M. le président. La parole est à Mme Sylvie Robert. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Sylvie Robert. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà au terme du processus législatif relatif au projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche.
Depuis plusieurs mois, celui-ci était attendu, espéré, devant solutionner à la fois le risque de décrochage de la recherche française sur la scène internationale, faute d’investissements suffisants, et la précarisation croissante des chercheurs et enseignants-chercheurs. En somme, il devait marquer une double reconnaissance à l’égard, en général, du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche, et, plus spécifiquement, des personnels qui fondent son rayonnement.
Malheureusement, au fur et à mesure des débats, ce grand espoir s’est transformé en grande déception ! Certes, le texte issu de la commission mixte paritaire apporte quelques avancées notables, telles que la mensualisation des chargés d’enseignement et des agents vacataires à partir de 2022, ou même, vous l’avez dit, madame la ministre, le renforcement de l’intégrité scientifique.
Toutefois, le résultat final est très en deçà des attentes et de l’ambition affichée, mettant ainsi en question la crédibilité attachée à votre projet et à l’objectif de porter la part de la recherche dans le PIB à 3 %, dont 1 % pour le secteur public.
Pour étayer mon propos, je prendrai appui sur quelques points.
Premièrement, cette crédibilité a d’emblée été effritée par le caractère anormalement long de la programmation, comme l’a rappelé initialement le Conseil d’État dans son avis, faisant ainsi douter de sa sincérité. À cet égard, je regrette vivement que l’apport du Sénat, qui avait raccourci ladite programmation à sept ans et avait concentré l’effort budgétaire sur les premières années pour concrétiser la volonté politique de soutenir la recherche, ait été supprimé en commission mixte paritaire. C’est une erreur !
À vous la communication politique, madame la ministre, aux autres les investissements. Je pense que la politique de la promesse n’est pas un art de gouverner.
Cette crédibilité a été fortement mise à mal, puisque vous avez répondu à côté des préoccupations émanant du terrain. Vous les avez même aggravées, suscitant ainsi tension et incompréhension. Je fais référence au double mouvement de précarisation qui se déploie au travers de ce texte : à la précarisation des doctorants-chercheurs fait écho la précarisation de notre modèle de recherche, résultant de la part excessive que représente la recherche sur appels à projets.
Si nous ne revendiquons nullement la fin de la recherche sur projets, nous estimons, en revanche, qu’il convient de rééquilibrer notre modèle de recherche publique au profit du financement récurrent des laboratoires. C’était une demande forte de la communauté scientifique ; vous ne l’avez pas suivie !
Au cours des travaux préparatoires, le cri d’alarme des chercheurs avait, entre autres, trait à leur niveau de rémunération, mais aussi à leurs conditions de recherche intrinsèquement liées à leurs clauses statutaires et contractuelles. À leur besoin de prévisibilité, de sérénité, de temps long, à leur souhait naturel de se concentrer sur leurs travaux de recherche et non sur des tâches administratives chronophages, vous avez répondu par la création des CDI de mission scientifique et des contrats doctoraux de droit public ou privé.
En d’autres termes, au problème de précarisation croissante des chercheurs et des doctorants et, plus globalement, à celui de la recherche et de l’enseignement supérieur français, vous répondez par l’élaboration de nouveaux contrats, dont certains n’ont ni garanties ni rémunération fixées dans la loi.
Enfin, cette crédibilité est réduite à néant quand surgissent et sont adoptées des mesures sur des sujets sensibles et loin d’être anodins, alors même qu’ils avaient été écartés du projet de loi originel. À cet endroit, je veux bien évidemment évoquer la fin du recours aux procédures de qualification par le Conseil national des universités (CNU) pour la désignation et l’avancement à certains postes.
S’il est toujours possible, parfois souhaitable, de faire évoluer un système, il n’en demeure pas moins qu’une méthode doit être respectée quand sont abordées des questions aussi structurantes pour le monde académique, même lorsqu’il s’agit d’une expérimentation. Il est pour le moins étrange qu’un amendement emportant de telles implications soit adopté en séance publique – c’est le jeu –, mais surtout validé en commission mixte paritaire avec l’aval du Gouvernement.
Par cette disposition, c’est tout simplement la dérégulation du système qui est annoncée.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. David Assouline. Très juste !
Mme Sylvie Robert. Cette mesure est arrivée sans étude d’impact, sans concertation préalable.
M. Jean-Pierre Sueur. Rien !
Mme Sylvie Robert. Et que dire, mes chers collègues, de la formulation si tristement ironique aux termes de laquelle « un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application des dispositions […], après concertation avec l’ensemble des parties prenantes » ? Si je résume : vous décidez, madame la ministre, puis vous concertez sur la décision déjà prise ; c’est un drôle de dialogue !
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà : c’est absurde et scandaleux !
M. Patrick Kanner. C’est scélérat !
Mme Sylvie Robert. Eu égard à l’écart entre les attentes de la communauté universitaire et scientifique et le projet de loi final, il n’est aucunement surprenant de constater l’ampleur de l’émoi et du rejet provoqués par ce texte. Peu d’écoute, peu de dialogue, diraient certains, mais beaucoup de crispations, malheureusement.
C’est une sorte de rendez-vous manqué,…
M. David Assouline. Encore un !
Mme Sylvie Robert. … si bien que ce grand espoir devenu grande déception est désormais une grande inquiétude.
Non seulement votre programmation n’est pas à la hauteur des enjeux de la recherche et de l’enseignement supérieur français, mais, de surcroît, elle aggrave les failles auxquelles elle était censée remédier. Elle n’est pas la loi attendue consacrant réellement et immédiatement des moyens beaucoup plus substantiels aux universités et aux laboratoires. Elle n’est pas la loi attendue endiguant le mouvement de précarisation de la recherche. C’est une loi sans colonne vertébrale, assez bureaucratique – je la qualifierais même de dangereuse –, où la suppression de la qualification par le CNU côtoie la création d’un délit d’entrave, avec tous les problèmes d’interprétation que cela implique, et la création d’une école vétérinaire privée.
M. Emmanuel Capus. Mais c’est très bien !
Mme Sylvie Robert. Pour toutes ces raisons, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’opposera, comme en première lecture, à ce projet de loi en votant contre les conclusions de la commission mixte paritaire ; il ira jusqu’au bout de son combat en saisissant le Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Jean-Pierre Sueur. Excellente intervention !
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire s’est réunie le 9 novembre dernier sur le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur. Je me réjouis, à l’instar de Mme la rapporteure Laure Darcos, qu’un accord ait été trouvé, même si cela s’est fait au prix de certaines concessions ; mais c’est le principe.
Ainsi, la durée de la loi de programmation, qui constitue le cœur du texte, est repassée à dix ans, comme le Gouvernement le souhaitait. Le Sénat s’était prononcé en faveur d’un ajustement de cette durée à sept ans, afin de redresser plus rapidement la trajectoire de financement de la recherche publique pour parvenir à un effort d’investissement de 1 % du PIB. Nous avions soutenu cette mesure et regrettons donc le retour à la durée initiale.
Le projet de loi a suscité de vives réactions parmi le monde universitaire ; on le constate de nouveau ce matin. Les critiques portent essentiellement sur les dispositions qui remettent en question le mode actuel de recrutement des chercheurs. Je pense notamment à la création des chaires de professeurs juniors.
Le Sénat avait adopté des garanties visant à renforcer la légitimité des recrutements des jeunes chercheurs par cette nouvelle voie, en votant une disposition selon laquelle un quart des membres de la commission de titularisation serait issu du CNU. Nous regrettons la suppression de cette disposition en commission mixte paritaire.
Autre sujet de discorde, l’amendement adopté par le Sénat permettant aux universités de recruter directement des enseignants-chercheurs sans passer par le filtre du CNU est la cible de nombreuses contestations. Cette expérimentation figurait parmi les propositions de campagne du Président de la République et s’inscrit dans une volonté d’accorder aux universités davantage d’autonomie. Le Sénat avait d’ailleurs déjà adopté cette mesure en 2013 sur l’initiative des écologistes.
M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Très juste !
M. Emmanuel Capus. Le principal argument invoqué par les détracteurs de cette disposition était que celle-ci était le seul rempart contre le localisme, cette pratique qui consiste pour une université à privilégier le recrutement de doctorants issus de cette même université. Je comprends cette crainte, mais je crois utile de donner davantage d’autonomie aux universités.
Le dispositif adopté au Sénat propose une concertation préalable avec les syndicats, les conférences d’établissement et le CNU, afin de fixer collectivement les critères d’évaluation et les modalités de sélection en vue de limiter les dérives. Nous invitons le Gouvernement à veiller au renforcement du contrôle des procédures de recrutement local par le CNU, en concertation avec les acteurs concernés.
Certes, le projet de loi de programmation n’est pas parfait, néanmoins il apporte des avancées importantes, notamment en matière de partenariats public-privé, qui bénéficieront du nouvel élan de la recherche publique. Le texte permettra de faciliter la mobilité des chercheurs vers le secteur privé afin de favoriser l’innovation et l’accès aux compétences.
Je suis également favorable à la labellisation de quinze nouveaux pôles universitaires d’innovation, dont le développement contribuera à faciliter les échanges entre les sphères économique et académique.
Ce projet de loi de programmation n’aura pas réponse à tout, nous en convenons. Nous comprenons aussi qu’il puisse paraître décevant, dans la mesure où les moyens annoncés seront ventilés sur un trop grand nombre d’années. Cependant, près de quinze années sont passées depuis l’adoption de la dernière loi de programmation ; nous ne pouvons plus attendre. Nous faisons donc aujourd’hui un pas dans la bonne direction.
C’est la raison pour laquelle le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Monique de Marco.
Mme Monique de Marco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, que de déceptions ! Le texte de la commission mixte paritaire conserve très peu d’avancées votées par le Sénat. En revanche, il intègre, voire renforce, ses aspects les plus rétrogrades.
Le choix du Sénat de resserrer la programmation sur sept ans a été supprimé. La programmation se dit ambitieuse, mais à peine 6 % de l’effort budgétaire concerne les deux premières années. Une part importante passe par l’Agence nationale de la recherche.
Pourtant, nous avons souligné dans nos débats l’effet délétère d’un financement qui repose de plus en plus sur les appels à projets. Ceux-ci ne permettent pas de financer le recrutement de titulaires ni de sécuriser le budget des établissements. Ils génèrent des inégalités entre petites et grandes structures, ainsi que des lourdeurs bureaucratiques. Les appels à projets ne devraient pas être l’alpha et l’oméga du financement de la recherche. Les chercheurs n’ont pas cessé de nous alerter sur ce point, mais n’ont manifestement pas été entendus.
En revanche, la commission mixte paritaire a conservé un amendement permettant un nouveau contournement du Conseil national des universités. Nous ne pouvons que regretter qu’une telle mesure ait été introduite à la dernière minute, alors qu’elle aurait nécessité un débat et une concertation approfondis.
Nous regrettons également que les quelques avancées que nous avons votées pour mettre fin à l’utilisation d’animaux dans l’enseignement…
M. Stéphane Piednoir. C’était important !
Mme Monique de Marco. … et promouvoir les méthodes alternatives aient aussi été supprimées. En revanche ont été introduits des financements pour les écoles vétérinaires privées.
Ce ne sont que quelques exemples des choix problématiques opérés par la commission mixte paritaire, mais je n’ai pas encore mentionné le plus inquiétant !
Là encore, à la dernière minute, une nouvelle disposition a été adoptée, que l’on peut qualifier de scélérate. Ce projet de loi prévoit de punir, de manière totalement disproportionnée, tout trouble à l’ordre public ou atteinte à la tranquillité dans les établissements d’enseignement supérieur. En d’autres termes, c’est une interdiction de manifester dans les universités.
M. Max Brisson. Mais non !
Mme Monique de Marco. Mais si !
D’une part, cette disposition n’a pas de lien, même indirect, avec le sujet de cette loi.
M. Max Brisson. Et alors ?
Mme Monique de Marco. D’autre part, c’est une mesure répressive qui vise à faire taire toute protestation dans le monde étudiant. Cette mesure, à elle seule, devrait suffire pour motiver le rejet de ce texte.
Nous avons devant nous un texte qui prétend défendre les libertés académiques, mais qui ne les mentionne qu’une seule fois et qui, dans le même temps, poursuit la criminalisation des mouvements sociaux. (M. Stéphane Piednoir s’exclame.) Dans un secteur qui est déjà le service public avec la précarité de l’emploi la plus forte, il crée encore de nouveaux types de contrats précaires.
Nous avons un texte qui prétend rattraper le sous-investissement chronique dans la recherche, mais qui sera largement insuffisant pour atteindre l’objectif des 3 % du PIB et enrayer la pénurie de postes titulaires.
Nous avons donc devant nous un texte qui suscite une opposition massive depuis des mois et qui est en totale déconnexion avec les attentes et les besoins de la recherche française.
Nous sommes en désaccord profond avec ce texte et sa philosophie, ainsi qu’avec les choix opérés par la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton.
M. Julien Bargeton. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’un de nos glorieux prédécesseurs, Georges Clemenceau, disait que ce n’était pas en mettant cent personnes dans une assemblée que l’on obtiendrait les découvertes d’Archimède, de Newton ou de Pasteur. En effet, ce n’est pas notre rôle. Notre rôle consiste à définir les objectifs de ce qu’est la recherche en France, son organisation et son fonctionnement, c’est-à-dire, au fond, le pacte social entre la recherche et les Français tel que nous l’imaginons et la façon dont il doit s’exercer ou être mis en avant. Voilà le sujet et c’est ce que nous avons fait.
Oui, en filigrane, plusieurs conceptions de la recherche se sont, non pas affrontées, parce que nos travaux se sont déroulés dans un débat serein, mais opposées. Nos débats, riches, ont montré que nous pouvions avoir une vision différente, notamment sur les carrières, la relation avec le privé, la liberté académique. Nous sommes toutefois parvenus à un compromis, ce qui est, je crois, positif, sur l’intégrité scientifique et les libertés académiques, les chaires de professeurs juniors. Sur ce dernier point, nous avons opté pour un plafond de 15 % ou de 20 % en fonction des établissements.
Certes, certains sujets restent pendants et il faudra être vigilant sur la qualification par le CNU, qui suscite des réactions vives. Je rappelle tout de même qu’il s’agit d’une expérimentation : elle sera évaluée et une discussion précédera toute généralisation. Je crois donc que les garanties sont apportées.
Il en est de même de la programmation budgétaire. Certains ont proposé sept ans, mais nous avons conservé la durée de dix ans. Toutefois, le Sénat a consolidé la partie relevant du plan de relance, avec 6,5 milliards d’euros consacrés à l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation. Nous nous sommes mis d’accord globalement. Je relève que tout ce qui concerne les carrières a suscité moins de débats : dès l’année prochaine, plus aucun maître de conférences ni chargé de recherche ne sera recruté au-dessous de 2 fois le SMIC. (Mme la ministre acquiesce.) C’est une avancée considérable et, là aussi, les postes sont prévus et consolidés.
Bref, nous avons fait notre travail de parlementaires.
On ne peut pas, quand le Gouvernement impose ses vues, affirmer qu’il est trop vertical, trop autoritaire, qu’il devrait davantage écouter le Parlement et, lorsqu’il l’écoute – ce qui a été fait – et soutient un certain nombre d’avancées, le lui reprocher, en affirmant qu’il aurait dû s’opposer à certaines des propositions du Sénat. Un compromis, ce n’est pas cela ; le compromis, c’est ce que nous avons obtenu.
Je pense que ce projet de loi est important, stratégique, extrêmement structuré. Bien sûr qu’il donne lieu à un certain nombre de débats, de critiques et de remarques, je le vois bien, mais il acte, non pas un accord absolu ou une unanimité, mais un compromis entre le Parlement et le Gouvernement, ce dont je me réjouis.
Pour toutes ces raisons, le groupe RDPI votera ce texte.
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie Mme la rapporteure de nous avoir permis d’avoir un débat à la hauteur des enjeux que revêt la recherche pour notre société. Le groupe RDSE a soutenu en première lecture le projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030. Ce texte a pour but d’éviter le décrochage de la recherche française et d’améliorer l’attractivité du secteur, en particulier des carrières universitaires.
Par définition, un compromis n’est jamais entièrement satisfaisant et j’entends qu’il peut rester certains points de désaccord. Ceux-ci ne doivent pas faire oublier l’essentiel, à savoir redonner des moyens, du temps et de la visibilité à la recherche publique française.
Je salue une nouvelle fois la trajectoire budgétaire prévue, avec en moyenne 500 millions d’euros supplémentaires chaque année pendant dix ans en faveur de la recherche publique. À ces crédits nouveaux s’ajoute l’effort substantiel du plan de relance, qui consacrera dès l’année prochaine près de 6,5 milliards d’euros à l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation.
Cette programmation met donc fin à une période de sous-investissement chronique, qui a vu notre pays décrocher par rapport aux autres pays de l’OCDE. Pour autant, je ne peux qu’émettre une déception sur le texte issu de la commission mixte paritaire concernant la durée et le niveau de la programmation, même si, pour parvenir à un accord, nous n’avions d’autre choix que d’accepter la durée de dix ans.
Néanmoins, le Gouvernement a entendu la position du Sénat et accepté de revoir sa copie en présentant une nouvelle trajectoire des autorisations d’engagement de l’ANR, plus ambitieuse sur les deux premiers exercices. Le taux de succès des appels à projets de l’ANR atteindra ainsi 30 %, contre 16 % actuellement.
De même, l’augmentation du préciput, fixé à 40 %, constitue un effort important pour renforcer l’abondement financier des établissements, afin de soutenir les laboratoires et unités de recherche.
Dans un contexte de baisse du nombre de doctorants, ces nouveaux moyens serviront également l’objectif prioritaire d’améliorer l’attractivité des métiers et de sécuriser les carrières : 92 millions d’euros seront ainsi consacrés dès cette année à la réévaluation des rémunérations.
De plus, une nouvelle voie de recrutement s’ouvre avec les chaires de professeurs juniors. Les ultimes débats ont abouti à la fixation d’un plafond de 15 % de professeurs juniors recrutés par année dans les universités ; il pourra atteindre 20 % dans les organismes de recherche. Ce compromis constitue un équilibre raisonnable, d’autant que ce nouveau mode de recrutement, très attendu dans certains domaines de recherche, doit demeurer une voie secondaire.
Je tiens à saluer les différentes mesures du texte qui renforcent l’intégrité scientifique et préservent les libertés académiques. Si la science a besoin d’un débat permanent pour avancer, celui-ci doit toujours se déployer dans le respect de certaines règles qui garantissent, l’impartialité, l’honnêteté et la rigueur des recherches.
J’en viens aux deux dispositions qui ont provoqué ces derniers jours un certain émoi au sein de la communauté universitaire scientifique et un encombrement important de nos réseaux sociaux. (Sourires.)
L’article 3 bis ne prévoit rien d’autre que la possibilité, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, de déroger à la qualification par le CNU pour le recrutement des professeurs des universités. De solides garde-fous ont été mis en place par le Sénat : les établissements doivent par exemple obtenir l’accord de leur conseil d’administration pour y déroger. Avant une éventuelle généralisation, cette expérimentation sera soumise à une évaluation spécifique du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur et devra faire l’objet d’un examen par le Parlement.
À l’inverse, j’appelle à une grande vigilance concernant l’article 20 bis AA, qui instaure un délit d’entrave à la tenue de débats organisés au sein des établissements d’enseignement supérieur.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Bernard Fialaire. Cette disposition est insérée dans le code de l’éducation et fait référence au code pénal pour le régime des sanctions applicables.
Notre objectif n’est certainement pas de limiter la liberté d’expression ni celle de manifestation au sein des universités, qui sont des lieux d’échanges par excellence. Madame la ministre, pourriez-vous nous rassurer sur ce point et nous confirmer qu’il s’agit seulement d’empêcher toute intrusion extérieure ?
M. le président. Il faut vraiment conclure, mon cher collègue !
M. Bernard Fialaire. J’aurais fini plus tôt si j’avais un peu de Beaujolais nouveau ! Je suis un élu du Beaujolais, je ne bois pas que de l’eau ! (Exclamations amusées.)
M. le président. Cela ne vous donnera pas droit à 20 % de temps de parole supplémentaire ! (Rires.)
M. Bernard Fialaire. En conclusion, dans le respect de la liberté de vote du groupe RDSE, la majorité d’entre nous votera ce texte dans la rédaction résultant des travaux de la commission mixte paritaire, qui porte le beau projet de replacer la science au cœur de notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale a regretté le fonctionnement du Conseil constitutionnel et a souhaité que sa saisine par des parlementaires puisse être l’occasion d’un débat contradictoire.
Comme les trois groupes placés à la gauche de cette tribune saisiront les Sages sur ce projet de loi et afin de satisfaire la demande de notre collègue députée, je me permets de vous donner la possibilité, madame la ministre, de défendre, par contumace (Sourires), des dispositions sur lesquelles nous demanderons la censure du Conseil constitutionnel.
Nous doutons de la sincérité de cette programmation budgétaire, qui reporte aux deux dernières années de la décennie l’essentiel de son effort. Pis, comment accepter que le Parlement se prononce, dans le même temps, sur un projet de loi de programmation dont le budget pour l’année 2021 constitue la première étape et sur le projet de loi de finances pour cette même année ? Ainsi, nous débattons ce jour du projet de loi de programmation alors que l’Assemblée nationale a déjà adopté le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche pour l’année 2021.
M. Max Brisson. C’est vrai !
M. Pierre Ouzoulias. À l’occasion de sa discussion par l’Assemblée nationale, notre collègue Cédric Villani, rapporteur pour avis du budget des grands organismes de recherche, s’étonnait de la stagnation des moyens budgétaires des grands opérateurs de recherche, en contradiction manifeste avec les engagements contenus dans le projet de loi de programmation.
Enfin, la commission mixte paritaire a adopté, à l’article 20 bis AA, une disposition sur le délit d’entrave, qui n’a été discutée dans aucune des deux chambres et pour laquelle je n’ai pu exercer mon droit constitutionnel d’amendement.
Par ailleurs, sur la méthode, je regrette vivement que certaines dispositions de ce texte n’aient fait l’objet d’aucune discussion pendant les deux années de sa préparation. Ainsi, sur la réforme du Conseil national des universités, qui participe avec les chaires de professeurs juniors à l’instauration d’un accès à ce corps laissé à la discrétion des présidents d’université, vous avez préféré la tribune d’un journal du soir à celle du Sénat pour nous informer que vous assumiez la fin du monopole de la qualification par le CNU. Il eût été alors de bonne politique que vous défendissiez vous-même, dans cet hémicycle, cette remise en question majeure d’une mission confiée au CNU par l’ordonnance du 2 novembre 1945 et constitutive d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Je partage l’extrême préoccupation de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche, notamment des juristes auxquels vous ne pouvez reprocher de ne pas comprendre la loi. Elle a le sentiment d’avoir été obligée de signer un pacte faustien : en échange d’une hausse budgétaire illusoire, il lui est demandé d’accepter une triple soumission, liberticide, utilitariste et entrepreneuriale.
En 449 avant notre ère, protestant contre le despotisme des magistrats, la plèbe romaine se retira sur le mont Sacré et refusa de participer aux affaires de la cité. (Sourires.) Dans la solitude du forum, des sénateurs s’écrièrent : « Qu’attendez-vous encore, sénateurs ? Si les [magistrats] ne mettent pas une borne à leur obstination, souffrirez-vous que tout périsse dans une conflagration générale ? […] Est-ce pour les toits et les murailles que vous ferez des lois ? » (Nouveaux sourires.)
L’enseignement supérieur et la recherche ne peuvent s’administrer sans la participation volontaire de tous ses acteurs. Une loi ne pourra leur imposer de collaborer au démantèlement de la gestion collégiale, qui garantit leurs libertés universitaires.
Chers collègues sénatrices et sénateurs, alors que la plèbe universitaire vous appelle à la raison, entendez-la et ne faites pas une loi « pour les toits et les murailles ». Refusez de voter ce texte ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)