M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon, pour la réplique.
M. Jérôme Bignon. Merci, monsieur le ministre d’État, pour cette réponse que je considère comme positive. Vous ne fermez aucune porte, ce qui, je crois, est à l’honneur des responsabilités que vous exercez.
Je retiens votre suggestion et la transmettrai à ceux que ces sujets intéressent, notamment dans les Hauts-de-France et en Normandie : regardons si un groupe de travail peut être mis en place.
S’agissant de l’acceptabilité, elle pourrait être plus facile en mer qu’en matière d’éolien, d’autant qu’il y a à la clé des projets assez positifs dans le domaine de l’économie bleue. En mer, il n’y a pas d’envasement, et il est possible de créer des aménités et des activités économiques.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre d’État, l’énergie est aujourd’hui au cœur de problématiques corrélées à des enjeux majeurs, tels que la préservation de l’environnement, la lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air. Les questions énergétiques sont intimement liées aux mutations de nos économies et aux questions de fiscalité environnementale et énergétique.
Aujourd’hui, le Gouvernement s’inscrit pleinement dans la lignée du quinquennat Hollande : une politique écologique et environnementale présentée comme ambitieuse, mais qui se résume, concrètement et trop souvent, aux prélèvements, à l’impôt, à une fiscalité de rendement.
Aussi est-il urgent de reconsidérer l’équation pour proposer un New Deal énergétique consistant, maintenant qu’il y a une prise de conscience environnementale, à mettre en place en France une politique ambitieuse de préservation des ressources fossiles, de développement des énergies renouvelables et de réorientation de la trajectoire nucléaire.
Pour cela, l’État doit non pas faire seul, parfois mal, mais s’associer avec tous les acteurs. Ainsi, au lieu de donner un coup d’assommoir fiscal, le Gouvernement ferait mieux d’ouvrir un dialogue avec toutes les parties prenantes, acteurs économiques et collectivités territoriales, pour en faire de véritables associés et donner enfin une bonne direction, un vrai sens, à la politique énergétique.
Monsieur le ministre d’État, mes questions sont simples. Pensez-vous que l’écologie punitive, qui consiste à prélever sans contrepartie ou presque, soit la solution ? Pourquoi n’entendez-vous pas la demande que formulent les élus dans les territoires et au Parlement, appelant à une transformation de méthode dans la définition de la politique énergétique ? Quand ferez-vous le pari d’une économie décarbonée au service d’une croissance durable ? Et quels outils comptez-vous mettre en place pour relever ce défi ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Husson, j’ai cru un moment que votre question allait se résumer à savoir si j’étais pour l’écologie punitive… Je ne vous ferai pas cet aveu.
Si l’on parle de fiscalité punitive, on pourrait aussi bien parler de solidarité punitive, puisque le financement de la protection sociale repose sur des montants de fiscalité d’un autre niveau que la fiscalité écologique.
À un moment donné, quand on veut financer un certain nombre de dépenses, il faut mettre des recettes en face… Pour ma part, je le répète : je préfère taxer la pollution que le travail ! C’est un choix, et nous l’assumons.
Ces recettes permettent de continuer à financer des services publics et de la protection sociale, ainsi que des investissements publics. Car, monsieur le sénateur, qui sans doute avez été élu local, quand vous dites « sans contrepartie », je frémis un peu… Dans les collectivités territoriales, on investit, et on investit parce qu’on a des recettes !
Ainsi, 5,5 milliards d’euros sont inscrits dans le projet de budget 2019 pour le soutien public aux énergies renouvelables. Ce soutien, il faut d’ailleurs le maîtriser, parce qu’on ne peut pas l’augmenter indéfiniment, mais il existe.
S’agissant des transports, tout le monde pense qu’il faut développer les transports en commun pour permettre le basculement d’une mobilité individuelle automobile fortement émettrice de gaz à effet de serre vers une mobilité durable. Or il y faut des investissements massifs – songez au Grand Paris, songez aux régions.
Nous aurons bientôt – c’est concret – une loi sur l’orientation des mobilités. Pour la première fois, une loi de programmation fixera les choix d’investissement, avec, en face, le financement correspondant. Si l’on dit aux Français : on veut un TGV ici, un métro là, un port ailleurs encore, le CDG Express et ainsi de suite, sans prévoir les financements en face, ce n’est pas sérieux !
M. Fabien Gay. Le CDG Express, on n’en veut pas !
M. François de Rugy, ministre d’État. Vous voyez bien que la vignette poids lourds, c’est 500 millions d’euros.
La fiscalité écologique sert, comme d’autres recettes fiscales, à financer le fonctionnement de l’État et la protection sociale, mais aussi à investir pour une transformation. Si l’on reste dans le statu quo, cela ne marchera pas ; c’est pourquoi nous voulons donner à nos concitoyens, nos entreprises et nos collectivités territoriales les moyens de réussir cette transformation !
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson, pour la réplique.
M. Jean-François Husson. Monsieur le ministre d’État, la contribution climat-énergie a rapporté l’année dernière 3,7 milliards d’euros, pour une contrepartie en termes d’encouragement à l’environnement de 180 millions d’euros, en chèques énergie et primes à la conversion de véhicules. Sur le quinquennat, cette contribution s’élève à 47 milliards d’euros !
À ces deux éléments concrets, j’ajouterai une observation : la pollution de l’air liée au trafic maritime est équivalente à l’échelle de la planète à celle qui est liée au trafic automobile. Remettons donc de la vérité et de la sérénité dans nos débats !
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, l’Observatoire climat-énergie a récemment publié les chiffres permettant de comparer les objectifs de la stratégie nationale bas-carbone adoptés dans le cadre de l’accord de Paris pour le climat et ceux de la programmation pluriannuelle de l’énergie avec les émissions et la consommation d’énergie réelles en 2017.
Comme vous l’avez précédemment expliqué, monsieur le ministre d’État, ces chiffres démontrent non seulement que nous ne remplissons pas nos objectifs, mais que nous en sommes loin. Ainsi, la consommation nationale d’énergie a dépassé de 4,2 points les objectifs pour 2017, tirée par la consommation d’énergies fossiles. En ce qui concerne l’augmentation de la part des énergies renouvelables, nous accusons un retard de près de 12 % !
Parmi les nombreuses raisons de ces mauvais résultats figure l’absence de cohérence des politiques publiques, liée à un pilotage national insuffisant, peu efficace et peu lisible.
Le Conseil national de la transition écologique a été conçu comme une instance de discussion, notamment entre l’État et les collectivités territoriales, destinée à piloter la concertation sur la transition énergétique. Or, quand il est consulté, il peine à assurer correctement ses missions, faute de moyens humains et financiers suffisants.
Par ailleurs, aucune procédure n’est prévue à ce jour pour organiser la mise en cohérence des objectifs définis à l’échelle nationale et des différents schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires, ni pour réduire les effets de concurrence entre les régions inégalement dotées et mieux répartir les énergies sur les territoires.
Aussi, monsieur le ministre d’État, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre pour améliorer la coordination de la politique énergétique et la déclinaison de celle-ci au niveau local ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Filleul, je partage votre constat : il faut accélérer, aller plus loin, plus fort et, pour cela, mobiliser tout le monde. Je l’ai dit dès ma prise de fonction : on ne fera pas de la transformation écologique simplement depuis le bureau du ministre de la transition écologique et solidaire. Ni le Gouvernement ni le Parlement n’y arriveront seuls.
Il faut mobiliser les entreprises, et nous le faisons, dans tous les domaines. Par exemple, nous avons prévu des adaptations au bénéfice des industries électro-intensives, qui, si on leur appliquait la taxe carbone, seraient étranglées.
Il faut mobiliser les collectivités territoriales, qui se mobilisent aussi elles-mêmes : nous le faisons déjà et nous continuerons. Ainsi, le fonds chaleur augmentera l’année prochaine passant à 300 millions d’euros, au bénéfice, pour environ les deux tiers, des collectivités territoriales, avec un effet de levier sur l’investissement, qui permet ensuite à nos concitoyens d’être protégés par rapport à leur facture de chauffage.
Il faut, évidemment, mobiliser les citoyens. Nous le faisons aussi, avec des mesures concrètes.
Dans sa réplique, à laquelle je n’ai pas pu répondre – ce qui est normal, car autrement l’échange serait sans fin –, M. le sénateur Husson a prétendu que nous ne ferions rien pour les particuliers et donné le chiffre de 180 millions d’euros. Je lui répondrai à la faveur de cette question, qui porte sur la même préoccupation. Monsieur le sénateur, le chèque énergie, qui n’est pas durablement une mesure de transformation, mais sert à passer le cap, représentera l’année prochaine 800 millions d’euros. Quant au crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, il s’élèvera à 1 milliard d’euros.
J’ai parlé il y a quelques instants des transports collectifs. J’aime à rappeler qu’ils ne sont pas autofinancés par ceux qui les utilisent, par des financements privés. Souvenez-vous du débat sur la dette de la SNCF, 35 milliards d’euros, lors de la précédente session parlementaire : tout le monde a appelé à la reprise de cette dette, mais ces 10 et 25 milliards d’euros repris en deux années consécutives, il faut bien les financer. C’est ce que nous faisons.
M. le président. La parole est à M. Claude Kern.
M. Claude Kern. Monsieur le ministre d’État, dans un souci d’optimisation de la valorisation des déchets ménagers, le choix du mode de traitement de ceux-ci doit viser à tirer le meilleur parti du gisement existant.
Dans ce contexte, et dans la mesure où ses impacts environnementaux et sanitaires sont aujourd’hui maîtrisés, une incinération performante reste un outil de gestion des déchets pertinent permettant de répondre à un objectif d’élimination, en y associant une valorisation énergétique.
La démarche actuelle pousse d’ailleurs à valoriser au maximum l’énergie produite, en particulier sous forme de chaleur. Mais cela ne va pas sans raccordements aux réseaux de chaleur qui, paradoxalement, représentent encore une faible réalité au regard du potentiel de développement. Même s’ils sont en plein essor, la difficulté réside dans le fait qu’ils restent des outils capitalistiques : l’extension des réseaux nécessite une forte mobilisation financière, et l’amortissement se fait sur le long terme.
Être performant passe par l’innovation, et les aides publiques restent en la matière un corollaire essentiel.
Or, malgré l’ambition affichée des objectifs de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte – multiplier par cinq les énergies renouvelables et de récupération mobilisées par les réseaux de chaleur –, la France reste très en retard dans ce domaine. Les orientations budgétaires que vous avez privilégiées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 n’augurent pas d’un renversement de tendance.
Si cette technique a fait la preuve de sa pertinence, encore faut-il, du point de vue opérationnel, que la visibilité soit au rendez-vous des investisseurs, publics ou privés. Pour les collectivités territoriales comme pour les industriels, il est donc urgent de créer un contexte de visibilité et de constance, couvrant l’ensemble des encadrements réglementaires et fiscaux. La filière des centres de valorisation énergétique pourra ainsi continuer à bien planifier son développement à l’échelle des différents territoires.
Aussi, monsieur le ministre d’État, pouvez-vous nous éclairer sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour pérenniser et favoriser le développement de ces sites d’incinération de nouvelle génération et ainsi encourager la valorisation des déchets ménagers sous forme de chaleur ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Kern, je veux être très clair : même si elle a été présentée avant ma nomination, j’assume totalement la feuille de route pour l’économie circulaire.
Issues d’une large concertation, ces cinquante mesures visent d’abord et avant tout, en matière de déchets, à diminuer la mise en décharge, encore trop importante en France, et à augmenter le recyclage, notamment celui du plastique qui atteindra 100 % en 2025. Telles sont nos priorités en matière de déchets.
Étant pragmatique, je considère que la valorisation énergétique des déchets, qui existe et permet d’alimenter des réseaux de chaleur, peut parfois être une solution. C’est le cas avec les déchets ménagers, même si, plus on les recyclera, moins cette solution sera pertinente – il faut le dire, parce qu’on ne peut pas tout faire en même temps. Mais la biomasse, les déchets bois, différents types de déchets agricoles et d’autres encore peuvent alimenter des réseaux de chaleur renouvelable.
Il y a aussi la géothermie, qui, en Île-de-France par exemple, existe à grande échelle : 400 000 logements sont déjà raccordés et chauffés de cette façon. Le développement de cette technologie fait partie de notre politique.
Dans la programmation pluriannuelle de l’énergie, une stratégie concrète pour les dix années à venir, le développement des réseaux de chaleur, le raccordement d’un plus grand nombre de logements et de bureaux aux réseaux seront une priorité. Il y aura une augmentation pluriannuelle du fonds chaleur, un des outils d’intervention que l’État accorde aux collectivités territoriales, mais aussi aux entreprises, pour développer les réseaux de chaleur.
La priorité sera évidemment donnée à la chaleur renouvelable, mais on ne pourra pas être partout à 100 %. Dans ce cadre, la valorisation énergétique pourra entrer dans la stratégie de traitement des déchets ménagers.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, aujourd’hui, deux points de pression s’exercent sur les décideurs politiques.
D’un côté, les signes visibles du changement climatique s’accélèrent partout dans le monde, y compris en France. Je pense notamment à la récurrence des inondations qui ont lourdement endommagé nos communes – je l’ai vu dans mon département, la Mayenne, en juin dernier.
De l’autre, on assiste à une mobilisation grandissante de la société civile et des associations, qui manifestent, alertent et attendent une traduction politique concrète de cette prise de conscience globale.
De nombreux espoirs sont nés à la suite de la COP21 et de la signature de l’accord de Paris, aussi bien pour la lutte contre le réchauffement climatique que pour le nouveau modèle de croissance.
L’accord de Paris a toutefois une limite : malgré l’amorce d’une réflexion sur la transition énergétique, aucune des parties prenantes n’a souhaité que cette problématique soit abordée dans l’accord. On a ainsi encouragé les États à réduire leur consommation énergétique et à décarboner leur production d’énergie, sans impulser un nouveau modèle énergétique clair.
De plus, derrière le problème du réchauffement climatique, d’autres questions fondamentales se posent, qui ne sont que rapidement effleurées dans le cadre des grandes négociations internationales : la pression exercée sur les ressources naturelles et la pression démographique.
À cet égard, je rappelle que, en 2050, nous serons presque 10 milliards d’habitants sur Terre. Dans ses vidéos devenues virales sur internet, l’astrophysicien Aurélien Barrau alerte : les réfugiés climatiques seront entre 250 millions et 1 milliard d’ici à 2030 – pas dans cinq siècles, dans trente ans ! Cela ne peut être autre chose que la guerre ; ce n’est pas un fantasme catastrophiste, mais une analyse géostratégique élémentaire qu’il va falloir penser, nous dit cet astrophysicien.
Monsieur le ministre d’État, la COP24 se tiendra en Pologne dans moins de deux mois. Alors que la France joue un rôle majeur dans la mobilisation sur le climat, quelles sont les échéances de la diplomatie française en la matière et de quels outils internationaux disposons-nous aujourd’hui pour parler de ressources naturelles, de démographie, de changement climatique et de politique énergétique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Chevrollier, nous partageons le constat sur le dérèglement climatique. Vous avez particulièrement raison de souligner que, aujourd’hui, les conséquences en sont palpables par nos concitoyennes et nos concitoyens, alors qu’on avait un moment pensé que ce phénomène aurait des répercussions chez les autres, dans des régions lointaines.
J’étais avec le Président de la République aux Antilles voilà quelques jours. Dans ces territoires, évidemment, les conséquences se voient de façon très concrète.
Nous étions auparavant à l’Assemblée générale des Nations unies, où l’on a parlé du climat, et au One Planet Summit, avec des personnes qui s’engagent en politique, dans la société civile, les associations et les entreprises pour lutter contre le dérèglement climatique.
Ce dérèglement, ce n’est pas de la théorie dans des débats : c’est du concret, du concret chez nous. D’ailleurs, comme vous le savez, les assureurs constatent la multiplication des dégâts liés à ce phénomène qui a des conséquences économiques concrètes dans un grand nombre de secteurs.
Face à cela, nous aurons à mener de front deux politiques.
La première consiste à réduire à la source les émissions de gaz à effet de serre, pour limiter le phénomène. Il s’agit évidemment d’un enjeu international, et la COP24 en Pologne va être un moment de négociations difficiles pour que les uns et les autres tiennent leurs engagements. Aux échelles européenne, nationale et locale, cette politique oblige à faire des choix.
Parallèlement, nous sommes obligés de mener une politique d’adaptation au changement climatique. Nous disposons d’ailleurs d’un plan national d’adaptation au changement climatique, que nous allons déployer.
C’est absolument nécessaire pour protéger les Français : nous avons tous vu les images de l’immeuble Le Signal, qui a dû être évacué parce que le littoral est grignoté. Songeons aussi à l’agriculture : les viticulteurs le disent, aujourd’hui déjà les vendanges sont de plus en plus précoces et le degré du vin de plus en plus élevé. Dans tous les domaines, il faut mener aussi une politique d’adaptation au changement climatique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, au-delà des thématiques attendues, ce débat fait ressortir des pistes d’amélioration de notre politique énergétique en matière de gouvernance, ainsi que le manque de lisibilité et de cohérence des politiques énergétiques aux yeux du grand public.
Ainsi, l’ouverture à la concurrence, consacrée voilà plus de dix ans, ne semble pas avoir atteint les objectifs attendus en matière de prix, de qualité de service ou d’accélération de la transition énergétique.
Je souhaite savoir si ce ressenti est corroboré par une évaluation des effets de la libération du marché de l’énergie sur ces différentes variables. Intuitivement, on peut se demander si la mise en concurrence d’une multitude d’acteurs ne participe pas du manque de cohérence dans la mise en œuvre des politiques énergétiques.
Or une meilleure coordination des acteurs serait souhaitable de l’amont à l’aval, de la production à la consommation, sans oublier la gestion de l’après : je pense au casse-tête que représente dans mon département, la Loire, la dépollution et la gestion du site de l’ancienne mine d’uranium de Saint-Priest-la-Prugne.
De la même manière, on peut légitimement se demander comment le domaine de l’énergie peut répondre, en même temps, à la logique de la compétitivité et aux impératifs de la transition énergétique. En effet, comment demander à un opérateur soumis à la concurrence de rechercher une limitation de sa production, donc de son chiffre d’affaires et de sa marge, par la promotion des économies d’énergie ?
Un nouvel étage est ajouté à la fusée, dans le cadre du projet de loi PACTE, avec l’extinction des tarifs réglementés, pourtant l’un des derniers garde-fous : ils protègent les consommateurs non seulement des fluctuations de prix, mais aussi, dans une certaine mesure, de l’anarchie de la concurrence et de ses abus, déjà régulièrement dénoncés par le médiateur de l’énergie.
Bombardé d’informations par les marchés, le consommateur devra devenir hyperactif pour pouvoir réagir de manière rationnelle, en particulier pour s’y retrouver avec le futur contrat de fourniture dynamique.
Pour répondre à ces enjeux de mise en cohérence de nos politiques et d’adaptation aux impératifs de la transition énergétique, nous avons besoin d’un plus grand volontarisme politique en matière de construction européenne de l’énergie qui ne doit pas se résumer à la construction d’un marché.
Monsieur le ministre d’État, quelles orientations seront fixées dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie pour garantir que la mise en concurrence des acteurs ne soit plus un frein à la transition énergétique ? Quelle action la France peut-elle conduire au sein de l’Union européenne pour plus de volontarisme en matière énergétique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Tissot, j’ai déjà évoqué la question de l’ouverture à la concurrence. S’agissant de ses effets sur les prix, certains avaient peut-être promis des baisses. Ce qui est sûr, c’est qu’il est difficile de distinguer les effets des changements en nombre d’opérateurs – aujourd’hui, les Français peuvent choisir entre plusieurs opérateurs pour acheter du gaz ou de l’électricité – et les évolutions des prix mondiaux.
Il ne faut pas mentir aux Français : on ne peut pas avoir, en France ou même en Europe, une oasis de prix bas pour ce qui concerne le pétrole et le gaz si partout dans le monde les prix augmentent, d’autant plus que nous ne sommes pas tellement producteurs…
Par ailleurs, nous cherchons à baisser les consommations pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. D’ailleurs, dans le cadre de la loi sur les hydrocarbures que mon prédécesseur a fait adopter, nous avons renoncé, de notre propre chef, à exploiter, par exemple, les gaz de schiste. Vous vous souvenez du débat dans notre pays voilà quelques années encore, certains prônant leur exploitation.
S’agissant de la diversification des modes de production d’énergie, il est évident que l’ouverture à la concurrence y contribue, en tout cas l’ouverture à la possibilité d’avoir différents opérateurs, différents producteurs. Souvenons-nous de l’époque où, en France, en pratique, on ne pouvait pas produire d’électricité quand on n’était pas EDF ! On pouvait certes en produire, mais pas la vendre à son voisin…
Je crois que c’est un progrès pour nos agriculteurs, pour les particuliers : les Français, pour un certain nombre d’entre eux, sont des producteurs – c’est tant mieux, et nous leur avons donné des garanties.
Quant à la coordination, c’est l’objectif de la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui est un exercice complexe, parce que nous garantissons l’alimentation électrique, notamment, des Français.
À l’échelle européenne, certains ne veulent pas de coordination – chacun pour soi, chacun fait ce qu’il veut –, d’autres, dont nous faisons partie, prônent une politique européenne coordonnée. Le Président de la République et le Gouvernement sont en pointe pour promouvoir la coordination, dans ce domaine comme dans d’autres !
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer.
Mme Agnès Canayer. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, indissociable de la souveraineté française, la politique énergétique doit concilier l’indépendance en termes d’approvisionnement, la maîtrise du coût de l’énergie et le respect de l’environnement.
Définie par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, la programmation pluriannuelle de l’énergie doit s’adapter aux enjeux de société et aux évolutions technologiques. Elle doit introduire dans ses objectifs principaux l’amélioration de l’efficacité énergétique, le recours aux énergies renouvelables et la garantie de l’approvisionnement.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre d’État, la diversification des sources d’énergie est un enjeu majeur. Or un bon mix énergétique doit garantir l’équilibre entre chacune des sources d’énergie qui présentent des qualités propres. Ainsi, la production d’énergie thermique assure la réactivité essentielle en période de surconsommation d’électricité.
Les centrales thermiques répondent à cet objectif. Celle du Havre, l’une des quatre centrales françaises encore en exercice, a bénéficié de lourds investissements, près de 160 millions d’euros, pour améliorer la captation de CO2. Elle est engagée, comme celle de Cordemais, dans un processus de transition énergétique, afin de remplacer le charbon par de la biomasse et du combustible solide de récupération, ou CSR.
Fermer toutes les centrales thermiques reviendrait pour la France à perdre toutes les possibilités de produire elle-même l’énergie nécessaire lors des pics de consommation en complément des autres sources énergétiques, nucléaire et renouvelable. Nous serons obligés d’acheter à l’étranger l’énergie électrique nécessaire, notamment à l’Allemagne qui – paradoxe – a rouvert ses centrales à charbon.
Le Gouvernement entend-il prendre en compte ces éléments et ces évolutions, en particulier les efforts fournis par les centrales thermiques pour répondre aux critères de la transition énergétique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Canayer, nous avons en commun de bien connaître le problème des centrales thermiques, vous au Havre, moi à Cordemais. Nous n’ignorons pas non plus la situation à Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, et à Saint-Avold, en Moselle.
Le Gouvernement a fait un choix, annoncé par mon prédécesseur : fermer les quatre centrales thermiques à charbon subsistant encore en France d’ici à 2022, alors que, auparavant, cette fermeture avait été envisagée pour 2025, et auparavant encore pour 2035.
Il est vrai que des investissements ont été consentis ; c’est le cas aussi à Cordemais. Je le dis parce qu’on nous oppose parfois cet argument à propos d’autres énergies.
Il faut être honnête : comme le charbon a une mauvaise image à l’échelle internationale et nationale, tout le monde trouve la décision prise assez logique. Sur les territoires concernés, c’est évidemment plus problématique, ce qui est normal : il y a des réalités humaines derrière les questions d’énergie, particulièrement quand on décide de fermer une centrale à charbon. Tout le monde parle de Fessenheim pour le nucléaire, mais on écrit beaucoup moins d’articles sur les centrales à charbon.
Nous assumons ce choix, parce que, si nous voulons dire à nos voisins allemands, justement, aux Polonais, à d’autres pays en Europe et dans le monde entier de fermer leurs centrales à charbon, il faut que nous soyons cohérents.
On parle souvent de l’intermittence des énergies renouvelables, comme si ces énergies clignotaient. En réalité, il y a une variabilité de la production, comme il y a une variabilité de la consommation. Pour gérer les pointes de consommation, avec le parc nucléaire, la seule solution que nous avions, vous avez eu raison de le souligner, c’était le thermique. Il faut donc anticiper la perte de cette possibilité. Nous avons quelques centrales à gaz, qui émettent beaucoup moins de CO2 que les centrales à charbon, et il y a les enjeux de stockage.
Enfin, sur un projet biomasse, j’ai déjà eu l’occasion de me pencher sur la question au sujet de Cordemais, et nous en reparlerons pour Le Havre. Il ne faut pas promettre que ce seront des centrales de même taille ni de même puissance que les centrales actuelles sur les sites concernés, mais il faut regarder concrètement ce qui peut être fait en la matière, et d’une manière plus générale sur l’implantation de sites de production d’électricité à partir de biomasse.