M. Michel Canevet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux remercier le groupe du Rassemblement Démocratique Social et Européen d’avoir organisé ce débat sur un sujet qui préoccupe le Sénat depuis de nombreux mois, sinon de nombreuses années.
Je suis très heureux, monsieur le ministre, que vous vous en soyez effectivement emparé pour avancer, tant il est vrai que ces situations scandalisent l’opinion publique dans notre pays.
À cet égard, le groupe Union Centriste dans son ensemble se félicite que Nathalie Goulet ait été chargée de définir des pistes pour lutter contre la fraude sociale, ce qui est extrêmement important.
Avant d’aborder la question de la fraude à la TVA transfrontalière, je veux appeler votre attention, monsieur le ministre, sur la situation dans le pays de Cognac. La délégation sénatoriale aux entreprises se trouvait dans cette région, qui est fortement exportatrice. La production de cognac est en effet très excédentaire dans la balance commerciale française et, jusqu’à présent, la filière bénéficiait d’une exonération de TVA sur les achats, que l’administration fiscale semble vouloir remettre en cause.
J’attire l’attention du Gouvernement sur ce sujet, parce qu’il s’agit d’une industrie particulièrement intéressante pour l’économie de notre pays, dont il conviendrait de ne pas altérer le développement.
J’en viens à ma question. Les élections européennes ont eu lieu dimanche dernier ; nous en sommes maintenant à la mise en œuvre des orientations. Le Gouvernement va-t-il véritablement porter un message sur la nécessité d’appréhender la lutte contre la TVA à l’échelle européenne, puisque l’on sait bien que ce phénomène dépasse les frontières nationales ? Il faut affirmer à Bruxelles, dès le départ, la volonté de lutter contre cette fraude. On sait bien aussi, en effet, que les relations internationales sur le sujet conduisent à des situations de fraude.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Tout d’abord, monsieur le sénateur, nous recevrons les producteurs de cognac quand vous le souhaitez. Ceux-ci m’ont d’ailleurs porté chance, puisque j’ai fait mon premier déplacement relatif à la mise en place du prélèvement de l’impôt à la source dans ce territoire, à l’occasion de la visite d’une grande entreprise qui exporte plus de 98 % de sa production. Le prélèvement à la source s’est bien passé, en commençant par Cognac !
S’agissant de la TVA, il n’y a pas de volonté nationale de notre part. Nous recevrons les producteurs, si c’est nécessaire. Il vous revient de nous indiquer si tel est le cas.
J’en viens au point précis que vous évoquez, la coordination européenne. Les élections ayant eu lieu, il faut attendre l’installation de la Commission et la réunion des chefs d’État. On l’a répété à plusieurs reprises depuis le début de ce débat, l’unanimité en matière fiscale est un problème. Mais cela n’empêche pas la France d’être en avance sur ces sujets. Ainsi, elle est en avance sur la taxe Gafa ; faute d’accord à l’échelon européen, elle donne l’exemple. En partie grâce à vous, elle est en avance sur les propositions destinées à lutter contre la fraude à la TVA, à une nuance près : nous avons encore plus de moyens que pour la taxe Gafa pour récupérer les recettes légitimement dédiées à notre budget.
Puisqu’il me reste quelques secondes, monsieur le sénateur, je veux souligner à quel point la proposition du Gouvernement de prélèvement de la TVA à la source, qui devra sans doute être améliorée, est innovante pour l’administration fiscale et pour les entreprises. Nous voulons une exécution assez rapide puisque nous proposons son entrée en vigueur l’année prochaine. Il s’agit de prélever la TVA à la source pour ces plateformes étrangères sur lesquelles une partie de nos compatriotes achètent. Ceux qui sont scandalisés par l’optimisation fiscale et la fraude fiscale sont en effet les mêmes qui consomment sur ces plateformes ! D’aucuns doivent parfois résoudre de petits problèmes de cohérence, et nous allons les y aider !
Nous voulons donner les moyens de lutter contre ces plateformes qui n’affichent pas la part revenant à la TVA. On ne sait pas qui est le vendeur du produit qui arrive dans les grands centres logistiques, et les colis se comptent par millions !, sans qu’aucune fiscalité n’ait été payée. Notre proposition va vraiment révolutionner notre façon d’acheter et permettre aux entreprises françaises de combattre avec des armes fiscales égales à celles de leurs concurrents tout en faisant entrer quelques milliards d’euros dans les caisses de l’État.
En Italie, je crois savoir que le montant se situe entre 2,8 à 3 milliards d’euros grâce à la mise en place d’un système à peu près similaire à celui que nous vous proposons. Ce ne serait pas si mal de faire rentrer une telle somme dans les caisses de l’État en 2021, sans augmenter les impôts, au simple titre de la lutte contre la fraude !
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Chaque année, des milliards d’euros de TVA finissent dans les poches des fraudeurs, des criminels, voire même des terroristes, qui exploitent les failles des circuits de collecte transfrontalière. L’Europe de la fraude est bel et bien une réalité !
Puisque cette fraude est désormais européenne, la répression doit être européenne.
C’est tout le sens du futur parquet européen, qui devrait commencer ses activités fin 2020 ou début 2021, et qui aura pour mission de lutter contre la grande criminalité transfrontalière, dont la fraude à la TVA.
Sa mise en place et l’exercice de ses activités soulèvent des questions nombreuses et complexes en matière de budget, d’indépendance, ou encore de compétence.
Pour le moment, la forme retenue abandonne l’idée d’un parquet fédéral pour lui préférer une structure hybride, à la fois centrale et décentralisée, afin de respecter les traditions et les ordres juridiques internes.
Concrètement, le procureur européen pourra déclencher les poursuites et mener lui-même l’enquête, mais les personnes poursuivies seront déférées devant les juridictions nationales, et non devant la Cour de justice européenne.
Dans la mesure où il s’agit d’une compétence partagée, l’articulation avec le droit interne devra être précisément définie. En France, une collaboration étroite sera nécessaire avec le parquet national financier et les juridictions interrégionales spécialisées.
Dès lors, monsieur le ministre, ma question est double : quelle ambition la France entend-elle donner à ce futur parquet européen, plus précisément en matière de lutte contre la fraude à la TVA transfrontalière ? Comment le Gouvernement envisage-t-il la coordination entre les services nationaux compétents en la matière et le parquet européen ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Comme je l’ai dit à votre collègue du groupe socialiste et républicain, cette question, madame la sénatrice, s’adresse en réalité à Mme la garde des sceaux, car elle concerne la coordination de la justice.
En ma qualité de ministre de l’action et des comptes publics, j’ai, en lien avec les assemblées parlementaires, travaillé pour remettre la justice au cœur de la lutte contre la fraude fiscale. Bien sûr, il y a en la matière une part administrative, avec les difficultés évoquées à l’instant, et une part pénale très importante. Les entreprises, comme les particuliers, sont exposées à des condamnations pénales. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de sujets à dimension européenne, une réponse européenne s’impose. Le ministère dont j’ai la charge y est habitué. Les douanes travaillent à cette échelle, par nature et par construction.
Je rappelle que même si la fraude se situe à l’échelon européen, la recette doit normalement entrer dans les caisses de l’État français. C’est dire que notre pays ne peut pas se désintéresser de la question. Comme vous l’avez indiqué vous-même, il doit assurer une bonne coordination. De surcroît, la fraude – surtout les grandes fraudes –, se faufilant entre les trous de la raquette européenne, franchit les frontières assez facilement. Les grands fraudeurs font des montages à l’échelle communautaire, voire internationale, d’autant que le crime organisé est, lui aussi, international. Nous devons donc accompagner ce parquet européen et établir un lien très important avec lui, comme avec les services des renseignements de chaque pays.
J’ai confiance. Le sujet est moins la future coordination avec le parquet européen que la date de la mise en place de ce dernier. Quand sera-t-il au rendez-vous ? Comme votre collègue du groupe socialiste et républicain, vous avez interrogé Mme Belloubet sur ce point. Je lui ferai part de vos interrogations.
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.
Mme Pascale Gruny. Je comprends bien que ce sujet relève plutôt du ministère de la justice, mais je pense qu’il est important, quoi qu’il en soit, de s’employer à favoriser le plus de coordination possible, à tous les niveaux.
Certes, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, les différences de taux peuvent accentuer la fraude. Cela étant, selon les juridictions, les interprétations sont très diverses et le traitement n’est pas le même partout, ce qui milite pour une coordination renforcée à tous les échelons.
Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Éblé.
M. Vincent Éblé. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, très bon sujet retenu par mes collègues du groupe du RDSE – je les en remercie ! Il mobilise largement, au-delà d’ailleurs des membres de la commission des finances, cet après-midi dans l’hémicycle, et c’est tout à fait heureux. Nous sommes donc nombreux en séance et plusieurs points – je suis le dixième à intervenir dans le débat – ont déjà été abordés.
Pour ma part, je voudrais, au-delà des fraudes de type carrousel, évoquées, par exemple, par Jean-Marc Gabouty, centrer mon propos sur la TVA due par les vendeurs, en particulier étrangers, présents sur les plateformes en ligne, sujet dont a parlé Jean-François Husson.
À plusieurs reprises, les travaux de la commission des finances ont mis en évidence l’ampleur de la fraude de cette nature, notamment dans le cadre des conclusions de son groupe de travail sur la fiscalité et le recouvrement de l’impôt à l’heure du numérique. Ce groupe de travail avait déjà formulé, en septembre 2015, voilà donc quatre ans, une série de propositions destinées à assurer les conditions du paiement de la TVA lors des transactions effectuées sur ces plateformes.
Le plan d’action de la Commission européenne concernant la TVA en matière électronique, adopté par le Conseil en décembre 2017, a certes reconnu l’ampleur du problème, mais il n’a pas apporté une réponse, semble-t-il, satisfaisante aux difficultés rencontrées en la matière.
C’est pour cette raison que le Sénat a été à l’origine de l’ajout de l’article 11 dans la loi relative à la lutte contre la fraude. Cet ajout visait à apporter une réponse à la hauteur des enjeux en introduisant une responsabilité solidaire des plateformes en ligne pour le paiement de la TVA due par les vendeurs qui y exercent leur activité dans le cas où la plateforme n’aurait pas pris les mesures nécessaires pour assurer la régularisation des vendeurs qui lui auraient été formellement signalés par l’administration fiscale. Cette disposition s’inspire directement de mesures mises en place au Royaume-Uni.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous éclairer sur la façon dont l’administration fiscale prépare, en lien avec les acteurs concernés, la mise en œuvre de cette responsabilité solidaire, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2020 ?
De plus, la directive du 5 décembre 2017 a créé un régime particulier pour les ventes à distance de biens importés de pays tiers d’une valeur maximale de 150 euros. Ce régime entre en vigueur le 1er janvier 2021, un an plus tard. La responsabilité de la collecte de la TVA auprès du client final reposera pour ces envois sur la plateforme électronique ayant facilité la transaction. Mais qu’en est-il pour les envois d’une valeur supérieure à 150 euros ?
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le président !
M. Vincent Éblé. Pouvez-vous nous présenter, monsieur le ministre, les intentions du Gouvernement sur ce point particulier ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Je pense avoir répondu à votre seconde question, mais je vais bien volontiers me répéter, monsieur le sénateur. La directive européenne s’appliquera à partir de 2021 aux envois de moins de 150 euros. Notre dispositif, quant à lui, s’appliquera à tous les envois dès 2020. Nous allons y travailler dans le cadre du prochain projet de loi de finances. Nous allons surtransposer dans le bon sens, me semble-t-il !
Vous m’interrogez aussi sur l’application du sous-amendement relatif à la solidarité des plateformes que vous aviez déposé lors de la discussion du dernier projet de loi de finances. Vous l’avez rappelé, la loi prévoit une application à compter du 1er janvier 2020, ce qui nous laisse encore un petit peu de temps. L’arrêté d’application fait actuellement l’objet de concertations, notamment avec l’Union européenne. Je pense, monsieur le président de la commission des finances, pouvoir m’engager pour une publication au 1er août, en tout état de cause avant l’examen du prochain projet de loi de finances. Je veux vous permettre de savoir exactement quelles sont les modalités d’application de votre dispositif retenues par le Gouvernement. Évidemment, tout sera prêt pour le 1er janvier 2020.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Merci à mes collègues du groupe du RDSE d’avoir permis l’organisation de ce débat, dont l’enjeu est particulièrement important en termes de finances publiques.
Il y a quelque temps, le président de la commission des finances et le rapporteur général avaient pris l’initiative d’organiser, à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, une visite intéressante pour mesurer l’ampleur de la fraude, notamment la contrefaçon, et l’importance des services de l’État déployés pour y remédier : nous les avons vus à la tâche. L’administration des douanes intervient en partenariat avec La Poste et d’autres grands services.
Je suis l’élu d’un département frontalier, les Ardennes, et je sais, monsieur le ministre, que vous connaissez bien les problématiques des départements frontaliers. Je veux donc vous interroger sur la situation des buralistes, confrontés à l’achat du tabac en Belgique.
Parmi d’autres exemples, et on pourrait malheureusement les multiplier, il y a aussi celui du carburant acheté en Belgique, voire au Luxembourg qui n’est pas non plus très éloigné de notre frontière. Quelles mesures envisagez-vous de prendre pour lutter contre tous ces phénomènes et trouver des solutions ? Avez-vous une idée de la masse financière qui échappe ainsi aux caisses de l’État ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, votre question est large. Vous êtes parti de la TVA, puis, vous êtes passé aux buralistes, qui nous ont conduits en Belgique, mais elle est intéressante. Vous m’interrogez sur la différence de fiscalité pratiquée au sein de l’Union européenne.
Vous le savez, la fixation du prix du tabac relève de la compétence souveraine de chacun des États. Le seul pays où ce prix est supérieur à celui que pratique la France est la Grande-Bretagne, qui a choisi de quitter l’Union. Nous sommes donc les derniers. Eh bien, tant mieux ! Nous avons une politique très active de lutte contre le tabagisme. On dit que le Gouvernement augmente le prix du tabac pour remplir ses caisses. Or les recettes fiscales ne couvrent que le quart des dépenses de santé provoquées par la consommation du tabac et prises en charge par la sécurité sociale.
Plusieurs politiques de lutte contre le tabagisme ont été menées ; elles ont visé la prévention, et nous constatons ces derniers temps, une augmentation très importante des substituts nicotiniques. Selon les observatoires, on compte 1,6 million de fumeurs en moins depuis deux ans. Notre politique s’inscrit dans la continuité de celle qui fut conduite par les gouvernements qui nous ont précédés – je pense au paquet neutre, à la hausse du prix du tabac, à l’interdiction de fumer dans les lieux publics édictée sous la présidence de Jacques Chirac.
Nous déplorons en effet l’absurdité de la situation que vous avez décrite, monsieur le sénateur. Vous la connaissez dans les Ardennes, je la connais dans le Nord. Nous savons qu’il est possible de traverser très rapidement une frontière qui n’en est pas une pour acheter des cigarettes moins cher. Et les buralistes, très légitimement, nous le signalent et s’en plaignent. Cela dit, les frontières existent de moins en moins, avec les envois de paquets de tabac par internet. Cela explique d’ailleurs pourquoi les brigades des douanes changent leurs habitudes et leur façon de contrôler. Il est parfois aussi sinon plus important de contrôler les colis qui arrivent à Chilly-Mazarin que de contrôler la frontière franco-belge dans les Ardennes ou le Nord.
Nous défendons l’idée que le tabac est un sujet non de fiscalité, mais de santé publique. À ce titre, la Commission européenne, les États, le Parlement européen doivent imposer un prix unique. La Commission européenne a arrêté une même ligne sur plusieurs grands sujets de santé publique. Elle doit le faire désormais sur le tabac. C’est notamment ce que défendaient les candidats de la liste soutenue par la Président de la République et par la majorité. J’espère que tous les élus s’y attelleront.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.
M. Marc Laménie. Merci, monsieur le ministre ! On le sait, le combat est particulièrement important, la tâche reste immense. Il faut croire à la réussite ! Nous y parviendrons avec l’ensemble des services et le concours de tous les États.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Duran.
M. Alain Duran. Comme l’ont rappelé les orateurs précédents, les mécanismes de fraude à la TVA transfrontalière grèvent, chaque année, de plusieurs dizaines de milliards d’euros les finances publiques françaises. Or nous devons défendre une fiscalité équitable, par laquelle chacun participe à l’effort contributif à juste proportion de ses capacités : c’est le fondement même de l’État social.
Monsieur le ministre, le mouvement des gilets jaunes a révélé au grand jour ce sentiment d’injustice fiscale qui couvait, depuis de longues années, parmi certains de nos administrés.
Sans doute lassés de voir des alchimistes du chiffre transformer discrètement, mais efficacement l’optimisation fiscale en évasion fiscale, ces citoyens ont souhaité exprimer – avec plus ou moins d’habileté – leur crainte de voir le pacte social dévoyé par ces pratiques qui nuisent à tous : la fraude à la TVA transfrontalière coûte des centaines d’euros par an à chaque Français.
Mon département, l’Ariège, frontalier de l’Espagne et de l’Andorre, est particulièrement confronté aux problématiques induites par les variations de taux de TVA entre des pays voisins. Je prendrai l’exemple du taux unique de TVA à 4,5 % qui est appliqué en Andorre – soit, pour le taux normal, trois points et demi de moins que la Suisse, ou treize points et demi de moins que le Luxembourg, qui est l’État membre de l’Union européenne au taux normal le plus faible.
Ce taux unique, qui est inférieur au taux réduit appliqué en France et dans la plupart des États membres de l’Union européenne, affecte l’activité des entreprises frontalières exerçant dans certains secteurs d’activité de l’économie réelle. La TVA, qui était un impôt moderne lors de sa création, n’est pas parvenue à appréhender les évolutions induites par la dématérialisation des flux économiques et par l’évolution des modes de consommation.
Monsieur le ministre, alors que Bernard Cazeneuve avait proposé à l’hiver 2017 la possibilité de mettre en place des aménagements fiscaux pour les zones frontalières des Hauts-de-France et de Lorraine, quelles mesures entendez-vous prendre, afin de lutter contre le dumping fiscal pratiqué par des pays voisins non membres de l’Union européenne en matière de TVA ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur, vous intervenez en douzième position, et j’ai déjà répondu en grande partie à vos questions.
D’abord, vous avez raison, il faut moderniser cet impôt ancien, qui remonte aux années cinquante et qui a été copié. C’est l’impôt qui apporte le plus de recettes dans les caisses de l’État.
Le problème appelle évidemment une réponse communautaire, à l’intérieur comme à l’extérieur du marché commun.
Cependant, je ne partage pas tout à fait votre opinion sur le fait que la TVA serait devenue un impôt inadapté, la fraude pouvant naître des différences d’optimisation entre les pays et parfois d’une optimisation agressive.
C’est malheureusement le cas de tous les impôts. Si nous avions une discussion sur les prix de transfert ou sur l’impôt sur les sociétés, elle ferait apparaître des montages. Il est clair que le marché électronique bouscule notre fiscalité, qui ne s’est pas adaptée, c’est vrai, aussi vite que le monde moderne de la consommation et de la vie entrepreneuriale.
Indépendamment du fait qu’elle soit ou non juste et en dehors de nos opinions politiques, nous devons relever deux grands défis en matière de fiscalité : ceux de la fiscalité écologique et de la fiscalité numérique. La création de richesses résulte désormais en grande partie du numérique. Outre sur des échanges d’hommes, l’économie est basée aujourd’hui – c’est sans doute encore plus compliqué pour les territoires que vous évoquez, et je connais bien le problème, étant frontalier non de l’Andorre, mais de la Belgique – sur des échanges de logistique. Or comment taxer des flux logistiques ? C’est une question très importante à laquelle les gouvernements sont confrontés.
Oui, il faut une réponse européenne, avec la difficulté d’avoir un système douanier européen, des contrôles aux frontières européennes, non seulement pour les hommes eu égard aux migrations, mais aussi pour les marchandises.
Et il faut s’adapter à l’ère nouvelle, déterminer où se trouve la création des richesses, comment s’organise la triche. Il faut attraper les gros tricheurs. Les voitures des gendarmes roulant souvent moins vite que celles des voleurs, il revient au ministère de l’intérieur d’acheter des véhicules aussi rapides que ceux des voleurs. Il faut agir de la même façon en matière de fiscalité. Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous proposons ces évolutions.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Duran, pour la réplique.
M. Alain Duran. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse. Je voulais parler des entreprises proches de la frontière, confrontées à une concurrence déloyale. Pour être difficilement mesurable, le phénomène n’en existe pas moins. Il mérite toute notre attention, parce qu’il met en difficulté, voire en grand danger, nos entreprises.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Chauvin.
Mme Marie-Christine Chauvin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’associe bien sûr à ce qui a été dit sur l’importance du problème de fraude à la TVA transfrontalière.
Je ne reviendrai pas sur le mécanisme complexe de cette fraude. La perte est de 147 milliards d’euros dans l’Union européenne, soit trente fois les recettes attendues d’une éventuelle taxe Gafa.
Cet écart de TVA a diminué dans une large majorité d’États membres. Ainsi, la Suède et la Croatie ne perdent que 1 % de leurs recettes théoriques. En France, l’écart est de 12 % et a même augmenté de 1 milliard d’euros pour s’établir à environ 21 milliards d’euros.
Alors que nos déficits budgétaires sont abyssaux et récurrents, que l’État s’évertue à trouver de difficiles économies et, au final, augmente les impôts des Français, cet écart de TVA serait mieux dans ses caisses !
Hélas, cette fraude dure depuis plusieurs années ! Les conséquences ne sont pas seulement financières. Dans le Jura, nombre d’entreprises travaillent dans le domaine de l’import-export. Certaines ont été victimes de ces pratiques frauduleuses. Ces malversations peuvent nuire à l’image de nos petites et moyennes entreprises exportatrices et vertueuses. Ce fait doit être pris en considération.
La solution n’est pas seulement à l’échelon de l’Union européenne, dont les décisions en matière fiscale butent sur la règle de l’unanimité. La lutte la plus efficace reste à l’échelle des États.
Les progrès technologiques offrent de nouvelles opportunités pour le contrôle. Ils doivent être complétés par une indispensable réforme fiscale de la TVA.
Êtes-vous prêt, monsieur le ministre, à développer des moyens informatiques performants, à revoir les modalités d’encaissement de la TVA et à sanctionner plus fortement les fraudeurs ?
Êtes-vous prêt, à l’avenir, à avancer au même rythme que les autres pays européens ?
Envisagez-vous une réforme efficace contre la fraude fiscale ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics. Je n’utiliserai pas en totalité mon temps de parole, madame la présidente, non par non-respect envers Mme la sénatrice et envers sa question, mais parce que je crois y avoir répondu à de nombreuses reprises.
Je le répète, madame Chauvin, votre souci est partagé par le Gouvernement et je remercie, une fois encore, le groupe du RDSE d’avoir permis ce débat.
Le projet de loi de finances que je présenterai en septembre, au nom du Gouvernement, comportera deux grands points de fiscalité : le règlement de la fiscalité locale, qui vous intéressera, je l’imagine, toutes et tous, et la lutte contre la fraude – singulièrement la fraude à la TVA, et j’ai dit à quel point nous manquons d’outils juridiques pour la combattre.
Toute une série de questions devra être abordée. Comment créer le prélèvement à la source de la TVA pour les plateformes étrangères ? Comment faire en sorte, à l’instar de ce qui est pratiqué en Grande-Bretagne, que les entrepôts logistiques connaissent obligatoirement l’identité de tous les vendeurs des millions de colis qui arrivent sur le territoire national du fait de la mondialisation ? Comment l’Italie, l’Espagne, le Portugal – ces pays du Sud qui devaient lutter contre un marché caché, contre la fraude à la TVA – ont-ils mis en place des systèmes informatiques ? Nous aurons une discussion autour de la sanction, des achats cachés par les agents de la DGFiP, des achats sous pseudonyme, de la condamnation des opérateurs qui pourraient être considérés comme en lien avec ceux qui dissimulent l’argent et ne le reversent pas.
C’est une révolution fiscale que nous proposerons dans le cadre du projet de loi de finances. Certaines propositions vont un peu plus loin, notamment la TVA scindée. Est-ce à la banque de donner directement de l’argent à l’État et de reverser à l’entreprise le net, plutôt que de laisser celle-ci faire le calcul avec ou sans TVA ?
La lutte contre la fraude tient aussi, madame la sénatrice – je le redis une nouvelle fois – à la simplicité de notre fiscalité. Plus vous multiplierez les taux de TVA réduits, plus nous créerons des niches de concert, plus nous faciliterons la fraude. Car elle s’insinue dans les espaces peu clairs. Le montant que vous évoquez ne concerne pas seulement la fraude à la TVA. Il arrive que des entreprises se trompent de bonne foi. Lorsque j’étais jeune élu, on m’a raconté cette anecdote de la différence de TVA portant sur la quiche chaude ou sur la quiche froide. Selon les produits fiscaux retenus, nous créons tous collectivement des monstres fiscaux.
La simplicité de la loi votée par le Parlement sur proposition du Gouvernement aidera à ne pas se tromper.