Mercredi 10 février 2010
- Présidence de M. Jacques Legendre, président -Loi de finances rectificative pour 2010 - Examen du rapport pour avis
La commission a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Jean-Claude Etienne sur le projet de loi n° 276 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, de finances rectificative pour 2010.
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis, a souligné les enjeux du « grand emprunt » : l'objectif est de consacrer 3 % du produit intérieur brut à la recherche et au développement en application de la stratégie de Lisbonne, de développer l'économie de la connaissance et de mieux valoriser les brevets, car la France manque de brevets exploitables.
Il a rendu hommage aux co-présidents de la commission chargée de définir les priorités stratégiques d'investissement, MM. Alain Juppé et Michel Rocard, ce dernier ayant été auditionné le mardi 9 février 2010 par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Il a souligné le consensus sur le choix de consacrer l'emprunt national à des investissements d'avenir, en jouant sur deux registres référents se nourrissant l'un l'autre : le soutien aux unités productrices du savoir et le soutien aux unités productrices d'un tissu économique nouveau.
Il a indiqué que le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2010 donnait l'occasion d'amplifier les réformes tendant à sortir d'un système d'enseignement supérieur et de recherche trop cloisonné. Après avoir souligné la qualité des équipes de recherche universitaires, auxquelles les grandes écoles ont d'ailleurs le plus souvent recours, il a insisté sur la nécessité de préférer la mutualisation des moyens aux rivalités entre établissements.
Cela suppose aussi que des lieux de vie soient mis en commun, ce qui aide à la mutualisation des laboratoires eux-mêmes, et que des responsables de recherche se voient confier la responsabilité de thématiques multi-sites. La dynamique de la contractualisation, avec financements à la clé, doit encourager cette synergie.
Il s'est réjoui que la commission de la culture, de l'éducation et de la communication se soit saisie pour avis du PLFR, compte tenu de la nécessité de procéder « au déchiffrage du chiffrage » du texte, dans un esprit non exclusivement budgétaire.
Après avoir fait état de son expérience concrète de scientifique, il a jugé que l'emprunt national devrait aider la France à se placer dans la compétition internationale de la connaissance et donc de l'économie. Il a indiqué que le texte tendait aussi à soutenir les entreprises innovantes afin de réindustrialiser notre pays. En outre, une partie importante des crédits sont destinés aux recherches en matière de développement durable, dont l'analyse relève de la commission de l'économie, saisie pour avis.
Après avoir rappelé que, dans le budget 2010, les crédits de la mission interministérielle pour la recherche et l'enseignement supérieur (MIRES) s'établissent à environ 25 milliards d'euros, il a indiqué que le PLFR pour 2010 propose de consacrer 19 milliards à l'enseignement supérieur, la formation et la recherche, et d'imputer 22 milliards d'euros sur la MIRES, si l'on tient compte de la recherche appliquée et sectorielle.
Le rapporteur pour avis a indiqué qu'il avait porté son attention de manière plus spécifique sur les 19 milliards d'euros consacrés directement à l'enseignement supérieur et la recherche, qui concentrent 54 % des crédits du « grand emprunt ».
Il a expliqué que la consommation effective de ces fonds n'avait pas vocation à être réalisée au cours de la seule année 2010. Environ 46 % des crédits conduiraient à la constitution d'actifs non consomptibles, dont seuls les intérêts servis annuellement, en rémunération du dépôt sur le compte du Trésor de ces actifs, seraient dépensés. Les 54 % restants devraient être mobilisés sur plusieurs années, selon le rythme de financement des projets. Mais les fonds seront versés dès 2010 aux agences de moyens comme l'Agence nationale de la recherche (ANR), chargée de gérer les fonds et de mettre en oeuvre les appels à projets.
Le Gouvernement a créé par décret des organes de gouvernance spécifiques, avec un commissaire général à l'investissement, M. René Ricol, et un comité de surveillance des investissements d'avenir, placé sous la présidence conjointe de MM. Alain Juppé et Michel Rocard.
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis, a souligné que la stratégie proposée vise à :
- faire émerger cinq à dix pôles d'excellence de rang mondial, en mobilisant deux leviers : la création de campus d'excellence (7,7 milliards d'euros) et l'amplification de l'Opération Campus (1,3 milliard d'euros). Le projet de Saclay recevra en outre une dotation spécifique d'un milliard ;
- accélérer la professionnalisation du dispositif de valorisation de la recherche publique (3,5 milliards d'euros) ;
- renforcer les moyens des laboratoires d'une grande qualité scientifique, adossés à des parcours de formation de qualité, qui seraient situés en dehors des campus d'excellence (1 milliard d'euros) ;
- créer des instituts hospitalo-universitaires (IHU) pour répondre à certaines faiblesses de la recherche médicale publique française (850 000 euros).
Par ailleurs, il a rappelé que la formation en alternance et la promotion de l'égalité des chances et de la mixité sociale sont des priorités qui bénéficieront d'un effort financier d'un milliard d'euros et il s'est réjoui du fait que ces crédits devraient permettre de concrétiser certaines des propositions émises, en mai 2009, par la mission d'information du Sénat sur la politique en faveur des jeunes. Il s'agit notamment de créer des internats d'excellence, d'investir dans la formation et l'insertion sociale et professionnelle des jeunes en grande difficulté et de développer la culture scientifique auprès des jeunes de condition modeste. Néanmoins, le rapporteur pour avis a estimé que tous les jeunes devraient disposer d'une telle culture scientifique.
Enfin, le projet de loi prévoit un programme d'investissement dans le secteur des technologies numériques, doté de 4,5 milliards d'euros. Ces sommes seront versées à un Fonds national pour la société numérique (FSN), dont la gestion sera confiée à la Caisse des dépôts et consignations. Un axe est consacré à la numérisation de « contenus patrimoniaux culturels, éducatifs et scientifiques », à hauteur de 750 millions d'euros. M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis, a indiqué qu'il proposerait un amendement pour sanctuariser ces sommes qui sont, pour l'instant, comprises dans une enveloppe de 2,5 milliards d'euros destinée au développement des usages, services et contenus numériques innovants.
Il a proposé ensuite quelques amendements au projet de loi et a formulé plusieurs recommandations.
En premier lieu, compte tenu des enjeux du projet de loi, le Parlement doit être plus pleinement associé à la mise en oeuvre du PLFR. Il a proposé à cet effet :
- que la présence de parlementaires au sein du comité de surveillance des investissements d'avenir soit renforcée et que ses missions soient mieux définies ;
- que les projets de convention entre l'Etat et les organismes attributaires des crédits soient transmis à l'ensemble des commissions parlementaires compétentes, et pas seulement à la commission des finances.
En deuxième lieu, s'agissant de l'enseignement supérieur et de la recherche, il est indispensable de concentrer les crédits sans abandonner des pans entiers de territoire.
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis, a fait part de son adhésion à la démarche consistant à concentrer d'importants crédits sur un nombre limité de sites afin de leur permettre de concourir parmi les plus grands centres d'enseignement supérieur et de recherche du monde. Il ne faudrait pas que la mise sous les projecteurs de quelques-uns rejette dans l'ombre les autres et plusieurs dispositifs devraient permettre d'éviter cet écueil.
En troisième lieu et à cette fin, il convient aussi d'imposer le fonctionnement en réseau et d'encourager le développement « d'écosystèmes ». Les sites d'excellence retenus doivent jouer un rôle de locomotive pour l'ensemble du système. Pour cela, il est nécessaire, aux stades de la sélection et de l'évaluation des projets, d'inciter les campus à fonctionner en réseau, en vue d'irriguer le territoire et d'associer des partenaires recherchant l'excellence, quelle que soit leur taille.
Dans le même ordre d'idée, M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis, a souhaité relayer la conviction de M. André Ferrand, qui juge nécessaire de soutenir les projets des universités françaises en vue d'accueillir des élèves étrangers des lycées français implantés hors de France. Il convient de prendre en compte cette problématique qui s'inscrit dans l'objectif du renforcement de l'attractivité de nos établissements.
En quatrième lieu, il faut gagner le pari de l'opération du plateau de Saclay, qui percevra une manne exceptionnelle pour une opération emblématique. Son succès semble conditionné au « décloisonnement » des acteurs.
En cinquième lieu, une cohérence devra être assurée entre les critères de répartition des crédits de l'emprunt national et ceux du système SYMPA (SYstème de répartition des Moyens à la Performance et à l'Activité).
En sixième lieu, s'agissant de la culture, M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis, s'est interrogé sur l'impact du « grand emprunt » sur la politique du livre numérique et sur les perspectives de partenariat avec une entreprise privée telle que Google. Des formules plus équilibrées « d'échanges réciproques » sont envisagées avec Google mais pourront-elles être respectées dans le cadre strict des 25 % de subventions ou d'avances remboursables ? Le rapporteur pour avis a proposé d'interroger le Gouvernement sur ce point.
Il a insisté également sur le fait que les politiques culturelles devaient être considérées comme des investissements d'avenir car telle est la réalité, notamment pour ce qui concerne la numérisation des oeuvres.
Il a souhaité qu'il soit pleinement tenu compte de ces « retours sur investissement culturel » à l'occasion des décisions relatives à l'utilisation des crédits du grand emprunt.
En septième lieu, M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis, a exprimé le regret que l'on reprenne partiellement de la main gauche ce que l'on donne de la main droite... En effet, le projet de loi prévoit d'annuler 500 millions de crédits en 2010 pour gager les charges d'intérêt de l'emprunt national. Tous les ministères seront concernés, à hauteur de 125 millions d'euros pour l'enseignement supérieur et près de 3 millions pour la culture. On peut s'étonner de cette démarche, alors que ces secteurs ont été reconnus comme prioritaires, même si l'on peut comprendre les contraintes liées au niveau de la dette publique et l'arbitrage qui consiste à privilégier l'investissement et à inciter aux économies sur le fonctionnement.
Enfin, M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis, a proposé de donner un avis favorable à l'adoption de l'article 1er (nouveau) introduit par l'Assemblée nationale, en faveur du jeu vidéo. Il s'agit de fixer à 100 000 euros, au lieu de 150 000, le montant minimum des budgets de production requis pour l'éligibilité des projets au crédit d'impôt en faveur de la création de jeux vidéo, et de tenir compte de l'évolution structurelle du marché du jeu vidéo et des nouveaux modèles de production. En effet les budgets des jeux destinés à une mise en ligne et/ou à une exploitation sur téléphone portable sont moins importants que ceux des jeux traditionnels. Le montant minimum de 150 000 euros qui était justifié pour les jeux sur support physique apparaît donc inadapté aux jeux en ligne.
Mme Marie-Christine Blandin, après avoir félicité le rapporteur pour avis pour la passion avec laquelle il a affirmé ses convictions, a déclaré soutenir ses revendications sur l'implication du Parlement, et notamment de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, et sur la mutualisation des lieux de production du savoir. Elle a jugé nécessaire que l'évaluation encourage la pluridisciplinarité et les approches systémiques.
Après avoir souhaité que les consuls soient plus accueillants à l'égard des étudiants étrangers souhaitant venir étudier en France, elle a adhéré au principe du « grand emprunt » mais s'est inquiétée des modalités de placement des actifs.
Puis, elle a regretté que les axes de recherche envisagés dans le domaine environnemental soient classiques, voire archaïques, compte tenu de la nécessité de nourrir la population mondiale. Elle a relevé que le projet ITER ne sera opérationnel qu'une quarantaine d'années après l'épuisement des ressources pétrolières et jugé nécessaire d'améliorer le rendement du transport d'électricité. Elle a qualifié d'erreur historique l'exonération des habitations chauffées à l'électricité des obligations d'isolation. Enfin, elle a craint qu'avec les nano-matériaux, on ne prépare une catastrophe similaire à celle de l'amiante.
Après avoir fait part de son adhésion aux recommandations du rapporteur, M. Ivan Renar a demandé des précisions sur les modalités de décision des projets retenus dans le cadre du « grand emprunt » et sur les modes de répartition des crédits. Il s'est étonné que le PLFR n'évoque pas directement les organismes publics de recherche.
Puis il s'est inquiété de l'avenir des universités de petite taille, dont le rôle est essentiel pour assurer la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur. Regrettant que les petites et moyennes entreprises, souvent innovantes, ne soient pas concernées par l'emprunt national, il s'est interrogé sur les moyens consacrés aux pôles de compétitivité.
Après avoir déploré les annulations de crédits prévues, M. Serge Lagauche a relativisé l'ampleur de l'emprunt national, dans la mesure où ces crédits ne seront alloués que de façon échelonnée dans le temps, en fonction des résultats, et que, pour la part non consomptible, seuls les intérêts des fonds placés seront employés.
Il a relevé l'importance des missions du commissaire général à l'investissement et regretté le rôle marginal des parlementaires dans le dispositif.
Puis il a jugé que le campus de Saclay aurait dû se voir appliquer les mêmes règles que les autres campus, les crédits alloués devant être fonction du projet et des efforts consentis. S'agissant des petites universités, il s'est déclaré favorable au regroupement et à la mutualisation, tout en soulignant la nécessité d'un enseignement de qualité, y compris au niveau de la licence, et dispensé par de grands chercheurs. Il a estimé que la commission devait veiller à cet équilibre.
Il a enfin jugé nécessaire de modifier le dispositif du crédit impôt recherche afin qu'il bénéficie davantage aux petites entreprises.
M. Jack Ralite s'est déclaré surtout intéressé par le volet « numérisation des oeuvres culturelles » et par le débat relatif à la politique conduite par Google. Or, le vote du PLFR interviendra avant que les réponses aux questions suscitées par ce dossier soient apportées. Il a également relevé que le PLFR s'inscrit dans un contexte de « tourmente financière fabriquée » à partir de la situation grecque.
M. Jacques Legendre, président, a rappelé que la commission s'était saisie du « dossier Google » et qu'il lui était apparu difficile de trouver une alternative en l'absence de financements publics. Il s'est réjoui que, des crédits étant prévus pour la numérisation des contenus culturels dans le cadre du PLFR, il sera désormais possible de négocier dans de meilleures conditions avec un partenaire privé. Cette question a d'ailleurs motivé partiellement la demande de saisine pour avis sur ce texte, car il s'agit d'un thème permanent de réflexion pour la commission.
Après avoir salué la qualité du rapport, M. Michel Thiollière s'est inquiété de la mise en oeuvre des procédures et des modalités de gouvernance. Puis il a relevé que l'excellence n'était pas toujours liée à la taille des campus et des laboratoires de recherche. Il a partagé les convictions du rapporteur sur « l'effet cafétéria », le partage des lieux de vie par les différents acteurs favorisant la conduite de projets de recherche communs.
Mme Maryvonne Blondin a souscrit aux différentes interrogations du rapporteur ; puis elle a souligné que les investissements dans de nouveaux projets entraîneraient des besoins en matière de personnels, alors même que ces derniers souffrent de précarité.
M. Jean-Claude Etienne, rapporteur pour avis, a apporté les éléments de réponse suivants :
- bien que les programmes dédiés à l'environnement et aux entreprises soient du ressort de la commission de l'économie, on peut dénoncer l'utilisation des productions agricoles à des fins industrielles et observer que les connaissances récentes permettent d'ouvrir des perspectives alternatives au pétrole ;
- il convient de combler le manque de brevets exploitables, un pas devant être franchi en matière de coopération avec les entreprises à cette fin ;
- le processus de contractualisation et l'évaluation des projets seront de la première importance. Il sera tenu compte de cette évaluation, les crédits étant versés de façon progressive ;
- les opérateurs publics historiques seront bien entendu concernés et ils nourrissent déjà des projets susceptibles d'être éligibles aux appels d'offres de l'ANR ;
- les modalités de gouvernance posent en effet question, ce qui justifiera un amendement. Il faut cependant relever que le commissaire général à l'investissement, qui est la cheville ouvrière du dispositif, est placé sous l'autorité du Premier ministre et que l'Etat décidera des investissements en dernier ressort. Le rôle du Parlement devra donc être renforcé et l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pourra aussi contribuer au suivi ;
- les politiques culturelles doivent bien entendu être considérées comme des investissements d'avenir car telle est la réalité, notamment pour ce qui concerne la numérisation des oeuvres. Car, à quoi servirait de développer les « tuyaux » si on ne se préoccupait pas, parallèlement, de leur alimentation, c'est-à-dire des contenus culturels ?
- les fonds non consomptibles seront placés au Trésor public qui devrait verser un intérêt de l'ordre de 4 % ;
- s'agissant des personnels, leur prise en compte relève des dépenses de fonctionnement. Il faut rappeler que les secteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche étant prioritaires, ils ne sont pas soumis à la règle du non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux et qu'un plan de revalorisation des carrières des enseignants-chercheurs a été engagé. En revanche, il serait souhaitable d'intéresser davantage les chercheurs aux résultats de l'exploitation des brevets.
La commission a ensuite procédé à l'examen des amendements proposés :
Sous réserve de la prise en compte de ces amendements, la commission de la culture a donné un avis favorable à l'adoption du projet de loi de finances rectificative pour 2010, le groupe socialiste et le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche ne prenant pas part au vote.