Mercredi 5 décembre 2007
- Présidence de Mme Gisèle Gautier, présidente. -Orientation et insertion professionnelles - Audition de Mme Irène Tharin, ancienne députée du Doubs, auteur d'un rapport au Gouvernement intitulé « Orientation, réussite scolaire : ensemble, relevons le défi »
La délégation a entendu Mme Irène Tharin, ancienne députée du Doubs, auteur d'un rapport au Gouvernement intitulé « Orientation, réussite scolaire : ensemble, relevons le défi ».
Mme Gisèle Gautier, présidente, a rappelé à Mme Irène Tharin que son audition s'inscrivait dans le cadre du thème de réflexion que la délégation s'est assigné cette année et qui porte sur l'orientation et l'insertion professionnelles, et plus particulièrement sur la nécessité d'un rééquilibrage entre les femmes et les hommes dans tous les métiers.
Mme Irène Tharin s'est réjouie de pouvoir présenter à la délégation les conclusions de son rapport sur ce sujet.
Elle a tout d'abord rappelé qu'elle était maire d'une petite commune de 6 000 habitants, qu'elle était vice-présidente de la communauté d'agglomération du pays de Montbéliard, et qu'elle avait été jusqu'au dernier renouvellement de l'Assemblée nationale, députée du Doubs.
Elle a précisé qu'une mission sur l'orientation lui avait été confiée en février 2005 par M. Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, et que les compétences dont elle pouvait alors se réclamer en ce domaine provenaient plus de son expérience de mère de six enfants que de sa formation ou de son passé professionnel. Elle a présenté les thèmes de réflexion que lui avait assignés le Premier ministre dans sa lettre de mission : elle devait ainsi réfléchir sur l'orientation des élèves et formuler des propositions pour que soient atteints les objectifs fixés par le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, pour endiguer la tendance à la baisse des orientations vers les formations scientifiques, pour renforcer l'accès des bacheliers de la voie technologique aux instituts universitaires de technologie (IUT), aux sections techniques et scientifiques, et aux licences professionnelles, ainsi que pour accroître le taux de réussite des bacheliers de la voie professionnelle au brevet de technicien supérieur (BTS).
Elle a expliqué que c'était de sa propre initiative qu'elle avait décidé de consacrer des développements particuliers, dans son rapport, au problème spécifique que soulève l'orientation des jeunes filles, regrettant qu'aujourd'hui encore, celles-ci soient trop systématiquement promises aux métiers de secrétariat, ainsi qu'aux professions sociales ou médicales.
Elle a estimé que les procédures d'orientation, qui s'effectuent actuellement en fin de classe de 3e, étaient sans doute prématurées, et gagneraient à être différées si l'on ne voulait pas que les filles continuent à se détourner, a priori, des filières technologiques, faute d'avoir eu le temps de dépasser les préjugés ordinaires, et de commencer d'en avoir une perception plus concrète. Elle a précisé qu'elle s'était donc interrogée, dans son rapport, sur l'opportunité de mettre en place une classe de 2de indifférenciée qui permettrait de repousser d'une année le choix des filières technologiques.
Mme Esther Sittler a confirmé qu'une meilleure perception de la réalité des formations et des professions techniques pouvait modifier l'attitude des filles à leur égard, citant, à titre d'illustration, le cas concret d'une jeune femme qui, par le témoignage de son expérience propre, était parvenue à inciter ses consoeurs à s'orienter aussi vers des filières techniques.
Mme Irène Tharin a regretté les carences qui continuent d'affecter l'information dispensée en matière d'orientation, et déploré le fatalisme persistant des stéréotypes de genres, qui tendent à cantonner les filles dans certains métiers, comme ceux de l'enseignement, du secrétariat, du social ou de la santé.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a confirmé cette analyse, ajoutant que la délégation n'était que trop au fait de cette situation, qu'elle avait eu l'occasion d'étudier déjà de façon approfondie.
Mme Irène Tharin a estimé qu'il convenait de « bousculer les barrières actuelles » et rappelé deux propositions qu'elle avait formulées à cette fin dans son rapport : tout d'abord, féminiser les internats des lycées comprenant des classes préparatoires, auxquels les élèves n'ont pour l'instant généralement pas accès ; ensuite, augmenter le poids relatif des filles dans les classes préparatoires aux grandes écoles et dans les écoles d'ingénieur, en offrant, si besoin est, des places supplémentaires dans ces écoles pour les élèves des filières biologie des classes préparatoires, où les filles sont majoritaires.
Elle a estimé que, d'une façon générale, un sérieux effort était aujourd'hui nécessaire pour dispenser aux élèves des deux sexes une information plus fidèle sur la réalité des métiers que ne le font actuellement les centres d'information et d'orientation.
Se réjouissant de la collaboration de qualité qu'elle avait pu nouer à l'occasion de sa mission, tant avec le ministre de l'éducation nationale, M. Gilles de Robien, qu'avec le secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes, M. Laurent Hénart, elle a estimé qu'en ce domaine, l'expérience montrait qu'il était indispensable de décloisonner l'action conduite par des administrations qui devraient davantage se considérer comme complémentaires, la formation débouchant naturellement sur l'emploi.
Elle a estimé que les faiblesses du système d'orientation ne tenaient pas à une quelconque insuffisance des effectifs des conseillers d'orientation psychologues, mais plutôt aux réticences qu'ont ceux-ci à nouer un véritable partenariat tant avec les enseignants qu'avec les parents d'élèves, qui sont pourtant susceptibles d'apporter un concours précieux en témoignant devant les élèves de leur expérience professionnelle.
Elle a ensuite estimé qu'en matière d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, des progrès avaient certes été accomplis, tout en jugeant cependant que beaucoup restait à faire.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a demandé à Mme Irène Tharin de lui préciser les raisons pour lesquelles elle souhaitait différer les choix d'orientation dans le déroulement du cursus scolaire, avouant que, pour sa part, elle était au contraire plutôt partisane de les avancer.
Tout en convenant que l'on devrait certes détecter plus précocement les capacités des élèves, Mme Irène Tharin a estimé qu'il convenait de ne pas procéder trop tôt à des choix définitifs, mais plutôt de développer des passerelles permettant de revenir sur un choix qui ne se révélerait pas opportun.
Mme Gisèle Gautier, présidente, s'est demandé si la très forte proportion des femmes dans le corps des professeurs des écoles ne contribuait pas, par mimétisme, à orienter les jeunes filles vers l'enseignement. Elle a partagé l'analyse de Mme Irène Tharin au sujet des conseillers d'orientation, estimant qu'ils ne recevaient pas une formation adéquate et que leurs horaires n'étaient généralement pas adaptés aux plages de disponibilité des parents.
Mme Irène Tharin a insisté sur le rôle que jouent les choix familiaux dans l'orientation professionnelle des femmes, citant le cas d'une jeune femme ingénieur qui avait renoncé à ce métier et passé le concours de recrutement de professeur des écoles, de façon à pouvoir davantage se consacrer à l'éducation de ses enfants.
Tout en estimant que la volonté de concilier vie professionnelle et vie familiale était parfaitement légitime, Mme Catherine Troendle a déploré certaines dérives qui peuvent finir par être préjudiciables à la qualité du service, estimant, par exemple, que le partage d'une classe entre deux enseignantes à mi-temps pouvait être déstabilisant pour de jeunes enfants.
Mme Irène Tharin a remarqué que les administrations des collectivités territoriales étaient aussi confrontées à ce type de difficultés.
Mme Catherine Troendle a estimé qu'une orientation dès la classe de troisième ne soulevait de difficultés ni pour les bons élèves qui suivaient la voie générale, ni pour les élèves qui savaient déjà ce qu'ils voulaient faire, mais qu'il fallait aussi prendre en compte la situation de tous les autres, qui ne disposaient pour les guider dans leur choix que des informations trop générales dispensées par les centres d'information et d'orientation. Elle a estimé qu'une mise en relation des écoles et des entreprises permettrait de donner aux jeunes une vision plus pratique de la réalité des métiers que ne pouvaient le faire les plaquettes qu'on leur distribue aujourd'hui.
Elle a également considéré que certaines professions, comme la magistrature, ou certaines de celles du secteur de la santé, étaient aujourd'hui trop féminisées.
Evoquant les carences de l'orientation et les critiques adressées aux enseignants ou aux conseillers d'orientation, Mme Gisèle Printz a contesté la démarche qui consiste à présenter la féminisation de la magistrature, de la médecine ou de la profession d'enseignant comme un inconvénient, les femmes accomplissant, selon elle, leur mission de manière satisfaisante.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a expliqué que la volonté de faciliter la conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale conduisait de nombreuses jeunes femmes à occuper des emplois à mi-temps, ce qui pouvait susciter des difficultés dans certaines professions.
Mme Catherine Troendle a insisté sur la nécessité de parvenir à un équilibre et à une complémentarité entre hommes et femmes dans l'ensemble des professions.
Mme Gisèle Printz a estimé qu'il était avant tout nécessaire de combattre la tendance à une dévalorisation des emplois à temps partiel occupés par les femmes. Par ailleurs, elle a regretté que l'apprentissage soit souvent discrédité, Mme Catherine Troendle soulignant qu'il pouvait, au contraire, être très valorisant.
Sur la base d'exemples concrets, Mme Irène Tharin a témoigné de ce que l'orientation tendait parfois à dévaloriser la voie de l'apprentissage, les conseillers d'orientation dissuadant généralement les bons élèves de s'y diriger. Soulignant à nouveau l'insuffisance des plaquettes d'information sur les professions, qu'elle a jugées trop abstraites, elle a également préconisé d'améliorer la connaissance par les professeurs et les conseillers d'orientation de la réalité des métiers et des entreprises.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a souscrit à ces propos et a souhaité une amélioration de la formation des enseignants sur ces sujets.
Faisant référence à une intervention de M. Jean-Paul Virapoullé à l'occasion de la discussion en séance publique des crédits consacrés à l'enseignement scolaire, Mme Esther Sittler a évoqué l'efficacité d'une pratique mise en place à La Réunion, consistant à faire venir dans les écoles des professionnels qui parlent concrètement de leurs métiers aux élèves et éveillent ainsi l'intérêt pour ces métiers.
Pour sa part, Mme Catherine Troendle a évoqué l'expérience réussie d'une rencontre organisée dans une classe de première avec d'anciens élèves du lycée, devenus jeunes adultes, qui viennent apporter leur témoignage sur leur expérience professionnelle.
Prolongeant ce propos, Mme Irène Tharin a estimé que pour progresser dans ce domaine, point n'était besoin de légiférer et qu'il convenait plutôt d'en revenir à de telles pratiques de bons sens, simples et marquantes pour les élèves.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a considéré qu'il était fondamental de favoriser l'évolution des mentalités, en mentionnant l'expérience qu'elle avait réalisée lorsqu'elle était maire, en créant une maison de l'orientation et de l'emploi.
Mme Gisèle Printz a souhaité que les métiers ne soient pas présentés comme ayant une dimension supposée féminine ou masculine.
Mme Irène Tharin a considéré, qu'année après année, il fallait persévérer dans l'effort pour améliorer l'orientation, et a recommandé de faire évoluer le métier de conseiller d'orientation. Par ailleurs, elle a déploré les réactions négatives de certains syndicats d'enseignants face aux propositions tendant à favoriser une meilleure articulation entre l'école et l'entreprise. Mmes Gisèle Gautier, présidente, et Gisèle Printz ont cependant estimé que les syndicats avaient évolué sur ce point.
Mme Catherine Troendle a alors évoqué une expérience menée, en liaison avec les régions, par Mme Valérie Létard, secrétaire d'Etat auprès du ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, chargée de la solidarité, en vue de développer la formation professionnelle en adéquation avec les futurs emplois.
Mme Irène Tharin a recommandé le développement de passerelles permettant de passer d'un métier à un autre. Evoquant à titre d'exemple le fort taux d'échec des étudiants en médecine, elle a souhaité que des passerelles leur soient ouvertes pour s'orienter vers d'autres métiers dans le domaine médico-social.
Mme Catherine Troendle a également préconisé la multiplication des passerelles pour permettre à ceux qui exercent un métier très lourd, comme par exemple l'assistance aux personnes souffrant de la maladie d'Alzheimer, d'évoluer un jour vers d'autres fonctions.
Mme Irène Tharin a fait observer néanmoins que le terme et le concept de « passerelle » n'étaient pas toujours appréciés par les conseillers d'orientation.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a ensuite souhaité que soient développées les mesures de nature à renforcer le pouvoir attractif des filières scientifiques à l'égard des jeunes femmes. Elle a évoqué les distinctions ou récompenses susceptibles d'être attribuées pour encourager la vocation scientifique des jeunes femmes et a lancé l'idée de créer un nouveau « Prix » spécifique à l'intention de jeunes femmes ayant réussi dans un métier masculin.
Faisant observer que les jeunes élèves sont généralement peu sensibilisés par l'écho médiatique de telles initiatives, Mmes Catherine Troendle et Esther Sittler ont insisté sur l'efficacité des réunions organisées dans les établissements d'enseignement avec d'anciens élèves qui viennent témoigner de leur expérience.
Mme Irène Tharin a alors rappelé l'importance fondamentale du rôle joué par les parents d'élèves et a déploré que l'orientation se fonde trop souvent exclusivement sur le « carnet de notes », ce qui conduit parfois à orienter les élèves vers des filières pour lesquelles ils n'éprouvent aucune affinité, même s'ils ont obtenu de bons résultats scolaires dans les disciplines qui y préparent.
Mme Gisèle Gautier, présidente, a cité l'expérience des « ambassadrices des sciences » conduite dans certains lycées parisiens, qui a suscité l'intérêt de Mme Catherine Troendle.
Mme Gisèle Printz a cependant observé que certaines femmes réussissaient sans pour autant être diplômées, Mme Irène Tharin prolongeant ce propos en évoquant son expérience personnelle et en soulignant la valeur irremplaçable de l'expérience de la vie.
Enfin, Mme Irène Tharin a déploré une forme d'« autocensure » de la part des jeunes filles titulaires d'un baccalauréat scientifique, qui souvent n'osent pas s'orienter vers des carrières scientifiques.