Mercredi 14 février 2007
- Présidence de M. Jean François-Poncet, vice-président.Audition de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes
Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes.
Accueillant Mme Catherine Colonna, M. Jean François-Poncet, président, a indiqué que l'audition porterait sur les principaux thèmes de la présidence allemande, sur les orientations de politique étrangère de l'Union européenne dans ses relations avec la Russie, les Balkans et les Etats-Unis, et sur le projet de déclaration de Berlin à l'occasion du cinquantenaire de la construction européenne et sur l'avenir du traité constitutionnel. Il a ensuite appelé la ministre à faire part des conclusions qu'elle tirait de l'exercice de son portefeuille ministériel.
Mme Catherine Colonna a tout d'abord rappelé les priorités de la présidence allemande : le Conseil européen des 8 et 9 mars, la Déclaration du cinquantenaire de la construction européenne, le 25 mars, et le Conseil européen de juin, qui devra s'attacher à examiner les questions institutionnelles.
Elle a indiqué que, comme à l'accoutumée, les questions économiques et sociales seraient à l'ordre du jour du Conseil européen de printemps qui avait pour thème général « l'Europe réussit ensemble ». Ce thème résume la volonté partagée par les Etats membres de s'appuyer pleinement sur l'Europe pour tirer parti des opportunités de la mondialisation et développer notre propre modèle économique et social. Il serait illusoire de prétendre qu'ils pourraient répondre, seuls, aux défis qui sont devant eux : politique étrangère et sécurité, défense, énergie, recherche et développement, changement climatique, migrations, etc. Lors du Conseil européen du 8 et 9 mars, seront ainsi examinées la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et la compétitivité, l'énergie et l'amélioration de la législation européenne.
Evoquant la stratégie de Lisbonne, Mme Catherine Colonna a considéré qu'elle restait pertinente et équilibrée, mais qu'elle devait être mieux intégrée dans les politiques nationales. A cette fin, il y a deux ans, lors du Conseil de printemps, les Etats membres ont adopté une nouvelle méthode consistant à élaborer des programmes nationaux de réforme soumis à un examen collectif. Dans son dernier rapport de progrès de décembre 2006, la Commission a dressé un bilan positif des progrès réalisés en matière de recherche et développement et d'innovation, de finances publiques, d'emploi et de lutte contre le chômage. La France partage ce constat. S'agissant de la France, la Commission relève, de même, des « progrès certains » en matières budgétaire, économique et d'emploi. Pour mémoire, le Conseil ECOFIN a décidé de mettre un terme à la procédure de déficit public excessif engagé en 2003 contre la France. Sur cette base, la présidence allemande souhaite que le Conseil européen de mars appelle l'Union européenne et les Etats membres à poursuivre leurs efforts dans quatre domaines :
- les politiques économiques et budgétaires en faveur de la croissance et de l'emploi ;
- la poursuite de l'achèvement du marché intérieur, ce qui est important, car il assure les 2/3 de nos exportations. A ce sujet, la ministre a indiqué qu'à la demande de la France, l'Union s'est mise d'accord pour examiner les moyens susceptibles d'améliorer l'accès des PME aux marchés publics au sein de l'Union européenne et dans le reste du monde ;
- le renforcement de l'innovation, de la recherche et de l'éducation ;
- le développement de l'emploi et du modèle social européen.
Abordant la définition d'une politique européenne de l'énergie, Mme Catherine Colonna a indiqué que le Conseil européen serait appelé à valider le plan d'action proposé par la Commission le 10 janvier 2007, et destiné à doter l'Union d'une véritable politique de l'énergie pour l'Europe. La France a joué un rôle moteur en ce domaine. Trois objectifs sont retenus dans ce plan : la lutte contre le changement climatique, avec notamment la réduction, d'ici à 2020, des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne de 20 % et de 30 % en cas d'accord international, la compétitivité de l'économie européenne, la sécurité d'approvisionnement et la réduction de la dépendance énergétique de l'Union. Ces objectifs rejoignent ceux présentés par le mémorandum français sur l'énergie de janvier 2006, et en particulier la priorité qui doit être donnée à la lutte contre le changement climatique. Aucune politique ambitieuse n'est en effet possible dans ce domaine sans la prise en compte de ce défi majeur pour l'avenir de la planète. La conférence internationale de Paris du 2 février, intitulée « Citoyens de la terre : pour une gouvernance écologique mondiale », a permis de le réaffirmer au plus haut niveau et de lancer un appel pour la transformation du PNUE en ONUE. La ministre a indiqué que la France partageait très largement l'approche de la Commission, notamment l'analyse coûts-bénéfices des différentes sources d'énergie, la meilleure prise en compte de l'énergie nucléaire, le renforcement de la coordination des réseaux de transport d'énergie et des positions des Etats membres dans les négociations internationales. La France a enfin proposé que l'Union se dote d'un représentant spécial pour l'énergie.
Elle privilégie, en revanche, un objectif indicatif à un objectif contraignant en matière d'énergies renouvelables et préconise en outre un objectif en matière d'énergies sobres en carbone. Pour ce qui concerne la séparation des activités de production d'énergie et de distribution, pour laquelle la Commission a proposé deux options (la séparation patrimoniale pure et simple et la gestion déléguée du transport et de la distribution), la France propose une troisième option, la séparation régulée, qui permet, par exemple, de réguler les tarifs d'accès aux réseaux.
Pour ce qui concerne l'amélioration de la législation européenne dans le cadre de l'initiative de la Commission « Mieux légiférer », la Commission a appelé le Conseil à appuyer son programme de simplification législative. A cet égard, la présidence allemande souhaite que le Conseil de mars convienne d'un objectif de réduction des charges administratives de 25 % d'ici à 2012.
Mme Catherine Colonna a souligné que, tout en soutenant l'objectif, la France considérait que la diminution du volume de la législation européenne ne devait pas constituer une fin en soi et que les besoins de l'harmonisation, placée au coeur du projet européen, nécessitaient de légiférer. L'exercice doit ainsi être mené avec discernement, au cas par cas et sans dogmatisme, dans le respect de l'acquis communautaire. « Mieux légiférer » ne doit pas signifier « moins légiférer » : en effet, l'approfondissement du marché intérieur suppose la poursuite de l'harmonisation lorsque c'est nécessaire, en particulier lorsqu'une telle harmonisation permet seule d'assurer un niveau élevé de protection du consommateur, du travailleur et de l'environnement.
Evoquant la déclaration du 25 mars 2007, Mme Catherine Colonna a précisé qu'il s'agirait d'une déclaration « des responsables de l'Union », formule qui recouvrait non seulement le Conseil, mais encore l'ensemble du triangle institutionnel, avec le Président du Parlement européen et la Commission, qui devra énoncer les valeurs et les ambitions de l'Europe et confirmer la volonté commune des Européens de les concrétiser. La présidence a engagé des premières consultations sur l'élaboration de ce texte avec les représentants de chaque Etat membre, avec le nouveau Président du Parlement européen et le Président de la Commission. La Ministre a indiqué qu'elle s'était rendue à Berlin le 2 février, car elle a été désignée par le Président de la République pour cette mission, avec son conseiller pour les affaires européennes. Ils ont rappelé à la présidence que la France souhaite que ce texte permette d'exprimer la volonté des Européens de continuer à construire l'Europe et d'engager le début d'une relance de l'Europe. Le Président de la République, dans ses voeux du 31 décembre, avait déjà appelé à ce que cet anniversaire du traité de Rome permette de redonner du souffle et de l'impulsion au projet européen.
La France considère que cette déclaration doit être courte, politique et compréhensible par tous les citoyens européens, qu'elle doit identifier les défis auxquels l'Union est confrontée et affirmer la volonté d'action collective des Etats membres. La présidence allemande partage cette approche. La prochaine étape sera celle du Conseil du 8 mars, où il est prévu que les chefs d'Etat ou de gouvernement aient un échange. La présidence envisage un texte en quatre parties qui évoquerait successivement ce qui a été accompli jusqu'à maintenant, les valeurs fondamentales de l'Union, les ambitions de l'Europe, avant de se clore sur un engagement commun des Etats membres à répondre aux défis du XXIe siècle. En tout état de cause, aucun texte ne devrait être rendu public avant le Conseil européen des 24 et 25 mars.
Evoquant ensuite les questions institutionnelles, Mme Catherine Colonna a indiqué que la présidence a été chargée de faire des propositions et devrait avoir pour ambition de définir une feuille de route pour la suite du processus.
La ministre a rappelé qu'à ce jour, 18 Etats avaient ratifié le traité constitutionnel. Ces 18 Etats se sont réunis à Madrid le 26 janvier 2007 pour redire leur attachement à la substance de ce texte. Deux l'avaient rejeté, et sept ne s'étaient pas encore prononcés. Il faudra tenir compte de cette réalité politique qui s'impose à tous. Chacun devra donc faire un pas vers l'autre. La solution de consensus devra être trouvée à 27. Pour cela, la ministre a plaidé pour une démarche pragmatique prenant le traité constitutionnel comme base de travail. Ce texte est le fruit d'un long travail qui a associé non seulement les gouvernements, mais encore les parlements nationaux, au sein de la Convention, et le Parlement européen. Sur cette base, il faudra regarder ce qui peut faire l'objet d'un accord entre les 27, ce qui peut être ajouté, par exemple dans le domaine social, et ce qu'il faudra réserver pour plus tard.
Il faudra un calendrier serré pour aboutir d'ici à 2009. Mme Catherine Colonna a ainsi privilégié une démarche en deux étapes, avec tout d'abord un texte centré sur les mécanismes institutionnels dont l'Union a besoin pour bien fonctionner. Il faudra donc dans une première étape aboutir à un traité simplifié, qui n'est pas l'idéal, mais qui permettrait de sortir de l'impasse. Dans un second temps, il faudra envisager un texte plus ambitieux, plus complet et adapté. Cette méthode a des limites, mais il faut sortir de l'impasse.
Evoquant les questions de politique internationale, Mme Catherine Colonna a rappelé qu'un mandat de négociation devait être donné à la Commission, en vue de la conclusion d'un accord de coopération et de partenariat avec la Russie, se substituant à l'accord actuel, qui reprenne les éléments définis à Saint-Pétersbourg en 2003 et permette d'avancer sur l'énergie en reproduisant les termes de la Charte européenne de l'énergie, que la Russie n'a pas ratifiée. Le mandat de négociation rencontre l'opposition de la Pologne, en raison de l'embargo maintenu par la Russie sur certains de ses produits. Une mission conjointe Russie-Commission-Pologne fait actuellement le point sur la question sanitaire, sans que cette question représente cependant le coeur du problème. Les discussions n'ont pas permis de convaincre la Pologne, qui demande la solidarité de ses partenaires européens, de l'opportunité d'engager des négociations.
En ce qui concerne les Etats des Balkans, le sommet de Zagreb, tenu en 2000, sous présidence française, leur a clairement reconnu une « perspective européenne », c'est-à-dire une vocation à adhérer à l'Union, pour autant qu'ils en remplissent les conditions, alors que leurs situations sont très diverses. Mme Catherine Colonna a rappelé que la Slovénie avait adhéré à l'Union européenne en mai 2004, faisait partie de la zone euro depuis le 1er janvier 2007, et aurait la présidence en janvier 2008. Par ailleurs, des négociations d'adhésion avaient été engagées avec la Croatie, et la Macédoine s'était vue reconnaître le statut de candidat, mais n'avait pas commencé les négociations d'adhésion. Les autres Etats sont engagés dans un processus de négociation d'un accord d'association et de stabilisation, processus suspendu pour ce qui concerne la Serbie. Lors du dernier CAG, les 27 se sont accordés pour envoyer un signal et se déclaraient prêts à reprendre ces négociations pour l'accord d'association et de stabilisation, pour autant que la Serbie manifeste concrètement sa coopération avec le tribunal pénal international. Quant au Monténégro, il faudra engager la négociation. Enfin, sur le Kosovo, la ministre a considéré que le règlement de la question de son statut final était un préalable à une perspective d'adhésion. Le négociateur finlandais a proposé un plan qui ne recueille pas l'accord des Serbes. Il reviendra au Conseil de sécurité de l'ONU de proposer une nouvelle solution si le nouveau gouvernement serbe ne répond pas aux nouvelles propositions européennes. A propos des relations transatlantiques, elle a souligné que les messages de la présidence allemande s'étaient focalisés sur une relation commerciale équilibrée, sans aller jusqu'à l'établissement d'une zone de libre-échange. Les propositions de Mme Merkel sont intéressantes, pour autant que les Etats-Unis puissent y répondre.
Evoquant enfin son expérience ministérielle, Mme Catherine Colonna s'est déclarée optimiste sur le cheminement de l'Europe dans la durée, tant s'impose la nécessité pour les Etats membres d'agir collectivement. Elle s'est déclarée plus mesurée sur la dynamique européenne actuelle, en raison de l'hétérogénéité des visions des Etats membres sous l'effet de l'élargissement, mais aussi sous l'effet du rejet du traité constitutionnel, notamment en France. L'Europe a cessé de progresser dans une phase de son histoire où elle aurait eu besoin de l'accélérer, en raison de la mondialisation et des défis qui s'imposent. Mme Catherine Colonna a cependant estimé que chacun des 27 Etats membres avait une conscience claire de la situation. Elle a considéré que l'année 2005 avait été une année difficile pour l'Europe, 2006 une année de consolidation, et a formé des voeux pour que 2007 soit l'année de la relance.
A l'issue de cet exposé, un débat s'est instauré.
M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne, a évoqué l'importance qu'accordait la présidence allemande à la déclaration de Berlin, qui marquera le 50è anniversaire du Traité de Rome. Il a souligné que les négociateurs allemands chargés de ce dossier étaient en contact étroits avec le parlement allemand, et qu'une situation analogue prévalait également en Finlande. Il s'est donc étonné que le gouvernement français n'ait pas pris une initiative similaire pour recueillir les points de vue des parlementaires français, et a interrogé Mme Catherine Colonna sur ses intentions, en ce domaine, d'ici au 25 mars prochain, date de mise au point de cette déclaration. Il a précisé que les Allemands voulaient que cette déclaration, non contraignante, soit un document d'une grande brièveté, permettant une large publication dans les moyens d'information, de nature à amorcer une discussion au sein des populations européennes. Il a rappelé que cette déclaration comportait quatre éléments : le rappel des réussites obtenues par l'Union européenne depuis sa création, l'énoncé des valeurs qui la fondent, les buts qu'elle se fixe et l'engagement des gouvernements à lui donner les instruments adéquats pour faciliter les prises de décision.
Il a évoqué, par ailleurs, le probable changement de gouvernement que connaîtra la Grande-Bretagne d'ici à la fin du mois de juin et s'est interrogé sur la capacité de la diplomatie française à faire face à un nouveau premier ministre britannique qui pourrait être très hostile à l'Europe. Il a estimé qu'il serait peut-être opportun, dans cette perspective, que la France exprime clairement les difficultés que suscitait le passage de l'Union européenne à 27 membres.
M. Jean François-Poncet, président, a estimé que la future attitude britannique ne pouvait être d'ores et déjà définie, et que le probable successeur de Tony Blair serait sans doute plus flexible que certains ne le prédisent.
M. Robert Del Picchia a estimé qu'une consultation des parlementaires français aurait permis une relance de l'intérêt de nos concitoyens envers la future déclaration de Berlin. Souhaitant une initiative plus marquante pour mobiliser les citoyens, il a exprimé son scepticisme sur les retombées positives qu'on pouvait attendre de ce texte.
Mme Catherine Tasca a estimé qu'il y avait urgence, après deux ans de panne institutionnelle due aux référendums négatifs exprimés, en France et aux Pays-Bas, à relancer avec détermination ce dossier, d'autant plus que l'élargissement à deux nouveaux membres a introduit des données nouvelles. Elle a estimé qu'on ne pouvait « découper » le texte du traité pour en extraire un « petit » traité qui serait insuffisant pour les 18 Etats membres qui ont ratifié le texte initial, et encore trop ambitieux pour les pays qui l'ont rejeté. Elle a fait valoir l'opportunité de travailler sur quelques points qui avaient visiblement fait défaut à ce texte, comme les questions sociales, et les modes de gouvernance de l'Union. Elle a donc souhaité que la France prenne une initiative dans ces domaines, de nature à mobiliser non seulement les nouveaux membres, mais aussi les deux pays ayant émis un vote négatif.
M. Jacques Blanc a évoqué une récente réunion du comité des régions d'Europe, où il avait, une fois de plus, constaté combien la France est marginalisée par le vote négatif émis en 2005, qui handicape sa capacité de proposition. La présidence allemande souhaite mettre en valeur l'efficacité de plusieurs politiques européennes, comme les fonds structurels ou la concertation en matière énergétique, estimant que des thèmes comme la lutte contre le réchauffement climatique sont de nature à mobiliser les citoyens en faveur de l'Europe. Il s'est interrogé sur les initiatives qui pourraient attirer leur attention sur les réels progrès accomplis par la construction européenne durant ses cinquante ans d'existence.
M. Charles Josselin a regretté que la nécessaire relance de l'enthousiasme européen soit contrariée par les échéances électorales françaises, qui handicapent les capacités d'initiative de notre pays. Il a souligné la nécessité impérieuse d'améliorer l'image de la France envers ses partenaires européens et a souhaité que la date du 25 mars soit marquée par une initiative française qui illustrerait la bonne volonté de notre pays envers l'Europe.
A titre d'exemple, outre le dossier complexe de l'énergie, il a proposé que la France mette en valeur les potentialités d'une coopération européenne sur des aspects aussi concrets que le renforcement de la sécurité de nos côtes, ou l'harmonisation des normes en matière de sécurité nucléaire.
M. Jean-Pierre Fourcade s'est interrogé sur les initiatives qui pourraient susciter l'intérêt de la jeunesse envers les institutions européennes. Il a pris l'exemple des domaines de l'énergie, et de la recherche et du développement, où l'Europe a accompli des progrès depuis 2005, et a souhaité que ces initiatives soient suivies d'actes concrets, comme une démarche européenne collective envers les grandes entreprises gazières, russe et algérienne, Gazprom et Sonatrach. Il a estimé qu'une démarche de ce type contribuerait à valoriser la position européenne au regard des réticences américaines à rejoindre le protocole de Kyoto. Ces démarches concrètes s'appuyant sur des politiques lui ont paru plus positives que la recherche d'un hypothétique et difficile accord à 27.
M. Robert Bret a fait valoir que le « non » français constituait une expression politiquement transversale. Il a déploré que les 18 Etats membres qui avaient ratifié le traité constitutionnel se soient réunis à Madrid, dans une démarche qui semblait stigmatiser ceux des pays européens qui avaient laissé leurs citoyens s'exprimer. Il s'est inquiété du projet prêté à la Commission européenne d'utiliser certains fonds structurels, et notamment le fonds social européen, pour financer le fonds de compensation de la mondialisation, et a conclu en soulignant la nécessité pour la France de reprendre l'initiative dans le domaine européen.
En réponse, Mme Catherine Colonna a apporté les éléments suivants :
- elle s'est dite intéressée par ce que le négociateur allemand avait dit à M. Haenel. La France est d'accord sur la structure de ce texte et sur son objectif. Il faudra parler du passé, des valeurs, des ambitions et de l'engagement commun de l'Europe à relever les défis du 21e siècle. Il faudra se mettre d'accord si possible sur un dispositif institutionnel pour 2009, année d'élections européennes. Mais il faut cheminer pas à pas. La présidence mesure pleinement l'enjeu qu'il représente. Et le moment venu, il faudra vérifier que le texte proposé correspond bien à ce que les 27 envisagent. En réponse à M. Del Picchia, la ministre a indiqué que cette déclaration devait être vue par tous les citoyens européens comme ce qui aura permis d'engager la relance de l'Europe ;
- la position de l'actuel chancelier de l'échiquier britannique est connue, mais elle pourrait sensiblement évoluer s'il accédait à des fonctions plus éminentes ;
- il est probable que la déclaration de Berlin ne suffira pas, à elle seule, à réveiller l'enthousiasme européen, mais elle constituera néanmoins une démarche positive. Il n'est pas opportun de l'alourdir en mentionnant des politique concrètes, comme l'énergie, le changement climatique ou la recherche et le développement, même s'ils suscitent l'intérêt parmi les jeunes Européens ;
- il faudra faire la distinction entre ce qui relève des politiques et les règles qui doivent par définition être communes à tous ceux qui appartiennent à l'Union européenne (par exemple le nombre de voix au Conseil, le nombre de députés européens etc.....). Après l'échec du referendum, il n'est pas souhaitable de repartir de zéro, de rouvrir l'ensemble de la négociation et de recommencer le travail fait par la Convention. Il faut plutôt trouver des adaptations modestes et pragmatiques. Il faut voir ce qui peut être retenu, ce qui peut être ajouté - et le social n'est pas accessoire - et ce qui doit être réservé pour plus tard. Il importe d'abord de définir une base commune. L'alternative serait de conserver le projet de traité constitutionnel en l'état et d'ajouter de nouveaux éléments. Même si certains partenaires penchent vers cette solution, ce n'est pas la bonne. Par exemple, si le social est important pour la France, il ne l'est pas nécessairement pour d'autres. Il en est même qui voudraient aller moins loin encore en ce domaine, comme le Royaume-Uni, la Pologne, la République tchèque, les pays Baltes sans doute, ou même le Portugal. Il ne pourra donc pas y avoir d'accord à vingt-sept sur un tel protocole social. La solution d'un protocole social optionnel, évoquée par l'Allemagne, conduirait inévitablement à une Europe sociale à deux vitesses, qui constituerait une impasse. Il convient donc d'aller de l'avant rapidement, mais sans rouvrir une discussion de fond, qui risquerait d'être très longue et se déroulerait en même temps que les débats sur la définition du futur budget européen au-delà de 2009, ce qui ne manquerait pas de les compliquer ;
- la France a su maintenir son rôle au sein de l'Europe, depuis l'échec de 2005, mais sans pouvoir l'accroître. Elle reste néanmoins un acteur important de la construction européenne, avec des initiatives couronnées de succès dans des domaines aussi divers que le budget, l'énergie ou le Xe FED (Fonds européen de développement). La France a été l'élément moteur du Livre vert sur l'énergie et de la réunion de Paris sur le réchauffement climatique, mais il ne suffit pas d'avancer des idées pertinentes pour qu'elles soient consensuelles ; ainsi, la désignation d'un négociateur unique de l'Union européenne en matière énergétique a suscité des résistances chez certains de nos partenaires.
- il est nécessaire que les 27 Etats membres s'accordent sur un nouveau dispositif institutionnel d'ici aux prochaines élections européennes de 2009. Sur ce point, il semble y avoir accord entre eux ;
- l'Europe a continué à fonctionner depuis 2005, et à s'adapter à de nouveaux domaines ; ainsi, les crédits affectés à la recherche et au développement ont été augmentés de 35 %, et le fonds d'ajustement à la mondialisation, récemment créé, bénéficie d'un financement de 500 millions d'euros par an. Ces exemples soulignent la capacité de l'Europe à se réorienter ;
- les institutions européennes constituant un point de blocage, le gouvernement français a donné la priorité aux projets mobilisateurs. C'est ainsi que le fonds d'ajustement à la mondialisation a été mis en place avec l'appui de la Commission, au terme de deux ans de débat ;
- la réunion de Madrid rassemblait les 18 Etats membres qui ont ratifié le traité ; il ne s'agissait donc pas d'un sommet européen, et il était normal que la France, qui a rejeté le traité, n'y participe pas.
En conclusion, M. Jean François-Poncet, président, a estimé que, seul, le prochain Président de la République serait en mesure de prendre les initiatives adéquates pour rapprocher la France des autres Etats membres de l'Union européenne. Il a jugé que la réforme des procédures institutionnelles était un préalable sans lequel il n'était pas possible d'avancer, en particulier sur des mesures novatrices en matière de politique traitant des changements climatiques ou d'amélioration de la politique de l'énergie. Une autre démarche aboutirait forcément à de nouvelles déceptions.
Mardi 20 février 2007
- Présidence de M. Robert Del Picchia, puis de M. Jean François-Poncet, vice-présidents.-Modification du code pénal - Modification du code de justice militaire et du code de la défense - Examen des amendements
La commission a constaté qu'aucun amendement n'avait été apporté aux projets de loi, adoptés par l'Assemblée nationale, n° 218 (2006-2007) modifiant les articles 414-8 et 414-9 du code pénal et n° 219 (2006-2007) portant modifications du code de justice militaire et du code de la défense.
Accord France-Japon de sécurité sociale - Examen du rapport
Puis la commission a procédé à l'examen du rapport de M. Robert Del Picchia sur le projet de loi n° 245 (2006-2007), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Japon.
M. Robert Del Picchia, rapporteur, a précisé que l'accord franco-japonais du 25 février 2005, à l'image de l'accord de sécurité sociale conclu avec la Corée et approuvé par le Sénat le 14 février dernier, reprenait les grandes lignes des accords similaires qui lient déjà la France à une trentaine de pays non communautaires, les pays de l'Union européenne étant soumis, quant à eux, à des règlements européens.
Il pose le principe général de l'affiliation dans les régimes de sécurité sociale de l'Etat où la personne exerce son activité, quelle que soit sa nationalité, avec pour corollaire une garantie d'égalité de traitement assurant à l'expatrié un traitement égal à celui des nationaux. Outre les personnels diplomatiques, la principale exception à ce principe concernera les personnels bénéficiant du statut de détachement. Ceux-ci continueront à relever exclusivement du régime de protection sociale de leur pays d'origine et ne seront pas soumis aux cotisations sociales du pays d'activité.
Aux termes de l'accord franco-japonais, le détachement est réservé aux salariés envoyés dans l'autre pays pour une durée prévisible n'excédant pas 5 ans. En cas d'interruption du séjour, un délai minimum d'un an est imposé avant de pouvoir bénéficier à nouveau pendant 5 années du statut de détaché. Les salariés japonais en France ou français au Japon, en fonctions au moment de l'entrée en vigueur de l'accord, pourront bénéficier du statut de détaché. Ils bénéficieront de la période de détachement maximale de 5 ans à compter de l'entrée en vigueur de l'accord, quelle que soit la durée antérieure de leur expatriation.
Le rapporteur a souligné l'intérêt de ce statut pour les entreprises, dans la mesure où il évite le recours à la double affiliation à des régimes situés dans deux pays différents.
L'accord comporte aussi des clauses classiques sur la totalisation des périodes d'assurance passées dans les deux pays pour le calcul des droits, ou encore sur le libre transfert des prestations sociales.
En ce qui concerne les pensions de retraite, la législation japonaise prévoit le versement d'un capital forfaitaire pour les assurés ayant cotisé moins de 25 ans au Japon. L'accord va permettre aux ressortissants français de réunir plus facilement cette condition d'assurance de 25 ans, puisque les périodes accomplies en France seront additionnées aux périodes accomplies au Japon.
M. Robert Del Picchia, rapporteur, a souligné que l'entrée en vigueur de cet accord était particulièrement attendue, tant par les entreprises japonaises implantées en France que par les entreprises françaises au Japon. Il améliorera le cadre des échanges économiques bilatéraux, notamment des investissements, qui nécessitent souvent l'expatriation de cadres ou de techniciens.
Le rapporteur a rappelé que la France était le 3e investisseur au Japon et le 2e pays d'accueil pour les investissements japonais en Europe. La communauté française au Japon est en augmentation rapide, le nombre d'immatriculés dépassant les 7 500, soit 40 % de plus qu'il y a cinq ans. On compte par ailleurs plus de 20 000 Japonais en France.
Suivant la recommandation du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi et proposé qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.
Accord France-Allemagne relatif à la construction d'un pont ferroviaire sur le Rhin à Kehl - Examen du rapport
Puis la commission a examiné le rapport de M. André Vantomme sur le projet de loi n° 246 (2006-2007), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant la ratification de l'accord entre la République française et la République fédérale d'Allemagne relatif à la construction d'un pont ferroviaire sur le Rhin à Kehl.
M. André Vantomme, rapporteur, a précisé que l'accord signé à Berlin le 14 mars 2006 entre la France et l'Allemagne visait à moderniser la traversée ferroviaire du Rhin entre Strasbourg et Kehl. En effet, a-t-il précisé, l'ouvrage actuel, à une seule voie, construit en 1956, ne pouvait permettre l'interconnexion des réseaux à grande vitesse français et allemand. Le présent accord vise donc à organiser les modalités de construction d'un nouveau pont à double voie, dont la mise en service est prévue pour 2010. Les études préalables ont démontré que cette solution était préférable au réaménagement du pont actuel, dont les piles ont été jugées trop fragiles. Ce pont sera donc démoli, et le nouvel ouvrage, à pile centrale, facilitera également la circulation fluviale.
La longueur du nouveau pont devrait avoisiner 240 m, et chacune de ses deux voies permettra la traversée des trains à la vitesse de 160 km/h.
L'accord confie la maîtrise d'ouvrage des travaux de démolition et de reconstruction, dont le coût total est estimé à 22,6 millions d'euros, exprimés en valeur de juin 2004, à la partie allemande. Une annexe à l'accord décrit la répartition de ces coûts entre la France et l'Allemagne. Ce dernier pays en supportera près de 75 %.
M. André Vantomme, rapporteur, a précisé que l'Allemagne avait déjà ratifié l'accord et que le lancement des travaux était prévu pour le second semestre 2007.
Il a conclu en rappelant que cet ouvrage faciliterait les liaisons ferroviaires entre la France et l'Allemagne et qu'il s'inscrivait dans le projet d'axe européen à grande vitesse entre Paris et Budapest, retenu par l'Union européenne parmi les cinq axes ferroviaires transnationaux prioritaires. Il en a donc recommandé l'adoption.
Au terme de cette présentation, M. André Dulait a souhaité connaître les raisons qui avaient conduit à la désignation d'une entreprise allemande pour construire l'ouvrage.
M. Jean François-Poncet, vice-président, s'est enquis de la future desserte des principales villes allemandes, telle Munich, permises par le prolongement du TGV Est.
En réponse, M. André Vantomme, rapporteur, a précisé qu'un appel d'offres européen avait été lancé pour désigner l'entreprise responsable de la construction du nouveau pont et que c'était une entreprise allemande qui l'avait remporté. Il a rappelé qu'au-delà de Strasbourg, la Ligne à Grande Vitesse Est (LGV-Est) devait relier la France, l'Allemagne, la Slovaquie et la Hongrie.
M. Robert Bret a rappelé qu'un projet de directive européenne visait en effet à relier par le train les grandes capitales européennes.
Puis, suivant les conclusions du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi et proposé qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.
Mercredi 21 février 2007
- Présidence de M. Robert Del Picchia, vice-président, et de M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne.-Audition de Son Exc. M. Peter Medgyessy, ancien Premier ministre de Hongrie, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire
Conjointement avec la délégation pour l'Union européenne, la commission a procédé à l'audition de M. Peter Medgyessy, ancien Premier ministre de Hongrie, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire.
Accueillant M. Peter Medgyessy, M. Robert Del Picchia, président, a rappelé qu'après une carrière dans l'administration des finances, il avait alterné des expériences ministérielles et une carrière dans le secteur de la banque et des assurances, avant de devenir Premier ministre de 2002 à 2004. Il a indiqué que depuis 2004, M. Medgyessy menait, pour le compte du Gouvernement hongrois, des missions internationales, en qualité d'ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République hongroise.
Il a indiqué que l'audition porterait d'abord sur la Hongrie dans l'Europe, l'évolution actuelle de l'Union européenne, le bilan de l'élargissement et l'avenir de la construction européenne, avant d'évoquer la situation intérieure de la Hongrie, après la crise politique que le pays a récemment traversée.
M. Peter Medgyessy a commencé par saluer l'occasion offerte à un homme politique d'Europe centrale de s'exprimer devant des parlementaires français.
Il a marqué son intérêt pour la situation politique française et la perspective de l'élection d'un président de la République né après la seconde guerre mondiale, ce qu'il a considéré comme un signe de changement, non seulement de génération, mais encore de mentalité, important pour la France, mais aussi pour l'Europe. Il a exprimé le souhait que la France retrouve un rôle moteur en Europe. La France est attendue dans un rôle d'animateur de la « nouvelle Europe », expression qui ne doit pas être mal interprétée et qui signifie une Europe capable de répondre aux nouveaux défis qui se posent à elle.
Evoquant le rôle et la mission de l'Europe dans le monde, M. Peter Medgyessy a considéré que le besoin d'une Europe forte dans l'équilibre mondial était une évidence, dans l'intérêt des Européens, mais aussi dans l'intérêt du monde. Or, l'Europe est affaiblie face aux autres pôles. Alors que les Etats-Unis font montre de flexibilité, de mobilité et de dynamisme, notamment dans les secteurs de la recherche, de la technologie et de la formation et que l'Asie allie une forte croissance à de faibles coûts salariaux, l'Europe souffre d'une insuffisance de compétitivité, de performance et de dynamisme pour conserver sa position dans le monde. M. Peter Medgyessy a noté que les Européens étaient fiers de leurs valeurs, mais que les valeurs européennes étaient à la fois une force d'intégration et une source de repli sur soi. L'art de la politique est d'équilibrer ces deux tendances.
Evoquant ensuite l'élargissement de l'Union européenne, M. Peter Medgyessy a souligné que si l'Europe s'était montrée volontariste dans le processus d'élargissement, elle avait fait montre d'une certaine timidité dans l'approfondissement et qu'elle avait besoin d'un nouvel élan. Il a considéré que l'élargissement était une réussite et que si l'Europe avait perdu le charme d'être « un club restreint et élégant », elle s'était dotée en contrepartie d'une plus grande volonté de réussite, d'un dynamisme économique accru et d'une capacité renforcée à accepter des changements profonds. La croissance économique des nouveaux entrants, plus de deux fois et demie supérieure à celle des Etats membres de l'Union européenne à quinze, a également ouvert des potentialités aux Etats membres. Les nouveaux entrants ont présenté des opportunités d'investissement sûres et rentables dans un contexte d'augmentation de la concurrence.
M. Peter Medgyessy a observé que la libre circulation des travailleurs, bien qu'elle ne soit pas encore effective, était très discutée. Il a souligné que si elle représentait un risque pour les pays récepteurs de main d'oeuvre, elle était également un danger pour les nouveaux pays membres qui assistent au départ de leurs salariés les mieux formés, alors que l'éducation est un investissement important. Relevant que les délocalisations nourrissaient également les craintes des adversaires de l'élargissement, il a rappelé que ce phénomène, observé dès le début des années 1990, n'était pas directement lié à l'élargissement et qu'il devait susciter non pas la peur, mais le courage de favoriser une politique d'investissement, de recherche et d'augmentation de la valeur ajoutée. Il a indiqué que la Hongrie rencontrait également cette difficulté, dans la mesure où l'augmentation des salaires a conduit les investisseurs à rechercher des opportunités en Chine, en Inde ou en Roumanie. La réaction hongroise a été de stimuler la valeur ajoutée et d'augmenter les investissements dans la recherche et le développement. Le phénomène des délocalisations est inévitable, il appelle une réaction intelligente. Evoquant la crainte de flux massifs d'immigrants, il a souligné que leur nombre avait été relativement limité et que l'Europe s'enrichissait par la diversité des cultures. Il a considéré que toutes les potentialités de l'élargissement n'avaient pas encore été exploitées.
Abordant la question de l'avenir de l'Europe, M. Peter Medgyessy a indiqué qu'il privilégiait une double approche, pragmatique, à court terme, et visionnaire à long terme, l'urgence commandant de séparer ces deux approches. Il a estimé que l'Europe souffrait d'un manque de vision politique et qu'à cet égard le traité constitutionnel n'avait pas été porteur d'une véritable vision à long terme. Les élites politiques étaient tenues d'analyser les causes profondes du rejet du traité et d'en tirer les leçons. Il a souhaité que, dans un premier temps, l'Europe puisse se doter d'un cadre de fonctionnement pour 27 pays. Evoquant le projet de déclaration de Berlin, à l'occasion du cinquantenaire des traités de Rome, il a souhaité qu'elle ne se limite pas à une déclaration solennelle reprenant les succès de l'Union européenne, mais qu'elle évoque également les questions à résoudre et ne donne pas le sentiment que des changements profonds ne sont pas nécessaires. Il a considéré que l'opinion publique n'était pas hostile à l'Europe et qu'elle percevait tout son intérêt face aux défis de la mondialisation.
Affirmant sa préférence pour une Union européenne de type confédéral et, éventuellement, à terme plus lointain, fédéral, il a indiqué qu'il était favorable à la responsabilité du président de la commission devant le Parlement européen, à sa nomination par le Parlement européen, et au droit pour le président de choisir les membres de la commission. Il a par ailleurs souhaité la limitation du nombre de commissaires, qui doit conduire à accepter que des pays n'aient pas de représentant à la Commission. Une commission restreinte permettrait également de réduire la bureaucratie européenne, qui manque de flexibilité et dont la taille ralentit le processus de décision. Il a insisté sur la nécessité d'un processus de décision à la majorité. Il a estimé qu'il fallait conserver les politiques tout en améliorant la capacité de décision pour la réforme des mécanismes institutionnels qui étaient d'égale importance et difficilement dissociables. Il a plaidé pour la mise en oeuvre d'une politique étrangère commune, d'une force militaire sous direction européenne qui soit plus forte et plus importante et pour l'augmentation de la compétitivité économique.
Evoquant l'importance des coopérations renforcées, il a insisté sur le fait qu'elles devaient être fondées sur des critères clairs, à l'exemple de l'euro, et rester ouvertes et flexibles. Ces coopérations permettent d'accélérer l'intégration des pays membres qui y participent et sont un stimulant pour les Etats restés en dehors.
S'agissant des Etats d'Europe de l'Est, M. Peter Medgyessy a souligné qu'ils avaient atteint une nouvelle étape de leur développement et que leurs objectifs d'instauration d'une démocratie parlementaire, d'une économie de marché et de l'intégration euro-atlantique étaient désormais réalisés. Les sacrifices consentis en contrepartie ont été considérables. Les différences entre anciens et nouveaux Etats membres étaient plus importantes que lors des élargissements précédents, mais la générosité de l'Union européenne, dans une conjoncture très défavorable, a été moindre et elle a fait preuve d'une solidarité « modérée ». Une certaine lassitude s'est manifestée après l'adhésion chez les nouveaux Etats membres et s'est traduite par une montée du nationalisme, du populisme et de l'euro-scepticisme. La déception est venue d'un trop grand décalage entre les attentes des populations et les réalités, alors que les élites politiques n'ont pas été suffisamment claires sur l'après-élargissement. La déception a également été causée par le comportement des anciens Etats membres et le rejet du traité constitutionnel, considéré comme choquant. Les Etats d'Europe centrale sont placés devant de grands défis, le plus difficile étant celui de la modernisation, qui nourrit une tentation de repli nationaliste. La Hongrie a clairement fait le choix de la modernisation et a réalisé des réformes redistributrices importantes dans les domaines de la santé, des retraites, de l'administration publique ou encore de l'éducation. Ces changements touchent l'ensemble des groupes sociaux dans leurs conditions de vie et rencontrent une forte opposition. Trois éléments ont interféré en Hongrie : les réformes, les restrictions budgétaires et un discours inadapté de la part de l'actuel Premier ministre. Exprimant ses réserves sur la forme, M. Peter Medgyessy a marqué son accord avec le contenu de ce discours, dont la sincérité a choqué, mais qui marquait la nécessité d'introduire des réformes. Tout en comprenant que l'opposition ait exploité cette occasion, il a regretté qu'elle n'ait pas privilégié le débat au sein du Parlement au lieu d'inviter à manifester dans la rue et de donner l'occasion à des groupes extrémistes de scander des slogans nationalistes. Il a indiqué que la situation actuelle était calme et que des réformes substantielles avaient été adoptées par le Parlement pour réduire les dépenses budgétaires et augmenter les impôts. Tant la commission européenne que les analystes des banques internationales ont noté des premiers résultats encourageants. La Hongrie a beaucoup appris de cet épisode qui n'était pas une crise du système, mais témoignait d'un besoin d'adaptation de toute l'Europe. Les investissements étrangers n'ont pas fait défaut dans les années récentes en dépit des difficultés et la Hongrie accueille chaque année 4 à 5 milliards d'euros d'investissements directs étrangers.
M. Peter Medgyessy a souligné en conclusion la fierté des Hongrois de vivre dans une démocratie, tout en constatant que la mise en place d'institutions démocratiques capables de résoudre efficacement des conflits demanderait du temps.
Un débat s'est instauré au terme de cet exposé.
M. Hubert Haenel, président de la Délégation à l'Union européenne, a salué le magistral état des lieux de l'Union européenne, établi par M. Peter Medgyessy. Il s'est associé à la volonté exprimée que la France retrouve un rôle moteur et d'animateur au sein de la nouvelle Europe, c'est-à-dire, celle à 27 membres, et non celle évoquée par l'ancien secrétaire à la défense des Etats-Unis. Il a constaté que l'élargissement de l'Europe constituait en réalité une réunification, analogue à celle qui était intervenue en Allemagne en 1991.
Il a indiqué qu'il partageait les analyses de M. Medgyessy sur la double approche pragmatique et visionnaire, mais a constaté que nous n'avions ni l'une, ni l'autre aujourd'hui. Il a distingué l'Europe de l'Union européenne en indiquant que le non français était adressé à l'Union européenne et, non à l'Europe, qui fait l'objet d'un très large consensus.
Puis il a interrogé M. Peter Medgyessy sur la place de la Turquie dans l'Union européenne, les perspectives d'intégration des pays balkaniques, les modalités souhaitables à retenir pour établir les coopérations renforcées indispensables au sein d'une union à 27 membres et sur la place que devraient occuper les Parlements nationaux dans le système institutionnel européen.
M. Jean Bizet a rappelé que la Hongrie avait, un temps, espéré rejoindre la zone euro dès 2008, et que les difficultés budgétaires exposées par M. Medgyessy avaient différé ce projet à l'année 2013. Il a souhaité recueillir l'avis de l'ancien Premier ministre sur le rôle, les objectifs et les modes de décision de la Banque centrale européenne (BCE).
M. Pierre Bernard-Reymond s'est interrogé sur la pertinence d'un recours aux coopérations renforcées pour approfondir la coopération européenne, exprimant la crainte que cette formule ne soit peu opérationnelle, et d'une mise en forme laborieuse. Il a rappelé que les membres de l'Union européenne se partageaient entre deux visions globales, les uns aspirant à une « Europe-puissance », les autres à une simple « Europe-espace ». Il a souhaité la réunion du cercle de ceux qui sont partisans de l'Europe-puissance. Il a fait état de ses réserves face à l'accroissement des ressources fiscales pour résorber le déficit budgétaire, rappelant que des pays tels que le Canada étaient parvenus à cette résorption par une politique inverse de réduction de la dépense publique.
M. Robert Bret a approuvé les remarques de M. Medgyessy sur le poids de la concurrence asiatique en matière de délocalisation des activités industrielles, et a déploré que la concurrence en matière de salaires, qui s'est instaurée au sein de l'Union européenne, ait conduit à la fuite de la main d'oeuvre qualifiée hors de Hongrie. A partir de ce double constat, il a souhaité connaître les espoirs mis par M. Medgyessy dans la construction européenne, notamment sous l'angle économique et social.
M. Josselin de Rohan s'est interrogé sur la position qu'adopterait le Royaume-Uni face à la solution institutionnelle recommandée par M. Medgyessy et consistant en la rédaction d'un nouveau traité. Il a souligné qu'il s'agissait d'une redistribution des rôles entre la Commission et le Conseil. L'équilibre des pouvoirs ainsi esquissé ne conduirait-il pas à des conflits de légitimité entre le Conseil, représentant des Etats, protecteurs naturels du principe de subsidiarité et donc favorables à des décisions prises à la majorité qualifiée, et une Commission élue par le Parlement européen ?
En réponse, M. Peter Medgyessy a apporté les éléments suivants :
- une exigence de sincérité s'impose aux décideurs européens envers la Turquie, dont la fierté nationale est froissée par une succession de déclarations contradictoires et évasives. L'expression directe de la réalité de la situation prévalant au sein de l'Union européenne conduit à différer l'intégration de la Turquie. Les faux fuyants actuels ne font qu'envenimer les rapports entre l'Union européenne et ce pays ;
- la question des Balkans est tout autre. Du point de vue technique, la Croatie à d'ores et déjà rempli tous les critères nécessaires à l'adhésion, à égalité avec les deux nouveaux entrants que sont la Roumanie et la Bulgarie. Son éventuelle intégration dépend donc d'un choix politique. Les autres pays balkaniques en sont loin, et leur intégration ne peut être envisagée dans un proche avenir. Il est toutefois important de leur donner une perspective ;
- les coopérations renforcées constituent l'outil le mieux adapté pour avancer au sein d'une union à vingt-sept membres, dont les capacités d'intégration respectives sont inégales. Ce mode d'action présente l'avantage d'être flexible et de s'ajuster aux attentes des pays volontaires ; il convient naturellement de les cibler sur des secteurs prioritaires, et non de les multiplier. En revanche, la constitution de « cercles » constitués suivant le degré d'avancement des pays constitue la pire des solutions. Même une Europe à plusieurs vitesses lui serait préférable ;
- dans une perspective d'établissement à long terme d'une confédération européenne, il est indispensable de préserver les compétences des Parlements nationaux. Seule, une éventuelle fédération européenne, qui n'est envisageable qu'à très long terme, pourrait justifier la réduction de leurs pouvoirs ;
- l'indépendance de la Banque centrale européenne est indispensable pour constituer un contrepoids technique face aux autorités politiques ;
- la situation passée de la Hongrie, marquée par un déficit budgétaire de près de 10 % du PIB, exigeait une croissance des ressources fiscales qui, seule, permettait l'obtention de résultats immédiats pour redresser les comptes. La baisse des dépenses publiques, qui l'a accompagnée, ne peut en effet produire ses effets qu'à moyen terme ;
- l'élargissement de l'Union européenne découle d'une décision politique, mais les Etats membres doivent se confronter à la concurrence économique mondiale, en renforçant leurs avantages comparatifs en matière d'éducation, de recherche et de qualité de services. Toute tentative protectionniste serait vouée à l'échec.
- la démarche pertinente à adopter en matière institutionnelle doit être pragmatique et aboutir à un texte qui permette un bon fonctionnement des institutions européennes. Ce résultat obtenu, il sera alors possible d'approfondir la construction européenne ;
- la question se pose de savoir comment gagner le Royaume-Uni au renforcement de l'Union européenne ; les conséquences des changements politiques, qui se dessinent outre-Manche, sont préoccupantes ;
- dans la perspective à long terme d'une construction confédérale, il conviendrait de renforcer le rôle de la commission et de ne confier au Conseil que des décisions réellement déterminantes.