Mme la présidente. La parole est à M. Emmanuel Capus, pour explication de vote.
M. Emmanuel Capus. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes dans une situation qui est totalement inédite. Jamais dans l’histoire de l’humanité, on n’a abandonné une énergie. Je suis favorable à la transition énergétique et à la décarbonisation de notre industrie et de notre mode de vie. En revanche, il faut bien se rendre compte que ce défi est inédit.
Quand on a découvert le charbon, on n’a pas abandonné le bois : il s’est ajouté. Quand on a découvert le pétrole et le gaz, on n’a abandonné ni le charbon ni le bois. Quand on a découvert l’énergie nucléaire, on n’a abandonné ni le pétrole, ni le bois, ni le charbon. Quand on a découvert l’éolien, on n’a pas abandonné toutes les énergies précédentes. On a travaillé avec l’ensemble de ces énergies qui se sont réparties différemment.
Le défi qui est le nôtre aujourd’hui, c’est abandonner non seulement des énergies que l’humanité a toujours utilisées, c’est-à-dire les énergies carbone, mais aussi – si je comprends bien, comme Gérard Longuet – l’énergie nucléaire. Cela signifie abandonner presque toutes les énergies que nous avons employées pendant des siècles, et ce de façon très rapide.
C’est pourquoi je vous dis que nous sommes face à un défi inédit. Nous sommes totalement d’accord pour le relever ; cependant, cela ne peut pas se faire contre la volonté des peuples. On voit bien aujourd’hui que ce défi doit être partagé – ce doit être ce que notre collègue Ronan Dantec appelle « le narratif », qui, selon lui, manquerait –, mais cela doit se faire non contre le peuple, mais avec le peuple.
Aujourd’hui, on le voit, la population, ou la Nation, pour ceux qui ne veulent pas employer le mot « peuple », adhère certes à l’objectif, mais a du mal à le faire sien au jour le jour, parce que cela la heurte de façon violente dans son mode de vie quotidien et qu’elle n’a pas les moyens de trouver une alternative.
C’est la raison pour laquelle il me semble que la proposition du rapporteur général peut être écoutée.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.
M. Alain Joyandet. Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur général, au fond, personne ne conteste le fait que nous devions taxer le carbone. Ce n’est pas le sujet. La véritable question tient au fait qu’en réalité vous faites de cette taxe carbone la variable d’ajustement de l’équilibre budgétaire. Voilà la question ! Vous n’en faites pas une taxe pour financer la transition énergétique ; vous fixez un niveau tel qu’elle vous permet d’équilibrer vos orientations budgétaires, sur lesquelles, à titre personnel, je ne suis pas du tout d’accord.
La taxe carbone ne peut pas servir à financer votre déséquilibre budgétaire. Vous ne pouvez pas financer la baisse ou la suppression de la taxe d’habitation par la taxe carbone ; vous ne pouvez pas financer la disparition de l’ISF par la taxe carbone. Car, au fond, c’est ce que vous faites !
Ce qui me ferait plaisir – je l’ai déjà dit au rapporteur général –, c’est de pouvoir réécrire complètement le budget. C’est ce qui serait vraiment intéressant, parce que nous sommes en désaccord avec les orientations budgétaires. Hélas, la LOLF ne nous le permet pas. Au fond, je préférerais carrément voter contre le budget, car je suis en désaccord avec tellement de points de ce budget que c’est ce qui serait le plus fidèle à ma pensée.
L’acte budgétaire, monsieur le secrétaire d’État, est tout de même un acte de cohésion sociale majeur. Vous ne pouvez pas faire payer au plus grand nombre, et bien souvent aux plus modestes, un certain nombre d’exonérations fiscales qui bénéficient au plus petit nombre. Je ne suis pas devenu communiste ou socialiste,…
M. Jérôme Bascher. Vous vous en rapprochez !
M. Rachid Temal. Ce n’est pas mal ! C’est un bon début !
M. Alain Joyandet. … mais j’ai toujours été fidèle à une éthique qui tient compte de la nécessité d’une certaine équité fiscale dans notre pays. Sans équité fiscale, il n’y a pas de cohésion sociale ! Quand cela est vraiment criant, vous avez la révolution ! C’est pour cela que je m’en tiens à la question budgétaire. Car le budget est tout de même un acte absolument majeur.
Pour en revenir à la question de la fiscalité de l’énergie, je voterai bien sûr l’amendement du rapporteur général. J’avais demandé une suppression totale s’agissant du GNR, mais cela n’a pas pu être fait. Comme position de repli, j’avais souhaité qu’on puisse au moins trouver un dispositif pour nos très petites entreprises, et cela a été fait – j’en remercie le rapporteur général. On travaillera à la marge, mais l’idéal aurait été de tout réécrire, en attendant que, demain matin, le Président de la République change sans doute tout et qu’un certain nombre d’amendements nous parviennent quelques jours plus tard, sur lesquels nous aurons l’occasion de travailler le week-end prochain puisqu’on n’a pas pu le faire le week-end dernier. (Mme Sophie Primas applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Bigot, pour explication de vote.
M. Joël Bigot. Mes chers collègues, je veux dire quelques mots sur ce sujet. Nous débattons ici, même si le lieu est feutré, dans une ambiance qui n’est pas excessivement sereine, puisque quelques récentes manifestations ont montré la difficulté à faire accepter la transition écologique.
On voit bien que la question de la fiscalité écologique est aujourd’hui au cœur des préoccupations des Français. Ces derniers ne remettent pas forcément en question le principe d’une fiscalité écologique, mais la manière dont est opérée cette taxation, ce qui conduit à la faire manquer cruellement de lisibilité – cela a été dit par un certain nombre d’orateurs – et, comme l’a relevé M. Joyandet, à donner l’impression qu’elle sert surtout à alimenter le budget de l’État.
Eu égard à l’urgence de la situation, le Gouvernement a multiplié les messages contradictoires, entraînant une certaine anxiété. Le Président de la République veut reprendre la main demain, et nous montrer la voie à suivre.
Le Sénat pourrait, je le crois, donner dès aujourd’hui certaines orientations. Voter l’amendement du rapporteur général, à mon avis, est une erreur, comme des collègues l’ont dit, car ce serait arrêter le processus. Je sais que certains vont le voter, mais sans enthousiasme. Rassurez-vous : je ne m’épanouis pas non plus dans l’abstention !
Il faut être très clair sur ce sujet, car il s’agit d’un véritable enjeu. Nous devons absolument nous pencher sur le dossier pour donner de la lisibilité à ces mesures et assurer l’irréversibilité de la transition écologique, car nous sommes à une période de l’histoire où l’on ne pourra plus jamais fonctionner comme on l’a fait jusqu’à présent.
Si l’on veut obtenir une acceptabilité sociale de ces mesures, il faut absolument qu’elles se traduisent par une forme de justice fiscale. C’est ce qui s’est exprimé dans les manifestations : de nombreux « gilets jaunes », puisqu’il faut les appeler ainsi, ont le sentiment d’une injustice fiscale, soit parce qu’ils habitent dans des lieux où ils cumulent toutes les taxes, soit parce qu’ils appartiennent à des catégories sociales qui sont lourdement taxées.
Je m’abstiendrai donc sur l’amendement du rapporteur général, mais sans que ce soit pour autant une solution. Il ne faut pas stopper le processus ; or, si on vote cet amendement, on donne un signal, un coup d’arrêt en quelque sorte, à cette mesure, ce qui serait dommage.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, ne nous racontons pas d’histoire : le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas un mouvement de contestation de la transition écologique, qui est nécessaire au pays. Il est lié aux problèmes de pouvoir d’achat, de conditions de vie, de justice et, pourrait-on même dire, d’aménagement du territoire. Il est fondamental que la question soit traitée dans son entièreté.
Nous allons prendre des décisions concernant les taxes sur l’essence : pour ma part, je crois nécessaire d’arrêter les hausses qui étaient prévues, et je dirai plus tard quelques mots sur la taxe carbone. Mais la réalité, c’est que le niveau du pouvoir d’achat, même avec des taxes non augmentées, ne permet pas à un grand nombre de nos concitoyens de vivre dignement, en raison de salaires insuffisants, de la précarité, des dépenses contraintes – je pense au logement qui, comme les transports, pèse de plus en plus sur nos concitoyens –, et de la difficulté d’accès à certains services publics qui finit par coûter cher en transports.
Il faut que nous ayons ce débat. J’étais d’ailleurs intervenue, lors de la discussion sur le budget pour 2018, pour contester la hausse des taxes indirectes, parce qu’elles allaient accroître les difficultés de pouvoir d’achat de nos concitoyens. Les taxes indirectes sont injustes, parce qu’elles ne sont pas progressives et parce qu’elles pèsent beaucoup plus sur ceux qui consomment tout leur argent que sur ceux qui sont plus aisés.
Nous sommes face à ces questions. Aujourd’hui, à l’étape où nous en sommes, nous discutons de la fiscalité écologique. J’ai longtemps siégé au Parlement européen, où j’ai vu la montée de l’idéologie selon laquelle il fallait donner un prix au carbone, faire entrer dans le marché les permis à émission, une évolution qui date des années quatre-vingt-dix, vers 1995 environ.
Depuis, l’effet de serre ne cesse d’augmenter. On a beau avoir mis en place les permis d’émission et augmenté les taxes, le phénomène ne cesse de s’accroître, parce que l’outil n’est pas pertinent. Je vous donne un exemple : notre collègue Ronan Dantec nous dit que là où l’énergie coûte cher, où la taxe carbone existe, l’effet de serre baisse. Oui, en France cela a été le cas, à la suite des délocalisations de toutes les entreprises d’aluminium, qui étaient de grosses consommatrices d’énergie : parce que le prix de l’énergie était cher, ces entreprises se sont délocalisées au Canada ou ailleurs.
M. Roger Karoutchi. Bien sûr !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. On ne peut donc pas raisonner pays par pays !
Quand on met en place une taxe carbone qui ne tient compte que de la consommation et des transports intérieurs, et pas de la distance parcourue par les intrants et des importations, on « plombe » – excusez mon expression – notre économie, on fait peser sur les plus modestes de nos concitoyens des charges qui ne contribueront pas réellement à lutter contre l’effet de serre.
Mme la présidente. Merci de conclure.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Est-ce à dire qu’il n’y a rien à faire ? Des alternatives sont possibles, des investissements publics sont envisageables.
Mme la présidente. Concluez !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je prends un exemple : toutes les voitures publiques de notre pays pourraient devenir très rapidement non polluantes.
J’interviendrai plus tard pour montrer qu’on peut agir autrement.
Mme la présidente. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Nos débats interviennent à un moment particulier : les deux derniers week-ends, les « gilets jaunes » étaient partout en France, mobilisés pour la question du pouvoir d’achat. Nous avons suspendu nos travaux pour d’autres raisons, et nous les reprenons aujourd’hui.
La situation est singulière, puisque nous débattons de la fiscalité écologique au moment où un journal du dimanche nous apprend que le Président de la République fera des annonces demain. C’est une interrogation. Nous ne sommes évidemment pas obligés d’attendre, mais il faudrait que M. le secrétaire d’État nous dise ce qu’il en est.
M. Philippe Dallier. Mais il ne peut pas !
M. Rachid Temal. C’est le « nouveau monde », mais je peux tout de même lui poser la question !
Il serait intéressant qu’il puisse nous dire ce qui sera annoncé et proposé, et en quoi cela modifiera la teneur de nos travaux d’aujourd’hui. Sinon, nous faisons tout cela pour amuser la galerie en attendant… C’est le premier point.
Second point, j’ai entendu les grandes réflexions sur l’histoire des énergies en France et dans le monde, qui portent sur une question centrale. Ici, il s’agit avant tout d’un problème de pouvoir d’achat. Ce gouvernement choisit deux variables d’ajustement : l’écologie, et les classes populaires et moyennes. C’est ce qui pose véritablement problème, et je rejoins sur ce point Alain Joyandet. Au final, on voit bien que, pour boucler le budget, on propose une justice fiscale inversée : il s’agit d’une première dans notre histoire, puisque ce sont les classes populaires et moyennes qui doivent financer la politique fiscale injuste menée par le Gouvernement.
Encore une fois, l’amendement de la commission n’est pas parfait, puisqu’il faudrait commencer par décider d’un moratoire et avoir une action plus globale. Pour autant, comme disait mon collègue Joël Bigot, c’est moins pire que prévu.
Aussi, nous nous abstiendrons.
Mme la présidente. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Le nombre significatif d’interventions valide après coup la motion tendant à opposer la question préalable que nous avons défendue au début de la discussion budgétaire. Tout le monde dit, sur l’ensemble des travées, qu’il faut refaire ce budget qui ne correspond pas du tout aux nécessités. On est d’accord, même si nos solutions peuvent varier.
Si cette augmentation de la TICPE avait été décidée l’an dernier en même temps que la suppression de l’ISF, comme vient de le rappeler notre collègue Alain Joyandet, nos concitoyens auraient peut-être fait le rapprochement entre les 4 milliards d’euros manquants d’un côté, et les 4 milliards d’euros s’additionnant de l’autre au niveau de la pompe…
Il y a tout de même une narration dans cette histoire : on a bien choisi, en urgence, de supprimer l’ISF parce que les gros patrimoines souffraient à n’en plus finir et qu’il était urgent de les soulager de cette charge insupportable (Rires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Laurence Rossignol rit également.) et, l’année suivante seulement, d’augmenter la TICPE de pratiquement 4 milliards d’euros, dont 82 % de la hausse décidée entre 2017 et 2019 iront dans les caisses de l’État, et non pas à la transition écologique – cela a été dit, mais il faut le répéter.
Dans le même temps, les dépenses consacrées à l’écologie diminuent de plusieurs centaines de millions d’euros. Un graphique récent émanant du ministère de la transition écologique faisait apparaître que plus les ménages avaient un niveau de vie élevé, moins ils étaient pénalisés par la montée en puissance des taxes écologiques. Je vous donnerai un chiffre : les 10 % des Français les plus pauvres perdront 2 % de leur revenu annuel à l’horizon 2022, contre seulement 0,5 % pour les 10 % les plus aisés.
En conclusion, il faut aussi regarder en termes d’inégalités et de pouvoir d’achat.
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat commence à devenir un théâtre d’ombres, et le Gouvernement a, selon moi, une responsabilité éminente dans cette situation.
Nous avons interrompu vendredi soir nos travaux dans des conditions – j’en ai quelques souvenirs – totalement surréalistes. La presse s’est fait l’écho de ce que dirait demain le Président de la République : on parle d’un lissage des taxes sur plusieurs années, de compensations – forcément, elles n’interviendraient pas en même temps que les taxes, mais nous aurions besoin d’en savoir plus pour notre débat budgétaire –, de mesures nouvelles, n’ayant d’ailleurs pas forcément de lien avec l’énergie, mais étant plutôt en lien avec le pouvoir d’achat pour répondre sans répondre, tout en répondant, aux « gilets jaunes »…
Alors, monsieur le secrétaire d’État, j’imagine bien – plusieurs de mes collègues l’ont dit – que vous n’avez pas forcément d’éléments sur ce que doit dire le Président de la République. Ayant connu cette situation, je ne vous en fais pas grief.
Simplement, nous débattons maintenant du budget,…
M. Jean-François Husson. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. … et c’est le Parlement qui vote l’impôt et les dépenses publiques.
M. Jean-François Husson. Effectivement !
M. Roger Karoutchi. Franchement, nous laisser dans la situation de parler pendant des heures sur un amendement que je voterai, monsieur le rapporteur général, mais qui finalement demain sera peut-être déjà antique, cela donne le sentiment que le respect du Gouvernement pour le Parlement est assez faible (Mme Sophie Primas et M. Jean-François Husson opinent.), pour ne pas dire totalement délétère…
M. Jean-François Husson. Ah oui !
M. Roger Karoutchi. Monsieur le secrétaire d’État, soit vous avez le sentiment que vos prises de position et ce que vous laissez faire au Sénat – c’est aussi la responsabilité du Gouvernement ce qui se passe dans l’ordre du jour de notre assemblée –…
M. Julien Bargeton. C’est vous qui l’avez choisi !
M. Roger Karoutchi. … ont du sens et nous pouvons poursuivre, soit vous avez le sentiment que demain tout cela sera remis en cause… Comment voulez-vous que nous poursuivions les débats demain et mercredi, alors que, si cela se trouve, et sans disposer du temps pour les analyser, nous aurons une série d’annonces fiscales et financières demain après-midi ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Et un collectif budgétaire !
M. Roger Karoutchi. Franchement, on ne peut pas traiter le Parlement et les institutions de la sorte. (M. Jean-François Husson s’exclame.) Vous portez – pas vous personnellement, monsieur le secrétaire d’État, mais le Gouvernement – une lourde responsabilité dans la déstabilisation des institutions. (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Je ne suis pas intervenu longuement, eu égard au nombre d’amendements en discussion commune. Je regrette ce long tunnel de 26 amendements, qui ne permet pas de donner – j’en suis désolé, mes chers collègues – un avis détaillé sur tous.
Je remercie ceux qui, malgré leurs regrets très légitimes que je comprends, ont accepté de se rallier à l’amendement de la commission des finances. De nombreux autres sujets, comme la fiscalité des carburants écologiques, mériteraient d’être traités.
Pour revenir sur ce que vient de dire à l’instant Roger Karoutchi, notre amendement, que nous nous apprêtons à voter dans un contexte quelque peu surréaliste puisque cette disposition risque demain d’être en contradiction avec d’autres annonces, a d’abord le mérite de la clarté et de la cohérence avec la position que nous avons exprimée l’année dernière.
De la clarté, car nous ne pouvons pas encore une fois entériner une hausse de la fiscalité sur les carburants et sur le fioul domestique sans avoir de visibilité. Qu’est-ce qui est contestable, finalement ? Ce n’est pas la trajectoire carbone. Vous l’avez les uns et les autres dit, nous l’avons tous votée, nous avons tous accepté ce débat, et le Sénat a même été favorable très en amont sur la nécessité de changer de mode de comportement.
Ce qui est inacceptable aujourd’hui figure à la page 500 de notre rapport écrit. Vous y trouverez un schéma particulièrement éclairant : où va le surcroît de fiscalité prévu chaque année ? Va-t-il à la transition énergétique ? Non ! Le produit de la TICPE s’élevait à 30,4 milliards d’euros en 2017, à 33,8 milliards en 2018 et s’élèvera à 37,7 milliards en 2019, en augmentation forte donc. La part supplémentaire va exclusivement au budget de l’État, et donc évidemment pas au compte d’affectation spéciale « Transition énergétique », qui est stable.
Le Gouvernement nous répond : « Peut-être, mais dans le budget de l’État on fait beaucoup de choses pour la transition énergétique ». C’est vrai que, pour faire une analyse tout à fait honnête et je le reconnais volontiers, la transition énergétique n’est pas financée par le seul compte d’affectation spéciale.
Mais il faut examiner les autres postes de dépenses de près : la TVA au taux de 5,5 % représente 1,1 milliard d’euros par an, un montant stable ; le crédit d’impôt transition énergétique a été diminué quasiment par deux – vous le savez bien, les fenêtres ont été retirées du dispositif –, passant de 1,7 milliard d’euros à 879 millions d’euros ; le chèque énergie représente 666 millions d’euros. L’ensemble des autres dépenses non seulement ne sont pas en augmentation, mais sont en diminution…
Voici la première chose qui choque : la fiscalité écologique est vue d’abord comme une fiscalité de rendement destinée à équilibrer les comptes de l’État.
Deuxième élément, il n’y a évidemment pas d’accompagnement de nos concitoyens, comme nous l’avons dit les uns et les autres, particulièrement dans les zones rurales bien sûr, mais aussi pour les logements individuels.
Je pense que la bonne solution, c’est tout simplement – et nous aurions aimé avoir ce débat – de regarder quels moyens nous nous donnons pour accélérer et accompagner cette transition énergétique, et ensuite d’essayer de rendre ces taxes supportables. Mais on met la charrue devant les bœufs : on augmente d’abord – le signal prix est violent, particulièrement pour ceux qui n’ont pas les moyens de changer leur mode de comportement – et on évoque ensuite l’éventualité d’une compensation, pour redonner un peu d’une main ce qu’on a pris de l’autre. C’est évidemment ce qui est contestable et qui explique la situation actuelle.
Je dirai un mot de la question évoquée par nos collègues Gremillet et Primas sur l’article suivant relatif au GNR. Il est vrai que, dans l’état actuel, si vous deviez adopter l’amendement de la commission des finances, cela reviendrait à la position de l’année dernière, c’est-à-dire le maintien du tarif de TICPE de 2018, nonobstant évidemment la question du gazole non routier qui ne figurait pas dans la loi de finances de l’année dernière puisqu’il fait l’objet de l’article 19, lequel tend à tripler la fiscalité qui lui est applicable.
Ce carburant bénéficiait d’un avantage : était-il justifié ou non ? En tout cas, ce qui n’est pas acceptable, c’est la brutalité, nous en convenons tous. On ne peut pas dire à des entreprises qui bénéficiaient d’un tarif très inférieur d’abandonner du jour au lendemain leurs tractopelles, alors que l’on sait très bien qu’il n’y a pas de solution alternative. Je le redis, cette brutalité est inacceptable.
Pour ce qui concerne l’article 19, sur lequel le Gouvernement commence à ouvrir quelque peu sa position, la commission des finances proposera, à la fois, un amendement permettant de répercuter le coût de l’augmentation – c’est l’amendement « pied de facture » – applicable notamment aux grandes et moyennes entreprises et, pour les PME, dont les contrats ne permettent pas d’appliquer une telle mesure – je pense aux entreprises du bâtiment pour lesquelles le devis constitue le contrat –, un amendement qui tend à différer l’impact de l’augmentation du gazole non routier.
Nous voulons très clairement en rester à la position que nous avions adoptée l’année dernière, c’est-à-dire le gel de la trajectoire, non pas parce que nous refusons la transition énergétique, mais parce qu’il faut des mesures d’accompagnement. Nous gardons donc le tarif de TICPE de 2018.
Quant au gazole non routier, il fera l’objet de propositions de la commission des finances à l’article 19, qui gêne manifestement le Gouvernement lui-même, puisqu’il est amené à nous proposer des amendements pour exonérer certains secteurs ou retarder l’application de la mesure – nous en avons encore reçu ce matin.
Par rapport à des annonces qui risquent de se faire dans la confusion demain et d’être très variables, la position de clarté du Sénat, c’est d’en rester à notre position de l’année dernière : nous ne pouvons pas accepter cette hausse brutale sans accompagnement des Français.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 18 duodecies, et les amendements nos I–302 rectifié ter, I–478 rectifié, I–198 rectifié bis, I–249 rectifié bis, I–289 rectifié bis, I–199 rectifié bis, I–250 rectifié bis, I–301 rectifié bis, I–287 rectifié bis, I–195 rectifié bis, I–246 rectifié bis, I–1024 rectifié et I–252 rectifié bis n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix l’amendement n° I-963 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. Sur les amendements identiques nos I-554 et I–613 rectifié ter, la commission a souhaité connaître l’avis du Gouvernement, qui a demandé le retrait de ces amendements.
Quel est finalement l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Nous suivons le Gouvernement sur ces amendements très techniques.
Par la voix de M. le secrétaire d’État, le Gouvernement a reconnu que ces amendements soulevaient un véritable sujet. Deux solutions s’offrent à nous : soit on les laisse dans la navette et le Gouvernement pourra corriger cette disposition à l’Assemblée nationale, soit nous pourrions sous-amender ces amendements. Supprimer purement et simplement ce dispositif, en reconnaissant qu’un problème existe, n’est évidemment pas la solution la plus satisfaisante.
Je m’en remets à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État. Comme je l’indiquais précédemment aux auteurs de ces amendements identiques, sous-amender ceux-ci en séance présente un caractère technique que nous ne savons pas affronter à ce stade.
Nous savons qu’il existe une vraie difficulté, soulignée dans les amendements qui ont été déposés. Aujourd’hui, les amendements intègrent le méthane dans le champ des exonérations, ce qui ne nous paraît pas opportun.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons le retrait des amendements, en prenant l’engagement – vous l’aurez compris au travers de mes propos antérieurs – de travailler sur ce sujet pour aboutir, notamment sur la question des biogaz.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Il faut que le Gouvernement retravaille la question, car il n’est pas possible de prévoir un sous-amendement.
Je propose de laisser ces amendements dans la navette.