- Mardi 6 avril 2010
- Audition de M. Jacques Berger, directeur général délégué, et de M. François Verdier, directeur des affaires réglementaires de Sanofi Pasteur
- Audition de Mmes Sophie Kornowski-Bonnet, présidente, et Monelle Muntlak, directeur de l'unité virologie, et de M. Jean-François Chambon, directeur de la communication et des affaires publiques, du laboratoire Roche Pharma France
- Audition de M. Alexandre Sudarskis, directeur général, Mme Véronique Ameye, directrice des affaires publiques et M. Cyrille Marquette, pharmacien responsable, de Novartis Vaccins et diagnostics
- Mercredi 7 avril 2010
- Audition de M. Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep
- Audition de M. Christophe Lannelongue, inspecteur général des affaires sociales, auteur d'un rapport de l'IGAS sur la rémunération des médecins et des chirurgiens hospitaliers et de M. Etienne Dusehu, ancien conseiller général des établissements de santé
- Audition de M. Didier Tabuteau, conseiller d'Etat, directeurde la chaire « santé » à l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris,directeur du Centre d'analyse des politiques publiques en santéà l'Ecole des hautes études de santé publique (EHESP)
Mardi 6 avril 2010
- Présidence de M. François Autain, président -Audition de M. Jacques Berger, directeur général délégué, et de M. François Verdier, directeur des affaires réglementaires de Sanofi Pasteur
La commission d'enquête a tout d'abord entendu M. Jacques Berger, directeur général délégué, et M. François Verdier, directeur des affaires réglementaires de Sanofi Pasteur.
M. Jacques Berger a tout d'abord rappelé l'esprit dans lequel Sanofi Pasteur avait fait face à la pandémie.
Le métier des équipes de Sanofi Pasteur est d'être prêt à répondre à des besoins de santé publique. Dans le cas d'une éventuelle pandémie, elles doivent être capables de pouvoir fournir « le plus rapidement possible le plus de doses possibles » d'un vaccin qui satisfait aux exigences réglementaires, efficace et bien toléré, la vaccination étant considérée par l'ensemble de la communauté scientifique comme la solution la plus efficace pour enrayer la progression d'une pandémie.
Sanofi Aventis est l'un des leaders mondiaux dans le domaine de la santé. Il emploie plus de 100 000 personnes dans le monde, dont 26 000 en France.
Sanofi Pasteur, la division vaccins de Sanofi Aventis, est également l'un des leaders mondiaux dans ce secteur, et développe, produit et distribue chaque année environ 1,6 milliard de doses dans plus de 150 pays.
Sanofi Pasteur emploie 12 000 personnes dans le monde, dont un peu moins de 6 000 en France, et compte deux sites majeurs, l'un en France, à Val-de-Reuil, et l'autre aux Etats-Unis.
Le groupe couvre environ 40 % des besoins mondiaux en vaccins contre la grippe saisonnière, ce qui le place au premier rang des producteurs mondiaux.
Sanofi Pasteur a été sensibilisé par les crises du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), puis de la grippe H5N1 en 2004, et, comme les autres producteurs, s'est mobilisé pour se préparer à une éventuelle pandémie de grippe.
Sur le plan industriel, Sanofi Pasteur a adapté ses unités de production, fabriqué des lots pilotes, puis des lots à grande échelle, tout en optimisant ses processus de production.
Sur le plan du développement, les efforts ont porté sur l'amélioration de la productivité des souches, la diminution des quantités d'antigène nécessaires, la réalisation de lots cliniques et les études correspondantes. Parallèlement, des discussions se sont ouvertes avec les autorités réglementaires sur les voies d'obtention d'autorisation de mise sur les marchés les mieux adaptées.
Enfin, un « plan de continuité » a été mis en place dans l'ensemble de Sanofi Pasteur pour assurer, même en situation de pandémie, la poursuite de la production du vaccin grippe pandémique et de tous les autres vaccins.
Ce processus s'est déroulé en étroite collaboration avec la communauté scientifique, les autorités de santé publique internationales - Organisation Mondiale de la Santé (OMS), European Medecines Agency (EMEA) - et nationales.
A partir de la fin du mois d'avril 2009, après l'apparition des premiers cas au Mexique et la décision de l'OMS le 25 avril déclarant « une urgence de santé publique de portée internationale », Sanofi Pasteur a mis en place un mode de fonctionnement spécifique pour répondre à la situation de risque pandémique.
Trois équipes de crise ont alors été constituées : une première aux Etats-Unis, pour coordonner l'organisation des unités américaines ; une seconde en France, pour coordonner les actions menées à partir du site de Val-de-Reuil ; une dernière équipe, pour assurer la cohérence des interventions et optimiser le partage d'expériences entre les équipes française et américaine.
Dès mai 2009, Sanofi Pasteur a décidé d'appliquer trois grands principes qui ont servi de schéma directeur à son action :
- un principe de santé publique : le défi pour Sanofi Pasteur était non seulement de poursuivre la production du vaccin saisonnier dont il assure 40 % des besoins mondiaux, mais aussi de développer et de produire deux formes de vaccin H1N1, avec et sans adjuvant ;
- un principe de responsabilité, qui s'est traduit par un « refus de sur-promettre », notamment en termes de quantité et de délais, une attitude raisonnable et cohérente en matière de prix et une attention particulière aux besoins des pays les plus pauvres, avec le don de 100 millions de doses à l'OMS ;
- un principe de transparence et de dialogue que Sanofi Pasteur a entendu appliquer dans toutes ses relations avec les autorités de santé, tout en restant strictement dans son rôle et sa compétence de producteur de vaccins.
C'est sur la base de ces principes que Sanofi Pasteur a lancé ses processus de production, ses démarches réglementaires et ses programmes d'études cliniques, en utilisant son expérience ancienne dans la production de vaccins contre la grippe et les enseignements acquis depuis 2004 dans son plan de préparation à une pandémie.
Les contacts de Sanofi Pasteur avec les différentes autorités de santé publique ont été renforcés durant toute cette période afin d'assurer la cohérence des actions menées.
Le processus de production n'a pu démarrer que début juin 2009, une fois la souche reçue de l'OMS, et après son adaptation à l'environnement industriel.
Pour la France, Sanofi Pasteur a décidé d'interrompre brièvement sa production de vaccins saisonniers destinés aux pays de l'hémisphère Nord afin de produire les premiers lots de vaccin H1N1 nécessaires à ses études cliniques, afin de ne pas retarder leur démarrage. La production du vaccin saisonnier a ensuite repris jusqu'à son terme.
A cette même période, au début juillet 2009, un avenant au contrat initial de 2005 a été signé avec les autorités françaises, en application duquel 28 millions de doses ont été commandées à Sanofi Pasteur le 13 juillet.
Les études cliniques en France, en Finlande et en Inde ont démarré le 18 août, tandis que d'autres études étaient lancées aux Etats-Unis avec le vaccin produit sur le site américain.
Fin août, des réunions avec l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et d'autres agences européennes ont montré que, en l'absence de dossier prototype dit « mock up », il serait possible d'utiliser, pour le vaccin non adjuvanté Panenza, la voie réglementaire appelée procédure décentralisée (DCP). Cette procédure permettait d'espérer obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM) dès la mi-novembre.
L'AMM a été accordée le 13 novembre et la vaccination avec Panenza a pu commencer en France quelques jours plus tard, avec les premières quantités livrées par Sanofi Pasteur.
Les livraisons se sont poursuivies, principalement en décembre. A la date du 1er janvier 2010, Sanofi Pasteur estime avoir été le laboratoire ayant livré le plus grand nombre de doses à la France, soit 14 380 000 doses.
En conclusion, M. Jacques Berger a estimé que Sanofi Pasteur avait pu répondre au triple défi d'un approvisionnement en vaccins H1N1, d'une part, et en vaccins saisonniers, d'autre part, tant dans l'hémisphère Nord que dans l'hémisphère Sud, grâce à une mobilisation sans précédent de ses équipes.
Ainsi, il a fait part de sa fierté que la société Sanofi Pasteur, où il travaille depuis 40 ans, ait agi « en mettant toutes ses forces dans la bataille, en le faisant avec transparence et avec un comportement parfaitement responsable ».
M. Alain Milon, rapporteur, a d'abord posé plusieurs questions sur les investissements réalisés par Sanofi Pasteur pour faire face à la pandémie de grippe A(H1N1)v.
Quand le groupe Sanofi a-t-il fait le choix stratégique d'investir dans la fabrication de vaccins contre les grippes pandémiques ? Quels ont été la nature et le montant de ces investissements ?
Lors de son audition par la commission d'enquête, le directeur général de la santé avait relevé que « l'industrie pharmaceutique n'était tout simplement pas prête à répondre à une demande importante de vaccins ». Cette affirmation s'applique-t-elle à Sanofi Pasteur ? Sanofi a-t-il accepté des commandes de vaccin H1N1 qu'il n'était pas en mesure d'honorer ?
Il a demandé communication à la commission d'enquête du texte original du marché signé le 27 octobre 2005 pour la fourniture à l'Etat de vaccins contre la grippe aviaire A(H5N1), et souhaité savoir quelles avaient été les prestations réalisées en application de ce marché antérieurement aux avenants signés pour la fourniture de vaccins H1N1.
M. Jacques Berger a indiqué que les investissements annuels de Sanofi Pasteur sont compris entre 400 à 450 millions d'euros. Au plan mondial, les investissements physiques ont atteint 1,6 milliard d'euros en cinq ans, dont la moitié en France. Ces montants sont nécessairement élevés car le coût d'une seule unité de fabrication est de l'ordre de 150 millions d'euros.
Un investissement pour produire des vaccins s'étale sur environ cinq ans, de l'intention d'investir à la phase opérationnelle. L'enjeu est d'anticiper la déclaration de la pandémie. A cette fin, les investissements sont montés en puissance à partir de 2004. Les producteurs de vaccins avaient été mis en alerte par les crises du SRAS et de la grippe aviaire A(H5N1). La progression des investissements au cours de cette période a visé à éliminer les goulets d'étranglement sur l'ensemble de la chaîne de production.
Il a rappelé que certains investissements sont ciblés et d'autres répartis entre la production de plusieurs vaccins.
Les travaux conduits à partir de 2004 pour répondre à une situation de pandémie ont porté sur les capacités de production, l'amélioration de la souche, l'augmentation des rendements, la possibilité de disposer d'études fiables et la mise en place de processus de pharmacovigilance.
Compte tenu du délai absolument incompressible pour la production d'un vaccin qui est d'environ six mois, le vaccin ne pouvait être disponible avant octobre-novembre 2009.
Enfin, il a indiqué qu'il communiquerait à la commission d'enquête le texte original du marché signé le 27 octobre 2005 pour la fourniture de vaccins contre la grippe A(H5N1).
M. François Autain, président, a demandé si Sanofi Pasteur avait obtenu une aide de l'Etat ou de la Commission européenne pour la réalisation de ce contrat.
M. Jacques Berger a répondu que Sanofi Pasteur n'avait reçu d'aides qu'aux Etats-Unis. En France, le contrat signé en 2005 prévoyait simplement la fourniture de vaccins contre la grippe A(H5N1). Il comportait des clauses pour des affermissements potentiels en cas d'apparition d'une souche pandémique. Le contrat de 2009 correspond donc à un affermissement du contrat de 2005.
M. François Autain, président, a souhaité connaître le montant des investissements consacrés par Sanofi Pasteur à l'élaboration d'un vaccin contre le virus H5N1.
M. Jacques Berger a indiqué que ceux-ci s'élevaient « en centaines de millions d'euros », certains de ces investissements ayant été consacrés à la réalisation de plusieurs vaccins.
M. François Autain, président, a demandé confirmation de la réalisation des vaccins pré-pandémiques.
M. Jacques Berger a confirmé la production d'un vaccin contre la grippe H5N1 dans le cadre du contrat d'octobre 2005.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite posé des questions sur la négociation des contrats.
Quel a été le calendrier de négociation des avenants au marché de 2005 ?
Avec quels Etats Sanofi Pasteur a-t-il signé des contrats de pré-achat et pour quelle quantité de vaccins ?
Comment a été déterminé, en 2005 et en 2009, le prix unitaire de dose proposé à l'Etat par Sanofi Pasteur ? Ce prix a-t-il été différent de celui proposé à d'autres Etats européens et, si oui, pourquoi ? Y a-t-il eu des négociations sur le prix avec les autorités françaises ?
Enfin, les interlocuteurs de la commission d'enquête avaient fait état du rapport de force favorable aux laboratoires au moment de la négociation des contrats. Quelle est la perception par Sanofi Pasteur du contexte de ces négociations ?
M. Jacques Berger a répondu que Sanofi Pasteur avait signé des contrats avec vingt-deux Etats.
A propos des prix, il a rappelé que celui du vaccin H5N1 avait été fixé à 6,50 euros dans le contrat de 2005, celui du vaccin contre la grippe H1N1 étant de 6,25 euros. Il a donc estimé les tarifs de Sanofi Pasteur « raisonnables ». Ce tarif a été le même pour tous les pays, à l'exception de trois Etats avec lesquels des accords de production ont permis de parvenir à un prix un peu moins élevé.
La discussion sur les prix est intervenue lors de réunions avec la Direction Générale de la Santé (DGS), l'AFSSAPS et l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), avec qui a été finalisé le tarif de 6,25 euros.
Quel avait été le « rapport de forces » ? Certes, la demande était supérieure à l'offre du fait de la situation de pandémie. Mais, en fait, ce sont les équipes de Sanofi Pasteur qui ont été mises sous pression pour « tenir le cap » en fournissant le plus grand nombre de doses le plus vite possible. Sanofi Pasteur n'a pas « abusé de sa position dominante, bien au contraire ».
M. Alain Milon, rapporteur, s'est interrogé sur les conditions dans lesquelles était prévue la livraison de 28 millions supplémentaires de doses de vaccins, aux termes de l'article 2 de l'avenant n° 3 au contrat du 27 octobre 2005.
M. Jacques Berger a observé que, lors des discussions de juin, qui se sont achevées début juillet, les rendements de la souche étaient inconnus. Ce n'est que beaucoup plus tard que les réassortants sont parvenus à Sanofi Pasteur par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Compte tenu de ces incertitudes, Sanofi Pasteur avait indiqué aux autorités françaises qu'il espérait pouvoir livrer la totalité des 28 millions de doses au mois de décembre.
En fait, une partie de la commande correspondant à des vaccins non adjuvantés a été livrée plus tôt. Puis 13 millions de doses ont été livrés au mois de décembre et le solde, en accord avec l'EPRUS, durant la première semaine du mois de février.
M. Alain Milon, rapporteur, a relevé que l'avenant n° 3 au marché comporte une nouvelle rédaction de la clause de responsabilité.
M. Jacques Berger a indiqué qu'il n'y a eu aucune modification de l'esprit de cette clause entre 2005 et 2009. Le contrat de 2005 comportait déjà un partage de responsabilités entre l'entreprise pour la production des vaccins et l'Etat pour leur utilisation.
Toutefois, afin de dissiper toute inquiétude, il a participé à une réunion avec l'EPRUS, le Comité économique des produits de santé (CEPS) et l'AFSSAPS. La clause a été légèrement modifiée, par l'adoption d'une formulation qui convienne aux différentes parties.
M. François Autain, président, a relevé sur ce point une différence d'appréciation avec Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, qui avait qualifié cette clause de « scélérate ».
M. Jacques Berger a estimé que cette qualification ne faisait pas référence à la clause du contrat proposée par Sanofi Pasteur.
Il a confirmé que la modification de cette clause n'était que « formelle ».
M. François Autain, président, et M. Alain Milon, rapporteur, se sont étonnés de cette volonté de modification rédactionnelle de la clause de responsabilité.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé quelles modifications avaient été apportées au calendrier de livraison par rapport au marché initial. Le calendrier prévu était-il déjà indicatif ? Est-il usuel qu'un tel marché de fournitures ne comporte pas de calendrier de livraison ferme assorti de pénalités ?
Ce calendrier indicatif a-t-il été respecté ? Quand, et en quelle quantité, les premières doses de vaccins ont-elles été livrées ?
Il semble que toutes les commandes de vaccins H1N1 aient été passées dans le cadre de contrats avec les autorités sanitaires ou leurs représentants. Etait-il exclu, et pour quelle raison, que tout ou partie de l'approvisionnement en vaccins emprunte les circuits habituels de commercialisation et de distribution des produits de santé ?
M. Jacques Berger a observé que le calendrier ne pouvait être qu'indicatif, compte tenu de l'inconnue liée au rendement de la souche. Par nature, les rendements des vaccins grippaux sont extrêmement variables.
Si le délai minimum avant la distribution des premières doses était connu, des incertitudes demeuraient sur le calendrier précis de livraison de la totalité des doses. La plus grande partie de la commande a été livrée comme convenu en décembre, mais l'opération s'était soldée un peu plus tard que prévu.
Enfin, à sa connaissance, il n'a jamais été envisagé que les livraisons suivent un autre circuit que celui de l'EPRUS. Cependant, cette question n'est pas de son ressort.
M. Alain Milon, rapporteur, s'est ensuite interrogé sur la quantité de vaccins commandée.
Même en recourant à la technique des vaccins « prototypes » qui permet de raccourcir les procédures d'AMM, est-il vraisemblable qu'un vaccin antipandémique puisse être élaboré et produit dans des délais et des quantités suffisants pour faire barrière à une pandémie grippale ?
Comment apprécier la suggestion faite en 2009 par les représentants du Royaume-Uni à l'OMS sur la possible orientation de la recherche vers la production de vaccins à large spectre ?
M. Jacques Berger a rappelé le délai incompressible de quatre à six mois qu'impose le respect du protocole de production, compte tenu des techniques utilisées.
M. François Autain, président, a observé que Sanofi Pasteur avait pu fournir aux Etats-Unis un vaccin proche de Panenza, le Fluzone, dès le mois de septembre, alors qu'en France la mise sur le marché n'avait commencé qu'en novembre.
M. Jacques Berger a donné deux raisons à cette différence de date. D'une part, en France, la fabrication de vaccins saisonniers avait dû être interrompue pour produire des vaccins H1N1 dans l'unique usine française, alors que le groupe dispose de deux unités de production aux Etats-Unis. D'autre part, les autorités américaines réenregistrent tous les ans le nouveau vaccin saisonnier, alors qu'en France il faut procéder à un nouvel enregistrement nécessitant des études cliniques. Il en est résulté une différence de délai de quatre à six semaines.
M. Jean-Jacques Jégou a souligné que les souches avaient été remises en même temps en France et aux Etats-Unis, à quelques jours près.
M. François Autain, président, s'est demandé si, dans ces conditions, Sanofi Pasteur n'aurait pas dû construire une nouvelle usine en France, et pas au Mexique.
M. Jacques Berger a observé que son groupe disposait de deux unités de production aux Etats-Unis, ce qui avait permis de produire simultanément le vaccin saisonnier et le vaccin H1N1.
La nouvelle usine en construction au Mexique, de même qu'une autre en cours de réalisation en Chine, permettront d'augmenter les capacités de production et de répondre aux besoins dans toutes les parties du monde.
M. François Autain, président, a souhaité qu'à l'avenir, il n'existe plus de décalage entre les Etats-Unis et la France pour la fourniture de vaccins.
M. Jacques Berger a fait part de la volonté de Sanofi Pasteur d'être encore plus efficace à l'avenir, tout en soulignant que les délais de livraison avaient été globalement conformes à ce qui avait été annoncé.
M. François Autain, président, s'est demandé si une procédure centralisée européenne n'aurait pas permis d'obtenir plus vite une AMM.
Pourquoi n'avoir pas utilisé cette procédure, notamment pour permettre une mise à disposition plus rapide de vaccins non adjuvantés destinés aux personnes prioritaires ?
M. François Verdier a rappelé que la procédure « mock-up » peut être utilisée pour des souches pandémiques. Certains concurrents de Sanofi, comme GSK, ont ainsi pu activer leur dossier mock-up construit avec la souche H5N1 lorsque la souche H1N1 est arrivée.
Pour sa part, Sanofi Pasteur ne disposait pas d'un dossier mock-up. Le groupe a donc déposé deux demandes d'enregistrement auprès de l'EMA dès le mois de juin, pour le vaccin adjuvanté et le vaccin non adjuvanté. L'EMA avait procédé à un examen accéléré de ces dossiers, au regard des circonstances. Toutefois, compte tenu des délais, à la demande de la France et d'autres pays européens, Sanofi a décidé de retirer le dossier déposé à l'EMA pour le vaccin non adjuvanté (Panenza) et de le redéposer auprès de l'agence française dans le cadre d'une procédure DCP.
Il a estimé avoir fait au plus vite au regard des circonstances propres à Sanofi Pasteur, différentes de celles de Novartis et GSK.
Le dossier mock-up avait été lancé avec un vaccin qui nécessitait beaucoup plus d'antigène, en utilisant un adjuvant à base d'aluminium. Mais, dans un premier temps, ce dossier n'a pas reçu un avis favorable de l'EMA. Les discussions se sont donc poursuivies.
De plus, ce vaccin n'était utile que pour un petit groupe de personnes et n'était donc pas adapté à une pandémie qui nécessitait des millions de vaccinations. Sanofi a interrompu le développement de ce vaccin, appelé Emerflu, pour se consacrer au vaccin Humenza utilisant un adjuvant à base de squalène qui permet d'utiliser beaucoup moins d'antigènes et donc de produire rapidement des quantités plus importantes.
Revenant sur les différences de délai entre la France et les Etats-Unis pour la production des vaccins, M. François Verdier a indiqué que, en France, il doit être procédé à des essais cliniques pour confirmer l'immunogénicité induite par le vaccin, qui ont commencé en août. Les premiers résultats de ces essais cliniques n'ont été disponibles qu'au tout début du mois d'octobre. Dans tous les cas, même si Sanofi avait eu un dossier prêt, les autorités françaises ou européennes n'auraient pas accordé d'autorisation avant l'obtention des résultats de l'essai clinique, à la différence de la FDA américaine.
M. François Autain, président, a observé que l'appréciation des autorités américaines se fondait sur la variation d'un vaccin déjà connu, notamment pour la grippe saisonnière.
M. François Verdier a reconnu qu'en France, il fallait effectivement procéder tous les ans à des essais cliniques pour les vaccins saisonniers.
M. Alain Milon, rapporteur, a ajouté que l'AMM du vaccin Humenza n'était intervenue que le 18 février 2010.
Par ailleurs, il a souhaité connaître les conditions dans lesquelles Sanofi avait annulé directement une commande de 9 millions de doses Humenza.
M. Jacques Berger a présenté sa proposition, faite à l'EPRUS, de réduire la quantité de vaccins commandés, à la suite d'une discussion qu'il avait eue en novembre 2009 avec le directeur de cabinet de la ministre de la santé : ce dernier lui avait alors déclaré que, s'il avait la conviction qu'une partie des doses pouvait être vendue à d'autres pays, le gouvernement français était disposé à réduire sa commande. En décembre 2009, il avait eu le sentiment que telle était la situation de Sanofi. Conformément à l'engagement qu'il avait pris auprès du directeur de cabinet, il avait alors proposé de réduire la commande française de 9 millions de doses.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé quel a été le nombre de vaccins finalement livrés par le laboratoire Sanofi Pasteur à la France.
M. Jacques Berger a répondu que 17 millions de doses avaient été livrées, ce qui correspond à la commande initiale de 28 millions de doses réduite de 9 millions de doses sur sa proposition, puis de 2 millions de doses supplémentaires, résiliées unilatéralement par l'Etat quelques heures après sa propre proposition.
M. François Autain, président, a souhaité connaître les dates auxquelles avaient été livrées les doses données à l'OMS.
M. Jacques Berger a indiqué qu'environ 7 millions de doses étaient disponibles auprès de l'OMS. Ces quantités n'ont pu être livrées qu'à l'issue d'une procédure de pré-enregistrement de l'OMS, dite pré-qualification, entre la fin de janvier et le début de février 2010.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé où en étaient les négociations avec le ministère de la Santé sur le montant de l'indemnisation due au titre de la résiliation partielle des commande. Quand cette résiliation a-t-elle été signifiée ?
M. Jacques Berger a indiqué que les discussions continuaient avec l'EPRUS, mais qu'un élément nouveau lui avait été notifié le matin même, comme la presse s'en est fait l'écho. L'EPRUS a fait savoir qu'il estimait la compensation à 2 millions d'euros pour 2 millions de doses résiliées. Tout en regrettant qu'il n'y ait pas d'autre solution, il a indiqué qu'il examinerait ce qu'il restait possible de faire.
A une question de M. François Autain, président, si cette proposition le satisfaisait, M. Jacques Berger a répondu négativement.
M. François Autain, président, a souhaité savoir jusqu'où Sanofi Pasteur envisageait de mener son action, éventuellement jusqu'au contentieux.
M. Jacques Berger a déclaré qu'il cherchait à éviter d'en venir à cette solution, son souci étant de maintenir des rapports étroits de partenariat avec les autorités sanitaires françaises.
M. Jean-Jacques Jégou s'est demandé si Sanofi avait conscience, lors de la signature du contrat, que la puissance publique pouvait résilier sa commande.
M. Jacques Berger a indiqué qu'il ne s'était pas posé cette question, qui ne correspondait pas à l'esprit des discussions, tout en précisant que cela n'aurait rien changé.
M. Jean-Jacques Jégou a remarqué que les autres laboratoires pharmaceutiques étaient dans la même situation. Il s'est également interrogé sur les réponses juridiques apportées dans les autres pays.
Sanofi a-t-il trouvé preneur pour les 9 millions de doses qu'il a proposé spontanément de reprendre ?
M. Jacques Berger a relevé que la demande est encore importante. Mais la résiliation en France a créé une « onde de choc » dans d'autres pays : si seul un autre pays a procédé à une annulation, les autres Etats ont soit revu leurs commandes à la baisse, soit décidé de ne plus commander de vaccins.
M. Jean-Jacques Jégou a demandé si l'on devait qualifier de « perte sèche » l'annulation de 9 millions de doses, puis la résiliation de 2 millions de doses.
M. Jacques Berger a précisé que seule une petite partie de ces 9 millions de doses avait été vendue.
M. François Autain, président, s'est interrogé sur la possibilité contractuelle pour les autres pays de revoir leurs commandes à la baisse.
M. Jacques Berger a déclaré qu'un seul pays a procédé, comme la France, à une résiliation. Pour les autres Etats, les discussions ne se sont pas poursuivies, ou les quantités ont été réduites, quel que soit le système juridique de ces Etats. En effet, les contrats ne prévoyaient pas d'annulation des commandes.
M. Claude Domeizel a demandé si les 11 millions de doses avaient été fabriquées et restaient donc dans les stocks de l'entreprise.
M. Jacques Berger a indiqué que ces doses en stock pourraient être partiellement intégrées dans la production des vaccins saisonniers de l'hiver prochain.
M. Jean-Jacques Jégou a observé que ces doses pourraient, par exemple, être utilisées dans le cadre de la vaccination saisonnière dans l'hémisphère austral.
M. Jacques Berger a relevé que cette remarque valait pour l'ensemble des vaccins saisonniers, de l'hémisphère Nord comme de l'hémisphère Sud. Le vaccin de la grippe saisonnière comprend toujours trois souches et l'OMS a décidé que l'une des souches utilisée pour le prochain vaccin serait celle de la grippe A(H1N1)v.
En réponse à une question de M. Jean-Jacques Jégou, M. Jacques Berger a évalué le manque à gagner à 11 millions de doses au prix unitaire de 6,25 euros.
M. Claude Domeizel s'est interrogé sur l'existence d'un stock commercialisable par Sanofi.
M. Jacques Berger a reconnu qu'il pourrait ne pas y avoir d'utilisation de ce stock, sauf s'il survenait une deuxième vague de grippe H1N1 et que le vaccin était à nouveau nécessaire en grandes quantités. Toutefois, a priori, il y aurait une perte correspondant à la valeur de ces doses.
M. Alain Milon, rapporteur, s'est demandé pour quelles raisons scientifiques il avait été procédé à deux vaccins, avec et sans adjuvant, d'autant plus que l'AMM du vaccin Humenza avait été tardive.
M. François Verdier a répondu que, lors de son apparition, la souche A(H1N1)v était inconnue : son comportement serait-il comparable à celui d'une souche H5N1 pandémique, ou à celui d'une souche saisonnière ? Pour la grippe H5N1 pandémique, il était nécessaire d'avoir un adjuvant, car cette souche était peu immunogène. Il a donc été procédé à deux séries d'essais cliniques, avec le vaccin adjuvanté et le vaccin non adjuvanté, et deux lettres d'intention ont été déposées auprès de l'EMA pour enregistrer les deux vaccins.
En outre, les autorités françaises ont souhaité disposer d'un vaccin non adjuvanté pour certaines populations, comme les très jeunes enfants, les femmes enceintes et les personnes souffrant de troubles du système immunitaire.
Puis, lorsque les premiers résultats des essais cliniques ont été obtenus, il est apparu que le vaccin non adjuvanté suscitait une réponse immunogène suffisante.
Il s'est donc déclaré très satisfait d'avoir mené les travaux sur les deux vaccins en parallèle, car Sanofi Pasteur avait la possibilité de disposer à la fois d'un vaccin non adjuvanté qui contenait plus d'antigènes mais adapté à certaines populations, et d'un vaccin adjuvanté qui permettait une production plus rapide pour d'autres populations.
M. Alain Milon, rapporteur, a observé que Sanofi était le seul des trois groupes pharmaceutiques avec lesquels la France avait passé des contrats à s'être orienté vers deux types de vaccins.
M. François Verdier a répondu que ce choix avait été fonction de l'incertitude sur la façon dont la souche allait se comporter. Du reste, la pandémie a réservé des surprises : il était estimé que le virus serait beaucoup plus pathogène et qu'un vaccin devrait être développé obligatoirement avec un adjuvant comme pour la grippe H5N1. Ces deux hypothèses ne se sont finalement pas vérifiées.
Mme Marie-Christine Blandin a souhaité savoir s'il y avait eu une obtention tardive, ou un refus d'AMM, pour le vaccin Emerflu.
M. François Verdier a indiqué que le dossier déposé auprès de l'Agence européenne avait reçu un avis négatif du Committee for Medicinal Products for Human Use (CHMP). La Commission européenne avait ensuite demandé à l'Agence européenne de revoir son avis, si bien que le dossier n'a jamais été clos.
Mais, parallèlement, Sanofi Pasteur avait travaillé sur un vaccin adjuvanté plus moderne : dans l'hypothèse où un dossier mock-up serait déposé, le nouvel adjuvant AF03 serait alors utilisé, et non l'adjuvant employé pour le vaccin Emerflu. Il a ajouté que le vaccin Emerflu avait été enregistré dans d'autres pays qu'en Europe, notamment en Australie, où ce vaccin présente un intérêt pour cerner une pandémie dans un environnement limité.
Mme Marie-Christine Blandin a souhaité connaître quelles autorités européennes avaient précisément demandé de réexaminer l'avis négatif du CHMP.
M. Jacques Berger a répondu qu'un avis négatif donné par l'EMA est ensuite soumis à la Commission européenne qui décide d'un enregistrement à l'échelle européenne.
Mme Marie-Christine Blandin a demandé si la Commission européenne s'appuyait sur l'avis d'experts en santé publique, de fonctionnaires ou de biologistes.
M. Jacques Berger a indiqué qu'il s'agissait de personnes compétentes en santé publique, mais pas nécessairement de biologistes.
M. Jean-Jacques Jégou s'est interrogé sur les études relatives au comportement de la souche. S'il était apparu nécessaire de procéder à une double injection à trois semaines d'intervalle pour la grippe H5N1, en avait-on été déduit qu'il en serait de même pour la vaccination contre la grippe A(H1N1)v ?
M. Jacques Berger a répondu que cette question ne relevait pas de son domaine de compétences.
M. Jean-Jacques Jégou a rappelé que Sanofi Pasteur avait fait état des incertitudes sur le comportement de la souche. Alors que la pandémie n'avait pas eu l'ampleur annoncée, la nécessité d'une seule injection, comme pour le vaccin de la grippe saisonnière, avait aussi pu soulever des interrogations.
M. François Autain, président, a demandé s'il avait existé historiquement un autre cas de grippe pour lequel deux injections avaient été préconisées.
M. Jacques Berger a indiqué que, selon lui, une vaccination contre la grippe en 1976 avait déjà nécessité deux doses. Compte tenu de ce précédent et de celui du virus A(H5N1), la communauté scientifique avait été largement convaincue que la grippe H1N1 nécessiterait vraisemblablement une double vaccination.
M. François Verdier a indiqué que lorsque la souche A(H1N1)v est apparue au Mexique, elle a été considérée comme entièrement nouvelle. Sur le plan immunitaire, une seule injection est considérée comme n'étant pas suffisante pour assurer une protection contre un virus nouveau. Au contraire, pour la grippe saisonnière, même si le virus mute, il reste un résidu de réponse immunitaire par rapport aux souches des années antérieures.
M. Jean-Jacques Jégou s'est donc demandé si le virus A(H1N1)v correspondait vraiment à une nouvelle souche.
M. François Verdier a observé qu'un tiers des personnes âgées avaient déjà été en contact avec une souche sinon très comparable, du moins avec une souche qui présentait des composants identiques. Elle n'était donc pas entièrement nouvelle pour ces personnes.
M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé que, selon les virologues interrogés par la commission d'enquête, il était clair qu'il y avait une nouvelle souche A(H1N1)v, même si les personnes âgées avaient été en contact avec des souches virales qui leur permettaient d'avoir une protection partielle.
M. François Autain, président, a fait part de sa divergence d'appréciation sur ce point, qui fait en tout cas débat parmi les virologues.
Audition de Mmes Sophie Kornowski-Bonnet, présidente, et Monelle Muntlak, directeur de l'unité virologie, et de M. Jean-François Chambon, directeur de la communication et des affaires publiques, du laboratoire Roche Pharma France
La commission d'enquête a ensuite procédé à l'audition de Mmes Sophie Kornowski-Bonnet, présidente, Monelle Muntlak, directeur de l'unité virologie, et de M. Jean-François Chambon, directeur de la communication et des affaires publiques, du laboratoire Roche Pharma France.
Mme Sophie Kornowski-Bonnet a présenté l'action du laboratoire Roche en matière de virologie. Depuis plus de vingt ans, Roche développe des médicaments dans ce secteur. Suite aux risques pandémiques détectés depuis 2003, une prise de conscience publique et sociale et une plus forte médiatisation ont renforcé la préparation des Etats en matière de lutte contre les virus émergents. L'organisation mondiale de la santé (OMS) a ainsi préconisé la mise en place de plans pandémiques nationaux et la constitution de stocks de Tamiflu, antiviral produit par Roche.
L'intérêt de ce médicament mis sur le marché en 2002 repose sur le fait qu'il s'agit d'un inhibiteur de neuraminidase qui, administré dans les quarante-huit heures après le début de l'infection, réduit en moyenne d'un tiers les symptômes, de 30 % à 70 % les complications et de 40 % à 90 % la transmission du virus grippal.
L'exemple du Chili montre qu'en période de pandémie, une véritable barrière antivirale peut être mise en place grâce au Tamiflu puisque, prescrit à 90 % des malades, il a permis de limiter le nombre d'hospitalisations et d'éviter tout décès. L'agence européenne des médicaments (EMA) a également préconisé le recours au Tamiflu pour la prise en charge des nourrissons et des femmes enceintes.
Le stock stratégique d'antiviraux français a été constitué entre 2003 et 2007 sous l'égide des ministres de la santé successifs. Il est constitué de gélules puis, depuis 2007, d'une poudre active dont la durée de péremption est plus éloignée. La quantité stockée, soit 23 millions de doses, a été déterminée sur la base de l'hypothèse d'un taux d'attaque virale de 30 à 50 %.
La poudre active d'oseltamivir qui a été fournie est destinée à être conditionnée par la pharmacie centrale des armées. A cette fin, Roche a fourni par contrat à l'Etat les méthodes et moyens de transformer la poudre en comprimés. Il est à noter que d'autres Etats comme la Belgique ont fait le même choix que la France et ont constitué des stocks de poudre active. En 2009, le laboratoire Roche a accompagné la pharmacie centrale des armées dans sa demande d'autorisation de mise sur le marché (AMM) des comprimés qu'elle fabriquait.
En 2007, la stabilité du stock français a été constatée et la durée de péremption des gélules repoussée de deux ans. En 2009, le stock français a été complété par un achat de Tamiflu pédiatrique.
M. François Autain, président, a souhaité savoir si une nouvelle commande a été faite par l'Etat cette année.
Mme Sophie Kornowski-Bonnet a répondu que cela n'avait pas été le cas en raison de l'ampleur des stocks déjà constitués. Elle a également indiqué que Roche a multiplié par vingt sa capacité de production mondiale au cours des dernières années. Le laboratoire a également fait don de dix millions de doses de Tamiflu à l'OMS dans des conditions permettant un déblocage rapide des médicaments et leur arrivée en temps utile sur les zones d'infection.
Dès le début de la pandémie, Roche a mis en place un système de contrôle destiné à lutter contre le risque de contrefaçon, particulièrement important en période de pandémie, un suivi du virus par l'intermédiaire d'une cellule de crise, destinée à localiser les foyers de résistance, et une pharmacovigilance renforcée.
Du mois d'avril jusqu'à la fin de l'année 2009, la situation a paru inquiétante aux laboratoires en raison notamment de l'encombrement des services d'urgences et du risque que le virus développe une résistance au traitement. La veille virologique s'est appuyée sur un véritable partenariat avec le ministère de la santé et les ressources du groupe Roche ont été préparées à recevoir et à traiter rapidement d'éventuelles commandes.
Le laboratoire a également mis tout en oeuvre pour répondre aux questions nombreuses des professionnels de santé liées au traitement, sans jamais s'éloigner des recommandations des autorités sanitaires. Enfin, tout a été mis en oeuvre pour que les médicaments soient disponibles partout sur le territoire à temps pour pouvoir être prescrits dans les quarante-huit heures suivant l'infection, ce qui est spécialement important pour le traitement des enfants.
Mme Sophie Kornowski-Bonnet a ensuite souhaité aborder la question des conditions d'élaboration de l'étude sur l'oseltamivir publiée par le British Medical Journal en décembre 2009. Cette étude a reçu beaucoup d'attention de la part des médias mais elle est partielle. L'association Cochrane, qui l'a conduite, n'a pas contacté directement Roche qui a été approché par les médias pour fournir des données en vue de cette étude. C'est le laboratoire lui-même qui a proposé à l'association d'accéder aux données contenues dans les études ayant servi à constituer le dossier d'AMM du Tamiflu à la condition toutefois de préserver l'anonymat des participants aux études. Cochrane a refusé cette condition et n'a donc pas utilisé ces données. Celles-ci ont depuis été rendues publiques par Roche sur son site internet relatif aux essais cliniques ainsi que sur un site de données européennes.
M. François Autain, président, a souhaité savoir si l'usage important de Tamiflu n'avait pas augmenté le risque de résistance.
Mme Sophie Kornowski-Bonnet a indiqué que le risque de développement d'une résistance à l'antiviral n'existe que quand le médicament est prescrit à une personne infectée. La surmédication d'une personne saine pose d'autres problèmes mais ne risque pas de rendre le virus résistant au traitement. On constate une résistance au Tamiflu chez 0,4 % des adultes et 5,4 % des enfants, ces taux étant les mêmes dans les pays où le médicament est peu prescrit et dans ceux où il l'est de manière importante, comme le Japon. Au cours de la pandémie, treize souches résistantes au traitement ont été identifiées mais elles n'étaient pas en capacité de se propager. Le virus A (H1N1)v a des caractéristiques distinctes de ceux d'une grippe saisonnière en ce qu'il est peu violent mais s'aggrave avec le temps alors que les autres grippes sont en général violentes mais courtes. Ces caractéristiques justifient le recours au traitement antiviral préemptif et à pleine dose, tel qu'il a été préconisé par les autorités sanitaires.
M. François Autain, président, a rappelé que l'étude conduite par Cochrane est une méta-analyse de données destinée à renforcer la puissance statistique des résultats et à faire apparaître des éléments qui auraient pu être négligés auparavant. Les informations fournies par le groupe Roche sur les conditions de collecte des informations sont de nature à remettre partiellement en cause la fiabilité de l'analyse. Cependant, l'invocation par Roche du respect de l'anonymat des personnes pour s'opposer à la communication des essais cliniques ne paraît pas convaincante.
Mme Sophie Kornowski-Bonnet a insisté sur le fait que les industries du médicament ont pour raison d'être de proposer des médicaments efficaces et manqueraient à leur éthique si elles se fondaient pour leur demande de mise sur le marché sur des essais cliniques inefficaces. Le groupe Roche a souhaité coopérer avec Cochrane qui a refusé de préserver l'anonymat des participants aux essais cliniques.
Mme Monelle Muntlak a précisé que Tom Jefferson, qui dirige l'association Cochrane, disposait de tous les moyens pour obtenir, au travers des démarches habituelles, les données qu'il souhaitait, ayant été lui-même investigateur pour Roche. Il a préféré passer par les médias, ce qui n'a pu que rendre plus difficiles les échanges. Il est à noter que le British Medical Journal a publié, à la suite de son étude, une réponse de Roche.
M. François Autain, président, a demandé sur quelles recherches se fondait l'extension de l'indication du Tamiflu lors de la pandémie.
Mme Monelle Muntlak a répondu que la demande de mise sur le marché avait été faite dans le cadre de la lutte contre le virus de grippe saisonnière. L'extension de l'indication aux nourrissons et femmes enceintes lors de la pandémie s'est faite par extrapolation. Puisque le Tamiflu est un inhibiteur de neuraminidase, il a semblé être susceptible de lutter efficacement contre l'infection de ces populations à risques. Des essais cliniques internationaux sont actuellement en cours et des publications auront lieu sur l'efficacité pour ces deux populations du Tamiflu, dont la prescription a permis de limiter les hospitalisations et la mortalité.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé ce que représentent les stocks de l'Etat dans le montant total des ventes de Tamiflu en France.
Mme Sophie Kornowski-Bonnet a souligné que cette estimation est difficile à fournir puisque les commandes de l'Etat ont commencé en 2003.
Mme Monelle Muntlak a signalé que le stock de l'Etat avait été libéré très rapidement, d'abord pour l'envoi dans les régions infectées par le virus, aux fins d'aider les populations locales, comme au Mexique, et de protéger les personnels diplomatiques français. On peut légitimement s'interroger sur la priorité donnée par les pouvoirs publics à la vaccination pour ce qui est de la France.
M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé les propos du directeur général de la santé, affirmant que les indications pour l'usage du Tamiflu sont plus réduites en France que dans les autres pays. Il a demandé les raisons de cette différence.
Mme Monelle Muntlak a estimé que les propos du directeur général de la santé relevaient sans doute d'une erreur ou d'un raccourci car les indications d'usage du Tamiflu sont les mêmes en France et dans les autres pays. Le médicament peut être prescrit à tous les patients. Cependant, en France, les experts ont été au départ plus réticents pour prescrire cet antiviral aux sujets à risques.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé pourquoi la prescription préemptive de Tamiflu avait été autorisée pendant la pandémie.
Mme Monelle Muntlak a répondu que le Tamiflu possède une indication de prophylaxie dans 95 % des cas de grippe. Le débat a porté sur la prescription d'une demi-dose pendant dix jours ou d'une dose pleine pendant cinq jours. Les cas de grippe étudiés, notamment chez les nourrissons, ont montré l'intérêt d'une prescription préemptive à pleine dose, le caractère précoce et massif de cette prescription étant justifié par le risque lié à la durée de vie du virus dans l'organisme.
M. François Autain, président, a signalé que cette nouvelle indication relevait d'une extension de l'AMM.
Mme Monelle Muntlak a admis que la procédure d'extension de l'AMM n'a pas été respectée pendant la période pandémique en raison de la nécessité préalable des essais cliniques. Ces essais sont actuellement en cours au niveau mondial et une demande d'extension pérenne de l'AMM sera déposée pour remplacer l'autorisation exceptionnelle actuelle. En réponse à une question du président François Autain, elle a indiqué que l'extension d'AMM pourrait être demandée non seulement pour la grippe saisonnière mais également pour la grippe pandémique.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé quelle est la nature des liens entre Roche, les autorités publiques et les instances d'expertise françaises, ainsi qu'avec l'OMS.
Mme Monelle Muntlak a considéré que les relations avec les autorités publiques et les instances d'expertises françaises de Roche sont des relations habituelles, qui ont été renforcées lors de la constitution des stocks de l'Etat. S'agissant de l'OMS, Roche lui a fait don d'antiviraux et participe à l'observatoire international des résistances pour suivre l'évolution des virus.
Mme Sophie Kornowski-Bonnet a insisté sur le fait que pendant la période de pandémie, il n'y avait pas eu beaucoup de contacts entre les autorités publiques françaises et Roche, ce qui a pu paraître parfois comme un problème pour l'échange d'informations. Roche a toujours cherché à se mettre en position de fournir le meilleur niveau d'information à ses interlocuteurs, que ce soient les autorités ou les praticiens.
M. François Autain, président, a demandé quelle était la position de Roche sur l'idée que les laboratoires pharmaceutiques publient la liste des experts qu'ils emploient ainsi, éventuellement, que le montant des contrats passés avec eux.
Mme Sophie Kornowski-Bonnet a estimé que pareille obligation serait de nature à entraver la capacité d'innovation, et donc la compétitivité des entreprises du médicament. Roche a pour sa part mis en place un guide de bonnes pratiques qui répond au souci légitime de transparence et il ne paraît pas utile de prendre des mesures contraignantes.
Mme Marie-Christine Blandin a souhaité savoir comment Roche avait perçu la décision par l'Afssaps de prolonger la durée de péremption du Tamiflu contenu dans les stocks de l'Etat.
Mme Monelle Muntlak a insisté sur le fait que Roche est à l'origine de cette prolongation de la péremption. Les études de stabilité faites sur les gélules de Tamiflu ont en effet montré qu'elles étaient stables sept ans après leur manufacture. La durée de péremption de la poudre active est encore plus longue car il n'y a aucun contact avec un emballage instable comme pour les gélules. Néanmoins, Roche n'a pas pu changer l'étiquetage des boîtes de gélules déjà fabriquées.
M. Bruno Gilles a souhaité avoir plus de détails sur l'exemple de prescription de Tamiflu contre la grippe pandémique au Chili qui a servi de base à l'extension de l'indication de ce médicament en France.
Mme Sophie Kornowski-Bonnet a repris les données montrant une baisse du nombre de cas graves admis en soins intensifs et l'absence de décès dans l'étude chilienne suite à la prescription massive et précoce du Tamiflu. Ces données ont été publiées dans un article de la revue Clinical Infectious Diseases mis en ligne le 5 février 2010.
M. Claude Domeizel s'est étonné que des données personnelles puissent figurer dans des bases de données de Roche. Il a souhaité savoir pourquoi celles-ci n'avaient pas été anonymisées.
Mme Monelle Muntlak a indiqué que les dossiers d'AMM comportent énormément de données dont toutes ne sont pas publiées. Ces données sont néanmoins facilement accessibles aux chercheurs et, concernant le Tamiflu, elles sont aujourd'hui toutes connues.
M. Claude Domeizel s'est interrogé sur la compatibilité de ces pratiques avec la législation française sur l'informatique et les libertés.
Mme Sophie Kornowski-Bonnet a précisé que les données en question n'étaient ni détenues ni exploitées par des personnes relevant du droit français.
Audition de M. Alexandre Sudarskis, directeur général, Mme Véronique Ameye, directrice des affaires publiques et M. Cyrille Marquette, pharmacien responsable, de Novartis Vaccins et diagnostics
La commission d'enquête a enfin entendu M. Alexandre Sudarskis, directeur général, Mme Véronique Ameye, directrice des affaires publiques et M. Cyrille Marquette, pharmacien responsable, de Novartis Vaccins et diagnostics.
M. Alexandre Sudarskis a tout d'abord indiqué avoir assisté, depuis la déclaration par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de l'état de pandémie et, plus particulièrement, le passage, le 11 juin dernier, à la phase 6 du plan pandémique, à une mobilisation sans précédent de tous les acteurs concernés par la gestion des crises sanitaires - notamment l'OMS, les gouvernements des Etats touchés par le virus, les autorités sanitaires et réglementaires de ces Etats, les professionnels de santé et le secteur privé - afin d'assurer une réponse adéquate et rapide à une menace globale de santé publique.
En tant qu'entreprise responsable et afin d'être en mesure de répondre au risque épidémiologique, la division Vaccins et diagnostics du laboratoire Novartis a investi, entre 2000 et 2006, plus de deux milliards de dollars pour moderniser son outil de production, augmenter ses capacités de production et développer de nouvelles technologies, comme la culture sur cellules.
Grâce à l'engagement total de son équipe, renforcée par la participation de collaborateurs venus d'autres divisions du groupe, le laboratoire Novartis a été en mesure de livrer au total environ une centaine de millions de doses de vaccin. Conformément au contrat passé avec la France en 2005 dans le cadre d'un marché public, l'entreprise Novartis a, en particulier, livré au Gouvernement français 9 millions de doses du vaccin adjuvanté Focetria produit sur oeufs.
Retraçant la chronologie des négociations avec la France, M. Alexandre Sudarskis a rappelé qu'en février 2005, la société Chiron, reprise depuis par le groupe Novartis, a répondu à un marché lancé sous forme d'appel d'offres par le Gouvernement français. Ce marché portait, pour sa tranche ferme, sur la livraison d'un vaccin pré-pandémique de type « aviaire ». Il a donné lieu à la signature d'un acte d'engagement au mois d'avril 2005. En mai 2007, Novartis a obtenu un avis favorable de l'Agence européenne pour l'évaluation des médicaments pour un vaccin adjuvanté contre le virus H5N1.
Le marché de 2005 portait également sur une tranche conditionnelle de traitements vaccinaux contre la même grippe ou tout autre virus grippal pandémique susceptible d'émerger. C'est à partir de cette clause qu'en mai 2009 des discussions sur l'affermissement des tranches conditionnelles du marché de 2005 ont débuté avec la direction générale de la santé (DGS). Les premiers lots de production, dits « pilotes », ont été constitués en juin 2009. Pendant les mois de juillet et août 2009, le laboratoire a procédé à des travaux d'adaptation de ses capacités de production en fonction des souches transmises par l'OMS, ainsi qu'aux essais cliniques requis. Le vaccin Focetria a obtenu un avis favorable de l'Agence européenne pour l'évaluation des vaccins à la fin du mois de septembre et les premières livraisons ont commencé dès le mois de novembre.
Le laboratoire Novartis a ainsi fait tout son possible pour répondre aux demandes pressantes des autorités sanitaires et livrer les vaccins aussi rapidement que possible. L'entreprise n'a cherché, d'aucune manière, à influencer la position de l'OMS, notamment sa décision de passer à la phase 6 du plan pandémique, ni à exercer une quelconque pression sur la Haute autorité de santé (HAS), l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) ou la DGS. Elle a veillé au contraire à répondre au mieux à leurs demandes.
M. Alexandre Sudarskis a conclu en indiquant qu'un plan efficace de lutte contre une pandémie requiert l'étroite collaboration des autorités sanitaires, des fabricants de produits, des acteurs du secteur de la santé et de la communication.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité avoir des précisions sur le contexte de négociation des contrats de pré-achat conclus en 2005, ainsi que sur les prestations réalisées en application de ce marché antérieurement aux avenants signés pour la fourniture de vaccins H1N1.
M. Alexandre Sudarskis a indiqué que ce contrat de pré-achat a été conclu dans le cadre habituel d'une procédure d'appel d'offres. Deux laboratoires, dont le groupe Novartis, ont répondu à l'époque à ce marché. Le contrat conclu portait sur une tranche ferme de traitements vaccinaux contre la grippe H5N1 et sur une tranche conditionnelle de traitements vaccinaux contre la même grippe ou tout autre virus grippal pandémique. Ce contrat de commande de vaccins de type « pré-pandémiques » obligeait le laboratoire Novartis à développer, dans le cadre de sa tranche ferme, un vaccin contre le virus H5N1. C'est ainsi que, conformément aux termes du contrat, six cent mille traitements vaccinaux contre le virus H5N1 - contre lequel deux doses de vaccin sont nécessaires - ont été livrés à la France, sous forme de seringues pré-remplies monodoses, entre la fin du mois de juillet et le début du mois d'août 2009.
A une interrogation de M. François Autain, président, sur l'utilité d'acquérir aujourd'hui des doses de vaccins contre le virus H5N1, M. Alexandre Sudarskis a rappelé que le virus H5N1 circule toujours notamment en Asie et qu'un cas de transmission d'homme à homme a été répertorié.
Tout en prenant en compte ces observations, M. François Autain, président, a estimé qu'il convenait cependant de ne pas dramatiser la situation.
Rapportant les propos du directeur général de la santé, qui a indiqué devant la commission que l'industrie pharmaceutique n'était tout simplement pas prête à répondre à une demande importante de vaccins, M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir à quelles difficultés le groupe Novartis s'est heurté pour la production du vaccin contre le virus A (H1N1).
M. Alexandre Sudarskis a précisé à titre liminaire que le groupe Novartis a une capacité de production définie dans le cadre de la production du vaccin contre la grippe saisonnière. Dans le cas de la pandémie de grippe A (H1N1), le laboratoire s'est heurté à deux principales difficultés :
- d'une part, l'incertitude relative au rendement de la souche virale au moment des négociations avec le Gouvernement français sur l'affermissement des tranches conditionnelles du contrat passé en 2005. Les premiers tests faisaient notamment état d'un rendement 30 % inférieur à celui habituellement constaté ;
- d'autre part, la nécessité de livrer rapidement des quantités importantes de vaccins, les demandes des pouvoirs publics portant d'ailleurs davantage sur le calendrier de livraison que sur les quantités livrables. A cet égard, le laboratoire devait répondre à la fois à ses engagements contractuels passés dans le cadre de contrats de pré-achat et aux demandes d'autres Etats qui n'avaient pas conclu ce type de contrats.
Compte tenu de ces deux difficultés, le laboratoire Novartis a souhaité être transparent et a indiqué dès les mois de mai et de juin 2009 qu'il ne pourrait assurer la production que de 10 à 15 millions de doses de vaccin, dont la livraison s'échelonnerait jusqu'à la fin du mois de décembre 2009.
Revenant sur la question de la négociation des commandes de vaccins contre le virus A (H1N1), M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir quand le laboratoire Novartis a été contacté par le Gouvernement français en vue de « transformer » les pré-contrats en commandes fermes, quels ont été dans ce cadre ses interlocuteurs et quel a été le calendrier de ces négociations.
M. Alexandre Sudarskis a indiqué que les premières discussions portant sur l'affermissement des tranches conditionnelles du contrat ont débuté au mois de mai 2009 avec la DGS. Elles ont porté, pour l'essentiel, sur le calendrier de livraison et sur le conditionnement des vaccins en unidoses ou en multidoses.
Par un avenant en date du 29 juillet, le contrat qui engageait à l'époque la DGS a été transféré à l'Etablissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), chargé depuis 2007 de l'acquisition des produits de santé en cas de risque sanitaire de grande ampleur. A partir de cette date, les négociations se sont poursuivies avec l'Eprus sur des questions logistiques. En effet, les termes du contrat ayant été arrêtés en 2005, il n'y a pas eu à proprement parler de nouvelles négociations sur le contenu de celui-ci.
En réponse à une question de M. Alain Milon, rapporteur, il a précisé que l'offre initialement prévue dans le contrat de 2005 - soit 24 millions de doses de vaccin - a dû être revue à la baisse compte tenu notamment du faible rendement de la souche. Le laboratoire Novartis en a averti immédiatement les pouvoirs publics français.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite souhaité avoir des précisions sur les modalités de fixation du prix unitaire de la dose de vaccin proposé par le groupe Novartis. Il a demandé si ce prix a été différent de celui proposé à d'autres Etats européens et s'il y a eu des négociations sur le prix avec les autorités françaises.
M. Alexandre Sudarskis a précisé que les différences de prix observées entre les différents laboratoires s'expliquent par deux éléments :
- d'une part, le prix proposé par le groupe Novartis a été fixé dans le cadre du contrat pré-pandémique passé en 2005. Or, il est difficile de comparer les négociations qui ont eu lieu, avec les autres laboratoires, en 2009 sur un produit bien défini et les négociations qui se sont tenues en 2005 avec le groupe Novartis et qui portaient sur un ensemble de fournitures de services non définis, notamment le développement d'un vaccin contre le virus H5N1 ou de tout autre vaccin contre un virus variant susceptible d'émerger ;
- d'autre part, 60 % des doses de vaccin Focetria ont été livrées sous forme de seringues pré-remplies unidoses.
Il a rappelé que la négociation a davantage porté sur les délais de livraison et les quantités disponibles que sur le prix des doses de vaccin.
M. Alain Milon, rapporteur, a interrogé les représentants du groupe Novartis sur un éventuel rapport de force favorable aux laboratoires au moment de la négociation des contrats. Rappelant que certains interlocuteurs de la commission ont souligné que la France avait été contrainte de passer des commandes fermes pour la totalité de ses besoins, car les laboratoires avaient indiqué que les commandes optionnelles ne pourraient, si elles étaient confirmées, être livrées qu'en 2010, il a demandé si le laboratoire Novartis s'était opposé à l'inclusion d'une clause de révision dans le contrat passé avec la France et si d'autres Etats avaient obtenu de passer des commandes « révisables ».
M. Alexandre Sudarskis a indiqué que si rapport de force il y a eu, il avait davantage été en faveur des autorités publiques. Il a rappelé, par ailleurs, qu'il n'y a pas eu à proprement parler de négociations puisqu'en ce qui concerne Novartis, les termes du contrat avaient été arrêtés dès 2005. De simples discussions ont eu lieu sur les aspects logistiques et les délais de livraison.
Il est en revanche exact qu'une commande ferme a été demandée à la France. En réponse à M. François Autain, président, qui a souhaité avoir confirmation d'une livraison plus tardive d'éventuelles commandes optionnelles, il a ajouté que le laboratoire Novartis s'était engagé sur un calendrier de livraison pour les commandes fermes, mais que si des commandes optionnelles avaient été passées, elles n'auraient pu être livrées avant 2010.
Sur la question de la révision du contrat, il a précisé qu'une clause spécifique d'annulation n'était pas nécessaire, dans la mesure où les clauses de résiliation du marché étaient celles du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures courantes et de services.
M. François Autain, président, a demandé si la résiliation d'une partie des commandes n'est pas intervenue trop tardivement. En effet, la raison invoquée pour justifier cette annulation est que finalement une seule de dose de vaccin est nécessaire. Or cette information était connue depuis déjà plusieurs mois.
M. Cyrille Marquette a rappelé qu'en ce qui concerne le vaccin développé par le groupe Novartis, le Haut conseil de la santé publique préconise toujours, comme il le rappelle dans son avis du 29 janvier 2010, deux doses de vaccin pour les enfants âgés de vingt-quatre à trente-cinq mois et les personnes âgées de soixante ans et plus.
M. Alexandre Sudarskis a ajouté que la résiliation a été notifiée au mois de janvier, ce qui, du point de vue du laboratoire, est tardif, dans la mesure où la production des doses de vaccin était déjà engagée.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si le laboratoire Novartis a souhaité dans son contrat l'inclusion d'une clause d'exonération totale de sa responsabilité de fabricant, y compris d'une éventuelle responsabilité du fait de produits défectueux.
Après avoir lu les clauses de responsabilité prévues respectivement dans le contrat initial de 2005 et le contrat final de 2009, M. Alexandre Sudarskis a indiqué qu'il n'y a quasiment aucune différence entre celles-ci. Il a répété qu'il n'y avait pas eu de négociation sur ce point, le laboratoire ayant répondu positivement aussi bien à la version initiale de 2005 qu'à celle proposée en 2009. Le groupe Novartis n'a pas cherché à imposer une clause spécifique de responsabilité.
M. Alain Milon, rapporteur, a souhaité savoir s'il avait été exclu, et pour quelle raison dans ce cas, que tout ou partie de l'approvisionnement en vaccins emprunte les circuits habituels de commercialisation et de distribution des produits de santé.
M. Alexandre Sudarskis a précisé que le laboratoire Novartis n'a pas eu à se prononcer sur le mode de distribution des vaccins. Sa seule obligation consistait à livrer les sites d'approvisionnement gérés par l'Eprus.
M. François Autain, président, a souhaité connaître les raisons d'une production d'une partie du vaccin Focetria en unidoses.
M. Alexandre Sudarskis a indiqué qu'il s'agissait d'une possibilité offerte dans le cadre du contrat initial de 2005. Un des soucis des autorités publiques semblait être de répondre à certaines situations particulières, notamment la vaccination des Français de l'étranger.
En réponse à M. François Autain, président, il a confirmé que la production d'une partie des vaccins Focetria en monodoses répondait à une demande des autorités sanitaires françaises.
En réponse à M. Alain Milon, rapporteur, il a indiqué que les négociations portant sur l'indemnisation due au titre de la résiliation partielle des commandes sont closes et que le taux de remboursement s'élève à 16 % du montant des doses annulées.
M. François Autain, président, a souhaité savoir si, face à une pandémie, la vaccination constitue réellement la mesure la plus efficace. Compte tenu des délais séparant l'identification de la souche virale, la circulation active du virus et le démarrage de la campagne de vaccination, les conditions sont en effet rarement réunies pour que la vaccination puisse produire un effet « barrière ». Dans le cas de la grippe A(H1N1), la campagne aurait ainsi dû commencer dès le mois de septembre.
Tout en indiquant qu'il est difficile de répondre à cette question, M. Alexandre Sudarskis a précisé que la vaccination est un instrument de lutte parmi d'autres. Il revient ensuite aux experts et aux décideurs politiques de prendre les décisions relatives à l'utilisation de l'un ou l'autre de ces moyens.
M. François Autain, président, a souhaité savoir si le laboratoire Novartis s'opposerait à la publication de la liste des experts que le groupe rémunère, de la même façon que toute firme pharmaceutique est désormais obligée de déclarer chaque année la liste des associations de patients qu'elle soutient et le montant des aides de toutes natures qu'elle leur a procurées.
M. Alexandre Sudarskis a répondu que cette demande est recevable. Il a précisé que le laboratoire Novartis a développé, de sa propre initiative, un certain nombre de règles en la matière, notamment en ce qui concerne le recours à des experts pour des essais cliniques. Le laboratoire Novartis est très favorable à l'ensemble des mesures qui vont dans le sens d'une amélioration de la transparence sur les liens unissant les experts et les laboratoires pharmaceutiques.
Mercredi 7 avril 2010
- Présidence de M. François Autain, président -Audition de M. Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep
La commission d'enquête a entendu M. Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep.
M. Philippe Foucras a, tout d'abord, indiqué qu'il n'avait aucun lien d'intérêt avec une entreprise fabriquant ou commercialisant des produits de santé. Il est médecin généraliste et responsable de l'association « Formindep », dont l'objet est la recherche d'une formation et d'une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes.
Procédant à l'aide d'une vidéoprojection, M. Philippe Foucras a débuté son propos par une citation de Christian Vigouroux, conseiller d'Etat et président de la commission déontologie et expertise de la Haute Autorité de santé (HAS), qui a déclaré, lors des rencontres de la HAS du 10 décembre 2009 que : « La puissance d'influence de l'industrie pharmaceutique en fait un des lobbys les plus efficaces et parfois les plus impérieux dans les rapports avec les pouvoirs publics et les caisses de sécurité sociale. Ceci en France comme en Europe. Tel est le constat que trente ans d'administration dans plusieurs domaines de l'action publique m'ont amené à formuler ».
M. Philippe Foucras a ensuite présenté, à travers des exemples concrets non directement liés à la gestion de la grippe A (H1N1), un instrument d'influence très utilisé par l'industrie pharmaceutique : les leaders d'opinion.
Les leaders d'opinion constituent en effet un outil essentiel pour les firmes pharmaceutiques pour informer les professionnels de santé sur les produits de santé qu'elles produisent. Il a cité l'exemple d'une entreprise spécialisée dans la lutte contre le cancer qui définit les leaders d'opinion comme « des scientifiques référents dont le comportement est susceptible d'exercer une influence sur la pratique et les prescriptions médicales des oncologues et pathologistes » et les présente sur son site Internet comme indispensables pour faire connaître et imposer les tests de diagnostic de l'entreprise auprès des professionnels de santé.
M. Philippe Foucras a ensuite cité une société de communication qui propose notamment ses services aux firmes pharmaceutiques. Pour illustrer l'efficacité de son action, la société présente sur son site Internet la méthode retenue et les résultats obtenus pour promouvoir un produit de santé utilisé dans l'instabilité vésicale.
La méthode a consisté à développer des relations avec des enseignants, leaders d'opinion, en urologie, gynécologie et gériatrie, à crédibiliser l'engagement à long terme de l'entreprise développant le produit et, enfin, à initier un débat médical sur la prise en charge de l'instabilité vésicale.
Les résultats obtenus sont mesurés par le nombre d'articles publiés à ce sujet. Une recherche sur Internet permet de sélectionner pas moins de 249 occurrences de ce médicament. Par ailleurs, grâce aux actions menées par l'entreprise de communication, des universitaires ont été contactés pour faire des conférences ou présider des congrès internationaux et promouvoir, à ces occasions, le produit en question, dont la part de marché a ainsi atteint 30 % dans les deux premières années de son lancement.
Ces « leaders d'opinion » peuvent aussi être amenés à apporter leur expertise aux décideurs politiques. Ainsi un des leaders d'opinion recrutés par l'entreprise de communication pour le médicament précité a participé à l'élaboration d'un rapport remis à M. Philippe Bas, alors ministre de la santé, qui mentionnait, pour le regretter, le non-remboursement de certains médicaments, dont le produit en question. Ce dernier a ensuite été inscrit sur la liste des spécialités remboursables, alors même que son efficacité a été controversée.
M. Philippe Foucras a indiqué qu'il ne s'agit pas de remettre en cause l'honnêteté des experts, mais de comprendre comment s'exercent certains mécanismes d'influence. Citant des déclarations d'experts membres du Comité de lutte contre la grippe, et qui se disent persuadés que les liens qui les unissent aux entreprises pharmaceutiques ne nuisent pas à leur indépendance, il a rappelé qu'il convient de distinguer les influences conscientes des influences inconscientes, ces dernières étant d'autant plus efficaces que l'on pense ne pas y être exposé.
De façon plus générale, M. Philippe Foucras a indiqué que tout expert est un leader d'opinion potentiel.
M. Philippe Foucras a enfin présenté l'exemple de l'extension des modalités de prescription de l'oseltamivir recommandée le 9 décembre 2009 par la direction générale de la santé (DGS). Selon M. Philippe Foucras, cette décision est révélatrice de la gestion globale de la pandémie grippale et la recommandation de la DGS ne repose pas sur des preuves scientifiques. Dans ce cas, il convient de s'interroger sur les autres fondements qui auraient pu conduire à cette décision : des raisons politiques, commerciales ou une logique de communication ?
M. Alain Milon, rapporteur, a estimé important que les personnes mises en cause dans la présentation par le docteur Foucras du problème des liens d'intérêt entre experts et industries aient la possibilité de faire connaître leur point de vue devant la commission d'enquête.
M. François Autain, président, a déclaré qu'il n'avait aucune objection à cette demande.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite souhaité connaître l'appréciation du docteur Foucras sur les opinions émises par plusieurs des experts entendus par la commission d'enquête, qui jugeaient impossible de prévoir la virulence de la pandémie en France à partir de l'exemple de l'hémisphère sud, notant qu'elles contredisaient les propos tenus par M. Foucras dans la presse.
M. François Autain, président, a souligné que l'institut national de veille sanitaire (InVS) avait fait état de la remarquable stabilité du virus.
M. Philippe Foucras a répondu que fin novembre, lors de ses déclarations à la presse, on disposait de suffisamment d'éléments pour affirmer que le virus n'avait pas muté en passant d'un hémisphère à l'autre. Dès le mois d'août, à La Réunion, les médecins généralistes avaient noté un faible impact du virus en termes de santé, et l'on aurait pu s'inspirer de l'exemple de l'Australie, qui avait pris des précautions de niveau modéré.
M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé le caractère tardif du constat de la stabilité du virus et a noté que les cas traités par les médecins généralistes n'étaient peut-être pas totalement représentatifs de la virulence du virus, les cas les plus graves étant traités à l'hôpital.
M. Philippe Foucras a déclaré que les généralistes avaient constaté la faible intensité du virus en métropole dès septembre. On assistait, en fait, plus à une « surconsultation » par peur de la grippe qu'à une multiplication des symptômes grippaux. Il n'est pas niable qu'il y a eu des syndromes graves dans une population généralement peu touchée par la grippe, mais le segment de population qui relève de la consultation des généralistes montrait que les cas graves n'étaient pas significatifs.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé des précisions sur un autre propos de M. Foucras reproduit dans la presse et qui tendait à considérer comme « marginales » les différences épidémiologiques entre le virus pandémique et le virus saisonnier.
M. Philippe Foucras a signalé qu'en tant qu'acteur des soins primaires, les médecins généralistes voient la population dans sa globalité. A ce titre, ils pouvaient légitiment s'interroger sur la pertinence des outils retenus par rapport à l'objectif de lutte contre la pandémie. L'efficacité de la vaccination a de fait été très modérée et l'efficacité de l'oseltamivir pour lutter contre le virus pandémique n'est pas prouvée. Dès lors, leur utilisation massive n'était pas forcément rationnelle étant donné le rapport bénéfice-risque. En effet, plus on utilise un produit de santé, plus on risque de faire apparaître ses effets secondaires.
M. Alain Milon, rapporteur, a également relevé une déclaration du docteur Foucras faisant état des effets secondaires ressentis par les médecins vaccinés. S'agit-il d'une remise en cause des procédures qui ont été suivies pour autoriser la mise sur le marché des vaccins ?
M. Philippe Foucras a précisé que son propos se fondait sur les informations transmises par ses confrères inscrits sur une liste de diffusion du collectif Formindep, dont la plupart avait en effet ressenti des effets secondaires après avoir été vaccinés.
M. Jean-Jacques Jégou a souhaité savoir si les effets secondaires relevés étaient graves et si un seul cas de syndrome de Guillain Barré avait été attribué à ce jour à la vaccination.
M. Philippe Foucras a indiqué qu'à sa connaissance la réponse à ces questions était négative. Il a également souhaité relativiser ses propos, tels qu'ils avaient été rapportés par la presse et a indiqué qu'il ne les formulerait plus aujourd'hui de la même manière.
M. François Autain, président, a dit avoir eu connaissance du témoignage d'un médecin faisant état d'une conséquence grave liée à la vaccination.
M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé que l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) examinait chaque cas rapporté et en a assuré la publicité au titre de la pharmacovigilance.
M. François Autain, président, a remarqué que c'était précisément parce qu'il avait eu l'impression que l'AFSSAPS n'avait pas pris en compte son cas que ce médecin le lui avait signalé.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé des précisions sur les critiques du Formindep à l'encontre de la recommandation de prescription de Tamiflu à titre préventif.
M. Philippe Foucras a constaté qu'aucune étude scientifique n'avait été produite à l'appui de cette extension de l'indication du Tamiflu, malgré des demandes répétées. Le seul élément disponible est une étude de l'InVS de juin 2009 comparant des situations en Argentine et au Chili.
M. François Autain, président, a signalé que le laboratoire Roche a remis à la commission d'enquête, lors de son audition, un article publié en février 2010 sur l'exemple du Chili.
M. Philippe Foucras a estimé que la lecture de cet article ne présente plus aujourd'hui qu'un intérêt intellectuel. Il aurait été plus important d'en disposer au moment où le changement d'indication a eu lieu. Les médecins ont le devoir de soigner leurs patients selon les connaissances scientifiques et non pas sur des a priori. Seuls sont bien documentés les effets secondaires du Tamiflu notamment au Japon.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé des précisions sur ce point.
M. Philippe Foucras a affirmé que des cas de défenestration d'adolescents japonais avaient été liés au Tamiflu et que le risque psychiatrique qu'il comporte doit figurer, aux Etats-Unis, sur l'emballage de ce médicament.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé pourquoi le Formindep estime que l'AFSSAPS a délégué la pharmacovigilance du Tamiflu au laboratoire producteur alors que le directeur général de l'agence a estimé que c'était la procédure normale qui avait été suivie.
Se référant au document publié par l'AFSSAPS sur l'extension d'indication du Tamiflu, M. Philippe Foucras a relevé que l'agence notait à plusieurs reprises l'absence de données cliniques puis donnait un avis favorable à l'extension de l'indication du médicament sans avancer de raison probante.
M. François Autain, président, a souligné que les laboratoires Roche avaient invoqué l'urgence pandémique comme fondement de l'extension de leur autorisation de mise sur le marché.
M. Philippe Foucras a considéré qu'une telle procédure n'était justifiée que face à un risque pandémique majeur et pour un médicament ayant des effets importants pour la protection de la santé. Or aucune de ces deux conditions n'était en l'occurrence remplie.
M. Jean-Jacques Jégou a jugé inquiétant que l'Etat ait constitué des stocks aussi importants d'un médicament dont l'efficacité n'est pas prouvée.
M. Alain Milon, rapporteur, a précisé que l'extension de l'indication du Tamiflu n'avait porté que sur son usage préemptif et non sur son usage curatif, qui est reconnu.
M. François Autain, président, a estimé que l'efficacité du Tamiflu était encore un sujet de controverse.
M. Philippe Foucras a souligné que la méta-analyse conduite par l'association Cochrane sur l'efficacité de l'oseltamivir dans la lutte contre la grippe saisonnière avait montré que les résultats étaient discutables. Une étude indépendante avait été demandée mais elle n'a pas été réalisée.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé quelles étaient les propositions de Formindep pour lutter contre les conflits d'intérêt.
M. Philippe Foucras a considéré qu'il ne faut pas se priver du conseil des experts reconnus mais le placer à sa juste valeur. Le recours à des experts indépendants et à l'expertise de terrain des fournisseurs de soins primaires devrait également être pris en compte pour éviter une mono-analyse. Il est important de développer différents niveaux d'analyse et surtout d'élaborer une expertise interne dotée de moyens adéquats.
Audition de M. Christophe Lannelongue, inspecteur général des affaires sociales, auteur d'un rapport de l'IGAS sur la rémunération des médecins et des chirurgiens hospitaliers et de M. Etienne Dusehu, ancien conseiller général des établissements de santé
La commission d'enquête a ensuite entendu M. Christophe Lannelongue, inspecteur général des affaires sociales, co-auteur d'un rapport de l'IGAS sur la rémunération des médecins et des chirurgiens hospitaliers, et M. Etienne Dusehu, ancien conseiller général des établissements de santé, ancien conseiller national de l'Ordre des médecins, qui a également collaboré à la rédaction de ce rapport.
M. Christophe Lannelongue a d'abord présenté les résultats généraux de l'enquête menée par l'IGAS au cours de l'année 2008.
Ils ont fait apparaître de fortes disparités des rémunérations, tant pour les médecins libéraux que pour les praticiens hospitaliers. Les écarts importants pour les praticiens qui ont une activité libérale sont inter et intra-disciplinaires et rendent compte de l'impact croissant des dépassements d'honoraires. Pour les praticiens hospitaliers salariés sous statut public ou Participants au Service Public Hospitalier (PSPH), ces disparités rendent compte de l'effet des rémunérations indemnitaires, notamment de la permanence des soins, de l'impact des activités libérales à l'hôpital public et, enfin, de la rémunération complémentaire apportée par les entreprises, notamment au titre de travaux de formation et de recherche.
M. Etienne Dusehu a présenté, à titre liminaire, les méthodes d'enquêtes de la mission de l'IGAS sur les rémunérations complémentaires, qui sont très diverses, tant dans leurs modalités que dans leur contenu. L'IGAS a cependant cherché à les appréhender indirectement. Cette recherche entrait dans le champ de la mission de l'IGAS, puisque la lettre de mission de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la Santé et des Sports, stipulait que les travaux à conduire devaient embrasser l'ensemble des rémunérations des médecins.
L'expertise en milieu hospitalier, encadrée par les règles prévues par le code de la santé publique, donne lieu à des extensions d'activité en termes de conseils aux industriels dont les rémunérations ne sont, quant à elles, pas encadrées.
L'IGAS avait obtenu du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) le fichier récapitulatif des contrats qui lui sont communiqués. Ce fichier récapitulatif ne comporte pas d'informations systématiques et coordonnées sur les contrats. Il a deux origines : les contrats adressés au CNOM parce qu'ils concernent plusieurs départements ou tout le territoire national ; ceux qui lui sont transmis par les conseils départementaux quand ils ont besoin d'une expertise dont ils ne disposent pas en leur sein. Il est donc très hétérogène, et son interprétation doit être faite avec prudence, d'autant que les informations disponibles sont restreintes.
L'IGAS a exploité les données recueillies sur un échantillon de 6 675 déclarations transmises au CNOM au cours des années 2006, 2007 et des neuf premiers mois de l'année 2009.
Son travail a été mené sur la base d'une typologie distinguant quatre catégories d'activités ayant donné lieu à rémunération : les activités d'intervention dans des colloques ou de formation, celles de conseil aux entreprises, les contributions scientifiques et l'expertise. La distinction entre ces deux dernières catégories a pris en compte les imprécisions des informations sur certains contrats d'expertise.
Le profil de distribution des courbes de rémunérations des activités d'expertise et de contributions scientifiques se superposent grossièrement. Elles sont significativement plus élevées que la rémunération des activités d'enseignement, lesquelles ne précisent ni la durée de l'enseignement, ni la valeur ajoutée de production personnelle de l'auteur. On ne peut donc établir de correspondance entre la somme versée et le travail fourni.
La moyenne et la médiane sont significativement différentes pour les quatre catégories de rémunération ainsi identifiées, sans qu'il soit possible d'expliquer cet écart par des outils statistiques.
Outre ces éléments, il a disposé de l'analyse du président de la commission des relations médecins-industrie du CNOM, lequel a indiqué aux auteurs du rapport que certains médecins hospitaliers cumulent les contrats en tant que coordonnateurs d'études, experts ou conseillers scientifiques consultants auprès de plusieurs industriels. Ces cumuls de contrats peuvent représenter une masse d'honoraires dépassant leur rémunération hospitalière ou hospitalo-universitaire, et occuper une part de leur temps très supérieure à ce qui est raisonnable et autorisé.
M. Etienne Dusehu a souligné que l'organisation actuelle du recueil des données ne permet pas d'identifier le complément de rémunération apporté, ni la quantité de travail correspondante. Seules les déclarations fiscales individuelles de chacun des praticiens sont aujourd'hui de nature à apporter ces informations. La pratique de conseil et d'expertise recouvre manifestement des situations dont le contenu est aussi hétérogène que leur rémunération. La nature de ces activités n'est actuellement connue que des intéressés et de leurs employeurs.
M. Christophe Lannelongue a indiqué que les inspecteurs de l'IGAS avaient examiné plus particulièrement les fonctions qu'exercent les médecins dans le cadre de la recherche clinique, notamment celles des médecins investigateurs qui dirigent, suivent et contrôlent les essais cliniques, tout en étant chargés des relations avec les patients.
Les conventions de droit privé entre les laboratoires et les médecins investigateurs précisent la rémunération de ces derniers, calculée à partir d'une somme fixe pour chacun des patients inclus dans l'essai clinique. Cette convention doit être communiquée au conseil départemental du lieu d'exercice du praticien, ou au conseil national si l'essai associe des investigateurs relevant de différents centres. Elle doit aussi être communiquée aux directeurs d'établissement, mais cette disposition semble inégalement respectée : l'exemple des hospices civils de Lyon a fait apparaître que seulement 10 % des conventions concernées étaient adressées à la direction de l'hôpital.
Les conventions prévoient des rémunérations de l'ordre de 1 500 à 2 500 euros par patient inclus dans l'essai clinique, qui peuvent atteindre 5 000 euros par patient dans les secteurs de la cardiologie et de la réanimation. Il s'agit donc de revenus conséquents pour les professionnels.
La rémunération du médecin investigateur est personnelle et elle peut donc lui être versée directement, sans transiter par la direction de l'hôpital. Elle peut aussi être versée, en totalité ou en partie, sur le compte d'associations de la loi de 1901 constituées pour améliorer le fonctionnement des services où exercent les médecins investigateurs.
Une très forte opacité entoure tant le partage entre la part versée au médecin et celle qui revient à l'association, que l'emploi des fonds par les associations.
Ces associations loi 1901 sont soumises au contrôle de commissaires aux comptes et à celui de l'administration fiscale. Mais assez peu d'informations sont disponibles sur leur utilisation des fonds, d'autant plus qu'elles sont nombreuses et spécialisées sur un service, des praticiens ou certains essais cliniques. Par exemple, au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Nice, pour 500 protocoles de recherche, 128 associations étaient domiciliées dans ce CHU, parmi lesquelles 70 avaient explicitement pour objet le financement de la recherche.
Un rapport plus ancien de l'IGAS, mais malheureusement toujours d'actualité, avait constaté que ces associations peuvent permettre de couvrir des dépenses jugées difficiles à financer dans le cadre de la gestion classique de l'hôpital. En fait, ce rapport avait montré que l'opacité du fonctionnement de ces associations peut donner lieu à des dérives, dans l'utilisation que font certains praticiens de ce support associatif pour des dépenses personnelles de quasi-rémunération.
Il avait également souligné que le système de rémunération du médecin investigateur comportait également le risque de défavoriser l'établissement qui accueille le médecin investigateur. Une convention hospitalière passée entre le laboratoire et l'établissement doit normalement compenser les surcoûts générés pour cet établissement par l'essai clinique, par exemple les soins supplémentaires, la logistique mise en oeuvre, le suivi des patients. Mais ce système organise un conflit d'intérêts entre la rémunération du médecin investigateur et le financement des surcoûts de l'établissement. Dans la pratique, la répartition des fonds versés par le laboratoire est décidée au cas par cas, avec de fait une forte influence du médecin investigateur.
Mme Marie-Thérèse Hermange a demandé qui prend ces décisions au cas par cas.
M. Christophe Lannelongue a indiqué que des négociations se tenaient entre le laboratoire et l'hôpital mais que, d'une certaine manière, elles étaient la résultante d'une négociation entre le laboratoire et le médecin pour sa rémunération.
La part de la rémunération consacrée à la compensation des surcoûts pour l'hôpital est donc plus un solde qu'une véritable appréciation objective de ces surcoûts, qui est d'ailleurs malaisée en l'absence de comptabilité analytique dans de nombreux hôpitaux, d'autant plus qu'il faudrait pouvoir isoler les soins « normaux » du supplément de soins ou de coûts logistiques lié à l'essai clinique.
Ces constats ont été à nouveau validés par le rapport public de l'IGAS de novembre 2009, établi par Pierre-Louis Bras et Gilles Duhamel, sur le financement de la recherche, de l'enseignement et des missions d'intérêt général dans les établissements de santé. Dans ce rapport, l'IGAS avait conclu que l'organisation actuelle n'est pas favorable à un financement transparent et dynamique de la recherche. Non seulement elle induit un conflit d'intérêts entre le médecin investigateur et l'hôpital, mais elle peut aussi favoriser la recherche clinique, mieux rémunérée, au détriment de la recherche fondamentale qui ne donne lieu qu'à la rémunération principale du praticien hospitalo-universitaire.
Au terme de ce constat sur le financement de la recherche et les essais cliniques, M. Christophe Lannelongue a détaillé plusieurs préconisations du rapport de l'IGAS sur la rémunération des médecins.
Tout d'abord, il convient de mettre l'Ordre des médecins en situation de connaître toutes les rémunérations versées aux médecins.
Actuellement, l'absence de fichier national rend impossible une visibilité réelle sur les rémunérations versées par les entreprises aux praticiens. Il n'est donc pas possible de repérer d'éventuels cumuls de rémunérations. Cette situation interdit à l'hôpital de connaître la rémunération ou certaines activités de ses collaborateurs, et elle peut aussi poser un problème en matière d'orientation de la politique de la recherche et d'allocation des ressources.
La mission a donc préconisé une modification des dispositions législatives sur la transmission d'informations au CNOM, tendant à lui permettre de constituer un fichier national et à obliger les échelons locaux à transmettre au niveau national les données qu'il recueille. Ces informations devraient être transmises à l'établissement employeur du médecin et donner lieu à des études pour une meilleure gestion de la politique de recherche et de rémunération des médecins. Cette réforme serait également conforme aux intérêts de l'industrie pharmaceutique : en matière d'essais cliniques, la France est fortement concurrencée par de nombreux pays, notamment de l'Est de l'Europe, et le coût des essais cliniques est un des facteurs qui oriente les choix géographiques.
C'est dans ce cadre qu'à été constitué, à l'initiative des pouvoirs publics et de l'industrie, un groupement d'intérêt public (GIP), le Centre national de gestion des essais de produits de santé (CeNGEPS). Le CeNGEPS a pour rôle de rationaliser et de standardiser le coût des essais cliniques pour garantir la compétitivité de la France.
En dernier lieu, l'IGAS recommande l'information systématique des directions des établissements publics sur les rémunérations et les activités des praticiens hospitaliers.
L'objectif est d'accroître la transparence et l'équité sur les contributions réelles des médecins investigateurs à la performance de l'hôpital. Dans un contexte de financement à l'activité, les hôpitaux publics doivent être en mesure de gérer les activités des praticiens au mieux de l'ensemble des missions qu'ils mettent en oeuvre.
Le statut actuel des praticiens hospitaliers leur interdit de recevoir aucun émolument au titre d'activités exercées en dehors de l'établissement d'affectation, mais cette disposition ne s'applique pas aux consultations et aux expertises demandées par une autorité administrative ou judiciaire ou des organismes privés. Cette règle doit s'appliquer dans des conditions fixées par un arrêté ministériel qui n'est cependant jamais paru.
Par conséquent, les praticiens hospitaliers sont tenus de déclarer à leur directeur d'établissement leurs activités de recherche, mais il n'est pas précisé si cette déclaration doit concerner les conventions financières.
Il conviendrait donc de prévoir qu'en dehors de toute activité libérale, les activités rémunérées effectuées par un médecin à temps plein soient déclarées à la direction de l'établissement. Cette obligation d'information devrait aussi s'appliquer aux organismes publics de recherche employant des médecins.
Une troisième proposition de la mission est de mettre en place, dans chaque CHU, une fondation hospitalo-universitaire de recherche cogérée par l'hôpital et les médecins, afin d'améliorer la transparence des flux financiers entre l'industrie, les établissements et les praticiens.
Ces fondations pourraient être mises en place dans le cadre de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) du 10 août 2007 qui a prévu la possibilité de créer des fondations universitaires.
Par ailleurs, la mission confiée au professeur Marescaux sur l'avenir des CHU a également abouti à la proposition de mettre en place des instituts hospitalo-universitaires. Le professeur Marescaux a du reste récemment proposé à la ministre de la santé et des sports la création de cinq fondations hospitalo-universitaires dans le cadre du grand emprunt.
M. Christophe Lannelongue a précisé en conclusion que ces propositions ne sont qu'une partie de celles formulées par la mission de l'IGAS sur la rémunération des médecins et des chirurgiens hospitaliers. Le rapport de l'IGAS a en effet pour objet principal d'améliorer la gestion en créant dans chaque service un plan d'activité permettant de répartir, pour six mois ou un an, les activités des médecins entre les soins, l'enseignement et la recherche. Il s'agit de garantir que chaque médecin contribue de manière équilibrée aux missions de son service. Le dispositif serait encadré par ce que la mission de l'IGAS a appelé des valences, c'est-à-dire des choix de spécialisation sur des périodes de trois à cinq ans permettant aux médecins de voir reconnaître leur spécialisation dans leur parcours de carrière et leur rémunération.
M. François Autain, président, a demandé si le fichier national qu'il était proposé de créer serait public.
M. Christophe Lannelongue a indiqué que la mission avait eu accès à un fichier anonymisé, ce qui ne posait pas de difficulté en soi pour l'exploitation des données. Le problème rencontré avait été le manque de temps, voire de données, pour faire des analyses par spécialité, qui auraient pu être réalisées à condition de disposer d'informations sur les spécialités des médecins. Un fichier national respectant l'anonymat des praticiens concernés permet de réaliser un certain nombre d'études. Par ailleurs, une transmission à l'autorité qui emploie le médecin est nécessaire, en tant qu'élément de régulation.
M. François Autain, président, a indiqué que sa proposition d'un fichier national s'inscrivait dans la perspective de l'application d'une disposition de loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades : un médecin qui a des liens d'intérêts avec un laboratoire doit les faire connaître lorsqu'il s'exprime en public ou écrit un article. Cette disposition n'est pas appliquée. Un fichier national public faciliterait l'application de ce texte, ainsi que son contrôle.
M. Alain Milon, rapporteur, s'est interrogé sur la création d'une instance spécifique chargée du contrôle des liens d'intérêt et des procédures de gestion des conflits.
Il a également demandé si toutes les catégories de conventions soumises au dispositif de la loi de 2002 (conventions « d'hospitalité », activités de conseil, activités de formation, collaboration scientifique, expertises et études) comportaient les mêmes risques en matière d'indépendance des experts.
M. Etienne Dusehu a estimé, à titre personnel, que l'ensemble des rapports entre les médecins et l'industrie pharmaceutique peuvent poser problème. En effet, ils créent dans tous les cas un lien de dépendance directe ou indirecte qui peut se traduire financièrement par une rémunération.
M. Alain Milon, rapporteur, a demandé s'il était souhaitable d'obliger les entreprises industrielles à publier la liste des experts qu'elles rémunèrent, au moins pour certaines fonctions, en particulier les fonctions de conseil.
Serait-il également souhaitable d'interdire aux personnes qui conseillent une entreprise privée de siéger dans une instance d'expertise publique et de conseiller, à quelque titre que ce soit, les autorités politiques et administratives ?
Enfin, il est parfois avancé que tant les entreprises privées que les autorités administratives consultent les mêmes experts en raison de la qualité de ces derniers. Or, la préparation de la pandémie annoncée a donné l'impression d'être dominée par une « pensée scientifique unique » privilégiant une vision plutôt catastrophiste et qui s'est révélée erronée. Doit-on en conclure que le recours à un « vivier » unique et commun d'experts n'est pas, comme on le pense, une garantie de la qualité de l'expertise ?
A propos de l'expertise, M. Christophe Lannelongue a indiqué que la mission avait travaillé sur la base d'un rapport qu'avait commandé la direction générale de la santé (DGS) à Mme Marie-Dominique Furet sur les conditions dans lesquelles les pouvoirs publics au sens large (administrations centrales, grandes agences) font appel à l'expertise médicale. Ce rapport montrait l'apport considérable des praticiens à la qualité de la décision publique.
Dès lors, la mission avait étudié les conditions dans lesquelles ces praticiens étaient rémunérés, et comment s'articulaient leurs responsabilités en tant qu'experts pour les pouvoirs publics et leurs activités au sein de l'hôpital public. Elle a constaté que les conditions de rémunération étaient assez mal définies et peu homogènes, un même travail pouvant être apprécié et valorisé très différemment.
Par ailleurs, il n'avait pas été observé de rémunérations excessives. Les rémunérations de ce type d'expertises par les pouvoirs publics en France sont plutôt inférieures à celles pratiquées dans les autres pays européens.
En revanche, on constate aussi l'absence d'échange d'informations entre les autorités publiques recourant aux expertises et les hôpitaux publics employant ces praticiens, alors qu'une partie de l'activité des médecins hospitaliers est ainsi consacrée à d'autres employeurs, sans contrepartie pour les hôpitaux publics.
Des travaux ont ainsi été conduits avec la direction générale de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) qui avait attiré l'attention de la DGS sur le fait que beaucoup de praticiens font des expertises pour le compte des pouvoirs publics. Cependant, les vérifications effectuées ont été très peu concluantes, puisque n'étaient apparus que quelques cas d'emplois équivalent temps plein. Ce point n'a donc pas été approfondi dans le rapport de la mission, qui a seulement suggéré une rationalisation des rémunérations et un meilleur partage de l'information entre le ministère, les agences et les hôpitaux publics.
En ce qui concerne la publication des listes d'experts, M. Christophe Lannelongue a souligné que le plus important était, pour les membres de la mission, de pouvoir disposer en un endroit unique d'une vision globale de l'emploi des ressources dans l'hôpital et de son engagement en matière de recherche, afin d'avoir une approche du financement de la recherche par projet.
Le souci est de mettre les hôpitaux universitaires en situation de piloter au mieux l'effort de recherche, par un équilibre entre les fonctions de l'hôpital comme lieu de production de soin et pôle d'excellence.
M. Alain Milon, rapporteur, a réitéré sa question sur l'intérêt de la création d'une instance spécifique chargée du contrôle des liens d'intérêt.
M. Christophe Lannelongue a répondu que l'objectif était de redonner au Conseil de l'ordre la capacité de faire son travail.
M. Alain Milon, rapporteur, a rappelé que, lors de leur audition par la commission d'enquête, les représentants du CNOM avaient indiqué que, sur la base de la législation actuelle de 2002, ils n'étaient pas en situation de faire leur travail, faute de disposer des informations des conseils départementaux.
M. Christophe Lannelongue a estimé que le nombre de 5 000 conventions ainsi traitées correspond à un volume d'informations qui paraît relativement maîtrisable. Selon lui, s'il était possible de disposer d'un système d'information permettant de travailler sur la base de coûts standardisés, les comportements anormaux pourraient être repérés, ce qu'a favorisé la création du CeNGEPS.
Toutefois, il a fait part de sa conviction que, comme dans le domaine des activités libérales, les comportements anormaux en matière de rémunérations accessoires à l'hôpital public sont peu nombreux. Les comportements jugés critiquables sont ceux de praticiens qui cumulent un très haut volume de rémunérations en provenance de l'industrie, et pour lesquels on peut se demander s'ils sont, par ailleurs, en capacité d'accomplir les missions pour lesquelles ils sont rémunérés par l'hôpital public. Les enquêteurs ont examiné un petit nombre de CHU, mais certains de ces établissements, très prestigieux, concentrent des équipes de renommées internationales. Les comportements pouvant être qualifiés d'extrêmes y sont apparus excessivement peu nombreux. Dans ce contexte, un système d'information ouvrant également la possibilité d'utiliser les standards mis au point par les industriels permettrait tout à fait de détecter les comportements « aberrants ».
M. Jean-Jacques Jégou a souhaité connaître l'appréciation portée sur les Missions d'intérêt général et d'aide à la contractualisation (MIGAC).
M. Christophe Lannelongue a indiqué que cette question avait été abordée par le rapport public de l'IGAS de novembre 2009 de Pierre-Louis Bras et Gilles Duhamel sur le financement de la recherche, de l'enseignement et des missions d'intérêt général dans les établissements de santé.
Ce rapport établit un constat critique sur les modes de financement de la recherche et les autres missions d'intérêt général. En particulier, le mode de financement actuel introduit une forme de concurrence entre les activités de soin et de recherche. Comme les médecins sont intéressés à certaines formes de recherche et à certains actes de soin, la répartition de leurs activités peut être biaisée par des modes de rémunération qui ne favorisent pas un bon équilibre entre le soin et la recherche.
Aussi convient-il de développer un mode de financement par projet, au lieu de l'actuel mode de financement des missions d'intérêt général, trop forfaitaire et déconnecté de la réalité des projets et de leur mise en oeuvre. Ce dispositif devrait s'accompagner d'une forme d'intégration de tous les coûts des projets de recherche, y compris la rémunération additionnelle des médecins pour la conduite de ces activités de recherche.
Ces conclusions rejoignent donc celles de la mission de l'IGAS sur la rémunération des médecins, dont elles confortent les interrogations et les critiques sur les impacts défavorables du mode de rémunération des essais cliniques sur la mise en oeuvre des missions d'intérêt général à l'hôpital.
Mme Marie-Thérèse Hermange a souhaité savoir si des travaux avaient été menés pour certaines spécialités.
Après avoir précisé adhérer totalement à la proposition de créer un fichier national, elle s'est demandé s'il ne fallait pas également inclure les publications de référence.
Les études menées ont-elles inclus des équipes qui, comme celles de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), peuvent être aussi installées dans des hôpitaux ?
Des comparaisons ont-elles pu être établies avec d'autres pays européens, afin notamment d'apprécier le risque éventuel de pénaliser les équipes françaises ?
Enfin, les directeurs d'hôpitaux ont-ils actuellement connaissance des activités associatives à l'intérieur de leur hôpital ?
Sur ce dernier point, M. Christophe Lannelongue a indiqué que, chaque fois que la mission avait interrogé des directeurs d'hôpitaux, ces derniers avaient été surpris par le nombre d'associations et leurs activités, dont ils ne peuvent connaître que les aspects financiers. Par ailleurs, certaines associations sont « délocalisées » et domiciliées hors de l'hôpital, échappant alors au contrôle des directeurs.
Il a regretté l'absence de données comparatives. Des travaux de l'OCDE sur les rémunérations des médecins par spécialités ont été publiés dans le rapport, mais ils ne permettent pas de distinguer les revenus liés aux activités de recherche. C'est d'autant plus dommageable que l'on a toutes les raisons de penser que ces activités de recherche sont correctement rémunérées dans les pays directement en compétition avec la France. En effet, une forte pression est exercée sur les centres de recherche français pour débaucher des praticiens, notamment à l'AP-HP, comme l'a montré le cas d'un praticien de l'hôpital Henri Mondor à qui le Royal College de Londres a fait des propositions très avantageuses.
En ce qui concerne les équipes INSERM, la participation des médecins universitaires à ces équipes n'entraîne pas de supplément de rémunération. Il est considéré que ce temps de recherche s'inscrit dans le statut hospitalo-universitaire, bien que celui-ci ne constitue pas un vrai cadre d'emploi pour le développement des activités de recherche. De fait, il ne permet pas de rémunérer l'activité de jeunes chercheurs, ni d'isoler la recherche d'autres activités, par exemple d'enseignement ou de gestion.
A propos du fichier national, il a estimé effectivement important d'inclure les publications de référence. Par ailleurs, il n'a pas été possible de travailler par spécialité. Le fichier du CNOM avait permis d'amorcer des études qu'il faudrait sans doute approfondir en distinguant les spécialités, ce qui est dommage car un des problèmes majeurs du système de rémunération des médecins en France est cette différenciation par spécialité.
Mme Marie-Thérèse Hermange a souhaité revenir sur la proposition des fondations, alors qu'il existe actuellement une mode dans les CHU où, lorsqu'un médecin part à la retraite, il est mis en place un système d'institut à l'intérieur même de l'hôpital, avec des fonds publics et privés. Elle a exprimé sa crainte que l'idée de fondation puisse, à terme, créer des instituts plus lourds et plus complexes.
M. François Autain, président, a observé que la représentation nationale avait voté les dispositions permettant la création de fondations dans la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires.
M. Christophe Lannelongue a expliqué qu'il pourrait être souhaitable de mettre en place, au lieu, par exemple, des 128 associations du CHU de Nice, une structure unique qui serait l'interface obligatoire entre l'industrie et les médecins, et qui organiserait les flux financiers entre l'industrie, l'hôpital et les praticiens.
Ces fondations ne supprimeraient pas tout intéressement des équipes de recherche, mais permettraient d'introduire de la transparence et d'assurer un minimum de contrôles conjoints par l'hôpital et les médecins sur la répartition des rémunérations.
M. Jean-Jacques Jégou a demandé des précisions sur la proposition de créer cinq instituts hospitalo-universitaires dans le contexte du grand emprunt.
M. Christophe Lannelongue a indiqué que, pour la mission, il semblait possible d'appliquer le dispositif des fondations dans le cadre des cinq instituts hospitalo-universitaires qui pourraient être mis en place à la suite des travaux de la commission « Marescaux », car on disposera d'une structure pour organiser le travail de recherche de nombreux praticiens en associant l'hôpital, l'université et l'industrie.
M. Jean-Jacques Jégou a observé que la transparence exige que le grand emprunt finance des projets bien identifiés, dûment connus.
M. Christophe Lannelongue a estimé que les fondations seraient un facteur de transparence. En effet, dans une logique de financement de projets de recherche, il est possible d'identifier des coûts complets permettant d'établir des comparaisons et de rationaliser les rémunérations.
M. Marc Laménie a souhaité savoir si la mission de l'IGAS connaissait le nombre et le budget moyen des associations loi 1901 dans les hôpitaux.
M. Christophe Lannelongue a répondu que, en l'absence de recensement, le travail effectué au CHU de Nice avait fait apparaître 500 protocoles de recherche et 128 associations, dont le financement et la structure financière étaient très divers.
Les montants financiers s'échelonnent entre quelques milliers et des centaines de milliers d'euros, voire quelques millions d'euros. Mais, comme l'ont indiqué la plupart des chefs de service rencontrés, les associations sont effectivement utilisées pour faciliter la gestion, par exemple le paiement de déplacements dans le cadre de congrès ou l'achat d'équipements informatiques.
M. Alain Milon, rapporteur, s'est interrogé sur le choix comme exemple du CHU de Nice, observant que le proche hôpital de Monaco pouvait faire des propositions aux praticiens de ce CHU.
M. Christophe Lannelongue a indiqué que l'enquête avait porté sur sept CHU, dont deux de l'AP-HP (Pitié-Salpêtrière et Henri Mondor) et ceux d'Amiens et de Poitiers.
Cet échantillon a été jugé représentatif de l'ensemble des CHU. Les données du rapport traduisent une réalité commune à tous ces CHU, celui de Nice n'étant pas une exception sur les questions de rémunération et de financement de la recherche.
M. Alain Milon, rapporteur, a observé que le voisinage du CHU de Nice était pourtant exceptionnel.
M. Christophe Lannelongue est convenu que la rémunération des praticiens de l'hôpital est sensiblement supérieure à celle des praticiens du CHU de Nice.
Mme Marie-Thérèse Hermange a souligné que même lorsqu'un institut est fondé sur un projet, ce projet n'est pas toujours pérenne, puisqu'il est parfois élaboré dans le cadre de la carrière d'un médecin. Au départ du médecin, parfois à l'étranger, l'institut perd sa raison d'être.
Audition de M. Didier Tabuteau, conseiller d'Etat, directeurde la chaire « santé » à l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris,directeur du Centre d'analyse des politiques publiques en santéà l'Ecole des hautes études de santé publique (EHESP)
La commission d'enquête a enfin entendu M. Didier Tabuteau, conseiller d'Etat, directeur de la chaire « santé » à l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris, directeur du Centre d'analyse des politiques publiques en santé à l'Ecole des hautes études de santé publique (EHESP).
A titre liminaire, M. Didier Tabuteau a précisé qu'il n'était pas actuellement en fonction au Conseil d'Etat, mais en position de disponibilité. Ajoutant qu'il n'était pas professionnel de santé et n'appartenait à aucune commission, il a également tenu à porter à la connaissance de la commission d'enquête le partenariat entre l'IEP de Paris, pour le fonctionnement des chaires d'enseignement, et diverses entreprises parmi lesquelles le groupe IPSEN et Sanofi - Aventis, ainsi que l'Association française contre les myopathies (AFM).
Abordant ensuite la question de la déontologie de l'expertise, il a rappelé que ce problème a émergé en France au début des années 1990, au moment de la création de l'Agence du médicament.
La création de cette Agence visait, non sans témérité, à atteindre trois objectifs : l'excellence scientifique, l'efficacité administrative, la déontologie de l'expertise.
Mais cette dernière ne faisait alors l'objet d'aucun système de règles concernant la prévention des conflits d'intérêts ou la déclaration des liens d'intérêt. Il a cependant été possible, sans texte, au niveau du règlement intérieur de l'Agence, d'imposer une obligation de déclaration d'intérêt à tous les experts participant aux différents groupes de travail ou commissions. M. Didier Tabuteau a précisé qu'il avait lui-même expliqué dans les différentes commissions pourquoi cette « règle du jeu » paraissait souhaitable et qu'il avait eu le sentiment que cette obligation avait plutôt été ressentie comme un soulagement par l'immense majorité de ses interlocuteurs.
Ces règles, après avoir été étendues en 1998 à toutes les agences sanitaires, ont été à l'origine des dispositions, introduites dans le code de la santé publique par la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la qualité du système de santé, qui sont aujourd'hui applicables aux membres des commissions et conseils siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale.
La question de la déontologie de l'expertise, a souligné M. Didier Tabuteau, s'est posée dans un contexte difficile, après le drame du sang contaminé qui a conduit la France, en quelque sorte, à « prendre en marche » le train anglo-saxon.
Il a fallu « acclimater » ce système : c'est ainsi que la construction réglementaire prévue pour l'Agence du médicament a été élargie à toutes les agences sanitaires avant d'être généralisée, en tout cas dans la sphère de la santé et de la sécurité sociale, par la loi de 2002.
Cette première étape était en quelque sorte celle de la sortie de la préhistoire, car il n'existait auparavant que les dispositions du code pénal interdisant de prendre partie dans une affaire où on a un intérêt. Ce nouveau droit s'est progressivement disséminé, sans doute plus vite que la mise en place des mécanismes permettant son contrôle et son fonctionnement. L'on est donc entré dans une deuxième phase, où il faut parfaire l'application de ces règles : c'est là-dessus que se concentre aujourd'hui l'attention.
M. Didier Tabuteau a précisé, à ce propos, que pour lui, la déontologie de l'expertise doit reposer sur deux dispositifs.
Outre l'impartialité subjective, celle qui doit garantir que l'expert se prononce, en son âme et conscience et qu'il rend, en tout indépendance d'esprit, l'avis que l'on est en droit d'attendre de lui compte tenu de ses connaissances, il faut en effet veiller à l'impartialité objective, qui dépend de la façon dont le système permet à l'expert d'exprimer son expertise.
C'est pour cela que l'efficacité administrative est importante : le bon fonctionnement des règles déontologiques dépend aussi du bon fonctionnement des structures. La dualité de l'expertise y contribue : il faut qu'à l'expertise interne, qui était un des enjeux de la création des agences de sécurité sanitaire, s'ajoute une expertise externe faisant appel à des personnes extérieures, des praticiens, des hospitaliers, des chercheurs, y compris des chercheurs travaillant pour l'industrie.
La diversité, le renouvellement de l'expertise sont aussi importants : l'appartenance à un même corps, à une même spécialité peut être un danger. Le fait de ne pas oser contredire quelqu'un simplement parce que l'on a du respect pour ses compétences peut aussi biaiser l'expertise. C'est pourquoi il est important de diversifier l'origine des experts, de les renouveler, de faire appel, y compris dans des champs très scientifiques, à des sociologues, à des associations de patients, ce qui favorise le débat contradictoire et permet d'organiser une sorte de « contrôle social ».
M. Didier Tabuteau a enfin complété le rappel des textes en vigueur en évoquant la mesure, également prévue par la loi de 2002 et qu'il avait personnellement soutenue, qui fait obligation à toute personne s'exprimant publiquement sur un produit de santé de faire connaître au public ses liens éventuels avec des entreprises produisant ou exploitant de tels produits.
M. François Autain, président, a regretté que le décret d'application de cette disposition ne soit paru qu'en 2007, M. Didier Tabuteau, tout en s'associant à ce regret, a remarqué que le texte aurait pu être d'application directe, le décret ne lui apportant pas grand-chose.
Reprenant le cours de son exposé, il a souligné qu'il y avait sans doute de nouvelles étapes à franchir pour mieux assurer le respect de la déontologie, comme l'indiquent les travaux du Sénat allant dans le sens d'un « Sunshine Act » à la française. On peut aussi envisager la possibilité de prévoir que les laboratoires fassent état des conventions qu'ils passent, des liens d'intérêt qu'ils nouent avec des professionnels. Il est à noter, à cet égard, qu'une disposition de cette nature a été intégrée à la loi américaine de réforme du système de santé.
M. François Autain, président, a dit qu'il lui semblait avoir lu dans la presse que le président du syndicat professionnel des entreprises du médicament (LEEM) n'était pas favorable à une telle disposition.
M. Didier Tabuteau a répondu qu'en revanche l'industrie américaine et les professionnels semblaient dans l'ensemble approuver cette mesure, qui sera applicable en 2013 mais que certains appliquent déjà par anticipation. Il a souligné qu'elle avait l'intérêt de dédramatiser les relations qui peuvent exister, très légitimement, entre des experts, des entreprises, des professionnels du secteur de la santé.
Une autre amélioration envisageable serait de consolider toutes les instances d'expertise. Il n'est pas souhaitable en effet d'encourager les groupes ou comités informels qui ont longtemps été nombreux dans le secteur de la santé : la meilleure façon de garantir la transparence, lorsque l'on met en place un comité, c'est de l'institutionnaliser, de le doter de règles, de nommer ses membres.
M. Didier Tabuteau a également rappelé la nécessité de valoriser les fonctions d'expertise dans les carrières d'enseignement et de recherche. En ne le faisant pas, on ne rend pas justice à des personnes qui se dévouent pour la collectivité.
Il faut aussi, très simplement, envisager un dispositif qui permette aux experts de se déplacer, d'aller dans des congrès, de participer à certaines manifestations. Si la puissance publique a besoin d'experts pour des décisions lourdes en matière de santé publique, il faut qu'elle s'organise pour qu'ils aient les moyens d'être au meilleur niveau scientifique. C'est une réflexion à avoir. Il y a, c'est vrai, d'autres façons de faire, mais ce ne sont sans doute pas les meilleures.
M. Didier Tabuteau a également estimé souhaitable que le non-respect des règles de déclaration d'intérêt ne donne pas lieu à sanction pour les seuls professionnels mais aussi pour les entreprises qui ont des liens avec eux. Il serait en effet concevable que les contrats qu'elles passent avec un expert comportent une clause les obligeant à mentionner ces liens. Ce parallélisme pourrait être efficace, car les entreprises ne voudraient sans doute pas prendre le risque d'être sanctionnées, et il ne serait pas choquant. Enfin, s'il y avait un « Sunshine Act » français, son application ne devrait pas se limiter aux professionnels de santé mais être étendue à l'ensemble des intervenants dans ce domaine, comme cela a été prévu, pour les expressions publiques, pour tous les membres des commissions consultatives siégeant auprès des ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. Il n'y a en effet aucune raison de stigmatiser des professionnels de santé.
En conclusion de son exposé, M. Didier Tabuteau a avancé l'opinion que les progrès nécessaires dans l'application et le contrôle des règles déontologiques, et dans le débat sur ces questions, justifieraient que l'on développe largement la formation sur ces sujets. Dans le cadre de la loi du 4 mars 2002, le législateur a prévu que les experts médicaux intervenant dans les procédures d'indemnisation reçoivent une formation juridique et médico-légale les préparant à de telles fonctions. Il devrait en être de même en matière de déontologie. L'expertise aussi s'apprend. Lorsque quelqu'un rentre dans la « carrière d'expert », quand il est nommé pour la première fois dans une instance, il ne serait pas choquant qu'il reçoive une formation sur les règles juridiques et sur les dispositifs applicables, sur leur fonctionnement et leur justification.
Un débat a suivi.
Soulignant que l'exposé de M. Didier Tabuteau apportait déjà beaucoup de réponses aux interrogations que se posait la commission d'enquête, M. Alain Milon, rapporteur, l'a interrogé sur les enseignements de la gestion de la grippe en matière de liens entre les agences sanitaires, les experts et les décideurs politiques. Quelles sont les conditions d'une expertise publique efficace et socialement reconnue ? Notre système d'agences sanitaires et d'instances de conseil répond-il aux principes définis par M. Didier Tabuteau ? Faut-il interdire aux experts qui conseillent les entreprises de siéger dans les instances publiques nationales et internationales, telle l'OMS ?
Sur les liens entre agences sanitaires, experts et décideurs, M. Didier Tabuteau a estimé qu'il convenait d'être prudent. Lorsqu'on n'est pas à l'intérieur d'un dispositif, on le perçoit inévitablement de façon très déformée et il est donc difficile de porter sur lui des jugements, surtout sur des sujets importants. Il a également relevé que la situation d'aujourd'hui est très différente de celle de la fin des années 1980 ou du début des années 1990, lorsqu'il n'existait pas ou peu d'instances d'expertise. Il fallait alors, chaque fois qu'une question se posait, constituer un dispositif d'expertise.
Tel n'est plus le cas : on dispose aujourd'hui d'un réseau d'expertise et d'instances complet et assez dense, et le plus important, désormais, est sans doute de l'utiliser dans les compétences qui lui ont été dévolues, qui ont été données à chacun de ses éléments par leurs textes constitutifs. Lorsqu'un problème se pose, on saisit l'instance compétente. Lorsqu'il y a une crise à gérer, on doit pouvoir établir une sorte de « main courante » de la sécurité sanitaire, permettant de suivre un processus très clair, bien encadré et qui soit lisible de l'extérieur. C'est très important pour assurer la crédibilité de l'expertise, qui est différente de sa « scientificité », en permettant à chacun, y compris au public et à la presse, de savoir comment se déroule la gestion du processus.
Ce n'est pas facile à faire et l'on peut être tenté, sous la pression ou dans l'urgence, d'agir de façon non formalisée. Mais cela nuit à la crédibilité et cela a surtout un autre inconvénient : celui de ne pas permettre, au bon moment, aux contradicteurs de s'exprimer.
Or, a souligné M. Didier Tabuteau, la leçon que l'on peut retenir de l'expérience des crises, c'est que la contradiction est indispensable. Les meilleurs systèmes d'expertise peuvent se tromper, on le sait, et les réactions d'associations, de chercheurs dissidents, d'autres organisations pourront apporter des éléments qui permettront de changer la vision que l'on a des choses. Plus on explicite ce que l'on fait, pourquoi on le fait, plus on offre de chances aux opinions divergentes de s'exprimer. On peut les prendre en compte ou non, car les responsables doivent garder leur capacité de décision et de gestion, mais il est important de permettre, à chaque étape, à l'ensemble du corps social de réagir.
M. Didier Tabuteau a indiqué, à ce propos, qu'il avait signé un appel paru dans la presse en septembre 2009, non pas pour remettre en cause le dispositif appliqué, mais pour demander qu'il y ait un débat public et des explications sur les décisions prises.
C'est sans doute dans cette direction que l'on peut chercher à améliorer la gestion des crises, et l'on se trouve là au coeur du lien entre les agences, les experts et les décideurs.
En réponse à une question de M. François Autain, président, M. Didier Tabuteau a indiqué que l'appel qu'il avait signé n'avait, à sa connaissance, pas eu d'effet.
Répondant ensuite à la question du rapporteur sur l'opportunité d'interdire aux experts conseillant des entreprises de siéger dans des instances publiques nationales et internationales, M. Didier Tabuteau, après s'être dit incompétent pour traiter du cas de l'OMS, dont il n'avait pas eu l'occasion de connaître les modalités de fonctionnement, a estimé impossible de poser le principe d'une telle interdiction. On ne peut, par exemple, évaluer une nouvelle approche thérapeutique en écartant tous ceux qui en ont eu l'expérience. Mais on peut, alors, élargir la méthodologie de l'évaluation, y associer d'autres scientifiques, sans écarter pour autant les experts de haut niveau qui sont intervenus sur le champ, d'autant moins qu'il n'y a, a priori, pas de raison de présumer leur absence de neutralité.
Il convient en outre, a-t-il précisé, de rappeler que tous les liens d'intérêts ne sont pas de même nature. Faire de la formation, participer à un essai clinique, ce n'est pas la même chose qu'être un expert exerçant auprès d'une entreprise un rôle de conseil ou de consultant largement « engagé » ou quasi-salarié. Ce dernier cas, à la différence des autres, peut effectivement poser un véritable problème en cas de participation à des travaux d'expertise pour les pouvoirs publics.
M. Alain Milon, rapporteur, a ensuite souhaité interroger M. Didier Tabuteau sur la problématique de la précaution et de la prévention. A-t-il estimé que la gestion de la pandémie correspondait à une application excessive du principe de précaution ? Quelle aurait dû être, selon lui, la méthode d'évaluation du risque pandémique ?
Après une intervention de M. François Autain, président, qui a douté que l'on puisse se référer à un principe de prévention, au demeurant non prévu par la constitution, M. Didier Tabuteau s'est tout d'abord déclaré incapable de répondre à la dernière question du rapporteur, dont il a jugé qu'elle était fort intéressante mais relevait de la compétence d'un épidémiologiste.
En ce qui concerne le principe de précaution, il en a distingué deux acceptions. En matière d'environnement, il y a le « principe de précaution » tel que le définit depuis 2005 la Constitution. En matière de santé publique, il faut plutôt parler d'une « obligation de précaution » qui est beaucoup plus ancienne. La loi confiait déjà aux corps municipaux, en 1790, le soin de prendre les précautions convenables pour prévenir certains événements et y porter remède. La loi de 1884 a confirmé les obligations sanitaires de l'autorité municipale.
La notion de précaution est ainsi incluse dans la santé publique depuis l'origine. Cette obligation de précaution en matière de santé est liée à l'appréciation du rapport bénéfice-risque : il incombe au décideur d'évaluer la situation et de chercher à prendre la décision permettant d'optimiser ce rapport.
Cette « obligation » impose aussi que les moyens soient proportionnés au risque identifié. Est-ce que l'on identifie correctement le risque ? C'est une autre question - que l'on s'est posée à propos de nombreux problèmes de santé publique, par exemple la vache folle.
La question de l'évaluation du risque est déterminante, car c'est elle qui permet de savoir si « on en a trop fait » ou pas. Mais peut-on déjà, dans le cas de la pandémie grippale, répondre à cette interrogation ?
Sur la distinction entre précaution et prévention, M. Didier Tabuteau a déclaré que l'on pourrait fort bien admettre que lorsqu'un risque est certain, on est dans le domaine de la prévention et, sinon, dans celui de la précaution. Le problème est qu'en matière de santé publique, on n'est jamais dans une situation de certitude dans tous les domaines. On peut donc penser que « l'obligation de précaution », qui impose d'essayer d'évaluer le mieux possible les bénéfices et les risques, est l'attitude la plus efficace dans le domaine de la santé publique. Mais on n'a pas toujours tous les éléments nécessaires pour peser les bénéfices et les risques de manière totalement rationnelle.
M. François Autain, président, a alors demandé à M. Didier Tabuteau s'il partageait l'opinion émise par le professeur Gentilini selon laquelle « le principe de précaution doit protéger la population avant de protéger les décideurs », opinion qu'il préférait ne plus exprimer personnellement, la ministre de la santé ayant considéré comme une insulte qu'il en fasse état devant elle.
Notant que le professeur Gentilini faisait partie des « experts dissidents » qui étaient allés à l'encontre des avis exprimés par l'ensemble de la communauté scientifique et qu'il avait eu le tort d'avoir eu raison, il a demandé si l'on ne pouvait pas faire le reproche aux autorités sanitaires de n'avoir pas suffisamment pris en compte l'opinion de ceux qui, très tôt, s'étaient émus de la dramatisation de la situation et de l'importance donnée à cette épidémie. N'a-t-on pas cherché à les marginaliser ou à les décrédibiliser plutôt qu'à les intégrer à la réflexion ?
M. François Autain, président, a relevé à cet égard, qu'au début de la crise le discours officiel se référait volontiers au principe de précaution qui, selon lui, ne s'applique que lorsqu'on fait face à un danger que l'on ne connaît pas, dont on ignore la gravité et même l'échéance. La prévention, en revanche, correspond à l'ensemble des mesures que l'on peut prendre quand on connaît la nature et la gravité de la menace, et que l'on a une idée du moment où elle se manifestera. On doit alors tenir compte du rapport bénéfice-risque, mais aussi du rapport coût-efficacité.
Il semble que dans le cas de la grippe, on était davantage dans le domaine de la prévention que dans celui de la précaution. Mais le résultat est là : on a acheté 94 millions de doses de vaccins pour en utiliser six. C'est pour le moins, quoi qu'on en dise, une erreur de prévision.
Notant que M. Didier Tabuteau avait évoqué, dans un de ses écrits, « la pusillanimité d'un pouvoir traumatisé par le sang contaminé ou la canicule et tétanisé par des mesures de réorganisation du système de soins ou d'équilibrage des comptes sociaux », M. François Autain, président, a relevé qu'en l'occurrence, en dépit du souci du rééquilibrage des comptes, on n'avait pas hésité à dépenser des sommes colossales équivalant au déficit annuel des hôpitaux publics.
Il a dit avoir le sentiment que l'on parlait moins de précaution, de sécurité sanitaire, de transparence, d'évaluation, que de grands thèmes moraux, comme l'éthique. Effectivement, quand on invoque l'éthique, il n'y a plus d'arguments. On peut acheter des vaccins pour permettre à tous ceux qui le souhaiteraient de se faire vacciner. Peut-être aurait-on quand même pu essayer de mieux ajuster les commandes à la demande. Les critères retenus n'étaient apparemment pas les bons et il aurait peut-être été préférable de procéder à un sondage.
On peut donc se poser bien des questions. C'est peut-être le professeur Floret qui a eu la bonne réponse en définissant la décision d'achat des vaccins, prise avant l'avis du Haut Conseil de santé publique (HCSP), comme une décision politique. Et c'est peut-être pour cela que l'on a du mal à situer cette décision dans le cadre d'une réflexion de santé publique.
Faisant suite aux propos du président, M. Alain Milon, rapporteur, a demandé si la préparation à des risques de grande ampleur empêchait de voir des risques de moindre ampleur.
Observant que les questions posées, qui ont trait à l'adaptation d'un système de santé moderne aux crises - pour les prochaines fois car il y aura des prochaines fois, étaient celles que se posaient tous les analystes de la santé, M. Dider Tabuteau a considéré que, pour sa part, il ne pourrait faire que des analyses rétrospectives sur la base des informations dont il dispose, c'est-à-dire essentiellement celles parues dans la presse, puisqu'il n'avait en rien participé au processus de décision.
Ces informations, jusqu'en juillet, août et septembre, semblaient quand même indiquer que l'on était en présence d'une menace sérieuse. Certaines étaient plus alarmistes que d'autres, mais on pouvait se poser des questions sur la mortalité directe, la virulence du virus, le niveau du recours aux soins intensifs en Australie ou en Nouvelle-Zélande. Clairement, ce n'était pas la grippe espagnole, mais on semblait être sur un sujet sérieux, au moins aussi sérieux et peut-être plus qu'une grippe saisonnière.
Donc, au vu des éléments connus, en tout cas de ceux publiés dans la presse, aux dates auxquelles ont été passées les commandes de vaccins, il paraît difficile de dire que l'on est dans une démarche excessive a priori, voire complètement délirante. Peut-être aurait-on dû passer des commandes un peu moins importantes mais, faute d'informations plus précises, on ne peut guère formuler d'autre jugement.
En revanche, on peut avoir beaucoup plus de réactions vis-à-vis de l'organisation du dispositif de vaccination car, en ce domaine, on a sans doute raté l'occasion, dans un système de santé moderne, de mobiliser les associations et le corps médical sur des missions de santé publique nouvelles, ce qui aurait peut-être pu changer l'appréciation portée, après coup, sur la vaccination - même si, bien sûr, cela n'aurait rien changé quant à la gravité de la grippe.
En conclusion, M. Didier Tabuteau a estimé que l'on ne pouvait, jusqu'à l'été, juger que les décisions prises avaient été fantaisistes, ni porter d'appréciation précise sur le nombre de vaccins à commander, ni trouver anormal de vouloir faire en sorte que toute personne qui souhaite être vaccinée puisse l'être.
En réponse à une question de M. François Autain, président, il s'est dit persuadé que le dispositif de la vaccination avait certainement eu un effet majeur sur « l'acceptabilité » de celle-ci. Il a par ailleurs estimé qu'en situation d'incertitude, seul le politique est légitime pour prendre les décisions. Il est le seul à pouvoir prendre une décision de « risque » - qu'il soit sanitaire ou financier - avec la légitimité du suffrage universel. C'est aussi la même chose dans le cas des décisions de prévision. L'expert ne doit en aucun cas devenir le paravent du politique. Il y a une responsabilité incessible du politique.
M. François Autain, président, a noté qu'en septembre, lorsque le risque est apparu moins grave, le nombre de vaccins commandés aurait pu apparaître plus disproportionné. N'aurait-il donc pas fallu faire dès septembre ce que l'on a fait en janvier ?
M. Didier Tabuteau a noté qu'en septembre, octobre et novembre, il y avait, semble-t-il, beaucoup de gens qui souhaitaient être vaccinés, et que ce qui lui paraissait le plus regrettable, en termes de santé publique, c'est que l'on n'ait pas été en position de répondre à cette demande.
M. François Autain, président, a remarqué que cette situation ne tenait pas seulement à l'organisation de la vaccination mais aussi au rythme de livraison des vaccins, en particulier à l'arrivée tardive des vaccins destinés aux enfants. Compte tenu des délais incompressibles de mise à disposition des vaccins, doit-on considérer le vaccin comme le moyen le plus efficace pour contenir ou enrayer une épidémie ? D'autres moyens ne sont-ils pas finalement plus efficaces ? Dès lors, la vaccination n'apparaît-elle pas comme une « mesure de précaution » totalement disproportionnée ?
M. Didier Tabuteau est convenu que la vaccination n'était qu'un élément d'un dispositif plus global. Mais il a estimé que si le dispositif de vaccination avait été « construit » autrement, en associant les professionnels de santé, la vaccination aurait pu être plus rapide et concerner une population plus importante. Il a donc affirmé rester persuadé que l'on avait manqué une occasion, et réitéré son regret que l'on ait « défini le 21 juillet la médecine de premier recours et, le 21 août, la médecine de dernier recours ».
C'est là un sujet de réflexion important pour l'avenir. Comment faudra-t-il, dans la perspective d'une prochaine crise, s'organiser pour faire une politique de santé publique moderne dans un pays ayant un système de santé développé ? C'est peut-être d'abord cette occasion manquée qu'il faut déplorer, et d'abord sur ce point qu'il faut mener une réflexion critique.
La question de la réponse aux risques de petite et de grande ampleur est aussi une vraie question. On a pu se demander s'il ne conviendrait pas d'avoir une direction chargée de la santé publique et une autre chargée de la sécurité sanitaire : c'est une boutade, mais qui exprime bien que la pression qu'exerce sur le système de santé une menace ponctuelle grave - la méningite par exemple - ou une menace de plus grande ampleur - une pandémie grippale - a des conséquences sur des politiques « au long cours » d'importance majeure, telle la lutte contre le cancer ou l'obésité, qu'on ne peut mener que dans la durée et qui sont de ce fait très difficiles à gérer.
Il est donc essentiel de trouver un équilibre entre la politique de santé publique qu'il faut conduire au quotidien et la gestion des problèmes de sécurité sanitaire qui peuvent devenir « envahissants », ou sur lesquels ont peut avoir tendance, par moment, à se focaliser en négligeant d'autres sujets beaucoup plus importants.
M. François Autain, président, a ensuite interrogé M. Didier Tabuteau sur les conséquences que pourrait avoir la gestion de la crise sur l'attitude des Français à l'égard de la vaccination.
M. Didier Tabuteau a estimé que l'on pouvait considérer que la vaccination avait été « malmenée », mais sans doute moins que la santé publique en général, alors que la crise grippale offrait une occasion au système de santé publique de « franchir une étape de maturité ».
M. François Autain, président, évoquant un ouvrage sur l'affaire du sang contaminé que son titre définissait comme « une défaite de la santé publique », s'est demandé si l'on ne pourrait pas caractériser la pandémie grippale comme « une occasion manquée pour la santé publique ».
M. Alain Milon, rapporteur, a souligné que les analyses à faire de la crise grippale ne devraient pas non plus négliger le rôle d'internet qui a montré qu'il permettait de donner à l'information non scientifique une audience et une crédibilité qui éclipsaient celles de l'information scientifique.
M. Marc Laménie a demandé des précisions sur la formation que M. Didier Tabuteau estimait souhaitable de dispenser aux experts. Qui pourrait être chargé de la dispenser ? En quoi consisterait-elle ?
M. Didier Tabuteau a indiqué que l'on peut envisager deux types de formations spécifiques nécessaires aux experts. Il y a d'abord une formation à la méthodologie de l'expertise dans les domaines ou les secteurs où chaque expert intervient, l'acquisition des compétences qui font de l'expertise un « métier à part ». Ce n'est pas celle-ci qu'il a évoquée, mais la formation « déontologique », la formation au droit de l'expertise, aux missions de service public auxquelles participent tous les experts, quels que soient leur spécialité ou leur niveau d'intervention. Une telle formation pourrait être organisée dans des grandes écoles, et notamment à l'EHESP, mais aussi à l'université, sous forme de modules très généraux et susceptibles de s'adresser à des experts participant à des instances de toute nature. Elle porterait sur les principes fondamentaux de la déontologie de l'expertise, sur la notion d'intérêt général, sur les principes du service public et de la participation à des missions de service public.
M. François Autain, président, a enfin posé une question sur les pays européens qui avaient refusé d'organiser une vaccination anti-pandémique. Il a souhaité savoir quelles réflexions leur décision inspirait à M. Didier Tabuteau, en tant que spécialiste de la santé publique. Faut-il penser que cette décision, comme cela a été annoncé, était en fait motivée par un manque de financements disponibles ? Et, si tel est le cas, est-ce à dire que les pays qui ont des moyens peuvent choisir de les gaspiller ?
M. Didier Tabuteau a indiqué qu'au risque de décevoir le président François Autain, il était incapable de porter un jugement sur des décisions dont il ignorait sur quels fondements et dans quel contexte elles avaient été prises.