Les délits non intentionnels - La loi Fauchon : 5 ans après - Actes du colloque
Palais du Luxembourg - 01 mars 2006
Bilan général de la jurisprudence
Table ronde
Participent à la table ronde :
Bruno COTTE, Président de la première Chambre criminelle de la Cour de cassation
Jacques PÉLISSARD, Député du Jura, Président de l'Association des Maires de France
Alain JAKUBOWICZ, Avocat des victimes du tunnel du Mont-blanc
Jean MASSOT, Conseiller d'Etat
Jean-Michel ALDEBERT, Vice-procureur de la République près le TGI de Paris
Jean-Paul TEISSONNIERE, avocat
Robert BOUJU, Directeur de l'Observatoire des risques juridiques
Conclusion de Mme Dominique COMMARET, Avocat général à la Cour de cassation
La table ronde est animée par Jean-Jacques HYEST, Président de la Commission des lois du Sénat
M. HYEST
Je pense qu'après les propos introductifs du Président du Sénat, du Premier président de la Cour de cassation et du Procureur général près de la Cour de cassation, nous possédons déjà largement les éléments nécessaires pour alimenter notre débat. Il est rare pour un parlementaire de donner son nom à une loi. Le sénateur Fauchon a même donné son nom à deux lois puisque la loi du 13 mai 1996 n'avait pas été comprise ou n'avait pas réellement changé l'état du droit. Elle a de ce fait été modifiée par la loi du 10 juillet 2000, dont le Premier président et le procureur général ont rappelé les réactions négatives qu'elle avait suscitées, qui ne se sont pas révélées fondées, sachant que les jugements ont respecté à la fois l'esprit et la lettre de cette loi. Il est tout à fait original de participer à un colloque sur une loi votée cinq ans plus tôt. Généralement les lois ne sont pas évaluées mais modifiées le plus rapidement possible. Le code de procédure pénale est par exemple sans cesse modifié en fonction de l'état de l'opinion publique. Ces modifications successives peuvent aboutir à des absurdités qui sont à la source de catastrophes judiciaires.
Dans notre pays, nous ne savons pas évaluer la loi. En sont la preuve, les réactions qui ont suivi des évènements extrêmement graves comme l'affaire de l'amiante. En tant que juge à la Cour de justice au moment de la terrible affaire du sang contaminé, j'avais déjà à l'époque été confronté à un problème de catastrophe de santé publique dépassant le quotidien de la justice vis à vis des décideurs publics. Cette épée de Damoclès pesait sur les décideurs publics et a justifié l'intervention du législateur. Il serait cette fois nécessaire de réfléchir avant d'entreprendre une modification trop rapide de la loi.
Comment une loi, à partir du moment où elle est assez précise, laisse-t-elle au juge la possibilité de l'interpréter de telle sorte que son esprit soit respecté et qu'il puisse en même temps l'adapter au cas par cas ? En d'autres termes, la loi doit-elle tout prévoir dans les détails, au point d'empêcher le juge de l'adapter en fonction des situations ? Quel est le rôle de la jurisprudence dans ce domaine ? Pour avoir été à la fois parlementaire lorsque l'on élaborait le code pénal et pour avoir participé aux débats sur les première et deuxième lois Fauchon, je pense que cette journée devrait être fructueuse. Le législateur obtiendra un regard sur l'application de cette loi, ce qui lui permettra peut-être de faire évoluer la législation dans ce domaine. Il pourra ainsi, tout en protégeant les valeurs de la société, lutter contre les comportements répréhensibles, sans mettre en cause en permanence les élus, qui n'ont d'ailleurs ni les moyens, ni la possibilité de tout faire et de tout savoir.
M. COTTE
Tout vient d'être dit, et bien dit, sur la genèse de la loi du 10 juillet 2000... me reste-t-il même d'ailleurs quelque chose à dire... ?
Je rappellerai seulement qu'entre le dépôt de la proposition de loi et sa publication au Journal Officiel, il s'est écoulé environ neuf mois... le temps d'une grossesse... !
Une grossesse un peu difficile tout de même car :
les objectifs qui sous-tendaient ce texte, s'ils répondaient aux souhaits de certains, en affolaient d'autres, en particulier certaines associations de victimes
au cours des débats parlementaires, on a pu sentir, à tel ou tel moment, une certaine tension dans le couple « Garde des Sceaux-Représentation nationale »... tension qui s'est ensuite dissipée et la délivrance s'est déroulée dans le calme et l'union retrouvés.
L'enfant est donc né le 10 juillet 2000.
Les médias ont, bien sûr, fait part de la naissance mais, l'été étant déjà là, sans excès de publicité. La doctrine en revanche, mais vous l'aviez déjà senti lors des auditions d'universitaires auxquelles vous aviez procédé en commission des lois, n'a pas fait preuve d'enthousiasme et elle l'a rapidement fait savoir.
Souvenez-vous des propos 1 ( * ) tenus par :
Madame le professeur Viney qui estimait « qu'il serait très difficile de mettre en place une jurisprudence cohérente sur la base d'une notion de causalité apparaissant fuyante... » (rapport Sénat n° 177, page 53)
ou encore le professeur Pradel « soulignant qu'il n'existait pas de critère précis permettant de qualifier un lien de causalité comme étant direct ou indirect... » et exprimant la crainte que « le juge ne joue de cette latitude d'appréciation pour atteindre l'objectif souhaité par lui... » .
Ce bref rappel ne se veut pas seulement anecdotique. Il est pour moi, et pour vous, très important car il nous permet de mieux comprendre dans quel contexte ces nouvelles dispositions ont été « reçues » par les juridictions chargées de les appliquer.
I - Le champ d'application de la loi du 10 juillet 2000
Pour la chambre criminelle, l'heure de la mise en oeuvre a sonné très vite puisque, dès le 5 septembre 2000 et avant même qu'elle ait pu se livrer à une réflexion d'ensemble sur ce nouveau texte, était soumise à l'une de ses quatre sections une affaire de responsabilité médicale (relatée dans le document figurant en annexe). Et nous avons réalisé tout à la fois :
d'abord, qu'à la différence de la loi du 13 mai 1996 à portée essentiellement « expressive » (il faut, répétait-on alors aux juges, apprécier in concreto la faute pénale) nous avons réalisé que la loi du 10 juillet 2000
- rompait véritablement avec le système antérieur,
- était une loi réellement « normative »,
- une loi plus douce et donc d'application immédiate, imposant, pour toute affaire non définitivement jugée, un réexamen à la lumière des nouvelles dispositions de l'article 121-3 du Code pénal.
Ensuite que la démarche du juge devait être toute autre et qu'il lui fallait désormais rechercher, d'emblée, si le lien de causalité existant entre la faute et le dommage était :
- direct auquel cas, et comme par le passé, la démonstration de l'existence d'une « faute simple » était suffisante
- ou si ce lien était indirect auquel cas devait être démontrée l'existence d'une faute d'une toute autre nature, la « faute qualifiée » : délibérée ou caractérisée, le recours à un lien de causalité indirect consacrant d'une certaine façon la théorie de l'équivalence des conditions chère à la jurisprudence pénale.
Nous avons enfin réalisé qu'il nous faudrait aussi, à présent, veiller à ce que les juges du fond (tribunaux correctionnels et cours d'appel) respectent les souhaits, en apparence, quelque peu contradictoires, d'un législateur tout à la fois soucieux :
- d'alléger la responsabilité pénale des décideurs publics,
- de garantir, par une réforme de portée générale, l'égalité de tous devant la loi,
- d'éviter un affaiblissement de la répression dans des domaines jugés sensibles : la circulation routière, les accidents du travail, la protection de l'environnement.
C'est donc à cet exercice, difficile mais passionnant, que s'est livrée la chambre criminelle durant les premiers mois d'application de la loi et elle a tout d'abord rendu des arrêts d'annulation (et non de cassation, les cours d'appel ne pouvant se voir reprocher d'avoir statué en application de textes qui n'existaient pas encore) en invitant les juridictions de renvoi à réexaminer les circonstances de fait de chaque affaire au regard des exigences de la loi nouvelle. Sauf, toutefois, lorsqu'elle trouvait dans les constatations des juges du fond, telles qu'ils les avaient souverainement appréciées, l'existence d'une faute caractérisée et la certitude d'une telle faute.
Après avoir délimité le champ d'application de la loi du 10 juillet 2000 dans le temps, la chambre, au fil des pourvois qui lui étaient soumis :
a été conduite à mieux cerner les contours de ce texte,
s'est efforcée de lui donner vie,
mais a aussi buté sur un certain nombre de difficultés.
Ainsi, dès le 24 octobre 2000 (arrêt B 308), et il s'agit là du champ d'application du nouveau texte quant aux personnes concernées, un arrêt est venu rappeler qu'il convenait de bien distinguer les situations respectives des personnes physiques et des personnes morales, qui demeurent pénalement responsables des dommages qu'elles causent à autrui sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que le lien de causalité est direct ou indirect et donc quelle que soit la gravité de la faute qui leur est reprochée, une faute simple demeurant suffisante.
Le parti ainsi pris par le législateur aboutit, avouons-le, à des situations singulières et même cocasses puisqu'une faute commise par une personne physique, organe ou représentant de la personne morale, peut, dans certains cas, engager la responsabilité pénale de la personne morale pour le compte de laquelle elle avait été commise sans, pour autant, constituer une infraction à l'encontre de cette même personne physique.
Peut-être conviendrait-il, cinq ans s'étant écoulés, de s'interroger sur le bien fondé d'une telle distinction qui incite fortement à diriger les poursuites en direction des personnes morales plutôt que contre leurs dirigeants. Et cela, a fortiori depuis que la loi du 9 mars 2004 a supprimé le caractère spécial de la responsabilité pénale des personnes morales.
Peut-être, aussi, conviendrait-il de s'interroger sur l'opportunité de limiter la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements aux seules « infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de délégations de service public... » , cette restriction, qui ne résulte pas de la loi du 10 juillet 2000 mais du nouveau Code pénal, ayant conduit, dans le premier arrêt rendu dans l'affaire dite du Drac , le 12 décembre 2000 (B 371), à des distinctions dont la subtilité passe très au-dessus de l'entendement de nos concitoyens et, à coup sûr, des justiciables concernés 2 ( * ) . Mais j'ai conscience d'excéder là ma compétence.
S'agissant ensuite du champ d'application de la loi quant aux infractions concernées, la chambre a :
dès le 12 décembre 2000 (affaire dite du Drac), estimé que l'article 121-3 devait s'appliquer aux contraventions de blessures involontaires, solution que consacrera, dix mois plus tard, le décret du 20 septembre 2001 (article R 610-2 du Code pénal)
puis elle a considéré, dans un arrêt du 15 mai 2001 (B 123) qu'il n'y avait lieu, dès lors qu'il est involontaire, de distinguer selon la nature corporelle, ou matérielle, du dommage causé et elle a donc fait application du nouveau texte au délit de pollution accidentelle de rivière.
En revanche, et dès lors que le dommage n'est pas un élément constitutif de l'infraction, elle a jugé que l'article 121-3 du Code pénal ne s'appliquait pas aux délits de publicité mensongère (crim. 26 juin 2001 B 160) ainsi qu'en matière de conditions de travail dans les transports (crim. 13 février 2001). Le décor étant désormais planté, arrêtons-nous à présent sur la détermination du caractère direct ou indirect du lien de causalité dont dépend la démonstration d'une faute simple ou caractérisée.
II - Le lien de causalité
Comme l'a fort bien écrit le professeur Mayaud, « le lien de causalité est devenu, depuis la loi du 10 juillet 2000, le noeud gordien de la responsabilité pénale en matière non intentionnelle. C'est par lui que se réalise l'essentiel de la dépénalisation opérée, puisque selon que la causalité est directe ou indirecte, les exigences quant à la faute ne sont plus les mêmes... » (RSC 2005, page 71).
C'est là, soyons clairs, que la chambre criminelle a rencontré, et continue, au hasard des dossiers qui lui sont soumis, à rencontrer le plus de difficultés. Elle ne s'arrête pas aveuglément à la qualification du lien de causalité donnée par les juges du fond mais elle vérifie que cette qualification est pertinente au regard des faits de l'espèce tels qu'ils ont été souverainement appréciés par eux. Le contrôle est donc réel mais subtil, ou plutôt nuancé, car tout est affaire d'espèce.
Ainsi, alors qu'une cour d'appel, statuant avant l'entrée en vigueur de la loi, avait estimé que le décès d'un salarié, heurté par un wagon, était la « conséquence directe et immédiate » de la faute du chef d'entreprise auquel il était reproché de n'avoir pas organisé la sécurité du poste de travail occupé par la victime, la chambre criminelle a, quant à elle, estimé qu'il convenait de faire application de la loi nouvelle, plus douce, en considérant qu'il convenait de se placer dans le cadre d'une causalité indirecte.
Et il en est allé de même, le 12 décembre 2000, à nouveau dans l'affaire du Drac où, alors que la cour de Grenoble avait, toujours avant l'entrée en vigueur de la loi de juillet 2000, énoncé que les fautes commises par l'institutrice et la directrice de l'école étaient la cause directe du drame, la chambre criminelle a, en ce qui la concerne, après annulation, invité la cour de renvoi à se placer, à l'égard de ces deux personnes, dans une logique de causalité indirecte, la cause directe et immédiate du dommage étant en réalité le lâcher d'eau.
Alors quelle a été et quelle est actuellement notre démarche ?
Nous nous assurons d'abord de la certitude du lien de causalité. Ce qui est indispensable car la notion de causalité indirecte consacrant, nous l'avons vu, la théorie de l'équivalence des conditions (qui prend en compte tous les faits ayant pu concourir à la réalisation du dommage), il s'imposait d'éviter une extension indéfinie de cette causalité. Nous nous assurons donc que :
le dommage est bien en lien avec le fait considéré comme :
il faut établir avec certitude l'origine du dommage (arrêt rendu dans l'affaire dite « des hémophiles » le 18 juin 2003) ;
le lien de causalité n'a pas été rompu :
c'est l'hypothèse, rencontrée dans une affaire jugée le 5 octobre 2004 (B 230), où un automobiliste, ébloui par le soleil, heurte un piéton sur un passage clouté et lui occasionne une fracture sans gravité ; mais, à l'hôpital, la victime contracte une maladie nosocomiale et décède. La chambre a cassé l'arrêt déclarant l'automobiliste coupable d'homicide involontaire pour n'avoir pas recherché si « l'infection n'était pas le seul fait en relation avec le décès ».
En revanche, l'existence d'un lien de causalité certain, quoique indirect et apparemment lointain, a été retenu dans une affaire où l'usager d'un scooter des mers, à la suite d'une manoeuvre de dépassement imprudente, avait provoqué la mort de la passagère d'un autre engin du même type. Il a été considéré que le loueur professionnel, qui avait confié cet engin à un client qu'il savait dépourvu du permis imposé par la réglementation et totalement ignorant des règles de base de la navigation maritime, avait créé la situation ayant permis la réalisation du dommage (crim. 5 octobre 2004, B 2 36).
Enfin, nous avons estimé qu'est de nature à rompre la certitude de la chaîne causale un état de santé préexistant chez la victime. Mais, là encore, tout est affaire d'espèce car les fautes qui favorisent la décompensation d'un état morbide préexistant peuvent, dans certains cas, être en lien de causalité avec le dommage.
Je vous renvoie à cet égard aux développements dans le document figurant en annexe.
Après s'être assuré de la certitude du lien de causalité, nous examinons s'il est direct ou indirect. Or, si la loi a défini le lien de causalité indirect, elle n'a donné aucune définition du lien de causalité direct. Elle n'a pas tranché entre :
la cause immédiate qui renvoie à la proximité, dans le temps et l'espace, entre fait générateur et dommage,
et la causalité adéquate qui ne retient, parmi différents facteurs, que celui qui contenait en lui- même, de manière prévisible, la probabilité du résultat.
La circulaire du Garde des Sceaux du 11 octobre 2000 optait pour la cause immédiate : « Il n'y aura causalité directe que lorsque la personne en cause aura, soit elle-même frappé ou heurté la victime, soit initié ou contrôlé le mouvement d'un objet qui aura heurté ou frappé la victime... ».
La chambre criminelle na pas entendu s'en tenir à une conception étroitement mécaniste de la causalité et a donc considéré qu'une cause médiate peut être qualifiée de directe lorsqu'elle est adéquate, dès lors qu'elle est « essentielle et déterminante ».
C'est ce qu'a jugé la chambre, le 25 septembre 2001 (B 188) en considérant que l'excès de vitesse était la cause directe et déterminante de l'accident survenu à un automobiliste qui, roulant de nuit, à trop vive allure, avait heurté un sanglier, perdu le contrôle de son véhicule, percuté des véhicules venant en face et provoqué la mort d'une conductrice.
Comme le souhaitait le législateur, la circulation routière s'avère être le domaine de prédilection de la causalité directe qui, rappelons-le, n'exige que la démonstration d'une faute simple.
Mais il faut se garder de tout automatisme car, même en cette matière, la causalité indirecte n'est, souvent, pas loin.
Tel fut le cas dans cette affaire où un accident mortel a été causé par la chute de chevrons de bois transportés sur un camion, en raison de la rupture de la sangle qui les maintenait ; le chauffeur et le chef d'entreprise, qui n'avaient pas eux-mêmes participé à l'arrimage, ont été considérés comme des auteurs indirects, à supposer qu'une faute puisse leur être reprochée (crim. 20 mars 2001, C 99 87 407).
La causalité directe occupe aussi une place importante en matière médicale et chirurgicale lorsque le dommage résulte d'une imprudence commise par le médecin lui-même dans une prescription, ou lors d'un examen ou lors d'une intervention ou lors d'un défaut d'intervention.
De nombreux arrêts ont été rendus et plusieurs figurent, à titre d'exemples, dans le document en annexe.
Mais, là encore, la causalité indirecte resurgit lorsque est en question l'organisation du service hospitalier ou lorsqu'il est reproché au chef du service de ne pas s'être assuré de la bonne exécution de ses instructions par le personnel placé sous son autorité.
Comme l'a très bien résumé M. Desportes 3 ( * ) , alors conseiller référendaire à la chambre criminelle, aucun critère sûr ne permet de faire le partage entre causalité directe et indirecte :
le critère temporel se révèle en effet insuffisant dès lors qu'une cause éloignée dans le temps peut être tenue pour directe (ex : décès survenant plusieurs mois après la prescription médicale qui en est la cause) ;
le critère tiré de la force causale n'est pas, non plus, à lui seul, suffisant car une cause majeure, voire exclusive, peut n'être qu'indirecte (ainsi du non respect de la réglementation en matière de sécurité du travail) de même qu'une cause partielle peut être directe (ainsi de l'accident causé à la fois par une faute de conduite du chauffeur, cause directe, et par un défaut d'entretien du véhicule incombant à l'employeur, cause indirecte) ;
et le critère du caractère positif ou négatif de l'acte dommageable n'est pas non plus suffisant et péremptoire car une omission au même titre qu'un acte positif peut, en particulier dans le domaine médico-chirurgical, être la cause directe du dommage.
La chambre criminelle et, avant elle, les juges du fond, se livrent donc à une appréciation au cas par cas, souvent délicate, donnant lieu à des discussions souvent vives et en se gardant, une nouvelle fois, de tout automatisme.
Si le lien de causalité direct n'est pas défini par la loi, il n'en va pas de même pour le lien de causalité indirect puisqu'aux termes de l'alinéa4 de l'article 121-3 du Code pénal « sont auteurs indirects du dommage, les personnes physiques qui ont créé, ou contribué à créer, la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter... » .
Dès lors, les erreurs d'organisation, les insuffisances d'investissement, les défaillances de contrôles, imputables aux personnes investies de pouvoirs de direction, ne sont jamais considérés par la chambre comme la cause directe des dommages dont le fait générateur immédiat est un incident technique, ou encore, la maladresse ou l'inattention d'un préposé.
Comme l'a très bien dit M. Desportes, il y a causalité indirecte toutes les fois que, dans la chaîne des causes, vient s'intercaler, entre la faute du prévenu et le dommage, l'action ou l'omission d'un tiers, voire de la victime elle-même, dès lors que cette action ou omission a été elle-même déterminée par l'auteur de la faute initiale.
Ainsi que le souhaitait le législateur, les décideurs publics et privés ne voient donc leur responsabilité pénale engagée que pour des fautes qualifiées et la jurisprudence est désormais constante pour reconnaître la qualité d'auteurs indirects notamment :
aux chefs d'entreprise ou directeurs d'établissement en matière d'accidents du travail ou de pollution des eaux,
aux maires,
aux fonctionnaires d'autorité : proviseurs, directeurs d'école, instituteurs, agents de l'ONF, ingénieurs en chef responsables des services techniques d'une commune, instructeurs d'une compagnie d'aviation,
à celles et ceux qui encadrent des groupes d'enfants que l'accident ait lieu dans l'enceinte scolaire ou lors d'activités extérieures,
mais aussi aux responsables d'une prestation défectueuse : bailleurs de logements comportant des appareils de chauffage défectueux, chauffagistes, agriculteur moissonnant en période de sécheresse et de vents forts et provoquant un incendie mortel, loueur de scooter des mers...
La liste n'est pas close et la chambre, nous l'avons vu, veille à la pertinence de la qualification « directe ou indirecte » qu'ont entendu retenir les juges du fond.
III - La faute qualifiée
Après s'être assuré de l'existence d'un lien de causalité indirect, il convient ensuite de vérifier qu'a bien été établie l'existence d'une faute qualifiée résultant :
soit d'une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement,
soit d'une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité ne pouvant être ignoré.
La violation manifestement délibérée
a certes été retenue dès le 12 septembre 2000 dans une affaire où le chef d'entreprise avait, en connaissance de cause, décidé de ne pas mettre en place le blindage d'une tranchée imposée par l'article 72 du décret du 8 janvier 1965 (crim. 12septembre 2000 B 268).
C'est aussi une faute délibérée que s'est vu reprocher un médecin anesthésiste ayant méconnu les dispositions d'un décret du 2 décembre 2004 (crim. 11 septembre 2001 B 176).
Il demeure qu'elle se révèle difficile à caractériser puisqu'il faut établir :
une violation manifestement délibérée : élément subjectif
une obligation particulière de prudence et de sécurité prévue par la loi et le règlement : élément objectif.
Ainsi la chambre a-t-elle, le 18 juin 2002, cassé un arrêt de cour d'appel qui, à la suite d'une collision entre un véhicule en excès de vitesse et deux enfants qui défilaient dans une fanfare, avait condamné, pour blessures involontaires, le maire auquel il était reproché de n'avoir pas interdit la circulation pendant la manifestation et d'avoir seulement délégué un adjoint en tête du cortège pour en assurer la sécurité. Les juges du fond, avons-nous jugé, ne pouvaient relever à la charge du maire « un manquement à une obligation de sécurité prévue par la loi sans préciser la source et la nature de cette obligation... ». La violation manifestement délibérée s'avère également difficile à établir en matière d'accidents du travail, contentieux qui, en raison du maillage législatif et réglementaire existant, semblait pourtant devoir être le domaine de prédilection de la faute délibérée.
Aussi, très souvent, les prescriptions textuelles existantes viennent-elles au soutien de la démonstration d'une faute caractérisée qui vient se substituer à la violation manifestement délibérée. Tel a été dernièrement le cas dans un arrêt du 4 octobre 2005 rendu dans les circonstances suivantes : au cours d'une initiation à la voie organisée par un professeur d'éducation physique, assisté d'un professeur de biologie, l'un des dériveurs a chaviré et son occupant s'est noyé. L'enseignant qui avait organisé cette sortie ne pouvait se voir opposer les dispositions de l'arrêté du 2 août 1985, qui n'imposent qu'aux centres et écoles de voile l'obligation de disposer d'un enseignant qualifié au moins par groupe de dix dériveurs. En revanche, il a été considéré qu'en exerçant seul, avec l'assistance d'une collègue non qualifiée, une surveillance insuffisante sur un groupe de 21 enfants dépourvus de toute expérience de la navigation, il avait commis une faute caractérisée.
Arrêtons-nous donc sur la faute caractérisée
Définie plus largement, le professeur Mayaud lui prédisait « un bel avenir » et il a vu juste. Il n'est en effet plus question de manquement volontaire à une règle de discipline sociale mais :
d'une défaillance majeure, d'une particulière évidence, ayant un caractère affirmé que le législateur a entendu situer un cran au-dessus de la faute inexcusable puisque les dispositions de l'article 4-1 du Code de procédure pénale, issues de la loi du 10 juillet 2000, permettent, en cas de relaxe au pénal, de chercher réparation au civil sur le fondement de la faute inexcusable ;
d'une défaillance ayant exposé autrui à un risque d'une particulière gravité : condition objective ;
et que l'auteur du dommage ne pouvait ignorer
cette troisième condition, tenant au degré de conscience du prévenu, est la plus délicate.
S'agissant de la première condition : une faute d'un réel degré de gravité, la chambre criminelle vérifie si les juges du fond ont procédé à une analyse concrète des diligences accomplies par le prévenu en tenant compte, comme le prévoit l'article 121-03 du Code pénal, « de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».
- Ainsi, dans l'affaire de l'avalanche des Orres, a-t-elle considéré qu'en relaxant le professeur d'éducation physique qui accompagnait les enfants et le directeur du centre de vacances, la cour d'appel avait justifié sa décision dès lors que « ni le professeur d'éducation physique qui a accompli des diligences normales dans la préparation et la surveillance du séjour à la montagne de la classe dont il était responsable, ni le directeur du centre de plein air, qui a fourni au groupe un encadrement professionnel et des moyens matériels suffisants au regard des usages alors en vigueur lors des randonnées en raquettes et qui a demandé à l'accompagnateur de montagne, spécialiste de cette activité, de reconnaître préalablement le parcours, n'ont violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence et de sécurité ou commis une faute caractérisée (crim. 26 novembre 2002 B 211).
- De même, dans l'affaire du défilé d'une fanfare, évoquée il y a un instant, l'arrêt de condamnation a été également cassé pour n'avoir pas recherché en quoi les diligences, consistant à placer un adjoint en tête du cortège, n'étaient pas normales et adaptées aux risques prévisibles.
- En revanche, et c'est un arrêt du 18 mars 2003 (B 71), commet une faute caractérisée le maire qui, connaissant la configuration des lieux, ne réglemente pas la circulation des dameuses en dehors des pistes de ski alpin et qui a ainsi contribué à créer la situation à l'origine du décès d'un enfant déchiqueté par l'un de ces engins qui traversait une piste de luge.
La deuxième condition « exposer autrui à un risque d'une particulière gravité » est une condition objective qui n'a pas soulevé jusqu'ici de difficultés particulières. Tout au plus, peut-on noter que la chambre a dépassé le mot « autrui » pour appliquer le nouveau texte à des atteintes, non pas à l'intégrité physique, mais à la faune, la flore ou l'environnement. Elle l'a fait dans le souci de répondre au voeu du législateur qui avait clairement indiqué que la loi ne devait pas affaiblir la répression des atteintes à l'environnement.
La plus délicate est donc la troisième condition : exposer à un risque que l'on ne pouvait ignorer. On ne peut se contenter d'affirmer, de manière abstraite, que le mis en cause « aurait dû » connaître l'existence du risque. Ce qui nous rapprocherait de la « faute inexcusable » dont on a dit qu'elle se situe un cran au-dessous de la faute caractérisée.
La frontière étant bien mince entre celui qui « devait connaître » et celui qui « ne pouvait ignorer », la chambre criminelle a donc, là encore, mis en oeuvre une jurisprudence nuancée en opérant une distinction entre :
ceux pour lesquels la connaissance du risque est exigée en raison de la nature de leurs activités ou de leur fonction,
et ceux pour lesquels la connaissance du risque doit être spécifiquement démontrée par des signalements, des avertissements, des mises en garde.
Dans la première catégorie et, je le rappelle, tel était le voeu du législateur de juillet 2000, on trouve essentiellement les employeurs. La jurisprudence est abondante : défaut de plans de sécurité, travail à proximité d'une ligne à haute tension, travail dangereux sans formation, ni information, travail en hauteur sans protection (cf. : les exemples cités dans le document en annexe).
La seconde catégorie exige que soit caractérisée une conscience concrète de l'existence et de la gravité du risque créé en distinguant selon que l'on est en présence de professionnels (tels que des plombiers installateurs d'appareils de chauffage au gaz) ou de particuliers. Ce souci d'élaborer une jurisprudence nuancée a ainsi conduit, s'agissant notamment des élus et des enseignants, à juger :
- qu'était justifiée la relaxe d'un maire poursuivi pour homicide involontaire à la suite de la chute, sur un enfant, de la barre d'une cage de gardien de but, dès lors que, si le prévenu était informé, notamment par des circulaires préfectorales, de la dangerosité des cages mobiles, il n'était pas démontré qu'il avait eu connaissance de la présence sur le terrain communal, équipé de cages fixes, de cages mobiles en surnombre acquises par le club de football (crim. 4 juin 2002 B 127).
- En revanche, à la suite du décès d'un enfant écrasé sur une aire de jeux municipale, par une buse en béton que ses camarades s'amusaient à faire rouler, il a été considéré que la cour d'appel avait pu déclarer coupable d'homicide involontaire le maire auquel il avait été signalé que cette buse, installée avant son élection pour l'écoulement des eaux mais non fixée ni stabilisée, était utilisée comme élément de jeu (crim. 2 décembre 2003 B 231).
- En sens inverse, il a été jugé qu'une institutrice pouvait ignorer qu'un enfant, qui bénéficiait de la permission de se rendre aux toilettes pendant les cours, s'y livrait à des jeux d'auto pendaison qui ont provoqué sa mort (crim. 10 décembre 2002 B 223).
- Et il a de même été jugé que l'institutrice, ayant emmené ses élèves en classe de découverte dans le lit d'un cours d'eau à l'aval d'un barrage, pouvait ignorer le risque de brusque montée des eaux dès lors que cette sortie, autorisée par l'inspection de l'éducation nationale, avait lieu dans le cadre d'un service organisé par la ville de Grenoble avec une accompagnatrice qualifiée (crim. 18 juin 2002 B 139).
- En revanche, dernier exemple, l'enseignant connaissant la dangerosité de l'ouverture des fenêtres de sa salle de classe, située au deuxième étage, qui ne les referme pas après la fin de la récréation, a été jugé pénalement responsable du décès d'une de ses élèves qui, s'étant assise sur le bord, a basculé et s'est mortellement blessée (crim. 6 septembre 2005 n° 04 87 778).
IV. En conclusion et pour être bien clair
Il me semble que depuis cinq ans et sans que l'on puisse parler de bouleversement, la chambre criminelle, à travers une jurisprudence délicate à mettre en oeuvre, mais « nuancée, pragmatique et réaliste » (pour reprendre les termes de Mme l'avocat général Dominique Commaret) s'est efforcée de donner leur plein effet aux souhaits du législateur du 10 juillet 2000. Car c'est cela le travail du juge quel que soit le regard qu'à titre personnel il porte sur les dispositions du texte qu'il lui est demandé d'appliquer. Sans doute la réforme se voulait-elle de portée générale mais il était clairement affiché que la garde ne devait pas être baissée dans certains secteurs et tel est bien le cas aujourd'hui dans le domaine :
de la circulation routière, où dominent la causalité directe et donc la faute simple ;
des accidents du travail, où les obligations de sécurité très rigoureuses qui pèsent sur les employeurs ne permettent guère d'invoquer une ignorance des risques ;
du droit de l'environnement enfin, étant précisé que la jurisprudence est ici encore très pauvre.
Dans les contentieux où règne la causalité indirecte, la jurisprudence se révèle nuancée :
la démonstration de la faute caractérisée est parfois délicate car les exigences légales sont incontestablement plus grandes. Aussi la répression est-elle moins systématique -c'est à l'évidence le cas en matière médicale- et surtout mieux ciblée que naguère, et c'est ce qui était voulu.
Mais on ne peut, pour autant, parler de dépénalisation ni d'impunité au bénéfice de certains et les exemples figurant dans le document en annexe, comme ceux que je viens de citer, en témoignent.
Enfin, et c'est pourtant un pénaliste qui parle, la réparation du dommage au plan civil demeure et c'est bien ainsi tant il est nécessaire de rappeler, sans cesse, que le droit pénal n'a pas vocation à régler tous les dysfonctionnements de notre société. Je ne puis, à cet égard, que renvoyer aux possibilités qu'ouvrent les articles 4-1 et 470-1 du Code de procédure pénale.
Je vous remercie pour votre immense patience car j'ai, sans nul doute, dépassé le temps qui m'était imparti. J'avais énormément de choses à vous dire, un bilan est toujours un peu long. Il resterait beaucoup à dire mais c'est précisément vous qui allez parler à présent.
M. HYEST
Je crois que dans la jurisprudence que vous avez abordée, vous avez mis en lumière d'autres domaines qui n'apparaissaient pas prioritaires lors de nos réflexions. Vous avez notamment évoqué le domaine médical qui génère aussi certaines inquiétudes. Je crois que ce bilan était indispensable pour tous. Nous allons continuer le tour de cette table ronde en laissant la parole au président de l'Association des maires de France, Monsieur Jacques Pélissard. Je rappelle que cette association a joué un rôle important au moment de la rédaction de cette loi.
M. PÉLISSARD
Il est vrai qu'au début des années 1994, après la réforme de la faute non intentionnelle, les maires ont eu l'impression que les poursuites à leur encontre se multipliaient. Ainsi en matière environnementale, un maire avait été condamné parce qu'il avait dévié un ruisseau et qu'il avait mis en péril des écrevisses à patte blanche. Les écrevisses à patte blanche ont ainsi semé la terreur chez les maires et déclenché ce mouvement de réforme. J'ai donc été le rapporteur à l'Assemblée Nationale de la loi du 13 mars 1996, première tentative de modification du Code pénal en matière de délits non intentionnels. Le législateur espérait enrayer cette pénalisation excessive en développant l'appréciation in concreto au détriment de l'appréciation in abstracto . Cette modification a d'ailleurs amené les juridictions à une motivation plus qualitative et à une meilleure qualification des faits. Cependant, cette loi est vite apparue insuffisante et c'est pourquoi, sous l'impulsion de l'Association des maires de France, présidée à l'époque par Jean-Paul Delevoye, une nouvelle réflexion a été initiée. Le congrès des maires de France avait déjà en novembre 1999 délibéré sur cette question. Après un travail préparatoire important, la loi du 10 juillet 2000 a été votée.
Quel est l'état de la situation cinq ans après ? Je voudrais féliciter le Sénat pour avoir organisé ce colloque sur cette législation. En tant que président de l'Association des maires de France, j'ai suivi de près l'évolution des affaires impliquant des maires suite à la loi Fauchon. La jurisprudence semble assez contrastée. Dans certaines affaires, les maires ont été condamnés et dans d'autres, ils ont bénéficié d'une relaxe ou d'un non-lieu. Dans un jugement du 7 septembre 2000, le Tribunal de grande instance de la Rochelle a relaxé le maire d'une commune au sujet d'un adolescent écrasé par la barre transversale d'une cage de football, qui s'était renversée sur lui. Le tribunal, s'appuyant sur l'enquête du juge d'instruction, avait considéré qu'il n'avait pas été démontré que l'attention du maire avait été attirée « de manière précise et certaine » sur la présence sur le terrain de football de ces buts amovibles, et ceci d'autant moins que la Commission de sécurité, elle-même, n'avait pas vérifié ces équipements. Le Tribunal a constaté l'existence d'un simple lien indirect. Quelques mois après la publication de la loi, le juge appliquait donc bien cette nouvelle distinction entre d'une part la causalité directe et la faute simple et d'autre part la causalité indirecte et la faute qualifiée ou caractérisée. Le non respect des règles de sécurité par le maire n'était manifestement pas délibéré.
Des décisions de condamnations ont ensuite été prononcées. Lors d'un bal « disco » avec projection de mousse, une personne avait été électrocutée, en raison d'un matériel d'isolation défectueux ayant entraîné un incident électrique. Le Tribunal de grande instance de Perpignan avait alors condamné le maire pour ne pas avoir fait vérifier l'installation électrique. Il se trouvait, de plus, que la personne ayant fourni le matériel de sonorisation était l'un de ses proches. De même, le Tribunal de grande instance de Millau a condamné un maire pour ne pas avoir réglementé la circulation des engins de damage. La commission chargée de la réglementation de la circulation des pistes ne s'étant pas réunie, un enfant avait été déchiqueté sur sa luge par l'engin de damage. Le Tribunal de grande instance de Bonneville a condamné en juillet 2003 un maire pour avoir manqué à « son obligation de prévenir l'avalanche par des précautions convenables ». Pour le juge, le caractère particulièrement grave de la faute résidait dans « l'accumulation des fautes d'appréciation du risque ». Les décisions de jurisprudence conjuguent intelligemment cette dichotomie entre la causalité directe et la faute simple, la causalité indirecte et la faute qualifiée, soit délibérée, soit caractérisée. En revanche, les maires de France aimeraient encore formuler quelques remarques qui illustrent leur attente sur différents points :
· L'introduction de la distinction fondamentale entre la faute de service et la faute personnelle permettrait de mettre l'accent sur la réalité de la faute personnelle. Le juge pénal a en effet tendance à mélanger ces deux types de faute. La condamnation d'une personne pour un délit non intentionnel en raison d'une faute qualifiée a des conséquences sur l'imputation des dommages et intérêts aux victimes et sur l'application de la protection fonctionnelle.
· Les maires ont parfois le sentiment d'être les seuls boucs émissaires dans la mesure où la responsabilité de l'Etat est totalement omise. L'article L561 du code de l'environnement précise que « c'est l'Etat qui élabore, qui met en application les plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de terrain et les avalanches ». Et pourtant, c'est le maire qui passe en première ligne, la responsabilité de l'Etat étant souvent oubliée.
· Le texte actuel fait appel à des notions un peu fuyantes comme le caractère direct ou non du lien de causalité. Selon le juge, la responsabilité des décideurs et des agents publics peut donc fortement varier. Nous aimerions que cette notion soit plus précisément définie. L'exemple en a été donné par la relaxe du maire d'Ouessant par un arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 19 septembre 2000. Un enfant était tombé d'une falaise. Le juge avait considéré que « sa faute n'avait fait que contribuer à la situation dommageable » et qu'il n'avait pas commis de faute qualifiée. Les fautes du directeur du Collège et des enseignants avaient pourtant été considérées en lien de causalité directe avec le dommage. La notion de « contribution » apparaît extrêmement floue.
· La loi a permis de cadrer certains éléments et les décisions de jurisprudence énumérées montrent que la Cour de Cassation a une ligne claire et a bien compris la réalité des choses. En revanche, cet aspect du dossier ne doit pas occulter la mise en examen et un dispositif doit être mis en place pour mieux la réguler. En effet, il s'agit pour un maire, d'un point de vue personnel comme professionnel, de l'expérience la plus pénalisante et humiliante.
En conclusion, nous vivons dans une société marquée par les émotions et la loi ne doit pas en être la conséquence, comme cela fut le cas dans les réformes successives du Code de procédure pénale. Jean-Claude Bonnal, délinquant multirécidiviste, ayant après sa mise en liberté participé à une série de meurtres, une série d'articles en faveur de la détention provisoire ont immédiatement été modifiés. En contre-calque, nous vivons actuellement l'affaire d'Outreau avec des réactions diamétralement inverses. Nous ne devons pas en tant que législateur réagir sous le coup de l'émotion. La loi doit s'appliquer dans la durée et comme l'a dit Montesquieu « on ne doit toucher à la loi que d'une main tremblante ». Nous avons ici une bonne loi qu'il faudrait peut-être compléter. Cependant, il ne faut pas remettre en cause son esprit qui a montré son efficacité.
M. ALDEBERT
Au travers les termes de la loi du 10 juillet 2000 et les critères dégagés par la jurisprudence, comment un parquet comme celui de Paris apprécie les faits qui lui sont soumis, peut les qualifier juridiquement afin de mener une politique pénale cohérente ?
La section S1 du parquet de Paris est saisie essentiellement du contentieux de la responsabilité du chef d'entreprise, des pollutions maritimes, de la responsabilité médicale et de la responsabilité pénale en matière de santé publique (comme les dossiers d'exposition à l'amiante par exemple).
Ces contentieux ne sont pas significatifs (en termes de statistiques) dans un parquet au regard des autres domaines de compétence (notamment la délinquance dite de voie publique) mais ils augmentent sérieusement, surtout en matière de santé publique.
- Accidents du travail : 65 procédures d'accident du travail reçues en 2005 / 8 classements (73 en 2004 / 9 classements). Les poursuites sont majoritaires.
- Responsabilité médicale : 2005, 53 procédures enregistrées; 25 ONL ; 20 classements, 3 ORTC, 3 jugements. Les poursuites sont minoritaires.
- Santé publique : 2003, 18 grands dossiers thématiques comprenant 58 procédures d'informations. (Tchernobyl, la vache folle, hormone de croissance, syndrome de la guerre du Golfe, hépatite B). 2006 : une centaine de dossiers sont répertoriés, (dioxine, éthers de glycol, fraudes en matière alimentaire , distilbène, contrefaçon de médicaments, conséquences des essais nucléaires et bien sûr l'exposition à l'amiante)
Pour ce dernier contentieux: une quarantaine de dossiers en cours, soit 25 préliminaires, 16 informations au 1er février 2006).
Il oblige à un investissement important de la part des magistrats, investissement d'autant plus significatif que les dispositions de la loi Fauchon impose de rapporter la preuve d'une faute qualifiée.(délibérée ou caractérisée).
Les délits concernés sont essentiellement les atteintes à l'environnement (accidents de mer), les homicides et blessures involontaires.
Quelle est donc l'approche et la démarche du parquet dans cette matière ?
Trois questions essentielles devront se poser aux magistrats:
I- Le lien de causalité entre la faute et le dommage.
II- la nature de la faute.
III- la délimitation de la responsabilité.
I. Le lien de causalité entre la faute et le dommage
A - Le lien de causalité doit avoir un caractère certain
Le lien scientifique in concreto doit être établi.
L'état de la science doit être pris en compte au moment des faits.
Si toutes ces conditions ne sont pas remplies, le magistrat devra en tirer les conséquences, c'est à dire prendre une décision de classement sans suite, de non lieu ou de relaxe, même si la douleur des victimes est bien réelle.
A cet égard, une politique pénale restrictive de recevabilité des parties civiles est essentielle, tout comportement humain contestable ne relevant pas d'une faute pénale.
Elle évite par ailleurs d'entretenir les illusions des plaignants qui sont à l'initiative d'une procédure pénale hasardeuse.
B - Le lien de causalité peut avoir un caractère direct ou indirect.
Il sera apprécié en fonction des principes dégagés par la jurisprudence de la Cour de cassation.
a) - Direct : le dommage est la conséquence d'une atteinte portée physiquement par le prévenu lui même, fût-ce par l'intermédiaire d'un objet (instrument; médicament) ou bien l'omission fautive si elle en est la cause unique et immédiate, c'est à dire chaque fois que par sa seule action personnelle, le prévenu aurait pu empêcher le dommage.
b) - Indirect : dans l'exercice d'une activité placée sous la responsabilité du mis en cause, par un défaut d'organisation , de surveillance ou de contrôle, celui ci a créé ou laissé créer une situation dangereuse ayant rendu possible la survenance du dommage dont la cause directe a été l'action de la victime, d'un tiers ou encore un d'événement naturel.
II - la nature de la faute : faute simple ou faute qualifiée .
Deux observations :
1 - le choix entre la violation délibérée et la faute caractérisée se fait plus aisément en faveur de cette dernière. Celle-ci a tendance à englober en pratique la première, même si la faute délibérée est plus grave que la faute caractérisée. En cas de poursuites, le ministère public ne sera pas dans l'obligation de retenir la circonstance aggravante des délits d'homicide et blessures involontaires, dont les éléments constitutifs sont identiques à ceux de la faute délibérée. Le choix est donc plus affiné et correspond finalement à une hypothèse plus fréquente.
2 - en matière de faute caractérisée, la connaissance du risque ou la possibilité d'ignorer le risque appelle une appréciation très concrète fondée sur les circonstances de l'espèce, et renvoie à une analyse de la situation de l'agent, de la nature et de la force des obligations qui pesaient sur lui, des informations et des moyens dont il disposait pour les assumer.
A - La responsabilité du chef d'entreprise :
Sa mise en oeuvre ne pose pas de difficulté particulière compte tenu de l'obligation du chef d'entreprise de faire respecter la sécurité au sein de sa société.
- En effet, la mise en évidence d'infractions à l'hygiène-sécurité sera un des éléments constitutifs de la faute qualifiée (soit sur la violation délibérée de la règle, soit sur la faute caractérisée). Ex : absence de plan de prévention, de formation à la sécurité, mise à disposition de matériel non conforme, etc... permettent de présumer de la connaissance effective et précise du risque créé.
- La mise en cause de la personne morale est une pratique bien admise à présent, d'autant que seule la faute simple est requise. Cette possibilité est intéressante surtout :
quand l'entreprise est importante
quand c'est le mode de fonctionnement lui-même qui permet d'engager sa responsabilité.
Elle évite de s'interroger aussi sur l'effectivité des délégations de pouvoir.
C'est d'ailleurs le sens des instructions de la circulaire du 13 février 2006 relative à la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales qui demandent de privilégier les poursuites contre celles-ci. Il s'agit purement et simplement d'une reprise de la circulaire d'application de la loi Fauchon.
En matière de pollution et dans le dossier de l'Erika, le choix du parquet n'a t il pas été de mettre en cause la personne morale de Total, compte tenu des éléments du dossier ne permettant pas de démontrer une faute qualifiée des personnes physiques auxquelles il était reproché un affrètement du bateau sans grande rigueur. (Les différents contrôles ayant autorisé la navigation) ?
B - La responsabilité médicale :
Sa mise en oeuvre est plus délicate dans la mesure où il existe peu de textes législatifs ou réglementaires sur le sujet, sauf à se référer aux bonnes pratiques médicales définies en fonction des connaissances scientifiques du moment. Ce constat se traduit notamment par une majorité de décisions de non poursuite.
1ère difficulté : le juge prend le risque de s'immiscer dans les compétences du médecin, ce qui peut être dangereux voire illégitime (même si cette hypothèse est plus fréquente en matière de causalité directe), et de méconnaître l'état de la sciences aux moments des faits.
2ème difficulté : Il peut y avoir plusieurs intervenants, chacun pouvant concourir au dommage, du chirurgien jusqu'à l'organisation du service, en passant par le personnel infirmier.
Comment faire le tri entre ce qui est imputable à l'auteur et ce qui ne l'est pas, et définir le niveau de responsabilité de chacun ?
Dès lors, le rôle de l'expert apparaît fondamental et notamment les expertises contradictoires au pénal, pour éviter un débat supplémentaire à l'audience sur la crédibilité des expertises.
Si la difficulté du choix de l'expert ne se pose pas particulièrement en matière de responsabilité médicale individuelle où nous avons un nombre d'experts reconnus suffisants, il n'en est pas de même en matière de santé publique dans la mesure où les dangers de nature différente sont totalement nouveaux.
Ex : qui connaît bien en France le problème du cancer de la thyroïde radio-induit évoqué dans le dossier Tchernobyl ?
Tous ces paramètres joueront forcément sur la définition des critères de la faute caractérisée.
III. L'étude de ces différents éléments délimitera le domaine des possibles responsabilités
A - La responsabilité de la personne morale
Il convient de veiller à sa mise en oeuvre uniquement après le 1 er mars 1994, même si ce débat n'est pas tranché au sein du pôle de santé publique entre les juges d'instruction, en dépit de trois jurisprudences très claires de cours d'appel (Pau : amiante EDF ; Paris : amiante Aulnay et Grenoble : pic de Bure).
B - La personne physique
Ce problème est d'importance dans les dossiers d'amiante, dans la mesure où ne resterait que la personne physique à l'encontre de laquelle il faudra démontrer une faute qualifiée.
Trois questions essentielles se posent en cette matière :
1 - La seule connaissance du caractère dangereux pour la santé d'une exposition à l'amiante et des textes réglementant la matière par les chefs d'entreprises ou les responsables publics, personnes physiques, sera-t-elle retenue par les juridictions judiciaires pour établir une faute qualifiée ?
2 - Avaient ils les pouvoirs suffisants pour imposer le respect de la législation sur l'amiante ?
3 - Comment mettre en cause ces responsables qui se succèdent d'ailleurs dans le temps si nous ne parvenons pas à identifier le moment précis de la contamination, surtout quand les pathologies se déclarent plusieurs années après ?
Conclusion
Deux observations et une question :
- L'analyse de la faute qualifiée, qui s'effectue in concreto , s'inscrit comme on l'a vu dans une analyse plus globale.
- La prudence et la distance par rapport à l'événement devront donc nous guider. A cette fin, un bureau d'information a été mis en place pour expliquer les raisons qui ont conduit le parquet à ne pas poursuivre.
Cette politique de communication est essentielle pour éviter certains malentendus entre les plaignants, seuls ou regroupés, et l'institution judiciaire.
En définitive, la loi du 10 juillet 2000, a-t-elle été un frein à la mise en oeuvre de responsabilité pénale ?
Je dirai :
- qu'elle n'a pas modifié le mode de poursuite (citation ou ouverture d'information) mais qu'elle a permis d'orienter les poursuites vers les personnes morales,
- qu'elle a obligé à davantage de rigueur pour les magistrats,
- qu'elle a permis de filtrer les procédures pénales insuffisamment injustifiées, mais qui se développent en raison d'une demande forte de sanction au-delà de la simple réparation,
Tous ces constats étant tempérés par une autre réalité, celle des faits eux-mêmes qui imposent souvent et naturellement les critères de la faute qualifiée.
Finalement, la loi du 10 juillet 2000, tout en réformant, ménage, en réalité, une continuité avec le droit antérieur, en invitant le juge à une appréciation toujours plus nuancée de la responsabilité.
M. HYEST
Je suis persuadé que la loi a été élaborée dans cet esprit. Il s'agissait de clarifier certains éléments pour permettre au juge de prendre toutes les précautions nécessaires. Maître Jakubowicz, vous vous êtes illustré dans une affaire mettant en cause de nombreux décideurs publics. Au moment où le tribunal concerné allait prendre sa décision, tout le monde s'inquiétait de la loi Fauchon qui venait d'être votée.
Me JAKUBOWICZ
J'avoue que par rapport aux autres intervenants, j'ai effectivement beaucoup de chance puisqu'il ne m'appartient pas de me livrer à un panorama toujours assez fastidieux de jurisprudence mais de me concentrer sur une décision émanant d'une juridiction fort éloignée de la Cour de cassation, puisqu'il s'agit d'une petite juridiction, le Tribunal correctionnel de Bonneville. Je vais me livrer à deux remarques préliminaires.
Premièrement, à une heure où beaucoup de critiques sont formulées à l'égard de la justice, je crois qu'il est important de souligner l'excellence de la justice rendue à Bonneville. A une heure où le juge d'instruction est souvent au centre des débats, il est important de rappeler que dans cette affaire le juge d'instruction a fourni un travail de qualité. Il s'agissait d'un dossier de 80 tomes, 23 CD Rom, seize prévenus, 258 parties civiles et d'un petit juge, dans une petite juridiction, qui s'en est plus qu'admirablement sorti. Je voudrais aussi souligner la qualité du travail accompli par le tribunal lui-même et plus particulièrement par son président. Qualifions le jugement de 632 pages d'une qualité trop rare. Cette justice a été entendue par la quasi-totalité des prévenus. Peu d'appels ont d'ailleurs été formés contre cette décision. Cette merveille de l'oralité des débats a permis aux victimes qui étaient présentes, de comprendre ce qui s'était passé, les rouages et le fonctionnement de notre justice.
Deuxièmement, la loi du 10 juillet 2000 ne constitue pas un obstacle à la condamnation en matière de délits non intentionnels. Et pourtant, le pire nous avait été prédit.
Je rappelle que la catastrophe du Mont-Blanc s'est produite le 24 mars 1999, c'est-à-dire avant la loi Fauchon. Des commentateurs nous faisaient ainsi remarquer que notre dossier n'avait que peu de chance d'aboutir à des condamnations ou même à des mises en examen. La veille de notre procès, certains ont cru bon de me rappeler l'existence de la loi Fauchon. Pourtant, trois mois d'audience ont abouti à ce jugement exemplaire.
Au terme de l'information et au moment du renvoi devant le tribunal correctionnel, personne n'avait instauré ce débat sur la loi Fauchon. L'appréciation in concreto est absolument indispensable et c'est la raison pour laquelle ce débat n'a pas eu lieu. Il appartenait au juge d'instruction au moment du renvoi de prendre position sur cette question. Dans cette affaire, était en question la réalité ou non de la circonstance aggravante résultant de l'alinéa 2 de l'article 221-6, à savoir s'il y avait donc une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. S'agissant de la sécurité dans le tunnel du Mont-Blanc, il n'existait pas de texte ou de réglementation qui imposait des critères spécifiques de sécurité. En d'autres termes, le tunnel du Mont-blanc n'est pas un établissement qui reçoit du public. Ce point semble paradoxal et a été difficile à comprendre pour les victimes comme pour nos concitoyens. Cette circonstance aggravante n'a donc pas été retenue.
Je voudrais utiliser maintenant ce jugement comme cadre de ma réflexion. Quelle méthode y est employée s'agissant tout particulièrement de la loi Fauchon ? Dans un premier temps, le jugement rappelle les textes. Puis il est fait part de cette dualité entre lien de causalité direct et indirect. « Les faits générateurs de cette catastrophe étant nombreux et enchevêtrés, il convient tout d'abord de les répartir entre les deux catégories légales de causalité directe et indirecte. Or l'article 121-3 précité ne donne pas de définition précise de l'une ou l'autre des causalités. Le législateur renvoie donc aux tribunaux le soin de définir ces notions à l'occasion des affaires qui leur sont soumises ». A partir des éléments de fait, le tribunal nous donne alors les critères : « la cause directe étant celle qui engage le plus largement la responsabilité pénale de l'auteur de la faute, elle doit en application des principes d'interprétation stricte des textes d'incrimination, recevoir une interprétation rigoureuse ». Le tribunal définira ce qu'est en l'espèce la cause directe. Tous les faits générateurs, ne répondant pas exactement à cette définition, seront classés dans la catégorie des causes indirectes. A partir de là, comment se fait la césure ? Le tribunal prend comme point de départ un moment dans les faits, qui est la détection des premières fumées. Tout ce qui est concomitant et postérieur relève du lien de causalité direct ; tout ce qui est antérieur, y compris dans un laps de temps qui peut être fort éloigné, sera inclus dans un lien de causalité indirect. A partir de ces deux liens de causalité, le juge établit trois catégories.
· Deux prévenus seront retenus dans un lien de causalité direct, le chauffeur du véhicule à l'origine de l'accident et l'un des deux régulateurs, celui qui est aux machines.
· Au titre d'un lien de causalité indirect, deux personnes ont été relaxées. Elles n'avaient d'ailleurs pas été citées par le Parquet mais dans le cadre de citation directe des parties civiles. L'un n'a pas commis de faute et l'ancien président de l'exploitation française a commis une faute mais le lien de causalité est insuffisant. Trois prévenus sont condamnés au nom de la causalité indirecte. Le maire de Chamonix a été condamné et il a interjeté appel. Le président de la société d'exploitation française, qui est également retenu dans les liens de la prévention et une fonctionnaire du ministère des transports. Ce lien de causalité indirect est retenu autour de la notion d'accumulation d'imprudences et de négligences successives témoignant d'une impéritie prolongée. Il s'agit de la notion de diligence normale. Ce jugement se situe dans le bon sens élémentaire, à telle enseigne, que même si mon confrère n'est pas d'accord, son client a accepté le jugement rendu. Cette appréciation n'était donc pas aussi farfelue que ce qui peut apparaître à première vue. Indépendamment du maire, les deux autres ont accepté le jugement, sévère, prononcé à leur égard.
· Le tribunal a retenu pour tous les autres, directeurs d'exploitation, directeurs de la sécurité, l'un des régulateurs, une dualité de lien de causalité. Le tribunal affirme qu'il existe à la fois un lien de causalité indirect pour tout ce qui est antérieur avec des fautes caractérisées et des fautes simples au moment du drame. Une peine de six mois de prison ferme a été prononcée à l'occasion de cette décision. Je ne parle pas des personnes morales car à ce sujet la notion de lien de causalité est indifférente. Trois personnes morales ont été condamnées.
Il nous avait été prédit le pire du côté des victimes mais le pire n'est pas advenu. A partir du moment où les faits sont avérés, je ne vois pas en quoi la loi Fauchon serait une entrave au bon fonctionnement de la justice, à la condition de ne pas tomber dans cet excès qui consisterait à tout définir. Il faut laisser le juge apprécier la situation au regard des éléments de fait. L'émotion ne doit pas tout présider mais les élus doivent aussi en tenir compte. La loi Fauchon n'empêche pas les instructions. Il n'appartient pas au juge d'instruction de se prononcer sur la qualification des faits. En effet, ce travail revient au juge du fond. Le procès du tunnel du Mont-Blanc en est un exemple éclatant.
M. MASSOT
- J'interviens très tardivement et je dois pourtant faire un retour en arrière car mon intervention se situe en amont de tout ce qui a été dit. Le Garde des Sceaux avait annoncé lors d'une question orale posée par le Sénateur Haenel, le 28 avril 1999, qu'elle allait créer un groupe de travail sur cette question de la responsabilité pénale des décideurs publics. Elle nous a adressé le 8 juin une lettre de mission demandant un rapport pour la fin de l'année 1999. Je me permets deux rectifications, par rapport à ce qui figure sur le titre de mon intervention et à ce qu'a dit M. le Premier Président de la Cour de cassation. Premièrement, ce groupe de travail ne se situait pas au sein du Conseil d'Etat, mais sa présidence en avait simplement été confiée à un président de section du Conseil d'Etat. Deuxièmement, nous ne nous sommes pas intéressés spécifiquement à la fonction publique mais à l'ensemble des décideurs publics, y compris les élus. Ce groupe comprenait deux magistrats administratifs, deux magistrats judiciaires, deux élus, un préfet et deux rapporteurs. Ce groupe a procédé à de très nombreuses auditions au long de l'été et de l'automne 1999 et il a remis son rapport le 16 décembre 1999. Ce rapport a été publié à la Documentation française dans la collection des rapports gouvernementaux.
Je ne conteste pas ce qu'a dit Monsieur Fauchon sur le caractère parallèle des deux démarches puisque lui-même a déposé sa proposition de loi le 7 octobre 1999. Je signale quand même que dès le 19 janvier 2000, le président du groupe de travail était auditionné par la Commission des lois du Sénat et je pense donc que le Sénat a estimé que notre travail avait quelque utilité pour son propre projet. Il y avait manifestement entre l'intention de la proposition de loi Fauchon et les propositions du groupe de travail une parfaite convergence sur trois objectifs :
· ne pas faire un texte propre aux décideurs publics mais un texte général ;
· séparer les cas où l'imprudence est la cause indirecte de ceux où elle est la cause directe, pour, dans le premier cas, exiger une faute plus grave ;
· mettre fin à l'assimilation de la faute civile et de la faute pénale puisque la faute civile n'a pas à être qualifiée.
Sur le dernier point, je rappellerai simplement que le Sénateur Fauchon et moi-même avons participé le 5 février 2000 aux entretiens de Saintes et qu'à cette occasion, le procureur général près la Cour de cassation a annoncé très clairement son intention de demander à la Cour de cassation de revenir sur l'assimilation de la faute civile et la faute pénale, qu'il a qualifiée de « stupidité ».
La version finale de la loi doit surtout techniquement au travail des Assemblées parlementaires en dialogue avec la Chancellerie et notamment avec le sous-directeur de la direction des affaires criminelles.
Nous avions aussi fait beaucoup d'autres propositions :
· cesser de créer sans cesse de nouvelles incriminations.
· améliorer la formation des juges répressifs au droit administratif et des élus et des fonctionnaires au droit pénal.
· développer d'autres formes de sanctions que la sanction pénale, comme par exemple la sanction disciplinaire pour les fonctionnaires (nous avions aussi proposé que les élus soient désormais justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière) ;
· améliorer le fonctionnement de la justice administrative, seule compétente pour statuer sur la responsabilité des agents publics lorsqu'est en cause une faute de service.
Je dois dire avec satisfaction que, sur le dernier point, nous avons en partie été entendus car peu de temps après, la loi sur les procédures d'urgence devant la juridiction administrative a été adoptée et a montré toute son efficacité.
En ce qui concerne les décideurs publics, c'est-à-dire les maires, les enseignants ou les préfets, les décisions rendues depuis la loi montrent qu'un juste équilibre a été atteint. Des exemples très concrets ont été fournis, notamment dans le cas de deux maires ou de deux instituteurs.
Je prendrai pour conclure les propos d'un article de Madame Commaret dans la Gazette du Palais de 2004 : « Si elle rend plus exigeante la démonstration juridique de la consistance de la faute et de la nature du lien causal, en tant que critères discriminants et si elle a abouti à une limitation des excès de la pénalisation de la vie sociale, qui n'exclut nullement la réparation du dommage au plan civil, la loi Fauchon n'a pas, fort heureusement, conduit à une impunité corporatiste choquante dont ne bénéficieraient que certaines catégories de décideurs ».
Me TEISSONNIERE
Mon intervention se situe dans un cadre plus large que celui des seuls accidents du travail. Elle inclut également les maladies professionnelles. C'est plus précisément sur cette question qu'elle est en effet centrée. Elle portera sur les affaires de l'amiante, sur le risque nucléaire, les métaux lourds, les éthers de glycol, la dioxine, et plus généralement sur le risque chimique ou ce que le livre II du Code du travail inclut dans la catégorie des CMR, c'est-à-dire les cancérogènes, les mutagènes et les reprotoxiques. Plus que la question classique des accidents du travail, c'est cette question des contaminations, des intoxications et des irradiations qui me pose problème au regard de la rédaction de la loi du 10 juillet 2000. Ce point de vue particulier me laisse penser que, dans le domaine général du dommage corporel, il serait nécessaire de modifier la loi pour mieux prendre en compte ce qui pourrait prendre la succession des risques mécaniques dans la période à venir. En effet si le contentieux des risques mécaniques est amené à durer, cependant, dans les affaires soulevées devant les tribunaux, les risques nouveaux vont poser au droit des questions nouvelles. Je m'interroge à ce propos sur la rédaction de la loi du 10 juillet 2000, qui ne semble pas forcément appropriée. Les accidents mécaniques, depuis le début de l'époque industrielle, ont considérablement influencé la loi et la jurisprudence, au travers de l'interprétation des textes sur les accidents du travail, de la circulation, et les accidents de transport. De la même manière, ces « risques industriels nouveaux », je veux parler des intoxications, contaminations et irradiations, posent de nouvelles questions au droit. C'est la raison pour laquelle, j'estime qu'adoptée à contre-courant de l'évolution des contentieux, la loi du 10 juillet 2000 présente un caractère intempestif. Elle arrive à un mauvais moment en traitant les problèmes dans le mauvais sens. Pourtant on pourrait prendre de nombreux exemples d'inadaptation de nos textes face à l'émergence des risques nouveaux : l'incrimination de l'atteinte involontaire à l'intégrité physique, article 222-19 du Code pénal, prévoit comme condition de cette infraction une incapacité temporaire de trois mois. En prenant l'exemple des éthers de glycol, il est possible de remarquer que ces solvants n'ont pour effet le plus certain que de rendre infertiles les personnes qui y sont exposées. Or, cette infertilité n'entraîne aucune incapacité temporaire totale. Nous sommes donc ici confrontés à une catégorie de préjudice considérable, pour des fautes qui potentiellement sont extrêmement importantes, mais qui ne trouvent pas d'incrimination correspondante. Je pourrais aussi citer les dizaines, voire les centaines d'enfants qui vivent au voisinage d'usines comme Métal Europe ou Métal Blanc et qui ont dans le sang des taux de plombémie extrêmement importants. Le saturnisme des enfants n'entraînera pas d'incapacité temporaire totale mais une perte de quotient intellectuel de 4, 5, 6, 7 points, ce qui constitue un préjudice considérable, ne trouvant pas d'incrimination correspondante dans le Code pénal.
Hans Jonas, philosophe allemand, auteur d'unouvrage remarquable intitulé « Le principe responsabilité » définit l'accident classique comme celui dans lequel la question de l'auteur ne se pose jamais. Effectivement, sur la scène du crime, j'entends ce terme au sens le plus large , entre le choix fait par l'auteur, la mise en oeuvre de ce choix et le résultat, c'est-à-dire le dommage, il existe une unité de temps et de lieu. La question de l'auteur ne se pose jamais. Dans les nouveaux risques industriels, la question de l'auteur se pose toujours. L'auteur et la victime ne se côtoient jamais sur la scène du crime. Le nouveau risque industriel est le royaume de prédilection de l'auteur indirect. Au moment où ce « nouveau risque industriel » prend l'importance que l'on constate au travers des affaires de l'amiante et d'un certain nombre d'autres affaires de même nature, il me semble que le danger que présente la loi du 10 juillet 2000, consiste à privilégier le coupable de proximité au moment même où l'auteur principal des faits est un auteur éloigné de la scène du crime. C'est la critique essentielle que je porte à la loi Fauchon, tout en reconnaissant précisément dans ce type de contentieux, qu'une modification des textes anciens était nécessaire. J'ai toujours considéré que nous ne pouvions pas, au moment où la loi du 10 juillet 2000 est intervenue, laisser la situation en l'état. Je pense qu'il était nécessaire de procéder à une évolution législative. Pour donner un exemple, dans l'affaire de l'amiante, les responsabilités pour les victimes d'aujourd'hui peuvent se décliner sur plusieurs décennies. Nous avons donc des catégories entières de responsabilités révélées par la non-application du décret de 1977, qui s'est d'ailleurs par la suite avéré insuffisant pour protéger les victimes. Si ce décret avait été appliqué, sans supprimer la catastrophe de l'amiante, il en aurait considérablement réduit les effets. Ainsi parmi les responsables, il est possible d'identifier des industriels ayant eu un comportement punissable au regard d'un décret insuffisantmais également les institutions de veille sanitaire comme l'IRNS, la médecine du travail, l'Inspection du travail et la Caisse régionale d'assurance maladie chargée de la prévention. Comment devant une telle multitude d'acteurs et dans une affaire aussi complexe organiser un procès ? Il est nécessaire d'établir une hiérarchie dans les comportements fautifs pour pouvoir retenir les responsabilités déterminantes et éviter une dilution de la responsabilité, qui risquerait d'entraîner une absence de responsabilité. C'est la raison pour laquelle je n'étais pas contre le principe de départ de la loi Fauchon. Il fallait introduire des éléments discriminants permettant de retenir les responsabilités essentielles et d'écarter ce qui, finalement, aurait contribué à rendre la situation confuse et à diluer les responsabilités. Cependant, je pense que ce critère de sélection n'a pas été le bon pour les raisons que j'indiquais tout à l'heure. A l'heure où les causes indirectes, dans ces catégories de contentieux, constituent les causes déterminantes, elles sont dans une certaine mesure repoussées au second rang, au profit des causalités directes. A partir de là, je pense que le choix qui a été retenu ne contribue pas à faciliter la recherche des responsabilités principales dans ce type de contentieux. Je m'interroge toujours sur le fait que nous ayons répondu dans une même loi à des questions extrêmement différentes. La différence entre le décideur public et l'employeur réside dans le fait que le décideur public n'a pas le pouvoir de licencier ses administrés. Une question de responsabilité ou d'autorité liée au pouvoir hiérarchique intervient dans un cas mais pas dans l'autre. Ainsi, il me semble difficile de proposer une solution globale pour régler la totalité des problèmes, dans la mesure où la discrimination qui apparaît souhaitable dans un cadre n'est pas forcément la plus pertinente dans l'autre.
M. BOUJU
Un certain nombre de points ont déjà été abordés. Je ne vais donc pas les détailler. Je vous parle depuis l'observatoire des risques juridiques des collectivités territoriales. Il s'agit d'une structure née de la convergence de deux interrogations. La première est celle des élus et des fonctionnaires qui constataient, à leur détriment, que la pénalisation de la vie publique était une réalité qui les touchait dans leur exercice quotidien de leurs missions. La deuxième interrogation est celle d'un assureur, plutôt spécialisé dans les collectivités territoriales, la SMACL, qui constatait que la protection juridique des élus était particulière dans le sens où il n'y avait pas de coïncidence entre le périmètre du risque exprimé et la capacité qu'avait l'assurance d'apaiser ce risque lorsque des évènements se produisaient. L'assurance ne pouvait pas prendre en compte les amendes et les dégâts collatéraux de la mise en cause des fonctionnaires. De ces deux interrogations est née cette idée de créer un observatoire qui permettrait de regarder et d'étudier l'évolution de ce contentieux pénal pour les élus et les fonctionnaires, mais aussi d'essayer de repérer les zones d'ombre dans leurs missions et dans leurs fonctions au quotidien qui les mettaient en danger. Il s'agissait ainsi d'essayer, dans un débat entre élus et fonctionnaires, d'examiner cette situation avec eux et de voir dans quelle mesure, des mesures préventives pouvaient être prises, le but étant de les rendre un peu plus sereins dans l'exercice de leur mission.
En ce qui concerne la loi Fauchon, ces interrogations ont apporté un élément significatif dans l'évolution de ce contentieux pénal. Je vais vous fournir quelques chiffres pour illustrer la situation des élus de notre point de vue. Le contentieux des violences involontaires représente un peu moins de 10 % du contentieux pénal qui touche les élus. Si on y ajoute les contentieux qui sont liés à l'urbanisme et à l'environnement, le contentieux pénal global pour les violences involontaires représente moins de 15 % du contentieux global. Il se trouve très loin derrière les manquements au devoir de probité, qui représentent environ 44 % des mises en cause. Rappelons quand même que les mises en cause pour manquement au devoir de probité n'impliquent pas forcément une malhonnêteté systématique des élus. Le contentieux des violences involontaires est donc modeste mais très sensible du point de vue de la mise en cause, moment privilégié où tout bascule et où dans la tête de leurs concitoyens le mal est fait. Dans le cas d'une mise en cause pour violence involontaire, l'élu apparaît déjà à moitié comme un assassin auprès des électeurs.
Sur le plan statistique, si l'on se réfère aux cinq années qui ont précédé la loi Fauchon et les cinq années qui ont suivi, une nette diminution des mises en cause des élus, de l'ordre de 36 % dans la deuxième période, est à observer. Le même phénomène peut être souligné dans le taux de condamnations, qui a sensiblement diminué à la suite de la loi Fauchon. En revanche, il faut noter que le phénomène de pénalisation de la vie publique a connu un pic très important dans les années 1994-1995 et a constitué un électrochoc qui a permis de prendre conscience d'un certain nombre de phénomènes et débouché également sur la mise en place des moyens de prévention de nature à alerter les adhérents sur des conduites qu'il ne fallait pas faire perdurer, ou du moins à les alerter sur les risques qu'ils encouraient.
Néanmoins, de l'analyse des arrêts, il semble que cette diminution de la pénalisation laisse pourtant les élus perplexes et n'apaise pas leur angoisse. En tant qu'auteurs indirects, le périmètre de possibilité de mise en cause des maires reste en effet extrêmement large, alors que les moyens de prévention apparaissent toujours aussi réduits et incertains. Par ailleurs, il n'est pas aisé pour un élu de déduire des manquements relevés, les comportements précis à adopter. Il existe un certain décalage dans le temps entre le moment où l'élu est confronté à un problème à régler de toute urgence dans sa municipalité et le moment où le juge examine les faits. En effet, si dans des circonstances d'urgence, l'élu peut avoir l'impression d'avoir pris les mesures suffisantes, la situation s'intègre dans des perspectives différentes devant le Tribunal. Les manquements prennent un relief, que l'environnement judiciaire et la présence de victimes rendent tout à fait impardonnables. Le sentiment d'angoisse semble donc toujours aussi grand. Cette situation fait naître le risque de l'adoption d'une attitude un peu fataliste, qui est préjudiciable à l'exercice de la prévention. La pénalisation de la vie publique témoigne aussi d'une dichotomie, qui existe entre le risque insensé que le citoyen est capable de prendre individuellement et l'extrême degré de sécurité et de prévision exigé par ce même citoyen envers les collectivités ou de ceux qui l'administrent. Prenons garde à ce que la mise en cause des pouvoirs publics et de leurs représentants ne soit pas pour les preneurs de risque insensés le moyen de faire oublier leurs propres turpitudes. Il est important que le citoyen comprenne qu'il a une part dans ce risque et qu'il doit être responsabilisé. Les victimes doivent certes recevoir une juste indemnisation de leur préjudice. Cependant, cette réparation ne doit pas se faire au détriment d'une compréhension des circonstances qui ont conduit aux accidents, clarification nécessaire pour mettre en évidence les moyens de prévention afin d'éviter que de tels incidents se reproduisent dans l'avenir. De fait, certains ont évoqué dans ces cas cités, une logique sacrificielle bien connue des anthropologues du droit. Nous ne nous situons plus ici dans le domaine de la loi Fauchon mais dans un débat de société.
Mme COMMARET
Accepter d'intervenir à ce moment précis de la journée présente, pour reprendre une certaine phraséologie qui convient aujourd'hui, un certain nombre de risques que je ne pouvais ignorer. Risques de redites inutiles notamment, puisque nous avons eu la chance ce matin d'entendre les interventions du président Cotte et de ces grands témoins qui ont chacun avec leur propre sensibilité, leur propre perception des choses, rappelé les objectifs et les enjeux de la réforme de l'imprudence punissable, les interrogations des élus, des professionnels concernés, des victimes, les ruptures mais aussi les continuités que son application jurisprudentielle a révélées. Alors nous nous trouvons au sommet de la bosse, c'est-à-dire à ce moment précis où le skieur déplace le poids du corps pour se placer sur le ski aval, autrement dit passer du bilan aux perspectives. Je crois que je prendrai le parti d'éluder toute tentative de synthèse, au demeurant vouée à l'échec, d'une matinée riche d'enseignements à tous égards, pour concentrer mon propos sur quelques réflexions « passerelles », qui vont s'ordonner tout naturellement autour des deux ou trois questionnements qui ont sous-tendu, plus ou moins clairement, les propos échangés ce matin et qui constituent les problématiques majeures du droit pénal spécial. A-t-on évité le risque d'inégalité de traitement que porte en germe toute dépénalisation partielle ? La sécurité juridique et la prévisibilité du droit de l'imprudence punissable sont-elles aujourd'hui totalement garanties ? Les condamnations encourues ou prononcées sont-elles efficaces et proportionnées à l'échelle de gravité des fautes d'imprudence reprochées ?
De toutes ces interrogations, revient en boucle, sans doute parce que toute réponse négative heurterait les principes constitutionnels affirmés par les articles 1 er et 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, celle qui concerne le risque d'inégalité, inégalité de traitement entre personnes morales de droit public et de droit privé, inégalité entre lampistes et décideurs, risque d'inégalité entre chefs d'entreprise et élus, entre prévenus et partie civile.
I - A-t-on évité le risque d'inégalité de traitement que porte en germe toute dépénalisation partielle ?
Retenus par la manche par d'éminents publicistes, les auteurs de la réforme des délits non intentionnels n'ont pas souhaité traiter de la même manière les personnes morales de droit privé et les personnes morales de droit public.
Si les premières ne bénéficient d'aucune immunité, pouvant être sanctionnées pour la moindre poussière de faute, les secondes bénéficient d'un régime particulier. Parce qu'il est titulaire de la puissance de juger, l'Etat ne serait être attrait devant le juge pénal. Quant à la notion de délégation de service public, notion familière au juge administratif, elle cantonne la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de ses groupements. Légalistes, les juges de l'ordre judiciaire se sont tout naturellement inspirés de la définition, du contenu et de la notion de la délégation de service public donnée par le Conseil d'Etat, puis par la loi MURCEF pour délimiter le champ de la responsabilité pénale des collectivités territoriales, à l'aune de leurs activités délégables. L'irresponsabilité pénale de l'exercice du pouvoir réglementaire, l'indélégabilité du pouvoir d'organisation des activités d'enseignement ou périscolaires, dont disposent les collectivités territoriales, tout cela était parfaitement prévisible puisque d'ores et déjà exprimé fortement dans les décisions ou avis du juge administratif comme dans les circulaires ministérielles.
Comment expliquer alors ce sentiment de malaise ? Le président Pélissard s'interrogeait ce matin sur l'opportunité d'une mise en jeu de la responsabilité pénale de l'Etat. Je crois que ce malaise vient de ce que l'exclusion, hors du champ pénal des activités régaliennes, décentralisées ou non, apparaît aujourd'hui en termes de stricte égalité, comme peut-être, une frilosité de la loi du 10 juillet 2000. Quels motifs suffisamment forts justifient en effet, que l'on puisse engager aujourd'hui sans la moindre limitation et pour l'ensemble de leurs activités, la responsabilité pénale d'un collège, d'un lycée, d'une université, d'un centre communal d'action sociale ou d'un hôpital public ou encore celle de n'importe quelle institution ou clinique privée, mais non celle d'un Conseil général ou d'une ville, dans les domaines de la santé ou de l'enseignement ? Ce sentiment d'injustice ou de déséquilibre n'est-il pas en train de se creuser, d'une part en raison de l'affirmation de l'inaction fautive des pouvoirs publics et de l'Etat dans certaines décisions judiciaires - et je pense bien entendu au non-lieu de Dunkerque -, d'autre part en raison de la disparition depuis le 1 er janvier 2006 du principe de spécialité, qui avait été retenu lors de la refonte du Code pénal, disparition qui augmente de manière exponentielle le risque pénal encouru par les entreprises, tandis que demeurent en place les paravalanches protecteurs des collectivités locales, d'autant que la mise en jeu plus large de la responsabilité des personnes morales permettrait d'éviter peut-être la difficulté qu'évoquait ce matin Maître Teissonnière, difficulté créée par la mobilité et la succession des décideurs. Faut-il abroger cette référence à la délégation de service public, source d'immunité pénale ? C'est l'une des questions qui se pose. Force est de constater tout de même et de manière raisonnable, que le législateur lui-même n'a pas osé abandonner cette référence aux activités délégables lors de l'examen et du vote de la loi du 9 mars 2004.
A largement été évoquée ce matin une autre critique adressée au législateur et au juge soupçonnés de favoriser la dépénalisation des comportements fautifs au seul profit de quelques décideurs ciblés et je crois qu'a été parfaitement balayée la critique adressée à ces derniers de ne poursuivre et de ne condamner que les lampistes.
Une autre source d'inégalité résiderait alors dans la différence de traitement réservée aux décideurs qu'ils soient publics ou privés. On entend notamment dire par les chefs d'entreprise que malgré les distinctions opérées par la loi Fauchon, ils n'ont, quant à eux, nullement bénéficié de la dépénalisation, contrairement aux décideurs publics. Il est vrai que ce déséquilibre existe car, au-delà de la volonté affirmée par le gouvernement, comme par le législateur, de ne pas affaiblir la répression dans les domaines emblématiques de la sécurité routière ou de la sécurité au travail, l'exigence d'exemplarité à l'endroit des chefs d'entreprises prend d'abord sa source dans le contenu même du code du travail, avec à la fois l'article L263-2, texte de portée générale qui pose le principe de leur responsabilité personnelle en matière d'hygiène et de sécurité et une réglementation détaillée et précise, érigeant en infractions de nombreux manquements à ces obligations de prudence ou de sécurité. Pour le droit du travail et le droit pénal, sauf délégation exprès de pouvoir, l'employeur est personnellement astreint, sous peine de sanction, à évaluer les risques, à les prévenir dans les formations, les informations et les protections appropriées, et à veiller à l'utilisation effective et constante des dispositifs de sécurité mis en place. Au demeurant, l'exigence exprimée par la loi de 1996, dont le président Pélissard rappelait la nécessaire conjugaison avec la loi de 2000, amène à distinguer l'importance de l'imprudence fautive en tenant compte des missions ou des fonctions, des compétences, des pouvoirs, des moyens dont dispose celui à qui est reproché cette faute. En effet, il n'ignore pas que les décideurs privés choisissent généralement leurs collaborateurs, qu'ils ont le pouvoir de s'en défaire en cas de faute grave ou lourde et qu'ils fixent librement la part du budget consacrée aux mesures d'hygiène et de sécurité. En revanche, tel n'est pas le cas des élus et décideurs publics, dont les responsabilités tous azimuts sont plutôt exposées dans des textes de portée générale. De plus, ils trouvent leurs équipes techniques en place et sont astreints pour des raisons d'annualité budgétaire et de continuité du service public à des choix financiers drastiques dans le cadre d'un budget, dont ils ne maîtrisent pas toutes les recettes. Reste cependant à souligner et c'est infiniment rassurant, que le juge traite de manière identique les élus et les agents publics qui exercent en régie des activités analogues à celles des chefs d'entreprises et qui nous ramènent au respect, à missions égales, d'une stricte égalité devant la loi.
On entend dire aussi du côté des victimes que la mise en jeu de la responsabilité pénale des décideurs publics ou des chefs d'entreprise demeure trop difficile, notamment dans le domaine des maladies professionnelles ou des risques chimiques. Il est vrai que les difficultés de preuve sont multiples, du fait du temps de latence des maladies, de la mobilité et surtout de la nécessité impérative en droit pénal d'établir d'une part un lien certain entre la faute et le dommage et d'autre part une connaissance précise du risque et des mesures de prévention qu'il impose. Contrairement à certaines idées reçues, véhiculées parfois jusqu'à un cénacle voisin, la loi Fauchon n'est en rien responsable de ces difficultés de charge de la preuve inhérentes à tout procès pénal. La nécessité de la démonstration par l'accusation d'une faute et d'un lien de causalité préexistaient à la loi du 10 juillet 2000 et lui survivront le cas échéant.
Plus sérieusement se pose la question de la recevabilité devant la Cour de cassation des parties civiles contre les arrêts de non-lieu rendus dans les grandes affaires de santé publique ou d'accidents collectifs. L'une des dispositions du Code de procédure pénale pose en principe que n'est pas recevable, en dehors d'exceptions strictement définies, le pourvoi formé par une partie civile contre un arrêt de non-lieu, lorsque ce pourvoi n'est pas accompagné d'un recours du ministère public. Cette limitation a été approuvée par la Cour européenne de Strasbourg dans l'arrêt Berger de décembre 2002. C'est bien la raison pour laquelle la Chambre criminelle a pu, grâce au pourvoi du procureur général de Paris, examiner les qualifications juridiques successivement envisagées dans l'affaire du sang contaminé, mais qu'elle n'a pu le faire, faute de pourvoi du procureur général de Douai, à propos des dégâts humains causés par l'amiante. Cette impossibilité de saisine de la Cour suprême pour un ultime contrôle de légalité peut paraître choquante dans des affaires aussi lourdes de conséquences sur le plan humain. Comment remédier à ce problème dès lors qu'une évolution jurisprudentielle est aujourd'hui improbable ? Il n'est guère que deux solutions qui peuvent au demeurant se cumuler. La première passe par des instructions écrites de politique pénale adressées aux procureurs généraux pour leur demander de former systématiquement un pourvoi dans les affaires dans lesquelles la décision de non-lieu a été rendue contre leur propre avis. Elle est simple à mettre en oeuvre et elle ne coûte rien. La seconde suppose une réécriture de l'article 575 du Code de procédure pénale, réécriture extrêmement délicate, tant est grand le risque d'engorgement de la Chambre criminelle et sa transformation en 3 ème degré de juridiction. Peut-être pourrait-elle prendre la forme, comme l'a suggéré mon ami Robert Finielz devant la commission d'information de l'Assemblée nationale, d'une dérogation exprès et strictement limitée à la prohibition du pourvoi en faveur d'associations ou de fédérations régulièrement déclarées depuis plus de cinq ans, qui se sont constituées parties civiles dans la procédure concernée et dont l'objet statutaire est la défense, soit des intérêts des victimes d'accidents collectifs, soit des intérêts des victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles. J'y suis personnellement favorable avec une extension des effets de la cassation éventuellement prononcée, au profit de chacune des victimes prise isolément.
II - La sécurité juridique et la prévisibilité du droit sont-elles aujourd'hui garanties ?
Toute réforme d'envergure, et la loi du 10 juillet 2000 en fut incontestablement une, porte cette interrogation tant que l'utilisation de notions nouvelles n'a pas été éprouvée au ban du prétoire. Je crois qu'il faut ici distinguer, bien qu'innovants dans le domaine pénal, certains choix opérés par le législateur étaient déjà parfaitement balisés juridiquement. J'ai évoqué l'activité délégable. Je pourrais aussi évoquer le concept de causalité adéquate que la doctrine avait largement défini et qui est constamment appliqué par le juge administratif à propos des dommages d'ouvrage ou de travaux publics. Plus imprévue sans doute fut, et le président Cotte en a longuement parlé ce matin, l'influence du concept de facteur déterminant dans l'affirmation jurisprudentielle de l'existence d'un lien causal direct. Les débats parlementaires et la circulaire d'application de la loi du 10 juillet 2000 avaient défini de manière très restrictive la causalité directe, comme la cause immédiate ou exclusive du dommage et l'interprétation jurisprudentielle a été incontestablement plus audacieuse, puisqu'elle tient pour inopérante l'existence de fautes concurrentes, et notamment celle de la victime, la survenance de phénomènes naturels, imprévisibles ou l'état de santé déjà opéré d'un malade. En effet, la Cour de cassation considère que le lien de causalité est direct, non seulement chaque fois que l'imprudence et la négligence reprochées apparaissent soit comme la cause unique et exclusive, soit comme la cause immédiate du dommage, mais aussi chaque fois que le comportement fautif relevé constitue le facteur déterminant de l'atteinte à l'intégrité physique de la personne. Il s'agit d'une conception dynamique de l'enchaînement causal, mais dans ce domaine comme dans tous les autres, il nous faut, en tant que magistrats, constamment maîtriser le positionnement du curseur.
Reste le concept de faute caractérisée, objet non identifié du droit positif, jusqu'à la loi du 10 juillet 2000. Le juge connaissait la faute lourde du droit administratif, la faute inexcusable du droit social, la mise en danger délibérée du droit pénal spécial et voilà que, plutôt que de faire son marché dans ce panel de fautes, le législateur en a créé une autre de toute pièce. Nos hôtes d'aujourd'hui me pardonneront cette impertinence, mais un tel qualificatif, de compromis, tient plus de la devinette que de la précision attendue de la loi. Les juges ont été placés devant l'obligation de distinguer la faute caractérisée de celle qu'ils connaissaient déjà. Je crois que l'on peut dire que ce qui paraît prédominer aujourd'hui dans l'interprétation de la faute caractérisée, est « l'assimilation à la faute lourde, dans ses deux définitions possibles, l'erreur unique et grossière qu'un professionnel avisé ne commet pas ou bien alors une série de négligences et d'imprudences qui entretiennent chacune un lien de causalité certain avec le dommage et dont l'accumulation permet d'établir l'existence d'une faute d'une particulière gravité dont ses auteurs ne pouvaient ignorer les conséquences », pour reprendre les termes d'un arrêt de la Cour d'appel de Rennes, récemment approuvé par la Cour de cassation. Cette faute se rapproche donc de la faute personnelle du droit administratif mais elle est plus large.
Quant à moi, je me demande si le moment ne serait pas venu pour la Chambre criminelle, dans sa mission régulatrice, de passer du simple contrôle de motivation au contrôle de qualification, qu'elle exerce notamment pour vérifier la nature du lien causal en matière de blessures et d'homicide involontaires. Contrôle plus lourd qui seul permettrait une approche harmonisée par les Cours d'appel d'une notion que le législateur a nommée sans véritablement la définir.
III - Les condamnations encourues ou prononcées sont-elles efficaces et proportionnées à l'échelle de gravité des fautes d'imprudence reprochées ?
Je voudrais maintenant évoquer la question des pénalités applicables. Le Droit pénal est un outil de répression et surtout de prévention des actes de délinquance. Cela me semble particulièrement vrai dans le domaine des délits non intentionnels, où la socialisation du risque, ajoutée à l'assurance de responsabilité, laisse au seul droit répressif le soin de stigmatiser les responsabilités avérées et par voie de conséquence leurs auteurs. Ces deux missions ne peuvent être simultanément exercées à bonne fin qu'avec une palette suffisamment large de sanctions susceptibles d'être prononcées contre les auteurs des délits non intentionnels. Le président Massot a fait allusion à l'usage éventuel des sanctions disciplinaires vis à vis des agents publics et l'on peut se demander si les amendes encourues par les personnes morales sont suffisamment dissuasives au regard du profit économique tiré de la poursuite de l'utilisation d'installations, d'outils, de techniques dangereux pour l'homme et pour l'environnement.
Il est aussi possible de s'interroger sur les peines complémentaires susceptibles d'être prononcées à l'endroit de ces mêmes personnes morales. Je crois que la palette est trop étroite, malgré les apparences, pour répondre à la mission de prévention du droit répressif. Certaines peines peuvent, certes, être prononcées aussi bien à l'encontre des personnes physiques que des personnes morales comme l'interdiction d'exercer l'activité dans l'exercice de laquelle l'infraction a été commise. D'autres peines, comme la fermeture provisoire ou définitive de l'établissement, sont difficilement applicables car elles sonnent l'arrêt de mort de l'entreprise et présentent de ce fait un coût socio-économique non négligeable. En ce qui concerne le placement temporaire de la personne morale sous surveillance judiciaire, peine moins brutale, aucun texte n'a encore prévu les modalités de paiement du mandataire de justice chargé de la mission de surveillance, ce qui apparaît donc rédhibitoire. Au demeurant, la seule énonciation de ces peines complémentaires témoigne de leur relative inapplicabilité aux personnes morales de droit public chargées d'un service public. Ne conviendrait-il pas d'étendre l'usage des peines probatoires pour permettre l'ajournement du prononcé de la peine avec injonction de faire chaque fois que l'infraction non intentionnelle est basée sur la violation d'une obligation déterminée, ou bien multiplier, à l'instar de ce que l'on trouve dans le code de l'environnement, la possibilité de fixer judiciairement les mesures à prendre pour prévenir la récidive et le délai dans lequel elles doivent être exécutées sous peine d'astreinte ou de fermeture ?
Alors faut-il abroger la loi Fauchon comme certains le suggèrent ? De mon point de vue, c'est une loi innovante avec un bilan globalement positif bien qu'extrêmement délicate à appliquer. Elle demeure source d'interrogations renouvelées en termes d'égalité, de prévisibilité et d'efficience, sans doute parce que dans une société confrontée à de nouveaux risques et soucieuse de les prévenir, ou de les réparer, elle est au coeur des équilibres toujours précaires mais indispensables entre responsabilité pénale, responsabilité civile et solidarité nationale. Il me semble que les évolutions nécessaires se trouvent surtout à sa périphérie dans l'adaptation des choix opérés lors de la mise en jeu de la responsabilité pénale des personnes morales et du droit d'accès au juge de cassation, comme dans le maintien, voire la promotion d'une plus grande vigilance dans le contrôle de la pertinence des choix jurisprudentiels.
* 1 cité par Jean-Dominique Nuttens dans la Gazette du Palais 4-5 octobre 2000, page 9.
* 2 Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'exécution même du service public communal d'animation des classes de découverte suivies par les enfants des écoles publiques et privées pendant le temps scolaire, qui participe du service de l'enseignement public, n'est pas, par nature, susceptible de faire l'objet de conventions de délégation de service public, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé (article 121-2 du Code pénal).
* 3 Rapport annuel de la Cour de cassation 2002, page 185.