8803/01 EUROPOL 43/2001
du 21/05/2001
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 27/06/2001
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 29/05/2001Examen : 26/06/2001 (délégation pour l'Union européenne)
Justice et affaires intérieures
Communication de M. Paul
Masson sur la conférence interparlementaire relative au contrôle
démocratique d'Europol
Textes E 1719, E 1736, E 1737 et E
1738
6876/01 EUROPOL 22, EUROPOL 41/2001
EUROPOL 42/2001, EUROPOL
43/2001
(Réunion du 26 juin 2001)
Les deux chambres du Parlement néerlandais ont organisé, les 7 et 8 juin 2001, à La Haye, une conférence interparlementaire consacrée au contrôle démocratique d'Europol, qui est une institution intergouvernementale créée par le traité de Maastricht, et dont la convention fondatrice a été mise en vigueur en juillet 2000.
La plupart des parlements des Etats membres de l'Union européenne, ainsi que le Parlement européen, étaient représentés, à l'exception du Royaume-Uni (pour cause d'élections générales), de l'Allemagne et de la Finlande. Les pays candidats n'avaient pas été invités. L'Assemblée nationale n'était pas représentée. Le directeur d'Europol, M. Storbeck, et le commissaire Vitorino ont également participé à une partie des travaux de la conférence. La conférence a été reçue au siège d'Europol pour y entendre des exposés des principaux responsables de secteurs (lutte contre la drogue, traite des êtres humains et faux monnayage).
Un questionnaire, préparé par des universitaires, avait préalablement été envoyé aux assemblées, dont huit avaient répondu. Il portait sur les débats internes concernant Europol, le contrôle parlementaire, les relations entre le gouvernement et les institutions parlementaires, l'obligation d'information d'Europol et l'autorité compétente sur Europol, l'immunité des fonctionnaires d'Europol, la lutte contre la criminalité organisée, l'extension des compétences d'Europol.
Cette conférence s'inscrivait dans la suite des précédentes initiatives parlementaires de contrôle des matières de justice et affaires intérieures, la dernière remontant à la conférence interparlementaire organisée à Luxembourg, par le Parlement du Benelux, en décembre 1995. Mais, à la différence des précédentes rencontres, celle-ci a montré une double évolution : d'abord, une meilleure perception de la nécessité du contrôle parlementaire des questions de police et de sécurité intérieure ; ensuite, de nouvelles suggestions pour le contrôle parlementaire d'Europol.
I. UNE MEILLEURE PERCEPTION DE LA NÉCESSITÉ DU CONTRÔLE PARLEMENTAIRE DES QUESTIONS DE POLICE ET DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE
J'ai, dès l'ouverture de la conférence, insisté sur les carences en information des Parlements nationaux au regard d'Europol. La responsabilité du contrôle d'Europol incombe aux Parlements nationaux, mais l'exemple du Parlement français montre que ce contrôle n'est pas facile et reste très théorique, faute d'informations utiles, en particulier sur l'évolution prévisible de cet organe.
J'ai souligné le fait que l'essentiel, pour un Etat démocratique, est l'équilibre des pouvoirs, plus encore que le contenu des compétences ou le fonctionnement des institutions. A ce titre, le contrôle de la police nationale s'appuie sur des contrôles permanents qui sont inséparables du droit du Parlement national. Mais, pour Europol, on est dans l'incapacité de savoir qui contrôle cet organe. Quel en est le responsable politique ? Où est exercé le contrôle parlementaire, d'autant que le Parlement européen n'est en aucune façon impliqué dans Europol, compte tenu de son statut intergouvernemental ? Le Parlement européen est seulement informé par le Conseil des ministres.
De mon point de vue, il me semble qu'une évolution plus intégrée de la politique européenne de sécurité intérieure ne peut être envisagée sans la mise en place d'un dispositif de contrôle politique qui reste à définir. Pour l'instant, ce contrôle est en théorie assuré par le Conseil Justice et affaires intérieures (JAI) qui n'aborde que très épisodiquement le fonctionnement d'Europol, laissant la bride sur le cou au conseil d'administration qui est composé de hauts fonctionnaires de police des Etats membres.
J'ai suggéré qu'un contrôle parlementaire se mette en place par le moyen de la désignation, dans chaque assemblée, d'une délégation nationale auprès d'Europol. Un comité plus restreint de parlementaires nationaux, spécialisés dans les questions de police, pourrait se réunir plus fréquemment à La Haye pour suivre le développement des actions d'Europol. Ma suggestion a rencontré une large approbation, une rencontre régulière de parlementaires nationaux spécialisés sur les questions de troisième pilier étant une première réponse au besoin de contrôle démocratique de cet organe de police européen intergouvernemental. Cet organe pourrait, par exemple, débattre du programme de travail et du rapport annuel au Conseil Justice et affaires intérieures.
J'ai ajouté que si, par négligence, suspicion ou commodités, les parlements nationaux étaient écartés ou s'excluaient eux-mêmes de ce contrôle, on pourrait craindre que des juridictions nationales considèrent les actes de procédure impliquant Europol comme contraires aux droits de l'homme.
La visite effectuée au siège d'Europol a été l'occasion pour la plupart des participants de mesurer les lacunes de l'information des parlements nationaux sur la réalité des engagements pris par cette organisation. C'est ainsi que les fonctionnaires d'Europol ont mentionné l'existence d'accords avec la Norvège et l'Islande qui seront signés par le Conseil en juillet de cette année, d'accords avec des pays candidats comme la Hongrie et la Pologne, mais aussi avec d'autres pays comme les Etats-Unis ou la Russie, d'un accord en cours de ratification avec Interpol, essentiellement justifié par un besoin d'informations sur la contrefaçon de l'euro.
Cette visite a aussi permis de constater les lacunes dans l'organisation d'Europol. Son système informatique n'est toujours pas opérationnel, plus de huit ans après le démarrage de l'unité provisoire (UDE drogue), en partie à cause de l'obligation de fonctionnement en onze langues qui lui a été imposée par le Conseil. Le système informatisé de transmission d'informations sur la contrefaçon de l'euro ne démarrera qu'au 1er janvier 2002, ce qui semble bien tardif compte tenu de l'échange des pièces et des billets précisément à la même date. Des lacunes juridiques seraient en outre à l'origine d'une remise en cause de la validité judiciaire des preuves fournies par Europol dans le cadre d'enquêtes communes.
S'agissant en particulier de la contrefaçon de l'euro, il est apparu pour le moins inquiétant que les services nationaux de lutte contre le faux-monnayage n'aient montré jusqu'à présent qu'un empressement tout relatif pour communiquer à Europol les informations qui leur étaient demandées. Le responsable Europol du secteur n'a d'ailleurs pas été informé par ses collègues nationaux du vol de l'hologramme de l'euro intervenu lors de son transport entre la France et l'Allemagne et Europol a dû recourir à une procédure non conforme à la Convention pour réaliser un début de coopération dans ce domaine avec les services de police nationaux.
Par ailleurs, les procédures de lutte contre le faux-monnayage pratiqué à l'extérieur de l'Union européenne ne sont pas encore arrêtées : quel État aura la responsabilité d'initier les enquêtes et les commissions rogatoires ? Quels moyens - en particulier en termes de renseignement - seront mis en oeuvre pour la contrefaçon réalisée dans des pays non coopératifs ? Quel sera le mode opératoire des équipes communes qui pourraient comprendre un représentant de la Banque centrale européenne, un représentant d'un service national de police compétent et un représentant d'Europol, situation qui impliquerait d'ailleurs que le représentant d'Europol dispose d'une capacité à agir dans le cadre d'une équipe conjointe, capacité qui n'a pas encore été accordée aux fonctionnaires d'Europol.
Chacun de ces points mériterait à lui seul un examen attentif, par exemple les conditions de collaboration avec des pays candidats qui n'appliquent pas encore les règles européennes de protection des données nominatives, ou encore le contrôle de la qualité des informations transmises par Interpol pour certains pays membres de l'organisation (cet argument ayant notamment été avancé en son temps pour justifier la création d'Europol aux dépens d'Interpol).
II. DE NOUVELLES SUGGESTIONS POUR LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE D'EUROPOL
La Commission européenne a un statut d'observateur au conseil d'administration d'Europol. Le commissaire européen chargé des affaires de justice et de sécurité intérieure, M. Antonio Vitorino, est intervenu devant la Conférence pour faire connaître la position officielle de la Commission sur la question du contrôle démocratique d'Europol. Le commissaire s'est prononcé nettement en faveur « d'une forme d'association entre les parlementaires nationaux et les parlementaires européens » pour l'exercice de ce contrôle, d'abord dans un cadre informel qui pourrait ultérieurement être institutionnalisé.
Ce « super-comité » parlementaire représentant les parlements nationaux et le Parlement européen pourrait se réunir deux fois pas an avec une antenne plus restreinte qui assurerait le contact permanent avec Europol à La Haye. Ce comité parlementaire pourrait notamment se saisir du rapport annuel d'Europol au Conseil JAI, ainsi que du budget d'Europol. Le commissaire a indiqué que cette position serait prochainement traduite dans un document de la Commission au Conseil et au Parlement européen et que, en tout état de cause, la modification de la Convention nécessaire pour tenir compte du traité d'Amsterdam - que la Commission prévoit de transmettre au Conseil en janvier 2002 - ne pourrait être envisagée sans la mise en place d'un mécanisme de contrôle parlementaire d'Europol.
Le directeur d'Europol, M. Storbeck, a soutenu la proposition du commissaire Vitorino en indiquant que son organisation voit de manière positive un contrôle de ses activités par des parlementaires qui, seuls, peuvent soutenir le développement futur d'Europol. Le contrôle actuel n'est pas efficace, essentiellement parce qu'il relève de quinze contrôles nationaux différents. Les risques de contradictions entre ces contrôles sont nombreux et la procédure actuelle, qui fait parfois intervenir deux fois pour un même objet les parlements, est inutilement longue et complexe sans être pour autant satisfaisante pour les parlementaires nationaux. Un travail en réseau des parlementaires permettrait de raccourcir les délais du contrôle tout en le rendant plus opérationnel.
M. Van Owen, membre de la deuxième Chambre du Parlement néerlandais et organisateur de la Conférence, a ainsi résumé les travaux de la Conférence :
1. On constate un accord général sur la légitimité de l'existence d'Europol pour lequel le climat de méfiance antérieur semble avoir diminué ;
2. Les intervenants ont clairement montré une forte attente des parlements nationaux pour la mise en place d'un contrôle adapté d'Europol ;
3. Le rôle particulier qui a été confié à Europol par les traités et le Conseil est un défi pour les parlements nationaux en terme de contrôle démocratique ;
4. La nouvelle étape qui va porter sur l'attribution d'une compétence exécutive à Europol constituera une modification substantielle de la convention Europol ;
5. Le travail des sous-groupes de la Conférence a souligné les lacunes du contrôle des parlements nationaux sur Europol et le besoin d'amélioration des relations entre le Parlement européen et les parlements nationaux ;
6. L'introduction de l'euro et sa contrefaçon - premier crime européen grave - représentent une opportunité unique, mais aussi un risque important pour Europol dont le prestige serait très atteint en cas d'échec ;
7. Les parlements, qui dépendaient jusqu'ici exclusivement de leurs gouvernements pour être informés sur Europol, viennent de constater par cette Conférence qu'ils peuvent s'organiser pour assurer les tâches qui leur sont confiées par les citoyens. L'approbation des modifications à la Convention d'Europol doit être l'occasion de mettre en place ce nouveau contrôle coordonné des parlements nationaux.
Les conclusions de la Conférence, qui seront transmises aux présidents des assemblées, proposent la création d'un groupe de travail chargé du suivi de cette Conférence ; une « troïka » comprenant des représentants des Parlements néerlandais, suédois et belge, est chargée d'organiser la prochaine réunion de la Conférence qui aura lieu en décembre 2001 à Bruxelles. L'ordre du jour de cette prochaine Conférence pourrait être l'examen des nouvelles compétences d'Europol et la contrefaçon de l'euro.
Le Parlement français ne peut naturellement que s'associer à cette initiative qui vient à point nommé pour traduire les nombreuses observations faites dans le passé par la délégation du Sénat sur le fonctionnement, le budget et les orientations d'Europol. Cette communication est d'ailleurs l'occasion de procéder à l'examen de plusieurs propositions d'actes européens concernant Europol (E 1719, E 1736, E 1737, E 1738) qui portent respectivement sur l'extension du mandat d'Europol à la lutte contre les formes graves de criminalité internationale et à la conclusion d'accords de coopération entre Europol et la Norvège, l'Islande et Interpol.
Pour être cohérent avec les conclusions de cette conférence que j'approuve totalement, je propose à la délégation qu'elle lève la réserve d'examen parlementaire sur ces textes, mais qu'elle assortisse dorénavant son accord, pour tout document concernant Europol, d'une prise de position générale qui lie cet accord à la mise en place d'une conférence interparlementaire de contrôle d'Europol.
Compte rendu sommaire du débat
M. Hubert Haenel :
La communication de M. Masson soulève de nombreuses questions. Par exemple celle des rapports entre Europol et Eurojust. Je constate d'ailleurs que les propositions faites par la conférence de La Haye pour le contrôle parlementaire d'Europol rejoignent celles que nous a proposées Daniel Hoeffel dans son rapport sur la deuxième chambre.
M. Maurice Blin :
Paul Masson vient de nous livrer un certain nombre de critiques sur le fonctionnement actuel d'Europol qui sont certainement fondées compte tenu de sa grande expérience en la matière. Mais j'aimerais lui demander pourquoi Europol a été créé et si son existence ne résulte pas d'une nécessité de lutter au niveau européen contre certaines formes nouvelles de criminalité. Quels sont les résultats obtenus par cette organisation ? Finalement, à quoi sert Europol ?
M. Paul Masson :
Pour répondre à cette question, j'aimerais rappeler tout d'abord les différences entre les traditions policières allemande et française. La tradition allemande, après la période du nazisme et en réaction contre la centralisation du Reich, est celle d'une grande indépendance des polices des Länder. A l'inverse, la tradition policière française reste très liée à la centralisation des moyens dans un cadre très hiérarchisé. Ce sont ces deux logiques opposées qui se sont affrontées lors de la négociation du traité de Maastricht, puis de la convention d'Europol, et entre lesquelles il a fallu arbitrer avec l'injonction du président de la République française de trouver un compromis. Huit ans après, on constate que le résultat n'est pas satisfaisant. L'organisation est très pesante et dépend totalement, pour son information, du bon vouloir des polices nationales. Il ne faut pas croire par exemple qu'Europol a la capacité de procéder à des enquêtes opérationnelles de terrain, comme le font les polices nationales. Europol fonctionne sur la base des données qui lui sont transmises, qu'elle retravaille et redistribue aux polices nationales.
De mon point de vue, Europol est un système qui est largement dépassé par la coopération Schengen. Mais la rivalité entre Europol et Schengen n'en est que plus vive. Je suis évidemment très dubitatif sur l'efficacité réelle de l'organisation telle qu'elle fonctionne à l'heure actuelle. Bien entendu, il faut faire avec ce qui existe et il convient donc d'améliorer cette structure. Mais je souligne qu'on ne peut pas faire de comparaison valable avec la police fédérale américaine qui s'appuie sur d'autres éléments comme ceux d'une tradition policière commune, d'une langue commune, d'un environnement judiciaire fédéral etc...Il ne faut surtout pas perdre de vue que les questions de police sont avant tout une affaire de détails et de pratique quotidienne.
A la suite de cette communication, la délégation a décidé de lever la réserve parlementaire sur les textes E 1719, E 1736, E 1737 et E 1738.