2ème JOURNÉE DES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER - Destination monde
Sénat - 1er mars 2008
TABLE RONDE N°2
RAYONNEMENT CULTUREL FRANÇAIS À L'ÉTRANGER :
UNE AMBITION AU RÉGIME SEC
450 établissements scolaires, 149 centres et instituts culturels, 1.085 Alliances françaises, une chaîne de télévision francophone, une chaîne d'information et une radio internationale, la culture française rayonne dans plus de 130 pays. Pourtant, au-delà des discours sur la promotion de la diversité culturelle, le rayonnement de notre culture ou la place de notre langue, les financements consacrés à l'action culturelle extérieure sont en constante diminution ces dernières années. La France en fait-elle assez pour valoriser la culture, la langue et les valeurs françaises à l'étranger ? |
Table ronde animée par Yves-Marie LABÉ, co-responsable des pages Focus du Monde
Avec :
Maryse BOSSIERE , directrice de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE)
Jean-Pierre BAYLE , président de la Mission laïque française
Jean-Michel LACROIX , directeur général du CNED
Marie-Christine SARAGOSSE , directrice de la coopération culturelle et du français à la direction générale internationale de la culture et du développement (DGCID)
Jean-Pierre de LAUNOIT , président de l'Alliance française
Georges-Marc BENAMOU , conseiller auprès du Président de la République
François BONNEMAIN , président de TV5 Monde
Jean-Yves BONSERGENT , directeur général en charge de la distribution, des technologies et des directions fonctionnelles de France 24
Antoine SCHWARZ , président de RFI
Yves-Marie LABÉ
Le débat que nous avons ce matin est en quelque sorte une réponse à la une de Time Magazine du 3 décembre 2007 qui titrait sur la mort de la culture française. Les personnalités présentes à cette table ronde démontrent au contraire la vitalité de la culture française, de sa langue de ses valeurs, et du réseau culturel français dans le monde.
Mme Maryse BOSSIÈRE, pourriez-vous nous présenter le réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE) ?
Maryse BOSSIÈRE, directrice de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE)
Le réseau de l'AEFE est unique au monde. Il compte plus de 450 établissements dans pratiquement tous les pays du monde et accueille 260 000 élèves, dont 160 000 sont gérés directement par l'Agence. L'enseignement français à l'étranger représente un budget global de plus d'un milliard d'euros, dont 450 millions d'euros correspondent aux ressources propres de l'Agence, le reste étant pris en charge par les familles.
On peut considérer ce réseau comme un succès absolu, il constitue l'un des grands systèmes d'enseignement de référence dans le monde. Le développement spontané du réseau ne s'est pas démenti depuis la création de l'Agence en 1990, avec un bon millier d'élèves supplémentaires chaque année. Le rythme s'est accru ces deux dernières années pour trois raisons : l'expatriation croissante des Français ; une plus grande attractivité de la pédagogie pour les élèves étrangers à la suite de changements pédagogiques ; l'explosion du marché de l'enseignement scolaire partout dans le monde. L'éducation est en effet devenu une priorité pour les familles, qui y consacrent une part de plus en plus importante de leurs revenus. De ce fait, en 2006-2007, ce ne sont pas 1 000 élèves supplémentaires que nous avons dû accueillir mais 5 000, dont 4 000 Français.
Pourquoi y a-t-il moins d'élèves étrangers que de Français ? A cause de la saturation de nos établissements. La plupart de nos grands établissements, notamment en Europe, n'arrivent plus à accueillir d'élèves supplémentaires. Un plan d'investissements de plus de 200 millions d'euros a été décidé pour les trois années qui viennent, mais en attendant sa mise en oeuvre, les listes d'attente s'allongent. De plus, l'attractivité du réseau va s'accroître en raison de la décision récente du Président de la République de faire prendre en charge par la collectivité nationale les frais de scolarité des enfants français, d'abord dans le second cycle, puis éventuellement dans le primaire. Cette mesure a été mise en oeuvre à la rentrée 2007 pour les classes de terminale. Les formulaires de prise en charge viennent d'être envoyés aux familles pour l'année 2008-2009 pour les classes de première et de terminale. Les crédits correspondant s'élèvent à 20 millions d'euros chaque année.
Le succès de l'AEFE est mérité car c'est le seul système d'enseignement capable d'offrir une qualité homogène dans toutes les villes du monde. Les établissements américains ou britanniques n'ont pas derrière une enseigne commune un système d'enseignement homogène.
Si nous sommes dans une période particulièrement enthousiasmante, nous vivons cependant une crise de croissance. Les choses s'accélèrent. Certes, nous avons bénéficié de crédits supplémentaires pour la prise en charge des frais de scolarité du second cycle et pour les bourses destinées aux élèves des autres cycles ; et, pour la première fois, nous avons obtenu 8 millions d'euros supplémentaires pour les investissements dans le budget 2008. Néanmoins, les besoins sont de plus en plus importants et les crédits de fonctionnement ne suivent pas le même rythme. En bref, les crédits consacrés à la structure n'augmentent pas aussi rapidement que les aides à la personne. Il y a urgence : nous avons besoin de 1 000 euros par an et par élève pour assurer le développement du réseau dans de bonnes conditions. Traditionnellement, il y a trois financeurs : l'État, les familles, et puis, les pays d'accueil et les entreprises, pour qui nous travaillons et avec lesquels nous avons à envisager la possibilité de participer à ce développement.
Yves-Marie LABÉ
Monsieur Bayle, la Mission laïque française doit-elle faire face aux mêmes problèmes de croissance que l'AEFE ?
Jean-Pierre BAYLE, président de la Mission laïque française
La Mission laïque a traversé de nombreuses périodes dangereuses au cours de son histoire. Association crée en 1902, elle gère aujourd'hui 87 établissements, répartis dans 40 pays, accueille 37 000 élèves - dont 15 % de Français seulement, ce qui nous distingue de l'AEFE - et emploie 1 800 enseignants français sous divers statuts dont 1 100 recrutés locaux.
34 de nos établissements sont des écoles d'entreprise, créées pour répondre aux besoins des grandes entreprises françaises dans des zones - chantiers, plateformes pétrolières, bases vides... - où n'existent pas d'autres établissements. Nous offrons un service d'école clé en main permettant aux familles expatriées de s'installer dans de bonnes conditions.
La mission laïque s'est d'abord implantée dans les pays qui nous l'ont demandé, ce qui explique que nous n'accueillons que 15% de Français. Aujourd'hui, ce sont les élèves étrangers qui permettent à nos établissements d'exister. J'insiste sur cette , participant du rayonnement de la France dans le monde.
Les parents d'élèves viennent chercher la qualité de notre enseignement français et du travail de nos enseignants. Notre pédagogie « à la française » est fondée sur l'exigence de l'effort et la qualité de la relation entre le maître et l'élève. Dans ce cadre, la certification dont nous bénéficions de la part du Ministère de l'Éducation nationale et les liens que nous pouvons entretenir avec lui sont primordiaux pour notre réseau. Le Président de la République qui est venu inaugurer un établissement à Doha au Qatar il y a quelques semaines a saisi tout le sel de notre devise : « deux cultures, trois langues ».
La Mission laïque a connu beaucoup de dangers au cours de son histoire. Elle a même failli disparaître à plusieurs reprises. Au moment de la montée des nationalismes arabes à la fin des années 1950, nous avons dû quitter l'Égypte et la Syrie (où nous avons cependant été indemnisés) ; en 1979, lors du retour de l'Ayatollah Khomeiny, le grand lycée Razi (3.000 élèves) de Téhéran a été nationalisé sans autre forme de considération. Les pays dans lesquels nous sommes implantés ne sont pas de tout repos sur le plan géostratégique. Au Liban qui constitue le gros de notre réseau, avec 10 000 élèves, les établissements ont servi de base pour le regroupement des Français au moment des événements de juillet 2006, notamment le lycée de Nabatieh dans le sud. A Port Harcourt, au Nigéria, nous avons été obligés de fermer l'école Total sans savoir quand elle pourra être ré ouverte.
La Mission doit faire face également à des risques financiers. Nous avons été amenés à construire beaucoup d'établissements. Elle a besoin de moyens, non seulement pour investir, mais aussi pour rénover des établissements, notamment au Maroc.
Il y a également des risques inattendus comme le décret de décembre 2007 selon lequel l'employeur doit verser la part patronale des cotisations de retraite. Cette mesure a augmenté la masse salariale des enseignants détachés dans des proportions considérables.
Nous nous trouvons dans la même situation qu'une entreprise qui vendrait un bon produit mais qui verrait ses coûts de production augmenter très sensiblement avec une hausse de ses charges salariales. La tentation serait de capituler et de privilégier un modèle low cost , en jouant sur la qualité du recrutement. Mais c'est contraire à notre philosophie. Notre priorité est de maintenir la qualité de notre enseignement.
Une autre tentation consisterait à privilégier la gestion de l'existant sans vision prospective. Nous réfléchissons aussi à des solutions pour poursuivre nos investissements dans les meilleures conditions. Peut-être faudrait-il envisager de diversifier nos activités, en créant d'autres filières qui répondraient à une demande, au-delà de l'enseignement général...
En conclusion, pour pouvoir continuer à promouvoir la vision du monde qui est celle de la France et faire venir les étrangers vers nous, il est nécessaire de mobiliser bien plus que de l'argent. Il faudrait faire de cet investissement intellectuel tout à fait nécessaire une grande cause nationale. Il est temps que les Français ouvrent la fenêtre sur le monde.
Yves-Marie LABÉ
Les Français ne se rendent pas réellement compte de ce qui se fait à l'étranger et de la qualité des réseaux existants. M. Lacroix, le CNED affronte-t-il également des dangers ?
Jean-Michel LACROIX , directeur général du CNED
Mes deux collègues ont des problématiques ont insisté sur la croissance. Nous sommes dans une stagnation qui ne relève pas de la même problématique. Le CNED représente le troisième opérateur de l'enseignement pour les expatriés. Jusqu'à présent, nous travaillions de manière assez cloisonnée. Comme les deux autres opérateurs, nous participons très activement à la valorisation du système d'enseignement français à l'étranger. Nous sommes aussi très soucieux de qualité et d'excellence et suivons les programmes de l'Éducation nationale, sous la double tutelle du ministère de l'Éducation nationale et du ministère de l'Enseignement supérieur et nous puisons dans un vivier de professeurs recrutés selon la procédure des concours nationaux. Nous essayons d'être présents sur le marché de manière complémentaire et non concurrentielle avec les autres opérateurs. J'appelle de mes voeux une plus grande solidarité entre opérateurs afin d'assurer de façon plus solidaire l'accompagnement de nos élèves.
A côté de l'AEFE, le CNED est un petit opérateur, un établissement public administratif « sans territoire », ou plutôt dont le territoire n'a pas de limite, avec un budget de 145 millions d'euros - le produit de nos ventes - et 30 000 inscrits. Il constitue une structure, non pas de second choix, mais complémentaire, lorsque l'accueil n'est pas possible faute d'établissement.
Nous sommes l'école de la réussite ; beaucoup nous doivent d'avoir repris espoir. Il faut arrêter d'opposer le « présentiel » et le « à distance ». Tous les enfants qui arrivent à l'école aujourd'hui savent se servir d'un ordinateur. Il est primordial d'intégrer des initiations aux nouvelles technologies dès la formation initiale et de ne pas les séparer du reste des enseignements. Arrêtons aussi de parler de « cours par correspondance ». Certes, le support papier existe encore, mais la révolution Internet a eu lieu, le CNED s'est largement modernisé, la majorité de nos produits sont désormais en ligne. Internet permet de décliner de façon concrète le concept politique d'égalité des chances et d'offrir les mêmes enseignements sur tous les territoires, du plus enclavé au plus éloigné. Cette égalité est invalidée dans les faits dans un certain nombre de nos structures scolaires.
J'ajoute que le « présentiel » n'implique pas nécessairement un accompagnement pédagogique personnalisé. Dans un établissement saturé, où l'élève reçoit une succession d'enseignements donnés par des professeurs qui connaissent mal leurs élèves, je n'appelle pas cela un accompagnement personnalisé. Le CNED, lui, a mis en place une gestion individuelle de ses inscrits grâce au développement du tutorat malgré la distance. Il apporte une forme de proximité à travers son savoir-faire. Au CNED, un élève de quatrième dispose de cours en ligne et d'un tuteur en ligne. Il est soumis à douze contrôles. Il a un conseil de classe, un livret scolaire, etc.
La formation tout au long de la vie est la deuxième mission du CNED. Chacun travaille à son rythme. Dans les reprises d'études - deux tiers sont des femmes - nous avons des réalisations éminentes. Nous pouvons réarticuler la formation initiale et la formation continue. Nous recherchons des formes hybrides d'enseignements, de manière à corriger les stéréotypes et les préjugés attachés à l'enseignement à distance. Nous organisons des séances de regroupements, des relais, des tutorats de proximité qui permettent de mélanger le « à distance » et le « présentiel ».
Enfin, le CNED est très ouvert aux partenariats et aux collaborations. Sur ce point, je me réjouis du rapprochement réel entre les Ministères de l'Éducation nationale et des Affaires étrangères. Mme Valérie Pécresse et M. Xavier Darcos ont bien saisi les enjeux de ce combat national pour préserver la culture française à l'étranger. Nous en avons une conscience particulièrement aiguë, nous qui accueillons beaucoup d'étrangers parmi nos inscrits. Nous venons de lancer un produit en partenariat avec le CIEP et avec le soutien du ministère des Affaires étrangères, destiné à l'accompagnement des 245 000 enseignants de français langue étrangère (FLE) à l'étranger. Ces modules permettant de bâtir une séquence pédagogique (conduite d'une classe, évaluation) connaissent un vrai succès et un très bon retour sur investissement. Les partenariats avec le secteur privé témoignent ainsi de l'entrée du principe de réalisme financier dans l'éducation nationale.
De la salle
Nous disposons d'un bon système, mais nous n'avons plus d'argent. La gratuité produit des effets pervers, car les bourses s'effondrent, les problèmes immobiliers s'accentuent et les entreprises y voient un effet d'aubaine. Cette situation est inquiétante.
Maryse BOSSIÈRE, directrice de l'AEFE
Cette vision n'est pas exacte. Nous ne manquons pas d'argent. Notre budget a augmenté de 28 millions d'euros cette année. Les crédits sont désormais consacrés prioritairement à l'aide directe aux personnes et, ensuite, aux investissements.
Le manque d'argent se pose pour le fonctionnement des établissements. Sur ce plan, l'Agence est amenée à accroître ses fonds propres et à réduire son aide s'agissant de l'appui à la masse salariale. On peut continuer à améliorer la gestion de ses établissements, lesquels continuent à accueillir de nouveaux élèves et donc à voir de nouvelles recettes arriver.
Je rejoins les préoccupations de Jean-Pierre Bel. Ce qui est effrayant, c'est de devoir assumer un renchérissement d'un tiers du coût de notre masse salariale du fait de l'intégration de la part patronale des cotisations, jusqu'alors exonérées. Bien sûr, l'Agence a reçu une subvention de 95 millions d'euros en compensation de cette dépense supplémentaire. Mais le développement de notre réseau sera plus difficile à l'avenir, dans la mesure où la subvention accordée en compensation de ce surcoût n'évolue pas au rythme des dépenses. Tout développement supplémentaire représentera un coût supplémentaire d'un tiers. C'est donc sur des recettes propres que nous gageons le développement de nos établissements. Nous devons imaginer un dispositif pour neutraliser ce coût.
Marie-Christine SARAGOSSE, directrice de la coopération culturelle et du français à la DGCID
Le décret du 17 décembre 2007 n'est pas destiné à frapper les lycées français de l'étranger, qui ont d'ailleurs été exonérés pour 2008 de son application suite à l'intervention d'un sénateur représentant les Français établis hors de France. L'objectif de l'État n'est pas d'entraver le développement des lycées. Bien au contraire, le ministre des Affaires étrangères a reçu de Nicolas Sarkozy une lettre de mission lui demandant de développer le réseau. Une commission coprésidée par le Ministère des Affaires étrangères et un représentant du Medef a été mise en place pour élaborer un plan de développement et trouver des solutions à ces questions.
Jean-Pierre BAYLE, président de la Mission laïque
La Mission laïque n'est pas un opérateur au sens de la LOLF, c'est-à-dire qui intervient pour le compte de l'État. C'est une association qui a noué un partenariat très privilégié avec l'État, mais qui agit pour le compte des entreprises. Dans l'hypothèse où l'Etat déciderait d'une subvention, je ne souhaite pas que la Mission soit subventionnée en tant que telle. En revanche, les conséquences sur les établissements doivent faire l'objet d'une compensation.
Monique CERISIER ben GUIGA, sénatrice représentant les Français établis hors de France
Ma question porte sur l'incohérence de la politique menée. Nous savons depuis longtemps que nos établissements manquent de crédits pour l'immobilier d'une part, et notamment la remise à niveau des bâtiments, et pour la masse salariale d'autre part. Il manque 95 millions d'euros pour couvrir les frais de personnel, et l'État débourse 20 millions d'euros, que personne n'a jamais demandés, pour la gratuité en terminale et en première, sans concertation et sans tenir compte des revenus des parents, alors. Il n'est pas normal que les fonctionnaires de l'État français soient payés par les familles. Parallèlement, les coûts de scolarité augmentent et les bourses sur critères sociaux n'augmentent pas d'un centime Les 200 millions d'euros nécessaires pour la mise à niveau des établissements manquent toujours. Pendant ce temps, la commission à laquelle nous participons rédigera un rapport qui ne sera suivi d'aucun effet.
Jean LACHAUD, conseiller à l'Assemblée des Français de l'étranger (circonscription de Washington)
La plus grande préoccupation des intervenants ici présents concerne l'application du décret de 2007. Nous pouvons donc nous étonner de l'absence d'un représentant du budget ici. Vous dîtes que le ministère du budget n'a pas tenu compte des établissements français de l'étranger, est-ce à dire qu'il ne sait pas ce qu'il fait ?
Par ailleurs, rien n'est prévu pour les établissements homologués, en particulier ceux des États-unis, où les familles ont l'impression qu'on leur reprend davantage d'une main ce qu'on leur a accordé de l'autre en termes de gratuité...
De la salle
Beaucoup de jeunes issus de l'étranger et disposant d'une double culture souhaiteraient partir en coopération dans leur pays d'origine pour contribuer à la lutte contre la fuite des cerveaux. Dans cette perspective, ces jeunes, souvent déscolarisés, souhaiteraient bénéficier du suivi individualisé proposé par le CNED pour se former. Cela permettrait d'éviter le risque que ces jeunes déscolarisés soient récupérés par des mouvements extrémistes ou sectaires.
Par ailleurs, sous le gouvernement Villepin, une agence de la cohésion sociale avait été mise en place par Mme Vautrin. Il serait bon que le ministère de Mme Fadela Amara soit associé aux travaux de la commission interministérielle que vous avez mise en place.
André FERRAND, sénateur représentant les Français établis hors de France
Il est vrai que dans sa réponse M. Woerth n'a pas explicitement cité le cas des écoles homologuées. Mais je vous confirme qu'elles bénéficieront également de la levée des dispositions du décret controversé.
Par ailleurs, je m'inscris en faux contre l'intervention caricaturale de ma collègue. La politique n'est pas incohérente. S'il est vrai que le décret de 2007 a posé quelques problèmes, ceux-ci ont été réglés. J'ai bon espoir que la commission mise en place sur l'enseignement français à l'étranger rendra ses conclusions dans un climat serein. Ce sujet n'est pas un problème d'ordre politique. Il est inutile de faire de l'opposition gratuite.
Durant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy a écrit aux Français de l'étranger sa conviction que l'enseignement français à l'étranger était essentiel. A cet égard, il a promis que l'Etat prendrait en charge les frais de scolarité des élèves des classes de lycées, mais également qu'il augmenterait l'enveloppe des bourses et qu'il développerait nos établissements sur le plan immobilier. Il a promis de dégager les crédits nécessaires. Personne ne s'attendait à ce qu'il mette toutes ces mesures en application dès la première année. On a commencé par les classes de terminale, pour étendre progressivement la gratuité aux premiers puis aux secondes. Je ne sais pas ce qui va se passer par la suite, mais il semble bien que le Président de la République ait l'intention de continuer.
Deuxième sujet : les bourses. Elles ont légèrement augmenté cette année pour tenir compte de l'inflation. C'est insuffisant. Il faudra augmenter sensiblement leur enveloppe de telle sorte que davantage de familles y soient éligibles. Car faute de financements publics, les familles sont de plus en plus sollicitées, par le biais de l'augmentation des frais de scolarité, pour financer les besoins des établissements (création de nouveaux établissements, modernisation, agrandissement). Cela pèse essentiellement sur les familles à revenus moyens qui ne sont pas éligibles à l'heure actuelle aux bourses.
Enfin, s'agissant de l'enveloppe de crédits destinés à financer les investissements du réseau, il faut rappeler que le budget de l'AEFE a été abondé en 2008 de 8,5 millions d'euros, ce qui n'est pas insignifiant. Je ne crois pas en conséquence qu'on puisse parler d'incohérence.
Maryse BOSSIÈRE, directrice générale de l'AEFE
L'amélioration du régime des bourses - 2 ème engagement présidentiel -, a commencé à trouver un début d'application cette année, avec un budget supérieur de plus de 7 millions d'euros par rapport aux crédits prévus pour 2008 (54 millions d'euros contre 47 millions d'euros programmés). Nous nous étions en effet rendu compte pendant la commission nationale des bourses de décembre dernier qu'un « dérapage » de plus de 7 millions d'euros se profilait par rapport au budget initial. Les autorités nous ont immédiatement confirmé que l'abondement nécessaire serait réalisé. Nous avons donc dès cette année une croissance importante du budget des bourses.
Néanmoins, depuis que le processus de prise en charge globale des frais de scolarité pour le second cycle a été engagé, les familles à revenus moyens sont de moins en moins enclines à comprendre pourquoi elles devraient supporter la totalité de la charge des frais de scolarité au primaire et au collège. Nous sommes face à des revendications de plus en plus pressantes de leur part tendant à un relèvement des seuils d'éligibilité aux bourses.
Jean-Michel LACROIX, directeur général du CNED
Il est important qu'il y ait une aide financière aux structures. L'article 11 de la loi Fillon sur l'école de 2005 a donné une base juridique au CNED ce qui est un très grand progrès. La publication prévue d'un décret permettra à notre établissement de sortir enfin de l'ambiguïté un peu schizophrénique dans laquelle il se trouve, dans la mesure où il doit répondre à deux missions : une mission de service public et de multiples sollicitations.
A la demande de Mme Valérie Pécresse et en lien avec les initiatives de Mme Amara, nous avons ainsi fait des propositions notamment sur le DAU (examen d'entrée à l'Université ou post-bac), et sur l'accès des jeunes des banlieues aux classes préparatoires aux grandes écoles, pour pouvoir compléter les dispositifs expérimentaux existants et traiter la demande en masse.
Car la force du CNED réside dans sa capacité à traiter des milliers d'inscrits et à industrialiser les parcours personnalisés. De plus, nos tarifs sont extrêmement compétitifs : une scolarité complète coûte de 100 à 400 euros. La subvention que nous recevons nous aide à maintenir ces tarifs. Pour le reste, il convient de définir le périmètre de l'obligation scolaire à laquelle nous sommes soumis. Si le CNED doit accompagner toutes les initiatives politiques, alors il faut lui en donner les moyens, dans le cadre de la contractualisation.
Jean-Pierre de LAUNOIT, président de l'Alliance française
Les Alliances françaises ne sont pas en concurrence avec les instituts culturels étrangers - British Council, Goethe Institute ou Institut Cervantès -, mais agissent avec eux. Nous organisons régulièrement des manifestations culturelles communes. Nous avons des co-localisations, comme à Glasgow, à Lahore ou en Bolivie. L'ensemble des six associations culturelles ont eu la fierté de recevoir des mains du Prince héritier d'Espagne, le Prix des humanités et de la communication des Asturies, en octobre 2005, témoignage de leur action culturelle à travers le monde.
Travailler avec d'autres associations n'implique pas nécessairement que nous soyons semblables. L'Alliance française présente une originalité, liée à sa formule. A cet égard, il faut rendre hommage à ses fondateurs, qui ont fait preuve de génie et d'audace. Au lendemain de la guerre de 1870, l'image de la France était détériorée dans le monde. Quelques personnalités provenant d'horizons et de milieux divers, telles que Renan, Taine ou Ferdinand de Lesseps, ont eu l'idée de restaurer par la culture la défaite des armes. Réunies au 215 boulevard Saint-Germain, elles ont eu l'audace de confier, à des étrangers amoureux de la culture et de la langue françaises, le soin de créer spontanément des alliances françaises dans le monde. C'était audacieux et certains ont pu croire que c'était éphémère. 125 ans plus tard, ils trouveraient sans doute miraculeux que l'Alliance demeure. Le système sur lequel elle repose a rapidement fonctionné. En 1893, des Alliances existaient déjà sur les cinq continents.
Nos établissements sont des associations autonomes dirigées par 8 500 bénévoles. Cette formule est moderne et a fait ses preuves. 1 071 alliances sont implantées dans 133 pays. Un tiers d'entre ont des fonctions d'enseignement. Leur développement est régulier (à hauteur de 2 à 3 % par an), et rapide, surtout dans les grands pays tels que la Russie, la Chine, les États-unis et surtout l'Amérique latine.
Nous célébrons cette année le 125 ème anniversaire de l'Alliance française, et nous avons créé - décret du 23 juillet 2007 - une fondation totalement dédiée à la communication au sein du réseau. Il s'agit en quelque sorte d'une renaissance, cette nouvelle entité permettra aux alliances de communiquer davantage entre elles. L'Alliance française de Paris ne pouvait plus assumer cette mission d'animation du réseau, préoccupée qu'elle était par la gestion de 32 000 élèves de 93 nationalités différentes.
Yves-Marie LABÉ
La France fait-elle assez pour le rayonnement de la culture française dans le monde ?
Marie-Christine SARAGOSSE, Directrice de la Coopération culturelle et du français à la DGCID
La tentation serait grande ici au Sénat qui vote le budget et qui est particulièrement sensible aux enjeux de la présence française à l'étranger de dire non, on n'en fait pas assez. Avec plus de moyens, on pourrait faire plus, sans aucun doute. Mais ce serait à la fois faux et déraisonnable.
L'ensemble des actions menées par le ministère des affaires étrangères en matière d'attractivité universitaire, d'enseignement en français, d'enseignement du français et de rayonnement culturel, représentent un engagement financier de 800 millions d'euros, sans parler des missions du CNED ou des grands établissements publics comme Le Louvre à Abu Dhabi. Cette somme se compare honorablement, voire avantageusement à celles consacrées par nos partenaires européens à leur propre rayonnement international, même si les comparaisons sont difficiles à faire en la matière : le British Council mène d'autres actions que les nôtres, le Goethe Institute ne gère pas le dossier universitaire.
En outre, cette somme n'est pas représentative de la réalité de notre investissement dans la mesure où les opérateurs s'autofinancent à 50 %. Ainsi, les 138 millions d'euros que l'État verse chaque année aux 148 centres et instituts et aux 238 Alliances aidées par le ministère des Affaires Étrangères, sont complétés par leurs recettes commerciales. Or les cours de français sont très rentables et la demande est forte. Si j'ajoute le mécénat, qui est considérable en matière culturelle, l'effet de levier est encore plus important et peut correspondre à cinq fois le montant des fonds investis par l'État. Il est important en revanche de souligner que si l'État se désengage, il n'y aura plus de levier...
Que fait-on avec cet argent ? 50 000 manifestations culturelles par an tous domaines confondus (cinéma, danse, musique, débats...), 400 000 lecteurs inscrits dans les médiathèques, 8 millions de prêts, 750 000 élèves inscrits aux cours de français dans les alliances, centres et instituts aujourd'hui, contre 625 000 en 2006. Il y en aura 900 000 fin 2007. Étrange attractivité pour une langue qui serait sur le déclin... Sur 90 millions d'élèves apprenant le français dans le monde, 1,4 million sont dans des classes bilingues dans l'enseignement national des pays, en plus des lycées français. 400 000 professeurs enseignent le français dans le monde.
Alors pourquoi en faire tant ? Parce que l'action culturelle et linguistique, c'est le coeur de la présence française dans le monde, c'est notre signature, notre signe distinctif sur la scène international. Quelques exemples : les lycées français à l'étranger sont apparus dans la première moitié du XIX ème siècle, les Alliances il y a 125 ans - il n'y a pas d'autre exemple dans le monde d'associations de droit étranger crées pour promouvoir la langue et la culture d'un pays tiers -, Culture France (ex AFAA) dans l'entre-deux-guerres, les centres et instituts culturels et la DGCID après la guerre. Enfin, la France a été le champion de l'exception culturelle et de la convention de l'Unesco sur la diversité.
N'oublions pas que la diplomatie des temps modernes, c'est la diplomatie d'influence. Qui pourrait croire qu'on résoudra encore les problèmes dans le rapport de force. Est-ce ainsi que l'on bâtira un nouvel ordre mondial, que l'on relancera la construction européenne, qu'on luttera contre la prolifération nucléaire ou contre le terrorisme ?
Ce sont les opinions publiques qui ont un poids déterminant aujourd'hui. Les Espagnols ou les Chinois l'ont bien compris qui multiplient les Instituts Cervantès et les centres Confucius dans le monde. Le Goethe Institute a arrêté de fermer des centres en Europe et augmente de 14% son budget pour 2008. Ce n'est certainement pas au moment où tout le monde découvre la diplomatie d'influence - que la France pratique depuis 160 ans - que nous allons remettre en cause cet atout.
L'organisation d'une saison culturelle européenne à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne est un acte politique: on met la culture au coeur de l'Europe et on reprend notre place en Europe. L'ouverture d'un lycée français à l'étranger avec toutes les valeurs que cela véhicule (liberté d'enseignement, philosophie des lumières, cartésianisme, esprit de tolérance, laïcité) est un acte chargé de symboles, surtout dans les pays beaucoup moins proches de notre héritage culturel.
Et quand ça va mal comme en Irak ou à Gaza, le seul centre culturel à rester ouvert et à faire le plein tous les jours, c'est le centre français. En Algérie, tous nos centres ont été rouverts et sont surchargés. Les cours de français débordent. Nous sommes en train de former 8.000 professeurs de français en Algérie. Quand tout va mal, la culture permet de ne pas insulter l'avenir.
Certes on pourrait faire mieux, mais la principale amélioration consisterait à opérer une révolution sur nous-mêmes. Plutôt que d'alterner entre arrogance et auto flagellation, les Français devraient plutôt apprendre à avoir confiance en leur capacité à contribuer à créer un monde pour tous.
Yves-Marie LABÉ
Le projet France Monde participe sans doute de cette diplomatie d'influence évoquée par Marie-Christine Saragosse. Ce projet n'est pas nouveau puisque l'audiovisuel extérieur a donné lieu à 19 rapports en 10 ans...
Georges-Marc BENAMOU, conseiller auprès du Président de la République
J'ai en effet été frappé au sein du comité de pilotage mis en place pour mener cette réforme par la littérature produite sur ce sujet. Tous les rapports font le diagnostic depuis 1987, de l'importance du paysage audiovisuel français à l'étranger mais aussi de sa complexité « abracadabrantesque » avec de multiples opérateurs aux statuts, aux modes de financement, aux stratégies et aux tutelles différents, et de l'absence totale de complémentarité entre ces multiples antennes (TV5 MONDE, RFI, France 24, Canal France International) - toutes au demeurant de qualité. Cela révèle une forme d'incurie et d'impuissance de l'État. Tous les ministères sont compétents et font preuve de bonne volonté. Mais depuis 1987, ils ne parviennent pas à se mettre d'accord. Grâce à la volonté du Président de la République et l'impulsion qu'il a donnée, les administrations, représentées par 18 hauts fonctionnaires très compétents et marqués par un profond sens de l'État, ont décidé de remiser leurs rancoeurs, de dépasser les corporatismes et de mettre leur énergie en commun au sein du comité de pilotage pour rationaliser le dispositif et faire rayonner l'audiovisuel français. Je me félicite qu'après 20 ans d'attentisme et d'errances bureaucratiques et politiques, nous soyons tous parvenus en quelques mois à imaginer ce projet France Monde qui permet de mettre en cohérence les moyens de l'audiovisuel français et d'en finir avec une situation aberrante.
Sur le plan budgétaire, l'audiovisuel extérieur français est plutôt bien doté : un peu moins que BBC World (400 millions d'euros), mais mieux que les Allemands et pas très loin de CNN - même si nous n'avons pas réussi à obtenir son budget. Mais faute de stratégie convergente entre les opérateurs, la concurrence fratricide qu'ils se mènent conduit à un gaspillage considérable. Est-il utile de disposer de plusieurs services techniques, de plusieurs services de commercialisation ou de plusieurs services juridiques ? France Monde permet de regrouper les moyens de l'audiovisuel français, tout en conservant les identités de chacune des antennes. Je parle bien de l'audiovisuel français dans lequel nous avons pris grand soin de ne pas inclure TV5 MONDE. TV5 MONDE reste une chaîne francophone généraliste avec ses journaux et ses émissions propres, même si nous l'invitons à participer à cette réforme. Pour bien manifester cette distinction, nous avons opté pour la marque « FRANCE MONDE » en référence à « TV5 MONDE ». Le regroupement permettra d'agir de manière plus cohérente.
Troisième élément, probablement le plus important : avec assez peu d'argent, un petit pays - le Qatar - a révolutionné la face médiatique de la planète. Il y a un avant et un après Al-Jazira grâce à laquelle le Qatar est devenu une grande puissance planétaire. A l'heure où le médiatique est devenu stratégique, à l'heure où l'enseignement du français au Maghreb est violemment attaquée par Al-Jazira, comment France 24, RFI et TV5 MONDE peuvent-elle continuer à mener des guerres picrocholines ? Il faut marcher ensemble dans une conception profondément stratégique et d'influence. Ce que le Qatar, qui était inconnu de la plupart des citoyens du monde, a fait, pourquoi la France qui dispose d'une véritable force de frappe ne le ferait-elle pas ?
Le projet n'est pas celui d'une fusion totalitaire qui nierait les spécificités de chacun mais d'une mise en commun tirant les leçons de ce qui marche à l'étranger. Sur le modèle des « news factory » de la BBC, les formidables rédactions de RFI et de France 24 pourraient se rencontrer. Si les partenaires francophones de TV5 MONDE le souhaitaient, elle aussi pourrait profiter des avantages de cette force de frappe qui réunirait plus de 800 journalistes. En y ajoutant le réseau de correspondants de l'AFP, nous pourrions concurrencer les anglo-saxons en produisant de l'image française de qualité.
Enfin, regarder l'avenir. TV5 MONDE a mené une mission de refondation de l'audiovisuel francophone sur la base de la révolution numérique, c'est-à-dire des nouveaux modes de consommation de la télévision et de la radio à travers Internet. Cela nous a conduit à proposer la création d'un grand portail Internet ( www.francemonde.fr ) qui ne se substituera pas aux sites des chaînes, mais sera une quatrième antenne du pôle audiovisuel français - et francophone si toutefois TV5 MONDE nous rejoignait. Il s'agit de développer le numérique et de tenir compte des nouveaux modes « délinéarisés » de consommation de la télévision comme la « télévision du lendemain » - la « catch up TV » représente une part de marché de 10 % en Grande-Bretagne -, la vidéo à la demande ou le téléchargement. Il faut aussi - comme le disait le rapport Brochand - se diversifier en profitant des potentialités du numérique. Fallait-il comme l'on fait les Québécois, se scandaliser de notre proposition de profiter des économies réalisées pour créer une véritable chaîne d'enseignement du français sur Internet ? Au Maroc, l'enseignement du français régresse au profit de l'allemand, tout simplement parce qu'a récemment été lancée une chaîne de dessins animés allemands doublés en arabe. Pourquoi ne pas imaginer ce type de diversifications qui coûte 1,5 million d'euros à fabriquer ?
La réforme de FRANCE MONDE a été imaginée dans l'intérêt de la France et de la francophonie. Notre dessein c'est l'influence et le rayonnement de la France dans le monde et l'enseignement du français. La partition musicale est là, au président Pouzilhac et à Christine Ockrent de la jouer.
François BONNEMAIN, président de TV5 MONDE
Cela fait bien longtemps que TV5 MONDE utilise le réseau de correspondants de l'AFP sans besoin d'un rapport dont je précise qu'aucun des opérateurs ne connaît la teneur. Nous ne sommes pas opposés ni à une réforme de l'audiovisuel extérieur, ni au progrès. Mais TV5 MONDE est un concept original, unique au monde. C'est la seule chaîne de télévision au monde distribuant des produits destinés à défendre une langue, ce que les lusophones et les hispanophones nous envient.
TV5 MONDE est aussi une vitrine de la francophonie, de la multi latéralité et du croisement des regards. Prenons garde de ne pas casser cette vitrine qui repose sur trois piliers : l'information, les programmes et un appui à l'enseignement du français. Son réseau de diffusion et de distribution, construit depuis dix ans, est exceptionnel : 10 satellites, plus de 50 transpondeurs, 6 000 têtes de réseau, soit 3 à 4 000 contrats signés dans le monde et 73 à 75 millions de téléspectateurs réguliers. N'oublions pas les partenaires francophones qui sont présents et contribuent au financement de la chaîne selon un barème déterminé par la France. De même, les téléspectateurs ne sont pas seulement des francophones, mais également des francophiles. Aux États-unis, 40% seulement des abonnés à TV5 MONDE - qui paient 11 dollars par mois ! - sont des francophones contre 60% de francophiles, ces derniers ne parlant parfois même pas le français
A 23 ans, TV5 MONDE est une chaîne majeure, je dirais même mûre. Elle a été construite par des femmes et des hommes qui s'y sont consacrés avec beaucoup de coeur. Il faut veiller à ne pas les démobiliser.
Enfin, c'est une chaîne qui ne coûte pas cher : 63 millions d'euros pour une chaîne multilatérale et internationale, constituant le deuxième réseau mondial derrière MTV, mais bien avant la BBC et CNN, ça n'est pas cher payé. Je veux bien que la réforme de l'audiovisuel extérieur français ait été imaginée par de jeunes et brillants hauts fonctionnaires mais attention à ne pas casser cette machine.
Georges-Marc BENAMOU
Je ne veux pas polémiquer, je comprends l'attachement des Français expatriés, des francophones et des francophiles à TV5 MONDE qui est un vrai acquis. Je comprends l'enthousiasme mis par François Bonnemain à défendre sa chaîne. Toutefois, rien dans le projet de FRANCE MONDE ne menace TV5 MONDE. Il propose de marcher ensemble vers le XXI ème siècle en améliorant son impact, sa diffusion avec une commercialisation plus agressive et adaptée, et d'améliorer ses contenus, sur la base des propositions du rapport commandé par TV5 MONDE à MM. Lafrance et Cottet. Il ne faut pas se poser en victime. Nous avons eu avec RFI et France 24 des discussions très constructives. Bien sûr que les partenaires francophones sont importants mais la France qui finance TV5 MONDE à près de 85% peut avoir son point de vue et le souci de gérer ses intérêts au mieux.
Philippe GAILLARD, service de traduction de la BERD
Il existe un danger dont nous ne sommes pas conscients, c'est celui de la dégradation accélérée de l'usage du français comme langue de travail dans les centres de décision, c'est-à-dire les organisations internationales, phénomène aggravé par la très grande dispersion des opérateurs chargées de la promotion de notre langue, sous la tutelle de trois ou quatre ministères. Que peut-on faire ? Quel est l'interlocuteur idoine pour lutter contre la dégradation de l'usage du français ?
Sébastien LOGEAIS, secrétaire du Comité d'entreprise de TV5
M. Benamou semble dire que les partenaires francophones de TV5 MONDE ne comprennent pas la réforme et qu'ils y sont opposés. Il me semble au contraire qu'ils la comprennent, qu'ils n'y sont pas opposés, mais qu'ils souhaitent être consultés et qu'il soit tenu compte de leurs propositions. Or, apparemment, ça n'a pas été le cas et cela les a profondément choqués.
Par ailleurs, nous avons appris par la presse que 180 suppressions de postes sont prévues sur les trois sociétés concernées. Or, M. Benamou m'avait assuré que le but de la réforme ne consistait pas à faire des économies sur le dos des personnels. Qu'en est-il exactement ?
Claude GIRAULT, conseiller à l'Assemblée des Français de l'étranger (circonscription de San Francisco)
J'ai entendu dire que TV5 MONDE devait devenir une télévision du réel. Qu'est-ce que cela signifie ? Pourquoi faudrait-il modifier une ligne éditoriale excellente ? D'autre part, dans de nombreux territoires, les réseaux de distribution sont saturés, surtout aux États-unis. Il est donc nécessaire de conserver à TV5 MONDE son caractère généraliste sous peine de voir les câblo-opérateurs américains résilier ses contrats. Il est par ailleurs indispensable de rétablir au plus vite le sous-titrage en anglais des journaux télévisés de France 2, car les francophiles non francophones ne peuvent plus les regarder ce qui nuit au rayonnement de la France. Enfin, je trouve regrettable que les élus de l'AFE ne soient pas invités à participer aux travaux de la commission sur la réforme de l'audiovisuel.
Georges-Marc BENAMOU
Il est totalement faux de dire que nous n'avons pas consulté les partenaires francophones de TV5 MONDE. Nous avons pris le soin, lorsque nous avons commencé nos travaux en septembre, avec les directeurs de cabinet des ministres concernés, dont Philippe Etienne, le directeur de cabinet de Bernard Kouchner, d'aller voir le Président Abdou Diouf. Nous l'avons écouté et nous nous sommes entendus sur un certain nombre de points, dont le maintien du caractère généraliste, multilatéral et francophone de TV5 MONDE. Dans un premier temps, il nous a soutenus en préconisant même une amélioration de ses programmes. Puis il y a eu en octobre une réunion à Berne, en Suisse, à l'issue de laquelle les hauts fonctionnaires français ont établi un document de travail. Puis, au cours du sommet des Ministres francophones de Lucerne, nous avons travaillé sur le rapport commandé par M. Bonnemain à MM. Lafrance et Cottet.
Nous sommes retournés voir le Président Diouf en lui garantissant que TV5 MONDE ne serait pas une filiale de France Monde et en insistant sur la préservation de la personnalité juridique de la chaîne. Nous avons travaillé avec lui pour que la procédure arrogante de nomination du Président de TV5 MONDE par la France, sans concertation ni même information des partenaires, soit abolie. Les besoins de diversification sur des réseaux numériques que le XXI ème siècle appelle ont également été évoqués. La concertation a existé et continue d'exister, une délégation était récemment à Ottawa.
Lorsque la Ministre de la Communauté française de Wallonie, chef de file de l'opposition à la réforme de l'audiovisuel extérieur français, s'insurge contre l'impérialisme français en préconisant le maintien du caractère généraliste, multilatéral et francophone de TV5 MONDE, nous sommes dans l'effet de manche politique. Cela ne correspond absolument pas à la réalité de ce que propose la France.
Par ailleurs, aucune suppression d'emploi n'est prévue dans le rapport. Je ne sais pas d'où sort le chiffre de 180. Néanmoins, on peut imaginer que lorsque trois sociétés se rapprochent, il y ait des synergies et des rapprochements entre services, par exemple entre services juridiques ou commerciaux. On peut faire évoluer les sociétés sans licenciements secs. Le but ne consiste pas à réaliser des économies, mais à mieux utiliser l'argent des contribuables en direction du rayonnement de la France et de la francophonie.
Enfin, le sous-titrage est effectivement important. Il est coûteux mais fortement rentable en termes d'audience. C'est une des priorités sur le papier pour le rayonnement de TV5 MONDE et nous essaierons de faire en sorte que des efforts budgétaires soient faits en ce sens. Se projeter dans le XXI ème siècle, cela ne veut pas dire nier le passé mais conforter les racines.
Nathalie GOULET, Sénatrice de l'Orne
Comment parler de diplomatie d'influence lorsqu'on supprime les émissions en langue étrangère en russe ou en farsi ? Il est important de s'adresser en langue étrangère à des gens qui ne parlent pas le français. La diffusion de RFI en langue étrangère me semble absolument indispensable.
Antoine SCHWARZ, président de RFI
A ma connaissance, les langues étrangères n'ont jamais été mises en cause à RFI. Le comité de pilotage que présidait M. Benamou n'a pas traité ce point. Je pense comme vous qu'il s'agit d'un sujet indispensable et prioritaire. J'en discuterai avec M. de Pouzilhac, notamment s'agissant du russe et du persan.
François BONNEMAIN, président de TV5 Monde
Je ne peux pas répondre à la place de M. Abdou Diouf. Je tiens par ailleurs à relever quelques erreurs dans le calendrier tel qu'exposé par M. Benamou. La réforme a été annoncée dès le 30 août, soit bien avant le mois d'octobre, sans qu'aucune information n'ait été donnée aux partenaires. Par ailleurs, le rapport évoqué n'a pas été réalisé à ma demande mais à la demande de nos partenaires pour répondre à quatre points particuliers. La France y a ajouté une contribution particulière, qui d'ailleurs n'a pas été retenue.
Sur le fond, nos partenaires ne sont pas opposés à une réforme de l'audiovisuel extérieur, ni même au principe de la holding . Ils souhaitent seulement être consultés. A partir du moment où on leur explique que le rapport Benamou est confidentiel, il est normal que la suspicion s'installe. Il n'y a pas de blocage systématique. La France est fondée à vouloir réformer son audiovisuel extérieur. Le sentiment des partenaires est qu'ils n'ont pas été respectés.
S'agissant des nominations, les partenaires n'ont pas apprécié la façon dont la nomination de M. de Pouzilhac a eu lieu, à la veille d'une réunion à Ottawa.
Jean-Yves BONSERGENT, directeur général en charge de la distribution, des technologies et des directions fonctionnelles de France 24
Nous n'avons pas eu le rapport du comité de pilotage, pas plus que François Bonnemain ou qu'Antoine Schwarz. Je connais personnellement M. de Pouzilhac, son énergie, sa vision stratégique et surtout, ce qu'il a réussi à faire à la tête de France 24 en quinze mois.
Georges-Marc BENAMOU
Il a eu le rapport en mains propres.
Jean-Yves BONSERGENT
Les responsables des chaînes ne l'ont pas eu. Quoi qu'il en soit, M. de Pouzilhac doit maintenant rencontrer les présidents de chaînes et réfléchir avec eux à la mise en place d'un plan stratégique, qui sera soumis aux différents actionnaires. A cet égard, TF1 en tant qu'actionnaire à 50 % de France 24, portera une attention particulière à ce qui est fait de son actif.
France 24 est aujourd'hui une très grande réussite. En moins de quinze mois, cette chaîne d'information internationale, mise en place pour concurrencer BBC World, CNN et la très influente Al-Jazira, s'est imposée et commence à exercer une réelle influence, notamment dans le Maghreb. Parce que sa stratégie s'est appuyée sur une mission - le traitement de l'information internationale avec un regard français -, sur une ambition - celle de devenir un concurrent crédible des autres chaînes d'information internationales -, et sur des valeurs.
S'agissant des valeurs, une étude menée auprès de leaders d'opinion mondiaux a montré que la France était considérée comme ayant un regard diversifié sur le monde, à l'inverse du monde anglo-saxon perçu comme ayant une vision unipolaire. En outre, notre pays est perçu comme un pays contestataire. On a essayé de transformer cela de façon positive en faisant une place importante sur France 24 aux débats et à la confrontation des idées.
La troisième valeur qui caractérise la France est la culture et l'art de vivre à la française. C'est pourquoi, à la différence des autres chaînes d'information, France 24 ne repose pas sur quatre piliers (actualité, météo, sport, économie) mais sur cinq. De fait, elle consacre trois fois plus de temps à la culture et à l'art de vivre qu'au sport.
France 24 s'adresse aux leaders d'opinion dans le monde, les prescripteurs traditionnels (politiques, économiques, enseignants, intellectuels) mais aussi les nouveaux leaders d'opinion, qui à travers l'utilisation des nouvelles technologies, et notamment les blogs , exercent une influence considérable sur leurs concitoyens. C'est pourquoi la chaîne a mis les nouveaux médias et Internet au coeur de sa stratégie. Nous avons ainsi lancé France 24 pendant 24 heures en exclusivité sur Internet pour montrer que le monde entier pouvait accéder à la chaîne, indépendamment des réseaux de distribution traditionnels, mais surtout pour témoigner à ces nouveaux leaders d'opinion l'importance qu'on leur accorde.
Une étude nous a montré que 85 % des leaders d'opinion d'Europe, du Proche et du Moyen Orient et d'Afrique ne parlent ni ne comprennent le français. S'il est donc nécessaire de développer la francophonie, il est aussi impératif de diffuser en anglais, ainsi qu'en arabe compte tenu de la situation internationale. D'ailleurs, BBC World lancera sa version arabe le 11 mars prochain. Il nous faudra rapidement passer de 4h quotidiennes en arabe à 12 puis 24 car c'est essentiel dans notre stratégie d'influence.
La réussite actuelle de la chaîne montre que sa stratégie est la bonne. Le travail des équipes au niveau du contenu éditorial et de la stratégie tout Internet a pour conséquence que le taux de notoriété de France 24 au Maghreb, au Proche et au Moyen-Orient et en Afrique est quasiment identique à celui de BBC World ou de CNN. Elle est la deuxième chaîne d'information internationale la plus regardée, derrière Al-Jazira au Maghreb et au Moyen-Orient, la première en Afrique et la troisième en Europe derrière CNN et BBC World mais devant Al Jazira.
Il est donc possible de réussir lorsqu'on a de l'ambition, de l'esprit d'entreprise et qu'on s'en donne les moyens.
John MAC-COLL, conseiller à l'Assemblée des Français de l'étranger (circonscription de Sydney)
Au sein de la commission des Affaires culturelles, de l'enseignement et de l'audiovisuel de l'AFE, nous apprécions le dialogue nourri avec les intervenants et les personnalités qualifiées. Nous regrettons toutefois que la France de l'étranger ne soit pas assez reconnue en métropole. Au nom des Français de l'étranger, je souhaiterais lancer un appel : associez-nous aux réformes qui nous concernent, en amont plutôt qu'en aval. Cela nous évitera d'être obligés de faire des interventions au niveau ministériel pour corriger le tir. Nous ne souhaitons pas être de simples spectateurs, mais de véritables acteurs.
François NICOULLAUD, président de l'Association démocratique des Français de l'étranger - Français du Monde, conseiller à l'Assemblée des Français de l'étranger
J'ai joué un petit rôle dans la création de TV5 ; je ne sais pas si j'en suis le père mais je connais la mère, une modeste fonctionnaire, Nicole Godet, aujourd'hui à la retraite et à laquelle je rends hommage. En vous écoutant sur ce projet de FRANCE MONDE quelque chose m'inquiète. Lorsqu'on réunit trente brillants hauts fonctionnaires dans une salle, pour jouer au meccano à partir des éléments existants, on risque de se priver d'une vision.
Il me semble que la vision poursuivie par cette réforme est encore floue. Inutile de réunir trente hauts fonctionnaires pour déclarer qu'on souhaite entrer dans le XXI ème siècle, ou qu'on va faire des économies d'échelle. Je me demande si la superstructure que vous souhaitez créer ne sera pas aussi gourmande en crédits que les économies d'échelle qui seront faîtes en fusionnant quelques petits services techniques ou juridiques.
Par ailleurs, si j'en crois les déclarations du Président de la République sur France 24, il y a fort à craindre que les émissions en langue étrangère soient menacées.
François BONNEMAIN, président de TV5 Monde
Effectivement, il ne faut pas commencer le meccano institutionnel sans connaître l'objectif.
Je regrette que les Français de l'étranger, même s'ils ne constituent pas, loin de là, la majorité des téléspectateurs de TV5 MONDE, n'aient pas été consultés sur ce projet de réforme.
Antoine SCHWARZ, président de RFI
Le fait qu'Alain de Pouzilhac ait été nommé président de la holding implique que la stratégie de France 24 en matière de langues a été validée, ce qui est plutôt rassurant pour ceux qui souhaitaient que l'anglais et l'arabe soient utilisés dans les programmes des chaînes de l'audiovisuel extérieur français.
Il y a deux ans, j'avais pris position ici même pour une meilleure coordination entre les opérateurs afin qu'ils puissent assumer leur mission de façon plus efficace. La formule de la holding a été choisie deux ans après et je m'en réjouis, car nous avons tous besoin d'une meilleure efficacité opérationnelle et de nous entendre sur nos objectifs respectifs. Ensuite, il faut évidemment que la direction choisie soit tenue avec un arbitre pour arbitrer les conflits.
Qu'est-ce que RFI peut apporter à la nouvelle structure ? Nous pouvons apporter ce que nous avons de meilleur, c'est-à-dire notre puissance : le premier réseau FM du monde. Marie-Christine Saragosse, il faut positiver. Nous avons le premier réseau FM et le deuxième réseau télévisuel du monde. Il faut en être fiers et savoir les utiliser pour gagner des auditeurs et des téléspectateurs. A ce jour, 45 millions d'auditeurs écoutent RFI régulièrement.
RFI apporte également l'expertise de ses journalistes sur l'actualité internationale. Elle détient, avec l'AFP, la plus forte expertise en matière d'informations internationales, aussi bien à Paris qu'à l'étranger, à travers son très grand et très qualifié réseau de correspondants dans le monde. Enfin, elle apporte sa capacité d'adaptation. RFI n'est pas qu'une radio. Elle a fait il y a deux ans le virage vers le bi média et Internet. La plupart de ses journalistes sont polyvalents et peuvent travailler à la fois en radio et sur le Web.
Je suis très confiant sur la pertinence d'une organisation globale à condition qu'elle respecte les identités des antennes et donc des marques. Alain de Pouzilhac est très favorable à la défense des marques, celle qu'il a crée, France 24, mais aussi les autres dont il reconnaît la force. Mais il faut aussi savoir faire les rapprochements nécessaires au niveau opérationnel et je pense que nous aurons l'intelligence collective de les faire.
Yves-Marie LABÉ
Jean-Pierre de Launoit, en tant qu'expert de la radio, quel regard portez-vous sur cette réforme ?
Jean-Pierre de LAUNOIT, président de l'Alliance française
Nous avons une convention avec TV5 MONDE. Nos objectifs sont les mêmes. Nous sommes heureux de recevoir les dirigeants de France 24 ou de RFI. La collaboration avec ces médias est donc tout à fait évidente pour nous. J'ajoute que François Bonnemain est membre du conseil d'administration de la nouvelle fondation dont j'ai évoqué la création tout à l'heure, aux côtés d'autres personnalités comme Bernard Pivot, Éric Orsenna Patrick de Carolis, Hélène Carrère d'Encausse et d'autres, qui ont consacré toute leur vie à la langue et à la défense de la culture françaises.
Yves-Marie LABÉ
Quelle réponse pouvez-vous faire à la question sur la dégradation de l'usage de la langue française ?
Marie-Christine SARAGOSSE, directrice de la coopération culturelle et du français à la DGCID
Il s'agit en quelque sorte d'une prédiction auto réalisatrice. A force de se persuader que l'usage du français décroît, on se tourne vers l'anglais et, ce faisant, on entretient la dégradation de l'usage du français.
Or, c'est un cliché de penser qu'il faut parler anglais pour se faire comprendre. D'après une enquête commandée à un institut britannique par la Commission européenne et M. Orban, commissaire au multilinguisme, les entreprises européennes ont perdu 6 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2006 à cause de problèmes linguistiques. Le rapport se terminait par : English is not enough anymore . Le futur ne réside peut-être pas dans langue française mais il faut arrêter de croire qu'en parlant anglais, on résoudra tous les problèmes. Il faut parler la langue de l'autre mais l'anglais ne suffit plus. Il s'agit d'une condition nécessaire, mais de moins en moins suffisante.
Il n'y a aucune dispersion des acteurs s'agissant de la défense du français. Au sein du Ministère des Affaires étrangères, je dirige la DGCID qui s'occupe de l'apprentissage du français dans le monde, en lien avec délégation générale à la langue française. Quant au Ministère de l'Éducation nationale, il s'occupe de l'apprentissage des langues étrangères en France. Nous travaillons à trois.
Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, nous préparons les États généraux du multilinguisme qui auront lieu à Paris le 26 septembre auquel je vous convie tous. Ce rendez-vous qui rassemblera les 27 États de l'Union, verra intervenir des philosophes, des journalistes, des chefs d'entreprise, des gens de la société civile, et pas seulement des experts linguistiques. En effet, le problème de la langue relève de la citoyenneté, des droits humains, et ne doit pas être laissé aux techniciens.
La consultation mise sur le site de la Commission européenne dans cette perspective a connu un succès considérable. Jamais la Commission n'avait connu un si grand nombre de réponses, dont une minorité en anglais d'ailleurs, même celles émanant des Irlandais. 95 % des citoyens souhaitent renforcer les investissements dans le domaine de la traduction. L'Europe est par essence multilingues, sans quoi elle n'existerait pas. La France défendra donc la mise en oeuvre d'un vrai programme de traduction pour que les oeuvres littéraires et cinématographiques circulent. Par conséquent, l'avenir est devant nous.
Le Forum « Embarquez pour le monde »