- Mercredi 30 juin 2010
- Audition des Dr Jean-Paul Kaufmant, secrétaire général, et Véronique Arnaudo, du Syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste
- Audition de MM. Jean-Paul Bailly, président, et Georges Lefèbvre, délégué général, directeur des ressources humaines et des relations sociales du groupe La Poste
- Table ronde réunissant des représentants des syndicats de salariés de La Poste
- Audition de Mme Pascale Soulard, ergonome à Aéroports de Paris, représentante de l'association des ergonomes de collectivités, d'administrations publiques et d'entreprises
Mercredi 30 juin 2010
- Présidence de M. Jean-Pierre Godefroy, président -Audition des Dr Jean-Paul Kaufmant, secrétaire général, et Véronique Arnaudo, du Syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste
La mission d'information a tout d'abord entendu les Dr Jean-Paul Kaufmant, secrétaire général, et Véronique Arnaudo, du Syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste.
M. Jean-Pierre Godefroy, président, a rappelé que la mission d'information sur le mal-être au travail s'est déjà intéressée à la situation de différentes entreprises, dont France Telecom et Renault. La lettre adressée par le syndicat des médecins de prévention de La Poste à la direction de cette entreprise ayant été rendue publique, la mission a souhaité entendre les acteurs concernés avant de clore ses auditions.
Mme Véronique Arnaudo a précisé être médecin du travail depuis dix-sept ans, dont bientôt onze au sein de La Poste, en Indre-et-Loire, et avoir participé à de nombreux travaux scientifiques sur la santé mentale au travail. Elle préside l'association de médecine du travail de la région, est élue au conseil national professionnel de la médecine du travail et pilote, à La Poste, un travail collectif sur les troubles musculo-squelettiques (TMS).
M. Jean-Paul Kaufmant a signalé que le syndicat professionnel des médecins de prévention de La Poste compte 85 adhérents, soit 60 % des médecins de l'entreprise.
En dépit d'un constat partagé avec la direction, les demandes formulées par le syndicat n'ont jamais obtenu de réponse concrète. Il y a pourtant un réel problème concernant les moyens d'action des médecins et leur reconnaissance dans l'entreprise. Le constat de la dégradation de l'état de santé des personnels de La Poste a été fait au printemps 2009, avec le diagnostic de l'épuisement des facteurs et de la souffrance des guichetiers. Il a été fait état de cette dégradation qui touche tant les agents que les « encadrants opérationnels » en prise directe avec l'activité quotidienne de l'entreprise, dans les rapports annuels remis à la direction.
Du fait du mal-être au travail, les consultations sur demande du salarié ou de l'employeur sont désormais plus fréquentes que les visites périodiques obligatoires. Le contenu des consultations a évolué puisque l'activité de soutien psychologique a pris le pas sur la prévention. Le nombre d'arrêts maladie est passé de 10,5 jours par an et par agent, en moyenne, en 2008, à 16 jours en 2009. La consommation de médicaments et de psychotropes a également augmenté, comme l'attestent les contacts pris avec les médecins traitants et les médecins de la sécurité sociale, inquiets de la situation.
Mme Véronique Arnaudo a présenté d'autres indicateurs confirmant cette augmentation de la souffrance au travail. Ainsi, l'absentéisme a augmenté au cours des dernières années malgré les tentatives de la direction de juguler ce phénomène. Par ailleurs, en 2009-2010, le nombre d'accidents du travail a augmenté de 10 %.
M. Jean Desessard a souhaité savoir de quel type d'accident il est principalement question.
Mme Véronique Arnaudo a répondu qu'il s'agit surtout d'accidents de la route qui concernent les facteurs.
Par ailleurs, le nombre de maladies professionnelles a été multiplié par quatre en l'espace de trois ans. En réponse à une demande de précision de M. Gérard Dériot, rapporteur, Véronique Arnaudo a précisé qu'il s'agit à 95 % de TMS, qui sont par essence une maladie de surcharge. Par ailleurs, les demandes de temps partiel, qui émanaient auparavant principalement de jeunes femmes avec enfants, concernent de plus en plus des salariés masculins âgés d'une cinquantaine d'années, qui gèrent ainsi leur souffrance au travail.
M. Jean-Paul Kaufmant a souligné que, depuis l'alerte lancée par le syndicat, les relations avec la direction se sont tendues. Celle-ci tente de tenir les médecins à l'écart de l'information et exerce sur eux des pressions inacceptables. Le syndicat lui a adressé, au printemps 2009, un courrier d'avocat, resté sans réponse, pour rappeler les conditions de l'exercice de la médecine du travail. Un rendez-vous a finalement été obtenu avec la direction à l'automne. A cette occasion, la dégradation de l'état de santé des personnels a été rappelée, mais sans que cela débouche sur des actions concrètes. Lors de la rencontre annuelle avec les médecins de prévention, la direction est apparue en situation de déni, faisant état de considération sans lien avec les efforts des personnels pour accomplir leurs missions. La surprise dont fait état la direction de La Poste paraît donc curieuse et l'affirmation selon laquelle la lettre émanerait d'un « groupuscule de médecins » est infondée.
M. Alain Gournac a souhaité savoir pourquoi tous les médecins du travail de La Poste n'ont pas adhéré au syndicat professionnel si la situation est si grave.
Mme Véronique Arnaudo a répondu que par rapport au taux moyen de syndicalisation des professionnels de santé, un taux de 60 % est déjà exceptionnel.
Mme Muguette Dini a demandé quelles sont les causes du mal-être ressenti par les personnels de La Poste.
Mme Véronique Arnaudo a indiqué que les causes identifiables du mal-être sont de deux types : les unes sont communes à l'ensemble des métiers, les autres spécifiques à chaque métier.
Les causes communes tiennent, malgré les efforts de l'entreprise, à la difficulté pour les agents de concilier les objectifs de rentabilité, liés au nouveau statut de La Poste, et leurs obligations de service public.
Les causes de mal-être pour les métiers de facteur, guichetier et conseiller financier sont les suivantes :
- le métier de facteur est physique, il implique un travail six jours sur sept, accompli à l'extérieur au moins cinq heures par jour, quelles que soient les conditions météorologiques. Il leur faut porter des charges lourdes et conduire un vélo chargé, qui pèse en moyenne soixante-quinze kilos, sur quinze à vingt kilomètres. Les gestes répétitifs associés à ce métier peuvent être cause de TMS. A ces contraintes physiques, s'ajoute désormais l'intensification des rythmes de travail ; comme les facteurs absents ne sont plus remplacés, leur charge de travail est répartie sur les présents, ce qui se traduit, en Indre-et-Loire, par une surcharge plus de la moitié des jours de l'année. De plus, le nombre de semaines consécutives comportant six jours de travail, qui était plafonné à trois il y a encore quelques années, a augmenté progressivement pour atteindre sept dans certains établissements ;
- s'agissant des guichetiers, l'accueil du public est rendu plus difficile par la baisse du nombre d'agents, et par l'allongement des files d'attente qui en résulte, ainsi que par les nouvelles exigences commerciales qu'il faut concilier avec des obligations de service public demeurées entières ;
- les conseillers financiers de la Banque postale sont, pour leur part, pétris d'une culture de conseil aux clients, à laquelle se substituent désormais des objectifs commerciaux évalués individuellement, sur la base quasi-exclusive du chiffre d'affaires. Cela provoque des conflits de valeurs difficiles à vivre pour certains agents.
M. Jean-Pierre Godefroy, président, a fait état des témoignages de postiers dans sa région, qui se plaignent effectivement d'une surcharge de travail et de dépassements d'horaires.
M. Jean-Paul Kaufmant ayant confirmé l'importance des dépassements horaires, M. Jean-Pierre Godefroy, président, a souhaité savoir quelles améliorations ont été apportées en matière d'ergonomie pour les postiers.
Mme Véronique Arnaudo a considéré que l'entreprise a fait des efforts importants sur l'équipement, et notamment sur les vélos, mais que la charge de travail ne cesse de s'alourdir, ce qui réduit la portée des efforts accomplis.
M. Jean-Paul Kaufmant a confirmé les investissements réalisés par l'entreprise pour l'amélioration des matériels. Le problème, cependant, réside dans le fait que les règles mises en place pour protéger les agents dans le cadre de la réorganisation du travail ne sont pas respectées, que ce soit l'usage de certains matériels ou l'intensité du travail. Il y a donc un réel problème de confiance des personnels vis-à-vis de leur entreprise.
M. Jean-Pierre Godefroy, président, a fait observer qu'il appartient à l'Etat, principal actionnaire de prendre ses responsabilités en ce domaine.
Mme Véronique Arnaudo et M. Jean-Paul Kaufmant ont déploré que l'inspection du travail ne puisse contrôler La Poste.
M. Jean-Pierre Godefroy, président, a demandé si La Poste a bien étudié sa clientèle, qui est populaire et plutôt âgée, et qui demande sans doute une prise en charge plus attentive au guichet.
M. Jean-Paul Kaufmant a relevé que les objectifs commerciaux assigné par La Poste aux guichetiers et aux conseillers financiers sont indifférenciés sur le territoire et ne tiennent donc pas compte des caractéristiques sociales de la zone d'implantation du bureau. Les guichetiers ne sont pas opposés au changement mais sont mal à l'aise face au manque de perspectives et aux injonctions contradictoires qu'on leur donne. La Banque postale demeure cependant une banque à dimension sociale puisqu'elle accueille les personnes en situation d'interdit bancaire.
M. Jean-Pierre Godefroy, président, s'est inquiété des éventuelles entraves à l'indépendance des médecins du travail et a demandé comment mieux la garantir.
Mme Véronique Arnaudo a rappelé que l'indépendance des médecins du travail a été voulue par le législateur car elle est la condition même de l'exercice de leur profession. L'indépendance est également la condition de la crédibilité vis-à-vis des partenaires sociaux. Or, cette indépendance est vide de sens si les médecins n'ont pas les moyens de remplir leur mission. En moyenne en France, un médecin du travail en service autonome suit 1 400 salariés, avec l'aide d'une ou deux infirmières. Or, dans son département, elle suit actuellement 2 800 salariés, répartis dans de nombreux établissements.
M. Jean-Paul Kaufmant a ajouté qu'au sein de La Poste une petite dizaine de médecins exercent seuls, sans assistante ni infirmière. La possibilité de mener à bien leur mission est d'autant plus réduite que ce sont les services médicaux eux-mêmes qui convoquent les agents, et non les services de ressources humaines. Par ailleurs, on assiste à des retraits de véhicules ou de téléphones portables pour des médecins qui doivent couvrir l'ensemble d'un département, au nom d'économies à réaliser. Plusieurs cas de pressions, de contestation des avis médicaux, de menace de faire passer le médecin en conseil de discipline, sont attestés.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle a demandé si le mal-être peut être lié à la succession de CDD à laquelle sont confrontés certains personnels.
M. Jean-Paul Kaufmant a confirmé avoir connu des agents employés en CDD pendant plus de dix ans. Néanmoins, en raison de la multiplication des contentieux, l'entreprise n'a plus recours à de telles pratiques.
Mme Véronique Arnaudo a estimé que les CDD ont été remplacés par des intérimaires et que la précarité des salariés de La Poste n'a donc pas forcément été réduite.
M. Jean-Paul Kaufmant a signalé qu'il a existé, jusqu'à il y a trois ou quatre ans, un contrat spécifique à La Poste : le salarié devait se tenir prêt à venir travailler à tout moment, sa durée de travail totale dans l'année n'excédant généralement pas cinq cents heures.
Mme Véronique Arnaudo a estimé que la réduction des moyens des médecins du travail est d'autant plus incompréhensible que La Poste paye, par ailleurs, des sommes très importantes à des consultants extérieurs chargés de réfléchir à l'organisation du travail. Ces consultants ne disposant d'aucune donnée sur la santé des salariés, les conseils qu'ils offrent ne peuvent être que partiels et ils interviennent en dehors de tout contrôle des partenaires sociaux.
M. Alain Gournac a demandé ce qui va bien à La Poste, le tableau dressé étant jusqu'à présent particulièrement sombre.
Mme Véronique Arnaudo a affirmé être heureuse de travailler à La Poste mais se désoler du manque de moyens et du déni des problèmes de santé auxquels elle est confrontée.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a demandé quelles solutions peuvent être proposées pour mettre fin au mal-être ressenti.
Mme Véronique Arnaudo a considéré qu'il y a deux niveaux d'action. Il faut d'abord une véritable volonté politique de l'entreprise de traiter le mal-être, qui se traduise par la mise en place de moyens matériels et organisationnels. Il faut ensuite engager des actions concrètes qui « détendent » l'organisation, permettent de réduire la charge mentale des salariés et d'améliorer le service rendu. Une attention particulière doit être accordée à la qualité du dialogue social et l'Etat, premier actionnaire, doit prendre ses responsabilités en la matière. Le contrôle de l'inspection du travail est nécessaire et les conditions d'exercice de la médecine du travail doivent être alignées sur celles en vigueur dans les autres entreprises.
Audition de MM. Jean-Paul Bailly, président, et Georges Lefèbvre, délégué général, directeur des ressources humaines et des relations sociales du groupe La Poste
La mission d'information a ensuite entendu MM. Jean-Paul Bailly, président, et Georges Lefèbvre, délégué général, directeur des ressources humaines et des relations sociales du groupe La Poste.
M. Jean-Paul Bailly, président du groupe La Poste, a d'abord indiqué avoir été surpris, sur le fond comme sur la forme, par la lettre du syndicat professionnel des médecins de prévention dans la mesure où ceux-ci sont étroitement associés, sur le terrain, aux actions menées en matière de santé et de sécurité au travail. Les médecins de prévention participent ainsi activement, par l'intermédiaire du médecin coordinateur, à l'Observatoire de la santé au travail, créé au sein de l'entreprise ; ils ont contribué à définir, en lien avec les managers, une charte de coopération avec la médecine du travail et sont les acteurs principaux du dispositif d'évaluation du stress au travail mis en place depuis plus d'un an. Le courrier des médecins de prévention ne repose, par ailleurs, sur aucune analyse scientifique des conditions de travail mais sur le seul recoupement d'opinions appuyées sur des cas individuels. Enfin, certains éléments factuels évoqués dans cette lettre, comme l'arrêt supposé du dispositif d'évaluation et de suivi du stress professionnel, sont tout simplement inexacts.
Il n'en reste pas moins que la direction prend très au sérieux la question de la santé au travail et qu'il s'agit d'un sujet de préoccupation majeur, pour lequel il faut savoir faire preuve d'humilité. Dès réception du courrier des médecins de prévention, un rendez-vous leur a été immédiatement proposé et une réponse écrite leur a été faite le 2 juin. Des éléments d'information sur la poursuite des efforts du groupe en matière de prévention des risques, notamment psychosociaux, ont été communiqués à l'ensemble des médecins du travail ainsi qu'aux managers, dont certains ont été choqués par les propos du syndicat, afin d'éviter, sur le terrain, une incompréhension entre cadres et médecins du travail.
M. Jean-Paul Bailly a ensuite souligné qu'il y a peu d'entreprises au sein desquelles le comité exécutif lui-même se soit saisi de la problématique du stress au travail et dont le directeur des ressources humaines soit par ailleurs le numéro deux du groupe. Depuis 2003, la santé et la sécurité au travail figurent parmi les priorités stratégiques de La Poste, ce qui s'est notamment concrétisé par l'adoption d'un plan « santé et sécurité au travail » couvrant la période 2007-2010 : il fixe des objectifs en matière de prévention des accidents du travail, des risques routiers et psychosociaux, clarifie les responsabilités en matière d'occupation des sites, développe les actions du CHSCT, etc. Un accord sur la santé au travail est en cours de négociation et sera prochainement soumis à la signature des organisations syndicales.
Pour illustrer les actions conduites en matière de prévention des risques professionnels, M. Georges Lefèbvre, délégué général, directeur des ressources humaines et des relations sociales, a indiqué que les meilleures pratiques sont distinguées par la remise de palmes d'or, d'argent ou de bronze aux établissements. Par ailleurs, un protocole est appliqué par les managers de l'entreprise lors des opérations de réorganisations, afin de bien prendre en compte les situations individuelles.
M. Jean-Paul Bailly a indiqué travailler à la prévention des incivilités dans les bureaux de poste, celles-ci constituant l'un des principaux facteurs de stress pour les guichetiers. Il a ensuite détaillé les moyens mis en oeuvre pour améliorer la santé et la sécurité au travail. Environ mille trois cents personnes sont mobilisées sur ces objectifs : cent cinquante médecins du travail, cent infirmiers, quatre cent cinquante spécialistes de la prévention, trois cents conseillers mobilité et près de trois cents assistantes sociales. L'Observatoire de la santé au travail, mis en place en 2008, suit l'évolution de l'état de santé des postiers et veille à identifier les facteurs de risques et à conduire les actions appropriées, en se concentrant sur cinq priorités : l'absentéisme, les accidents du travail, les troubles musculo-squelettiques, l'inaptitude médicale et le stress au travail. Suivant les préconisations de l'Observatoire, une formation consacrée au stress a été dispensée aux membres du comité exécutif, ainsi qu'aux quatre cents cadres dirigeants de La Poste, et l'impact humain est intégré, en amont, dans tous les projets de réorganisation. Le dispositif d'évaluation du stress au travail se déploie dans tous les métiers, même si les médecins du travail ont souligné que les managers ont surtout pour rôle de veiller au respect des règles collectives et non de repérer les difficultés individuelles. Enfin, chaque directeur d'établissement doit élaborer un plan d'action « vie au travail », qui entrera en vigueur d'ici à la fin de l'année.
Un délai minimal de dix-huit mois s'écoule entre deux réorganisations et les situations individuelles sont prises en compte de façon systématique, au travers notamment d'entretiens personnalisés et de programmes de formation pour les personnels en transition. La charte de coopération avec la médecine du travail a permis d'expliciter les responsabilités des différents acteurs et constitue un point d'équilibre entre la nécessaire indépendance des médecins et le développement d'un véritable partenariat avec l'encadrement.
Le dispositif d'évaluation du stress est apprécié par les médecins du travail, dans la mesure où il leur permet d'avoir une approche collective de ce sujet, tout en permettant une meilleure identification des situations individuelles de fragilité. Il ressort des premières études menées dans ce cadre que l'incertitude face à l'avenir et à la conduite du changement et le risque d'incivilités, spécifique aux guichetiers, sont les premières causes de stress dans l'entreprise.
A M. Gérard Dériot, rapporteur, qui lui demandait si l'ouverture à la concurrence ou la transformation de La Poste en société anonyme ont pu être facteur de mal-être pour les agents, M. Jean-Paul Bailly a répondu que l'adaptation de l'entreprise à l'avènement de la société numérique est une absolue nécessité et que le management aurait été coupable s'il n'avait rien fait pour anticiper ces changements. Si la baisse du volume du courrier et la moindre sollicitation des guichets constituent la plus grande mutation de l'histoire de La Poste, cette réorganisation doit être conduite dans le respect du modèle social propre à l'entreprise. Celui-ci se caractérise d'abord par la garantie de l'emploi, qui oblige à « internaliser » le changement, en organisant des mobilités et l'acquisition de compétences nouvelles par les personnels. Ce processus de transformation requière des efforts de la part de chacun et peut parfois conduire à certaines situations difficiles, surtout lorsqu'il se combine à des fragilités personnelles.
La Poste veille également à réduire la précarité : la proportion de salariés en CDD est ainsi passée de 7 % à 3 % en quelques années et le temps partiel subi a quasiment disparu. Les programmes de rénovation et de modernisation des bureaux de poste et des centres de tri ont permis d'améliorer considérablement le cadre de travail - réduction du bruit, limitation des déplacements, création de lieux de détente, etc. - ce qui, combiné à la diminution des horaires de nuit, a permis de réduire la fatigue des agents.
La mobilité demandée aux postiers à l'occasion d'opérations de réorganisation est limitée à un rayon de trente kilomètres autour de leur lieu de travail et s'accompagne d'entretiens individuels et de formations, notamment lorsqu'ils sont appelés à travailler en centres d'appel. Sur ce point, M. Jean-Paul Bailly a considéré que les plateaux téléphoniques de La Poste sont des modèles par leur taille - quarante personnes environ -, leur implantation équilibrée sur le territoire national et leur management exemplaire. Entre 2003 et 2009, 800 millions d'euros auront été consacrés à l'accompagnement de la mobilité et à l'acquisition des compétences, et près d'1,5 milliard d'ici à 2015.
Enfin, les managers sont incités à concilier le respect des objectifs qui leur sont fixés avec l'attention portée au personnel puisque 40 % de la part variable de leur rémunération dépend de critères de qualité manageriale.
Réagissant au reproche formulé par le syndicat des médecins de prévention, selon lequel l'indépendance des médecins du travail n'est pas toujours parfaitement assurée, M. Georges Lefèbvre a indiqué que les médecins de prévention, dont le nombre a doublé en dix ans, sont des salariés rémunérés par l'entreprise dont l'indépendance est totalement garantie, pour ce qui relève de leur activité médicale, par les textes réglementaires applicables. Dans le cadre de la charte de coopération, leurs préconisations ont en outre vocation à être mieux prises en compte par les managers.
M. Alain Gournac a souhaité savoir pourquoi l'inspection du travail ne peut pas contrôler les établissements de La Poste. La direction de l'entreprise a-t-elle ressenti une aggravation du mal-être chez les agents et les relations avec la clientèle se sont-elles effectivement dégradées au cours des dernières années ? Les objectifs imposés aux conseillers financiers sont-ils différenciés selon les secteurs géographiques ?
M. Georges Lefèbvre a répondu que l'impossibilité, pour l'inspection du travail, d'effectuer des contrôles à La Poste s'explique par le fait que l'entreprise a longtemps eu un statut d'établissement public. Sa transformation récente en société anonyme autorise désormais les visites de l'inspection du travail, sous réserve de la parution d'un décret d'application toujours en cours d'élaboration. Toutefois, La Poste disposait, jusqu'à présent, d'un système d'inspection interne indépendant, rattaché administrativement à la direction des ressources humaines. Quant à l'évolution globale de l'entreprise, il est vrai que l'adaptation à la pression concurrentielle a conduit à des changements rapides et qu'une inquiétude existe parmi les personnels.
A cet égard, M. Jean-Paul Bailly a indiqué qu'une autre forme d'inquiétude, mettant en cause la pérennité même du groupe, aurait pu naître si cette mutation n'avait pas été menée ; le choix a été fait de dire la vérité aux postiers - par exemple sur la baisse attendue de 30 % du volume de courrier à traiter - et d'accompagner au mieux ces changements.
Mme Annie David a considéré que, à entendre la direction, tout va bien au sein de l'entreprise, ce qui est pourtant contredit par le courrier du syndicat des médecins de prévention comme par les témoignages qu'elle a pu elle-même recueillir sur le terrain, notamment sur des cas de suicides liés à l'activité professionnelle des postiers. Afin de répondre aux incivilités au guichet, la direction envisage-t-elle de mobiliser plus de personnel aux heures de pointes et dans les bureaux les plus fréquentés ? L'organisation des plateaux téléphoniques de La Poste est-elle si exemplaire que cela ? Comment la mobilité des personnels est-elle accompagnée ? Si le nombre de salariés en CDD a baissé, qu'en est-il du nombre des intérimaires ? Enfin, quel premier bilan peut-on tirer du plan « santé et sécurité au travail » couvrant la période 2007-2010 ?
M. Jean-Pierre Godefroy, président, a indiqué que, selon le syndicat des médecins de prévention, la fréquence des troubles musculo-squelettiques a été multipliée par quatre dans la période récente. Certains médecins du travail auraient par ailleurs subi des pressions inadmissibles de la part de l'encadrement.
Mme Annie Jarraud-Vergnolle a rappelé que le syndicat des médecins de prévention regrette que les médecins du travail soient exclus de la politique de santé au travail, l'entreprise préférant recourir à des consultants extérieurs.
M. Georges Lefèbvre a précisé que, à ce jour, aucun suicide directement lié à l'activité de La Poste n'a été identifié, même si des situations difficiles ont pu être signalées, parfois avec l'aide des organisations syndicales. Aucune mobilité n'est imposée au-delà de trente kilomètres et l'accompagnement financier des mobilités peut être très important.
Le chiffre évoqué par le syndicat des médecins de prévention concernant les troubles musculo-squelettiques est erroné. Il existe au sein de l'entreprise des métiers physiques - un facteur peut ainsi manipuler jusqu'à une tonne de charge par jour - mais ce problème réel est traité par l'aménagement des conditions de travail - la multiplication des vélos à assistance électrique ou des chariots pour le transport du courrier, notamment. À cela s'ajoute le fait que les personnels vieillissent, leur moyenne d'âge s'établissant désormais à quarante-cinq ans.
Le recours aux intérimaires, qui représentent seulement environ 1 % des effectifs, a diminué en 2009. Quant à l'absentéisme pour maladie, La Poste connaît des taux comparables à ceux des autres entreprises de main d'oeuvre, comme la grande distribution par exemple, si l'on tient compte de deux éléments objectifs : un âge moyen des salariés plus élevé et le fait que l'entreprise emploie autant de femmes, qui s'absentent pour leurs congés maternité, que d'hommes.
En matière de gestion des incivilités, M. Jean-Paul Bailly a indiqué que de nombreux bureaux de postes ont déjà été réorganisés afin de réduire les temps d'attente, ce qui limite l'énervement des usagers. Pour juguler les phénomènes d'engorgement, La Poste a, par ailleurs, obtenu des organismes sociaux qu'ils versent leurs prestations à des dates différentes. Ses visites régulières dans les centres d'appels montrent que de nombreux personnels reconvertis, en provenance notamment des centres de tri, sont heureux d'être en contact avec la clientèle. Les médecins de prévention sont associés aux actions entreprises en matière de santé au travail et leur indépendance n'est pas en cause, sauf cas exceptionnel qu'il convient alors de faire remonter à la direction : en une occasion, un manager a effectivement été sanctionné pour avoir demandé au médecin de revoir son diagnostic.
Enfin, en réponse à Mme Muguette Dini, qui voulait savoir si les objectifs fixés aux conseillers de la Banque postale sont les mêmes sur l'ensemble du territoire, M. Georges Lefèbvre a précisé que ceux-ci sont bien sûr différenciés en fonction de l'environnement local.
Table ronde réunissant des représentants des syndicats de salariés de La Poste
Puis la mission d'information a tenu une table ronde réunissant des représentants des syndicats de salariés de La Poste.
Elle a entendu Mme Nadine Capdeboscq, secrétaire nationale de la Fédération Communication, Conseil, Culture de la Confédération française démocratique du travail (F3c CFDT), M. Jacques Dumans, secrétaire général de la Fédération Force ouvrière Communication (FO Com), M. Jean-Louis Frisulli, secrétaire fédéral de la Fédération Solidaires, unitaires, démocratiques de La Poste (Sud-PTT), MM. Jean-Luc Jacques, président national, et Pierrot Ramanantsoa, secrétaire régional de la Confédération française des travailleurs chrétiens - La Poste (CFTC La Poste), et M. Claude Quinquis, membre du bureau fédéral de la Fédération nationale des salariés du secteur des activités postales et de télécommunications - Confédération générale du travail (CGT-Fapt).
M. Claude Quinquis, membre du bureau fédéral de la Fédération nationale des salariés du secteur des activités postales et de télécommunications - Confédération générale du travail (CGT-Fapt), a d'abord indiqué que son syndicat n'a pas attendu la récente médiatisation de la situation de La Poste pour se préoccuper de la santé au travail. Les statistiques de la Cnam montrent que les taux de fréquence et de gravité des accidents du travail sont plus élevés à La Poste que dans les autres branches professionnelles, à l'exception de celle du bâtiment et des travaux publics (BTP). Son syndicat est par ailleurs sensible à ce qui se passe chez France Telecom, puisqu'il fait partie d'une fédération qui regroupe, pour des raisons historiques, postes et télécommunications.
La CGT a pris connaissance du courrier des médecins du travail il y a une quinzaine de jours et a interpellé le président de l'entreprise à ce sujet. Elle partage entièrement les critiques formulées par le syndicat des médecins de prévention. La politique de l'entreprise, en matière de santé au travail, est définie en « vase clos », sans que les organisations syndicales y soient suffisamment associées, et les accords conclus sur le sujet n'ont pas de retombées concrètes. Alors que la charge de travail augmente, que les arrêts maladie et l'absentéisme progressent, que des salariés déclarés inaptes sont licenciés, la direction de La Poste répond que les postiers sont des « enfants gâtés ».
Pour remédier à ces problèmes, il faudrait revenir sur la logique d'ouverture à la concurrence et de privatisation actuellement à l'oeuvre. A défaut, il faudrait mettre un terme aux réorganisations lorsqu'elles dégradent les conditions de travail et renforcer la prévention, en créant des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de proximité, dotés des prérogatives prévues par le code du travail.
La loi du 20 mai 2005, relative à la régulation des activités postales, a prévu qu'un décret serait pris au sujet de la santé et de la sécurité au travail des postiers. L'ensemble des organisations syndicales sont cependant opposées au texte en préparation et demandent que les postiers bénéficient des garanties de droit commun.
La logique productiviste qui domine actuellement conduit à ne plus respecter les textes, notamment en matière de durée du travail. Fin 2010, La Poste aura sans doute perdu 73 000 emplois en huit ans. Les réorganisations et suppressions d'emploi sont permanentes, la garantie de l'emploi ne concernant que les 55 % de postiers ayant le statut de fonctionnaire. On compte par ailleurs probablement 10 000 postiers sans affectation, surtout des cadres, qui sont occupés sur des missions de plus ou moins longue durée.
Les revendications syndicales ne sont pas prises en compte par la direction et le dialogue social n'est pas de bonne qualité à La Poste. La CGT a par exemple demandé la négociation d'un accord sur le stress, ce à quoi la direction a répondu en lançant un plan d'action décidé unilatéralement.
M. Jean-Luc Jacques, président national de la Confédération française des travailleurs chrétiens - La Poste (CFTC La Poste), a tout d'abord estimé que des suicides liés au travail se sont produits dans sa région Limousin mais n'ont pas été reconnus comme tels par La Poste.
La lettre des médecins du travail confirme les constats que son syndicat effectue empiriquement sur le terrain. La CFTC ne pensait pas cependant que la situation était si grave. Elle pourrait même devenir catastrophique si rien n'est fait pour y remédier.
Les facteurs sont fatigués car ils rentrent chez eux de plus en plus tard, passent de plus en plus de temps dehors et travaillent souvent six jours dans la semaine, sans pouvoir toujours bénéficier de leurs congés et temps de récupération. Les cadres peuvent être placés en mission pendant dix-huit à vingt-quatre mois avant de recevoir une affectation. Les nouveaux casiers « hybrides » installés dans les centres de tri usent les corps et risquent d'entraîner à l'avenir de nombreux cas d'inaptitude.
En ce qui concerne l'indépendance des médecins du travail, il est arrivé que certains d'entre eux se fassent réprimander par la direction après avoir reconnu, dans une réunion de CHSCT, que les postiers consommaient de plus en plus de médicaments.
Comment expliquer le décalage observé entre la direction nationale et les gens de terrain ? Il tient peut-être au fait que les journaux de communication internes de La Poste sont plus des outils de propagande que de véritables organes d'information. Les grèves ne sont par exemple jamais relatées dans ces publications. De plus, les cadres de terrain n'osent plus faire remonter les difficultés à la direction nationale car on les culpabilise en leur expliquant qu'ils sont responsables des difficultés qu'ils rencontrent.
La CFTC préconise de suspendre les réorganisations en cours et demande que la médecine du travail soit partie prenante des accords conclus en matière de santé et de sécurité au travail. Elle souhaite également que l'indépendance des médecins du travail soit mieux garantie, que les CHSCT de proximité soient maintenus, que tous les postiers bénéficient d'un suivi médical. Plus généralement, elle appelle de ses voeux le rétablissement d'un véritable dialogue social dans l'entreprise.
M. Jean-Louis Frisulli, secrétaire fédéral de la Fédération Solidaires, unitaires, démocratiques de La Poste (Sud-PTT), a expliqué que la Poste n'est pas une entreprise comme les autres : elle emploie beaucoup de personnels d'exécution, exerce une mission de service public et son activité comporte une forte dimension sociale. Le travail des postiers est pénible : il s'effectue à l'extérieur pour les facteurs, au contact direct du public pour les guichetiers. La Poste est déterminée à devenir une des premières postes européennes, quitte à mettre en danger, pour cela, la situation d'un certain nombre de ses personnels. Enfin, en dépit des déclarations contraires de la direction, il n'y a pas de véritable dialogue social dans l'entreprise. L'absence de délégués du personnel dans beaucoup d'établissements contraint les agents à exprimer leurs difficultés dans le cadre d'échanges individuels avec la direction.
Les réorganisations mises en oeuvre cassent les collectifs de travail : auparavant, les guichetiers arrivaient sur leur lieu de travail une heure ou deux avant l'ouverture du bureau de poste, pour effectuer des travaux intérieurs, ce qui leur permettait de se connaître ; actuellement, ils arrivent cinq minutes avant l'ouverture du bureau et prennent leurs pauses seuls. Certains agents ont des temps de pause qui ne leur permettent même pas de profiter du restaurant du personnel.
La Poste continue de réduire ses effectifs ; pour la seule année 2009, dix mille emplois devraient encore disparaître. Il en résulte d'importants dépassements horaires, que La Poste refuse de reconnaître. Un postier qui ramène du courrier pour éviter de dépasser ses horaires de travail s'expose à des sanctions disciplinaires. De surcroît, l'organisation du travail des facteurs ne prend pas en compte la dimension sociale de leur métier, qui est pourtant essentielle.
La Poste refuse de constituer des CHSCT dans les établissements qui comptent moins de deux cents salariés, alors que le code du travail fixe ce seuil à cinquante salariés, ce qui ne permet pas de traiter correctement les problèmes de santé et de sécurité au travail.
Enfin, l'Observatoire de la santé ne fonctionne pas bien : il se réunit peu, ne publie pas de comptes rendus et n'a produit jusqu'ici aucun résultat.
Mme Nadine Capdeboscq, secrétaire nationale de la Fédération Communication, Conseil, Culture de la Confédération française démocratique du travail (F3c CFDT), a souligné que La Poste ne procède jamais à des plans sociaux et qu'elle doit donc gérer, en interne, les transformations sociales résultant des mutations économiques auxquelles elle est confrontée.
La CFDT partage en partie le constat des médecins de prévention mais n'approuve pas l'idée selon laquelle les responsables des ressources humaines devraient gérer les problèmes de santé. Il appartient aux médecins du travail de faire un diagnostic médical puis aux autres acteurs de l'entreprises d'en tirer les conséquences et de chercher des solutions. Il est d'ailleurs curieux que cette lettre soit sortie au moment où les syndicats négociaient avec la direction sur la santé au travail.
La négociation collective, qui est essentielle pour régler les problèmes de l'entreprise, devrait s'attacher à traiter quatre thèmes prioritaires :
- la santé au travail ;
- la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), afin d'anticiper les évolutions des métiers ;
- le rôle du management et les droits des managers ;
- le dialogue social dans les établissements : il n'existe pas, à La Poste, d'institutions représentatives du personnel du type de celles prévues par le code du travail ; l'entreprise dispose en revanche de ses propres instances, sui generis, ce que la CFDT juge plus adapté, compte tenu de l'organisation de l'entreprise. Les élus du personnel devraient cependant avoir un rôle à jouer dans le domaine des conditions de travail et de l'organisation du travail.
En ce qui concerne l'Observatoire de la santé, il est regrettable que les syndicats n'y siègent pas ; il recueille des informations mais ne les utilisent pas, aucune analyse n'ayant jamais été produite.
S'agissant des négociations en cours, il appartient à la direction et aux syndicats de l'entreprise de trouver des solutions et de prendre leurs responsabilités.
M. Jacques Dumans, secrétaire général de la Fédération Force ouvrière Communication (FO Com), a indiqué que son syndicat a été tout d'abord surpris par la lettre des médecins du travail ; il n'est en effet pas habituel que les médecins du travail, qui ont plutôt tendance à accompagner la politique de l'entreprise, critiquent ainsi la direction. On s'est ensuite demandé si cette lettre n'émanait pas d'un petit groupe de « gauchistes » ; or il est apparu que ce syndicat rassemble plus de la moitié des médecins de l'entreprise. Cette lettre doit donc être prise pour ce qu'elle est : une alerte et un cri. Sur le fond, FO partage l'analyse des médecins du travail et la juge précise, argumentée et sans outrances.
La politique suivie par La Poste en matière de santé et de sécurité au travail est assez traditionnelle et prend peu en compte les risques psychosociaux. Par rapport à ces risques, la direction est souvent dans le déni : elle refuse de parler des suicides ou de la multiplication des cas d'inaptitude. L'Observatoire de la santé, qui a été mis en place en 2006, est un bel outil, mais dont on attend toujours des résultats concrets. Il produit seulement pour l'instant des indicateurs.
Pour améliorer la situation, FO estime qu'il faut, en premier lieu, admettre la réalité des problèmes. Il faut ensuite remettre l'humain au centre des organisations et promouvoir un management responsable, les cadres étant les premiers à souffrir des failles du management. Des salariés inaptes sont licenciés et des abus scandaleux dans la politique disciplinaire de l'entreprise doivent être dénoncés.
Il faut également donner un sens aux réorganisations en cours, les expliquer et désigner, à cette fin, un interlocuteur unique à la direction de La Poste. Aujourd'hui, le président de La Poste n'a plus une autorité suffisante sur les directions métiers. On observe des conflits entre la direction des ressources humaines et les directions métiers au sujet de l'accord en négociation sur la santé au travail. Sur le terrain, les organisations syndicales n'ont pas la possibilité de dialoguer avec des responsables de la gestion des ressources humaines. Or, il faudrait pouvoir discuter des normes de travail et des cadences avec des gens qui ont un vrai pouvoir de décision, sans quoi on n'obtiendra pas de résultats concrets.
M. Jean Desessard a demandé pourquoi les facteurs passent plus de temps à l'extérieur qu'autrefois.
M. Jean-Luc Jacques (CFTC La Poste) a répondu que les facteurs passaient auparavant trois heures par jour à l'intérieur et trois heures à l'extérieur. Mais la mécanisation a permis d'effectuer le tri du courrier en moins de temps ; en contrepartie, les tournées des facteurs ont été allongées, souvent de 25 % à 30 %.
M. Jean Desessard en a déduit que le travail des facteurs est certainement devenu moins diversifié et a noté que le suivi des changements d'adresse est moins bien assuré. Il a souhaité obtenir des précisions au sujet des casiers « hybrides » et sur les activités qu'accomplissaient autrefois les guichetiers avant l'ouverture des bureaux de poste.
M. Jean-Louis Frisulli (Sud-PTT) a répondu que les guichetiers s'occupaient notamment de la gestion des courriers recommandés et du tri des « boites postales », c'est-à-dire du courrier retiré au guichet.
M. Jean-Luc Jacques (CFTC La Poste) a précisé que les nouveaux casiers modulaires comportent un plus grand nombre de cases ce qui permet d'effectuer le tri plus rapidement.
M. Jean-Louis Frisulli (Sud-PTT) a ajouté que la productivité a augmenté grâce à ces casiers mais que les temps de pause ont diminué.
M. Claude Quinquis (CGT-Fapt) a estimé que les nouveaux casiers risquent d'entraîner une recrudescence des troubles musculo-squelettiques car le geste que les facteurs doivent accomplir pour placer les lettres dans les cases oblige à des mouvements répétés du poignet.
M. Jean-Pierre Godefroy, président, a demandé pourquoi la CFDT n'est pas favorable à une application à La Poste des dispositions du code du travail.
Mme Nadine Capdeboscq (F3c CFDT) a précisé que sa remarque portait sur les seules institutions représentatives du personnel. Elle a estimé que la création, à La Poste, de délégués du personnel ou de comités d'entreprise, dans leur forme prévue par le code du travail, ne constituerait pas à une réponse adaptée aux problèmes de l'entreprise. Des institutions représentatives originales, propres à l'entreprise, doivent être imaginées. Chez France Telecom, la présence d'institutions représentatives du type de celles prévues par le code du travail n'a pas empêché les difficultés.
Mme Annie David a demandé des précisions sur le suivi médical dont bénéficient les postiers.
M. Jean-Louis Frisulli (Sud-PTT) s'est déclaré ouvert à des innovations en matière d'institutions représentatives du personnel tout en estimant que les attributions d'un délégué du personnel sont tout de même assez basiques : ils transmettent les réclamations du personnel au chef d'établissement. Du fait de l'absence de délégués du personnel, un postier qui a un problème dans un établissement le gère seul ; s'il s'adresse à un syndicat, celui-ci peut seulement solliciter un entretien avec le chef d'établissement. Sur la question du suivi médical, il a indiqué avoir subi une seule visite médicale en vingt-cinq ans.
M. Jean-Luc Jacques a précisé que La Poste a décidé de créer des CHSCT dans les établissements de plus de deux cents salariés, au lieu de trois cents actuellement, ce qui n'est pas suffisant. Il est en outre nécessaire de procéder régulièrement à un bilan de santé exhaustif des agents pour améliorer la prévention.
Audition de Mme Pascale Soulard, ergonome à Aéroports de Paris, représentante de l'association des ergonomes de collectivités, d'administrations publiques et d'entreprises
La mission d'information a enfin entendu Mme Pascale Soulard, ergonome à Aéroports de Paris (ADP) et représentante de l'association des ergonomes de collectivités, d'administrations publiques et d'entreprises (Adecape).
A titre liminaire, Mme Pascale Soulard a indiqué venir s'exprimer devant la mission non pas uniquement en tant qu'ergonome à Aéroports de Paris, mais aussi et surtout comme représentante de l'association des ergonomes de collectivités, d'administrations publiques et d'entreprises, l'Adecape. Cette association, créée il y a deux ans, a constitué plusieurs groupes de travail chargés de réfléchir sur des thématiques diverses, comme celle de la souffrance au travail.
Discipline apparue en réaction aux méfaits du taylorisme, l'ergonomie s'attache à comprendre comment l'organisation du travail peut affecter la santé physique et mentale des travailleurs. Les premiers ergonomes, souvent issus du monde ouvrier, ont été formés au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) dans les années soixante et soixante-dix. Il existe aujourd'hui une dizaine de masters en France dispensant une formation en ergonomie. Chaque année, près de deux cents étudiants en sortent diplômés.
Le métier d'ergonome consiste à améliorer les situations de travail en agissant sur les aspects matériels du travail, mais aussi sur sa dimension socio-organisationnelle. L'objectif de cette démarche est de permettre que le travail soit réalisé dans le respect de la santé et de la sécurité des travailleurs, avec le maximum de confort et de satisfaction pour eux, tout en garantissant à l'employeur que les tâches sont effectuées avec efficacité.
Les ergonomes sont organisés en plusieurs associations, l'Adecape étant la plus jeune d'entre elles. La société d'ergonomie de langue française (SELF) existe depuis une cinquantaine d'années. Des associations internationales d'ergonomes ont également été créées.
Les ergonomes interviennent dans divers secteurs de l'industrie et des services, dans les administrations et les collectivités territoriales, ainsi que dans des structures telles que les services de santé interentreprises ou la mutualité sociale agricole (MSA). Dans les grandes entreprises, les ergonomes sont généralement salariés, tandis que les petites entreprises font le plus souvent appel à des consultants extérieurs.
Afin d'améliorer les conditions de travail, l'ergonome adopte une méthodologie spécifique reposant, dans un premier temps, sur l'analyse de l'activité de travail. Cette étape consiste à aller sur le terrain, à rencontrer les salariés, à leur donner la parole pour identifier des « observables », c'est-à-dire des situations de travail concrètes. A cette occasion, on constate souvent un écart entre le travail prescrit par la fiche de poste et le travail réellement effectué. Au cours de cette analyse, fondée sur une approche globale du travail, l'ergonome prend en compte toutes les dimensions de la situation du travail (les outils de travail, l'espace de travail, l'aspect managérial...).
Dans un deuxième temps, il élabore un diagnostic, validé par les salariés eux-mêmes, qui indique les facteurs à l'origine de la souffrance au travail. Ceux-ci ne sont pas seulement d'ordre individuel, ils sont aussi d'ordre collectif, c'est-à-dire liés à l'organisation du travail et aux méthodes de management. Ne travaillant pas seul, l'ergonome privilégie une démarche pluridisciplinaire le conduisant à coopérer avec les médecins du travail, les psychologues du travail et les managers.
Dans un troisième temps, il tente d'apporter des réponses aux questions posées par l'analyse des situations de travail. Celles-ci sont élaborées de manière participative, en associant étroitement les salariés concernés. L'objectif est de trouver les moyens permettant de redonner du sens au travail.
Cette dernière étape est l'occasion, pour les travailleurs, de parler collectivement de problèmes souvent perçus comme individuels. Il peut s'agir, par exemple, d'une agression, d'une souffrance psychologique résultant d'injonctions paradoxales de la part de la hiérarchie, de conflit de valeurs, d'un sentiment d'insatisfaction né de l'impossibilité de bien faire son travail, etc. L'ergonome parle d' « espaces de régulation » pour désigner ces temps de parole collectifs, où l'on tente de redéfinir ensemble les règles de métier.
En conclusion, dans un contexte de dégradation croissante des conditions de travail - due aux nouvelles méthodes managériales, à l'individualisation des tâches, etc. - l'intervention des ergonomes permet d'anticiper et de prévenir les situations de souffrance au travail.
M. Gérard Dériot, rapporteur, a estimé que le travail des ergonomes est à même d'apporter des solutions aux problèmes physiques ou psychologiques rencontrés par certains salariés sur leur lieu de travail.
Mme Pascale Soulard a cité le cas, qu'elle a rencontré au début de sa carrière professionnelle, d'un ouvrier travaillant sur une chaîne de roulements à billes, qui souffrait de stress professionnel car il se sentait responsable des arrêts de la chaîne de travail causés par les pannes régulières de sa machine. L'analyse de cette situation de travail a permis de révéler que c'était l'organisation du travail, fondée sur la logique du « zéro stock », qui était à l'origine de ces problèmes.
M. Jean Desessard a estimé que la production en flux tendus, qui s'est répandue dans les entreprises au cours des dernières décennies, est pour beaucoup dans l'aggravation du mal-être au travail. Il a ensuite demandé des précisions sur les études d'ergonome : ressemblent-elles à celles que suivent les étudiants en psychosociologie ?
Mme Pascale Soulard a répondu que les ergonomes ont des parcours divers : ils peuvent être sociologues, psychologues ou bien venir du monde de la gestion. Les masters en ergonomie essayent de recruter des profils différents. En tout état de cause, ce métier suppose de bien connaître le monde du travail et d'y être immergé à un moment donné.
Mme Annie David a souhaité savoir comment les employeurs perçoivent la mission des ergonomes. En particulier, à quelle occasion font-ils appel à leurs compétences et prennent-ils réellement en compte leurs recommandations ? Par ailleurs, s'agissant des cas de souffrance au travail provoqués par des injonctions paradoxales de la part de la hiérarchie, quelles solutions peuvent être préconisées, sachant qu'il s'agit avant tout d'un problème de gestion des ressources humaines ?
M. Jean-Pierre Godefroy, président, a demandé si les médecins du travail font spontanément appel aux services des ergonomes ou s'ils sont plutôt réticents à l'idée de coopérer avec eux. Et qu'en est-il des relations entre les inspecteurs du travail et les ergonomes ?
Mme Pascale Soulard a indiqué qu'en général, les ergonomes salariés d'une entreprise sont sollicités par la direction des ressources humaines, l'assistante sociale, le médecin du travail, voire par le service de la qualité. Leur intervention s'effectue en accord avec les managers et en toute transparence vis-à-vis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), dont les membres sont informés de leur venue sur le lieu de travail. Quant aux ergonomes consultants, ils sont appelés par ces mêmes acteurs, à la suite de remontées de terrain faisant état de problèmes de stress professionnel.
Il est essentiel que les managers soient associés à la démarche de l'ergonome si l'on veut qu'ils tiennent compte ensuite des recommandations formulées. Cette méthode de coopération est gage de bons résultats. Les propositions n'émanent d'ailleurs pas du seul ergonome, mais de l'ensemble de l'équipe auprès de laquelle il est intervenu.
S'agissant des injonctions paradoxales, celles-ci ne sont, la plupart du temps, pas volontaires. Du fait du cloisonnement des services au sein des entreprises, les différents managers n'ont pas nécessairement conscience que leurs instructions sont parfois incohérentes pour ceux qui les reçoivent. En pointant ces contradictions, l'ergonome fait comprendre aux managers qu'elles nuisent à la performance des salariés et donc de l'entreprise.
M. Jean Desessard s'est demandé si le métier d'ergonome ne disparaîtrait pas si les managers assumaient correctement et intelligemment leur mission de gestion des ressources humaines.
Mme Pascale Soulard a répondu que les managers ne pourront jamais remplacer les ergonomes dans leur travail car leurs collaborateurs seront toujours réticents à l'idée de se confier à eux. Les règles de travail étant définies par les managers, les travailleurs n'ont pas intérêt à leur avouer qu'ils ne les respectent pas scrupuleusement. Seule une personnalité extérieure à la relation salarié-employeur peut donc véritablement accéder à la réalité des situations de travail.