- Mardi 30 mars 2010
- Audition de MM. Hervé Gisserot, président-directeur général, Jean-Noël Bail, directeur des affaires économiques et gouvernementales, et David Lechleiter, directeur des opérations vaccins, du laboratoire GlaxoSmithKline France
- Audition de M. François Rousselot, président de la commission des relations médecins-industrie du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM)et M. Francisco Jornet, conseiller juridique du CNOM
- Audition de M. Jean-Claude Manuguerra, président du Comité de lutte contre la grippe
- Mercredi 31 mars 2010
- Audition de M. Bruno Lina, directeur du Centre national de référence des virus de la grippe pour le sud de la France, chef du laboratoire de virologie du CHU de Lyon
- Audition de MM. Jean-Louis Bensoussan, médecin généraliste, président, et Jean-Marie Cohen, médecin épidémiologiste, coordinateur national, du réseau des Groupes régionaux d'observation de la grippe
- Audition de M. Daniel Floret, professeur de pédiatrie à l'université Claude-Bernard de Lyon, président du Comité technique des vaccinations rattaché à la Commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique
Mardi 30 mars 2010
- Présidence de M. François Autain, président -Audition de MM. Hervé Gisserot, président-directeur général, Jean-Noël Bail, directeur des affaires économiques et gouvernementales, et David Lechleiter, directeur des opérations vaccins, du laboratoire GlaxoSmithKline France
La commission d'enquête a tout d'abord entendu M. Hervé Gisserot, président-directeur général du laboratoire GlaxoSmithKline France (GSK), accompagné de MM. Jean-Noël Bail, directeur des affaires économiques et gouvernementales, David Lechleiter, directeur des opérations vaccins, et de Mme Soizic Courcier, directeur médical.
A titre liminaire, M. Hervé Gisserot a indiqué que le groupe GSK dispose en France de quatre sites industriels et d'un site de recherche développement, et emploie près de 50 000 personnes. Il est également le premier laboratoire international en termes d'investissements sur le territoire français, avec 850 millions d'euros investis au cours des trois dernières années.
Il a ensuite présenté la contribution de GSK France dans le contexte de la pandémie H1N1.
Les pandémies peuvent être dévastatrices en termes de santé publique et sur le plan économique. C'est pourquoi depuis près de dix ans, une des priorités de l'organisation mondiale de la santé (OMS) a été d'inciter les gouvernements à se préparer au risque de pandémie et d'encourager l'industrie pharmaceutique à élaborer des solutions adaptées.
Dans ce contexte, GSK France a réalisé de très importants investissements, à hauteur de 2,5 milliards d'euros ces dernières années, dans le domaine de la recherche et pour augmenter ses capacités de production.
Depuis 2005, il a eu des contacts réguliers avec la direction générale de la santé (DGS) pour tenir les autorités informées de ses données cliniques et démarches réglementaires sur le vaccin H5N1. M. Christophe Weber, alors président de GSK, avait été auditionné en novembre 2005 par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la grippe aviaire sur le développement par GSK d'un vaccin adjuvanté.
Depuis le mois d'avril 2009, dans tous les domaines - recherche et développement, industrie, réglementation, pharmacovigilance -, les équipes de GSK se sont mobilisées sans relâche pour faire face aux demandes des Etats face à la crise sanitaire, et le laboratoire a réorienté sa production en fonction des recommandations de l'OMS, décalant dans le temps la production de certains vaccins moins prioritaires en termes de santé publique.
Cette préparation à la pandémie H1N1 s'est notamment appuyée sur la présence industrielle de GSK en France :
- le groupe a accéléré ses investissements dans l'unité de Saint-Amand-les-Eaux pour produire l'adjuvant AS03 ;
- il a signé de nombreux accords de sous-traitance pour le remplissage, qui est le principal goulet d'étranglement de la production de vaccins, et renforcé en interne sa capacité en ce domaine ;
- il a développé l'exportation à partir d'Evreux de la moitié de la production mondiale de l'antiviral Relenza.
M. Jean Stephenne, président de GSK Biologicals Monde, a adressé des courriers réguliers à l'ensemble des gouvernements européens pour les tenir informés en temps réel des progrès réalisés sur les plans industriel, réglementaire et clinique, et des éventuelles difficultés à anticiper.
Evoquant ensuite les conditions et le calendrier des négociations menées par GSK France avec le Gouvernement français, M. Hervé Gisserot a précisé qu'à la demande de la DGS, les discussions se sont accélérées au début du mois de mai 2009, à la suite du premier cas de grippe porcine survenu au Mexique et de la déclaration de pandémie de niveau 5 faite par l'OMS le 29 avril.
Les autorités nationales ont rapidement identifié l'intérêt du vaccin développé par GSK sur trois points essentiels : un dossier de vaccin prototype H5N1 avait déjà été approuvé par l'agence européenne du médicament (EMA) ; il s'agissait d'un vaccin adjuvanté permettant une réduction significative de la quantité d'antigène utilisée et une meilleure protection ; le stockage séparé de l'adjuvant et de l'antigène permettrait d'utiliser le vaccin au-delà de la pandémie.
En réponse à une question de M. Jean-Jacques Jégou, M. Hervé Gisserot a précisé les durées de conservation des deux éléments du vaccin - 18 mois pour l'antigène et 36 mois pour l'adjuvant - ajoutant que le vaccin devait être reconstitué juste avant usage.
Une lettre d'intention portant sur la commande de 50 millions de doses de vaccins, signée par le directeur du cabinet de la ministre de la santé et des sports, a donc été adressée le 14 mai à GSK.
La production du vaccin a démarré le 22 juin, en amont de la signature, le 10 juillet, du contrat avec la France.
Le processus de négociation et de décision a donc été rapide, et géré avec beaucoup d'efficacité, d'exigence sur le plan scientifique et médical et un grand sens mutuel des responsabilités.
Il fallait en effet tenir des délais courts car la capacité de production mondiale étant limitée, la France devait se positionner très vite pour obtenir les quantités souhaitées en l'absence d'un contrat de préréservation avec GSK.
En outre, GSK devait estimer ses propres besoins en termes d'investissements.
Les étapes clés ont été les suivantes :
- l'avis positif de la Commission européenne a été reçu le 29 septembre ;
- la France a reçu une première livraison de 1,1 million de doses le 9 octobre 2009, en même temps que tous les autres pays européens ayant commandé le vaccin.
Au 4 janvier 2010, date de la notification unilatérale par le gouvernement de la modification du contrat, 12,3 millions de doses avaient été mises à disposition, soit 25 % de la commande totale ;
- les 18 millions de doses souhaitées par la France suite à la révision unilatérale du marché ont fini d'être livrées le 16 février 2010 ;
- pour les 32 millions de doses restantes, la grande majorité des étapes industrielles avait déjà été réalisée à la date de la notification du 4 janvier 2010. Toute la production en vrac était ainsi finalisée et la moitié des quantités était déjà conditionnée en flacons ;
- à ce jour, les discussions se poursuivent avec l'EPRUS dans le but d'aboutir à un accord transactionnel, souhaité par GSK et par les autorités françaises. De tels accords ont déjà été signés par GSK dans une vingtaine de pays européens (Allemagne, Hollande, Belgique,...) ainsi qu'au Japon, à hauteur des deux-tiers de la valeur initiale du contrat. GSK a fait sur les mêmes bases une proposition étayée à l'EPRUS.
En conclusion, M. Hervé Gisserot a souligné que GSK avait souhaité faire preuve d'esprit de responsabilité à tous les niveaux : scientifique, contractuel et sociétal.
En termes de responsabilité scientifique et réglementaire, les décisions appartiennent aux autorités mondiales, européennes et nationales compétentes, et la responsabilité du laboratoire est de fournir les données nécessaires pour éclairer ces décisions. Tout au long du développement et de la fabrication du vaccin, les données ont été soumises en intégralité et en toute transparence à l'EMA et à l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) dès qu'elles étaient disponibles.
En termes de responsabilité contractuelle, il est logique, dans le cas d'une vaccination de masse et dans un contexte pandémique, que l'Etat prenne à sa charge la responsabilité de l'utilisation du produit. En revanche, GSK assume pleinement et entièrement sa responsabilité pharmaceutique en termes de qualité des produits délivrés.
En termes de responsabilité sociétale, enfin, depuis l'émergence du risque pandémique au printemps 2009, GSK s'est tenu à une position constante de réserve en termes de communication, considérant qu'il appartenait aux seuls pouvoirs publics de communiquer auprès du grand public sur la stratégie de gestion de la pandémie.
Il a souligné que dans un contexte de grande incertitude scientifique et épidémiologique, pas un jour n'avait été perdu : moins de cinq mois se sont écoulés entre la lettre d'intention et la livraison des premières doses de vaccin le 9 octobre, qui ont permis de démarrer la campagne de vaccination auprès des professionnels de santé.
GSK se veut acteur de santé publique et partenaire dans la durée des autorités françaises, quelles que soient les circonstances. En tant que tel, il est tout à fait ouvert aux réflexions en cours afin de tirer les leçons de l'expérience de la pandémie H1N1 pour mieux préparer les inévitables pandémies du futur.
M. Alain Milon, rapporteur, a posé tout d'abord des questions sur le choix fait par GSK d'investir dans la production pandémique, sur la nature et le montant des investissements réalisés. Notant que le directeur général de la santé avait douté devant la commission d'enquête de la capacité de l'industrie pharmaceutique à répondre à une demande importante de vaccins, il a demandé si ce jugement pouvait s'appliquer à GSK, et si l'entreprise avait accepté des commandes de vaccins H1N1 qu'elle n'était pas en mesure d'honorer. Il a aussi voulu savoir pourquoi GSK n'avait pas répondu à l'appel d'offres lancé en 2005 par le Gouvernement français pour la fourniture de vaccins contre le virus H5N1.
Répondant en premier lieu à cette dernière question, M. Hervé Gisserot a cité les déclarations faites à l'époque par le président de l'entreprise, qui avait indiqué devant la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la grippe aviaire que GSK n'était pas alors assez avancé dans ses recherches pour répondre à cet appel d'offres.
Cependant, a-t-il confirmé en réponse à une observation de M. Michel Guerry, GSK fournissait déjà à la France l'antiviral Relenza et avait l'intention, dès qu'il disposerait d'un vaccin prometteur, d'en informer l'administration française.
M. François Autain, président, s'est étonné que GSK n'ait pas pu répondre en 2005 à l'appel d'offres français alors que l'année suivante il avait passé des contrats de pré-réservation avec le Royaume-Uni et l'Allemagne.
M. David Lechleiter est convenu que quelques mois seulement s'étaient écoulés entre l'appel d'offres français et les négociations entre GSK et d'autres pays. Cependant, la recherche de GSK sur le vaccin pandémique n'avait débuté qu'en 2004. Elle est rapidement montée en puissance, mais il est exact qu'en 2005, le groupe n'était pas en mesure, notamment en matière de capacité industrielle, de répondre à la demande du Gouvernement français. Il a ensuite précisé au rapporteur que les investissements de GSK France dans le secteur du vaccin pandémique s'étaient échelonnés entre 2004 et 2010, et avaient été particulièrement importants en 2005 et 2006. Ils ont financé la recherche développement et les essais cliniques nécessaires à l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché du vaccin pandémique, ainsi que l'anticipation de la mise en place d'une capacité de production adaptée à la demande potentielle des Etats. Cette capacité de production, qui est à la hauteur des engagements pris par le groupe, a été calculée sur la base de rendements hypothétiques fondés sur l'expérience acquise pour le vaccin H5N1 et le vaccin saisonnier. L'hypothèse retenue était celle d'un rendement de 22 microgrammes d'antigènes par oeuf, inférieur aux fourchettes usuelles - entre 40 et 70 microgrammes par oeuf. Cette anticipation prenait aussi en compte d'autres incertitudes tenant à la date de mise à disposition de la souche et au développement de la capacité de remplissage. Les choix faits, fondés sur des hypothèses raisonnables, se sont cependant heurtés au très faible rendement de la souche, qui a surpris tous les laboratoires et l'OMS elle-même et a un peu affecté le processus de production et le rythme des livraisons, même si les premières ont pu être effectuées très tôt.
M. Hervé Gisserot a précisé, à la demande de M. Jean-Jacques Jégou, que la souche utilisée pour élaborer le vaccin H1N1 avait été transmise aux laboratoires par les laboratoires de référence qui travaillent pour l'OMS, et que GSK l'avait reçue le 22 juin 2009.
Détaillant ensuite, à la demande de M. Alain Milon, rapporteur, les négociations entre GSK et le Gouvernement français, il a précisé que la DGS avait demandé au groupe, avec lequel elle était en contact régulier, de proposer une offre dès le début du mois de mai. Cette première phase de discussion, pilotée par M. Didier Houssin, directeur général de la santé, a porté uniquement sur des dispositions de nature médicale et scientifiques. Elle s'est achevée le 14 mai, lorsque GSK a reçu une lettre d'intention signée du directeur du cabinet de la ministre de la santé et portant sur l'achat par la France de 50 millions de doses de vaccin adjuvanté.
M. Jean-Jacques Jégou a demandé si les discussions avec la DGS faisaient apparaître que les achats de vaccins auprès de GSK s'inscrivaient dans une stratégie de vaccination de l'ensemble de la population ou s'ils avaient pour objet de compléter d'autres commandes.
M. Hervé Gisserot a indiqué que la stratégie vaccinale envisagée par les autorités françaises n'a jamais été abordée lors de leurs négociations avec GSK, ni à ce moment ni à un autre - elle n'avait d'ailleurs pas lieu de l'être - et que GSK n'avait pas non plus été informé des commandes passées par la France avec d'autres industriels ni du le montant total des commandes françaises.
M. Guy Fischer a demandé si le Gouvernement avait proposé de fragmenter sa commande.
M. Hervé Gisserot a dit que le Gouvernement aurait peut-être pu souhaiter faire une telle proposition, mais ne l'avait pas formulée : il faut en effet se souvenir que la France n'avait pas effectué de pré-réservation de vaccins, à la différence d'autres pays. La négociation entamée avec GSK avait donc pour objet de la mettre dans la même situation que les pays qui avaient pré-réservé des vaccins - et payé des droits de réservation que la France n'a pas eu à verser. Comme aux autres pays, GSK a donc proposé à la France de lui réserver une part de ses capacités de production. M. Hervé Gisserot a confirmé, à la demande de M. Alain Milon, rapporteur, qu'avant l'envoi de la lettre d'intention, GSK avait assuré le ministère de la santé qu'il serait en capacité de répondre à la commande envisagée par la France, ajoutant que cette lettre ne portait pas seulement sur l'importance de la commande mais aussi sur d'autres éléments.
Après la réception par GSK de la lettre d'intention, la négociation est entrée dans une autre phase. Elle a été alors pilotée par le directeur général de l'EPRUS, M. Thierry Coudert et son directeur général adjoint, le général Claude Avaro, MM. Jean Marimbert, directeur général de l'AFSSAPS, et Noël Renaudin, président du Comité économique des produits de santé (CEPS), ayant également participé à la finalisation du contrat, signé le 10 juillet.
Après la signature du contrat, GSK a poursuivi une relation très opérationnelle avec l'EPRUS, notamment sur les questions logistiques, et a également été en contact régulier avec le cabinet de la ministre de la santé et des sports, qu'il a tenu informé des progrès du dossier réglementaire suivi par l'EMA.
En réponse aux questions de M. Alain Milon, rapporteur, sur le prix unitaire des doses de vaccin, M. Jean-Noël Bail a indiqué que le prix proposé à la France - 7 euros par dose - était le même que celui proposé aux autres clients européens de GSK et qu'il avait été fixé en cohérence avec ceux de son vaccin saisonnier, qui s'échelonnent entre 4 et 15 euros environ selon les pays.
M. Hervé Gisserot a souhaité souligner que ce prix montrait bien que GSK n'avait en rien, comme on le dit parfois, cherché à exploiter une « position de force ». En réalité, ce prix est celui qui avait été prévu, en 2006, dans les contrats de pré-réservation. Il a donc été fixé très en amont, alors que les Etats n'avaient pas « le couteau sous la gorge » et il est d'ailleurs inférieur à ceux prévus par des contrats conclus antérieurement par la France.
M. Alain Milon, rapporteur, a observé que les interlocuteurs de la commission d'enquête avaient cependant mis en avant un rapport de forces favorable aux laboratoires et indiqué que la France avait été contrainte de passer une commande ferme pour la totalité de ses besoins. GSK s'est-il opposé à l'insertion d'une clause optionnelle dans le contrat qu'il a passé avec la France ? D'autres pays ont-ils obtenu de passer des commandes révisables ?
M. Hervé Gisserot s'est demandé ce qu'il fallait entendre par « rapport de forces ». Les laboratoires, eux aussi, ont eu le sentiment de travailler sous la pression des Etats. Il est exact que, pour être assurée d'obtenir la quantité de vaccins qu'elle souhaitait, la France devait prendre un engagement ferme dans un délai relativement court. Ce n'était pas une question de rapport de forces, mais résultait de la réalité de la situation. La France n'avait pas de pré-réservation. Il était encore possible de satisfaire sa demande mais, si cette demande n'était pas ferme, d'autres auraient été servis en priorité. Le groupe GSK a agi de façon responsable en présentant cette réalité de façon claire, car il aurait été effectivement impossible de livrer des commandes non prioritaires avant les premiers mois de 2010.
M. François Autain, président, a observé qu'il n'aurait pas été dramatique qu'une partie des commandes ne puissent être livrées.
M. David Lechleiter a fait valoir que GSK avait souhaité opérer de la façon la plus transparente et la plus consistante possible, mais que deux circonstances avaient pu être ressenties par la France comme des contraintes :
- le souci d'offrir à tous les Etats des conditions équivalentes a pu être perçu comme une absence de flexibilité lors de la négociation du contrat ;
- cette négociation a coïncidé avec le début de la production des vaccins. Le groupe GSK tenait beaucoup à ce que les premières livraisons interviennent le plus tôt possible, et à la même date dans tous les pays, ce qui a pu créer pour la France une contrainte de temps que n'ont pas subie les pays qui avaient pré-réservé les quantités qui leur étaient nécessaires.
M. Hervé Gisserot a conclu qu'il serait sage de tirer les leçons de cette expérience pour se donner les moyens, à l'avenir, de préparer les pandémies de manière plus sereine.
Rappelant qu'il n'y avait eu que trois pandémies au XXe siècle, M. François Autain, président, a estimé qu'il n'y avait pas de raison qu'il y en ait beaucoup plus au cours de celui-ci, et il s'est étonné de la tendance à perpétuellement attendre et annoncer des pandémies - de syndrome respiratoire aigu sévère, de grippe H5N1, de grippe H1N1... - qui, heureusement, ont tendance à ne pas se produire.
M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé sa question sur le refus d'une clause de révision et a en outre interrogé M. Hervé Gisserot sur le souhait de GSK d'être exonéré de sa responsabilité de fabricant. Ce choix était-il motivé par une incertitude sur la qualité du processus de production des vaccins ?
M. Hervé Gisserot a réaffirmé que GSK souhaitait que la France prenne un engagement ferme. Ce n'était évidemment pas au laboratoire de déterminer le montant de la commande, mais il fallait que celle-ci soit ferme. Une clause de révision aurait posé à cet égard le même problème qu'une commande optionnelle.
M. Alain Milon, rapporteur, a observé qu'il aurait été concevable de prévoir une révision du contrat lorsqu'il est apparu qu'une seule dose de vaccin suffisait, dans la grande majorité des cas, à protéger contre le virus.
M. Hervé Gisserot a relevé qu'il s'était avéré qu'une clause de révision n'était pas indispensable pour permettre la résiliation partielle du contrat.
M. Jean-Jacques Jégou a demandé si, lors de leurs négociations avec les différents Etats, des représentants du groupe avaient pris en compte le risque de résiliation unilatérale et si le prix proposé permettait une couverture au moins partielle de ce risque.
Avouant n'être pas un expert en droit comparé des marchés publics, M. Hervé Gisserot a douté que le pouvoir de résiliation unilatérale de l'administration existe dans tous les pays européens. Il a précisé, à ce sujet, que GSK ne conteste nullement cette règle du droit français mais considère qu'elle doit s'accompagner d'une juste indemnisation du préjudice qui en résulte.
Il a ajouté que l'éventualité d'une telle résiliation n'avait jamais été soulevée et que les seules inquiétudes de GSK avaient été de pouvoir assurer les livraisons qu'on leur réclamait à cor et à cri.
M. Jean-Jacques Jégou a demandé un bilan de l'exécution du marché et des quantités livrées.
Mme Marie-Christine Blandin s'est associée à cette demande et a souhaité savoir à quoi correspondaient exactement les 9,8 millions de doses détenues par l'EPRUS. Combien de doses ont été utilisées ? Y a-t-il eu des retours de vaccins livrés ?
Confirmant que l'annulation d'une partie des commandes n'avait jamais été envisagée au cours des négociations, M. David Lechleiter a apporté les précisions suivantes :
- au 31 décembre 2009, 12,3 millions de doses avaient été livrées et, au début de 2010, des livraisons supplémentaires ont porté les quantités livrées au niveau souhaité par le Gouvernement français, soit 18 millions de doses.
- aucune livraison n'a été retournée, hormis le cas accidentel d'un lot qui n'était pas destiné à la France : GSK a interrompu ses livraisons mais n'a pas repris de doses livrées ;
- en revanche, ainsi que l'a signalé M. Hervé Gisserot, le processus complet de production de la commande française devant s'étaler sur 22 semaines, la production de la totalité des quantités commandées à l'origine était réalisée en vrac ; pour les trois quarts de cette production, la quantité d'antigène avait été dosée et, pour sa moitié, le remplissage des flacons, qui constitue une étape industrielle majeure, avait été effectué ;
- les 9,8 millions de doses détenues par l'EPRUS doivent correspondre à la partie non utilisée des 18 millions de doses livrées.
En ce qui concerne la clause de responsabilité du contrat, M. Hervé Gisserot est convenu qu'elle avait été très discutée, sans doute parce que sa formulation initiale n'était pas suffisamment claire : elle a été largement améliorée avec le concours, en particulier, de MM. Jean Marimbert et Noël Renaudin. Sur ce point, la rédaction du contrat français diffère donc assez nettement de celle des autres contrats. Cependant, sur le fond, GSK n'a jamais envisagé d'abandonner sa responsabilité pharmaceutique. Simplement, dans sa version initiale, la clause de responsabilité tenait compte du fait que que GSK pensait n'être pas en mesure de garantir le respect des bonnes pratiques sur deux points :
- le groupe pouvait être conduit à livrer des vaccins accompagnés de documents rédigés dans une seule langue, ou dans une langue autre que celle demandée ;
- les contrats prévoyaient que les livraisons seraient prises à la sortie d'usine : GSK ne pouvait donc contrôler le respect de la chaîne du froid pendant le transport.
La négociation juridique menée avec l'administration française a permis de clarifier le texte et le partage entre la responsabilité pharmaceutique, liée au respect des bonnes pratiques, qui incombe aux laboratoires, et la responsabilité de l'Etat qui découle de la décision d'utiliser le vaccin.
M. Alain Milon, rapporteur, s'est ensuite interrogé sur les stipulations du contrat excluant toute garantie des délais de livraison, et sur la justification des conditions de confidentialité très étendues prévues à l'annexe D du contrat, qui donnait aussi une liste un peu surprenante des informations non soumises à confidentialité.
M. Hervé Gisserot a indiqué que l'administration française avait souhaité des engagements en matière de délais de livraison : GSK a cependant estimé n'être pas en mesure de les prendre dans un contexte où, ne disposant pas encore de la souche, il ignorait son rendement, et où il ne maîtrisait pas les délais d'octroi des autorisations.
M. François Autain, président, a estimé qu'il aurait pu être envisageable de distinguer entre les causes de retard relevant de la responsabilité du laboratoire et les autres.
M. Hervé Gisserot a insisté sur l'importance des conséquences possibles du rendement de la souche, très faible pour les premiers lots, puisqu'il était de 17 microgrammes, précisant, sur une question de Mme Marie-Thérèse Hermange, que ce chiffre représentait la production d'antigène par oeuf. Ce rendement a pu être doublé, mais le processus permettant son optimisation avait eu des incidences sur les délais réglementaires, car il nécessitait des modifications du dossier. Dans ces conditions, GSK a préféré, plutôt que de prendre des engagements à la légère, informer clairement sur les difficultés possibles et s'efforcer de les surmonter. Au bout du compte, on ne verra sans doute pas beaucoup d'exemples de vaccins qui auront été livrés aussi vite. Les délais annoncés ont en effet été pratiquement tenus, même si la montée en puissance des livraisons a été un peu plus lente que prévu.
M. François Autain, président, a demandé s'il fallait en conclure qu'une clause de pénalités aurait été inutile, faute de trouver à s'appliquer ?
Après avoir précisé, en réponse à une question de M. Jean-Jacques Jégou, que l'autorisation de mise sur le marché du vaccin avait été donnée le 29 septembre 2009, M. Hervé Gisserot a expliqué que les clauses de confidentialité, assez courantes en matière commerciale, répondaient aussi au souci des Etats et il a rappelé ici que l'une des raisons pour lesquelles le contrat français a été conclu sur le fondement de l'article 3-7 du code des marchés publics tenait aux mesures particulières de secret et de sécurité qu'imposait son exécution : il a indiqué, à ce propos, avoir pu mesurer le soin pris par les autorités françaises pour sécuriser des transports de vaccins sur le territoire national.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite demandé s'il était exclu que l'approvisionnement des vaccins puisse, au moins en partie, emprunter les circuits habituels de commercialisation et de distribution des produits pharmaceutiques.
M. David Lechleiter a répondu par la négative, la commercialisation sur le marché privé ne semblant pas adaptée à la distribution d'un vaccin pandémique. Au surplus, le dépôt de dossiers de remboursement dans les différents Etats aurait considérablement allongé les délais.
M. Hervé Gisserot a souligné que la question du rapporteur ramenait à la problématique, qui a été beaucoup débattue, du conditionnement multidose ou unidose. Il a estimé que, dans un contexte où la rapidité des livraisons est primordiale, le conditionnement multidose s'impose, même s'il est pertinent qu'une partie des commandes puissent être assurées sous forme de monodoses. Ce constat contribue aussi à écarter une commercialisation traditionnelle des vaccins pandémiques.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé quand GSK avait acquis la certitude qu'une seule injection suffisait à garantir l'immunogénicité.
Mme Soizic Courcier a indiqué que les résultats des premiers essais cliniques montraient déjà, à la mi-septembre, qu'une seule injection pouvait assurer un degré relativement élevé d'immunogénicité. Cependant il a fallu attendre les confirmations apportées au fur et à mesure des résultats pour que l'EMA puisse statuer fin novembre sur cette question.
M. François Autain, président, a demandé s'il aurait pu envisager une clause résolutoire fondée sur l'éventualité d'une modification du schéma de vaccination à deux injections.
M. Hervé Gisserot a indiqué qu'une telle clause n'avait jamais été discutée, sans doute, a précisé Mme Soizic Courcier, parce que l'on était parti du dossier prototype établi pour le vaccin H5N1, pour lequel une injection unique ne paraissait pas envisageable. On avait en outre, au début, beaucoup d'incertitudes sur la virulence et les possibles mutations du virus H1N1.
M. François Autain, président, a observé que dès le début de l'été on disposait d'éléments permettant d'établir que la grippe H1N1 n'était pas plus grave qu'une grippe saisonnière et que l'on aurait donc pu se poser la question de la nécessité d'une double injection.
Mme Soizic Courcier a objecté que le problème de la virulence du virus était différent de celui de l'immunogénicité et qu'il aurait été difficile d'identifier rapidement les populations pour lesquelles il aurait fallu maintenir un schéma à deux injections.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite demandé des précisions sur l'état des négociations relatives à l'indemnisation compensant la résiliation partielle des commandes, question dont M. Hervé Gisserot a souhaité qu'elle trouve une issue transactionnelle cohérente avec les solutions retenues dans la plupart des autres pays dont GSK a accepté de renégocier les contrats, ainsi qu'avec les relations de partenariat établies entre l'Etat et le groupe GSK.
Mme Marie-Christine Blandin a posé des questions sur le montant du crédit d'impôt recherche correspondant aux travaux de recherche-développement mené par GSK sur le vaccin H1N1, et sur les conditions dans lesquelles étaient organisés des contacts entre les représentants de GSK et l'OMS. Elle a également voulu savoir si le vaccin pandémique H1N1 de GSK, qui est un vaccin adjuvanté, pourrait être utilisé pour une vaccination saisonnière.
M. Hervé Gisserot a indiqué que les études cliniques menées en France dans le cadre de la mise au point du vaccin pouvaient bénéficier du crédit d'impôt recherche et qu'il pourrait communiquer à Mme Marie-Christine Blandin le montant de celui-ci.
Mme Soizic Courcier a ensuite précisé que les collaborateurs de GSK pouvaient participer, à la demande de l'OMS, à des réunions ou à des échanges permettant des confrontations de données, ces contacts n'ayant jamais lieu à l'initiative de GSK. En ce qui concerne le vaccin saisonnier il devrait, selon les recommandations de l'OMS, être un vaccin trivalent intégrant la souche pandémique H1N1. L'adjuvant du vaccin pandémique ne sera pas utilisé dans ce vaccin. En revanche, GSK développe actuellement un vaccin destiné aux personnes âgées dont cet adjuvant pourrait renforcer l'efficacité.
M. Michel Guerry a souhaité savoir jusqu'à quel moment le ministère de la santé avait insisté pour accélérer les livraisons de vaccins en dépit des informations qui permettaient, dès le mois de septembre, de relativiser la gravité de la grippe H1N1.
M. Hervé Gisserot a précisé que ce n'était que dans les premiers jours de décembre que les interlocuteurs de GSK au ministère de la santé avaient semblé anticiper un excès des stocks de vaccins et envisager des scénarios alternatifs reposant notamment sur la cession d'une partie de ces vaccins. Mais, jusque-là, le seul souci exprimé par les autorités administratives était effectivement celui de l'accélération des livraisons.
En conclusion de ce débat, M. François Autain, président, a demandé à M. Hervé Gisserot de lui communiquer les contrats passés entre son entreprise et des experts de la grippe appartenant aux organismes consultatifs publics.
M. Hervé Gisserot a affirmé à ce propos son souci d'améliorer la transparence sur les relations entre industrie et experts, notant que ce serait le meilleur moyen de lever des suspicions qui empêchent de développer les avantages que l'on peut attendre de l'économie de l'innovation et des partenariats entre les secteurs public et privé.
Audition de M. François Rousselot, président de la commission des relations médecins-industrie du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM)et M. Francisco Jornet, conseiller juridique du CNOM
La commission d'enquête a ensuite entendu M. François Rousselot, président de la commission des relations médecins-industrie du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), et M. Francisco Jornet, conseiller juridique du CNOM.
M. François Rousselot a rappelé le cadre juridique des travaux de la commission des relations médecins-industrie du CNOM.
Ces travaux se sont fondés en premier lieu sur le code de déontologie médicale. L'article 5 dispose qu'un médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. L'article 15 encadre les conditions de la participation des médecins aux recherches biomédicales. L'article 24 définit les « avantages » que les médecins ne peuvent accepter. L'article 83 traite des obligations de soumettre au Conseil de l'ordre toute convention passée par un médecin dans le cadre de son exercice professionnel, le conseil départemental vérifiant la conformité de ce contrat avec les prescriptions du code de la santé publique (CSP).
Le cadre législatif et réglementaire s'est précisé au fil des années. Aux termes de l'article L. 4113-6 du CSP, issu de la loi « anti-cadeaux » de 1993, « est interdit le fait (...) de recevoir des avantages en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d'une façon directe ou indirecte, procurés par des entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale ». Toutefois, par exception, ces dispositions ne s'appliquent pas aux conventions qui ont pour objet, notamment, des activités de recherche ou d'évaluation scientifique. De même, les rémunérations ne sont pas calculées de manière proportionnelle au nombre de prestations ou produits prescrits.
L'article L. 4113-9 du code de la santé publique traite de la compétence des conseils départementaux pour les contrats.
La loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, a prévu des procédures de déclaration des liens d'intérêts et de prévention des conflits d'intérêts (article L. 1421-3-1 du code de la santé publique). Elle impose également aux médecins s'exprimant dans une manifestation publique ou dans les médias de faire connaître au public leurs éventuels « liens d'intérêt » sous peine, éventuellement, de sanctions disciplinaires (article L. 4113-13 du code de la santé publique).
Un décret du 25 mars 2007 a prévu les conditions d'application des dispositions législatives relatives aux conventions et aux liens entre médecins et entreprises, et en particulier les modalités de la consultation des instances ordinales sur les projets de conventions. En effet, le CNOM rend des avis, et non des décisions. Des précisions ont été apportées sur les délais de réponse : deux mois pour les projets de convention et d'études, un mois pour les dossiers d'hospitalité. Après cet avis, c'est l'entreprise qui informe les professionnels, et non le CNOM.
La loi du 26 février 2007 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire a étendu l'obligation, pour les personnes concernées, d'effectuer, lors de leur nomination ou de leur entrée en fonctions, une déclaration mentionnant leurs liens avec les entreprises assurant des prestations, produisant ou commercialisant des produits pris en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale. La loi du 26 février 2007 a prévu que cette déclaration soit également faite annuellement. Par ailleurs, les entreprises doivent rendre publique la liste des associations de patients auxquelles elles apportent des aides.
Le décret 2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires prévoit que les professeurs des universités - praticiens hospitaliers doivent obtenir une autorisation de leur hiérarchie pour exercer une « activité accessoire », notion difficile à cerner.
M. François Rousselot a ensuite détaillé le fonctionnement du CNOM.
Dès 1989, date à laquelle la seule référence était le code de déontologie, le CNOM a installé la commission des relations médecins-industrie qui devait travailler à l'établissement de contacts avec l'industrie pharmaceutique, ce qui n'était alors pas la règle. Depuis la loi dite « anti-cadeaux », cette commission dispose d'un service.
La commission comprend six élus du Conseil national, représentant chacun une région, qui s'adjoignent six membres choisis parmi les élus et anciens élus des conseils régionaux et des conseils départementaux. Le Président, membre du Conseil national, est élu par ses pairs membres du Conseil national. Le service est constitué d'un conseil juridique, d'un responsable de service et de cinq secrétaires.
Les dossiers soumis au Conseil de l'ordre se répartissent en deux grandes « familles », les dossiers d'hospitalité et les dossiers d'études.
Les dossiers d'hospitalité comprennent toutes les interventions de l'industrie du médicament en faveur des enseignements post-universitaires ou tendant à permettre la participation des médecins à des colloques ou congrès. Il s'agit de la catégorie la moins compliquée à traiter, car le CNOM a progressivement installé des règles de fonctionnement : 85 % des dossiers ne présentent pas de difficulté en termes de prise en charge raisonnable, des tarifs, de durée, le CNOM s'assurant aussi que seuls des médecins spécialistes participent à ces congrès. Un des objectifs est d'interdire ce qu'on a pu appeler les « congrès cocotiers » : de tels dossiers ne sont plus proposés au CNOM.
M. François Autain, président, s'est demandé s'il y aurait encore des congrès médicaux s'ils n'étaient pas financés par les industries pharmaceutiques.
M. François Rousselot a souligné la charge financière que représente l'accueil en congrès à Paris de 1 000 praticiens, pendant trois jours, ce qui explique la présence d'expositions scientifiques et de stands.
M. François Autain, président, a observé que d'autres professions libérales ne peuvent pas s'appuyer sur une industrie pour financer de telles manifestations.
M. François Rousselot a répondu que, comme les médecins, les avocats organisent aussi des formations sous la forme de colloques ou de congrès.
Poursuivant son exposé, il a ensuite présenté les dossiers d'études, dont l'examen est plus complexe. Les industriels saisissent le CNOM en lui faisant parvenir un dossier, de plus en plus encadré. L'article L. 4113-6 du code de la santé publique indique les pièces qui doivent y figurer. A la différence des dossiers d'hospitalité, chacun des dossiers est traité par un élu. Il y a 2 000 dossiers par an. Chaque dossier peut concerner un seul médecin ou plusieurs centaines de praticiens.
Les travaux d'un comité de pilotage, organisé à l'initiative du CNOM et regroupant également Les entreprises du médicament (LEEM) et le Syndicat national de l'industrie des technologies médicales (SNITEM), ont permis divers aménagements : la saisie des dossiers sur un réseau Extranet, des procédures simplifiées pour des demandes d'avis très ciblées, des possibilités de saisie en urgence (une réponse est fournie dans les trois semaines), l'existence d'avis implicites, qui sont favorables en l'absence de réponse du CNOM à l'issue d'un délai, de deux mois pour les dossiers d'études. Il n'y a presque plus d'accords implicites sur des dossiers qui n'auraient pas été examinés dans les délais.
Les avis sont rendus éventuellement après une demande de complément d'informations ou de précisions, les délais étant suspendus pendant cette demande. Les avis sont adressés aux industriels qui doivent les communiquer aux médecins contractants.
Pour sa part, le service de la commission des relations médecins-industrie informe régulièrement l'ensemble des conseils départementaux des avis rendus. En effet, les conseils départementaux reçoivent ensuite les contrats signés par les médecins, conformément à l'obligation de transmission prévue par la loi. Les industriels ne sont pas tenus de respecter les avis. Ils peuvent décider de donner suite à leurs projets, malgré l'avis défavorable du CNOM.
Les avis du CNOM n'excluent pas les contrôles. En particulier, la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) est responsable de la lutte contre les fraudes. Interrogée par le CNOM, la DGCCRF a répondu qu'il n'y avait pas de jurisprudence, ce qui peut s'expliquer par différentes hypothèses : l'absence de plainte, le classement sans suite ou l'absence de condamnation.
M. François Rousselot a ensuite précisé que la seule circulaire d'application date de la promulgation de la loi en 1993. Elle n'a jamais été réactualisée depuis, ni par la DGCCRF, ni par le ministère.
La loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (dite loi HPST) a modifié les dispositions de l'article L. 4113-6 du code de la santé publique, en permettant à l'ordre des médecins d'enclencher des poursuites disciplinaires à l'encontre des praticiens.
Les 40 000 dossiers d'hospitalité traités chaque année sont très divers, « de la pause café à quinze euros à un déplacement de quatre-vingts urologues pour un congrès aux Etats-Unis ». Les dossiers d'études sont de l'ordre de 2 000 par an. Le nombre de demandes d'avis est stable, de même que la proportion d'avis défavorable, de l'ordre de 10 à 15 %.
Pour quelles raisons la commission rend-elle des avis défavorables ? Certaines procédures sont hors délai ; des documents peuvent manquer ; assez souvent, le CNOM peut être amené à revenir sur des dispositions insuffisantes, en particulier en ce qui concerne la confidentialité des études. En effet, la loi prévoit que la confidentialité est absolue, et cette clause doit être reproduite dans son intégralité, ce qui pose souvent problème pour des dossiers internationaux.
Sur la question des experts, M. François Rousselot a observé que les conventions de collaboration entre un industriel et un médecin suivent un circuit différent. En effet, ces travaux ne concernent pas des activités telles que la prescription de médicaments et la réalisation d'actes. Il ne s'agit pas non plus de travaux de recherche ou d'évaluation, qui entreraient dans le cadre de l'article L. 4113-6.
Les contrats sont adressés aux conseils départementaux et le CNOM n'a donc pas à en connaître. Il peut obtenir des renseignements auprès des conseils départementaux qui traitent du plus grand nombre de conventions, à commencer par le conseil départemental de Paris où sont inscrits la moitié des professeurs des universités - praticiens hospitaliers (PUPH) de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), soit un peu moins de 10 % de l'ensemble des PUPH. L'organisation actuelle ne permet pas d'avoir une gestion transparente.
Il a relevé que le rapport de la commission d'enquête pourrait formuler une proposition de modification législative sur ce point.
M. François Autain, président, a noté tout l'intérêt de cette suggestion.
Puis M. François Rousselot a indiqué que, lors de leur examen des contrats, les conseils départementaux vérifient qu'il n'y a pas de clause anti-déontologie, que les honoraires sont en adéquation avec le travail fourni et que la convention est conforme aux usages.
A propos de la pandémie grippale, la commission des relations médecins-industrie du CNOM n'a eu à traiter que de sept dossiers d'études qui lui ont été soumis à compter de décembre 2008.
M. François Autain, président, a souhaité obtenir des précisions sur ces dossiers, en rappelant que les travaux de la commission d'enquête portent sur les missions de conseils des entreprises, ainsi que les missions confiées à certains médecins hospitaliers pour être investigateurs, les promoteurs étant généralement des laboratoires privés. Ces sept dossiers d'investigation ont-ils porté sur des médicaments ayant un rapport avec la grippe ?
M. François Rousselot a précisé qu'un des dossiers avait été déposé par un médecin travaillant avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), à propos d'une étude de Sanofi Pasteur sur deux séries de 9 000 et 5 000 vaccins. Une autre étude, réalisée par les laboratoires Roche, était relative à l'Oseltamivir chez le nourrisson.
M. François Autain, président, a relevé qu'il ne s'agissait pas de convention d'experts, mais de demandes de conseil des entreprises.
En réponse à une question de M. Alain Milon, rapporteur, M. François Rousselot a indiqué que ces études portaient sur des nombres très variables de médecins et de patients.
M. François Autain, président, a demandé communication de ces documents. Il a souhaité connaître la nature des contrats entre les laboratoires et les experts de la grippe.
M. François Rousselot a répondu que les conseils départementaux disposaient de ces données. Il fournirait ces documents.
M. François Autain, président, a demandé si certains laboratoires recouraient à l'expertise de « leaders d'opinion ». Il a envisagé d'auditionner les représentants du conseil départemental de Paris, qui devrait comprendre un nombre important d'experts.
M. François Rousselot a observé qu'il n'existait pas de statut d'expert sanitaire, de nombreux éléments étant simplement déclaratifs.
A une question de M. Alain Milon, rapporteur, s'il était demandeur d'un tel statut, M. François Rousselot a répondu que cela permettrait de disposer d'un annuaire, mais que les critères de définition seraient complexes.
M. François Autain, président, a relevé que ce serait de la compétence du législateur.
M. François Rousselot a conclu, à propos des conflits d'intérêts, que le CNOM avait procédé à une très large communication auprès des médecins, dans son bulletin, par ses circulaires, par une information auprès des conseils départementaux et des échanges avec le syndicat national de la presse médicale. Le CNOM a joué son rôle de relais.
Enfin le CNOM disposerait prochainement d'un outil informatique au sein du service de la commission des relations médecins-industrie. Le cahier des charges est validé, des réponses ont été reçues suite à l'appel d'offres. Le choix du prestataire doit intervenir dans les prochains jours.
Il était attendu non pas tant une augmentation des capacités de traitement des dossiers, que la création d'une base de données permettant de faire des requêtes en utilisant le numéro de Répertoire Partagé des Professionnels de Santé (RPPS). Le CNOM disposerait enfin d'une liste de tous les médecins avec leurs spécialités, alors qu'il existe actuellement des « différences troublantes » entre le CNOM et d'autres professions, comme les assureurs. Des requêtes pourraient aussi être opérées par laboratoire et type de recherche, même si des redondances étaient possibles.
Il a estimé que les travaux du comité de pilotage du CNOM avec le LEEM et le SNITEM ont permis un réel progrès. Toutefois, à aucun stade de la pandémie, les autorités de tutelle ou les agences sanitaires n'ont sollicité le CNOM pour connaître des experts et des expertises.
Enfin, il a relevé que les cotisations ordinales des médecins représentaient une part importante du budget du Conseil national, ce qui assurait son indépendance. Le CNOM pouvait ainsi couvrir ses dépenses, notamment de personnel, de défraiement des élus, informatiques et l'envoi chaque année de plusieurs milliers de lettres recommandées.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité disposer d'un bilan général de l'application de l'article L. 4113-6 du code de la santé publique.
Quel est le nombre annuel, depuis l'entrée en vigueur de la loi de 2002, des conventions transmises aux conseils départementaux, au Conseil national par les conseils départementaux et directement au Conseil national ? Constate-t-on une évolution ?
Peut-on établir une typologie de ces conventions ?
M. François Rousselot a rappelé que les médecins devaient s'adresser aux conseils départementaux, et pas au Conseil national, en application de la loi.
Selon lui, cette organisation fonctionnerait mieux s'il existait une sorte de guichet unique. Si certains départements, régulièrement sollicités, sont dotés d'un conseil juridique et d'un secrétariat développé, tous les départements n'ont pas les mêmes moyens et écrivent alors au CNOM.
Actuellement, le CNOM n'a pas de retour des conventions que le médecin a l'obligation de déclarer. Il est possible d'imaginer qu'une convention ne devienne applicable que tamponnée et retournée.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé quels sont les critères des instances ordinales pour fonder leur avis sur les conventions entre médecins et entreprises qui leur sont soumises.
M. François Rousselot a observé que les études parviennent avec un avis du Comité de Protection des Personnes (CPP).
M. François Autain, président, a noté que ces dispositions étaient en cours de réforme.
M. François Rousselot a ajouté que l'avis du CPP représente un premier filtre « très sérieux ». Une étude que le CPP a refusée reçoit un avis défavorable. Puis le CNOM examine les modalités pratiques du contrat, notamment le respect du code de déontologie, la confidentialité et la proportionnalité entre la charge de travail et le niveau des honoraires.
Une bonne partie des études sont internationales et les laboratoires répondent qu'il s'agit des tarifs internationaux. En cas de refus, le risque est qu'il n'y ait pas de recherche française.
Après avoir souligné son attachement à la recherche française, il a fait référence au rapport de l'IGAS concernant l'enquête sur la rémunération des médecins et chirurgiens hospitaliers : aux Etats-Unis, le niveau des rémunérations est supérieur de 40 % à celui qui existe France, laquelle se classe avant-dernière sur le plan international, juste avant la Suisse.
Dans l'hypothèse où le CNOM juge les honoraires trop élevés, la recherche n'est pas faite en France. Il porte donc une « lourde responsabilité ».
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité connaître les éléments d'appréciation du CNOM sur les niveaux de rémunération.
M. François Rousselot a alors fait référence à la page 73 du rapport de l'IGAS précité, en rappelant que l'IGAS s'était émue du montant de certains contrats entre les médecins et les laboratoires pharmaceutiques.
Par exemple, le maximum des honoraires versés à un orateur formation s'est élevé à 90 000 euros, mais sans préciser s'il s'agit d'une ou trois années d'exercice, ni de une ou vingt-cinq prestations.
Puis, il a cité le dossier d'une personne « très pointue » qui avait été missionnée pour effectuer quatre déplacements internationaux. Compte tenu notamment des heures de transport aérien, elle avait été rémunérée à un niveau de l'ordre de soixante euros par heure, tout en étant absente pendant quinze jours. Ces honoraires importants ne lui semblent pas excessifs, par comparaison avec d'autres professions libérales.
M. François Autain, président, a indiqué que la commission d'enquête entendrait les auteurs du rapport de l'IGAS.
Afin d'utiliser au mieux le tableau de la page 73 du rapport de l'IGAS, M. François Rousselot a formulé des observations sur la moyenne de 6 961 euros des honoraires versés pour les activités de conseil. En effet, le maximum des honoraires versés s'élève à 600 000 euros et la médiane des honoraires atteint 2 250 euros, soit seulement le tiers des honoraires moyens. Le contrat de 600 000 euros tire donc la moyenne vers le haut.
Il a estimé que, en soi, ce montant de 600 000 euros « n'était pas choquant », en observant que, à l'Université de Berkeley un parking était réservé aux Prix Nobel : compte tenu du prix de leurs prestations horaires, l'Université avait certainement « intérêt à ce qu'ils se garent vite ».
Il a ajouté que le rapport de l'IGAS ne précisait pas qui avait reçu ces honoraires.
M. François Autain, président, a rappelé que les informations sur les conventions fournies à l'IGAS étaient anonymes.
M. François Rousselot a relevé d'autres erreurs dans le rapport de l'IGAS sur les seuls sujets relevant de sa compétence. En particulier, le paragraphe 237 (p. 75) indique que « le partenariat avec l'industrie pharmaceutique peut revêtir deux formes différentes selon le statut du médecin ». Le partenariat n'ayant « rien à voir avec le statut », il a souligné que c'était une erreur. Le statut correspond à la différence entre le public et le privé.
La troisième phrase du paragraphe 238 (p. 75) du rapport de l'IGAS affirme : « ce contrat doit être communiqué par le médecin au conseil départemental de l'Ordre dont il dépend mais aucune obligation de nature réglementaire ne lui est faite d'informer son employeur principal ». Or le décret 2007-658 du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires prévoit, au contraire, que le médecin doit obtenir l'autorisation de sa hiérarchie pour exercer une activité dite accessoire.
Suite à une observation de M. Alain Milon, rapporteur, M. François Rousselot a répondu que les agents des trois fonctions publiques peuvent cotiser au régime de prévoyance de la fonction publique (Préfon).
Concluant sur l'obligation d'informer la hiérarchie pour l'exercice d'une activité accessoire, il a indiqué qu'une commission de l'AP-HP allait demander que tous les contrats comportent ce rappel. Le CNOM soutient cette position et émettra un avis défavorable sur les conventions ne comportant pas ce rappel.
M. François Autain, président, a déploré que, avant l'obligation introduite par la loi, certains directeurs d'hôpitaux ne soient pas informés. Des chefs de service ne pouvaient pas se consacrer pleinement à leurs activités de recherche. Il n'y avait pas de compensation financière de ces absences pour l'hôpital.
M. Francisco Jornet a ajouté que, outre un problème d'application de la loi HPST, le législateur avait affirmé clairement, dès 1993-1994, que les conventions passées entre les médecins et les industriels devaient être notifiées aux directeurs d'établissements. A l'occasion d'enquêtes conduites par les Chambres Régionales des Comptes (CRC), certaines CRC avaient sollicité les conseils départementaux pour obtenir ces contrats. Les conseils départementaux avaient répondu qu'ils s'efforceraient d'aider les CRC, tout en faisant part de leur étonnement puisque la loi avait prévu que ces conventions soient notifiées au directeur d'établissement.
M. François Autain, président, a déclaré qu'il faudrait résoudre ce problème d'application de la loi.
M. François Rousselot a souligné le souhait du CNOM que l'obligation soit effective.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé quels sont les moyens dont dispose le CNOM pour avoir connaissance des conventions de l'ensemble des médecins.
M. François Rousselot a répondu que l'informatisation devrait aider le CNOM en ce sens. Il est prévu que les conseils départementaux insèrent les données dont ils traitent, mais 90 % des dossiers sont inter-départementaux. Cette base doit permettre de recouper les données, dans un souci de transparence.
A une question de M. Alain Milon, rapporteur, sur les propositions du CNOM que pourrait reprendre la commission d'enquête, il a souligné son souhait que les obligations existantes soient réellement appliquées, en particulier les déclarations aux établissements. Par ailleurs, le guichet unique du CNOM permettrait des simplifications, puisqu'il n'y aurait plus d'éventuelles diversités d'appréciation des dossiers. Une seule commission donnerait des avis cohérents, alors que la multiplication des intervenants augmente les risques de divergence.
M. François Autain, président, s'est demandé s'il ne craignait pas que certains conseils départementaux soient hostiles à cette réforme, puisqu'ils perdraient quelques prérogatives.
M. François Rousselot a estimé qu'il y aurait toujours des insatisfaits. Il ne s'agit pas d'un problème d'enregistrement ou d'une question technique. L'objectif est qu'il n'y ait plus de distinction entre, d'une part, les contrats d'investigateurs et, d'autre part, les contrats d'experts, d'orateurs et de consultants qui suivent un autre circuit.
M. Francisco Jornet a précisé qu'il s'agirait d'une centralisation à deux niveaux, où toutes les études convergeraient vers le Conseil national. Aujourd'hui, il est difficile de s'y retrouver.
Mme Marie-Christine Blandin a souhaité disposer de précisions sur les sept dossiers d'études soumis au CNOM à propos de la pandémie grippale, seuls deux d'entre eux ayant été évoqués : quels sont les laboratoires impliqués ? Dispose-t-on de données sur les rémunérations ? Quelles sont leurs dates ?
M. François Rousselot a indiqué qu'un dossier soumis en novembre 2009 concernait une étude, postérieure à l'autorisation de mise sur le marché, à propos de la tolérance d'un vaccin chez les enfants âgés de plus de vingt mois. Un avis favorable a été donné sur l'étude, mais il n'est pas en mesure d'indiquer si elle a été réalisée, et donc de répondre à l'ensemble des questions posées par Mme Marie-Christine Blandin.
Les autres dossiers concernent une étude épidémiologique réalisée avec l'Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique (EHESP), une étude internationale de décembre 2008 des laboratoires Roche sur la résistance aux antiviraux, un dossier de décembre 2009 du groupe Hoffmann-La Roche, deux études réalisées par GSK et une autre par Sanofi Pasteur.
M. François Autain, président, a demandé des fiches sur chacun de ces dossiers, incluant la convention.
M. François Rousselot a indiqué qu'il communiquerait à la commission d'enquête tous documents utiles.
En conclusion, il a réitéré son souhait d'un guichet unique. Il souhaite disposer d'un instrument permettant de gérer le devenir des avis du CNOM. Aujourd'hui, les conseils départementaux enregistrent seulement les demandes. L'avis du CNOM est plus scientifique, éthique et déontologique.
Audition de M. Jean-Claude Manuguerra, président du Comité de lutte contre la grippe
La commission d'enquête a enfin entendu M. Jean-Claude Manuguerra, président du Comité de lutte contre la grippe (CLCG).
M. Jean-Claude Manuguerra a d'abord souhaité faire état du fait que certains experts sont très profondément blessés du soupçon qui pèse sur leur probité et a manifesté sa totale solidarité avec les autres membres du CLCG.
En tant que virologue, il a été confronté à la grande plasticité du virus grippal saisonnier et pandémique qui est un véritable fléau de santé publique. L'exemple des pandémies du vingtième siècle ayant montré que l'arrivée des vaccins était souvent trop tardive, l'organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en place un plan de lutte contre les pandémies en 1999, spécialement destiné à face au virus H5N1 dont la létalité est de 60 %. Il est important de conserver à l'esprit, quand on analyse les recommandations de l'OMS en 2009, que celles-ci se plaçaient dans le cadre d'une pandémie asynchrone à l'échelle mondiale et qu'il s'agit de recommandations moyennes susceptibles de s'appliquer dans des pays aux situations très diverses en termes de santé publique. C'est aux fins d'une meilleure adaptation des plans pandémiques aux réalités nationales que, sur recommandations de l'OMS, des groupes d'experts nationaux ont été constitués. Le CLCG prend ainsi la suite d'une instance créée en 1995. Ses missions et sa composition résultent d'un décret du 25 juillet 2008.
M. Jean-Claude Manuguerra a présenté sa déclaration d'intérêt ainsi que ses liens personnels et ceux du laboratoire d'analyses virologiques qu'il dirige avec les industries pharmaceutiques sur les trois dernières années.
M. François Autain, président, a souhaité savoir pourquoi la déclaration des liens d'intérêt des membres du CLCG, prévue par l'article L. 1421-3-1 du code de la santé publique, avait été si tardive. Le comité a été constitué en juillet 2008 et les déclarations n'ont, semble-t-il, été publiées qu'en novembre 2009.
M. Jean-Claude Manuguerra a indiqué que certains membres du Comité avaient déjà remis des déclarations d'intérêt au titre des autres institutions auxquelles ils appartenaient ou avaient pu appartenir. La contrainte de temps liée à la pandémie de grippe A (H1N1)v a également retardé la remise de déclarations d'intérêt.
M. François Autain, président, a considéré que la pandémie grippale n'était pas une raison valable pour ce retard.
M. Jean-Claude Manuguerra a précisé que sur les dix-sept membres du Comité, quinze avaient déposé une déclaration d'intérêt dès la fin 2008. L'article 5 du règlement intérieur du CLCG prévoit la remise des déclarations d'intérêt, conformément à la loi, mais aucun formulaire spécifique au Comité n'a encore été adopté. Une relance de la procédure de recueil de déclarations d'intérêt était prévue au printemps 2009 mais a été retardée par la grippe.
Le problème est qu'il existe une multiplicité de types de déclarations d'intérêt. Les différentes institutions n'ont pas les mêmes exigences tant sur la nature des liens à déclarer que sur la période de temps couverte. Dans la mesure où il n'existe pas de formulaire standardisé pour effectuer une déclaration d'intérêt, on ne peut attendre des experts qu'ils sachent spontanément ce que cette déclaration doit comprendre comme informations. Il s'agit là d'une tâche administrative que les experts, qui consacrent à l'expertise une part de leur temps qui vient en supplément de leur activité principale, ne peuvent assumer. Le formatage des déclarations d'intérêt et l'organisation de leur collecte nécessitent qu'une personne spécifique s'en occupe.
M. François Autain, président, a souligné que la ministre de la santé a déclaré, lors de son audition, avoir rappelé les membres du CLCG à leur devoir de déclaration. Il n'y a rien en soi de répréhensible à avoir des liens d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique et c'est l'absence de transparence qui est cause d'inquiétude.
M. Jean-Claude Manuguerra a rappelé l'attachement des experts au respect des obligations légales de transparence mais a considéré que son rôle en tant que président du CLCG n'était ni d'administrer les déclarations publiques d'intérêt ni de juger d'éventuels conflits d'intérêt.
M. François Autain, président, a demandé si ce rôle incombe à la Direction générale de la santé (DGS).
M. Jean-Claude Manuguerra a constaté l'absence de gestion des questions relatives aux déclarations d'intérêt. Il a affirmé que les avis du CLCG sont soumis au vote et qu'ils ont jusqu'à présent toujours été consensuels. L'impartialité des avis est garantie par l'expertise collective. Par ailleurs, le CLCG s'est exprimé sur les vaccins en tant que groupe de travail du comité technique des vaccinations (CTV) dont tous les membres remettent une déclaration d'intérêt. Les avis du CLCG ne sont repris par le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) qu'après amendement par le CTV et la commission « maladies transmissibles » du Haut Conseil.
La moitié des membres du CLCG représentent des institutions publiques et ils n'ont émis aucun désaccord sur les avis. On ne peut donc considérer que le CLCG est soumis à l'influence des laboratoires.
Le CLCG s'est réuni dès le lendemain de l'alerte pandémique lancée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Jusqu'au 31 janvier 2010, il a rendu quarante-trois avis, ce qui fait une moyenne d'une réunion et d'un compte rendu tous les six jours, tous les cinq jours entre mai et juin. Les réunions étaient téléphoniques ou physiques selon le cas. Les membres du CLCG se sont rendus particulièrement disponibles, alors même qu'ils exerçaient par ailleurs d'autres fonctions. M. Jean-Claude Manuguerra lui-même est directeur d'un laboratoire analysant les prélèvements grippaux et travaillant avec les centres de référence, au moment où les diagnostics de la nouvelle forme de grippe étaient particulièrement problématiques.
Par ailleurs, la définition de la pandémie relève de l'OMS qui l'a fait évoluer en 2009 après deux ans et demi de travaux et une large consultation des experts internationaux. M. Jean-Claude Manuguerra s'est étonné que l'identité des membres du groupe d'experts sur la grippe de l'OMS n'ait pas été révélée. Il a indiqué qu'en septembre 2009 un nouveau groupe d'experts a été constitué au sein de l'OMS et qu'il est l'un de ses onze membres.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir comment se sont articulés les travaux du CLCG avec ceux du Haut Conseil de la santé publique, quelles étaient les instances susceptibles de saisir le conseil et quels sont les liens entre les membres du CLCG et les autres instances d'expertise nationales et internationales.
M. Jean-Claude Manuguerra a signalé que le CLCG a l'obligation de remettre un rapport annuel, ce qu'il a fait pour l'année 2008-2009. Sa compétence s'étend aux recommandations en matière vaccinale, aux populations cibles et prioritaires. Il s'occupe de questions médicales et agit en tant que groupe de travail du CTV, lui-même inclus dans le Haut Conseil de la santé publique. Le CLCG comprend en son sein des membres tant du CTV que du HCSP pour assurer la fluidité de l'information.
M. François Autain, président, a constaté que les avis du CLCG ne sont pas publics.
M. Jean-Claude Manuguerra a confirmé que la question de la publicité des avis du CLCG s'était posée au moment de sa constitution. Mais le HCSP n'ayant pas souhaité l'intégration du comité en son sein, en raison sans doute d'un rythme de réunions peu compatible, ses avis ne bénéficient pas de la publicité de ceux du HCSP. De plus, le CLCG est appelé à se prononcer sur l'intérêt des vaccins contre la grippe avant que ceux-ci n'aient obtenu leur autorisation de mise sur le marché (AMM), ce qui implique nécessairement la confidentialité.
Le CLCG a toujours considéré en matière de vaccination que si les moyens le permettaient, il fallait la proposer à tous ceux qui le souhaitaient.
M. François Autain, président, s'est interrogé sur la complexité des instances qui peut nuire à la qualité de l'expertise.
M. Jean-Claude Manuguerra a estimé que tel n'est pas le cas à l'heure actuelle. La composition du CLCG est relativement stable depuis qu'il avait été créé sous la forme d'un groupe d'experts sur les questions liées à la grippe en 1995. Il a d'ailleurs été constitué pour répondre à une recommandation de l'OMS sur la mise en place d'une expertise nationale en ce domaine. Cette stabilité s'explique par le petit nombre de personnes qui centrent leurs travaux sur la grippe et elle a permis au CLCG de trouver sa place parmi les groupes d'experts.
En réponse à M. Alain Milon, rapporteur, M. Jean-Claude Manuguerra a indiqué que le directeur général de la santé et le président du CTV ont la capacité de saisir le CLCG des questions relatives à la grippe. Le CLCG a, par ailleurs, la possibilité de s'autosaisir.
Les experts compétents en matière de grippe étant peu nombreux, les agences se tournent toujours vers les mêmes, ce qui explique que beaucoup de membres du CLCG participent à d'autres instances comme l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) et l'Agence française de sécurité sanitaire et des produits de santé (AFSSAPS) qui est d'ailleurs elle-même représentée au sein du CLCG. Il n'existe par contre aucun lien organique entre le CLCG et l'OMS qui choisit les experts qu'elle consulte en fonction d'un dosage géopolitique, et recourt à des nominations intuitu personae. Il semble toutefois qu'aucun membre du CLCG n'appartienne au comité d'urgence créé par l'OMS.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé pourquoi, lors de sa réunion du 5 mai, le CLCG avait contesté les premières analyses provenant des Etats-Unis sur l'absence de marqueur de virulence de la grippe espagnole chez le virus A (H1N1)v. La mission de M. Jean-Claude Manuguerra au Mexique lui a-t-elle permis de se faire une idée de la virulence du virus ?
M. Jean-Claude Manuguerra a répondu qu'il n'y avait pas d'opposition a priori entre les analyses du Center for Disease Control (CDC) et celles du CLCG. Les circonstances expliquent sans doute cette divergence d'analyse. La mission qu'il a conduite au Mexique avait pour but d'essayer de préfigurer la situation française à partir de l'expérience mexicaine. Plus précisément, il était important de voir comment l'augmentation rapide du nombre de cas pouvait être traitée en matière de diagnostic. Il est en effet essentiel de pouvoir surveiller une éventuelle mutation du virus pendant la pandémie, mais les capacités de diagnostic individuel sont nécessairement rapidement dépassées. Il faut donc assurer une transition entre la surveillance individuelle et la surveillance populationnelle. A partir du cas mexicain mais aussi des Etats-Unis, qui a fait cette transition au moment de la mission de M. Jean-Claude Manuguerra au Mexique, des éléments ont pu être collectés pour l'évolution de la situation en France.
M. François Autain, président, a estimé que l'évolution de la grippe était donc considérée comme prévisible, au moins pour partie.
M. Jean-Claude Manuguerra a insisté sur le fait que l'expertise présente un scénario probable mais ne peut présenter de certitudes car il est impossible de compter le nombre de cas de grippe. L'expérience du Mexique a néanmoins été précieuse pour la France.
M. Alain Milon, rapporteur, a interrogé M. Jean-Claude Manuguerra sur l'avis du 10 mai du CLCG qui laisse penser qu'une vaccination partielle de la population était plus efficace si elle commençait après le début de la pandémie.
M. Jean-Claude Manuguerra a indiqué qu'à sa connaissance le CLCG s'était surtout intéressé à la grippe saisonnière lors de cette réunion.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé pourquoi il était prévu d'intégrer le virus A (H1N1)v dans le vaccin contre la grippe saisonnière.
M. Jean-Claude Manuguerra a précisé qu'à l'heure actuelle la vaccination pandémique conserve un intérêt individuel, mais qui est assez faible en raison du niveau négligeable de la circulation du virus en France. Cependant dans l'hémisphère sud, la saison pendant laquelle peut se produire un deuxième pic pandémique n'est pas encore achevée, et la vaccination des voyageurs peut donc être utile.
M. François Autain, président, a souhaité savoir pourquoi l'OMS avait recommandé l'intégration du virus A (H1N1)v dans le vaccin saisonnier de l'hémisphère sud.
M. Jean-Claude Manuguerra a souligné que l'OMS, lors de sa réunion de février, n'a fait qu'indiquer la souche de virus qui pourrait être incluse dans le vaccin saisonnier. Il faut bien comprendre la différence entre un vaccin pandémique et un vaccin saisonnier. Les virus pandémiques sont ceux auxquels la population est confrontée pour la première fois, au cours d'une ou deux années. S'ils s'installent durablement dans le paysage microbien, les virus pandémiques deviennent saisonniers. L'une des indications que le virus pandémique actuel est susceptible de devenir saisonnier est qu'il a supplanté cette année le virus H1N1 classique. Par ailleurs, il convient de noter que le virus est particulièrement stable.
M. François Autain, président, a demandé comment on pouvait considérer que le virus pandémique était nouveau puisqu'une partie de la population, les plus âgés, était déjà immunisée.
M. Jean-Claude Manuguerra a déclaré que la partie de la population déjà immunisée ne l'était que partiellement et grâce à son exposition avec un lointain parent du virus actuel. Pasteur ayant montré que la génération spontanée n'existait pas, les virus actuels sont bien les descendants de virus anciens. Ils se composent de huit gènes qui se réassortissent jusqu'à trouver une coopération fonctionnelle nouvelle et efficace. Parmi ces gènes, le H1 est le prépondérant et c'est à lui qu'a été exposée une partie de la population.
M. François Autain, président, a demandé s'il est nécessaire de vacciner tous les enfants contre le virus A (H1N1)v.
M. Jean-Claude Manuguerra a répondu que le champ de la vaccination nécessaire est très difficile à prévoir. On ne sait pas quelles seront les populations cibles du virus saisonnier. S'agira-t-il des populations jeunes comme pour la grippe espagnole ou des populations âgées comme pour la grippe saisonnière ? L'OMS n'a pas encore résolu cette question.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir pourquoi, lors de sa réunion du 12 mai 2009, le CLCG avait estimé qu'une vaccination à double dose n'était « pas aberrante ».
M. Jean-Claude Manuguerra a indiqué que les experts et les autorités sanitaires avaient été pris de cours par l'émergence du virus et s'étaient donc référés au modèle le plus probable qui était le virus H5N1. Or, celui-ci est très peu immunogène et nécessite donc, pour répondre aux critères de l'European Medicines Agency (EMA), une double dose de vaccination. Ce n'est qu'à partir d'août que des études cliniques ont pu être conduites pour mesurer l'efficacité de l'antigène contenu dans le vaccin actuel et que l'on a pu se rendre compte qu'une seule dose suffisait.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé quelle est la justification médicale de la mise à disposition de vaccins pour l'ensemble de la population si l'intérêt de la vaccination est individuel, dès lors que la pandémie est commencée.
M. Jean-Claude Manuguerra a souligné la difficulté à prendre des décisions en matière de stratégie vaccinale en raison du faible nombre d'équipes susceptibles de construire des modèles. En l'occurrence, c'est le modèle construit par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et l'Institut de veille sanitaire (InVS) à la demande du CLCG pour la grippe H5N1 qui a été utilisé. Il convient de noter que ce modèle repose sur l'efficacité vaccinale telle que décrite dans les AMM et non pas sur une simple estimation de cette efficacité comme c'est le cas pour les modèles britanniques. Le modèle de stratégie vaccinale a montré qu'une vaccination précoce peut avoir un impact sur le déroulement de l'épidémie voire même l'empêcher. Cette stratégie collective est efficace si la vaccination a lieu avant le début de la pandémie. Si la vaccination commence après le début de la pandémie, la vaccination conserve un intérêt individuel et limite le nombre de cas graves et de décès. Mais définir la stratégie vaccinale est particulièrement difficile quand on ne connaît pas les populations cibles du virus.
M. François Autain, président, a commenté que 20 % de la population française pouvaient déjà être écartés en tant que population cible parce que trop âgés pour être atteints par le virus.
M. Alain Milon, rapporteur, a noté que ceci laisse 80 % de la population. Il a souhaité savoir quelles avaient été les conclusions du groupe de travail mis en place par le CLCG pour actualiser la fiche technique sur la stratégie et les modalités d'organisation de la vaccination.
M. Jean-Claude Manuguerra a souligné que le CLCG ne s'était prononcé que sur l'aspect médical de la vaccination et non sur les questions de logistique.
M. Alain Milon, rapporteur, a précisé que la question portait essentiellement sur le nombre de doses commandées.
M. Jean-Claude Manuguerra a réaffirmé que le CLCG estimait que la vaccination devait pouvoir être proposée à tous ceux qui le souhaitaient, à condition que les moyens le permettent.
M. François Autain, président, a considéré qu'en septembre les experts et les autorités disposaient de suffisamment d'éléments pour revoir à la baisse le nombre de vaccins commandés.
M. Jean-Claude Manuguerra a insisté sur le fait que la situation pandémique dans l'hémisphère sud ne pouvait être un indicateur de ce qui allait se produire dans l'hémisphère nord, notamment en raison de la possibilité d'évolution du virus et de la différence des systèmes de santé. Il est nécessaire de conduire des études sur l'efficacité de la vaccination avant de pouvoir se prononcer sur le succès de la stratégie vaccinale qui a été menée.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si le fonctionnement du réseau des groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG) en matière de surveillance de la pandémie avait été efficace.
M. Jean-Claude Manuguerra a indiqué que le réseau GROG répondait aux besoins d'assurer une surveillance de l'évolution de la pandémie au sein de la population générale après la fin du renvoi systématique des cas au Centre 15.
Mme Marie-Christine Blandin a demandé si les membres du CLCG avaient conduit une réflexion sur la manière dont les Français recevaient les messages liés à la vaccination. Une telle approche a été conduite aux Etats-Unis et a amené les autorités à ne pas recourir aux adjuvants en raison des réticences de l'opinion publique.
M. Jean-Claude Manuguerra a répondu que de telles réflexions n'ont pas été conduites mais que le rapport d'experts de 2003 sur l'organisation de la vaccination en cas d'urgence sanitaire avait une approche qui paraît beaucoup plus pragmatique en termes de relations avec la population et de recours à la médecine de ville que celle finalement retenue dans le plan d'urgence qui a été mis en oeuvre pour la grippe A (H1N1)v.
M. Serge Lagauche s'est interrogé sur la justification de commander une telle quantité de vaccins alors que l'on ne disposait à l'évidence pas du temps matériel pour les utiliser.
M. Jean-Claude Manuguerra a mis en avant la lourdeur des décisions prises par les autorités sanitaires et la difficulté qu'il y a à les rectifier. Les contrats de commande des vaccins ont été passés pendant l'été, avant l'arrivée de la pandémie en France. Le démarrage de la pandémie a d'ailleurs été plus tardif dans notre pays, peut-être grâce aux mesures prises. On pouvait craindre, au moment des commandes, qu'une deuxième vague pandémique survienne plusieurs mois après la première et espérer que la première vague serait bénigne et permettrait de vacciner la population avant la survenance de la deuxième. La raison essentielle du retard dans la livraison des vaccins est le manque de productivité des souches vaccinales qui n'a été connu qu'en juillet-août.
M. François Autain, président, a jugé que la réponse des autorités sanitaires n'avait pas été calibrée car il n'y avait pas eu d'évaluation du risque.
M. Jean-Claude Manuguerra a rappelé que le risque est particulièrement difficile à déterminer pour ce qui concerne un virus grippal. Le 25 novembre, un virus mutant a été détecté en Norvège qui montrait par ailleurs des signes de résistance au traitement dans la version analysée par le centre de référence Pasteur. Il y avait là le risque émergent d'un renouveau de la pandémie. Heureusement, ce virus n'a pas eu le temps d'entamer de phase de transmission de l'homme à l'homme.
M. François Autain, président, a demandé pourquoi la vaccination est aujourd'hui interrompue en France si l'on craint une deuxième vague.
M. Jean-Claude Manuguerra a jugé que les conditions d'une deuxième vague pandémique ne sont pas réunies mais qu'il s'agit d'une chance.
M. François Autain, président, a déclaré que la vaccination contre la grippe n'avait eu aucune efficacité réelle car le taux de mortalité et de morbidité dans l'hémisphère nord n'a pas été différent de celui de l'hémisphère sud qui n'avait pas eu de vaccin. Les mesures prises étaient disproportionnées et de toute façon trop tardives. Le scepticisme des professionnels de santé face à la vaccination était d'ailleurs un signe à prendre en compte. Les décisions prises auraient dû être réorientées dès que les données sur la virulence réelle du virus ont été connues.
M. Jean-Claude Manuguerra a rappelé que l'absence d'effet barrière d'une vaccination de l'ensemble de la population après le début de la pandémie telle qu'elle a été relevée par le HCSP, découle des avis du CLCG. Il est important de tirer des leçons constructives de la gestion de la pandémie et de ne pas avoir de réaction exagérée. Dans l'hémisphère sud, la saison grippale n'est pas encore véritablement arrivée, ce qui justifie le maintien de l'alerte de niveau 6 par l'OMS. Par ailleurs, la France n'a pas été le seul pays à faire le choix de vacciner l'ensemble de sa population, ce qui montre que cette décision n'était pas irrationnelle.
M. François Autain, président, a considéré que l'écart entre le nombre de vaccinations effectives et le nombre de commandes indique qu'il y a quand même eu un problème.
M. Jean-Claude Manuguerra a indiqué que plusieurs études sur l'efficacité de la vaccination sont en cours ou vont être engagées. Des évolutions en matière de gestion des pandémies sont sans doute souhaitables, comme celle d'effectuer une gradation selon la sévérité du virus.
M. François Autain, président, a estimé qu'il convient de se garder de tout alarmisme en matière de pandémie car il n'y en a eu que trois au vingtième siècle qui se sont montrées heureusement de moins en moins meurtrières. Il est important que les experts s'attachent à une évaluation plus exacte des menaces et reconnaissent leurs erreurs quand ils en commettent. La population a fait preuve, semble-t-il, de plus d'expertise que les experts.
M. Jean-Claude Manuguerra a insisté sur le fait que les experts reconnaissent leurs erreurs quand ils en commettent mais qu'il convient d'être prudent quand on se réfère à l'attitude de la population à l'égard de la vaccination. Dans les faits, l'adhésion a varié selon l'imminence du danger. Si le risque lié au virus s'était concrétisé, l'administration aurait été critiquée pour ne pas avoir donné accès suffisamment rapidement aux vaccins. De plus, le 25 novembre donc très tard, un dérapage était encore possible. On ne peut pas changer plusieurs fois de stratégie en fonction des évolutions successives du virus.
M. François Autain, président, a estimé que le principal problème lié à la gestion de la pandémie est que la crédibilité de la vaccination et plus généralement celle de la parole publique en ont été fortement amoindries.
M. Jean-Claude Manuguerra a considéré qu'il y a effectivement un travail à conduire sur la communication publique et l'acceptation des mesures par la population. Les citoyens semblent très réticents au fait d'accepter l'idée que le risque zéro est impossible. Il faudrait qu'ils puissent accepter l'idée que dans certaines circonstances la puissance publique ne protégera pas tout le monde mais adoptera un scénario moyen en matière de prévention.
M. François Autain, président, a signalé que la maîtrise de la définition de la pandémie par l'OMS était devenue source de scepticisme et qu'il convient de s'interroger sur l'action internationale en ce domaine.
M. Jean-Claude Manuguerra a répondu que cette pandémie avait été l'occasion d'appliquer pour la première le règlement sanitaire international de l'OMS et qu'il y aura des leçons profitables à en tirer en matière de coordination sanitaire.
Mercredi 31 mars 2010
- Présidence de M. François Autain, président -Audition de M. Bruno Lina, directeur du Centre national de référence des virus de la grippe pour le sud de la France, chef du laboratoire de virologie du CHU de Lyon
La commission d'enquête a tout d'abord entendu M. Bruno Lina, directeur du Centre national de référence des virus de la grippe pour le sud de la France, chef du laboratoire de virologie du CHU de Lyon.
M. François Autain, président, a demandé à M. Bruno Lina pourquoi, lors de ses nombreuses interventions dans la presse, il n'était pas fait état de ses liens avec les industries du secteur que la loi l'oblige pourtant à déclarer avant toute intervention publique.
M. Bruno Lina a indiqué que le débat postérieur à la pandémie grippale a été l'occasion pour lui de modifier son comportement en matière de déclaration d'intérêt et de mieux appliquer les dispositions légales qu'il connaissait mal. Auparavant, il ne déclarait ses liens d'intérêt que sur demande et non pas spontanément comme c'est désormais le cas. Ceci s'applique également à ses déclarations dans la presse, étant observé que les journalistes ne reprennent pas systématiquement la mention des liens déclarés. Si la mention des conflits d'intérêt directs est simple, il serait utile de clarifier la définition de ce que peuvent être les conflits d'intérêt indirects plus difficiles à identifier.
M. François Autain, président, a déclaré que la meilleure solution est sans doute d'assurer une véritable étanchéité entre le public et le privé et d'éviter que les experts qui conseillent l'industrie conseillent également le Gouvernement ou les autorités sanitaires.
M. Bruno Lina a fait état de ses fonctions en tant que professeur des universités - praticien hospitalier (PU-PH) aux hospices civils de Lyon et directeur d'un laboratoire de virologie qui comporte deux centres de référence affiliés à l'organisation mondiale de la santé (OMS). Il dirige par ailleurs une unité de recherche du CNRS sur la grippe et il est intervenu en tant qu'expert auprès d'instances nationales, étrangères, européennes et internationales, dont l'OMS. Il a également des liens avec les entreprises du secteur.
M. François Autain, président, s'est interrogé sur la compatibilité entre des activités aussi nombreuses et des fonctions dans un service hospitalier.
M. Bruno Lina a précisé qu'avoir une fonction auprès de multiples institutions ne se traduisait pas forcément par des réunions fréquentes. Une part importante de ses liens avec l'industrie découle de l'idée qu'il se fait de sa fonction d'enseignant et des messages qu'il estime avoir à faire passer tant auprès du secteur privé que du grand public. Les interventions qu'il est amené à faire ont en général un caractère pédagogique et ne sont pas rémunérées, car il estime être déjà payé pour ses fonctions par l'Etat.
M. François Autain, président, a rappelé à M. Bruno Lina une déclaration faite à la presse dans laquelle il affirmait qu'une déclaration d'intérêt n'avait pas de sens si elle n'était accompagnée de la mention des sommes perçues.
M. Bruno Lina a confirmé ces propos et a indiqué que dans sa dernière déclaration fiscale, le montant de ses revenus au titre de ses relations avec l'industrie s'élevait à 5 000 euros.
Il a signalé qu'en tant que membre de droit du Comité de lutte contre la grippe (CLCG) il lui avait été indiqué qu'il n'était pas obligé de faire une déclaration d'intérêt. C'est à sa demande, et suite à un échange avec les autorités sanitaires que sa déclaration, complétée, a été publiée sur le site du ministère.
M. François Autain, président, a estimé qu'une telle situation était contradictoire avec la déclaration faite par la ministre de la santé, qui a affirmé devant la commission d'enquête avoir rappelé les membres du CLCG à leur devoir de déclaration. Il a souhaité savoir qui avait indiqué à M. Bruno Lina que la publication en ligne de la déclaration d'intérêt des membres de droit de ce comité n'était pas obligatoire.
M. Alain Milon, rapporteur, a souligné que la publication des déclarations d'intérêt n'implique pas nécessairement leur mise en ligne sur l'internet.
M. Bruno Lina a précisé que l'information sur la publicité des déclarations lui avait été donnée par la direction générale de la santé (DGS). Il a complété sa réponse en indiquant qu'il n'était membre ni du comité technique des vaccinations ni du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). En tant que membre du CLCG, il a été sollicité à de multiples reprises au cours de la pandémie, le comité ayant pour mission de recueillir le plus grand nombre possible d'informations sur le virus pour pouvoir donner des avis. Il a souligné que le CLCG est un groupe collégial dont les décisions sont prises par consensus. La qualité de ses débats tient à la diversité des spécialités médicales qui y sont représentées et à celles des institutions qui en sont membres. Les discussions ont toujours été menées à leur terme ce qui a permis l'émergence du consensus dans les avis donnés.
M. Alain Milon, rapporteur, a regretté que la participation d'un pneumologue aux travaux du CLCG n'ait été que très récemment prévue.
M. Bruno Lina a indiqué que la participation d'un pneumologue était un enrichissement mais que son absence antérieure était sans doute due au non-remplacement d'une personnalité nommée. Il a rappelé la forte mobilisation des membres du CLCG pendant toute la durée de la pandémie grippale.
M. Alain Milon, rapporteur, a noté que le virus a été plus rapide que le vaccin, ce qui a mis en échec son effet barrière. Faut-il rechercher une réponse aux pandémies grippales au-delà de la réponse vaccinale, et comment améliorer notre dispositif antipandémique ?
M. Bruno Lina a rappelé que le CLCG a toujours considéré que la vaccination est un pilier de la lutte contre la pandémie. Il y avait, au début de la pandémie H1N1, énormément d'incertitudes sur la virulence, la possibilité de mutation et la diffusion du virus. Les modèles utilisés permettaient d'étudier l'évolution de la pandémie en fonction de la réponse vaccinale et la stratégie pouvait évoluer si la vaccination était plus tardive qu'on ne l'avait souhaité. En l'absence d'effet barrière, le vaccin permet quand même d'assurer une protection individuelle. Certes, l'efficacité vaccinale n'est pas de 100 % mais elle est « coût-efficace » dans la mesure où elle permet de réduire la morbidité et la mortalité. Les études menées sur l'efficacité des vaccins ont majoritairement porté sur ceux destinés à la lutte contre la grippe saisonnière. S'il faut distinguer les essais cliniques des études sur l'efficacité d'un vaccin lors d'une véritable attaque virale, on peut néanmoins estimer que le niveau d'efficacité du vaccin est de 60 % à 70 % face à une épidémie massive. Une campagne vaccinale large permet donc une protection en anneau qui s'étend progressivement à l'ensemble de la population.
Si l'épidémie commence avant le début de la campagne vaccinale, il est nécessaire d'avoir recours à des mesures d'hygiène et aux antiviraux qui permettent de réduire l'impact en termes de mortalité de la grippe pandémique et de retarder la transmission du virus.
Si le vaccin présente donc toujours un bénéfice, force est de constater que la réponse vaccinale au cours de la pandémie a été très tardive et a à peine pu procurer un bénéfice individuel. Il faut cependant se rappeler qu'on ne maîtrisait ni le calendrier de fourniture des doses ni la date de début de la pandémie.
M. François Autain, président, a rappelé que le niveau des commandes était maîtrisé et que certains pays avaient fait le choix de ne pas commander de vaccins.
M. Bruno Lina a admis que ces Etats semblent a posteriori avoir fait le bon choix mais qu'il semble néanmoins que pendant la pandémie ils ont quand même sollicité le secours de l'OMS pour obtenir des vaccins.
Il reste que les difficultés liées aux vaccins n'ont pas été bien anticipées. Il y a beaucoup d'enseignements à tirer du déroulement de la pandémie. A titre personnel, M. Bruno Lina a considéré que la pandémie de 1918 avait été exceptionnelle de par la virulence de l'attaque virale et que la pandémie de 2009 était également exceptionnelle par son absence d'impact clinique. Il n'y a eu au vingtième siècle que deux pandémies véritablement comparables, celle de 1957 et celle de 1968.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si le CLCG s'était montré trop alarmiste.
M. Bruno Lina a répondu que le CLCG avait intégré des informations relatives à la pandémie au fur et à mesure de leur disponibilité et qu'il ne faut pas oublier que celles disponibles début mai étaient très alarmantes.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir si l'exemple de l'hémisphère sud avait été suffisamment étudié pour la définition de la stratégie française de lutte contre la pandémie.
M. Bruno Lina a indiqué qu'en septembre l'Institut national de veille sanitaire (InVS) a effectivement organisé une réunion où les Etats de l'hémisphère sud ont présenté leur expérience face à la pandémie. Trois messages s'en dégageaient :
- le virus A (H1N1)v n'avait aucun facteur de pathogénicité ;
- la mortalité de la grippe était inférieure à ce qui avait été craint ;
- mais les services de réanimation étaient débordés par l'afflux de cas graves.
On pouvait penser que le virus présentait un fort risque de transformation et donc d'augmentation de sa virulence. En cela, l'exemple de l'hémisphère sud n'était pas totalement transposable et il aurait été dangereux de baisser la garde. L'anticipation du danger était le seul moyen de protéger une population cible, qui n'était pas la même que celle de la grippe saisonnière face aux formes graves.
M. François Autain, président, a souhaité savoir si l'augmentation de la virulence du virus A (H1N1)v est encore à craindre et pour combien de temps.
M. Bruno Lina a estimé que le virus circulera probablement encore l'hiver prochain mais sans que l'on puisse savoir quelle sera sa gravité.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé ce qui peut justifier l'inclusion de virus A (H1N1)v dans le vaccin contre la grippe saisonnière si la population cible n'est pas la même.
M. Bruno Lina a expliqué que l'apparition d'un virus pandémique se traduit par la disparition du virus saisonnier. Le virus H1N1 saisonnier avait ainsi disparu après 1968 avant d'être remis en circulation en 1977 suite à une intervention humaine. Il a de nouveau disparu, ce qui signifie qu'il n'a plus de réservoir humain, suite à la pandémie. Il est désormais remplacé par le virus A (H1N1)v. L'incertitude repose sur le devenir du virus H3N2, en circulation depuis 1968. Il représente à l'heure actuelle moins de 1 % des détections, ce qui implique qu'il a tendance à disparaître. Mais il est encore impossible de savoir si les deux virus vont coexister en tant que virus saisonniers ou non. L'expérience de l'hémisphère sud sera sur ce point très instructive.
Un virus pandémique qui devient saisonnier change de cible en matière de population. Ainsi, les femmes enceintes sont touchées au cours d'une pandémie cinq à dix fois plus que la population générale mais elles ne sont pas particulièrement affectées par le virus saisonnier. Les raisons de cette différence sont encore inconnues.
La campagne de vaccination saisonnière de l'hiver prochain devrait donc être compliquée à organiser car on sait qu'il y aura une épidémie, mais on ne sait pas quel en sera le facteur. Ou on ignore en effet si l'on assistera à une épidémie saisonnière de virus H1N1 ou à une deuxième vague de la pandémie A (H1N1)v.
M. François Autain, président, a demandé si les populations âgées qui semblent être protégées contre le virus H1N1 continueraient de l'être.
M. Bruno Lina a répondu qu'en effet les personnes âgées ont été relativement épargnées par la pandémie H1N1. Cette situation pourrait cependant évoluer si le virus changeait.
M. François Autain, président, a observé que le virus avait été jusqu'à présent très stable, ce qui est du reste étonnant.
Partageant ce jugement, M. Bruno Lina a noté que cette stabilité était contradictoire avec la présence d'une population immunisée, qui favorise normalement les mutations des virus. Il y a donc une incohérence quelque part.
M. François Autain, président, a remarqué que l'on pourrait être tenté de conclure que c'était le virus qui avait manipulé tout le monde.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité revenir sur la question de l'efficacité du dispositif anti-pandémique.
M. Bruno Lina a souligné que ce dispositif associait des composantes diverses et que certaines des actions menées avaient été efficaces.
M. François Autain, président, a noté que l'acquisition de masques n'en était pas un exemple.
M. Bruno Lina est convenu que les besoins de recours aux masques avaient été clairement surestimés. En revanche, le renforcement des unités de réanimation a été un succès et a permis, par exemple à Lyon, de répondre aux besoins et de permettre que les choses se passent le mieux possible quand il y avait des cas graves.
Le recours à la médecine de ville n'a en revanche pas été optimal et, en ce qui concerne la campagne de vaccination et son organisation, il y a manifestement des choses à revoir.
On a aussi constaté que les avis et recommandations du comité de lutte contre la grippe étaient formulés « en temps réel », mais qu'il y avait souvent un décalage entre le message et le moment où il était relayé. Or, certains messages pouvaient être cohérents à un moment donné et ne plus l'être à un autre. Cela a été le cas en ce qui concerne les recommandations de recours aux antiviraux, dont l'évolution et les justifications ont été mal comprises.
L'organisation de la vaccination était aussi un problème très compliqué. D'abord parce qu'il était difficile d'anticiper l'ampleur de l'épidémie. Il paraissait cependant raisonnable de penser que les généralistes n'auraient ni le temps ni la possibilité d'organiser la logistique de la vaccination, en plus de la prise en charge des malades. Cela militait en faveur de la mise en place d'une organisation spécifique, qui a malheureusement souffert de défauts de fonctionnement à tous les échelons.
M. Alain Milon, rapporteur, a regretté que la réaction à la pandémie ait donné l'impression d'être dominée par une « pensée scientifique unique » privilégiant une vision plutôt catastrophiste des choses. Il s'est demandé si une telle unanimité correspondait à la réalité du débat scientifique et si elle pouvait favoriser la qualité du débat public et celle de l'information du public.
M. Bruno Lina a reconnu qu'à un moment donné, le comité de lutte contre la grippe s'était posé cette question dans le courant de l'automne, ses membres se demandant s'il n'était pas « trop consensuel ». Et, de fait, il était très consensuel. Il n'y avait pas de voix dissonantes. M. François Autain, président, a cependant observé qu'il en avait pour sa part entendu.
M. Bruno Lina a observé que celles - rares - qui s'étaient élevées avaient surtout critiqué le coût des mesures prises. Mais l'on n'a pas vraiment discuté la réalité de la pandémie.
Ce problème de « pensée unique » tient sans doute au fait que l'on avait « le nez dans le guidon », sans possibilité de prendre du recul, de faire une pause pour prendre le temps d'analyser la situation, de réfléchir à des mesures correctives.
Sans doute, aurait-il fallu avoir une autre approche.
Mais à la lumière des vraies pandémies du passé, le constat est quand même lourd. En 1968, il y a eu 30 000 décès, c'est considérable.
M. François Autain, président, a remarqué qu'au cours du vingtième siècle, le nombre des décès imputables aux pandémies avait beaucoup baissé.
M. Bruno Lina a observé que le calcul de la mortalité n'était pas tout à fait le même. Il y a eu sans doute cette année plus de morts dues directement à la grippe mais la mortalité, la surmortalité sont très inférieures à ce que l'on craignait.
Mme Christiane Kammermann a posé une question sur le diagnostic clinique de la grippe et sur les raisons pour lesquelles la vaccination pour l'hiver prochain serait compliquée à organiser.
M. Bruno Lina a souligné qu'au cours de la vague épidémique il y avait eu des efforts pour essayer d'affiner les diagnostics afin de « flécher » les patients.
Le diagnostic clinique conduit à une surestimation du nombre des cas de grippe. Ainsi, une publication du centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) met en évidence qu'il y a eu, en septembre et en octobre, un peu de grippe mais surtout une épidémie importante due à un rhinovirus. Après, à partir de la fin du mois d'octobre, c'est vraiment le virus de la grippe qui a circulé.
On ne peut donc pas s'appuyer seulement sur des signes cliniques.
La difficulté, pour organiser la vaccination pour l'hiver prochain, est de savoir quel sera le virus responsable de l'épidémie.
Si on a une grippe saisonnière, on sait quelles sont les catégories de personnes qu'il faut protéger - les personnes âgées, celles qui souffrent de problèmes respiratoires.
Si l'on a affaire à une deuxième vague de H1N1, les personnes menacées ne seront pas les mêmes.
Donc, pour définir une stratégie efficace, il va falloir savoir quelles seront les « cibles » à protéger. On n'a pas actuellement de recommandation pour définir les candidats à la vaccination.
M. Michel Guerry a demandé quand l'OMS avait considéré que la pandémie était de niveau 5.
M. Bruno Lina a répondu que le niveau 5 avait été déclaré le 29 avril, et le niveau 6 le 11 juin. Pour l'OMS, nous sommes d'ailleurs toujours au niveau 6.
M. François Autain, président, a demandé à M. Bruno Lina pourquoi il avait été partisan d'un passage, en France, au niveau 6.
M. Bruno Lina a expliqué que l'on avait eu, au moment où la question s'était posée, le sentiment qu'il y avait une dynamique d'évolution importante à l'étranger, avec des cas en Espagne, au Royaume-Uni, et une augmentation progressive des cas en France.
Mais il fallait aussi anticiper la lourdeur du passage au niveau 6. La DGS, en fait, a décidé d'utiliser les outils correspondant au niveau 6 sans y passer. Le niveau 5 correspond à des critères de dangerosité et de diffusion, le niveau 6 prend en compte uniquement la diffusion.
M. Michel Guerry a estimé qu'il était difficile de faire comprendre cette classification et a demandé si, un jour, on allait se décider à dire que la pandémie était finie.
M. Bruno Lina a expliqué qu'il existait une phase 7, qui correspond à une phase post-pandémique, de consolidation, et que l'on ne passerait pas directement à la phase 1 - qui est celle de l'absence de pandémie.
M. Alain Milon, rapporteur, a estimé que ce passage à une phase 7 risquait d'être perçu comme une aggravation de la situation, difficulté dont M. Bruno Lina a dit que l'on pourrait l'éviter en évoquant plutôt une phase « post-pic ».
M. Michel Guerry a rappelé que l'on avait évoqué en 2009 une situation « exceptionnelle » et très alarmante, et puis que le virus avait disparu.
M. Bruno Lina a dit que le virus n'avait pas disparu. Actuellement, il n'y a pas de problème en France, mais l'épidémie reprend en Uruguay. Le virus disparaît à un instant, dans un pays, mais il revient ailleurs. Il circule toujours et, au niveau de l'OMS, on doit tenir compte de ce qui se passe dans l'ensemble des pays.
Si l'on passe, au niveau planétaire, au stade « post-pic », il y aura un certain nombre d'outils de lutte contre la pandémie que l'on ne pourra plus utiliser.
M. Michel Guerry a observé que si, en France, le virus a disparu, on aurait mieux fait de réfléchir et de commander un peu moins de vaccins.
M. Bruno Lina a rappelé que la décision d'acheter des vaccins pour 47 millions de Français correspondait à un choix politique qui a été effectué à un moment donné.
M. François Autain, président, a demandé si le CLCG avait été consulté sur cette décision.
M. Bruno Lina a dit que le comité n'avait pas été consulté sur le nombre de doses à commander mais qu'il avait été consulté le 10 mai sur la vaccination dont il avait considéré qu'elle devait rester un pilier de la lutte anti-pandémie. Entre le 15 et le 20 mai, on recevait des informations très importantes, des signaux très alarmants, on évoquait un taux de mortalité de 10 %.
M. François Autain, président, a souligné que ces chiffres étaient en fait erronés. Il s'est étonné que le CLCG n'ait pas été consulté sur la décision d'acheter les vaccins, M. Bruno Lina objectant qu'il n'était pas compétent pour répondre à une question sur le nombre de doses à commander.
M. Michel Guerry a rapproché le nombre des morts dues, en France, à la grippe A - 310 - et les chiffres de la mortalité imputés à la grippe saisonnière, qui se situent entre 2 000 et 6 000 décès chaque année. Il a noté que l'OMS évaluait à 17 000 le nombre des victimes de la grippe H1N1 pour l'ensemble du monde.
M. Bruno Lina n'a pas contesté ces chiffrages, mais a remarqué que les décès imputés cette année à la grippe A était « virologiquement prouvés », alors que la mortalité due à la grippe saisonnière est évaluée à partir de la surmortalité - que l'on a d'ailleurs pas observée cette année, ni en France ni ailleurs. Mais la mortalité directement imputable à la grippe saisonnière est infime : sept à vingt personnes par an en France.
M. François Autain, président, a demandé s'il fallait, ainsi, dire que l'on avait eu affaire à une « vraie grippe » peu meurtrière ?
Mme Patricia Schillinger a demandé, si les diagnostics cliniques ne suffisaient pas à identifier la grippe, comment comptabiliser les personnes atteintes ? Fait-on des tests ? Les médecins sont-ils vraiment formés pour faire cette comptabilisation ?
M. Bruno Lina a précisé que l'on avait aussi appris que la grippe H1N1 pouvait revêtir une grande diversité de formes. Il y a des cas documentés d'infections sans symptômes. On a vu aussi des formes cliniques très frustres : les gens ne se sentaient pas très bien pendant deux ou trois jours et puis cela passait.
M. François Autain, président, a relevé qu'au fil du temps, les observations sur la grippe avaient aussi beaucoup évolué. Il a en outre posé une question sur les avis opposés relatifs à l'efficacité du Tamiflu que certains, comme le Dr. Tom Jefferson, persistent à juger limitée, voire nulle, dans le cas de la grippe saisonnière.
Portant un jugement favorable sur le caractère ambitieux et scientifique des travaux du Dr. Tom Jefferson, M. Bruno Lina a cependant estimé qu'il fallait distinguer, pour apprécier l'efficacité du Tamiflu, entre les deux périodes de l'évolution de la grippe : la période virologique, pendant laquelle le virus se multiplie, puis la réponse immunitaire.
Un antiviral lutte contre le virus. Il faut donc mesurer son efficacité en termes de diminution de la charge virale.
En revanche, il n'est pas un anti-inflammatoire et il n'aura pas d'effets sur les signes cliniques de la grippe.
Le Tamiflu a montré, quand il a été bien utilisé, son efficacité pour atténuer les formes graves de la grippe H1N1.
Cette efficacité, a affirmé M. Bruno Lina, existe aussi dans le cas de la grippe saisonnière : l'administration précoce de Tamiflu « casse » la dynamique du virus - à condition naturellement qu'il s'agisse bien d'une grippe.
Faut-il alors, a demandé le président François Autain, n'administrer le Tamiflu qu'après un test permettant de confirmer la présence d'un virus grippal ?
En cas de pandémie, a répondu M. Bruno Lina, on peut davantage se fier aux signes cliniques, car le virus de la grippe élimine les autres virus. Il y a donc beaucoup plus de chances pour que ce qui ressemble à la grippe soit effectivement la grippe.
Audition de MM. Jean-Louis Bensoussan, médecin généraliste, président, et Jean-Marie Cohen, médecin épidémiologiste, coordinateur national, du réseau des Groupes régionaux d'observation de la grippe
Puis la commission d'enquête a entendu MM. Jean-Louis Bensoussan, médecin généraliste, président, et Jean-Marie Cohen, médecin épidémiologiste, coordinateur national, du réseau des Groupes régionaux d'observation de la grippe (GROG).
M. Jean-Marie Cohen a, tout d'abord, présenté ses deux principales activités : la direction de l'association des réseaux GROG et sa participation en tant que salarié à l'infrastructure OPEN-ROME, réseau d'observation des épidémies et des maladies, dont moins de 30 % du financement est assuré par des entreprises privées. Il a précisé que le financement du réseau GROG est assuré par l'Institut de veille sanitaire (InVS) à hauteur de 77 % et par l'Institut Pasteur de Paris à hauteur de 23 %. Les dons financiers des entreprises pharmaceutiques, versés à cette structure par le biais de l'Institut Pasteur, font l'objet d'une publicité dans les bulletins des réseaux GROG. M. Jean-Marie Cohen a indiqué avoir participé occasionnellement à des congrès médicaux, mais ne pas avoir de conflit d'intérêt.
M. Jean-Louis Bensoussan a indiqué, quant à lui, être intervenu en tant qu'expert auprès de la Haute autorité de santé (HAS), l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (Inpes). Pour chacune de ces participations, il a procédé à une déclaration publique d'intérêt. En 2009, il a participé à une réunion d'experts organisée par le laboratoire Roche, ainsi qu'à une étude épidémiologique et virologique internationale financée par le même laboratoire.
Il a ensuite présenté le fonctionnement du réseau GROG. Ce réseau, qu'il a rejoint en 1990 et dont il a créé, un an plus tard, l'association GROG-Midi Pyrénées, regroupe des médecins libéraux, des pharmaciens et d'autres structures qui recueillent, entre les mois d'octobre et le mois d'avril de chaque année, des données épidémiologiques (nombre d'actes réalisés, nombre d'arrêts-maladie prescrits, nombre d'infections respiratoires aigües constatées par tranche d'âge) et réalisent des prélèvements virologiques qui sont ensuite transmis pour analyse aux centres nationaux de référence (CNR).
Le réseau GROG constitue ainsi la seule structure en France qui permette de savoir précisément quand un virus grippal apparaît, comment il se développe, quand survient le pic pandémique et quelle est la « queue épidémique », c'est-à-dire quelles sont les formes variantes éventuelles du virus. Il s'agit d'un dispositif proche du terrain.
C'est ainsi que le réseau GROG a pu indiquer au mois de septembre 2009, contrairement aux messages alors relayés par les médias, que le surcroît de consultations constaté dans les cabinets de médecins libéraux n'était pas lié au virus A(H1N1)v. Seuls les prélèvements quotidiens réalisés par le réseau pouvaient le démontrer. A contrario, les données du réseau ont permis de suivre la circulation croissante du virus à partir du mois de novembre 2009 et ensuite sa décroissance une fois la campagne de vaccination commencée.
En tant que membre du Comité de lutte contre la grippe (CLCG), il a, par ailleurs, joué le rôle de relais entre les pouvoirs publics et ses collègues, médecins généralistes. Ainsi a-t-il été un des rares membres du CLCG à attirer l'attention sur le mécontentement des médecins libéraux face à leur non-association à la campagne de vaccination, alors que ces derniers devaient faire face à de nombreuses sollicitations de leurs patients. Son action a été cependant peu suivie d'effet.
M. Jean-Marie Cohen a souhaité insister sur cinq principaux messages :
- la pandémie de grippe A(H1N1)v a été le révélateur du « gouffre » qui oppose les soignants de ville, les autorités publiques et les chercheurs, qui a des conséquences dramatiques pour les finances publiques et qui peut expliquer en partie l'échec de certaines réformes votées par le Parlement dans le domaine de la santé ;
- l'Etat rémunère mal les experts auxquels il fait appel. S'il y a aujourd'hui si peu de médecins libéraux dans les structures d'expertise, c'est en partie parce que ces derniers ne peuvent se permettre d'y participer ;
- le budget de la recherche médicale française est limité. Se pose ainsi la question du financement de la participation des experts aux congrès internationaux : aujourd'hui, si un laboratoire pharmaceutique ne propose pas à un expert de participer à ces colloques, celui-ci ne peut s'y rendre de sa propre initiative ;
- le plan de préparation à une éventuelle pandémie, pourtant à l'étude depuis une dizaine d'années, ne prévoit pas un dispositif opérationnel adéquat de vaccination de masse en cas de pénurie de vaccins, associant les médecins de ville et les préfectures ;
- il a, enfin, regretté les messages alarmistes, relayés par certains médias, sur les conséquences de la pandémie.
M. François Autain, président, a ainsi cité l'exemple d'un article de presse faisant état d'un taux de mortalité liée à la grippe A(H1N1)v deux cent fois plus élevé que celui constaté lors de la grippe saisonnière.
M. Jean-Marie Cohen a indiqué que le discours aujourd'hui communément tenu sur le grippe A(H1N1)v repose sur quatre éléments : 1) la pandémie n'est en réalité qu'une simple épidémie ; 2) les mesures de lutte proposées sont inefficaces, voire dangereuses ; 3) les experts ayant participé à la gestion de la pandémie entretiennent des liens forts avec l'industrie pharmaceutique ; 4) l'achat de vaccins n'a correspondu qu'à la volonté d'accroître le chiffre d'affaires des entreprises pharmaceutiques. Or le bilan devant être dressé de la pandémie fait encore l'objet de nombreuses études. Quant à la dangerosité des vaccins, il convient de constater que les cas de syndromes de Guillain-Barré annoncés sont limités et le lien de cause à effet avec le vaccin contre le virus A(H1N1)v doit encore être démontré. Le réseau GROG est en train d'organiser un colloque sur l'ensemble de ces questions.
En réponse à M. Alain Milon, rapporteur, M. Jean-Marie Cohen a indiqué qu'il est important de signaler que le réseau GROG est financé en majorité par l'InVS car cette situation pourrait créer une certaine influence sur les décisions du réseau GROG.
M. Jean-Louis Bensoussan a précisé que tel aurait pu être le cas lorsqu'en septembre 2009, le réseau GROG indiquait qu'il n'y avait pas d'épidémie de grippe, mais de simples cas de rhinopharyngites tandis que l'InVS, s'appuyant sur d'autres réseaux de veille sanitaire, annonçait le contraire.
En ce qui concerne la circulation du virus A(H1N1)v, elle a débuté en France dès le mois de juin 2009, mais les infections respiratoires aigües liées à ce virus étaient alors peu nombreuses. Ce n'est qu'à partir du mois de septembre que la circulation du virus a commencé à se développer.
Il a précisé que la « crainte collective » face au risque pandémique a en revanche débuté beaucoup plus tôt et pouvait être mesurée par trois éléments : 1) le nombre d'articles de presse consacrés à ce sujet ; 2) le nombre de connexions à certains sites du réseau Internet ; 3) les ventes de Tamiflu en ligne.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir quelles leçons peuvent être tirées des modalités d'organisation de la campagne de vaccination et notamment de la mauvaise association des médecins libéraux et des pharmaciens à celle-ci.
M. Jean-Marie Cohen a indiqué que le Gouvernement ne pouvait faire d'autre choix que celui de ne pas associer les médecins généralistes, ces derniers n'étant pas prêts à faire face à une campagne de vaccination qui nécessitait, compte tenu du nombre limité de vaccins, de définir des populations « prioritaires ». D'un point de vue logistique, les pouvoirs publics ont considéré qu'un tel dispositif n'était pas envisageable. De leur côté, les médecins généralistes ont considéré que la vaccination au sein de centres de vaccination allait rapidement montrer ses limites.
M. Jean-Louis Bensoussan a nuancé les propos de M. Jean-Marie Cohen en précisant que les médecins généralistes n'étaient pas prêts pour faire face à une pandémie de type H5N1. Or, à partir du mois de juin, il est apparu qu'il s'agissait en réalité d'un virus beaucoup moins virulent. Néanmoins il a fallu attendre le 24 juillet pour que la ministre de la santé annonce la possibilité pour les médecins généralistes de prendre en charge des patients atteints par le virus A(H1N1)v. En outre, il est apparu assez rapidement qu'il y avait suffisamment de vaccins disponibles en unidoses pour permettre une association des médecins libéraux à la campagne vaccinale, notamment pour les patients ne pouvant se déplacer.
M. Alain Milon, rapporteur, a néanmoins précisé que le nombre de vaccins disponibles en unidoses restait limité et que ces derniers n'ont été disponibles que tardivement.
M. Jean-Marie Cohen a indiqué avoir eu l'impression que le Gouvernement, tout en voulant bien faire, s'est heurté à de nombreuses difficultés tenant à l'acheminement progressif des vaccins et à la nécessité de définir des populations à vacciner en priorité. En revanche, la rédaction des contrats passés avec les laboratoires pharmaceutiques aurait pu être améliorée. En particulier, il aurait sans doute fallu intégrer une clause de révision des contrats en fonction du nombre de doses de vaccins nécessaires. Il semble que les laboratoires n'aient pas pensé à ce cas de figure et que leurs cocontractants n'aient pas soulevé la question.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir comment le rôle du réseau GROG s'articule avec le champ de compétences de l'InVS, celui du réseau « Sentinelles » et du réseau « Oscour ».
M. Jean-Marie Cohen a indiqué que l'InVS joue le rôle « d'ensemblier » épidémiologique des données recueillies par ces trois réseaux. Le réseau « Sentinelles » et le réseau GROG tentent aujourd'hui d'améliorer la complémentarité de leurs données et commencent à mettre en place des indicateurs communs.
M. Jean-Louis Bensoussan a ajouté que la spécificité du réseau GROG tient aux prélèvements réalisés par ce dernier, ce que ne fait pas le réseau « Sentinelles ». En ce qui concerne la vaccination, il a insisté sur la nécessité de placer le médecin de premier recours, créé par la loi « Hôpital, patients, santé et territoire », au coeur du dispositif de vaccination. L'association des médecins généralistes à la campagne vaccinale contre le virus A(H1N1)v aurait été possible, mais ne l'a pas été par méconnaissance de la profession.
Audition de M. Daniel Floret, professeur de pédiatrie à l'université Claude-Bernard de Lyon, président du Comité technique des vaccinations rattaché à la Commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique
La commission d'enquête a enfin entendu M. Daniel Floret, professeur de pédiatrie à l'université Claude-Bernard de Lyon, président du Comité technique des vaccinations (CTV) rattaché à la Commission maladies transmissibles du Haut Conseil de la santé publique (HCSP).
M. Daniel Floret a indiqué avoir travaillé par le passé pour l'industrie pharmaceutique, mais ne pas avoir été en situation de conflit d'intérêt depuis 2000, date de sa nomination au Conseil supérieur d'hygiène publique de France, puis de son élection au poste de président du CTV. Il ne perçoit pas d'argent des laboratoires pharmaceutiques. Il a défini la notion de conflits d'intérêts comme étant une situation de dépendance, notamment financière, de l'expert par rapport aux entreprises pharmaceutiques.
M. François Autain, président, a précisé qu'il existe en effet une nuance importante entre la notion de « lien d'intérêt » et la notion de « conflit d'intérêt », un lien d'intérêt ne se traduisant pas forcément par un conflit d'intérêt. Il a regretté la mise en ligne tardive - au mois de novembre 2009 - de la déclaration publique d'intérêt des membres du HCSP.
M. Daniel Floret a indiqué avoir fait une déclaration d'intérêt à son entrée au Conseil supérieur d'hygiène publique de France, puis au CTV, de même que lors de sa participation, en tant qu'expert, à certains travaux de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Il a précisé que tous les membres du CTV ont dû procéder de même lors de leur prise de fonctions. La mise en ligne tardive de ces déclarations d'intérêts relève de la responsabilité du secrétariat du HCSP.
Il a ensuite présenté le rôle du CTV dans le cadre de la gestion de la pandémie de grippe A (H1N1). Entre le 25 avril 2009 et le 31 janvier 2010, le CTV a émis douze avis en réponse à des saisines du directeur général de la santé, saisines comportant dans la plupart des cas des questions multiples et complexes. Pendant cette période, le CTV a tenu dix réunions plénières, suivies d'autant de réunions de la Commission maladies transmissibles du HCSP.
Face à la complexité de la situation, à la nécessité de répondre en urgence aux saisines et à la disponibilité limitée des experts, le CTV a décidé de s'appuyer sur une structure d'expertise existante, le Comité de lutte contre la grippe (CLCG). Le CLCG, chargé d'assurer une veille sur les virus grippaux, regroupe en effet de nombreux experts, dont six appartiennent également au CTV et quatre à la Commission « maladies transmissibles » du HCSP ; les présidents de ces deux commissions sont membres de droit du CLCG. Il a ainsi été demandé au CLCG de fonctionner comme un groupe de travail du CTV dès lors qu'il examinait des problématiques liées aux vaccins. De ce fait, les avis les plus importants ont été élaborés selon un système à trois niveaux : une réflexion initiale était menée au niveau du CLCG ; sur la base des travaux du CLCG, le CTV formalisait et votait un projet d'avis ; cet avis était ensuite validé par la Commission maladies transmissibles du HCSP.
M. Daniel Floret a indiqué qu'à ces trois niveaux, l'expertise a été collégiale et pluridisciplinaire. Elle s'est appuyée, lors de chaque étape, sur les données épidémiologiques nationales et internationales collectées par l'Institut de veille sanitaire (InVS), membre de droit du CTV. L'Afssaps a également été présente en permanence à chacune des étapes, apportant les informations relatives à la progression des connaissances sur les vaccins pandémiques en développement et sur l'évolution de leur statut réglementaire tant au plan européen que national.
L'ensemble des structures d'expertise mobilisées ont fait appel à des experts de toutes spécialités en lien avec les problématiques de vaccination. La dimension « recherche » a également été mobilisée à travers les travaux de modélisation réalisés par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
M. Daniel Floret a précisé que les recommandations du CTV ont, tout d'abord, porté sur le ciblage des sujets les plus exposés et les plus à risque en fonction des données épidémiologiques alors disponibles. La recommandation de pouvoir proposer la vaccination à tous ceux qui la souhaiteraient relevait du principe d'égalité, également avancé par le Comité consultatif national d'éthique. L'hypothèse d'une vaccination obligatoire a en revanche été écartée d'emblée. Enfin, compte tenu de la mise à disposition progressive des vaccins, le CTV a dû se prononcer sur les populations à vacciner en priorité et les populations auxquelles devrait être proposé un vaccin sans adjuvant. Il a également adapté les schémas vaccinaux retenus au fur et à mesure de la connaissance des résultats des essais cliniques des vaccins.
L'élaboration des avis du CTV a donné lieu à de longues réunions animées au cours desquelles chacun a pu s'exprimer. Ces réunions ont permis l'élaboration de textes quasi consensuels. Au niveau du CTV, les textes ont été adoptés sans aucune voix « contre » et le nombre d'abstentions n'a jamais dépassé deux voix. Les votes de la Commission maladies transmissibles ont presque tous été adoptés à l'unanimité.
M. Daniel Floret a indiqué que depuis les alertes pandémiques relatives au virus H5N1, le CLCG a auditionné périodiquement les quatre firmes pharmaceutiques engagées dans le développement de vaccins prépandémiques. Ces auditions ont été organisées de manière officielle à l'initiative du CLCG dans le but de connaître, de la manière la plus actualisée possible, l'état d'avancement du développement de leurs vaccins, les études en cours et programmées ainsi que le calendrier de disponibilité des résultats. En tant que président du CTV, il a participé à ces auditions.
Il a ajouté que la gestion des conflits d'intérêt a représenté un sujet majeur de préoccupation depuis sa prise de fonction au CTV. Ainsi, au début de l'année 2008, a été élaborée, à son initiative, une charte de la déontologie. Une grille d'analyse des déclarations d'intérêt a également été élaborée sur le modèle de celle en vigueur à l'Afssaps.
Il a insisté sur le fait qu'un lien d'intérêt ne constitue pas systématiquement un conflit d'intérêt, l'important étant que ces liens soient déclarés en toute transparence. Chaque membre du CTV est ainsi astreint annuellement à déclarer ses liens d'intérêt et à actualiser ces déclarations en tant que de besoin. En outre, chaque séance plénière du CTV débute par un appel à déclaration des éventuels conflits d'intérêt sur les sujets qui seront soumis au vote. En cas de conflit majeur, l'expert est exclu des discussions et votes portant sur ces sujets.
Ces procédures ont été respectées par le CTV et la Commission maladies transmissibles lors de l'élaboration des avis relatifs à la vaccination contre le virus A (H1N1)v. Depuis septembre 2009, tous les avis votés par le CTV et la Commission maladies transmissibles mentionnent le nombre d'experts qui n'ont pas pris part au vote pour cause de conflits d'intérêt.
L'ensemble de ces mesures n'a sans doute pas totalement réglé la problématique des conflits d'intérêts. Mais vouloir exclure tout lien entre l'expertise et l'industrie pharmaceutique n'est pas réaliste et nuirait à la qualité même de l'expertise. Certains problèmes devraient cependant pouvoir trouver rapidement une solution, par exemple, le financement de la participation des experts aux grands congrès internationaux, financement aujourd'hui assuré quasi-exclusivement par l'industrie.
M. François Autain, président, s'est interrogé à ce sujet sur la persistance de l'organisation de congrès médicaux si l'industrie pharmaceutique venait à disparaître.
M. Daniel Floret a indiqué que des solutions alternatives à un financement par les laboratoires sont réclamées depuis longtemps sur ce sujet.
Pour conclure, il a indiqué que la problématique des conflits d'intérêts a été prise sérieusement en considération. De l'intérieur du CTV, comme de l'extérieur - un audit a été récemment mené par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur le CTV - il a été reconnu que des progrès sensibles ont été observés dans le sens d'une plus grande transparence. Il a enfin insisté sur le fort investissement des experts qui ont travaillé sans relâche pendant les six mois de cette crise sanitaire et vivent aujourd'hui très mal la suspicion jetée sur leur probité.
M. François Autain, président, a indiqué que cette suspicion n'existerait pas si la transparence sur les liens d'intérêt des experts était assurée. Les experts sont sans doute victimes de ce point de vue de dysfonctionnements de l'administration qui a tardé à mettre en ligne les déclarations publiques d'intérêt des membres du HCSP. Il s'est cependant interrogé sur l'intérêt de l'administration à faire ainsi traîner les choses. Il a fait remarquer que l'Organisation mondiale de la santé (OMS) fait, elle aussi, l'objet de questionnements quant à son opacité.
M. Daniel Floret a indiqué que le HCSP s'est heurté à de nombreuses difficultés dans la mise en place de son site Internet, ce qui peut être l'une des causes du retard de mise en ligne des déclarations d'intérêt de ses membres.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir si l'intervention de très nombreuses instances d'expertise, dans un contexte d'urgence, a permis d'optimiser les conditions de prise de décisions et si les compétences de chacun des organismes et leur composition sont de nature à apporter une information plurielle et collégiale au décideur politique, ou si elles entraînent, au contraire, un brouillage dans l'information. Il a indiqué que lors de son audition devant la commission d'enquête, le directeur général de la santé a notamment suggéré d'envisager un repositionnement du CLCG afin de l'intégrer au HCSP.
M. Daniel Floret a convenu qu'il aurait été logique que le CLCG soit un comité technique permanent du HCSP et que son intégration au Haut conseil est sans doute à envisager. Il s'agit d'ailleurs d'une des recommandations de l'audit mené par l'Igas sur le CTV.
Cependant, le recours à plusieurs instances d'expertise a permis une expertise plurielle et large et constitue une garantie contre les conflits d'intérêt. Ainsi une expertise organisée à trois niveaux - CLCG, CTV et Commission maladies transmissibles - a été une bonne chose, même si elle a raccourci les délais d'examen des saisines et nécessité une mobilisation forte des experts. La question de l'organisation de l'expertise, ainsi que celle de l'articulation entre l'expertise et le décideur politique, est essentielle pendant la gestion des crises sanitaires.
M. Alain Milon, rapporteur, a interrogé M. Daniel Floret sur le bilan qui peut aujourd'hui être dressé de la pandémie H1N1, de son évolution et de sa gravité. Le HCSP ayant souligné dès le mois de juin 2009 que la morbidité et la létalité de la grippe H1N1 étaient modérées et proches de la grippe saisonnière, il a souhaité savoir si cette comparaison entre la grippe H1N1 et la grippe saisonnière peut être affinée.
M. Daniel Floret a indiqué que le virus A (H1N1)v a été imprévisible. Il a fait certes moins de morts que la grippe saisonnière, mais n'a pas touché les populations habituellement les plus exposées, notamment les personnes âgées. L'évolution du virus A (H1N1)v n'a ainsi pas correspondu à ce qui était attendu. La question est de savoir s'il aurait été possible de procéder autrement.
M. Alain Milon, rapporteur, s'est ensuite interrogé sur l'efficacité du dispositif de vaccination pandémique mis en place. En effet, au 18 janvier 2010, selon les chiffres cités par le HCSP le 29 janvier, 5,74 millions de personnes - 9 % de la population - avaient été vaccinées contre la grippe H1N1. Par comparaison, au 31 janvier, 5,5 millions de personnes avaient répondu à la campagne vaccinale contre la grippe saisonnière organisée comme tous les ans par l'assurance maladie en direction de certaines populations à risques.
M. Daniel Floret a indiqué que le CTV n'a pas été consulté sur les modalités d'organisation de la campagne de vaccination. En tant que médecin, il a précisé cependant que la vaccination par les médecins libéraux aurait sans doute été difficile compte tenu, d'une part, de l'utilisation de flacons multidoses qui imposent une utilisation dans un temps très réduit des vaccins et, d'autre part, de la nécessité d'organiser la vaccination de populations « prioritaires ». Il a cité l'exemple de la Belgique où les médecins libéraux ont demandé d'arrêter la vaccination dans les cabinets médicaux. Une vaccination au sein de cabinets de groupe aurait en revanche peut-être pu être envisagée.
M. Serge Lagauche a indiqué que si les avis du HCSP ont été consensuels, il n'en demeure pas moins qu'il risque de ne s'agir que de « consensus sur les mots ». L'essentiel est moins la publicité des conclusions des groupes d'experts que celle des échanges qui ont eu lieu entre ces derniers. Il a enfin indiqué que la comparaison entre les systèmes américain et français de financement des congrès médicaux est délicate.
M. François Autain, président, s'est étonné de l'absence de fondements scientifiques de la décision d'acquérir 94 millions de doses de vaccins contre le virus A(H1N1)v. Aucun élément n'apparaît à ce sujet dans les avis du HCSP qui ont, d'ailleurs, été rendus postérieurement à la commande de vaccins. La direction générale de la santé s'est donc appuyée a posteriori sur l'expertise du HCSP pour expliquer des commandes immodérées, considérant qu'il n'y avait pas d'opposition à une vaccination de masse. Or, pour être efficace et avoir un effet « barrière » face à la propagation du virus, la vaccination doit intervenir très tôt, ce qui n'était pas possible dans le cas de la pandémie A(H1N1). Quant à la protection individuelle, seconde justification à la vaccination, la même question se posait : combien d'individus allaient pouvoir être protégés à temps ? La décision d'acquérir autant de vaccins avait-elle dès lors d'autres fondements, notamment politiques ou éthiques ?
M. Daniel Floret a indiqué que l'acquisition de 94 millions de doses de vaccins a relevé d'un choix politique. Le HCSP n'a pas contredit cette décision en raison des études et des modélisations réalisées sur le virus H5N1 sur lesquelles s'est appuyé le HCSP et pour lequel la plus grande crainte était justement l'absence de vaccins. Il n'est, par ailleurs, pas choquant de vouloir proposer à tous ceux qui le souhaitent la possibilité de se faire vacciner, notamment compte tenu du fait que le virus A(H1N1)v touchait des populations inhabituelles.
M. François Autain, président, a rappelé que les vaccins sont néanmoins arrivés trop tard compte tenu du délai de trois semaines nécessaire à une protection biologique.
M. Daniel Floret a indiqué que si la grippe A (H1N1)v peut paraître plus proche d'une grippe saisonnière que d'une pandémie, il convient, cependant, de noter qu'elle a entraîné des complications très inhabituelles chez certains malades. Il n'a pas exclu une deuxième vague épidémique.