Mardi 3 juillet 2007
- Présidence de M. Robert del Picchia, vice-président, et de M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l'Union européenne -Union européenne - Présidence portugaise de l'Union - Audition de S. Exc. M. Antonio Monteiro, ambassadeur du Portugal en France
Conjointement avec la délégation pour l'Union européenne, la commission a procédé à l'audition de S. Exc. M. Antonio Monteiro, ambassadeur du Portugal en France.
Accueillant M. Antonio Monteiro, M. Hubert Haenel, président de la Délégation pour l'Union européenne, a souligné l'intérêt d'entendre le représentant du pays qui exerce la présidence de l'Union européenne pour les six prochains mois et qui aura notamment pour tâche de conduire les travaux de la Conférence intergouvernementale sur le nouveau traité.
M. Antonio Monteiro, ambassadeur du Portugal en France, a présenté les quatre principales priorités de la présidence portugaise de l'Union européenne, en précisant que ces priorités, guidées par l'idée directrice d'« une union plus forte pour un monde meilleur », s'inscrivaient dans le cadre du programme commun aux présidences précédente et suivante, allemande et slovène.
La première et principale priorité de la présidence portugaise est de conclure les travaux de la Conférence intergouvernementale sur le nouveau traité.
L'accord obtenu lors du Conseil européen des 21 et 22 juin dernier a été un succès, car l'essentiel de la substance du traité constitutionnel a été préservé, comme le caractère juridiquement contraignant de la charte des droits fondamentaux, auquel le Portugal est très attaché. M. Antonio Monteiro s'est également félicité du renforcement du rôle des Parlements nationaux pour le contrôle de la subsidiarité.
Le Conseil européen a aussi donné un mandat clair et précis à la Conférence intergouvernementale. La CIG se réunira le 23 juillet sur un premier projet de traité élaboré par la présidence portugaise. Le Conseil européen a fixé l'objectif de conclure rapidement ses travaux et, en tout état de cause, avant la fin de l'année, de manière à ce que le nouveau traité puisse entrer en vigueur avant les élections au Parlement européen de juin 2009.
Toutefois, un mandat n'est pas un traité et le travail de rédaction, au-delà du caractère technique ou juridique, revêt également une dimension politique, car le diable se cache souvent dans les détails...L'esprit de la négociation sera de ne pas s'éloigner de l'accord obtenu lors du Conseil européen.
La deuxième priorité de la présidence portugaise, a poursuivi M. Antonio Monteiro, concerne la relance de la stratégie de Lisbonne. Elaborée en 2000, sous présidence portugaise, cette stratégie a eu des résultats décevants. Il s'agit donc, aujourd'hui, de la redynamiser autour de ses trois volets économique, social et environnemental.
En matière économique, il s'agit de l'achèvement du marché intérieur, du renforcement de l'économie de la connaissance, mais aussi de thèmes plus spécifiques comme le tourisme, les régions ultrapériphériques ou l'approche intégrée pour les océans, les mers et les zones côtières, qui présentent un grand intérêt pour le Portugal. Une conférence ministérielle qui jettera les bases d'une politique maritime européenne sera organisée.
En matière sociale, dix ans après le lancement de la stratégie européenne de l'emploi, le Portugal souhaite promouvoir le débat sur les meilleurs modes de coordination de la politique de l'emploi, afin de favoriser la création d'emplois dans le contexte de la mondialisation. Cette ligne d'action devrait s'articuler à la qualification des ressources humaines, la conciliation entre travail et vie familiale, la lutte contre la pauvreté et le débat difficile sur le thème de la « flexisécurité ».
En matière environnementale, la présidence souhaite ouvrir un débat sur la question de l'énergie, et notamment l'efficacité énergétique et le rôle des biocarburants, important pour les relations entre l'Union européenne et le Brésil.
La troisième priorité de la présidence, a indiqué M. Antonio Monteiro, concerne l'espace de liberté, de sécurité et de justice. Dans ce domaine, le Portugal souhaite surtout mettre l'accent sur la question des flux migratoires qui revêt une importance particulière, non seulement pour l'Europe, mais aussi pour ses voisins à l'Est ou au Sud. Le renforcement de la frontière méridionale en Méditerranée sera une priorité de la présidence, de même que la question de la levée des contrôles aux frontières avec les nouveaux Etats membres dans le cadre de la libre circulation des personnes.
Enfin, la quatrième priorité de la présidence portugaise, a précisé M. Antonio Monteiro, concerne le renforcement du rôle de l'Europe dans le monde. Sur ce point, l'agenda de la présidence portugaise sera extrêmement chargé. Outre des questions aussi délicates que celles concernant l'avenir du Kosovo, le dossier nucléaire iranien, la crise humanitaire au Darfour ou la question palestinienne, la présidence aura pour tâche d'organiser plusieurs sommets avec l'Inde, la Chine, la Russie et l'Ukraine. Les relations avec les Etats-Unis feront également l'objet d'un suivi particulier, compte tenu de l'importance particulière de la relation transatlantique.
Le Portugal espère aussi, au cours de sa présidence, relancer les relations entre l'Union européenne et le Brésil, l'Afrique et les pays du sud de la Méditerranée, sujets sur lesquels il peut apporter une plus-value significative.
Un sommet Union européenne/Brésil se tiendra le 4 juillet, qui revêt une importance stratégique fondamentale, car le Brésil est la seule puissance émergente des pays du BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) avec laquelle l'Union européenne n'avait pas noué, jusqu'à présent, de relation fondée sur un partenariat stratégique. Si le Portugal est attaché aux relations avec le Brésil, ce n'est pas seulement en raison de la langue, mais parce qu'il y a un vrai intérêt à ce partenariat, par exemple en matière de biocarburants, et parce qu'elles permettront de renforcer les liens avec le Mercosur et l'ensemble de l'Amérique latine.
Le Portugal souhaite aussi organiser au mois de décembre prochain un sommet Union européenne-Afrique. Là encore, il s'agit de corriger une lacune, puisqu'aucun sommet de ce type n'a été organisé depuis celui du Caire en 2000, également sous la précédente présidence portugaise, en raison des difficultés découlant de la situation au Zimbabwe. Or, l'Union européenne a besoin d'avoir une véritable politique africaine, de définir une vision commune et de renforcer ses liens avec ce continent, où l'influence de la Chine, des Etats-Unis et d'autres puissances n'a cessé de se renforcer.
Après avoir remercié M. Antonio Monteiro pour sa présentation, M. Robert del Picchia s'est félicité de la volonté de la présidence portugaise de renforcer le rôle de l'Europe dans le monde et, en particulier, de l'accent mis sur les relations avec l'Afrique et la Méditerranée. Concernant l'Amérique latine, il a rappelé que la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat avait organisé récemment une mission d'information qui s'était rendue en Argentine, au Brésil, au Venezuela et en Bolivie et que le renforcement des relations avec l'Amérique latine pourrait se heurter à la politique anti-occidentale du Président du Venezuela, M. Hugo Chavez. Il a également interrogé M. Antonio Monteiro sur la position du gouvernement portugais à l'égard du projet d'Union de la Méditerranée lancé par le Président de la République.
M. Jacques Blanc s'est également interrogé sur l'articulation entre le projet d'Union méditerranéenne et le partenariat euroméditerranéen dans le cadre du processus de Barcelone.
M. Jean François-Poncet est revenu sur l'accord obtenu sur le nouveau traité lors du dernier Conseil européen, en estimant que le point le plus préoccupant n'était pas le report de la double majorité souhaité par la Pologne, mais les dérogations obtenues par le Royaume-Uni concernant la charte des droits fondamentaux et la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Ces concessions constituent un véritable recul pour un pays qui avait signé le texte du traité issu de la convention.
En effet, le Royaume-Uni, qui aujourd'hui ne participe ni à l'euro, ni à Schengen, semble de plus en plus avoir la qualité de membre associé plutôt que celle de membre plein et entier de l'Union européenne. Ces reculs permettent de s'interroger sur la légitimité du Royaume-Uni de s'opposer aux progrès souhaités par les autres Etats membres.
En réponse, M. Antonio Monteiro a apporté les éléments suivants :
- en ce qui concerne le nouveau traité, le rôle de la présidence sera très important, dans la mesure où il lui revient de présenter, en liaison avec le Secrétariat général du Conseil, un projet de traité à la Conférence intergouvernementale. Celle-ci devrait s'ouvrir le 23 juillet prochain et le Premier ministre portugais a fixé pour objectif de conclure ses travaux pour la réunion informelle des chefs d'Etat et de gouvernement des 18 et 19 octobre. Il faut, en effet, conserver la dynamique et résister à la tentation de certains de vouloir renégocier ce qui a fait l'objet d'un accord lors du dernier Conseil européen.
Une conférence intergouvernementale n'est pas seulement un exercice technique ou juridique, mais elle présente une dimension politique, ce qui implique une volonté politique ;
- l'attitude de l'actuel Président du Venezuela est surtout un problème qui affecte l'ensemble de l'Amérique latine. La récente tension avec le Brésil atteste la nécessité du renforcement des relations entre l'Union européenne et ce pays. Ce rapprochement n'a pas seulement pour vocation de régler des dossiers bilatéraux difficiles, comme les contentieux agricoles par exemple, mais il a aussi pour but de nouer des liens avec l'ensemble du continent sud-américain, dont le Brésil constitue la plus importante porte d'entrée ;
- si l'influence de la Chine s'est renforcée en Afrique, l'Union européenne dispose toujours d'atouts, comme la proximité culturelle et linguistique. Par ailleurs, sur de nombreux sujets, comme l'immigration, le réchauffement climatique, l'énergie, la sécurité et la défense, la santé ou la bonne gouvernance et les droits de l'homme, il existe une vision et des intérêts communs. Il est donc indispensable de renforcer ces relations pour nouer un véritable partenariat avec l'Afrique ;
- le Portugal a été l'un des premiers pays à avoir accueilli favorablement l'idée d'une Union méditerranéenne, sous réserve de certaines précisions. Tout d'abord, il paraît nécessaire d'en définir les contours. Ensuite, l'idée d'éviter les sujets politiques et de se concentrer sur les questions concrètes, qui paraît judicieuse, est difficile à traduire en pratique. En effet, les problèmes politiques, comme le conflit au Proche-Orient, ou le contentieux entre l'Algérie et le Maroc à propos du Sahara occidental, pèsent d'un grand poids.
Enfin, si le processus de Barcelone n'a pas donné jusqu'à présent des résultats très probants, il ne doit pas pour autant être abandonné.
Il est donc nécessaire d'avoir une réflexion commune entre les pays européens et entre ceux-ci et les pays du sud de la Méditerranée sur ce projet ;
- concernant le Royaume-Uni, dont le Portugal est le plus ancien allié sur le continent, on ne peut que constater un certain recul au vu des dérogations obtenues par ce pays. Si le Royaume-Uni semble ainsi cultiver son particularisme, puisqu'il ne participe ni à Schengen ni à l'euro, cela s'explique par le pragmatisme britannique. Il y a en effet des domaines, comme la défense, où le Royaume-Uni joue un rôle moteur en Europe. En tout état de cause, le recours aux coopérations renforcées, qui permettent aux Etats qui le souhaitent d'aller plus vite et plus loin dans le domaine de l'intégration, paraît inévitable si l'on veut continuer à progresser dans une Europe élargie.
Mercredi 4 juillet 2007
- Présidence de M. Serge Vinçon, président -Armement - Perspectives en matière d'équipements militaires - Examen du rapport d'information
La commission a entendu une communication de M. Serge Vinçon, président, sur les perspectives en matière d'équipements militaires.
M. Serge Vinçon, président, a tout d'abord indiqué qu'à l'approche de la préparation d'une nouvelle loi de programmation militaire, qui serait examinée par le Parlement en 2008, il lui avait paru utile d'étudier dès à présent les principales questions soulevées par les perspectives à venir en matière d'équipements militaires, d'autant plus que le Président de la République avait souhaité engager une réflexion stratégique, préalable à la rédaction d'un nouveau Livre blanc sur la défense.
Il a précisé qu'il dresserait une rapide analyse de l'état d'avancement de notre politique d'équipement militaire, avant d'identifier quelques-unes des questions qui pourront se poser lors de cette « revue stratégique » et, enfin, de suggérer quelques pistes de réflexion.
S'agissant de l'avancement de la réalisation des équipements, les données pour 2006 confirment que la loi de programmation bénéficie d'une exécution financière extrêmement satisfaisante. Sur quatre années, les crédits votés ont été conformes à la programmation et les annulations très limitées, l'enveloppe consommée étant au total très proche de celle prévue par la loi de programmation. L'écart constaté correspond pratiquement à des crédits disponibles, mais reportés, qui s'élevaient, début 2007, à 1,5 milliard d'euros, soit un glissement de l'ordre d'un mois sur la mise à disposition des ressources prévues.
Grâce à cette bonne mise en oeuvre financière, nos capacités militaires ont notablement progressé. Toutefois, le niveau de réalisation physique de la loi est moins élevé que son niveau de réalisation financière. Certains retards de livraison sont dus à des difficultés industrielles, alors que des décalages ont également été décidés pour des raisons financières. Si des dépassements de coûts ont pu être constatés sur certains programmes, le maintien en condition opérationnelle a bénéficié, semble-t-il, de dotations supérieures aux prévisions initiales. Cet effort a permis de restaurer une meilleure disponibilité. Enfin, le domaine des études-amont a lui aussi bénéficié d'une réévaluation.
En dépit du redressement opéré depuis 2002, les retards hérités du passé n'ont pas été rattrapés et continuent à peser sur les besoins financiers. L'équivalent d'une annuité de programmation a été perdu entre 1997 et 2002 et, pour revenir au niveau initial, il a fallu deux importantes « marches » en 2003 et 2004, si bien qu'au total, le déficit en ressources s'est prolongé sur une période de sept ans. Cela n'est pas sans conséquence sur la situation actuelle, qui voit la convergence de l'entrée en fabrication d'un grand nombre de matériels majeurs.
L'actuel comme le précédent ministre de la défense ont évoqué le décalage entre le niveau de ressources actuel et le montant théorique nécessaire à la réalisation complète du modèle d'armée dans les délais prévus. Les projections effectuées ne tiennent toutefois pas compte des arbitrages qui interviendront nécessairement entre certains des programmes d'équipement, du fait de redondances entre les besoins militaires couverts, ni des négociations de prix conduites par la DGA, ni des enseignements tirés des opérations qui conduisent régulièrement à revoir certains besoins.
Les besoins financiers des années à venir sont très largement déterminés par les commandes déjà passées. Selon les documents budgétaires, sur les programmes d'équipement, les paiements inéluctables postérieurs à 2008, qui s'étaleront sur plusieurs années, s'élèvent à 35 milliards d'euros, soit environ 3 ans et demi de paiements au niveau actuel.
A ces besoins s'ajoutent ceux qui pourraient résulter de commandes futures, intervenant à compter de cette année, qu'il s'agisse de la poursuite de programmes déjà lancés, comme le Rafale, ou du lancement de programmes nouveaux comme le successeur d'Helios II, les ravitailleurs multi-rôles (MRTT), le missile d'interception Meteor ou le second porte-avions.
Au regard du modèle d'armée qui avait été défini en 1996, le coût ou les délais de réalisation de certains programmes ont certainement pu être sous-évalués, d'autant plus que sont intervenues depuis lors des évolutions sur la nature du besoin ou les technologies. Toutefois, ce modèle avait été élaboré à une époque où le budget de la défense représentait 2 % du PIB en normes OTAN (hors pensions, hors activité non militaire de la gendarmerie), alors qu'il n'en représente plus que 1,7 % aujourd'hui. Si le niveau des ressources était resté constant par rapport au PIB, le budget de défense serait supérieur d'au moins 6 milliards d'euros par an à son niveau actuel et la question de l'avenir de nos équipements se poserait différemment.
Face à cette équation financière difficile, la poursuite de notre politique d'équipement devra être déterminée en tenant compte de deux paramètres :
- d'une part, le niveau des ambitions que souhaite se fixer notre pays au regard de l'environnement de sécurité actuel et, bien entendu, des moyens financiers qu'il est prêt à consacrer à son effort de défense ;
- d'autre part, l'évolution des besoins militaires, telle qu'elle ressort des engagements récents et des évolutions du contexte géo-stratégique.
M. Serge Vinçon, président, a ainsi souligné tout l'intérêt du lancement d'une réflexion stratégique, qui doit permettre de mieux évaluer les enjeux pour les années à venir et de définir une nouvelle référence pour notre politique d'équipement à moyen terme.
Dans ce cadre, un certain nombre de questions apparaissent pouvoir d'ores et déjà être soulevées.
S'agissant des méthodes de planification et de programmation, l'utilité d'un nouveau Livre blanc est avérée pour donner à notre politique de défense des fondements actualisés, et donc une légitimité plus forte. Il conviendra de s'interroger sur la notion de modèle, qui a présenté une utilité certaine pour fixer une ligne stratégique et capacitaire, mais qui ne laisse peut-être pas assez la souplesse et les marges de manoeuvre nécessaires face à l'évolution du contexte, notamment des technologies et des menaces. Sans doute pourrait-on se référer à des objectifs capacitaires, sur les plans opérationnel et technologique, plus qu'à une liste détaillée et quantifiée d'équipements. De même, les lois de programmation devraient mettre davantage en évidence les contrats opérationnels fixés aux forces armées et permettre une révision à mi-parcours tous les trois ans, afin d'éviter le manque de visibilité habituel en fin de période.
Le Livre blanc devra également définir le niveau d'ambition de notre pays et sa stratégie de défense. A ce titre, il y aurait lieu de répondre à quatre types de questions.
Tout d'abord, comment évoluent les besoins militaires ? Il faudra tenir compte du caractère désormais souvent plus lointain des théâtres d'engagement et s'interroger sur l'équilibre entre les différentes missions des armées ainsi qu'entre les capacités de combat de haute intensité et celles requises pour les missions de stabilisation qui, au demeurant, deviennent plus exigeantes du fait des stratégies asymétriques.
Une deuxième série de questions porte sur les parts respectives d'autonomie et de coopération dans notre stratégie de défense. Certains domaines, comme la dissuasion, exigent le maintien d'un certain niveau d'autonomie nationale alors que d'autres peuvent se prêter à un partage capacitaire, dont la réalisation reste toutefois subordonnée à l'intérêt de nos partenaires européens et au niveau de leurs budgets de défense.
Le Livre blanc devra clarifier le niveau de nos ambitions opérationnelles. Le dimensionnement de notre outil militaire, en hommes et en équipements, est conditionné par des contrats opérationnels précis, qui n'ont de justification qu'au regard des ambitions politiques qui les sous-tendent. Il conviendra donc de déterminer si ce niveau d'ambitions reste pertinent, d'évaluer les conséquences d'éventuelles révisions et d'examiner dans quelle mesure les évolutions intervenues ces dernières années à l'OTAN et dans la PESD peuvent conduire à l'ajuster.
Enfin, la réflexion stratégique ne pourra pas se permettre d'ignorer les enjeux industriels et technologiques. L'existence d'une industrie de défense compétitive et au meilleur niveau technologique, désormais largement européanisée, est un élément de notre stratégie de défense. Il s'agira notamment d'identifier les domaines cruciaux pour le maintien des compétences et d'examiner dans quelle mesure la politique d'équipement permet la pérennité de l'outil industriel, en visant bien entendu une dimension européenne.
Sans anticiper sur les conclusions de ce futur Livre blanc, M. Serge Vinçon, président, a avancé des éléments d'orientation et des axes de réflexion.
Tout d'abord, dans un monde qui n'est pas devenu plus sûr et où les capacités militaires de la France sont sollicitées sur de multiples théâtres, l'effort de défense doit être renforcé. Mesuré au PIB, il ne s'établit aujourd'hui qu'à 1,7 %, en retrait sur l'objectif de 2 %, dont la pertinence est largement admise tant pour la France que pour l'Europe dans son ensemble. Cet objectif est situé environ 6 milliards d'euros au-dessus de notre budget d'aujourd'hui. On ne peut se projeter à moyen terme en s'en tenant au niveau actuel, même s'il faut bien entendu être réaliste sur le rythme et le niveau d'une remontée.
Deuxièmement, pour l'avenir, certaines lignes de force apparaissent dans les capacités prioritaires.
L'analyse approfondie de notre politique de dissuasion à laquelle s'est livrée la commission en 2006 a montré la pertinence de notre posture actuelle, fondée sur la stricte suffisance et sur des moyens plus flexibles, et donc plus crédibles face aux nouvelles menaces. L'intérêt de la composante aérienne a été souligné. Pour cette composante, l'essentiel de l'investissement a été engagé. Sa suppression susciterait peu d'économies immédiates, mais priverait la France d'un volet appréciable de sa capacité de dissuasion, notamment vis-à-vis des puissances régionales. A l'horizon de la prochaine loi de programmation, le principe même de ces deux composantes ne devra pas être remis en cause.
Le domaine de la maîtrise de l'information méritera une attention soutenue. En matière spatiale, il faudra consolider la coopération européenne autour des satellites d'observation et chercher à développer des capacités sur lesquelles l'Europe est aujourd'hui absente : l'écoute électronique, l'alerte sur les tirs de missiles balistiques, la surveillance de l'espace. La France devra jouer un rôle d'entraînement. Nos capacités en drones devront être renforcées d'ici à l'aboutissement, désormais plus lointain, de la coopération engagée avec le projet Euromale désormais réorienté.
La restauration de notre capacité de projection et de mobilité, avec notamment l'avion A400M et l'hélicoptère NH90, les armements de précision, le VBCI, qui constituera le blindé principal des forces terrestres, ainsi que la protection des forces en opérations devront aussi figurer parmi les priorités de la future loi.
S'agissant du second porte-avions, de nombreux éléments militent pour sa réalisation, notamment celui de la permanence qui donnerait tout leur sens aux investissements déjà réalisés pour le Charles-de-Gaulle, son groupe aérien et les bâtiments d'accompagnement. Les avantages de la permanence sont à mettre en rapport avec les solutions alternatives, qui consistent à négocier avec des pays tiers des autorisations de stationnement et, une fois celles-ci obtenues, à y déployer des avions de combat, comme actuellement au Tadjikistan pour les opérations en Afghanistan. La coopération lancée en 2006 avec les Britanniques a progressé et ceux-ci estiment que le coût de leurs deux bâtiments s'élèverait à 5,8 milliards d'euros sans coopération avec la France, mais pourrait revenir à 5,3 milliards d'euros en cas de coopération, soit une économie d'environ 200 à 250 millions d'euros par bâtiment. Le nouveau gouvernement britannique n'a pas encore arrêté sa position sur le lancement du programme et a entrepris une « revue » globale du financement du ministère de la défense, dont les conclusions sont attendues pour l'automne.
Les décisions que prendront les autorités britanniques seront bien entendu déterminantes pour la France. Pour le budget d'équipement français, le lancement de la construction d'un second porte-avions représenterait une annuité de l'ordre de 500 millions d'euros sur une bonne partie de la future loi de programmation.
La question du second porte-avions offre une bonne illustration de la problématique plus générale du niveau auquel la France souhaite fixer son effort de défense. Dans le cadre du simple maintien des budgets actuels, le lancement du second porte-avions conduirait à affecter la réalisation d'autres programmes essentiels. Le lancement du projet mérite donc d'être lié à la mise en place de ressources supplémentaires.
Enfin, l'amélioration de l'efficacité de l'outil de défense constitue une exigence indissociable d'un effort d'équipement soutenu. Le ministère de la défense et les armées se sont profondément transformés depuis 10 ans avec la diminution du format, le renforcement des structures interarmées et l'externalisation. Il sera cependant indispensable d'engager une nouvelle étape de restructurations. Les implantations de la défense sur le territoire sont aujourd'hui trop dispersées. Sans doute peut-on envisager, pour l'armée de terre, des unités de taille supérieure, mais en nombre moindre, pour diminuer le poids des fonctions d'organisation. Sur une même région, le soutien et l'administration des unités des différentes armées pourraient être regroupés et unifiés. Les structures de commandement territorial, par exemple les régions militaires de l'armée de terre, méritent d'être allégées et revues avec, pourquoi pas, une structure territoriale commune aux trois armées. Ces restructurations ne devront pas se limiter aux seules armées, mais toucher l'ensemble des structures du ministère de la défense.
Les réformes engagées dans le domaine de la maintenance devront être poursuivies, par exemple pour la gestion des parcs de matériels dans l'armée de terre. La maintenance est également l'un des domaines où l'externalisation peut être amplifiée, avec un recours accru aux prestations industrielles définies dans le cadre de contrats globaux et d'engagements de performance. Pour les matériels réalisés en coopération, elle doit être organisée au plan européen, au même titre que la formation.
Il faudra également s'interroger sur le coût de notre dispositif hors métropole, dans les départements et territoires d'outre-mer ou à l'étranger.
Des marges de progression dans l'organisation de notre outil de défense méritent d'être explorées, même si elles ne peuvent être mises en oeuvre que progressivement avec, parfois, des coûts immédiats importants avant que les économies ne se traduisent dans les faits.
A la suite de cet exposé, M. Didier Boulaud a présenté une communication sur la politique de défense au nom du groupe socialiste.
Il a tout d'abord relevé qu'en la matière, la référence habituelle sous la précédente législature à l'héritage laissé par le gouvernement socialiste cédait désormais le pas à l'invocation d'un autre héritage : celui de la majorité reconduite et de la ministre de la défense des cinq dernières années, Mme Michèle Alliot-Marie. Il a rappelé qu'avec les sénateurs socialistes, il avait à de multiples reprises alerté la représentation parlementaire sur des budgets trompeurs, qui cachaient mal une situation critique, mais s'était constamment vu opposer des démentis catégoriques du ministre de la défense. Il a estimé que la pertinence de ses mises en garde trouvaient aujourd'hui leur confirmation dans les propos du nouveau ministre de la défense, M. Hervé Morin, qui a reconnu, le 21 juin dernier, la nécessité d'effectuer une « opération-vérité » sur les comptes du ministère et indiqué que les investissements devraient progresser de 43 % dans les prochaines années pour réaliser les programmes prévus.
Alors que la réalisation d'un état des lieux sur les engagements financiers du ministère de la défense, l'élaboration d'un nouveau Livre blanc et la préparation d'une prochaine loi de programmation militaire sont annoncés, il a jugé indispensable d'expliquer pour quelles raisons tous les programmes engagés par la loi de programmation militaire ne peuvent pas être menés à bien, et aussi pour quelles raisons ils ont été engagés.
M. Didier Boulaud a rappelé qu'au nom de son groupe, il avait estimé, en janvier 2003, lors de l'adoption de la loi de programmation actuelle, que la politique économique et sociale du gouvernement faisait « planer un doute sérieux sur sa capacité à tenir les engagements inscrits dans le projet de loi de programmation militaire ». De même, avait-il considéré qu'il allait être très difficile d'exécuter cette loi « tant elle (apparaissait) décalée, déphasée par rapport à l'état réel du monde d'aujourd'hui et, surtout, de demain ». Il avait constaté que le Livre blanc, rédigé en 1994, était déjà caduc, et avait demandé « la réalisation d'un Livre blanc européen avec une grille d'analyse et une volonté d'agir sur les plans politique et militaire de manière collective et identique ». Depuis lors, il avait également mis en lumière l'absence de rigueur dans l'exécution des budgets de la défense, en déclarant notamment fin 2005 que « la Cour des comptes et la mission d'information de l'Assemblée nationale sur le contrôle de l'exécution des crédits de la défense (avaient) constaté, en 2004 et 2005, des écarts flagrants entre les chiffres annoncés et la réalité de l'exécution (...) », les projets de loi de finances successifs masquant l'insincérité du budget de la défense.
M. Didier Boulaud a également rappelé qu'il avait signalé, année après année, qu'il était nécessaire aussi de procéder à une refonte sérieuse du modèle d'armée parce que « le modèle 2015 est, aujourd'hui, unanimement considéré comme financièrement inaccessible et en fort décalage avec les besoins stratégiques de la période à venir (...) et les dépenses nécessaires à la réalisation du modèle 2015 (...) hors de notre portée financière, quel que soit le futur Président de la République ». Il a constaté que l'actuel gouvernement venait de reconnaître que le modèle 2015 ne serait pas atteint à l'horizon prévu et que son financement dépasserait amplement le niveau de ressources consenti à l'effort de défense depuis cinq ans.
Il a regretté que la nécessité d'un nouveau Livre Blanc soit reconnue si tardivement, notre pays ayant ainsi perdu cinq ans en matière de réflexion stratégique et d'adaptation de notre outil de défense.
Précisant que l'exécution de la loi de programmation militaire 2003-2008 avait stabilisé le budget de la défense à environ 1,9 % du PIB (hors pensions, gendarmerie incluse), il a souligné que les objectifs capacitaires n'étaient pas atteints malgré les sommes financières considérables engagées depuis 2003, ce qui tendait à prouver le mauvais calibrage initial de cette loi.
M. Didier Boulaud a également évoqué les attentes des personnels en matière de pouvoir d'achat, de déroulement et de perspectives de carrière, de retraites, de logements. Il a émis la crainte que la crise financière du ministère ne remette en cause les engagements pris et a souhaité avoir rapidement des explications à ce sujet, jugeant qu'il fallait éviter que la situation actuelle ne débouche sur une alternative budgétaire opposant les équipements aux hommes.
Il a jugé l'actuelle loi de programmation militaire « attrape-tout et mal calibrée », estimant qu'elle avait conduit à une impasse financière, puisque la projection, à un horizon de six années, des besoins en crédits d'équipement induits par la programmation actuelle, obligerait le ministère à disposer de 22 milliards d'euros, au lieu de 15,4 milliards d'euros en 2007.
M. Didier Boulaud a indiqué que le groupe socialiste souhaitait la rédaction d'un nouveau Livre blanc destiné à expliciter les fondements de notre politique de défense et de sécurité, et à clarifier son insertion dans la politique européenne. Il a estimé que ce document devait s'élaborer dans la plus grande transparence démocratique en associant les armées, les parlementaires, les experts civils, les syndicats, les industriels et nos partenaires européens. Il a insisté pour que le Parlement français soit pleinement associé en amont à cette oeuvre collective et aux décisions qui en découleront.
Il a ajouté que le groupe socialiste proposait de susciter un débat public européen, dans le cadre, par exemple, de l'assemblée parlementaire de l'UEO, dans le but d'harmoniser les points de vue sur l'analyse de la situation internationale et de définir les intérêts communs des Européens en matière de défense et de sécurité, d'analyser la faisabilité d'un système européen de sécurité collective, de créer une politique industrielle commune et de favoriser la mutualisation de la recherche, d'étudier les possibilités des formations communes pour les militaires européens, de proposer des harmonisations dans le domaine du statut des militaires et des améliorations dans la condition des personnels civils et militaires.
En conclusion, M. Didier Boulaud a estimé que notre système de défense devait être remis à plat, mais que l'entreprise serait extrêmement douloureuse et délicate faute d'avoir voulu, ces dernières années, regarder la vérité en face. Il a considéré que chaque année écoulée depuis 2002 avait représenté autant de temps de perdu pour reconstruire un modèle d'armée efficace et adapté aux nouveaux défis de sécurité, aux ambitions de la France et de l'Europe dans le monde.
Il a considéré, pour les prochaines années, qu'il serait essentiel d'assurer la sécurité de nos concitoyens de la façon la plus efficace, de remettre en état notre stratégie et notre outil de défense, de maintenir une puissance industrielle au service de notre autonomie de décision et de construire l'Europe de la défense.
M. Yves Pozzo di Borgo a jugé indispensable de renforcer l'approche européenne dans la définition de notre politique de défense et il a salué le rôle joué par l'Agence européenne de défense, structure souple et encore récente, mais prometteuse. Il a également estimé que le rôle des équipements spatiaux devrait être renforcé au cours des prochaines années.
Mme Hélène Luc a souhaité que l'élaboration de la prochaine loi de programmation militaire soit précédée d'une réflexion très ouverte associant militaires, civils, réservistes ou encore journalistes spécialisés. Elle a souligné le caractère ambigu des diverses déclarations gouvernementales au sujet du second porte-avions. Tout en estimant que la logique aurait voulu qu'initialement, on réalise deux porte-avions pour éviter les périodes d'indisponibilité, elle s'est déclarée sensible aux arguments de plus en plus fréquemment avancés pendant la campagne électorale selon lesquels la construction d'un second porte-avions n'est pas aujourd'hui absolument indispensable, et a précisé qu'elle partageait désormais cette opinion. Elle a regretté que le volet nucléaire de notre politique de défense ne soit pas suffisamment débattu. Elle a souhaité que la place de la dissuasion nucléaire dans notre politique de défense soit redéfinie, en liaison avec la question du projet américain de bouclier anti-missile. Elle a également évoqué l'évolution récente des entreprises de défense, particulièrement DCN et Nexter, en souhaitant qu'un bilan des restructurations opérées ces dernières années dans ces eux entreprises soit établi.
M. Hubert Haenel a estimé que la réflexion engagée par la commission sur les équipements militaires intervenait au bon moment et il a souhaité dans les prochains mois un large débat public sur notre politique de défense, associant bien entendu le Parlement. Il a observé que le président Serge Vinçon avait abordé dans sa communication des sujets difficiles, comme les restructurations. Il a souligné que le groupe aéronaval était une capacité majeure au regard du rôle que la France entend jouer sur la scène internationale et qu'à cet égard, se limiter à un seul porte-avions et renoncer à la permanence n'avait pas de sens. Il a estimé que la question du rôle de la dissuasion nucléaire française en Europe devrait inévitablement être un jour posée. Il a jugé anormal qu'aucun cadre n'existe aujourd'hui le contrôle parlementaire de la politique européenne de sécurité et de défense. Enfin, il a souhaité des clarifications s'agissant des évolutions de la gendarmerie en soulignant la nécessité de préserver son statut militaire.
M. Jean-Guy Branger a considéré que si l'opposition était dans son rôle en effectuant une analyse critique de l'action du gouvernement, les appréciations portées par le groupe socialiste sur l'actuelle loi de programmation militaire étaient manifestement excessives, l'ensemble de la communauté de la défense étant unanime à considérer que jamais une loi de programmation n'avait été respectée aussi scrupuleusement. Il a jugé ces mises en cause d'autant plus injustifiées que la gestion des budgets de la défense par les gouvernements socialistes n'avait pas été particulièrement heureuse. Il s'est par ailleurs prononcé en faveur d'un maintien du statut militaire de la gendarmerie.
M. Didier Boulaud a répondu qu'il ne prétendait pas que les gouvernements qu'il avait soutenus étaient exempts de critiques, mais qu'il souhaitait simplement mettre en évidence l'incapacité à assumer dans les années à venir les dépenses résultant des commandes passées dans le cadre de l'actuelle loi de programmation.
M. Serge Vinçon, président, s'est félicité de ce qu'un débat s'engage sur la définition de notre politique de défense et que la commission puisse y contribuer. S'agissant du Livre blanc de 1994, il a souligné que bon nombre de ses analyses conservaient en partie leur pertinence, ce qui n'enlevait rien à la nécessité d'intégrer les évolutions du contexte international dans le cadre d'une nouvelle réflexion stratégique. Il a souligné les inconvénients d'un modèle présenté sous forme de liste et de nombres d'équipements, associé à une référence calendaire extrêmement précise. Il a marqué sa préférence pour la formulation d'objectifs capacitaires susceptibles d'être périodiquement validés ou infléchis en fonction des évolutions stratégiques. Dans le même esprit, il a mentionné l'intérêt d'un réexamen à mi-parcours des lois de programmation. Il s'est déclaré convaincu de la nécessité d'un second porte-avions, estimant que le groupe aéronaval constituait un outil de souveraineté majeur. Il a toutefois considéré que sa réalisation devait être liée à l'attribution des crédits supplémentaires nécessaires, et non à des redéploiements affectant des programmes majeurs en cours. Il a réaffirmé la priorité qui devait être accordée à la dissuasion et l'intérêt de la composante aérienne. Il a rappelé que la France militait à juste titre pour un renforcement de l'approche européenne en matière de défense, mais que la possibilité d'aller plus loin dans la coopération était tributaire de la volonté de nos partenaires. Il a indiqué que DCN, désormais associé à Thales au sein de DCNS, disposait de perspectives d'activité et de résultats satisfaisantes, alors que Nexter est parvenu à équilibrer sa situation financière. Il s'est prononcé en faveur du maintien du statut militaire de la gendarmerie.
A l'issue de ce débat, la commission a donné acte au président Serge Vinçon de sa communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.