Mercredi 8 mars 2006
- Présidence de M. Claude Birraux, député, premier vice-président de l'Office.Environnement - Énergie - Audition de la Commission nationale d'évaluation des recherches sur la gestion des déchets radioactifs
L'Office parlementaire a procédé à l'audition de la Commission nationale d'évaluation des recherches sur la gestion des déchets radioactifs.
M. Claude Birraux, député, président, après avoir accueilli M. Bernard Tissot, président de la commission nationale d'évaluation (CNE) et les membres de celle-ci, a souligné l'importance du travail de la commission créée par la loi du 30 décembre 1991, comme en témoignent ses onze rapports annuels et son rapport global d'évaluation dont la présentation fait l'objet de la réunion.
M. Bernard Tissot, président de la commission nationale d'évaluation, a remercié de son accueil M. Claude Birraux, député, président, et a présenté les grandes lignes du rapport global d'évaluation de la CNE.
La loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs a mobilisé efficacement le commissariat à l'énergie atomique (CEA), le centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) sur des domaines également étudiés dans différents pays. Les travaux du CNRS se sont révélés importants non seulement pour caractériser le site de Bure, mais aussi pour mettre au point de nouvelles méthodes de portée générale, comme pour la datation d'eaux souterraines très anciennes. De son côté, l'ANDRA, sous la direction de François Jacq et de Philippe Stohr, a atteint un niveau de performances remarquable. En ne restant pas prisonnier des techniques traditionnelles et en recourant au contraire aux techniques pétrolières, ignorées par d'autres pays pour l'étude du stockage géologique, l'ANDRA a pu effectuer une moisson extraordinaire de résultats. Au total, peu de formations géologiques auront fait l'objet d'études aussi poussées que l'argile du Callovo Oxfordien de Bure.
M. Robert Guillaumont, membre de la CNE, a indiqué que les quinze années de recherches sur la séparation-transmutation (axe 1) ont abouti à des résultats de haut niveau.
Au-delà de la séparation de l'uranium et du plutonium déjà mise en oeuvre au plan industriel, des procédés ont été mis au point pour isoler le neptunium, l'américium et le curium, ainsi qu'éventuellement les produits de fission à vie longue. N'ayant pas encore débouché sur des procédés, d'autres pistes sont néanmoins étudiées.
Deuxième volet des recherches, les techniques de préparation des combustibles cibles pour la transmutation comptent moins de résultats, du fait de la durée des expériences. Dix à quinze années sont en effet nécessaires pour mettre au point la composition chimique des radionucléides à irradier, la préparation des cibles pour les expériences, l'irradiation en réacteur, les examens physiques des cibles, leur dissolution et la vérification des résultats de transmutation. Malgré cette contrainte, deux expériences ont été conduites à leur terme, démontrant que l'on peut transmuter l'américium et le neptunium. D'autres expériences se déroulent actuellement avec le réacteur Phénix, dont les résultats finaux seront connus dans quelques années.
Dans le cadre de la loi de 1991, les recherches sur les réacteurs transmuteurs ont notamment porté sur les systèmes sous-critiques pilotés par accélérateur ADS (Accelerator Driven Systems), qui comportent trois éléments, d'abord un accélérateur linéaire, ensuite une cible de spallation et enfin un réacteur nucléaire sous-critique. Les accélérateurs linéaires sont bien connus, de même que les coeurs sous-critiques. Une expérience de couplage de la source de neutrons et d'un coeur sous-critique a été réalisée. Le test d'une cible de spallation sera réalisé avec l'expérience Megapie avant la mi 2006. En parallèle aux travaux sur les systèmes ADS, les recherches sur la transmutation s'inscrivent dans les études sur les réacteurs à neutrons rapides. La CNE a également procédé à l'évaluation des différents scénarios de stratégie globale de séparation et de transmutation.
Premier enseignement général, le bien-fondé d'études conduites séparément sur la séparation, les cibles et les réacteurs de transmutation montre ses limites. Si cette méthode a permis de faire émerger de nouvelles idées pour la séparation, des difficultés sont apparues pour préparer des combustibles adaptés à la transmutation, qui sont, en tout état de cause, différents des combustibles MOX. La CNE préconise donc une approche globale pour continuer à progresser.
Deuxième enseignement, dans le prolongement des études sur les ADS conduites dans un cadre européen, les recherches sur la transmutation doivent avoir une dimension internationale.
M. Bernard Tissot, président de la CNE, a ensuite présenté un bilan des recherches sur le stockage en formation géologique profonde (axe 2). Les sept kilomètres de carottages prélevés par forages, les mesures géophysiques effectuées lors de ceux-ci ou depuis la surface, ainsi que les analyses des nombreux prélèvements effectués au cours du creusement des puits et des galeries, démontrent la continuité horizontale de la couche d'argile et l'absence de fracture. Si le laboratoire de Bure reçoit ainsi une « note » maximale, il reste des points à examiner.
Il faudra démontrer que la zone d'endommagement à la périphérie des galeries et des puits peut être étanchéifiée par injection de matériaux appropriés. L'argile de Bure se caractérise par une perméabilité très basse et un gradient de pression très faible qui s'opposent au transfert de matières ou de fluides par des écoulements. Le transfert éventuel de radionucléides ne peut se faire qu'à des vitesses très lentes, sous l'action du seul gradient de concentration.
Cinq années d'expériences sont encore nécessaires dans le laboratoire de Bure, qui devra rester en service pour des travaux supplémentaires éventuels et pour la recherche universitaire, compte tenu de l'ampleur de l'investissement qu'il représente. Pendant le même temps, des mesures de sismique 3D et des forages orientés pourront être pratiqués pour l'étude détaillée de la zone de transposition. Le creusement proprement dit pourrait commencer en 2015 et la mise en service en 2025.
L'évaluation par la CNE des recherches relatives au conditionnement et à l'entreposage de longue durée (axe 3) a été plus difficile. Les démonstrateurs de conteneurs n'ont été mis au point qu'à la fin 2004, ce qui oblige à compléter les expériences de validation. Pour l'entreposage de longue durée, la difficulté provient du béton. Selon les expertises du laboratoire central des ponts et chaussées, il apparaît que la tenue des bétons au-delà de 100 ans ne peut être garantie. Le déstockage et la reconstruction de casemates en surface au-delà de ce délai représenteraient des lourdes contraintes.
Pour les déchets radioactifs de haute activité à vie longue HAVL, il semble difficile de faire mieux que les entreposages industriels actuels de l'usine de La Hague, ce qui conduirait à les dupliquer. Pour les déchets radioactifs de moyenne activité à vie longue (MAVL), l'entreposage aurait l'inconvénient d'obliger à transférer de grands volumes de déchets d'installations non pérennes à d'autres installations, qui ne le seraient pas beaucoup plus.
L'entreposage pérenne mis en avant par la commission particulière du débat public sur la gestion des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue, pose encore plus de difficultés. Un entreposage d'une durée supérieure à cent ans devrait pouvoir être surveillé, inspecté et permettre de reprendre les colis défaillants pour réparation, quel que soit leur emplacement. L'accès au-delà de trois cents ans à un entreposage en sub-surface pourrait être aussi malaisé que l'accès à une mine datant du siècle de Louis XIV.
La réversibilité d'un stockage en formation géologique profonde serait assurée pendant les soixante-dix années de son remplissage et pourrait être maintenue sans difficulté pendant trente années supplémentaires avec les technologies actuelles.
M. Claude Birraux, député, président, a rendu hommage au travail de la Commission nationale d'évaluation des recherches sur la gestion des déchets radioactifs et à la qualité des présentations faites chaque année aux membres de l'Office parlementaire. Le bon déroulement des recherches sur la gestion des déchets radioactifs doit beaucoup à la CNE. Soulignée par M. Guillaumont et correspondant aux voeux de l'Office qui a toujours indiqué son importance, l'implication du CNRS dans les recherches sur les déchets radioactifs s'est traduite par de nombreuses publications scientifiques dans des publications internationales à comité de lecture.
M. Claude Birraux, député, président, s'est, en outre, interrogé sur l'état d'avancement du projet Myrrha, sur la présence éventuelle d'eau dans les alvéoles du laboratoire de Bure, sur les exigences de l'autorité de sûreté nucléaire pour l'entreposage de longue durée, ainsi que sur les vues exprimées à titre personnel par M. Ghislain de Marsily, membre de la CNE.
M. Jean-Claude Duplessy, membre de la CNE, a souligné la difficulté de faire reposer la sûreté à très long terme d'un entreposage sur des sociétés humaines, dont les 19e et 20e siècles ont montré la fragilité. Selon son interprétation des propositions de M. de Marsily, un entreposage en grande profondeur présenterait l'intérêt de ne pas présenter de danger en cas d'abandon. Il s'agirait donc de faire évoluer le concept de stockage en formation géologique profonde pour en faire un entreposage. La Commission nationale d'évaluation n'a pas adopté cette proposition en raison des difficultés de respecter à grande profondeur les contraintes de sûreté exigées d'un entreposage par l'autorité de sûreté nucléaire, en raison, par exemple, de la présence éventuelle de gaz et de la corrosion des colis entraînée par une atmosphère humide oxydante.
M. Christian Bataille, député, a souligné que la réversibilité est une contrainte et un engagement solennel pris par le Parlement et le Gouvernement. Après un démarrage en 2015, l'EPR sera en service pendant au moins 50 ans, et les déchets produits pourront être stockés vers 2100, après un refroidissement de 50 années. La durée d'exploitation d'un stockage est donc au minimum de 100 à 150 ans. Il est primordial de pousser les recherches sur les techniques permettant d'allonger la durée de la réversibilité. Par référence à la tenue parfaite de la grotte Chauvet, une réversibilité de longue durée ne devrait pas poser de difficulté dans l'argile, contrairement à d'autres milieux géologiques comme le granite ou le charbon, où l'eau est omniprésente.
M. Bernard Tissot, président de la CNE, a indiqué que la réversibilité sur cent ans ne pose pas de problème avec les techniques actuelles, mais que sur trois cents ans, d'autres techniques devront être mises au point. Les contraintes subies par les galeries à une profondeur de cinq cents mètres, du fait de la pression des roches supérieures, entraînent leur ovalisation dans les cinquante ans. Le calcaire autour de la grotte Chauvet est au contraire peu sensible au fluage. Si l'accessibilité des galeries pendant un siècle ne pose pas de problème, au-delà, la réfection périodique du soutènement des galeries et la mise au point de moyens spécifiques de transfert horizontal de charges semblent nécessaires.
M. Pierre Berest, membre de la CNE, a confirmé que la tenue de galeries pendant un siècle ne pose pas de problème. Le creusement des galeries du laboratoire de Bure datant d'à peine un an, il est difficile de prédire leur comportement sur trois siècles. En revanche, avec un recul de dix à quinze ans, il sera possible de prévoir avec plus de précision leur comportement à long terme.
En réponse à une observation de M. Claude Birraux, député, président, sur la circulation des eaux souterraines dans le granit du laboratoire suédois d'Aspö et le rôle de la bentonite comme protection des colis de déchets, M. Bernard Tissot, président de la CNE, a observé que la sûreté du concept de stockage de la Suède repose sur la pérennité des conteneurs, cylindres d'une épaisseur de dix centimètres, dont cinq de cuivre. Des agrégats de cuivre, inaltérés sur plusieurs millions d'années, ont été trouvés dans des formations rocheuses.
M. Jean-Paul Schapira, membre de la CNE, a indiqué que le projet Myrrha est, aujourd'hui, le seul projet actif dans le domaine des systèmes ADS. Les résultats des études conduites dans le cadre du projet Eurotrans du 6e programme cadre de recherche et développement seront connus en 2008-2009. D'ores et déjà, les ADS semblent remis en question, en raison de difficultés techniques, encore non résolues pour la cible de spallation et l'interface entre l'accélérateur et le réacteur sous-critique. Par ailleurs, si l'on peut obtenir des intensités élevées avec les accélérateurs linéaires et si les réacteurs sous-critiques ne diffèrent pas sensiblement des réacteurs critiques, en revanche les ADS ne semblent pas pouvoir utiliser des combustibles fortement chargés en actinides mineurs, ce qui réduit leur intérêt.
Après le retrait de l'Ente per le nuove technologie, l'Energia et l'Ambiente (ENEA) du projet d'ADS porté par le Professeur Carlo Rubbia, le projet Myrrha est le seul projet intégrant l'ensemble des composants d'un système de transmutation piloté par accélérateur, dont l'avenir sera décidé en 2008-2009 à la fin du 6e PCRD. Sur un plan stratégique, les ADS dédiés à la transmutation sont concurrencés par les réacteurs à neutrons rapides. Tout en produisant de l'électricité, les réacteurs à neutrons rapides de 4e génération pourront utiliser le plutonium et l'uranium naturel, tout en transmutant l'américium et le curium, ce qui permettra de stabiliser l'inventaire de déchets radioactifs de haute activité à vie longue. En conséquence, le CEA et les agences nucléaires d'autres pays donnent une priorité aux réacteurs à neutrons rapides. Dans cette perspective, la pyrométallurgie et la pyrochimie présenteraient l'intérêt de permettre une séparation groupée plus aisée des actinides mineurs que les procédés hydrochimiques.
En tout état de cause, les recherches sur la transmutation en application de la loi de 1991 sont liées au développement des réacteurs à neutrons rapides.
M. Jean-Claude Duplessy, membre de la CNE, a enfin précisé qu'il est difficile de trouver de l'eau dans le laboratoire de Bure. Des molécules d'eau font partie des constituants de l'argile, comme c'est le cas pour les organismes vivants. Datant de sa formation, intervenue il y a plus de six millions d'années, ces molécules d'eau sont fixées solidement dans l'argile. En conséquence, il n'y a aucun risque que ces molécules d'eau qui représentent une quantité infinitésimale, s'en échappent.
Après avoir une nouvelle fois salué le travail de la commission nationale d'évaluation et remercié M. Bernard Tissot, président, et les membres de celle-ci, M. Claude Birraux, président, a levé la séance.