Premières Rencontres Sociales du Sénat - La santé
Sénat - Palais du Luxembourg - 24 octobre 2005
Table ronde n°3 : « La santé, une affaire de choix »
Participent à la table ronde :
Christian BAZANTAY, Secrétaire général, Servier
Jacques ORVAIN, Directeurs des études et de la recherche, Ecole Nationale de la Santé Publique
Emmanuelle WARGON, Directeur général adjoint, Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé
La table a été présidée par Patricia SCHILLINGER, Sénatrice du Haut-Rhin et animée par Pierre-Marie VIDAL, Directeur de la rédaction, Acteurs publics .
Patricia SCHILLINGER
Permettez-moi tout d'abord de vous dire que je suis très heureuse de présider cette table ronde sur un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Aujourd'hui, la politique de santé publique nous concerne tous, les responsables politiques, les personnels de soins, les patients, les industries pharmaceutiques, les consommateurs et les citoyens.
Les enjeux autour de la santé sont aujourd'hui multiples. Au centre des préoccupations des Français, la santé exige de la nation un effort considérable. La santé s'inscrit donc, comme l'éducation ou le travail, dans des choix politiques primordiaux.
La santé est donc une affaire de choix. Cependant, avons-nous vraiment le choix en matière de santé ? D'abord, tout dépend du point de vue où nous nous plaçons. Ainsi, les patients exigent des soins qui répondent à leurs attentes et à leurs besoins mais ils n'ont pas le choix, ils doivent subir les mesures de la politique de leur gouvernement. Par exemple, ils vont subir la baisse des remboursements et l'inégalité des soins. S'ils se trouvent dans une zone où il n'y a pas de médecin, d'hôpital, de services de radiologie ou de laboratoire, la prévention n'est pas équitable.
Seul le gouvernement peut donner à la personne, au groupe et à la communauté les moyens de surmonter les obstacles grâce à l'élargissement des choix en matière de soins pour des populations particulières. Seul le gouvernement peut donner l'accès aux soins à tous. Pour y parvenir, il est important de restructurer et d'évaluer régulièrement les fonctions de tous les acteurs. En tant que garant de la protection de la santé, l'Etat doit déterminer des objectifs de santé publique et donc opérer des choix politiques.
Cette table ronde pose un certain nombre de questions.
· Comment le gouvernement définit-il une politique nationale de santé ?
· Quelle politique de soins souhaitons-nous ?
· Comment rendre notre système de santé plus performant ?
· Quel niveau de solidarité sommes-nous prêts à accepter ?
· Quels comportements responsables sommes-nous appelés à avoir en tant que consommateurs ?
· Comment évaluer ?
· Quelles sont les bonnes pratiques à employer ?
Tels sont les différents thèmes qui seront traités au cours de cette table ronde. Je remercie les différents intervenants et forme le voeu que chacun, dans son domaine de compétence propre, puisse apporter des informations et des explications sur la politique de santé et de soins mises en oeuvre ces dernières années en France.
Pierre-Marie VIDAL
Jacques Orvain, à l'heure du choix scientifique et politique, comment faire la part des choses ? Qui de ces deux pouvoirs tient l'autre en l'état ? Je suppose que vous avez sur ce sujet un avis averti.
Jacques ORVAIN
Avant d'aborder cette question, je souhaite vous faire part de quelques commentaires.
Tout d'abord, je tiens à rappeler que la santé ne concerne pas uniquement la consommation des soins, mais aussi ce qui précède. N'oublions pas que certains secteurs de la santé publique ont beaucoup évolué depuis quelques années. Ainsi, pendant des années, la santé publique s'est demandé comment faire diminuer les accidents sur la voie publique. Lors des trois dernières années, la conjonction d'une parole politique forte, d'un arsenal d'encadrement et d'une prise de conscience ont permis d'obtenir un effet concrétisé par une baisse de la mortalité et des morbidités associées.
Actuellement, de nombreuses réformes prennent corps, notamment au niveau régional. Les ARH ont effectué leur travail sur leur terrain. Qu'en sera-t-il des demain des ARS ? De quelle manière sera-t-il possible d'articuler les schémas régionaux d'organisation des soins et les plans régionaux de santé publique et d'éducation pour la santé ?
Le politique a laissé la place au scientifique, ce qui s'est traduit par la création des agences comme l'AFSSAPS, l'ANAES ou l'INVS. Ceci s'est avéré profitable, puisque cela a permis de donner une certaine forme d'autonomie à la parole scientifique. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que le politique abandonne le terrain de sa propre responsabilité. Or une fois que la connaissance scientifique est établie, le rôle du politique est majeur dans l'expression des préférences sociales et de leur pondération.
De plus, la santé n'est pas seulement l'affaire des patients, même si ces derniers ont une parole très riche à fournir. Nos élus doivent ainsi jouer un rôle vis-à-vis de l'offre de soin au niveau régional. Dans de nombreux cas, le politique a quelque chose à dire.
En dernier lieu, il convient de réfléchir à l'articulation entre la santé et le social. Notre système de soin est plutôt bismarckien et dans ce cadre, l'entrée et le remboursement des soins sont bien encadrés. Ensuite, le modèle beveridgien est beaucoup plus global et articule mieux la santé et le social. Je rappelle à cet égard, la forte implication de l'ENSP pour former à la fois les agents hospitaliers, les cadres de l'hospitalisation et les cadres des DDASS et DRASS.
Pierre-Marie VIDAL
Madame Wargon, vous êtes directrice générale adjointe de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé. En matière de choix, il ne s'agit pas de dire oui ou non, il faut aussi y mettre des conditions. Pouvez-vous nous donner quelques explications supplémentaires sur ce sujet ?
Emmanuelle WARGON
Afin de contribuer au débat, je tiens à repartir de l'offre de produits, le secteur qui est théoriquement le plus facile puisqu'il est très encadré.
La première évaluation
Le médicament est d'abord autorisé sur avis scientifique. Par conséquent, un premier choix scientifique a lieu, à travers l'évaluation du rapport bénéfice/risque du médicament. Cette évaluation, qui paraît simple en théorie, ne l'est pas en définitive, dans la mesure où l'on juge deux critères : le bénéfice et le risque.
Déjà là, se manifeste un premier antagonisme essentiel : l'intérêt individuel par rapport à l'intérêt collectif. Ainsi, une partie des patients auront un intérêt pour le médicament, tandis qu'une autre partie aura potentiellement des effets indésirables graves. Il faut donc essayer de faire la synthèse, pour savoir si, in fine , le produit arrivera sur le marché. Dès le stade de l'AMM, il s'agit ainsi de savoir si l'on va recommander, cibler ou limiter le médicament à une certaine catégorie de patients.
La deuxième évaluation
Cette question se pose ensuite au stade du remboursement. En effet, le médicament fait l'objet d'une deuxième évaluation par la Haute Autorité de Santé. Cette dernière positionne ainsi le médicament dans la stratégie thérapeutique, pour savoir ce qu'il apporte de nouveau par rapport à l'offre existante. En fonction de la réponse, la collectivité le juge admissible ou non admissible au remboursement.
Là encore, il s'agit d'une évaluation scientifique, qui repousse d'autant le choix politique et économique. Là encore, cette évaluation est délicate, puisqu'elle pose la question de l'intérêt général et de l'intérêt particulier.
Quelques exemples illustratifs
Le premier exemple porte sur un médicament de lutte contre la maladie de Parkinson, le Tasmar. Il a été introduit sur le marché il y a cinq ans, puis retiré trois mois plus tard pour cause d'hépatites fulminantes. Aujourd'hui, il a reçu une nouvelle AMM, dans la mesure où il apporte un petit bénéfice supplémentaire pour une petite catégorie de malades. Ce retour est accompagné d'un immense programme de surveillance hépatique : tous les patients qui prendront du Tasmar auront un dosage tous les quinze jours. A la première manifestation hépatique bizarre, le traitement sera arrêté.
Le deuxième exemple concerne l'Herceptine, un médicament qui a déjà une AMM. Des publications récentes viennent de montrer l'intérêt du médicament dans la prévention de la récidive du cancer du sein pour une petite catégorie de femmes avec un profil génétique spécifique. Nous venons d'écrire un référentiel autorisant la prescription de médicament avant même son AMM sur la base de ces études, pour qu'il n'y ait pas de pertes de chances pour les femmes considérées.
Là encore, la question ne consiste pas à savoir s'il faut dire oui ou non. La véritable question consiste à savoir comment faire en sorte que l'argent public aille aux bons patients, dans les bonnes filières. Il s'agit de voir comment éviter que, par des effets complexes d'influence de l'opinion, ces produits se répandent tellement largement que le financement devienne insoutenable, alors même que le bénéfice pour la partie des patients auxquels il n'était pas initialement destiné est relativement faible.
Enfin, je tiens évoquer le cas du Vioxx, qui peut entraîner des risques cardiovasculaires, mais qui a de réels bénéfices. Nous aurions pu éviter un retrait mondial de ce produit s'il était resté limité à la population pour laquelle il était initialement ciblé. En résumé, pour progresser dans le domaine des choix, il est nécessaire d'instaurer un accompagnement beaucoup plus précis, une compliance générale des patients et des médecins sur le bon usage des produits.
Pierre-Marie VIDAL
Monsieur Bazantay, à l'heure où l'industrie du médicament semble de plus en plus faire fonction de variable d'ajustement du budget de la santé, vous souhaitez sans doute pousser un cri d'alerte et rappeler les limites à la pression exerçable sur les marges. Ainsi, vos confrères disent souvent que les économies d'aujourd'hui ne doivent pas être à l'origine des catastrophes sanitaires de demain. A votre avis, où se situe la limite des contraintes budgétaires ?
Christian BAZANTAY
En préambule, je souhaite rappeler quelques généralités sur le médicament.
Quelques éléments de contexte sur le médicament
Je rappelle que le médicament a changé radicalement la perspective de certaines maladies, grâce à l'aboutissement de recherches longues et coûteuses. Par exemple, les complications dramatiques du diabète sont aujourd'hui maîtrisées et la dépression est désormais mieux prise en charge.
Est ensuite venu le temps des grands espoirs et des grands chantiers sur le cancer, le sida, les maladies rares et la génomique. Tous ces grands progrès ont modifié le regard des techniciens, au point parfois de faire oublier le malade et sa souffrance quotidienne.
Les grandes entreprises productrices de médicaments sont contraintes à faire appel à l'épargne extérieure, à afficher des résultats financiers, à courir après l'annonce de termes et de sémantiques comme « blockbusters », ces produits qui ne peuvent pas faire moins d'un milliard de dollars pour être présentés au marché.
Tous ces mots et attitudes sont assez éloignés de la première recherche, c'est-à-dire la possibilité de soulager la souffrance. On peut le regretter.
Présentation du laboratoire Servier
Nous sommes le deuxième laboratoire français après Sanofi-Aventis, avec un chiffre d'affaires de 3 milliards d'euros et 18 000 employés. La France ne représente aujourd'hui que 20 % de notre marché et pourtant nous ne sommes pas une société cotée, nous n'appartenons pas non plus à une famille, nous sommes une fondation. Cela signifie que tous les profits que nous réalisons sont intégralement réinvestis dans la recherche au développement de nos produits.
Les coûteux investissements dans la recherche
Nous sommes ainsi la deuxième fondation pharmaceutique au monde. Nous ne parlons pas de blockbusters, mais nous essayons de pouvoir mettre des produits à la disposition du corps médical et des patients. Pour y parvenir, nous sommes obligés de consentir des investissements importants et lourds.
Il nous faut beaucoup d'argent pour mener une recherche de découverte et encore plus d'argent pour mener une recherche de développement. Cependant, la recherche la plus importante est celle de découverte. Par conséquent, il est plus que nécessaire de faire en sorte que cette recherche, à travers sa collaboration avec la recherche publique, puisse nous permettre de pouvoir être en France une terre de découverte.
La politique européenne et nationale de santé
Le développement est le volet le plus coûteux et il sera sans doute demain hors de portée de nombreux laboratoires. Il est donc essentiel qu'une politique nationale et européenne de santé tienne compte de ces réalités. Elle doit soit la favoriser, soit l'encadrer pour la maîtriser, dans la mesure où l'enjeu est bien évidemment multiple. Il concerne ainsi des emplois qualifiés de haut niveau. Devant l'importance des coûts de développement, la réponse doit être européenne. Les opportunités de réseaux permettront le développement de futurs médicaments dans un espace partageant les mêmes règles éthiques, économiques et sociales.
Il convient de relever la création par le Premier Ministre Raffarin du Conseil stratégique des industries de santé, qui regroupe l'ensemble des industriels installés en France. Ce Conseil a pour but d'essayer d'accompagner ces industries dans le cadre de choix stratégiques politiques permettant de mieux favoriser leur développement sur le territoire national.
Servier appartient également au G5 composé également de Sanofi-Aventis, Ipsen, Pierre Fabre et Fournier. Dans le cadre du G5, nous essayons de promouvoir une politique industrielle du médicament. De fait, les entreprises françaises sont plus que les autres au coeur d'un dilemme. Ainsi, il nous faut soutenir un secteur stratégique porteur de valeur ajoutée, mais également ménager l'assurance maladie, qui vit une situation critique. Nous avons ainsi l'obligation d'être auprès de ceux qui gèrent les comptes sociaux pour permettre de trouver des solutions. Cette collaboration leur est acquise, même si les débats sont parfois intenses.
Plaidoyer pour les industries de la santé
Aujourd'hui, il faudrait essayer de sortir d'une situation schizophrénique. Ainsi, il n'est pas possible d'instaurer un Conseil stratégique des industries de santé et en même temps de dissocier toute cette problématique de la politique de recherche, de la politique industrielle ou même de l'organisation, l'achat et le remboursement des médicaments.
En conséquence, le tout ne peut pas être divisé. Il n'est pas possible de prendre d'un côté des mesures pour nous aider à mieux effectuer notre travail et édicter d'un autre côté des mesures ponctuelles qui donnent l'impression de régler les problèmes à très court terme, mais qui constituent en réalité un terrible poison. En effet, notre métier est un métier de très long terme : nous ne savons pas fonctionner à six mois ou un an. De fait, le développement d'un médicament prend entre dix et quinze ans et nous sommes déjà obligés de penser aujourd'hui aux médicaments que nous sortirons à partir de 2015.
Ceci étant dit, nous demeurons tout à fait une industrie optimiste.
Muriel HAIM, Directeur des relations extérieures chez Merck Sharp & Dohme
Je souhaite revenir sur les propos d'Emmanuelle Wargon. Ainsi, je ne pense pas que l'on puisse dire que le Vioxx était prescrit hors de ses indications. Simplement, au vu d'une pathologie différente de celle pour laquelle le médicament avait obtenu son AMM, le laboratoire, faisant jouer un principe d'ultra précaution, a décidé de retirer le médicament sur le plan mondial. Ainsi, MSD a été particulièrement soucieux de la santé des patients. J'ajoute que dans certains pays, les agences nous ont demandé de remettre le médicament à la disposition des patients et des médecins.
Emmanuelle WARGON
Madame Haïm a raison. Le Vioxx aurait pu avoir une place pour certains patients. Nous aurions ainsi pu imaginer l'usage de ce produit pour des patients bien définis. Il aurait donc été envisageable de prendre une mesure alternative à un retrait.
Jacques ORVAIN
Une fois que l'on a mis le médicament sur le marché, il continue sa vie. Aujourd'hui, il n'y a pas de recherche sur les solutions alternatives au médicament, notamment dans l'optimisation du service dans les hôpitaux. A l'inverse, d'autres pays développent de telles pratiques.
Ainsi, l'assurance maladie ne pourrait-elle pas être un promoteur d'étude dans le domaine de l'offre de soins ? Lors de mon passage à l'ANAES, nous avions étudié la possibilité de voir si l'assurance maladie pouvait financer un acte non encore complètement éprouvé, à la condition qu'il y ait une remontée d'informations deux à trois ans plus tard. Malheureusement, ceci n'a pas pu se réaliser, pour des questions de législation.
Débat avec la salle
De la salle, la secrétaire générale adjointe de l'ISNAR IMG, syndicat représentant les résidents et interne de médecine générale
Je souhaite poser une question à Madame la Sénatrice. Dans un système de soin où le parcours de soin se veut recentré autour de la relation entre le patient et le médecin généraliste, les étudiants en médecine désertent massivement cette spécialité.
Plusieurs explications concourent à cette désaffection, dont notamment le manque de reconnaissance universitaire de la discipline, les rémunérations différentes par rapport aux autres spécialités médicales et un avenir vécu de manière très pessimiste par les étudiants. Les futurs médecins généralistes ont ainsi peur de ne pas pouvoir s'installer là où ils le souhaitent.
Un moratoire à l'installation ne pénalisant pas les patients consultant un jeune médecin généraliste a été fortement demandé par les internes de médecine générale, ainsi que la mise en place de mesures incitatives à l'installation dans les zones médicales défavorisées. Or un projet d'amendement de loi prévoit un moratoire uniquement dans les zones démographiquement faibles, c'est-à-dire là où il ne sert pas.
Sur toutes les questions de la reconnaissance universitaire et professionnelle de la médecine générale, qu'envisageriez-vous, Madame la Sénatrice, pour attirer à nouveau les étudiants vers cette spécialité ?
Patricia SCHILLINGER
Cette question a déjà été discutée dans le cadre de la Commission des affaires sociales. Il convient de mener une réelle réflexion sur ce sujet. Pour ma part, je vais évoquer ce problème dans le cadre de cette Commission et me déclare prête à vous rencontrer.
De la salle
Je souhaite évoquer une question sur les échanges européens en matière de santé. Quels sont les enseignements que l'on peut tirer des études menées en matière de prévention, de parcours de soin et de traitement ?
Patricia SCHILLINGER
Nous ne faisons pas suffisamment de prévention. A différentes étapes du parcours du patient, on ne prévient pas assez les personnes. De fait, la prévention doit être commencée dès l'école : il s'agit véritablement d'une éducation. Dans ce cadre, nous devrions rapidement faire tout notre possible pour nous mettre au même niveau que les autres pays européens.
De la salle
Le débat de cette table ronde a pour sujet « La santé, une affaire de choix ». Or, peu de personnes ont le choix de la santé.
Ensuite, je suis assez surpris du débat que vous avez mené sur le choix des médicaments. Ainsi, la réflexion est tout à fait différente dans d'autres pays, comme au Botswana, pays gravement atteint par le sida. J'ai rencontré le ministre de la Santé de ce pays, qui m'a affirmé qu'il se fichait bien des AMM, puisque l'urgence est trop importante. Il m'a ainsi indiqué qu'il ferait confiance aux laboratoires pharmaceutiques et verrait dans quelques années quel médicament se sera avéré le plus efficace.
Malheureusement, j'ai peur que nous soyons dans la même situation dans le cas de quelques maladies qui étaient inconnues auparavant. Il s'agit par exemple de la grippe aviaire ou d'autres systèmes viraux complexes.
Jacques ORVAIN
Pour avoir le choix, il faut déjà pouvoir avoir accès à la connaissance. Dans ce cadre les AMM constituent un fabuleux moyen de mieux connaître le médicament.
Pour en revenir à la question précédente, les échanges européens commencent à voir le jour, même s'ils demeurent balbutiants. Nous observons néanmoins un développement de coopérations inter-hospitalières autour des frontières. A cet égard, je rappelle que des projets européens étudient ces mouvements et mécanismes.
Pierre-Marie VIDAL
Monsieur Orvain, vous sembliez sous-entendre que les politiques avaient perdu la parole. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Jacques ORVAIN
Je pense que les politiques ont été échaudés par les grandes affaires et se sont protégés derrière des agences scientifiques. Pour autant, il ne faut pas non plus que les agences aillent trop loin dans leur mission. A cet égard, je tiens à prendre un exemple. Lorsque l'on discute pour savoir si un dépistage doit être mise en place, il est difficile pour un scientifique de répondre directement à cette question.
Dans le cas du dépistage du cancer de la prostate, il n'existe pas d'évidence parfaite sur l'efficacité des thérapeutiques sur le cancer localisé. Le test diagnostic, le PSA, est certes assez sensible. En revanche, le scientifique n'a pas forcément à imposer un dépistage, compte tenu des forts effets secondaires thérapeutiques. Le scientifique n'a donc pas à imposer un dépistage universel pour des questions aussi personnelles. Or c'est là que les politiques doivent intervenir.
Je m'interroge aujourd'hui sur l'évolution de l'ANAES ou de la Haute Autorité de Santé. Comment articuler cette Haute Autorité et le fait politique ? Monsieur Degos nous a indiqué qu'il donnait des avis, lesquels étaient ensuite suivis ou non. Pourtant, derrière ces questions figurent les valeurs sociétales sur lesquelles nous voulons fonder nos choix. Par exemple, voulons-nous privilégier la promotion ou le traitement ?
Emmanuelle WARGON
S'agissant des choix, je crois que notre offre se caractérise par une très grande inertie. Ainsi, ces choix ont été effectués il y a très longtemps et il est très difficile de faire sortir des objets du panier de soins. Par conséquent, les choix par défaut consistent à faire rentrer lentement ceux qui n'y étaient pas déjà. Ceci vaut surtout pour les actes : les actes nouveaux et potentiellement coûteux qui ne sont pas aujourd'hui dans le panier de soins mettent un temps très important à y entrer, puisque nous ne savons pas très bien gérer les flux de sortie. C'est la raison pour laquelle je me prononce en faveur du ciblage.
Pierre-Marie VIDAL
Comment acceptez-vous l'idée de retirer du panier un produit pour en laisser rentrer d'autres ?
Christian BAZANTAY
Je suis assez d'accord avec les propos de Madame Wargon. Cependant, il faut partir du principe que l'enveloppe de prise en charge des médicaments est fermée. Par ailleurs, nos concitoyens veulent garder ce qu'ils ont, tout en profitant des produits nouveaux. Il convient donc de les aider à comprendre que cela n'est pas toujours possible.
Cependant, tout le monde doit être placé face à ses responsabilités. Ainsi, un tiers des revenus nationaux seront demain consacrés aux problèmes de santé. Les Français en veulent toujours plus, dans la mesure où la santé est leur première priorité. Il faudra donc les accompagner, mais également les écouter un peu plus.
Anne LAZAREVITCH, chargée de mission santé publique auprès d'une association de malades
Nous voyons bien que le choix est monopolisé par les scientifiques, puisque les politiques ont peur de prendre leurs responsabilités. Finalement, le problème de fond n'a pas totalement été abordé au cours de cette table ronde. Ainsi, il est certain que les dépenses de santé sont exponentielles, mais que nos moyens ne le sont pas. De même, le système de santé a évolué. Depuis 1996, certaines recommandations ont été réalisées, mais elles n'ont pas été prises en compte par les politiques. Je veux ainsi parler des recommandations du Haut comité de santé publique et des Conférences nationales de santé publique qui portaient sur les déterminants de la santé.
Or aujourd'hui nous n'avons parlé à un seul instant des déterminants de la santé, alors qu'ils semblent essentiels pour l'accès à la santé pour tous.
Patricia SCHILLINGER
Je suis d'accord pour dire que l'on parle un peu trop des médicaments et pas assez de la politique. Nous devons tous contribuer à l'objectif commun de réduction des déficits, tout en redonnant confiance en un certain parcours
Docteur LAPLANTE, médecin du travail et de la prévention à la Mutualité sociale agricole
Il convient de remarquer que les choix dont nous parlons interviennent dans un cadre d'inégalités sociales, notamment en termes de surmortalité. En termes de prévention, ces inégalités sociales nous confrontent à des difficultés pour contacter les gens, puisque les plus pauvres sont toujours les plus touchés par les problématiques de non accès à la prévention secondaire et au dépistage, mais aussi les problématiques d'obésité. Poser le problème de santé en termes de choix consiste également à s'intéresser au système politique dans lequel nous évoluons et ses conséquences en termes de revenus et d'inégalités sociales.
Jacques ORVAIN
La France est assez mal classée sur le critère du différentiel d'espérance de vie entre les hommes et les femmes, qui est plus important que dans les pays voisins. De fait, les inégalités de santé ne diminuent pas et peuvent même s'aggraver. La question de la santé est assez large, puisqu'elle vise également à diminuer l'agressivité vis-à-vis des autres et de soi-même ou à lutter contre les addictions. Il convient donc d'éduquer très précocement les citoyens.
Cependant, la prévention tend à s'améliorer. Je rappelle qu'il n'y a pas si longtemps, le budget de la promotion était totalement à part du budget du traitement. Ainsi, des grands plans ont été lancés, notamment pour la nutrition santé.
Patricia SCHILLINGER
La question de la nutrition santé est aussi liée à celle du budget des ménages.
De la salle
Ne faut-il pas d'abord chercher les causes, de manière à diminuer les dépenses de santé ? De même, ne faut-il pas s'intéresser à l'indépendance des experts, puisque certaines de leurs études sont financées par des lobbys ?
Pierre-Marie VIDAL
En résumé, l'industrie pharmaceutique ne doit-elle pas tordre le cou à l'idée qu'elle serait sous le joug de lobbys puissants et qu'elle n'aurait pour seul but que de tirer le profit maximum de cette situation ?
Christian BAZANTAY
Nous essayons d'avoir la plus grande transparence. La très grande erreur commise par les industries pharmaceutiques est d'avoir fait croire que les produits ne comportaient pas de risques. Or le médicament est avant tout une substance toxique sur lequel on recherche le meilleur rapport bénéfice/risque.
Ensuite, la médecine est une science magnifique, mais elle n'est pas une science exacte. Il faut être très humble : tout ce qui doit être fait pour protéger l'intérêt des consommateurs doit l'être dans la plus grande transparence.
Pierre-Marie VIDAL
Qu'en est-il de l'indépendance des experts chargés de veiller à la qualité des produits ?
Emmanuelle WARGON
Toutes les agences qui concourent au champ de l'expertise de sécurité sanitaire ou de santé publique font appel à des experts. Nous disposons ainsi d'un corpus de règles qui essaye de nous aider à développer une expertise globalement indépendante. Ainsi, l'AFSSAPS publie les déclarations d'intérêt des experts. La garantie d'une expertise indépendante est avant tout permise par la collégialité des experts.
Ensuite, nous essayons de prévenir d'éventuels conflits. De fait, nous excluons les experts des délibérations et du choix des rapporteurs qui auraient travaillé sur le dossier, pour le laboratoire concerné ou pour un concurrent quand il y en a peu. Cependant, lorsque tous les laboratoires pharmaceutiques ont une offre dans une pathologie, si vous excluez les experts qui ont travaillé pour ces laboratoires, vous excluez grosso modo la compétence.
Christian BAZANTAY
L'expertise est effectivement globalement indépendante. Cependant, s'il est toujours possible de créer toutes les agences de la terre, il faut bien prendre des décisions à un moment ou à un autre. Ainsi, quelle est la possibilité ouverte aux politiques de ne pas suivre l'avis de la Haute Autorité ? Nous assistons parfois à un ping-pong entre politiques, administrations et experts que je ne comprends pas toujours très bien.
Emmanuelle WARGON
L'AFSSAPS prend des décisions d'autorisation ou de retrait de produits au nom de l'Etat, mais elle ne prend pas de décisions économiques.
De la salle
Il serait sans doute intéressant de permettre aux citoyens d'être mieux informés sur les choix scientifiques. Ainsi, vous conviendrez de la complexité croissante du système de santé en France. Comment voulez-vous que les citoyens et les usagers, même s'ils sont bien informés par la CNAM, puissent se faire une idée réelle des possibilités de choix si les politiques s'en remettent entièrement aux scientifiques ?
Ma deuxième remarque a trait à la commercialisation du médicament. Depuis quelques années, on a tendance à diaboliser le laboratoire. Or un tel comportement est assez hypocrite. Le temps est arrivé de débattre de ces questions de manière plus démocratique et plus sereine.
Christian BAZANTAY
Les Français sont favorables au remboursement de leurs produits, mais défavorables au remboursement des produits des autres. C'est la raison pour laquelle l'information est essentielle pour pouvoir mieux choisir. Il se trouve que l'information a été mal faite pour la raison suivante : les laboratoires ont très longtemps considéré que leurs seuls interlocuteurs étaient les médecins. Nous avions ainsi oublié les patients. Or aujourd'hui, les patients souhaitent de plus en plus avoir d'informations et sont de plus en plus méfiants.
Il ne faut pas non plus entrer dans un ostracisme qui consisterait à dire que seules les maladies très graves nécessitent obligatoirement la mise en place de produits pris en charge. Ainsi, une multitude de personnes souffrent de pathologies qui peuvent être considérées comme mineures et ne sont pas écoutés dans leur souffrance.
Georges CHEVALIER, Université de Compiègne
Il est beaucoup question de laboratoires, mais il faut aussi associer les fabricants de dispositifs médicaux, dont les investissements sont considérables. Il convient également de réfléchir à l'insertion des nouvelles technologies dans le parcours de santé. Nous passons ainsi du stade artisanal où le médecin décide par lui-même, sans contrôle, à un stade plus organisationnel. S'il est bon que les hôpitaux soient autonomes, il serait nécessaire d'avoir une certaine guidance du personnel chargé des achats et des médecins.
Jacques ORVAIN
La Haute Autorité peut rendre des avis sur les dispositifs médicaux. La FHF mène également un projet de construction de base de données permettant d'orienter le choix des acheteurs. Plus généralement, je souhaite donner un encouragement aux politiques, afin qu'ils prennent tout leur rôle dans le débat sur la santé, à la fois au niveau national sur les grandes orientations et au niveau régional dans l'organisation des soins.
Emmanuelle WARGON
Je souhaite revenir sur l'évaluation et le citoyen. Du côté des scientifiques, toutes les institutions d'évaluation travaillent à un lien avec les associations de patients, dans la mesure où ces dernières ont un avis complémentaire à celui des scientifiques. Cela dit, il est difficile de dire que le politique n'est pas là pour retraduire les pensées des citoyens. Ainsi, les patients et les citoyens doivent se faire entendre à travers la médiation politique.
Pierre-Marie VIDAL
Monsieur Bazantay, vous avez indiqué que le temps des politiques et celui des industriels de santé n'est pas le même. Voulez-vous dire par là que les décisions politiques ne vous satisfont que lorsqu'elles vous sont favorables ?
Christian BAZANTAY
Je ne souhaite pas épiloguer sur ce sujet. Simplement, l'échelle du temps a de l'importance. Ainsi, les industriels de santé sont soumis à une échelle de dix à quinze ans et ils ont besoin d'une grande visibilité. Si nous avions une plus grande visibilité, il serait plus facile de faire notre métier.
Patricia SCHILLINGER
Le gouvernement doit s'engager à moderniser notre système de santé. S'il a préféré laisser l'assurance maladie sous pression des déficits, l'Etat pourra-t-il subvenir à la faillite du système de santé ? Nous devons nous ressaisir, afin d'aider autant les professionnels du médicament, que les politiques et les patients.