l’offre de service entre le port et la région parisienne, et, plus largement, vers l’Europe.
Ce projet bénéficie d’un financement européen important, à hauteur de 71 millions d’euros. Il s’agit d’une opération stratégique, nécessaire pour conforter la position de la France au cœur des grands flux maritimes entre l’Europe et les grandes économies mondiales.
À la suite de la déclaration d’utilité publique prononcée en novembre 2016, les premiers travaux ont démarré pour créer un raccordement ferroviaire direct au sud de Serqueux, électrifier la ligne, l’équiper d’un nouveau système de signalisation, supprimer des passages à niveau et installer des protections acoustiques nécessaires en vue de limiter les nuisances sonores. Sa mise en service, attendue pour mi-2020, va permettre une montée en charge progressive du trafic fret à partir, mais aussi à destination, du port du Havre.
M. le président. La parole est à M. Michel Raison. (Très bien ! et applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Raison. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un beau clin d’œil, en cette journée de grève, que de débattre de la politique de fret ferroviaire !
Adopté à l’unanimité, le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, au sein duquel siègent nos collègues Hervé Maurey, Gérard Cornu et Michel Dagbert, fait consensus sur le diagnostic.
Le fret ferroviaire, lui, démultiplie les difficultés : déficit de compétitivité, résultat net négatif, endettement, autant de performances que résume avec une certaine délicatesse la Cour des comptes européenne en les qualifiant de « globalement insuffisantes ». Un mauvais jeu de mots pourrait d’ailleurs me faire dire que le dossier déraille… (Sourires.) Je crois que c’est pire que cela : nous assistons plutôt à un naufrage.
Pourtant, le discours des différents gouvernants a toujours été clair : dans une approche résolument environnementale, soutenons le fret ferroviaire pour rééquilibrer le mix du transport de marchandises. Impossible de compter le nombre de plans de relance en la matière !
En dépit de cette ambition, l’État a paradoxalement pris des initiatives qui lui ont été défavorables. Elles sont résumées dans un référé de la Cour des comptes de septembre dernier, le pire étant l’abandon de l’écotaxe. Il faut aussi mentionner le renoncement au cadre social harmonisé entre Fret SNCF et ses concurrents ferroviaires et routiers.
Mme Borne a annoncé un « nouveau cap », une « rupture nette », un « changement de méthode » et même une « sortie de dérive ». Le discours me plaît. Je dis : « Chiche ! »
J’aurai deux séries de questions, madame la secrétaire d’État. Premièrement, comment le Gouvernement conçoit-il l’avenir du transport combiné rail-route ? Quels projets envisage-t-il, par exemple, de soutenir pour le favoriser ? Deuxièmement, la création d’un corridor ferroviaire entre Nantes et Budapest via mon département, celui de la Haute-Saône, est-elle envisagée ? C’est l’une des hypothèses évoquées dans une précédente étude.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Raison, les corridors fret, définis à échelle de l’Union européenne, prévoient d’ores et déjà un axe fret est-ouest, c’est-à-dire le corridor atlantique, qui passe au nord de Vesoul en formant un axe entre Nantes, l’Île-de-France, Metz, Nancy, Strasbourg et s’étendant au-delà, vers l’Allemagne.
De tels corridors sont définis à l’échelle européenne. Pour être redéfinis, ils doivent faire l’objet d’une négociation de longue haleine avec la Commission européenne. Une redéfinition précise n’interviendra qu’en 2023. Le corridor que vous proposez, en se prolongeant jusqu’à Budapest, correspondrait à une modification profonde de l’existant.
En tout état de cause, il ne peut s’agir de multiplier les corridors, sauf à affaiblir ce concept, qui vise précisément à définir des axes prioritaires transfrontaliers supportant un trafic de fret important, pour adopter des mesures d’exploitation adaptées au trafic de marchandises et orienter les investissements en faveur de ce mode de transport. Le développement du fret nécessite de concentrer les actions de l’État et de SNCF Réseau sur les axes à fort potentiel, en sachant qu’il faut également faire face aux demandes des vingt-six autres – bientôt moins ! – États membres.
S’agissant du réseau ferroviaire dans le secteur de Vesoul, la ligne entre Autet et Vesoul, dans le département de la Haute-Saône, n’est effectivement plus exploitée.
Pour autant, le réseau paraît d’ores et déjà très maillé pour les grands flux internationaux. Une éventuelle réouverture de cette ligne ne pourrait se justifier qu’en fonction de besoins locaux. Dans cette hypothèse, il revient aux collectivités locales de se saisir de ce sujet, si elles le souhaitent, et à vous aussi, monsieur le sénateur, de contribuer précisément aux réflexions sur cette question.
N’oublions pas que les gouvernements précédents, dont la majorité à laquelle vous appartenez toujours était aux manettes d’un certain nombre, n’ont visiblement pas suffisamment pris les choses en main (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains),…
M. Jean-Paul Émorine. De la modestie, je vous prie, madame la secrétaire d’État !
M. Rémy Pointereau. Oui, restez modeste, madame la secrétaire d’État !
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État. … puisque, aujourd’hui, sur la question du fret, nous nous retrouvons peu avancés, malgré le contexte difficile des dix dernières années.
Je sais que vous allez vous intéresser particulièrement à cette question et contribuer, au cours des différents débats dans les assemblées, à faire avancer cette question essentielle.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros.
M. Bernard Delcros. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question qu’il me revient de poser a été préparée par notre collègue Michèle Vullien, qui ne peut être présente parmi nous, retenue pour les raisons que vous pouvez imaginer.
De nombreuses données illustrent le déclin du fret ferroviaire en France ; elles ont déjà été largement citées, analysées et déplorées. La semaine dernière, lors des échanges autour de la proposition de loi d’Hervé Maurey, un collègue sénateur a parfaitement posé la problématique : pour les logisticiens, la route est bien moins chère que le fer, mais n’oublions pas que les poids lourds ne paient pas le coût réel du service rendu, notamment les coûts d’entretien et d’investissement dans le réseau routier.
Se pose donc, ou se repose, la question de l’écotaxe, affirme Michèle Vullien. Certes, cette question est épineuse, mais elle mérite d’être posée aujourd’hui. N’est-ce pas, madame la secrétaire d’État, la solution la plus pertinente pour extraire les containers de notre réseau routier et les remettre sur le rail ? Bien sûr, et c’est probablement ce qui a empêché le précédent projet d’aboutir, sa mise en œuvre doit s’accompagner de solutions de remplacement par voies ferrées pertinentes, techniquement et financièrement.
Les régions, qui voient leur compétence transport s’élargir, évoquent régulièrement cette logique de taxe sur l’usage des voiries via différents procédés pour dégager des ressources nouvelles. L’idée est bien la même, à la nuance près que les régions envisagent de réinjecter ces nouvelles ressources pour le transport des voyageurs.
L’État ne doit-il pas rouvrir ce dossier ou encourager les régions dans cette logique, à condition d’encadrer et de flécher la nouvelle ressource vers l’amélioration du fret français ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Delcros, vous le savez, le Gouvernement est confronté à plusieurs défis. L’ayant déjà fait lors de mon propos introductif, je ne reprendrai pas en détail ici le fait que l’état de nos réseaux de transport se dégrade, que nous sommes confrontés à des problématiques liées à la lutte contre une pollution de l’air particulièrement aiguë, que nous devons accroître toujours plus la sécurité de nos déplacements.
Il nous faut donc – c’est notre priorité, c’est dans ce sens que le Gouvernement auquel j’appartiens travaille –, accorder une priorité absolue à l’entretien et à la régénération de nos réseaux. Vous savez aussi que nous sommes confrontés, en additionnant les sommes concernées, à une impasse financière de quelque 10 milliards d’euros. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.)
Messieurs les sénateurs du groupe Les Républicains, je vois que trouver une solution financière à la régénération du réseau ferroviaire français vous passionne, et je serais ravie d’avoir connaissance de certaines des solutions qui émergent peut-être de vos discussions ! (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche.)
En tout cas, je puis vous dire que, au sein du Gouvernement, nous sommes particulièrement attentifs à la question. Je l’ai dit, nous voulons non pas remettre en place une écotaxe nationale, mais, en revanche, identifier plusieurs solutions qui pourraient être envisagées et y travailler, comme le soulignent les rapports établis dans le cadre des Assises nationales de la mobilité.
Le Gouvernement songe à une écotaxe régionale ou examine les différentes voies ouvertes, en s’appuyant sur les conclusions de ces travaux. Il présentera ses propositions en lien avec le projet de loi d’orientation sur les mobilités.
Toutefois, je le répète, nous n’entendons pas remettre en place une écotaxe nationale. L’objectif est de dégager de nouvelles ressources tout en encourageant les comportements les plus vertueux, au regard de l’environnement. Cela suppose d’être résolument innovant, pour être tout à fait en phase avec les attentes de nos concitoyens et les exigences de remise à niveau du réseau ferré en France.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le fret ferroviaire questionne la parole politique : il y a, de ce point de vue, un consensus absolu, on ne cesse depuis des décennies de dire que c’est génial, mais le fret ferroviaire ne fait que décroître !
Oui, le fret va de plus en plus mal. Vous me permettrez donc de me concentrer sur l’un de ses rares aspects positifs, à savoir les autoroutes ferroviaires, mises en œuvre dans la dernière décennie.
La création et la consolidation d’un réseau cohérent et intermodal sur les grandes lignes et lignes moyennes ferroviaires, pour tous les transports de marchandises qui peuvent être massifiés et cadencés, doivent être une priorité, car c’est effectivement bien à ce niveau que le train est plus compétitif que la route.
Je prendrai l’exemple de la liaison Luxembourg-Perpignan, que je connais bien. Elle fonctionne, et c’est une bonne chose ; heureusement, cela dit, qu’elle a bénéficié d’investissements massifs de nos voisins luxembourgeois… Elle connaît un succès « relatif », pour reprendre le qualificatif de la Cour des comptes, qui pointait le manque d’investissement de la part de l’État français pour être à la hauteur des ambitions affichées. Elle nécessiterait sans aucun doute des investissements complémentaires, notamment dans le sillon rhodanien, aujourd’hui presque à saturation.
D’une manière plus générale, madame la secrétaire d’État, quels investissements sont prévus pour la consolidation des autoroutes ferroviaires ? J’ai entendu votre annonce relative à un nouvel axe vers l’Espagne, qui me semble une bonne chose.
Ma seconde question, plus générale, concernera la nécessaire prise en compte du coût complet pour les transports routiers, tant le désavantage compétitif est massif pour le rail. Aussi, quelles actions le Gouvernement compte-t-il mener pour valoriser davantage le fret ferroviaire face au transport routier, à l’heure de la transition écologique, notamment concernant la question des coûts complets ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur Jacquin, les autoroutes ferroviaires sont en concurrence directe avec le transport routier de marchandises, notamment international. Elles sont particulièrement dynamiques au sein du segment de transport combiné, lui-même plutôt dynamique au sein du fret ferroviaire.
Les services existants aujourd’hui ont permis de transporter plus de 800 000 poids lourds et d’économiser 75 000 tonnes de CO2 par an. La mise en exploitation d’un service complémentaire entre Calais et l’Italie est annoncée par l’opérateur à brève échéance. Le gouvernement français coopère activement avec ses homologues espagnol et italien pour promouvoir la mise en exploitation de services nouveaux, ainsi que, car l’enjeu est double, la pérennisation des services existants.
La stratégie de l’État sur ce sujet est triple.
Il s’agit, tout d’abord, de poursuivre la démarche de développement et de pérennisation de l’autoroute ferroviaire alpine, par la mise en concession du service, par son extension si possible à la région lyonnaise, ainsi que par le raccordement de ce barreau alpin à l’axe rhodanien.
Il s’agit, ensuite, de capitaliser sur les investissements passés d’augmentation de gabarit, de circulation de trains longs et de création d’itinéraires de secours qui soient financés par l’État sur l’axe rhodanien, l’axe Calais-Lille-Metz-Lyon-Avignon-Perpignan, en accompagnant la mise en exploitation de services complémentaires sur cet axe.
Il s’agit, enfin, d’améliorer les performances de l’axe atlantique, desservant Calais, Lille, Paris, Bordeaux et Hendaye, entre la frontière espagnole et le nord-est de la France, pour permettre la mise en place de services de ce type sur cet axe majeur de fret ferroviaire. Vous le voyez, monsieur le sénateur, les autoroutes ferroviaires restent une priorité du gouvernement.