Mardi 13 décembre 2005
- Présidence de M. Henri Revol, sénateur, président, puis de M. Claude Birraux, député, premier vice-président.Environnement - Définition et implications du concept de voiture propre - Examen du rapport
M. Christian Cabal, député, rapporteur, a indiqué que la notion de « véhicule propre » avait émergé dans les années 1990, en fonction du développement de la pollution locale et de ses effets sanitaires. Ce n'est seulement que depuis quelques années qu'elle vise aussi les émissions des gaz à effet de serre. La hausse récente des prix du pétrole l'a reliée à la question des économies d'énergie. Les Etats-Unis se sont, pour leur part, engagés dans d'importants programmes de recherche visant à mettre au point une voiture fonctionnant avec de l'hydrogène pour se soustraire à la dépendance des hydrocarbures importés.
La voiture reste avant tout un phénomène de société, symbole de la liberté individuelle, a souligné M. Claude Gatignol, député, rapporteur. Trente-six millions de véhicules circulent en France, dont trente millions de voitures particulières. Leur nombre croît chaque année, quoique de moins en moins vite (+1,2 % en 2004). L'industrie automobile a, en outre, un poids très important dans notre économie : elle représente près de 90 milliards de chiffre d'affaires et 300.000 emplois. Au-delà de ces approches sociales et économiques de l'automobile, le rapport avait pour objectif de traiter les questions environnementales liées à la pollution locale et aux émissions de CO2 liées à l'usage des automobiles. A cet égard, la France apparaît comme l'un des pays les mieux placés, les petites cylindrées diesel y étant nombreuses, permettant des émissions sensiblement inférieures à celles d'autres pays européens. Le développement du diesel est une spécificité française, puisque cette motorisation est réservée aux usages lourds aux États-Unis et au Japon.
M. Christian Cabal, député, rapporteur, a ensuite abordé la première partie du rapport consacrée à la problématique de la mobilité durable. Un lien fort existe entre la croissance économique et la croissance de la demande d'énergie et de transport. L'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit une hausse de 60 % de la demande, essentiellement en hydrocarbures fossiles, d'ici à 2030. De surcroît, le parc de véhicules devrait passer d'environ 700 millions aujourd'hui à 1,2 milliard en 2020. Ces véhicules sont d'ailleurs de plus en plus sûrs et confortables mais aussi plus lourds et plus puissants et donc consommateurs de carburants. Ces évolutions ne sont pas soutenables au regard des engagements pris dans le cadre du protocole de Kyoto et de la volonté de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Il faut donc impérativement chercher la voie d'une croissance durable grâce à des évolutions de nos comportements et aux progrès des technologies. Les résultats de l'étude réalisée par l'OCDE sur l'arc alpin en 2030, visant à déterminer comment atteindre le futur souhaitable, donnent une indication sur les solutions possibles. Il en ressort que deux tiers de la solution pourraient être technologiques, tandis qu'un tiers relèverait de changements structurels.
Présentant la deuxième partie du rapport consacré à l'analyse du cycle de vie (ACV) dans l'automobile, M. Christian Cabal, député, rapporteur, a indiqué que l'ACV se développait depuis la fin des années 1990 et faisait l'objet d'une standardisation internationale de type ISO. L'ACV a pour but d'évaluer l'impact d'un produit tout au long de sa vie depuis l'extraction des matières premières jusqu'à sa mise en décharge. L'ACV permet notamment d'évaluer l'importance de la pollution à chaque étape et d'éviter les déplacements d'émissions, de comparer des modèles de véhicules entre eux, de préparer le recyclage pièce par pièce de l'ensemble du véhicule, soit à terme, en Europe, 95 % de la masse des véhicules, dont 10 % en valorisation énergétique.
M. Christian Cabal, député, rapporteur, a, dans un troisième temps, traité de la pollution locale, de son évolution et des solutions pour la réduire. Il a souligné que les Français pouvaient en percevoir directement les effets, notant qu'en Ile-de-France, depuis 1998, l'indice Atmo de qualité de l'air fourni par Airparif est « bon à très bon » 80,8 % des jours. Les voitures particulières contribuent à la pollution, mais elles sont minoritaires. En matière de particules, les véhicules personnels représentent 12 % des émissions, en matière de NOx (oxyde d'azote), 23 %. D'ici à 2010, la diminution de la pollution liée aux transports routiers sera spectaculaire, au minimum une division par deux. Cependant, les normes de qualité de l'air ne seront pas atteintes au plus près des grands axes de trafic.
Cette pollution a un impact sur la santé qui est de mieux en mieux mesuré, que ce soit à court terme à travers les maladies respiratoires, ou à long terme à travers les cancers et les maladies cardiovasculaires. Les études tendent à démontrer que l'exposition chronique est plus dangereuse que les pics de pollution. La poursuite des recherches comme des mesures réglementaires et techniques de réduction des émissions est donc indispensable.
Depuis 1986, la succession régulière de normes européennes d'émissions de plus en plus sévères a conduit à une diminution d'un facteur 100 de tous les polluants, suivant et incitant les progrès technologiques accomplis par les constructeurs. La norme Euro V conduira à une division par cinq des émissions des particules et à une réduction de 20 % des oxydes d'azote des véhicules diesel. Sera donc généralisé le filtre à particules fermé, technologie mise au point par PSA Peugeot Citroën. Dans l'avenir, grâce à la mise à disposition de carburants désulfurés (10 ppm en 2009), des systèmes de catalyse des NOx pourront progressivement être installés sur les véhicules. En outre, de nouveaux modes de combustion permettront d'éliminer la plus grande partie des polluants dans la chambre de combustion et non plus par post-traitement des gaz. Les filières alternatives comme le Gaz de pétrole liquéfié (GPL) ou le Gaz naturel véhicule (GNV) paraissent moins prometteuses, notamment en raison de l'indispensable mise en place de réseaux spécifiques de distribution et du trop faible nombre de modèles disponibles.
M. Claude Gatignol, député, rapporteur, a dressé l'état des lieux en matière d'émission de gaz à effet de serre. Il a rappelé que le secteur des transports émettait 35 % du total des émissions en France, une proportion plus élevée qu'à l'étranger, mais qui s'explique par la très faible part prise par le secteur énergétique en raison de l'importance du parc électronucléaire français. Depuis 1990, les transports sont cependant le secteur le plus dynamique, leurs émissions ayant augmenté de 23 %, alors que la France doit stabiliser ses émissions dans le cadre du protocole de Kyoto. Cette tendance pourrait s'infléchir puisque les émissions stagnent depuis 2001 en raison de la diésélisation du parc et du respect croissant des limitations de vitesse.
Les motorisations diesel apparaissent, en effet, comme la réponse la moins chère et la plus efficace dans l'immédiat à la question des émissions de gaz à effet de serre dans l'automobile. Ces moteurs peuvent encore progresser de l'ordre de 10 % pour le diesel et de 30 % pour l'essence. La voiture électrique qui n'avait pu s'imposer au cours des années 1990, en raison d'une autonomie insuffisante, pourrait connaître des jours meilleurs au vu des progrès potentiels des véhicules actuellement à l'essai à La Poste et produits par Dassault-Heuliez. Le véhicule hybride apparaît comme un véhicule d'avenir susceptible de permettre des économies significatives en matière de gaz à effet de serre. Il s'agit d'une technologie transversale pouvant s'appliquer à toutes les motorisations et à tous les types de véhicules. Chère en raison de sa complexité et ayant encore des performances limitées, elle dispose d'une importante marge de progression. La voiture à pile à combustible sera peut-être le véhicule du futur. Elle existe pour l'instant à l'état de prototype, en concurrence avec les autres motorisations. La filière devra surmonter de très nombreuses difficultés pour parvenir à produire (réformage avec capture du CO2, hydrolyse dans des réacteurs nucléaires à haute température), transporter et stocker de l'hydrogène de manière sûre, écologiquement compatible et à un coût raisonnable. Les piles à membrane devront également beaucoup progresser en performance et fiabilité mais aussi pour économiser le platine utilisé comme catalyseur. Les réductions de coût à réaliser sont d'un facteur 100 par rapport au moteur classique. Dans le futur, les biocarburants pourraient apporter une part de la solution. Produits industriellement à partir de la totalité de la biomasse, ils pourraient conduire à des réductions d'émission de CO2 de l'ordre de 75 à 90 %.
En définitive, la voiture du futur sera progressivement moins polluante et plus économe et doit être définie non pas en fonction de filières a priori mais en fonction des performances atteintes, tout en ayant un coût acceptable pour pouvoir se diffuser massivement.
Les rapporteurs ont ensuite formulé les propositions suivantes :
- dresser un bilan coûts-avantages des nouvelles réglementations en matière d'automobile au regard de l'objectif prioritaire de réduction de l'effet de serre ;
- généraliser rapidement les filtres à particules « fermés » sur les véhicules diesel ;
- définir une date de généralisation des dispositifs d'élimination des NOx en liant la norme Euro VI à la norme Euro V ;
- décider dans cinq ans de l'arrêt ou de la poursuite du soutien public à certaines filières ;
- intégrer la climatisation et les autres auxiliaires dans les cycles européens normalisés de contrôle de consommation et d'émission ;
- créer au niveau européen, à l'horizon 2010, une étiquette synthétique multicritère apposée sur les modèles de conception nouvelle dans les concessions automobiles.
L'analyse du cycle de vie des automobiles doit se généraliser pour donner au consommateur une information fiable et comparable. L'étiquette énergie mise en place en 2006 est très positive mais insuffisante ;
- étendre dès 2007 l'application de l'étiquette énergie aux véhicules d'occasion vendus par des professionnels, aux véhicules utilitaires légers et aux deux roues ;
- mettre en oeuvre des mesures favorables aux utilisateurs des véhicules les moins polluants : parking gratuit, voie rapide (couloirs bus, voies de covoiturage), circulation à vitesse non limitée les jours de pics de pollution... ;
- lancer les études préliminaires pour évaluer l'impact de l'intégration des émissions des véhicules vendus dans le marché européen des émissions de CO2, si les constructeurs ne respectaient pas leur engagement de réduction des émissions ;
- accélérer les recherches sur les motorisations hybrides ;
- réaliser le plan biocarburants et abaisser les coûts de production pour les rendre compétitifs sans soutien financier public ;
- donner la priorité à la substitution au gazole ;
- étudier la mise en place d'une filière « fuel flexible » aux Antilles puis en métropole et expérimenter l'incorporation directe d'éthanol en hiver ;
- modifier la réglementation européenne pour permettre des incorporations plus importantes de biocarburants ;
- modifier la loi sur l'air pour retenir une définition de la voiture dite « propre » en fonction de critères de performance et non plus de filière. Cette définition serait révisable tous les cinq ans en fonction des progrès des connaissances et des technologies.
Elle pourrait, dès 2007, se fonder sur deux critères : une valeur limite d'émission de 115 g de CO2/km ou moins, c'est-à-dire les dix premiers véhicules diesel du classement ADEME 2005 et les quatre premiers modèles essence ; le respect anticipé de la norme Euro V, c'est-à-dire, pour les voitures diesel, l'équipement avec un filtre à particules.
Il s'agit d'une définition relative, ayant pour seul objectif de servir d'outil aux pouvoirs publics pour mettre en oeuvre des mesures incitatives. Elle se doit donc d'être suffisamment restrictive tout en permettant aux consommateurs d'acheter une voiture « propre » à un coût raisonnable et donc de favoriser une large diffusion de ces modèles.
A l'issue de l'exposé des rapporteurs, M. Claude Birraux, député, premier vice-président, s'est interrogé sur la position des compagnies pétrolières à propos des biocarburants, sur la stratégie à mener en matière de GNV puisque certains pays, notamment l'Italie, avaient réussi à développer cette filière, sur la pertinence du maintien en l'état de la prime accordée aux « véhicules propres », sur le recyclage des véhicules en fin de vie et sur l'évolution de l'architecture des voitures dans l'avenir, compte tenu de l'engagement de diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050.
MM. Christian Cabal et Claude Gatignol, députés, rapporteurs, ont apporté les précisions suivantes :
- le groupe Total participe à la mise en oeuvre du plan biocarburant, plus particulièrement actif dans l'incorporation d'ETBE (éthyl tertio buthyl éther) dans l'essence et d'esthers méthyliques d'huiles végétales (EMHV) dans le gazole ;
- l'expérience italienne en matière de GNV est liée à la présence d'importantes ressources de méthane dans le bassin du Pô. En France, l'implantation de cette filière sera beaucoup plus difficile, même en mettant en place des bornes de compression dans les pavillons ;
- la prime actuellement accordée à l'achat d'une voiture propre privilégie en effet des véhicules en fonction de leur filière et non de leurs performances ;
- le recyclage est un aspect important, pleinement pris en compte dans le cadre de l'analyse du cycle de vie, et sur lequel d'importants progrès ont été réalisés ;
- l'hybridation peut apparaître comme une transition vers des véhicules à pile à combustible mais il n'y aura pas une révolution brutale de la structure et des modes de production des automobiles. Seule la généralisation de la propulsion électrique modifierait profondément l'architecture des voitures.
L'Office a adopté, à l'unanimité des membres présents, le rapport sur « la définition et les implications du concept de voiture propre », ainsi que l'ensemble des recommandations proposées par les rapporteurs.