PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France
Débat sur les conclusions d’un rapport d’information de la délégation sénatoriale à la prospective
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la délégation sénatoriale à la prospective, sur les conclusions du rapport d’information Vers une alimentation durable : un enjeu sanitaire, social, territorial et environnemental majeur pour la France.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur du débat dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à Mme Françoise Cartron, rapporteure de la délégation sénatoriale auteur de la demande. (Applaudissements.)
Mme Françoise Cartron, rapporteure de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que près de 10 milliards d’êtres humains pourraient peupler le monde d’ici à trente ans, les systèmes alimentaires qui se sont développés dans les pays occidentaux au XXe siècle, et largement diffusés depuis sur la planète, sont aujourd’hui problématiques. Ils posent en effet des questions en termes de santé, de consommation de ressources naturelles, d’impacts sur le climat et de préservation de la biodiversité. Ils sont d’ailleurs de plus en plus contestés, soulevant des oppositions croissantes sur les plans éthique, social et politique, mais aussi quant à leur soutenabilité et à leur efficacité économique réelle.
De manière accrue aujourd’hui, la problématique de l’indépendance protéique de la France et de l’Europe devient centrale, alors que la crise du covid-19 a mis en exergue les effets désastreux pour les populations que pourrait provoquer la rupture des circuits mondiaux d’approvisionnement.
Nous avons pu constater pendant le confinement, notamment dans nos départements, le succès des circuits court, le rôle de premier plan joué par les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP), le désir de manger sain et, plus globalement, l’importance de définir des plans territoriaux en matière d’alimentation. Le rôle de premier plan des collectivités locales est ainsi souligné.
Il est donc aujourd’hui nécessaire de rechercher quelles inflexions et quelles ruptures pourraient permettre de faire émerger des systèmes alimentaires plus durables.
Cela a été l’objet du long travail que j’ai mené avec mon collègue sénateur du Finistère, Jean-Luc Fichet, pendant près de six mois, donnant lieu, le 28 mai dernier, à la présentation d’un rapport contenant vingt propositions. Je remercie le président de la délégation sénatoriale à la prospective, M. Roger Karoutchi (Applaudissements.),…
M. Roger Karoutchi, président de la délégation sénatoriale à la prospective. Je n’ai rien fait ! (Sourires.)
Mme Françoise Cartron, rapporteure. … d’avoir accepté ce thème et d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour.
Les conclusions du rapport s’inscrivent dans un agenda national et international très dense dans les mois qui viennent. Nous défendons plusieurs objectifs.
Premièrement, nous voulons remettre la sécurité d’approvisionnement alimentaire au cœur des politiques publiques et assurer un meilleur équilibre des apports animaux et végétaux, notamment par le développement des légumineuses, visant ainsi une autonomie protéique.
Deuxièmement, nous souhaitons associer plus étroitement éducation, santé et environnement, à travers des déclinaisons nationales d’un programme européen Nutrition santé et environnement. Il s’agit de prévenir, d’une part, les maladies de pléthore, c’est-à-dire manger trop et mal, et les risques de dénutrition, c’est-à-dire ne pas manger assez, et, d’autre part, s’adapter au réchauffement climatique en préservant la biodiversité. Je rappelle à ce propos que l’alimentation, du champ à l’assiette, représente près de 25 % de l’empreinte carbone des ménages français.
Troisièmement, il s’agit de lutter contre les inégalités sociales d’accès à une alimentation de qualité, en actionnant les leviers financiers, à travers les aides et les fonds européens, les leviers éducatifs, et ceux de la formation et de la recherche.
Quatrièmement, nous voulons encourager le développement de la filière des légumineuses, qui semble être la clé de voûte du type de transition alimentaire souhaitable et souhaitée aujourd’hui, plus sobre et plus végétale.
Le 20 mai 2020, la Commission européenne a présenté aux institutions européennes sa stratégie « De la ferme à la fourchette ». Les recommandations clés de ce plan portent cette ambition forte de bâtir une « chaîne alimentaire bénéfique pour les producteurs, les consommateurs, l’environnement et le climat », dans le cadre du Pacte vert européen, et en lien avec la défense de la biodiversité.
Le rapport partage au final la plupart des conclusions de la Commission, mais il entend apporter quelques précisions et avancer certaines pistes concrètes. Nous allons en débattre ce soir. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. (Applaudissements.)
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la délégation sénatoriale à la prospective. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me félicite de la tenue de ce débat sur les conclusions de notre rapport, qui a reçu un écho important et des retours très positifs à la suite de sa publication, le 28 mai dernier.
L’une de nos principales propositions pour aller vers une alimentation plus durable est de renforcer la lutte contre les inégalités sociales face à l’alimentation.
Les études montrent que c’est surtout dans les milieux modestes que l’on retrouve les régimes ayant le plus d’effets négatifs sur la santé et l’environnement. Il existe donc aujourd’hui un véritable clivage social en la matière : le taux d’obésité parmi les ménages les plus modestes est ainsi plus de quatre fois supérieur à celui qui est observé au sein des ménages les plus aisés.
Outre les causes économiques de ces inégalités, sur lesquelles je vais revenir, il nous faut également tirer les leçons du bilan mitigé des politiques de recommandations nutritionnelles menées depuis vingt ans.
Il est temps de passer à une véritable éducation au mieux manger, qui associe un dépistage et un suivi nutritionnels renforcés, afin d’accompagner les ménages pour mieux choisir, mieux acheter, mieux préparer.
Compte tenu du coût des pathologies liées à une alimentation non saine, cette éducation à l’alimentation durable sera un investissement plus que profitable pour la collectivité.
Il est en outre indispensable d’accompagner l’éducation et la responsabilisation individuelle des consommateurs par un réel effort d’assainissement de leur environnement alimentaire.
On ne peut pas à la fois financer des campagnes d’information et tolérer que les aliments les plus aisément accessibles soient les plus déséquilibrés sur le plan nutritionnel. Nous attendons de véritables engagements de tous les professionnels de l’alimentation, et il faut avoir le courage de défendre certaines mesures concrètes.
Nous devons par exemple aller sans ambages vers la reformulation des recettes des plats industriels. Certaines entreprises ou marques ont déjà pris ce virage. Mais les aliments transformés restent dans l’ensemble beaucoup trop gras, beaucoup trop sucrés et beaucoup trop salés. Ils regorgent aussi trop souvent d’additifs dont les effets de long terme sur la santé sont source d’inquiétudes.
Soyons clairs : il ne s’agit pas de diaboliser l’industrie agroalimentaire. Compte tenu de nos modes de vie, les aliments transformés industriellement garderont une place centrale. Mais c’est une raison de plus pour assainir cette offre sur le plan nutritionnel !
Nous préconisons par ailleurs de rendre obligatoire l’étiquetage nutritionnel et environnemental des aliments. C’est un dossier de niveau européen, et la France doit se mobiliser à ce sujet ! Le Nutriscore est en effet un outil puissant pour aider les consommateurs à identifier les aliments les plus sains et inciter les producteurs à assainir leur offre.
Le combat contre une alimentation qui nuit à la santé et à l’environnement ne peut pas négliger la question des prix. Les aliments qui composent un régime sain sont en effet généralement les plus onéreux. Les fruits et les légumes frais coûtent plus cher que le sucre et la graisse. Le poisson frais n’est pas accessible à de nombreuses bourses. Idem pour les aliments bio. Comment espérer que nos concitoyens les plus modestes leur donneront plus de place alors qu’ils sont déjà ceux qui consacrent à l’alimentation l’effort budgétaire le plus important ?
Lutter contre les inégalités face à l’alimentation durable est une question de justice, mais aussi de pragmatisme. Pousser les consommateurs à manger durable, c’est en effet inciter agriculteurs, industriels et distributeurs à transformer leur offre.
La transition alimentaire du XXIe siècle, qui est la clé d’une population et d’un environnement en meilleure santé, sera tirée par la demande.
Démocratiser l’alimentation durable, c’est dynamiser la transformation du système productif. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la présidente, monsieur le président Roger Karoutchi, qui avez reçu tout à l’heure l’hommage unanime du Sénat pour le travail que vous effectuez au sein de la délégation à la prospective, mesdames, messieurs les sénateurs, en 2017, les États généraux de l’alimentation ont tracé une voie et permis à l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire de se rencontrer, de discuter, d’échanger et de définir des perspectives reconnues de tous.
L’année suivante, la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite loi Égalim, qui, pour certains, est une déception, mais qui, pour beaucoup, a été une réussite, a permis d’introduire de grandes orientations dans le droit, qu’il s’agisse de son titre Ier, portant sur les questions économiques, ou de son titre II, plus centré sur les problématiques sociétales.
En 2019, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, vous avez mis le sujet de l’alimentation durable au cœur des travaux de la délégation à la prospective.
En 2020, tout récemment, hier matin, la Convention citoyenne pour le climat, dont le Président de la République a reçu les membres, a mis au cœur de sa réflexion trois items : alimentation, environnement et transition agroécologique.
Depuis plus de dix-neuf mois, à chacune de mes interventions, je n’ai de cesse de promouvoir une alimentation saine, sûre, durable et tracée, une alimentation accessible au plus grand nombre – Mme Cartron et M. Fichet ont eu raison de le rappeler –, une alimentation qui ne peut pas être discriminante économiquement et qui doit jouer un rôle majeur pour la santé. N’ayons pas peur des mots : cette alimentation doit s’appuyer sur le patriotisme. Oui, le patriotisme français permet de faire rayonner notre agriculture !
Mais, soyons honnêtes, avant cette crise dramatique du covid-19, que nous avons traversée et que nous traversons encore, nul ne pouvait imaginer que l’alimentation serait autant au cœur des préoccupations de la société et de nos concitoyens. Tant mieux ! À quelque chose malheur est bon. Le covid aura permis de mettre l’alimentation en exergue. Nous avons vu des Français faire la queue dans les grandes surfaces. C’est peut-être parce qu’ils avaient peur de manquer. Mais cette peur, nous pouvons la comprendre.
La chaîne alimentaire a été performante. Elle a tenu. Les Françaises et les Français se sont alimentés. Nos agriculteurs ont travaillé sans relâche, parfois dans des conditions difficiles ; il faut les saluer et les remercier. Nos PME de l’agroalimentaire, qui sont parfois décriées, ont été là pour transformer, pour nourrir et pour approvisionner nos concitoyens. Nos enseignes de distribution, qu’il est facile de critiquer, ont été à la hauteur. Elles se sont adaptées et ont permis à leurs clients, c’est-à-dire à nos concitoyens, d’acheter les denrées alimentaires qu’ils souhaitaient.
Après la peur des premiers jours, nos concitoyens se sont adaptés ; ils ont trouvé de nouveaux moyens d’achat par internet ou par drive, car les acteurs – paysans, PME de l’agroalimentaire, distributeurs – ont été à la hauteur, faisant preuve d’agilité.
Nous devrons pérenniser ces innovations et développer toutes les bonnes pratiques qui ont vu le jour. Ne considérons pas que tout cela soit acquis : il est possible que, demain, cette nouvelle façon de s’alimenter se perde un peu dans les limbes, et nous devrons continuer de la promouvoir.
Finalement, cette crise a révélé la nécessité de garantir la résilience de notre agriculture et la souveraineté de notre alimentation, comme vous l’avez très bien dit, madame Cartron. Votre rapport et le débat de ce soir tombent à pic !
Un énorme travail a été accompli par la délégation à la prospective, présidée par Roger Karoutchi, en particulier par les deux corapporteurs.
Les quatre enjeux que vous identifiez sont cohérents et absolument essentiels, à commencer par l’indépendance. S’il est indispensable de renforcer notre souveraineté alimentaire, il ne s’agit pas pour autant de promouvoir une société qui vivrait en autarcie.
Vous avez couplé les enjeux économique et écologique, et vous avez bien fait. Trop souvent, on parle d’écologie et l’on oublie l’économie. La transition agroécologique doit aller de pair avec la compétitivité de nos entreprises agricoles et de transformation.
La transition agroécologique est aujourd’hui irréversible. Les mesures prises par le gouvernement précédent et par celui-ci pour placer notre agriculture sur une trajectoire lui permettant, à terme, de se séparer définitivement des produits phytosanitaires portent leurs fruits. (Mme Sophie Primas s’exclame.) Les derniers chiffres sont sans appel : entre 2017 et 2019, on enregistre une baisse de 44 % de l’utilisation des produits phytosanitaires.
M. Laurent Duplomb. Ça ne suffit pas ?
M. Didier Guillaume, ministre. En ce qui concerne le glyphosate, 6 000 tonnes ont été vendues en 2019, soit une diminution de 35 % par rapport à 2018 et de 28 % par rapport à 2017. La transition agroécologique est définitivement en route.
L’enjeu social et culturel que vous avez évoqué est absolument indispensable – je pense en particulier à l’éducation à l’alimentation –, tout comme l’enjeu de la santé, qui passe naturellement par l’équilibre nutritionnel.
Permettez-moi à présent de revenir sur sept des vingt propositions de votre rapport qui me semblent particulièrement importantes.
Vous évoquez longuement les légumineuses, et vous avez raison ! L’autonomie en protéines végétales est un enjeu fort pour la France et l’Union européenne. Nous en parlons à chaque conseil des ministres de l’agriculture, et nous l’avons encore fait hier. Cette autonomie, vers laquelle nous devons tendre, est cruciale pour l’ensemble de la chaîne alimentaire et l’environnement. C’est par ailleurs un engagement du Président de la République. J’ai dû reporter à la rentrée, en raison de la crise du covid, la présentation du plan français pour l’autonomie protéique, qui sera intégré dans le plan de relance.
Les projets alimentaires territoriaux (PAT) doivent être renforcés pour servir de fondement, demain, à l’équilibre de l’alimentation dans nos territoires, notamment dans la restauration collective scolaire.
Il est évident également qu’il faut une vraie politique foncière, qui offre la possibilité à des jeunes ou des moins jeunes de s’installer et empêche des sociétés financières de mettre le grappin sur les terres. Nous y travaillerons dans les semaines et les mois qui viennent. Se réapproprier les bonnes terres agricoles est un objectif absolument prioritaire aujourd’hui.
Les services agrosystémiques sont absolument essentiels dans les aides à la PAC. Les « écoschémas » du premier pilier et les paiements pour services environnementaux apparaîtront dans la réforme de la politique agricole commune. Il y aura finalement une phase de transition de deux ans. La France aurait préféré que la nouvelle politique agricole commune puisse s’appliquer dès 2021, mais les négociations de cet après-midi ont finalement conclu à une entrée en vigueur en 2023.
Vous évoquez également les filières de l’élevage et le fait de manger moins de viande, mais de meilleure qualité. Vous êtes de véritables flexitariens ! La filière Interbev communique depuis longtemps sur ces sujets. Nous devons assumer un élevage français de qualité, et en aucun cas nous ne pouvons l’abandonner, car il joue un rôle majeur d’aménagement du territoire et fournit une alimentation carnée indispensable à tous nos concitoyens, notamment aux plus jeunes.
Sur les chèques alimentaires, le Gouvernement s’interroge. À qui seront-ils adressés, et pour acheter quoi ? Des produits français, des produits étrangers, des produits qui pourraient faire concurrence à d’autres ?
Mme la présidente. Il va falloir conclure, monsieur le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre. Nous devons encore travailler sur ce sujet.
Enfin, vous évoquez évidemment la malnutrition et la précarité économique et sociale. Aujourd’hui, nous savons qu’il y a une alimentation à deux vitesses dans notre pays, entre ceux qui ont les moyens de manger certains produits et ceux qui ne les ont pas. Nous devons vraiment lutter contre cette discrimination alimentaire. C’est la raison pour laquelle je soutiens vos propositions en la matière.
Votre rapport, dense, constitue une base solide de réflexion collective. L’alimentation et l’agriculture vont de pair et nous partageons tous ici le même objectif : une agriculture de qualité, mieux rémunérée, avec une juste répartition de la valeur, et surtout accessible à tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, UC et Les Indépendants.)
Débat interactif
Mme la présidente. Dans la suite du débat, chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’un des leviers pour concrétiser l’objectif d’alimentation durable tracé dans les lignes de ce rapport consiste sans doute à valoriser l’agriculture française et son excellence, notamment la proximité, lorsque cela est possible. La crise que nous venons de traverser ne fait que conforter cette affirmation. Les secteurs agricole et alimentaire sont à la croisée de plusieurs domaines dont l’importance est grandissante.
Je veux bien sûr parler d’une alimentation saine et de qualité pour tous nos concitoyens, d’un niveau de vie décent pour nos agriculteurs, mais aussi, entre autres, de l’impact du changement climatique, de la modernisation des méthodes grâce au numérique ou encore des progrès techniques et technologiques.
Cela me conduit donc à vous interroger, monsieur le ministre, sur l’incorporation de critères favorisant le recours aux circuits de proximité et à l’approvisionnement local dans les commandes publiques, tout en garantissant le principe de non-discrimination.
Il est certes nécessaire de respecter les grands principes de la commande publique, mais il faut aussi simplifier les règles d’accès aux marchés publics pour valoriser l’agriculture durable locale et permettre aux agriculteurs de saisir toutes les opportunités de marché, de proximité et de valeur ajoutée.
Dans le contexte actuel, quelle est donc votre position sur la révision et la simplification des normes en faveur d’un approvisionnement plus local dans la commande publique, notamment celle des collectivités ?
Sachant que certaines normes sont d’origine européenne, et que des discussions sont en cours sur la réforme et le budget de la PAC, quelle est la position de la France sur le soutien à l’approvisionnement local ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Indépendants et UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je partage votre interrogation, monsieur le sénateur Franck Menonville. Nous sommes tous d’accord, il nous faut avancer vers une simplification des marchés publics pour l’achat local.
Je ne crois pas, toutefois, qu’il faille opposer les modèles. Nous ne pouvons pas exclusivement nous nourrir en circuits courts et en produits locaux. Il faut le répéter, nous avons aussi besoin de circuits longs, d’importer et d’exporter. Nous ne serons pas autonomes dans toute la filière agricole et alimentaire.
Pour répondre précisément à votre question sur le code des marchés publics, il faut avancer. La France porte ce sujet à l’échelle européenne, car c’est à ce niveau qu’il peut être réglé. Dans le cadre de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, nous avons pris des mesures de simplification pour permettre un approvisionnement plus local. Mais nous aurons évidemment besoin de faire évoluer les règles des marchés publics. Le Gouvernement y est favorable, et il faudra sans doute engager un travail commun entre le Parlement européen et le Parlement français.
Pendant la crise, nous avons déjà facilité les choses pour les fromages, les pommes de terre, le chevreau ou le canard, en autorisant des achats plus rapides pour les produits en stock.
Mais vous avez raison, monsieur le sénateur, il faut avancer dans cette direction.
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants.)
Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer nos collègues rapporteurs.
Le modèle d’agriculture à la française, par ses multiples visages qui ont été évoqués – petites fermes, grandes fermes, intensif et extensif –, est celui de l’équilibre le plus soutenable et le plus résilient. The Economist l’a dit en classant, trois années durant, le modèle d’agriculture français comme le plus durable.
Fondé sur un savoir-faire et une transmission des valeurs, un lien avec le terroir, le bétail et un sens des responsabilités du producteur, ce modèle auquel nous sommes attachés est aussi fragile. Saurons-nous le préserver alors qu’il est durement concurrencé par les ouvertures de marchés qui favorisent toujours et encore les prix bas, négligeant les considérations sanitaires, sociales et environnementales pourtant imposées aux nationaux ?
De nombreux agriculteurs qui nous nourrissent sont à bout de souffle, en particulier les éleveurs bovins, dont les revenus figurent parmi les plus bas, et qui se débattent toujours contre une concurrence déloyale imposée par les accords de libre-échange, notamment l’accord économique et commercial global (CETA).
Pouvez-vous donc nous expliquer, monsieur le ministre, en quoi le CETA est compatible avec nos objectifs de souveraineté, de résilience alimentaire et de neutralité carbone ?
Partout en France, nos agriculteurs cultivent la terre. C’est la singularité de notre pays. Pourtant, il existe des territoires où la terre est moins fertile. Quelle PAC demain pour ces agriculteurs des zones dites intermédiaires, ceux qui s’épuisent à cultiver et à entretenir des zones à faible rendement, contribuant ainsi à une agriculture de proximité et à l’animation des territoires ? À ce jour, les aides qu’ils touchent de la PAC sont parmi les plus faibles d’Europe. Que proposez-vous donc, monsieur le ministre, pour soutenir l’agriculture de terroir des zones intermédiaires ?
Enfin, les PAT sont en effet stratégiques pour atteindre les objectifs de la loi Égalim. Pourtant, selon le Réseau national des projets alimentaires territoriaux, on en dénombre seulement 50 à ce jour.
Comment envisagez-vous de les soutenir pour respecter les engagements pris dans la loi Égalim ? (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Indépendants. – M. Joël Labbé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice, 200 programmes alimentaires territoriaux sont aujourd’hui en place, mais leur élaboration prend en effet beaucoup de temps, certains ayant en outre du mal à comprendre à quoi ils peuvent servir.
Nous allons bientôt travailler avec les métropoles, les communautés de communes et les régions dans le cadre du cofinancement et des aides du deuxième pilier.
Ces projets alimentaires territoriaux sont essentiels si nous voulons relocaliser notre agriculture et notre alimentation à l’échelle d’une région.
Sur les zones intermédiaires, nous sommes en pleine discussion. Nous avions un conseil lundi, et nous allons faire en sorte que la PAC soit encore plus dynamique. Mon objectif est de faire en sorte que les zones intermédiaires soient mieux aidées. En effet, elles ne l’ont pas été, ou très peu, dans la précédente politique agricole commune, et votre région est directement concernée, madame la sénatrice.
Je souligne toutefois que nous avons réussi à obtenir un montant exceptionnel – personne ne croyait ici que nous l’obtiendrions. J’ai tellement entendu, ici et ailleurs, qu’on ne se battait pas, qu’on n’aurait pas les moyens nécessaires… Le débat est clos désormais, nous disposons de ces moyens et il va falloir à présent les partager au terme d’une concertation avec la profession agricole, qui reste relativement divisée sur le sujet. (M. Laurent Duplomb s’exclame.) Nous allons regarder comment les choses se passent entre le bassin allaitant, les zones intermédiaires, les grandes cultures et les céréales.
Enfin, vous évoquiez des accords de libre-échange, et notamment du CETA, qui soumettraient nos éleveurs à une rude concurrence. Je suis au regret de vous le dire, mais, dans les restaurants parisiens, si vous trouvez de la viande allemande ou irlandaise plutôt que française, vous ne trouvez pas de viande en provenance des pays avec lesquels nous avons conclu des accords de libre-échange.
Au demeurant, le Président de la République a dit hier très clairement que, s’agissant du Mercosur, c’était terminé. Quant au CETA, s’il s’avère, au regard des dernières informations, que les élevages canadiens ne sont pas à la hauteur, nous reviendrons sur la position que la France avait prise, en faisant jouer la clause de sauvegarde. (M. Didier Rambaud applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise nous a rappelé que, pour relever le défi de l’alimentation durable, nous devions renforcer notre résilience alimentaire.
Or, depuis 2000, vous le savez, notre alimentation sous toutes ses formes dépend de plus en plus d’importations. C’est le cas par exemple de la viande de volaille, importée pour un tiers aujourd’hui, essentiellement de Pologne, contre 13 % il y a vingt ans. Et sur des produits stratégiques comme les protéines – Mme Cartron l’a souligné –, nous sommes dépendants à 60 %.
Faire venir du poulet de l’autre bout de l’Europe, nourri avec des protéines qui contiennent des OGM américains ou brésiliens, alors que la France était un producteur majeur voilà quelques années : on marche sur la tête ! (M. Joël Labbé applaudit.)
Contre cette politique, oui, il faut relocaliser nos productions, mais il faut pour cela être en capacité de rendre notre alimentation accessible à tous les consommateurs, quel que soit leur pouvoir d’achat. Or, si la France a aujourd’hui un modèle agricole qui permet de garantir des denrées alimentaires de grande qualité, accessibles à tous, c’est parce que la PAC, dès sa constitution, a souhaité soutenir les agriculteurs pour leur permettre d’être compétitifs, parfois en vendant au-dessous des coûts réels de production, au travers de ces fameuses aides à l’hectare. N’oublions jamais cela, et n’affaiblissons pas le premier pilier !
Aujourd’hui, nous changeons de modèle, et c’est très bien. Mais plaider uniquement la montée en gamme et ne plus aider, ou moins aider, les agriculteurs sur les productions d’entrée de gamme, c’est prendre le risque de ne réserver les produits français, à forte valeur ajoutée, qu’à certains, condamnant les plus modestes aux produits importés, moins chers, mais sans aucune garantie de cohérence avec nos normes de production. C’est aussi priver nos producteurs de la plus grosse partie du marché.
L’alimentation durable ne peut pas s’opposer à une alimentation accessible à tous.
Ma question est donc simple, monsieur le ministre : que compte faire le Gouvernement pour la compétitivité de notre agriculture sur les produits d’entrée de gamme ? (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et Les Indépendants.)